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18/08/2021 | LUXEMBOURG | N°46280

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 août 2021, 46280


Tribunal administratif N° 46280 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 18 août 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, et consort, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46280 du rôle et déposée le 22 juillet 2021 au greffe du tribuna

l administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de ...

Tribunal administratif N° 46280 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 juillet 2021 chambre de vacation Audience publique de vacation du 18 août 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, et consort, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46280 du rôle et déposée le 22 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Soudan), alias …, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité soudanaise, et de son épouse, Madame …, déclarant être née le … à … et être de nationalité soudanaise, alias …, alias …, déclarant être née le … et être de nationalité soudanaise, demeurant actuellement ensemble à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juillet 2021 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 août 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi modifiée du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu les communications respectives de Maître Marc-Olvier Zarnowski, en remplacement de Maître Ibtihal El Bouyousfi, et du délégué du gouvernement du 17 août 2021, informant le tribunal que l’affaire pouvait être prise en délibéré en dehors de leur présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique de vacation du 18 août 2021.

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Le 1er juin 2021, Monsieur …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », et son épouse, Madame …, alias …, alias …, ci-après dénommée « Madame … », les deux étant ci-

1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » après désignés par « les époux … », accompagnés de leurs enfants mineurs, … et … …, les quatre étant ci-après désignés par « les consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations des époux … sur leurs identités et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du service de police judiciaire, service criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, dans un rapport du même jour. Il s’avéra à cette occasion qu’un statut de protection internationale leur avait préalablement été accordé en Italie.

Toujours à la même date, les époux … signèrent chacun une déclaration officielle de renonciation expresse à leur demande de protection internationale.

Le 4 juin 2021, ils présentèrent une demande de réouverture de leur dossier de demande de protection internationale.

Le même jour, ils furent entendus séparément par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 8 juillet 2021, ils passèrent chacun un entretien avec un agent ministériel sur la recevabilité de leur demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Par décision du 14 juillet 2021, notifiée aux intéressés en mains propres le surlendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrecevable la demande de protection internationale des consorts … en application de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) J’ai l’honneur de me référer à vos demandes en obtention d’une protection internationale que vous avez introduites auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 1er juin 2021.

En mains le rapport du Service de Police Judiciaire de la même date, les rapports d’entretien Dublin III du 4 juin 2021, ainsi que les rapports d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et de l’Immigration du 8 juillet 2021 sur la recevabilité de vos demandes de protection internationale.

Il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous, Monsieur, avez introduit une demande de protection internationale à Rome/Italie le 30 mai 2019 et vous, Madame, avez introduit une demande de protection internationale à Ferrara/Italie le 6 juin 2019. Monsieur, vous précisez dans ce contexte que vous vous seriez trouvé en Libye dans un camp tenu par l’UNHCR, lorsque les autorités italiennes vous auraient sélectionné parmi d’autres pour être transférés en Italie. Après y avoir introduit vos demandes de protection internationale, vous auriez vécu pendant plus d’une année avec votre épouse dans un camp pour réfugiés. Après avoir obtenu tous les deux le statut de réfugié, vous auriez été transférés vers un autre camp avant de le quitter à nouveau après vous être vus remettre des titres de séjour. Or, étant donné que vous n’auriez pas trouvé de travail en Italie, que personne ne se serait occupé de vous et que votre épouse serait malade et qu’elle n’aurait pas eu accès aux soins, vous n’auriez plus eu d’autre choix que de venir au Luxembourg en espérant y trouver la protection dont vous auriez été privés en Italie.

Il découle de vos dires recueillis dans le cadre des entretiens Dublin III que vous avez obtenu une protection internationale en Italie, que vous auriez quitté ce pays à cause des mauvaises conditions de vie et que vous finiriez par y dormir dans la rue en cas d’un retour.

Vous confirmez toutefois tous les deux avoir vécu l’entièreté de votre séjour en Italie dans un foyer.

