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15/09/2021 | LUXEMBOURG | N°39953a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 septembre 2021, 39953a


Tribunal administratif N° 39953a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2017 4e chambre Audience publique de vacation du 15 septembre 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de traitement

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 39953 du rôle et déposée le 28 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ferdinand Burg, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, professeur, d...

Tribunal administratif N° 39953a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 juillet 2017 4e chambre Audience publique de vacation du 15 septembre 2021 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse en matière de traitement

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 39953 du rôle et déposée le 28 juillet 2017 au greffe du tribunal administratif par Maître Ferdinand Burg, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, professeur, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse du 2 mai 2017 lui refusant le recalcul de son traitement suite à l’annulation par le tribunal administratif du règlement grand-ducal du 25 août 2015 portant modification a) du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l’examen de fin d’études secondaires ; b) du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l’examen de fin d’études secondaires techniques et de l’examen de fin d’études de la formation de technicien ; c) du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques ; d) du règlement grand-ducal modifié du 20 septembre 2002 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d’examen, aux experts et aux deuxièmes correcteurs des examens de fin d’études secondaires et secondaires techniques ; e) du règlement grand-ducal modifié du 28 avril 2011 portant fixation des indemnités dues aux membres des équipes d’évaluation, aux experts et surveillants des projets intégrés ;

Vu le jugement interlocutoire du tribunal administratif du 5 avril 2019, inscrit sous le n° 39953 du rôle ;

Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019, inscrit sous le n° 00150 du registre ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 10 décembre 2019 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif en date du 17 janvier 2020 par Maître Ferdinand Burg pour le compte de Madame … ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 25 février 2020 ;

Revu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

1 Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ferdinand Burg et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Hansen en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 mai 2021.

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En date du 25 août 2015 fut pris un règlement grand-ducal portant modification a) du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l’examen de fin d’études secondaires ; b) du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l’examen de fin d’études secondaires techniques et de l’examen de fin d’études de la formation de technicien ; c) du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques ; d) du règlement grand-ducal modifié du 20 septembre 2002 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d’examen, aux experts et aux deuxièmes correcteurs des examens de fin d’études secondaires et secondaires techniques ; e) du règlement grand-ducal modifié du 28 avril 2011 portant fixation des indemnités dues aux membres des équipes d’évaluation, aux experts et surveillants des projets intégrés, dénommé ci-après le « règlement grand-ducal du 25 août 2015 ». Ce règlement grand-ducal fut publié au Mémorial A n° 168 du 31 août 2015. Suivant l’article 11 dudit règlement grand-ducal, celui-

ci « entre en vigueur pour l’année scolaire 2015/2016 », à savoir à partir du 15 septembre 2015.

Par jugement du 12 octobre 2016, inscrit sous le numéro 37214 du rôle, le tribunal administratif annula le règlement grand-ducal du 25 août 2015 pour violation de l’article 2, paragraphe (1), premier alinéa de la loi modifiée du 12 juillet 1996 portant réforme du Conseil d’Etat, au motif que le règlement grand-ducal en question avait été adopté sans avoir été soumis à l’avis du Conseil d’Etat et sans qu’un motif tiré de l’urgence n’ait pu autoriser le gouvernement à faire application de la procédure de l’urgence telle que réglementée par la loi. L’annulation dudit règlement grand-ducal avait encore été justifiée par le fait que le gouvernement avait mis les chambres professionnelles dans l’impossibilité d’accomplir leur mission légale, alors qu’elles n’avaient pas été mises en mesure d’exercer leurs droits légalement reconnus dans un délai raisonnable. Ce jugement ne fit pas l’objet d’un appel.

A la suite d’une demande lui adressée par le litismandataire notamment de Madame … en date du 23 décembre 2016, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommé le « ministre », répondit par un courrier du 23 janvier 2017 libellé comme suit :

« J'accuse bonne réception de votre courrier du 23 décembre 2016 dans l'affaire émargée et dans lequel vous me demandez de procéder au recalcul du traitement et des indemnités de vos mandants pour l'année scolaire 2015/2016 sur base des textes applicables avant la publication du règlement grand-ducal annulé.

