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29/09/2021 | LUXEMBOURG | N°45114

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2021, 45114


Tribunal administratif N° 45114 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2020 1re chambre Audience publique du 29 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45114 du rôle et déposée le 19 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat

à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur ...

Tribunal administratif N° 45114 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 octobre 2020 1re chambre Audience publique du 29 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 45114 du rôle et déposée le 19 octobre 2020 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 15 septembre 2020 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation sinon à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 21 décembre 2020 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 16 juin 2021 et vu les remarques écrites de Maître Ibtihal El Bouysoufi du 15 juin 2021 produites, conformément à la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020, avant l’audience.

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Le 29 octobre 2018, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, dans un rapport du même jour.

Le même jour, il passa également un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après dénommé le « règlement Dublin III ».

1 En date des 20, 27 et 29 mars 2019, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par une décision du 15 septembre 2020, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée comme suit : « […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 29 octobre 2018 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 29 octobre 2018, le rapport d’entretien Dublin III du 29 octobre 2018 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 20, 27 et 29 mars 2019, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de vos déclarations faites auprès du Service de Police Judiciaire en date du 29 octobre 2018 que vous auriez quitté le Soudan « weil ich ins Gefängnis musste und gefoltert wurde weil ich bei Demonstrationen teilgenommen habe ».

Dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale vous indiquez que vous seriez de nationalité soudanaise, de confession musulmane et d’ethnie non arabe Berti. Vous seriez né le … dans le village de « … ». Vous n’auriez pas fréquenté l’école par manque de moyens et expliquez que vous auriez commencé à travailler dès l’âge de sept ans. Vous évoquez dans ce contexte qu’il aurait été « difficile d’avoir de l’argent » et que vous auriez exercé beaucoup d’activités différentes pour gagner votre vie.

En 2012, alors que vous auriez travaillé en tant que voiturier pour la station-service « … » à « … », vous auriez été témoin de l’incendie volontaire d’un camion-citerne sur le site de la station-service. Vous précisez que cet évènement aurait eu lieu dans un contexte de manifestations qui auraient eu lieu mi-septembre 2013 aux alentours du souk de « Kalakla ».

Vous décrivez un contexte chaotique et auriez aperçu les ouvriers de la station-service prendre la fuite. Les policiers auraient été présents et d’après vos dires ils auraient voulu protéger les manifestants mais il y aurait eu des débordements.

Ce jour-là, vous vous seriez trouvé à bord d’une voiture que vous auriez voulu faire laver et expliquez que vous n’auriez pas pu sortir de la voiture à cause du gaz lacrymogène.

C’est alors que vous auriez vu une voiture « Boxy » dont quatre individus munis de masques à gaz seraient descendus et auraient incendié un camion-citerne avant de remonter à bord du 2véhicule. Vous ajoutez que vous auriez reconnu une personne se situant à l’avant du « Boxy », côté passager comme étant une personne qui serait régulièrement venue faire nettoyer les voitures « sans plaques d’immatriculation » qui auraient appartenues aux services de sûreté soudanais.

Suite à cet incident, vous et deux autres collègues de travail auriez été convoqués par le directeur de la station-service afin de faire part de vos témoignages. Le directeur de la station-service aurait alors porté plainte à la police et vous auriez été convoqués par le procureur qui lui aussi aurait écouté vos témoignages. Trois jours après votre déposition, trois individus auraient fait irruption alors que vous vous seriez trouvé en présence de votre oncle paternel et vous auraient embarqué à bord d’un véhicule « Boxy » sans plaque d’immatriculation. Vos deux collèges se seraient déjà trouvés à bord du véhicule, menottés et allongés sur le ventre. On vous aurait également menotté, bandé les yeux et emmené vers un lieu qui vous serait inconnu. Détenu, vous auriez été frappé durant trois jours avant d’être conduit vers une pièce dans laquelle on vous aurait interrogé au sujet de ce que vous auriez vu le jour de la manifestation. Suite à vos déclarations, vous auriez été frappé et auriez perdu connaissance.

Une fois que vous auriez repris connaissance, on vous aurait proposé d’aller changer votre déposition au tribunal. On vous aurait présenté un dossier qui aurait été la preuve que vous seriez l’auteur de l’incendie et on vous aurait prévenu que si ce dossier serait envoyé au juge, vous écoperiez d’une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans. Par la suite, on vous aurait demandé de coopérer et de prétendre que vous vous seriez trompé quant à l’identité du présumé auteur de l’incendie à cause du gaz lacrymogène et que ce serait l’opposant au régime « Abdelwahed » qui vous aurait incité à faire une fausse première déposition. Vous ajoutez qu’on aurait également essayé de vous inciter à revenir sur votre déposition en vous disant qu’ils auraient su l’attachement que vous auriez porté à votre mère et que celle-ci serait choquée si elle apprenait que vous seriez emprisonné. Vous déclarez que vous auriez répondu à ces menaces que votre mère vous aurait appris de toujours dire la vérité et de ne jamais mentir. Vous déplorez que vous auriez été insulté et entre autres traité de « bâtard » ou encore d’« esclave ». On vous aurait laissé la nuit pour réfléchir et le lendemain on vous aurait à nouveau demandé de revenir sur votre déposition, ce que vous auriez refusé. Par la suite on vous aurait menacé de vous faire asseoir sur une bouteille de soda en verre, on vous aurait frappé et finalement on vous aurait sectionné le petit doigt, suite à quoi vous auriez perdu connaissance.