Monsieur, il résulte du rapport sur la recevabilité de votre demande de protection internationale que vous auriez quitté l’Italie parce que personne ne vous y aurait aidés. Ainsi, par exemple, quand vos enfants ou votre épouse seraient tombés malades, « on » leur aurait donné des médicaments sans consultation préalable d’un médecin. A cela s’ajoute que votre fils serait rentré en pleurant de l’école en vous demandant pourquoi il aurait une couleur de peau différente des autres. Vous auriez contacté plusieurs responsables pour trouver une solution à ce problème, mais personne ne s’y serait intéressé. Vous n’auriez pas non plus réussi à l’inscrire dans une autre école. De plus, vous mentionnez un soir où vous auriez raté le train et auriez été obligé de dormir avec votre épouse sous un pont. Pendant la nuit, des personnes inconnues auraient tenté d’enlever votre fils mais vous auriez réussi à les rattraper. Pendant ce temps, des inconnus auraient agressé votre épouse ; vous parlez d’une tentative de viol.

Madame, vous confirmez dans les grandes lignes les dires de votre époux en précisant que votre enfant aurait été traité de « négro » par d’autres enfants à son école.

Vous ne présentez aucun document à l’appui de vos dires en précisant avoir jeté les documents qui vous auraient été remis par les autorités italiennes.

Je suis au regret de vous informer qu’en vertu des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, vos demandes de protection internationale sont irrecevables au motif qu’une protection internationale vous a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne.

En effet, il résulte de vos propres déclarations, tout comme des réponses des autorités italiennes du 18 juin 2021, que vous vous êtes vus octroyer une protection internationale en Italie et que vous êtes, tout comme vos enfants, en possession d’un titre de séjour, valable jusqu’au 9 mars 2025.

Il ne ressort ensuite pas des éléments en notre possession que vous auriez à craindre en Italie pour votre vie ou pour votre liberté en raison de votre race, de votre religion, de votre nationalité, de votre appartenance à un groupe social particulier ou de vos opinions politiques, ni qu’il existe un risque d’atteintes graves dans votre chef.

Il ne ressort pas non plus de vos déclarations que vous risquez en Italie un traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme respectivement à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne alors que vous expliquez être surtout venus au Luxembourg à cause des mauvaises conditions de vie en Italie, que vous n’y auriez pas trouvé de travail ou que personne ne vous aurait aidés.

Or, non seulement des motifs économiques ne sauraient de toute façon pas fonder une demande de protection internationale, mais encore s’agit-il de constater qu’en quittant l’Italie pour aller introduire des demandes de protection internationale dans un autre pays européen, vous avez préféré opter pour la solution de facilité. A cela s’ajoute qu’en tant que bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, vous y bénéficiez des mêmes droits et obligations que les citoyens italiens et il vous appartient désormais de construire votre vie en Italie. Hormis le fait que vous auriez pendant tout votre séjour en Italie été logés dans des « camps » pour réfugiés, on ne saurait attendre des autorités italiennes qu’elles vous mettent à disposition un logement et qu’elles vous trouvent un emploi. Le bénéficiaire d’une protection internationale dispose de certains droits mais il ne saurait exiger de son pays d’accueil qu’il lui construise une nouvelle vie et lui mette à disposition tout ce dont il a besoin. Il appartient à chaque bénéficiaire de faire des efforts d’intégration et de chercher un emploi pour subvenir à ses besoins.

J’ajoute pour être complet que le fait que vous auriez une fois été agressés par des inconnus en dormant sous un pont, que vous vous seriez vus remettre des médicaments sans consultation d’un médecin ou que votre fils aurait été appelé « negro » par d’autres élèves dans son école, ne sauraient pas suffire pour justifier dans vos chefs une quelconque crainte de persécution par rapport à vos vies en Italie, voire, pour établir dans vos chefs une crainte fondée d’être victimes en Italie d’un traitement contraire auxdits articles 3 CEDH et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ne ressort par ailleurs même pas de vos déclarations que vous auriez porté plainte ou ne serait-ce que dénoncé l’agression et la tentative de viol dont vous auriez été victimes auprès des autorités italiennes.