Tout d'abord, je tiens à préciser qu'il ressort non seulement de l'article 7, paragraphe 3, de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif que « la décision prononçant l'annulation est publiée de la même manière que l'acte administratif à caractère réglementaire attaqué, dès qu'elle est coulée en force de chose jugée. L'annulation a un caractère absolu, à partir du jour où elle est coulée en force de chose jugée » mais aussi de la jurisprudence récente de la Cour administrative que l'annulation d'un acte administratif à caractère réglementaire prononcée ne peut avoir un effet que pour l'avenir et ce seulement à partir du jour où la décision juridictionnelle portant 2 annulation de l'acte réglementaire en question était coulée en force de chose jugée.

Concrètement cela signifie que l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015 ne produira, de façon générale, ses effets que pour l'avenir et qu'à partir du moment où la décision du Tribunal est coulée en force de chose jugée, soit en l'occurrence après expiration du délai d'appel qui est de 40 jours. Or, à cette date le règlement grand-ducal en question avait déjà été abrogé par un règlement grand-ducal du 6 septembre 2016.

Ensuite, je tiens à faire remarquer que normalement cette annulation est sans conséquence sur la validité de l'examen de fin d'études secondaires et secondaire technique de l'année scolaire 2015/2016.

Néanmoins, l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015 est susceptible d'avoir un impact pour les enseignants ayant personnellement introduit un recours à condition, pour chaque enseignant, d'apporter la charge de la preuve quant au préjudice individuel subi. Ainsi, sur les 13 personnes ayant introduit un recours, uniquement les enseignants ayant concrètement eu une classe de première, respectivement de treizième pendant l'année scolaire 2015/2016 et ayant été membre d'une commission d'examen sont susceptibles d'être indemnisés sur base de cette annulation.

Pour des enseignants ayant introduit un recours mais n'ayant pas été titulaires d'une telle classe pendant l'année scolaire 2015/2016 et n'ayant pas été membres d'une commission, une telle indemnisation ne serait pas justifiée, étant donné que la preuve d'un préjudice subi serait difficile à apporter puisque ces personnes n'ayant pas eu de classes de première, ni de treizième, ni été membres d'une commission d'examen, elles n'auraient eu droit à aucune indemnisation même si le règlement grand-ducal du 25 août 2015 précité n'avait jamais été pris.

Finalement, il ressort de la jurisprudence administrative que l'annulation d'un règlement grand-ducal n'a d'effet que pour l'avenir et que cette annulation n'a donc pas un caractère rétroactif. En effet, dans un arrêt récent de la Cour administrative du 7 décembre 2015, les juges ont décidé qu'en matière de contentieux administratif, « s'agissant d'un acte administratif à caractère réglementaire, son propre est de toucher non pas à une situation individuelle, mais à une panoplie innombrable de situations administratives. Dès lors, le législateur, en introduisant à travers la loi du 7 novembre 1996, le recours en annulation direct contre un acte administratif à caractère réglementaire, a néanmoins voulu limiter les dégâts en termes de retour en arrière, inhérent à toute annulation classique, en omettant ce caractère rétroactif et, par ricochet, toute inflation potentielle d'actions en responsabilité contre la puissance publique, en prévoyant pour le recours en annulation contre un acte administratif à caractère réglementaire un effet ex nunc en cas d'accueil favorable du recours, c'est-à-dire en retenant expressément que l'annulation prononcée ne pouvait avoir un effet que pour l'avenir et ce à partir du jour seulement où la décision juridictionnelle portant annulation de l'acte réglementaire en question était coulée en force de chose jugée » (CA 17-12-2015 (36178C et 36217C)).