Par la suite vous seriez resté enfermé et votre bras se serait infecté. Vous ajoutez qu’après dix jours, l’odeur aurait été nauséabonde et que vous auriez constamment demandé en vain de vous emmener chez un médecin. Vous auriez à nouveau perdu connaissance pendant un certain laps de temps et vous vous seriez réveillé à l’hôpital d’Omdurman. Quand vous vous seriez réveillé, vous auriez reconnu l’infirmier de service qui aurait été un ancien voisin de quartier. Il vous aurait informé que vous seriez resté inconscient durant 5 jours et que deux individus auraient dit au médecin qu’une fois que votre état de santé se serait amélioré, ils reviendraient pour vous chercher. Vous prétendez que ces deux personnes seraient venues vous rendre visite tous les jours sauf les vendredis et que l’infirmier vous aurait alors proposé de vous faire sortir de l’hôpital un vendredi. Vous précisez qu’une de ces personnes aurait été la même personne qui vous aurait frappé lors des interrogatoires. Le vendredi suivant, l’infirmier vous aurait vêtu d’une blouse d’infirmier et vous aurait fait sortir par une porte secrète à l’arrière du bâtiment où votre cousin maternel vous aurait attendu dans sa voiture et d’où il vous aurait emmené chez lui. Le lendemain, l’infirmier qui aurait contacté votre cousin pour 3le prévenir que les deux hommes seraient repassés à l’hôpital et qu’ils seraient à votre recherche. Il aurait ajouté que le médecin les aurait informés que vous vous trouveriez « sûrement » chez un de vos proches, non loin de cette zone, car vous n’auriez pas pu marcher longtemps. Votre cousin vous aurait alors conduit dans le désert, à trois heures d’Omdurman, chez un prénommé Ali. Vous y seriez resté pendant deux mois et déplorez que vous vous seriez trouvé chez un étranger, que vous ne vous y seriez pas senti en sécurité et que vous auriez préféré aller voir votre mère. Après deux mois, aux alentours d’avril 2014, votre cousin aurait payé un passeur qui vous aurait fait quitter le Soudan en direction de la Libye.

Vous présentez à l’appui de votre demande de protection internationale une attestation médicale rédigée par un médecin luxembourgeois constatant l’amputation des phalanges P1 et P2 de votre petit doigt droit ainsi qu’une cicatrice sur le front.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Monsieur, je tiens à vous informer que la crédibilité de votre récit est remise en cause pour les raisons suivantes :

Premièrement, soulevons qu’après l’analyse de votre dossier administratif, l’autorité ministérielle constate que vous avez déclaré deux versions différentes des motifs qui vous auraient poussé à quitter le Soudan. En effet, lors de votre entretien auprès du Service de Police Judiciaire qui s’est déroulé le 29 octobre 2018 vous expliquez avoir quitté le Soudan « weil ich ins Gefängnis musste und gefoltert wurde weil ich bei Demonstrationen teilgenommen habe ».

Or durant votre entretien auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 20, 27 et 29 mars 2019, sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, vous ne mentionnez à aucun moment que vous auriez participé à une manifestation, ni que vous auriez été détenu au motif de cette prétendue participation à la manifestation. En effet, vous prétendez que vous auriez été arrêté et torturé par les services de sécurité soudanais car à la demande du directeur de la station-service « … » pour lequel vous auriez travaillé, vous auriez fait une déposition auprès du procureur concernant les prétendus faits dont vous auriez été témoin, soit l’incendie volontaire d’un camion-citerne se trouvant à côté de la prédite station-service par quatre individus portant des masques à gaz durant la manifestation qui aurait eu lieu à « Kalakla », mi-septembre 2013. Vous auriez également témoigné avoir reconnu un des passagers qui serait resté dans la voiture et l’auriez identifié comme étant un agent des services de sécurité.

Deuxièmement, quant à cette prétendue arrestation et aux évènements y relatifs que vous décrivez, notons que d’après les informations à notre disposition, la compagnie de distribution pétrolière … est à cent pourcents la propriété de l’Etat soudanais et soulevons que « The government-owned companies are the biggest, the most privileged, with good connections and they receive preferential treatment in payment and access to oil products, while those privately owned with non significant connections with the ruling circles are at a relative disadvantage. » Partant, il est invraisemblable que comme vous le relatez, des agents des services de sécurité soudanais vous auraient torturé et vous auraient coupé le doigt, afin de vous faire revenir sur votre déposition, au motif que l’Etat aurait peur de la plainte et de la justice alors que l’Etat soudanais est le propriétaire de la compagnie de distribution pétrolière …, dont un camion-citerne aurait été incendié.

4A cela s’ajoute que les médias ayant couverts les manifestations de septembre 2013 relatent à ce sujet que : « More south in Kalakala, Jabra and El Ushara, police forces dispersed large groups of people with teargas and shooting in the air to scare the people off.

He added that the demonstrations took a more structured form by referring to the use of more banners. » et encore que : « People showed their anger on the streets – and petrol stations were also attacked ». Ces informations confirment que des manifestations ont eues lieu à Kalakla ainsi que le fait que des stations-services ont été la cible d’attaques mais soulignent que les auteurs auraient été les manifestants en colère.