De plus, je soulève que l’Italie respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève et l’interdiction de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le Grand-Duché de Luxembourg ne peut par conséquent pas donner suite à vos demandes déclarées irrecevables. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juillet 2021, les époux … ont fait introduire un recours tendant à l’annulation, d’une part, de la décision ministérielle, précitée, du 14 juillet 2021 ayant déclaré leur demande de protection internationale irrecevable et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours visant la décision du ministre ayant déclaré la demande de protection internationale irrecevable Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond et l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015 prévoyant expressément un recours en annulation en la matière, seul un recours en annulation a pu être introduit contre la décision ministérielle, précitée, du 14 juillet 2021 ayant déclaré irrecevable la demande de protection internationale des consorts ….

Le recours en annulation est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, ils estiment qu’en prenant la décision litigieuse, le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation de leur situation particulière au regard des conditions d’existence des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, qui seraient généralement contraires aux articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (« la CEDH ») et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »), de sorte qu’ils n’auraient pas pu bénéficier d’une protection effective dans cet Etat membre.

Après avoir cité l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs s’appuient sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (« la CJUE »)2 pour souligner qu’il serait admis qu’au nom de la confiance mutuelle entre Etats membres et de l’économie de procédure, un Etat membre pourrait être tenu de constater l’irrecevabilité d’une demande de protection internationale, au motif qu’un autre Etat membre aurait déjà accordé une protection subsidiaire à l’intéressé, y compris dans le cas où ce premier Etat membre violerait le droit d’asile et que seul le placement du demandeur de protection internationale « dans une situation de dénuement matériel extrême », et ce indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, permettrait, suivant la jurisprudence en la matière, de déroger à cette règle.

Or, en l’espèce, alors même qu’ils auraient déclaré, en substance, que le statut de protection subsidiaire leur accordé en Italie ne leur servirait à rien en raison du fait que, dans ce pays, personne ne se serait occupé d’eux et qu’ils n’y seraient pas protégés, le ministre se serait limité à affirmer qu’il ne se dégagerait pas de leurs déclarations qu’ils risqueraient de subir en Italie un traitement contraire aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, sans se référer à un quelconque élément de preuve ou autre explication cohérente et pertinente permettant de retenir que le système de protection des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie fonctionnerait correctement.

Les demandeurs s’appuient ensuite sur un rapport publié le 13 août 2020 par le centre d’expertise juridique sur la protection internationale, Nansen, intitulé « Addendum to Nansen Note 20-2 – The situation of beneficiaries of international protection in Italy », pour mettre en avant les conditions de vie difficiles auxquelles devraient faire face les bénéficiaires d’une protection internationale en Italie. Ils renvoient également à un rapport intitulé « Reception conditions in Italy. Updated report on the situation of asylum seekers and beneficiaries of protection, in particular Dublin returnees, in Italy », publié en janvier 2020 par le Swiss Refugee Council, OSAR, qui révélerait de manière détaillée et documentée les conditions d’existence des bénéficiaires de protection internationale en Italie.

Ils estiment qu’il se dégagerait des informations contenues dans ces deux rapports que l’Italie n’assurerait pas une protection effective aux bénéficiaires de protection internationale sur son territoire et qu’en conséquence, ceux-ci y seraient exposés à des violations de leurs droits contraires aux interdictions des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il ressortirait également de ces rapports que le fait pour les bénéficiaires d’une protection internationale de ne pas avoir de logement, de sorte à être obligés de vivre dans la rue, de même 2 Notamment : CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Ibrahim, aff. jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17.

que le fait de ne pas trouver de travail, impliquant une vie dans la misère et l’extrême pauvreté, ne sauraient être imputés aux bénéficiaires de protection internationale, mais seraient de la faute de l’Etat italien.