Vu ce qui précède, je vous prie de bien vouloir me faire savoir lesquels de vos mandants sont susceptibles d'être indemnisés. ».

Par courrier du 3 avril 2017, le litismandataire de Madame … fit parvenir au ministre un courrier de la teneur suivante :

3 « En mains votre courrier du 23 janvier 2017 dont je ne saurais suivre le raisonnement juridiquement faux.

Le principe est que l'annulation d'un règlement grand-ducal vaut erga omnes et produit ses effets au jour où le règlement grand-ducal a été pris. L'acte administratif annulé est considéré comme n'avoir jamais existé.

Le jugement du 12 octobre 2016 n'ayant pas expressément dérogé à ce principe, ce dernier trouve application.

Par conséquent et suite à l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015, il incombe à 1'Etat d'appliquer le texte en vigueur pour l'année scolaire 2015/2016 et de calculer d'office pour chaque enseignant professeur les traitements et indemnités dus sur base dudit texte.

Le présent courrier vous est adressé au nom des requérants ainsi qu'au nom de la Délégation Nationale des Enseignants de l'enseignement secondaire et secondaire technique (DNE asbl) qui regroupe plus de 960 enseignants professeurs qui …dent tous un retour positif de votre part, sinon vous demandent de me faire tenir une décision attaquable en bonne et due forme. ».

Le ministre prit finalement position par un courrier du 2 mai 2017 libellé comme suit :

« J'accuse bonne réception de votre courrier du 3 avril 2017 dans l'affaire émargée et dans lequel vous me demandez d'appliquer le texte en vigueur avant la publication du règlement grand-ducal annulé pour l’année scolaire 2015/2016 et de calculer d'office pour chaque enseignant professeur les traitements et indemnités sur base dudit texte.

Je me réfère à ma missive datée du 23 janvier 2017, tout en rappelant et apportant encore quelques éléments clés.

Tout d'abord, je me dois de rappeler qu'aussi bien l'article 7, paragraphe 3, de la loi du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif qui dispose que « la décision prononçant l'annulation est publiée de la même manière que l'acte administratif à caractère réglementaire attaqué, dès qu'elle est coulée en force de chose jugée. L'annulation a un caractère absolu, à partir du jour où elle est coulée en force de chose jugée », que la jurisprudence administrative en la matière (CA 17-12-2015 (36178C et 36217C) rejettent tout caractère rétroactif d'une annulation d'un règlement grand-ducal. En effet, la décision d'annulation de l'acte administratif à caractère règlementaire « a un caractère absolu à partir du jour où elle est coulée en force de chose jugée ».

Concrètement, et au risque de me répéter, cela signifie que l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015 ne produira, de façon générale, ses effets que pour l'avenir et qu'à partir du moment où la décision du Tribunal est coulée en force de chose jugée, soit en l'occurrence après expiration du délai d'appel qui est de 40 jours. Or, à cette date le règlement grand-ducal en question avait déjà été abrogé par un règlement grand-ducal du 6 septembre 2016.

Ensuite, je tiens à souligner que cette position est également celle défendue par Monsieur … dans son « Traité de légistique formelle » qui y précise que « L'annulation d'un 4 acte administratif à caractère réglementaire a pour conséquence de faire disparaître celui-ci avec effet au jour où l'annulation est coulée en force de chose jugée.

Elle s'impose même au juge judiciaire, qui ne pourra plus procéder au contrôle incident de la légalité de l'acte annulé par le juge administratif ».