On peut donc légitimement conclure que l’incendie du camion-citerne de la station-

service dans laquelle vous auriez travaillé n’a pas été commis par les services de sécurité soudanais mais tout au plus par des manifestants en colère et il s’en suit que votre prétendue arrestation, détention ainsi que les actes de torture que vous auriez subis de la part des services de sécurité afin de vous faire revenir sur votre déposition ne sont pas crédibles.

Troisièmement, vos déclarations par rapport à votre fuite de l’hôpital ne sont pas plus crédibles. En effet, votre rocambolesque évasion par une « porte secrète » de l’hôpital, vêtu d’une blouse médicale et aidé par un infirmier qui comme par hasard aurait été un ami et ancien voisin est invraisemblable, alors que d’après vos dires, les prétendus agents de sécurité soudanais, qui vous auraient surveillé, n’auraient comme vous le déclarez jamais été présents les vendredis et que par conséquent une telle mise en scène aurait été complètement inutile.

Ce manque de crédibilité général est d’autant plus conforté par le fait qu’il est indéniable que vous cherchez à tout prix et par n’importe quel moyen à rester sur le territoire européen et que vous ne pouvez pas prétendre être réellement à la recherche d’une protection.

En effet, vous déclarez que vous seriez arrivé par bateau en Italie, où vous avez introduit une première demande de protection internationale en juin 2015, mais d’où vous seriez parti une semaine plus tard en direction de l’Allemagne, où vous avez introduit une demande de protection internationale en octobre 2015 et une deuxième demande en juin 2016. Après avoir été reconduit en Italie comme prévu par le Règlement Dublin III, vous y avez introduit une deuxième demande de protection internationale en janvier 2017. De là, vous vous êtes rendu aux Pays-Bas où avez introduit une demande de protection internationale en juin 2017. Vous avez été à nouveau reconduit en Italie où vous avez introduit une troisième demande de protection internationale en janvier 2018. Finalement après avoir transité par la France et la Belgique, vous vous êtes rendu au Luxembourg où vous avez introduit une demande de protection internationale en date du 29 octobre 2019.

Force est de constater que vous auriez quitté l’Italie à trois reprises une semaine, voire quelques mois après y avoir introduit une demande de protection internationale. Or il est légitime d’attendre d’une personne se sentant réellement persécutée, que dès qu’elle a la possibilité d’introduire une demande de protection internationale, raison pour laquelle elle aurait quitté son pays d’origine, elle en attendre l’issue, ce qui n’est manifestement pas le cas en espèce. Ce comportement est dès lors à considérer comme incompatible avec celui d’une personne qui a un réel besoin de protection et fait preuve d’un recours manifestement abusif à la procédure d’asile en Europe.

Dès lors, il échet de relever qu’il est indéniable que les seuls motifs à retenir concernant votre départ du Soudan, sont d’ordre purement économiques. En effet, vous évoquez lors de votre entretien auprès de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes que suite au départ de votre père alors que vous auriez été âgé de trois ans, vous auriez dû commencer 5à travailler dès l’âge de sept ans et que vous n’auriez pas pu être scolarisé par manque de moyens. Vous énumérez les nombreuses activités que vous auriez effectuées afin de gagner votre vie et précisez qu’il aurait été « difficile d’avoir de l’argent ».

De tout ce qui précède et au vu du manque de crédibilité de vos déclarations, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination du Soudan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 19 octobre 2020, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision du ministre du 15 septembre 2020 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours dirigé contre la décision portant rejet de la demande de protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, un recours en réformation a valablement pu être dirigé contre la décision du ministre du 22 juillet 2019, telle que déférée.

Le recours principal en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels que retranscrits ci-avant, tout en réitérant, en partie, ses déclarations faites lors de ses auditions.

En droit, il invoque de prime abord une violation par le ministre de l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 en ce que celui-ci se serait simplement limité à évaluer la crédibilité de ses déclarations sans poursuivre son examen tendant à déterminer s’il réunit dans son chef les critères de la protection internationale.

Il avance que d’après la jurisprudence du tribunal administratif, le ministre devrait considérer le bien-fondé d’une demande de protection internationale même si les déclarations du requérant ou certains aspects de celles-ci étaient à considérer comme n’étant pas crédibles, ce d’autant plus que l’évaluation de la crédibilité ne constituerait qu’une partie de l’analyse des éléments de preuve à l’appui d’une demande de protection internationale lesquels pourraient encore être corroborés par d’autres éléments du récit du requérant.

6Le demandeur reproche, ensuite, au ministre d’avoir évalué son récit de manière manifestement erronée pour conclure à la non-crédibilité de celui-ci.

Ce serait ainsi à tort et en méconnaissance de sa situation personnelle que le ministre aurait tiré un indice de défaut de crédibilité de son récit de l’incohérence qui existerait entre les motifs à la base de sa demande de protection internationale tels qu’il les a présentés lors de son entretien auprès du service de police judiciaire et ceux présentés lors de son audition par la direction de l’Immigration. En effet, il estime qu’eu égard à son absence de scolarisation, le ministre n’aurait pas pu s’attendre à un agencement cohérent de son récit, mais il aurait dû prendre en compte les facteurs ayant pu avoir des impacts sur l’exactitude et la cohérence de ses déclarations, tels que la fiabilité de la mémoire, qui serait très personnelle et variable suivant les personnes, et les différences culturelles.

Il s’appuie encore sur des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme (CourEDH) pour souligner qu’un certain degré d’incohérence dans les déclarations d’un demandeur de protection internationale serait admis eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les personnes concernées. Pour ces mêmes raisons, il se dégagerait de la jurisprudence du tribunal administratif que le principe du bénéfice du doute avait une très grande importance, faute pour les demandeurs de protection internationale d’être en mesure de rapporter des preuves formelles à l’appui de leurs déclarations.