En soulignant qu’en Italie, Madame … aurait été victime d’une agression et n’aurait échappé que de justesse à un viol, les demandeurs réfutent, dans ce contexte, le reproche ministériel suivant lequel ils auraient opté pour la solution de facilité en quittant l’Italie, en soulignant que leur récit sommaire quant à leur vécu en Italie serait cohérent par rapport aux informations publiquement disponibles sur les conditions d’existence des bénéficiaires d’une protection internationale dans ce pays.

Ils estiment qu’au vu des développements qui précèdent, il y aurait lieu de retenir que les conditions d’existence régnant en Italie pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire violeraient les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tout en ne répondant pas aux conditions requises par les articles 20 et suivants de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95/UE », de sorte qu’il existerait de raisons sérieuses de croire qu’en cas de retour en Italie, ils seraient placés dans « une situation de dénuement matériel extrême » permettant de déroger à la règle d’irrecevabilité de leur demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre de l’Union européenne ; (…) ».

Il ressort de cette disposition que le ministre peut déclarer irrecevable une demande de protection internationale, sans vérifier si les conditions d’octroi en sont réunies, dans le cas où le demandeur s’est vu accorder une protection internationale dans un autre pays membre de l’Union européenne.

Il est constant en cause que les demandeurs sont bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, de sorte que le ministre a a priori valablement pu déclarer irrecevable leur demande de protection internationale sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015.

Cette conclusion n’est pas invalidée par l’argumentation fournie par les demandeurs à l’appui de leur recours selon laquelle les conditions d’existence régnant en Italie pour les bénéficiaires d’une protection subsidiaire violeraient les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, tout en ne répondant pas aux conditions requises par les articles 20 de la directive 2011/95/UE.

En ce qui concerne tout d’abord le reproche tenant, de l’entendement du tribunal, de manière générale à une violation, par les autorités italiennes, des dispositions de la directive 2011/95/UE, transposée en droit luxembourgeois par la loi du 19 juin 2013 portant modification de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, et de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, et plus, particulièrement, à une violation, par ces dernières autorités, des articles 20 et suivants de ladite directive relatifs au contenu de la protection internationale et notamment à l’accès à l’emploi, à l’éducation, à la protection sociale et aux soins de santé, le tribunal relève que l’objectif principal de la directive 2011/95/UE, tel que cela ressort de son préambule, est, d’une part, d’assurer que tous les Etats membres appliquent des critères communs pour l’identification des personnes qui ont réellement besoin d’une protection internationale et, d’autre part, d’assurer un niveau minimal d’avantages à ces personnes dans tous les Etats membres3. Le mécanisme mis en place par la directive, qui opère un rapprochement des règles relatives à la reconnaissance et au contenu du statut de réfugié et de la protection subsidiaire4, implique encore l’obligation pour les Etats membres de l’Union européenne de se conformer aux normes minimales communes ainsi édictées, plus particulièrement s’agissant du contenu de la protection internationale.

En effet, il échet de constater que les Etats membres de l’Union européenne se sont dotés d’un mécanisme visant à garantir l’application d’un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire sur l’ensemble du territoire européen et que la Commission européenne, chargée de présenter un rapport au moins tous les cinq ans au Parlement européen et au Conseil sur l’application de cette directive par les Etats membres, veille encore à sa bonne application par les Etats membres.

S’il est vrai que la directive 2011/95/UE impose aux Etats membres de prendre des mesures nationales garantissant un certain nombre de mesures minimales en ce qui concerne le contenu du statut de réfugié ou des personnes bénéficiant d’une protection subsidiaire, cette directive ne constitue toutefois pas une base légale suffisante pour obliger le ministre à examiner, avant de prendre une décision d’irrecevabilité en application de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, si l’Etat membre de l’Union européenne dans lequel un demandeur de protection internationale s’est vu accorder le statut de réfugié ou celui de la protection subsidiaire a correctement transposé les dispositions de la directive 2011/95/UE, respectivement si cet Etat respecte effectivement le contenu des normes minimales y consacrées. Par ailleurs, il convient encore de relever, à cet égard, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, y compris l’Italie, respectent les droits fondamentaux ainsi consacrés, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard5. Cette conclusion est encore renforcée par la circonstance suivant laquelle le préambule de la directive 2011/95/UE dispose que, concernant le traitement des personnes relevant de son champ d’application, les Etats membres sont liés par les obligations qui découlent des instruments de droit international auxquels ils sont parties, notamment ceux qui interdisent la discrimination6.