Monsieur … précise que « la décision prononçant l'annulation doit être publiée de la même manière que l'acte attaqué mais qu'étant donné que la décision d'annulation sort ses effets à partir du jour de son prononcé, sa publication n'a aucune influence sur la prise d'effet de l'annulation de l'acte. » Il ajoute que « Pour éviter toutes les perturbations que l'annulation rétroactive d'un règlement pourrait engendrer, l'article 7, paragraphe 3, de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif précise que les effets de l'annulation à l'égard de tous ne courent que pour l'avenir. Contrairement à l'annulation d'un acte administratif à caractère individuel, qui sauf exception, a un effet ex tunc et place l'autorité dans la situation où elle était avant que cet acte n'ait été pris, le législateur a voulu conférer à l'annulation d'un acte réglementaire un effet erga omnes à partir du jour où l'annulation est coulée en force de chose jugée. Il s'ensuit entre autres que l'annulation d'un acte réglementaire comportant des dispositions abrogatoires ne fait pas revivre l'ancienne réglementation touchée par ces dispositions. » Monsieur … termine en précisant qu'«Afin d'éviter tout vide juridique, le juge administratif admet que l'autorité réglementaire compétente puisse prendre des mesures au jour où l'annulation est coulée en force de chose jugée afin de rétablir la légalité conformément à ce qui a été jugé. Par exception au principe de la non-rétroactivté des actes administratifs, un nouvel acte peut donc être arrêté avec effet rétroactif aux mêmes fins en bonne et due forme que l'acte annulé » (TA 23-06-2003 rôle n°16066 et CA 02-12-2003 rôle n°16771C et Avis du Conseil d'Etat du 25 mars 2014 sur le projet de règlement grand-ducal portant modification du règlement grand-ducal modifié du 11 mai 2007 concernant les contributions aux frais de personnel et de fonctionnement du Commissariat aux Assurances).

Finalement, et contrairement à ce que vous invoquez, l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015 est uniquement susceptible d'avoir un impact et donc de donner lieu à une indemnisation pour les enseignants ayant d'une part personnellement introduit un recours et, d'autre part, ayant subi personnellement un préjudice, i.e. les enseignants ayant concrètement eu une classe de première, respectivement de treizième pendant l'année scolaire 2015/2016 ou ayant été membre d'une commission d'examen.

Il s'ensuit qu'au vu de la réglementation existant en la matière et de l’interprétation faite par les juridictions administratives, je ne puis que confirmer ma position telle qu'exprimée dans ma missive datée du 23 janvier 2017 et, par conséquent, je ne saurais faire droit à votre requête.

La présente décision est susceptible d’un recours en annulation à introduire par ministère d’avocat à la Cour dans le délai de trois mois à partir de la notification de la présente devant le Tribunal administratif de et à Luxembourg. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif, Madame … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 2 mai 2017.

5 Par un jugement du 5 avril 2019, inscrit sous le n° 39953, le tribunal déclara le recours en annulation recevable en la forme, tout en soumettant, avant tout autre progrès en cause, à la Cour Constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 7, paragraphe (3) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif qui, en sa deuxième phrase, dispose que « L’annulation a un caractère absolu à partir du jour où elle est coulée en force de chose jugée » sont-elles conformes à l’article 95 de la Constitution ? ».

Dans son arrêt du 15 novembre 2019, inscrit sous le n° 00150 du registre, la Cour constitutionnelle décida que « l'article 7, paragraphe 3, deuxième phrase, de la loi du 7 novembre 1996 n'est pas conforme à l'article 95 de la Constitution en ce qu'il limite, de façon générale et inconditionnée dans le temps, les effets de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire », sur base de la motivation suivante :

« (…) Ledit article 7, paragraphe 3, dispose dans sa deuxième phrase que l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère règlementaire par la juridiction administrative a un caractère absolu et produit ses effets erga omnes pour l'avenir.

En disposant ainsi, le législateur a opté pour un effet ex nunc des décisions d'annulation d'un acte administratif à caractère règlementaire, excluant implicitement, mais nécessairement, le caractère rétroactif des effets erga omnes de ladite annulation.

Cette modulation dans le temps des effets de l'annulation d'un acte administratif à caractère règlementaire implique qu'un tel acte, bien que jugé illégal, continue à rester applicable à partir de la date de prise d'effet jusqu'à la date où son annulation est devenue définitive et que le juge est en conséquence tenu de l'appliquer pour la période antérieure à son annulation malgré sa contrariété à la loi reconnue.