Il en conclut que les incohérences relevées par le ministre dans son récit seraient insuffisantes pour remettre en cause la crédibilité générale de son récit et que le principe du bénéfice du doute devrait s’appliquer en l’espèce, ce d’autant plus que ses déclarations s’inscrirairaient dans un contexte plausible et documenté par plusieurs sources publiques pertinentes et qui seraient toujours d’actualité exposant la manière dont les forces de sécurité soudanaises deviendraient de plus en plus puissantes et se livreraient, en dépit du changement politique intervenu dans le pays, à des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires sur des civils ainsi qu’à la destruction injustifiée de biens. Le demandeur s’appuie, à cet égard, sur un document de l’organisation Amnesty International du 8 avril 2020 intitulé « Human Rights in Africa : Review of 2019 », ainsi que sur un rapport de l’organisation Humans Rights Watch du 14 janvier 2020 intitué « World Report 2020 : Sudan-Events of 2019 », sur un rapport de l’US Department of State de mars 2020 intitulé « Sudan 2019 Human Rights Report », ainsi que sur un article du 14 mai 2020 publié par le African Centre for Justice and Peace Studies, intitulé « Sudan : Continued violations of Human rights by the Sudan armed Forces and the Rapid Support Forces ».

En guise de conclusion, le demandeur estime avoir établi craindre personnellement et avec raison de subir des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine et ce plus particulièrement en raison de son appartenance à un certain groupe social, à savoir celui des témoins de crimes ou de délits commis par des agents du service de sûreté soudanais.

S’agissant de la protection subsidiaire, le demandeur fait valoir qu’eu égard à sa situation personnelle et à la situation générale d’un point de vue sécuritaire, sanitaire et humanitaire, ainsi qu’en termes de droits de l’Homme, telle qu’elle prévaudrait actuellement au Soudan, il existerait des motifs sérieux et avérés de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, il encourait un risque réel de subir des atteintes graves sous forme de tortures ou de traitements ou sanctions inhumains et dégradants.

7Afin de sous-tendre l’existence d’un risque réel et sérieux dans son chef de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur s’appuie sur un rapport de l’European Asylum Support Office (EASO) intitulé « Country Guidance : Iraq. Guidance note and common analysis » qui recommanderait que lors de l’examen de la nécessité d’une protection en vertu de l’article 15, paragraphe b) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire et au contenu de cette protection, ci-après désignée par la « directive Qualification », il faudrait prendre en considération l’indisponibilité des soins de santé et les conditions socio-économiques, la violence criminelle, les arrestations arbitraires, la détention illégale et les conditions de détention dans le pays d’origine du demandeur.

Or, il se dégagerait des sources d’information crédibles et publiquement disponibles que la situation sanitaire et humanitaire serait alarmante au Soudan de même que les conditions socio-économiques et sécuritaires y seraient désastreuses.

Ainsi, la situation sanitaire et humanitaire au Soudan serait plus particulièrement documentée par une publication du 30 septembre 2020 de l’UN Office for the Coordination of Humanitarian Affairs (UN OCHA) intitulée « Sudan : The country continues to face health and humanitarian consequences of COVID-19, Last update 30 Sep 2020 », de même que par le rapport de l’organisation Human Rights Watch du 14 janvier 2020 intitulé « World Report 2020-Sudan », par le rapport de l’organisation World Vision intitulé « Sudan –Situation Report July 1 – July 31, 2019 », par le rapport de l’organisation UN OCHA intitulé « Sudan – Situation Report, Last updated : 16 Jan 2020 » et par le rapport de l’UNHCR intitulé « Sudan- Factsheet, August 2019 ».

Pour ce qui est de la situation sécuritaire au Soudan, et plus particulièrement de la violence criminelle qui y régnerait, de même que des arrestations arbitraires, des détentions illégales et des conditions de détention dans ce pays, le demandeur s’appuie sur un article du 14 mai 2020 publié par le African Centre for Justice and Peace Studies intitulé « Sudan :

Continued violations of Human rights by the Sudan armed Forces and the Rapid Support Forces », sur un rapport du 1er juillet 2019 de l’organisation World Organisation Against Torture (OMCT) intitulé « Sudan : 41st session of the Human Rights Council Oral statement on the Interactive Dialogue on Sudan », ainsi que sur le rapport de l’organisation Human Rights Watch du 14 janvier 2020, intitulé « World Report 2020 : Sudan-Events of 2019 », précité.

Le demandeur estime qu’au vu de ces informations, il y aurait lieu de conclure qu’il existerait dans son chef une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) en cas de retour dans son pays d’origine.

Ensuite, le demandeur fait valoir que l’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire serait également justifié au regard du contexte sécuritaire général prévalant actuellement au Soudan.

8Il s’appuie, dans ce contexte, sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE)1 pour soutenir que, pour autant que son origine soit établie, l’absence de preuve qu’il subirait individuellement des atteintes graves en cas de retour au Soudan, où il devrait retourner dans son village sinon aller vivre dans un camp de déplacés, ne représenterait pas nécessairement un obstacle à l’octroi d’une protection subsidiaire sous l’angle du point c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. La CJUE aurait ainsi retenu dans l’arrêt Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie que la protection subsidiaire aurait vocation à s’appliquer en présence d’une situation exceptionnelle qui serait caractérisée par un degré de risque si élevé qu’il existerait des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée subirait individuellement le risque en cause.