Le moyen tiré d’une violation, par l’Italie, de la directive 2011/95/UE est partant rejeté pour être non fondé.

S’agissant ensuite du moyen ayant trait à une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, le tribunal rappelle tout d’abord, tel que relevé ci-avant, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en 3 Cf. considérant n°12 de la directive 2011/95/UE.

4 Cf. considérant n°13 de la directive 2011/95/UE.

5 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

6 Cf. considérant n°17 de la directive 2011/95/UE.

ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et le Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par le règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après désigné par « la Convention de Genève », ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard7.

Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20198, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs ou aux bénéficiaires d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève, ainsi que de la CEDH. Il en va ainsi, notamment, lors de l’application de l’article 33 (2) a) de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte], aux termes duquel: « 2. Les Etats membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque: a) une protection internationale a été accordée par un autre Etat membre ; », qui constitue, dans le cadre de la procédure d’asile commune établie par cette directive, une expression du principe de confiance mutuelle.

Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un Etat membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale soient traités, dans cet Etat membre, d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux.

Ainsi, le tribunal relève que dans ses arrêts du 19 mars 2019, rendus dans les affaires jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, ainsi que dans l’affaire C-163/17, la CJUE a retenu que lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes9. Elle a, à cet égard, souligné que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52 (3) de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances en question doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Elle a encore précisé que ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence 7 CJUE, grande chambre, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

8 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

9 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Ibrahim, aff. jointes C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17, pt. 88.

des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie n’atteignant toutefois pas ce seuil lorsqu’elles n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre ayant déjà accordé l’un des statuts conférés par la protection internationale n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de retour dans ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Les demandeurs remettant en question la présomption du respect par les autorités italiennes de leurs droits fondamentaux tels que consacrés notamment par la Charte, la CEDH et de la Convention de Genève, puisqu’ils affirment risquer des traitements inhumains et dégradants en Italie, il leur incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Il y a néanmoins lieu de constater que les demandeur restent, en l’espèce, en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Italie, ils y seraient exposés à un risque d’atteinte à leur dignité humaine, respectivement de traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, ces dispositions nécessitant, en effet, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

En effet, s’il est certes exact qu’il ressort des extraits du rapport de l’OSAR de janvier 2020 et de celui du centre d’expertise juridique sur la protection internationale, Nansen, invoqués par les demandeurs à l’appui de leur recours, qu’en Italie, les bénéficiaires d’une protection internationale risquent de se voir confrontés à des difficultés au niveau de l’hébergement, de l’accès aux prestations sociales et au marché de l’emploi et, de manière générale, des conditions de vie, il ne s’en dégage cependant pas que la situation des bénéficiaires d’un statut de protection internationale en Italie serait telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour les personnes concernées, d’être systématiquement exposées à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur renvoi dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par les articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

En effet, si, au vu des éléments invoqués, l’accès au marché de l’emploi et à un hébergement, de même qu’aux prestations sociales en Italie s’avère certes limité, force est toutefois de constater qu’il ne peut être retenu, en l’espèce, pour les bénéficiaires d’une protection internationale, une absence totale et systématique d’accès auxdits services ou à un hébergement, respectivement au marché de l’emploi, étant, à cet égard, encore rappelé qu’une personne ne saurait choisir le pays dans lequel elle souhaite introduire une demande de protection internationale en fonction des aides financières dont elle pourra éventuellement bénéficier dans ce pays plutôt que dans un autre. A cela s’ajoute qu’il se dégage des rapports versés en cause par les demandeurs que les bénéficiaires d’une protection internationale bénéficient en termes de logement, d’emploi et de prestations sociales des mêmes droits et obligations que les citoyens italiens.