Pareille limitation générale et inconditionnée dans le temps des effets de l'annulation d'un acte administratif à caractère réglementaire se heurte ainsi à la prohibition édictée par l'article 95 de la Constitution, étant donné que ni cet article, ni une quelconque autre disposition constitutionnelle ne prévoit une possibilité de déroger à cette prohibition.

L'atteinte à la sécurité juridique résultant, selon l'Etat, nécessairement de l'effet rétroactif de l'annulation d'un acte administratif à caractère réglementaire ne saurait sous-

tendre une dérogation à la prohibition édictée par l'article 95 de la Constitution. (…) ».

Par avis du 10 décembre 2019, le tribunal a accordé aux parties litigantes le droit de déposer un mémoire supplémentaire afin de prendre position quant aux conclusions de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019.

Dans son mémoire supplémentaire, la partie demanderesse fait plaider qu’il résulterait de l'arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019, d’un côté, que l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire ne produirait pas que des effets pour l'avenir, mais aurait également un effet ex tunc, et, d’un autre côté, qu’il appartiendrait « à la juridiction saisie de statuer au cas par cas, sur base des faits lui soumis, sur l'effet dans le temps, effet rétroactif ou non, d'une annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire ».

6 En ce qui concerne l’incidence concrète sur son recours, la partie demanderesse, insistant à maintenir l'intégralité des moyens développés dans le cadre de sa requête introductive d’instance et de son mémoire en réplique, fait souligner que suite à l'arrêt rendu par la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019, le principe devrait être que l'annulation d'un règlement grand-ducal aurait un effet ex tunc.

Elle se réfère, dans ce contexte aux jurisprudences belge et française qui répondraient à cette question de la même façon.

Ainsi, il ressortirait d’une décision de principe rendue par l'Assemblée du contentieux du Conseil d’Etat français, le 11 mai 2004, Association AC ! et autres, que l'annulation d'un acte administratif impliquerait en principe que cet acte serait réputé n'avoir jamais existé, mais que le juge pourrait exceptionnellement moduler dans le temps les effets de l'annulation qu'il prononce, lorsqu'il serait d'avis que les conséquences d'une annulation rétroactive seraient manifestement excessives pour les intérêts publics et privés en présence.

En Belgique, le Conseil d'Etat aurait la faculté de tempérer la rigueur de l'annulation, faculté qui ne pourrait être utilisée qu'avec sagesse et circonspection, notamment lorsqu'il serait établi que l'annulation pure et simple de l'acte attaquée aurait des conséquences extrêmement graves du point de vue de la sécurité juridique, tel que cette position aurait été retenue par diverses décisions du Conseil d’Etat du 21 novembre 2001, numéro 100.963, du 30 octobre 2006, numéro 164.258 et du 8 novembre 2006, numéro 164.522.

La partie demanderesse en conclut que ce ne serait donc que tout à fait exceptionnellement que le juge pourrait moduler dans le temps les effets de l'annulation qu'il prononce, à condition que les conséquences d'une annulation rétroactive seraient manifestement excessives pour les intérêts publics et privés en présence et que l’annulation pure et simple aurait des conséquences extrêmement graves du point de vue de la sécurité juridique.

Ainsi, si le juge entendait faire exception au principe de rétroactivité de l'annulation d'un acte règlementaire, il devrait, dans sa décision, motiver, sur base des éléments de faits de l'affaire dont il est saisi, pour quelles raisons il procède à la modulation dans le temps des effets de l'annulation. En effet, ce ne serait le cas que si l'acte règlementaire avait produit des effets quasiment irréversibles qui ne sauraient être remis en cause dans un souci de sécurité juridique, ce qui ne serait pas le cas en l'espèce, alors que l'exécution du règlement grand-

ducal annulé du 25 août 2015 aurait eu comme seul effet que l'Etat n'aurait pas payé certaines indemnités aux enseignants tombant sous le couperet des dispositions abrogeant ces indemnités. Or, une telle situation ne serait pas irréversible, étant donné qu’il suffirait à l'Etat de régler, pour la période en question, les indemnités dues sur base du règlement grand-ducal antérieurement en vigueur. Rien ne s'opposerait partant, en l’espèce, à une stricte application de la rétroactivité de l'annulation du règlement grand-ducal en question.