Or, en l’espèce, il se dégagerait des sources d’informations géopolitiques publiquement disponibles - en l’occurrence, le Conflict Barometer du Heidelberg Institute for International Conflict Research’s 2019, publié en 2020, le rapport du 11 mars 2020 du US Department of State, intitulé « Sudan 2019 Human Rights Report », le rapport du 1er juillet 2019 de l’organisation OMCT intitulé « Sudan : 41st session of the Human Rights Council Oral statement on the Interactive Dialogue on Sudan » et le rapport de l’organisation internationale Amnesty International du 8 avril 2020 intitulé « Human Rights in Africa : Review of 2019 », que la situation actuelle au Soudan serait toujours alarmante, instable et précaire.

Au vu des considérations qui précèdent, il y aurait dès lors lieu de conclure que la situation actuelle au Soudan serait à assimiler à une situation de violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne au sens des dispositions de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

S’agissant tout d’abord du moyen fondé sur une violation par le ministre de l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel « (2) Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, le ministre détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. », le demandeur reprochant, en effet, au ministre qu’il se serait limité à évaluer la crédibilité de ses déclarations sans poursuivre son examen tendant à déterminer s’il réunit dans son chef les critères pour se voir octroyer l’un des statuts conférés par la protection internationale, celui-ci est à rejeter pour autant que ce moyen a trait à la légalité externe de la décision entreprise.

En effet, cette disposition a trait à l’ordre dans lequel le ministre est tenu d’examiner une demande de protection internationale en prévoyant que la demande d’un statut de réfugié est à considérer comme la demande d’ordre principal par rapport à une demande d’un statut de protection subsidiaire qui, comme son nom l’indique d’ailleurs, n’est à considérer qu’en ordre subsidiaire, mais ne concerne pas la question de la crédibilité du récit du demandeur et, le cas échéant, le rejet d’une demande de protection internationale pour défaut de crédibilité, étant relevé qu’aux termes de l’article 37, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, il appartient, tout d’abord, au demandeur de protection internationale de présenter tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale et, ensuite, au ministre, aux 1 CJUE, affaire C-285/12, Aboubakar Diakité c. Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides, point 28 et affaire C-465/07, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, point 43.

9termes de l’article 37, paragraphe (3), points a) à c) de la même loi disposant que « (3) Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués;

b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves;

c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave; », d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

Or, force est de constater qu’en l’espèce, après avoir évalué les motifs invoqués à la base de la demande de protection internationale tels qu’exposés lors de son entretien avec l’agent du ministère, le ministre est venu à la conclusion que le récit du demandeur n’était pas crédible dans son ensemble et qu’en conséquence, aucune protection internationale ne pourrait lui être octroyée. De ce point de vue, aucun reproche ne peut être adressé au ministre. En effet, dans la mesure où c’est à l’issue d’une évaluation individuelle des motifs de fuite avancés par le demandeur qu’il a exclu la crédibilité de son récit, un examen quant à la pertinence de ces mêmes motifs par rapport aux conditions d’octroi de la protection internationale prise en son double volet n’était, dans cette même logique, plus nécessaire, étant encore précisé que le bien-

fondé de la motivation ayant amené le ministre à arrêter son analyse au niveau de la crédibilité du récit du demandeur et à rejeter sa demande de protection internationale pour manque de crédibilité est une question touchant le fond du litige qui sera examiné ci-après.

Il s’ensuit, au vu de ce qui précède, que le moyen tenant à la violation alléguée de l’article 10, paragraphe (2), de la loi du 18 décembre 2015 laisse d’être fondé.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision entreprise, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h), de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f), de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g), de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés 10de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme:

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

11(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f), de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il y a encore lieu de préciser que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

Au regard des contestations afférentes de la partie étatique, il convient dès lors de prime abord d’examiner la crédibilité du récit du demandeur.

Le ministre a remis en question la crédibilité du récit du demandeur au motif que (i) il y aurait des contradictions entre les déclarations faites auprès du service de police judiciaire et celles faites dans le cadre de son entretien auprès de la direction de l’Immigration, (ii) ses déclarations en relation avec l’incendie à la station-service ne seraient pas crédibles, (iii) ses déclarations quant aux circonstances dans lesquelles il aurait fui l’hôpital ne seraient pas plausibles et iv) le comportement qu’il aurait adopté depuis son arrivée en Europe serait incompatible avec celui d’une personne risquant réellement d’être persécutée ou de subir des atteintes graves.

Or, au vu des éléments à sa disposition, le tribunal se doit de rejoindre le ministre dans son constat que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015.

12Ainsi, le fait même que lors de son entretien avec le service de police judiciaire, le demandeur a déclaré avoir quitté le Soudan parce qu’il y aurait été emprisonné et torturé pour avoir participé à des manifestations, tandis que lors de ses auditions par la direction de l’Immigration, il n’a pas fait la moindre mention de ces mêmes faits puisqu’il y a expliqué sa fuite de son pays d’origine par le fait qu’il aurait été témoin d’un incendie volontaire d’un camion-citerne s’étant trouvé à côté de la station-service où il aurait travaillé et ce, par quatre personnes dont il aurait identifié l’une d’elles comme faisant partie des services de sûreté soudanais, incident que, sur demande du directeur de la station-service en question, il aurait rapporté au procureur, ce qui lui aurait valu d’être enlevé et séquestré par les services de sûreté dans le but de le forcer à changer sa déposition, se révèle être une incohérence importante ébranlant fondamentalement ses dires.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur n’a même pas tenté dans le cadre de son recours de clarifier les incohérences lui pourtant concrètement opposées.