S’agissant la situation personnelle des demandeurs, le tribunal retient en premier lieu que si les insultes à caractère raciste dont l’enfant … a été victime de la part d’élèves à l’école qu’il fréquentait en Italie sont certes condamnables, elles ne sont néanmoins pas d’une gravité suffisante pour pouvoir être qualifiées de traitements inhumains et dégradants, au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

La même conclusion s’impose en ce qui concerne le fait, pour les demandeurs, de s’être vu contraints de passer une nuit sous un pont après avoir raté un train.

Quant à la tentative d’enlèvement et à l’agression dont l’enfant …, respectivement Madame … ont été victimes à cette occasion, le tribunal relève qu’il n’est pas établi que les demandeurs, qui n’allèguent pas avoir porté plainte suite à cet incident, ne pourraient obtenir une protection appropriée de la part des autorités policières et judiciaires italiennes par rapport à de tels faits, lesquels ne sont, dès lors, pas non plus de nature à établir l’existence, dans le chef des intéressés, d’un risque réel de subir des actes contraires aux articles 3 et 4 de la CEDH, en cas de retour en Italie.

S’agissant des difficultés d’accès à des soins médicaux dont les demandeurs ont encore fait état, le tribunal constate qu’à cet égard, ils ont déclaré que lorsque Madame …, respectivement l’enfant … seraient tombées malades, elles n’auraient pas été soignées. Si des médicaments leur ont certes été fournis à l’hôpital, elles n’auraient néanmoins pas vu de médecin.

Or, en l’absence de toute précision quant à la nature exacte des problèmes de santé de Madame … et de sa fille et dans la mesure où, outre l’affirmation vague de Monsieur … selon laquelle « (…) Ma femme ne pouvait pas être soignée. On a recherché un responsable ou le directeur. On nous a dit que si on voulait partir, on avait qu’à partir (…) », les demandeurs sont restés en défaut de faire état de manière concrète de démarches infructueuses qu’ils auraient entamées auprès des autorités italiennes, afin d’obtenir l’assistance médicale le cas échéant requise, le tribunal retient que les difficultés d’accès à des soins médicaux, tels qu’invoqués par les demandeurs, ne sont pas non plus de nature à prouver que leur retour en Italie les exposerait à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il en est de même en ce qui concerne les problèmes d’accès au logement et à l’emploi auxquels ils se sont encore référés, étant donné (i) qu’il vient d’être retenu ci-avant qu’il n’est pas établi qu’en Italie, il existerait, pour les bénéficiaires d’une protection internationale, une absence totale et systématique d’accès à un hébergement, respectivement au marché de l’emploi, (ii) que les demandeurs ont été logés pendant toute la durée de leur séjour en Italie et (iii) qu’il n’existe dans aucun pays une obligation de l’Etat de garantir à l’un de ses résidents, et, par extension, à un bénéficiaire d’une protection internationale, l’accès à un logement et de lui pourvoir un emploi.

En tout état de cause, les demandeurs n’apportent pas la preuve que, dans leur cas précis, leurs droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Italie, ni que, de manière générale, les droits des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, étant encore relevé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH, de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que de la Convention de Genève et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

L’ensemble des considérations qui précédent amènent le tribunal à rejeter le moyen des demandeurs ayant trait à un traitement inhumain et dégradant en Italie pour ne pas être fondé, de sorte qu’aucune erreur manifeste d’appréciation de leur situation ne saurait, par ailleurs, être retenue dans le chef du ministre.

Le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision déclarant irrecevable la demande de protection internationale des demandeurs, est partant rejeté pour ne pas être fondé.

2) Quant à l’ordre de quitter le territoire Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement souligne que le ministre n’aurait, en l’espèce, pas prononcé d’ordre de quitter le territoire à l’égard des demandeurs, et ceci en conformité avec un arrêt de la CJUE du 24 février 202110, de sorte que le volet afférent du recours serait à déclarer non fondé.