La partie demanderesse relève encore que la Cour constitutionnelle belge aurait retenu, dans une décision du 9 février 2012, numéro 18/2012, que « Tenu de garantir le principe de sécurité juridique, le législateur se doit de régler le mode de contrôle de l'action administrative, ce qui peut exiger des restrictions au contrôle juridictionnel incident de la légalité des actes réglementaires, pour autant que ces restrictions soient proportionnées au but légitime poursuivi. » 7 Finalement, la partie demanderesse estime qu'en ultime conséquence de l'annulation ex tunc à l’égard de tous les administrés du règlement grand-ducal du 25 août 2015, l'Etat aurait l'obligation d'appliquer les dispositions du règlement grand-ducal en vigueur avant la publication du règlement grand-ducal annulé abrogeant certaines de ces dispositions, de sorte qu’elle aurait droit aux indemnités calculées sur base du règlement grand-ducal antérieurement en vigueur qui resterait d'application faute d'avoir été valablement modifié ou abrogé, et ce, sans devoir réclamer à l'Etat des dommages et intérêts devant un juge civil.

Le délégué du gouvernement, dans son mémoire supplémentaire, fait rétorquer que la Cour constitutionnelle n’aurait pas purement et simplement déclaré les dispositions de l’article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996 en question comme contraires à la Constitution, mais en préciserait la cause, à savoir que l'anti-constitutionnalité résiderait dans la limitation, de façon générale et inconditionnée dans le temps, des effets de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire.

Il s’oppose dès lors à l’interprétation de la partie demanderesse selon laquelle l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2019 aurait retenu que la rétroactivité d'une décision d'annulation deviendrait le principe. En effet, l’annulation d’un règlement grand-

ducal devrait être encadrée, de sorte à rendre son applicabilité possible, en fonction du cas de l'espèce.

La partie gouvernementale en conclut que par conséquent, le tribunal devrait se prononcer sur l'effet rétroactif ou non de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire et plus particulièrement sur les critères de la généralité et de l'inconditionnalité dans le temps, de sorte qu’en l’espèce, la limitation, de façon spécifique et conditionnée dans le temps, des effets de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire serait possible et les critères de limitation posés par l'arrêt de la Cour constitutionnelle, à savoir les critères de la généralité et de l'inconditionnalité dans le temps, seraient remplis.

A titre subsidiaire, quant au texte légal à appliquer au cas d'espèce dans l’hypothèse où le tribunal viendrait à considérer que les critères de limitation posés par la Cour constitutionnelle ne seraient pas remplis et que par conséquent l'annulation du règlement grand-ducal du 25 août 2015 devrait avoir un effet ex tunc, il conviendrait d’appliquer, pour l’année scolaire 2015/2016 litigieuse, le règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007, dans sa version telle qu'elle aurait existé avant sa modification par le règlement grand-ducal du 6 septembre 2016, respectivement le règlement grand-ducal du 20 septembre 2002 en ce qui concerne les indemnités dues.

En effet, le règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 porterait notamment modification du règlement grand-ducal du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques et du règlement grand-ducal modifié du 20 septembre 2002 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d'examen, aux experts et aux deuxièmes correcteurs des examens de fin d'études secondaires et secondaires techniques.

En ce qui concerne le règlement grand-ducal du 24 juillet 2007, il aurait été modifié par un règlement grand-ducal du 6 septembre 2016, entré en vigueur à partir de la rentrée scolaire 2016/2017, soit en septembre 2016.