A l’instar du ministre et de la partie étatique, le tribunal se doit ensuite de constater que les déclarations faites par le demandeur lors de ses auditions sur les motifs à la base de sa demande de protection internationale sont contredites par les sources internationales invoquées par la partie étatique, sans que le demandeur n’ait, là non plus, fourni dans le cadre de son recours des explications concordantes permettant d’infirmer la position étatique, alors même qu’il s’agit pourtant d’éléments clés dans l’évaluation des motifs à la base de sa demande de protection internationale.

Ainsi, si le demandeur a expliqué avoir été arrêté et séquestré dans le but de le dissuader de révéler que des agents du service de sûreté soudanais avaient mis le feu à la station-service « … » à « … » et ce, parce que l’Etat soudanais aurait eu peur que la compagnie pétrolière l’assigne en justice, il se dégage des sources internationales invoquées par le ministre et la partie étatique que la compagnie de distribution pétrolière « … » est détenue à 100% par l’Etat soudanais, de sorte qu’il est tout à fait improbable que le gouvernement soudanais ait chargé des agents du service de sûreté soudanais de le torturer et le séquestrer pour le faire revenir sur sa déposition par crainte d’avoir des problèmes avec la justice. L’absence de crédibilité du récit du demandeur en ce qui concerne la prétendue implication des services de sûreté dans l’incendie en cause se trouve encore confortée par le fait qu’il se dégage de la décision ministérielle, sources internationales à l’appui, qu’en septembre 2013, il y a eu des manifestations notamment à Kalakla lors desquelles des stations-services ont été la cible d’attaques perpétrées par des manifestants en colère.

Le tribunal se doit, à cet égard, encore de relever que le simple renvoi abstrait et théorique à des rapports dénonçant certes des exactions commises à l’encontre de civils par les forces de sécurité soudanaises, mais sans aucun lien avec les faits décrits par le demandeur, est, en tout état de cause, et surtout face aux explications étatiques, insuffisant pour rendre plausible son récit.

Au vu de ces considérations, les déclarations du demandeur quant à son hospitalisation suite à sa séquestration et les circonstances dans lesquelles il aurait fui l’hôpital apparaissent également comme étant inventées de toute pièce. Cette conclusion n’est pas énervée par les attestations médicales versées en cause, puisque s’il s’en dégage certes qu’un des doigts du demandeur a été amputé et qu’il présente une ancienne plaie frontale, elles ne contiennent aucune indication quant à l’origine des blessures.

13 Le manque de crédibilité général du récit du demandeur se trouve encore conforté par le comportement adopté par le demandeur depuis son arrivée en Europe. Il se dégage, en effet, du dossier administratif qu’après être arrivé par bateau en Italie, il y a introduit une première demande de protection internationale dont il n’a pas attendu l’issue puisqu’il déclare avoir quitté ce pays une semaine plus tard en direction de l’Allemagne où il a également déposé une demande de protection internationale en octobre 2015 et une autre en juin 2016. Il est encore un fait qu’après avoir été reconduit en Italie, il y a introduit une deuxième demande de protection internationale en janvier 2017, demande dont il n’a de nouveau pas attendu l’issue puisqu’il s’est rendu aux Pays-Bas où il a introduit une demande de protection internationale en juin 2017 avant d’être de nouveau reconduit en Italie où il a introduit une troisième demande de protection internationale en janvier 2018 avant de se rendre au Luxembourg en transitant par la France et la Belgique. Or, un tel comportement apparaît incontestablement comme étant incompatible avec celui d’une personne recherchant sérieusement une protection, voire dénote une volonté de recourir de manière abusive à la procédure d’asile en Europe.

La conclusion ci-avant retenue d’un manque de crédibilité du récit du demandeur n’est pas infirmée par l’argumentation présentée par le demandeur à l’appui du présent recours et fondée sur les règles applicables et recommandations en ce qui concerne l’évaluation des déclarations d’un demandeur de protection internationale compte tenu de son vécu, de traumatismes qu’il a, le cas échéant, subis, de troubles de la concentration ou de la mémoire éventuels, voire du bénéfice du doute. En effet, si les règles sur lesquelles le demandeur s’appuie sont susceptibles de jouer en faveur d’un demandeur de protection internationale qui fait des déclarations, le cas échéant, contradictoires sur certains points de détail, à condition que la globalité de son récit est cohérent, voire en présence d’une personne souffrant de troubles de la mémoire avérés, le constat s’impose, d’une part, qu’à aucun moment, le demandeur n’a fait état d’une pathologie d’ordre psychique qui pourrait faire conclure à des troubles de la mémoire, tel que cela a été relevé ci-avant. D’autre part et surtout, le ministre n’a pas reproché au demandeur de s’être embrouillé sur certains points de détail de son récit, mais il a remis en cause la crédibilité d’éléments clés de son récit en sous-tendant ses doutes par l’invocation de sources internationales.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que le récit du demandeur, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant, au contraire, tenter sciemment d’induire en erreur au sujet de son vécu.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a pu mettre en question la crédibilité du récit du demandeur en sa globalité, de sorte que c’est encore à bon droit qu’il a conclu que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l’article 48, points a) et b) de la même loi en relation avec son vécu personnel tel que relaté à l’appui de sa demande de protection internationale.