A cet égard, le tribunal relève que s’il est certes exact qu’après avoir déclaré la demande de protection internationale des consorts … irrecevable, le ministre ne leur a pas expressément enjoint de quitter le territoire, il n’en reste pas moins qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « (…) Une décision du ministre vaut décision de retour, à l’exception des décisions prises en vertu de l’article 28, paragraphe (1) et (2), point d) (…) », étant relevé qu’en vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Etant donné que la décision de l’espèce a été prise sur le fondement de l’article 28 (2) a) de la loi du 18 décembre 2015, non visé parmi les exceptions de l’article 34 (2) précité, l’ordre de quitter le territoire est une conséquence automatique, prévue par la loi, de la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale, existant même sans être exprimé formellement dans la décision en question, de sorte que le fait que le ministre n’ait pas expressément ordonné aux consorts … de quitter le territoire est sans incidence sur l’existence de l’ordre de quitter le territoire actuellement déféré au tribunal.11 Cette conclusion n’est pas énervée par la référence abstraite, faite par le délégué du gouvernement, au susdit arrêt de la CJUE, en l’absence de prise de position circonstanciée de sa part quant à l’incidence de cet arrêt sur l’applicabilité, au cas d’espèce, des dispositions de l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 et, plus particulièrement, de l’automatisme y prévu, étant précisé, dans ce contexte, qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens de droit.

10 CJUE, 24 février 2021, M. e.a. c/ Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid et T., affaire C-637/19.

11 Voir, sur ce point et par analogie : trib. adm., 12 décembre 2007, n° 23010 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 101 et les autres références y citées.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit un recours au fond contre un ordre de quitter le territoire, seul un recours en annulation a pu valablement être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation, ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs estiment que l’ordre de quitter le territoire serait à annuler pour violation du principe de non-refoulement prévu par l’article 33 de la Convention de Genève, lequel serait également à appliquer en ce qui concerne « (…) une pratique permettant des renvois systématiques et standardisés des bénéficiaires d’une protection internationale vers l’Italie (…) », et de l’article 3 de la CEDH. En effet, eu égard aux informations quant aux conditions d’existence des bénéficiaires d’une protection internationale, telles qu’invoquées à l’appui de leur recours, et au contenu d’une note du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés du 13 septembre 2001, il y aurait lieu d’admettre que l’exécution de l’ordre de quitter le territoire les exposerait à des traitements inhumains et dégradants en Italie où ils ne pourraient bénéficier d’une protection effective.

Le tribunal vient ci-avant de préciser que l’ordre de quitter est la conséquence automatique de la décision ministérielle d’irrecevabilité de la demande de protection internationale.

A cet égard, il convient de relever que si une mesure d’éloignement – telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé aux demandeurs pour quitter le Luxembourg – relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à son article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer une personne à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer une personne à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Etant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant que le recours contre la décision d’irrecevabilité de la demande de protection internationale des demandeurs n’est pas fondé, alors que dans leur cas d’espèce, ils sont restés en défaut de démontrer qu’ils risqueraient effectivement de subir des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH en cas de retour en Italie, il y a lieu de rejeter le moyen basé sur cette même disposition, tout comme a fortiori celui tiré d’une violation du principe de non-refoulement en ce qu’il est basé sur la même prémisse, pour ne pas être fondés.

Dans la mesure où aucun autre moyen n’a été avancé dans ce contexte, le recours en annulation contre l’ordre de quitter le territoire est, lui aussi, à rejeter pour être non fondé.

Il s’ensuit que le recours en annulation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses deux volets.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Daniel Weber, premier juge, Carine Reinesch, juge, Marc Frantz, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 18 août 2021 par le premier juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 août 2021 Le greffier du tribunal administratif 13


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 46280
Date de la décision : 18/08/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-08-18;46280 ?

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