8 Quant au règlement grand-ducal du 20 septembre 2002, ce dernier aurait été abrogé par un règlement grand-ducal du 22 mars 2017 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d'examen et aux experts des examens de fin d'études secondaires et secondaires techniques.

Force est d’abord de rappeler que le tribunal est actuellement saisi d’un recours dirigé contre une décision ministérielle du 2 mai 2017 refusant à la partie demanderesse le recalcul de son traitement suite à l’annulation par le tribunal administratif du règlement grand-ducal du 25 août 2015.

Ce refus d'appliquer à la partie demanderesse, pour l’année scolaire 2015/2016, le texte règlementaire en vigueur avant la publication du règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 avait été motivé par la considération que l'article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996 ne prévoirait, erga omnes, qu’un effet ex nunc de l’annulation d’un acte règlementaire, de sorte que le règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 resterait toujours d’application pour le calcul du traitement de la partie demanderesse relativement à l’année scolaire 2015/2016.

Or, si la jurisprudence a en effet toujours retenu, en application de l’article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996 que l’annulation d’un acte règlementaire ne pourrait avoir qu’un effet erga omnes pour le futur, afin de limiter les incidences négatives en termes de retour en arrière, inhérentes à toute annulation classique, et, par ricochet, toute inflation potentielle d’actions en responsabilité contre la puissance publique1, la Cour constitutionnelle vient cependant de déclarer l'article 7, paragraphe (3), deuxième phrase, de la loi du 7 novembre 1996 comme n’étant « pas conforme à l'article 95 de la Constitution en ce qu'il limite, de façon générale et inconditionnée dans le temps, les effets de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire », de sorte que la décision déférée du 2 mai 2017 ne saurait plus y trouver appui pour insister à faire application du règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 en ce qui concerne le règlement à la partie demanderesse de son traitement relatif à l’année scolaire 2015-2016.

Il appartient dès lors au tribunal d’analyser si une autre base que celle de l’article 7, paragraphe (3), 2 phrase de la loi du 7 novembre 1996 est de nature à autoriser le ministre de continuer d’appliquer le règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 pour le calcul du traitement redu à la partie demanderesse pour l’année scolaire litigieuse, la partie gouvernementale estimant qu’il appartiendrait au tribunal de céans de se prononcer sur l'effet rétroactif ou non de l'annulation définitive d'un acte administratif à caractère réglementaire, et plus particulièrement sur base des critères de la généralité et de l'inconditionnalité dans le temps, tel que mis en avant par la Cour constitutionnelle.

Or, c’est à bon droit que la partie demanderesse a fait plaider que l’article 7, paragraphe (3), 2e phrase de la loi du 7 novembre 1996 constituait une exception au droit commun de la rétroactivité de l’annulation d’un acte administratif2.

En effet, il est de principe qu’une décision administrative annulée est réputée n'être jamais intervenue, l'acte annulé disparaissant rétroactivement depuis la date où il a été pris3.

1 Cour adm. 17 décembre 2015, nos 36178C et 36217C du rôle, V° Recours en annulation, n° 87.

2 Trib. adm. 8 décembre 2014, n° 33910 du rôle, conf. par Cour adm. 12 mai 2015, nos 35726C et 35731C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Actes règlementaire, (recours contre les), n° 36.

9 S’il a été jugé que les juridictions administratives ont la faculté de ne conférer à l’annulation d’une décision administrative individuelle qu’un effet à partir du prononcé de leur décision, dans l’idée que le juge administratif est tout autant le garant de la stabilité et de la sécurité juridiques que de la protection des droits de l’administré face à l’administration, et qu’il lui appartient, dans la mesure du possible, de tenter de concilier ces deux impératifs4, de sorte à lui permettre de statuer en deçà de ses attributions maximales et de limiter les effets de sa décision d’annulation5, cette faculté appartient au seul juge s’apprêtant à annuler un acte et non au juge, qui comme en l’espèce le tribunal de céans, est seulement saisi par un litige concernant un acte individuel pris à la suite d’une annulation d’un acte règlementaire par un autre juge.

Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu de part et d’autre, il n’appartient pas au tribunal de céans de moduler, même par la voie d’interprétation, la portée du jugement précité du 12 octobre 2016, inscrit sous le numéro 37214 du rôle, ce dernier ayant annulé le règlement grand-ducal du 25 août 2015 sans avoir dérogé au principe de la rétroactivité de l’annulation.

Il s’ensuit que le règlement grand-ducal du 25 août 2015 n’existe plus et est censé ne jamais avoir existé, sauf en ce qui concerne les droits légalement acquis par les administrés, de sorte que les modifications qu’il avait induites entre autres aux dispositions du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques, ainsi que du règlement grand-ducal modifié du 20 septembre 2002 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d’examen, aux experts et aux deuxièmes correcteurs des examens de fin d’études secondaires et secondaires techniques, par la suppression de certains éléments de traitement de la partie demanderesse, n’existent plus ab initio.

Etant donné que le règlement grand-ducal du 6 septembre 2016 portant modification du 1. du règlement grand-ducal modifié du 27 juillet 1997 fixant les modalités d'engagement et les conditions de travail des chargés d'éducation à durée déterminée des lycées et lycées techniques publics; 2. du règlement grand-ducal modifié du 27 juillet 1997 fixant les modalités d'engagement et les conditions de travail de deux cents chargés d'éducation à durée indéterminée des lycées et lycées techniques publics; 3. du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l'examen de fin d'études secondaires; 4. du règlement grand-ducal modifié du 31 juillet 2006 portant organisation de l'examen de fin d'études secondaires techniques et de l'examen de fin d'études de la formation de technicien; 5. du règlement grand-ducal modifié du 24 juillet 2007 portant fixation de la tâche des enseignants des lycées et lycées techniques; 6. du règlement grand-ducal modifié du 20 septembre 2002 portant fixation des indemnités dues aux membres des commissions d'examen, aux experts et aux deuxièmes correcteurs des examens de fin d'études secondaires et secondaires techniques; 7. du règlement grand-ducal modifié du 28 avril 2011 portant fixation des indemnités dues aux membres des équipes d'évaluation, aux experts et surveillants des projets intégrés, ci-après dénommé « le règlement grand-ducal du 6 septembre 2016 », qui est venu abroger le règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015, n’est entré en vigueur, en vertu de son article VIII qu’« à partir de la rentrée scolaire 2016/2017 », c’est bien la règlementation 3 Cour adm. 15 octobre 1998, n° 10704C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n°72 et les autres références y citées.

4 Cour adm. 5 mai 2015, n° 35722C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n°83 et l’autre référence y citée.

5 Cour adm. 5 mai 2015, n° 35722C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n°82.

10 en vigueur avant la publication du règlement grand-ducal annulé du 25 août 2015 qui reste applicable pour le calcul du traitement de la partie demanderesse concernant l’année scolaire 2015/2016.

Il s’ensuit que la décision déférée du 2 mai 2017 doit encourir l’annulation pour violation de la loi.

La demanderesse sollicite finalement une indemnité de procédure d’un montant de 2.500,- € sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le délégué du gouvernement s’oppose à l’indemnité de procédure sollicitée par la partie demanderesse.

La partie demanderesse n’ayant pas établi en quelle mesure il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, elle est à débouter de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure.

Par ces motifs le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

vidant le jugement du tribunal administratif du 5 avril 2019, inscrit sous le n° 39953 du rôle ;

au fond, déclare le recours justifié, partant annule la décision déférée du 2 mai 2017 ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la partie demanderesse ;

met les frais et dépens à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 15 septembre 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s.Xavier Drebenstedt s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 septembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 39953a
Date de la décision : 15/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-09-15;39953a ?

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