Pour ce qui est de la situation humanitaire, sécuritaire et sanitaire générale au Soudan, ensemble les conditions socio-économiques y régnant, dont le demandeur s’est prévalu pour la première fois dans le cadre du recours sous analyse pour réclamer l’octroi dans son chef du statut conféré par la protection subsidiaire, respectivement la question de savoir si le demandeur est fondé à se prévaloir de ce point de vue plus particulièrement des dispositions de l’article 48, points b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, il convient tout d’abord de relever, 14en ce qui concerne sa crainte de faire l’objet de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 48, point b), que comme il ressort du prédit article que les traitements ou les sanctions doivent être « infligés », de sorte à exiger une intervention humaine et en excluant de son champ d’application l’éventualité d’atteintes graves lorsqu’aucun acteur ne peut en être tenu responsable, l’état de précarité, ensemble la situation sociale, humanitaire et sanitaire, en cas de retour au Soudan, tels que mis en avant par le demandeur, en l’absence de toute circonstance permettant de déduire qu’ils auraient été infligés ou qu’ils résulteraient d’une intervention directe ou indirecte humaine, ne constituent pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire sur le fondement de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

Pour ce qui est de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, il y a lieu de rappeler que le demandeur doit établir qu’il existe dans son pays d’origine « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

A cet égard, la CJUE a précisé dans le considérant 43 de son arrêt du 17 février 2009, « Elgafaji c. Pays-Bas », numéro C-465/07, cité par le demandeur, que « […] l’article 15, sous c), de la directive, lu en combinaison avec l’article 2, sous e), de la même directive, doit être interprété en ce sens que:

- l’existence de menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne du demandeur de la protection subsidiaire n’est pas subordonnée à la condition que ce dernier rapporte la preuve qu’il est visé spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle ;

- l’existence de telles menaces peut exceptionnellement être considérée comme établie lorsque le degré de violence aveugle caractérisant le conflit armé en cours, apprécié par les autorités nationales compétentes saisies d’une demande de protection subsidiaire ou par les juridictions d’un Etat membre auxquelles une décision de rejet d’une telle demande est déférée, atteint un niveau si élevé qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir lesdites menaces.».

Elle a également retenu, dans le considérant 39 du prédit arrêt, que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire ».

La CJUE distingue dès lors deux situations : dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres. La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul 15fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle, étant relevé que de tels éléments propres à la situation personnelle du demandeur constituent des circonstances qui ont pour effet qu’ils encourent un risque plus élevé qu’une autre personne d’être victimes d’une violence indiscriminée, alors même que celle-ci ne les cible pas pour autant plus spécifiquement que cette autre personne. Tel pourrait ainsi, par exemple, être le cas lorsqu’une vulnérabilité accrue, une localisation plus exposée ou une situation socio-économique particulière ont pour conséquence que le demandeur encourt un risque plus élevé que d’autres civils de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle2.

Il échet, par ailleurs, de relever que le conflit armé interne a été défini par la CJUE dans son arrêt du 30 janvier 2014, « Diakité c. Belgique », numéro C-285/12, et plus particulièrement en son considérant 35, de la manière suivante : « […] lorsque les forces régulières d’un Etat affrontent un ou plusieurs groupes armés ou lorsque deux ou plusieurs groupes armés s’affrontent, sans qu’il soit nécessaire que ce conflit puisse être qualifié de conflit armé ne présentant pas un caractère international au sens du droit international humanitaire et sans que l’intensité des affrontements armés, le niveau d’organisation des forces armées en présence ou la durée du conflit fasse l’objet d’une appréciation distincte de celle du degré de violence régnant sur le territoire concerné.».

Si le tribunal ne nie pas que le Soudan connaît une situation sécuritaire problématique, il estime toutefois que les éléments fournis par le demandeur ne démontrent pas l’existence, à l’heure actuelle, au Soudan d’une situation de « violence aveugle en cas de conflit armé » au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, l’argumentation du demandeur reposant, en substance, sur des articles et rapports reflétant la situation ayant régné au Soudan en 2019 suite à la destitution du président Omar El Béchir, respectivement immédiatement à la suite de la mise en place d’un gouvernement de transition.

Or, force est de constater que la situation sécuritaire générale au Soudan a nécessairement changé depuis lors, de sorte que les articles et rapports sur lesquels s’appuie le demandeur sont, en tout état de cause, à écarter faute de pertinence pour évaluer la situation sécuritaire générale actuelle au Soudan, le demandeur n’ayant pas soumis des pièces plus récentes appuyant ses craintes.

Le tribunal est, en tout état de cause, amené à constater qu’il ne se dégage pas des éléments à sa disposition que le Soudan connaît actuellement une situation exceptionnelle où la mesure de la violence aveugle est telle qu’il y a de sérieux motifs de croire que, du seul fait de sa présence sur place, le demandeur y encourrait un risque d’être exposé à une menace grave contre sa vie ou contre sa personne au sens dudit article 48, point c), étant encore relevé que le demandeur ne fait pas valoir d’élément propre à sa situation personnelle aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas démontré que la situation sécuritaire actuelle au Soudan est telle qu’elle réponde aux critères 2 Conseil du Contentieux des Etrangers, arrêt du 13 août 2020, n° 239678 du rôle, disponible sur www.rvv-

cce.be.

16d’une violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015, tels que clarifiés par la jurisprudence de la CJUE, précitée.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection internationale prise en son double volet.

2) Quant au recours visant l’ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, seul un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours principal en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est recevable.

Il n’y a dès lors par lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur avance qu’eu égard aux circonstances personnelles et particulières de l’espèce, la décision du ministre lui enjoignant de quitter le territoire encourrait la réformation pour violation des articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », en ce que la protection offerte par ces dispositions serait rendue illusoire si l’Etat luxembourgeois était amené à le renvoyer au Soudan malgré la situation sécuritaire, sanitaire et humanitaire déplorable et catastrophique y régnant actuellement.

Il se réfère, à cet égard, plus particulièrement à un arrêt de la CourEDH du 11 janvier 2007 dans une affaire Salah Sheekh c. Pays-Bas dans le cadre duquel il aurait été retenu que l’expulsion d’un étranger par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause au titre de ladite Convention, lorsqu’il y aurait des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, s’il était expulsé vers le pays de destination, y courrait un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH. En pareil cas, cette disposition impliquerait l’obligation de ne pas expulser la personne concernée vers ce pays. Dans ce même arrêt, la CourEDH aurait encore retenu qu’il faudrait apprécier la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 de la CEDH, ce qui impliquerait que, pour apprécier la réalité dans le chef d’étrangers menacés d’expulsion ou d’extradition d’un risque allégué de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, il faudrait se livrer à un examen complet et ex nunc de la situation qui règne dans le pays de destination, cette situation pouvant changer au fil du temps.

Il se réfère encore à un arrêt de la CourEDH du 7 juillet 1989 dans une affaire Soering c. Royaume-Uni dans lequel il aurait été retenu que l’objet et le but de la CEDH, à savoir la protection des êtres humains, appelleraient à comprendre et à appliquer ses dispositions d’une manière telle qu’elle rende les garanties concrètes et effectives, ainsi qu’à un arrêt rendu dans une affaire T.I. c/ Royaume-Uni, dans lequel la CourEDH aurait tranché que l’application de la procédure du pays tiers sûr ne dispensait pas un pays de ses obligations en vertu de l’article 3 de la CEDH en ce qui concerne les traitements inhumains et dégradants.

Il demande, en conséquence, au tribunal de conclure que son éloignement vers le Soudan violerait les articles 2 et 3 de la CEDH, de même que 4 de la Charte.

17A cela s’ajouterait que son renvoi vers son pays d’origine emporterait également une violation des articles 33, paragraphe (1) de la Convention de Genève u 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et 19 de la Charte interdisant le refoulement des demandeurs de protection internationale déboutés vers leur pays d’origine, le demandeur faisant valoir que même s’il ne devait pas se voir accorder l’un des statuts conférés par la protection internationale, il devrait néanmoins pouvoir bénéficier de la protection contre l’expulsion vers un pays dans lequel il risquerait de subir des atteintes contre sa vie et son intégrité physique et morale, sous forme de torture, d’assassinat ou d’autres formes de traitements inhumains et dégradants du fait plus particulièrement d’avoir prétendument été témoin d’un crime ou délit commis par des agents du service de sûreté et donc du fait de son appartenance à un certain groupe social, le demandeur s’appuyant à cet égard sur un arrêt de la CJUE du 18 décembre 2014, dans une affaire Abida, C-562/13 ainsi que sur un arrêt de la CourEDH du 15 novembre 2011, dans une affaire Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine.

Le tribunal se doit tout d’abord de relever qu’étant donné qu’il vient d’être retenu ci-

avant que c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder au demandeur l’un des statuts conférés par la protection internationale, ni la légalité ni le bien-fondé de l’ordre de quitter le territoire ne sauraient être valablement remis en cause.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’invocation d’une violation, par la décision déférée, du principe de non-refoulement, de même que des articles 2 et 3 de la CEDH, ainsi que 4 de la Charte, le demandeur se prévalant, à cet égard, de son prétendu statut de témoin d’un crime ou délit commis par des agents du service de sûreté, respectivement de la situation sécuritaire, humanitaire et sanitaire actuelle au Soudan, qui lui feraient courir un grave risque pour sa vie et son intégrité physique. En effet, il y a lieu de constater, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus par le demandeur en cas de retour au Soudan, que le tribunal a conclu ci-avant que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible d’une crainte de subir des persécutions ou d’être exposé à des atteintes graves au sens de la loi, respectivement que ses craintes en relation avec la situation sécuritaire, sanitaire et humanitaire ne constituaient pas un motif valable d’obtention de la protection subsidiaire et qu’il ne saurait dès lors prétendre à l’un des statuts conférés par la protection internationale, de sorte que le tribunal ne saurait actuellement se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH3, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur au Soudan soit dans ces circonstances incompatible avec les articles 3 de la CEDH, ainsi que 4 de la Charte, voire avec l’article 2 de la CEDH et le principe de non-refoulement.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation contre la décision ministérielle du 15 septembre 2020 portant refus d’une protection internationale ;

3 Cour européenne des droits de l’homme, arrêt du 4 février 2004, Lorsé et autres c/ Pays-Bas.

18 au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision ministérielle du 15 septembre 2020 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, juge, Carine Reinesch, juge, et lu à l’audience publique du 29 septembre 2021 par le vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 19


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 45114
Date de la décision : 29/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-09-29;45114 ?

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