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29/09/2021 | LUXEMBOURG | N°46426

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2021, 46426


Tribunal administratif N° 46426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2021 1ère chambre Audience publique du 29 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46426 du rôle et déposée le 3 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan

Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg,...

Tribunal administratif N° 46426 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 septembre 2021 1ère chambre Audience publique du 29 septembre 2021 Recours formé par Monsieur …, alias …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46426 du rôle et déposée le 3 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, alias …, déclarant être né le … à … (Tchad), et être de nationalité tchadienne, ayant été assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 19 août 2021 de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2021 ;

Vu l’article 1er de la loi du 19 décembre 2020 portant adaptation temporaire de certaines modalités procédurales en matière civile et commerciale1 ;

Vu la communication de Maître Shirley Freyermuth du 21 septembre 2021 suivant laquelle Maître Ardavan Fatholahzadeh marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en sa plaidoirie à l’audience publique du 22 septembre 2021.

Le 25 mai 2021, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 1 « Les affaires pendantes devant les juridictions administratives, soumises aux règles de la procédure écrite et en état d’être jugées, pourront être prises en délibéré sans comparution des mandataires avec l’accord de ces derniers. » 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement été appréhendé en Italie en date du 1er avril 2021. Il ressortit également d’une consultation du Système d’information Schengen (SIS) que Monsieur … est signalé par les autorités italiennes suite à une interdiction d’accès ou de séjour délivrée par ces dernières.

Le 26 mai 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du 27 mai 2021, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), pour une durée de trois mois, mesure qui fut prorogée pour une nouvelle durée de trois mois par arrêté du ministre du 27 août 2021.

Le 28 mai 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la reprise en charge de l’intéressé sur base de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Cette demande fut acceptée par ces derniers le 9 juin 2021.

Par décision du 19 août 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 25 mai 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 25 mai 2021 et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 26 mai 2021. En mains également la copie d'un certificat médical émis par l'Inspection sanitaire en date du 21 juin 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 25 mai 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 2 avril 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 26 mai 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 28 mai 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 9 juin 2021.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un Etat membre dans lequel il est entré en venant d'un Etat tiers, cet Etat membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 25 mai 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 2 avril 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Tchad en 2018 en direction de la Libye où vous seriez resté trois ans et où vous auriez travaillé dans une ferme dont les propriétaires vous auraient mutilé et maltraité. Après avoir échoué à plusieurs reprises à traverser la Méditerranée, vous auriez finalement réussi à arriver en Italie. Comme le Luxembourg aurait été votre destination de prédilection dès le début de votre voyage, vous auriez quitté l'Italie après un mois et dix jours pour vous rendre au Luxembourg en passant par la France. Vous seriez arrivé au Luxembourg en date du 14 mai 2021.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l'Italie parce que « les italiens se comportent très mauvais avec moi. » (p. 5 du rapport d'entretien).

Lors de votre entretien Dublin III en date du 26 mai 2021, vous avez fait mention d'avoir mal aux reins et de suivre un traitement médicamenteux. Cependant, aucun certificat médical confirmant ces problèmes de santé ne nous est parvenu à ce jour. Suivant le certificat médical du 21 juin 2021, vous souffririez d'un PTSD qui pourrait être la conséquence des maltraitances que vous auriez subies en Libye.

À cet égard, il peut être admis que l'Italie peut fournir des soins médicaux appropriés ainsi que l'accès aux soins urgents et nécessaires. Partant, il n'existe pas de raison d'admettre qu'en Italie, vous couriez un risque de traitement contraire à l'article 3 CEDH dû à votre état de santé.

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (a directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n°130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système de protection en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Au regard de votre état de santé, il n'existe aucune raison de croire que l'exécution du transfert-même vers l'Italie rendrait les autorités luxembourgeoises responsables d'une violation de l'article 3 CEDH, plus particulièrement votre état de santé n'est pas d'une gravité telle que tout transfert dans les délais prévus par le règlement DIII serait d'ores et déjà voué à échec.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devrait être nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 septembre 2021, inscrite sous le numéro 46426 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 19 août 2021.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) introduit par la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 19 août 2021, telle que déférée.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique, après avoir rappelé les faits et rétroactes de l’affaire, présenter des problèmes de santé, à savoir une tuberculose latente, la perte de la troisième phalange du cinquième doigt de sa main gauche ainsi que d’un syndrome de stress post-traumatique. Eu égard à son état de santé et à sa vulnérabilité, il craindrait de ne pas avoir accès aux conditions matérielles d’accueil en Italie.

En droit, Monsieur … invoque en premier lieu une violation des articles 2 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et des articles 3 et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ». Dans ce contexte, il reproche au ministre de ne pas avoir procédé à une vérification préalable à la prise de la décision litigieuse afin qu’il ne courait aucun risque d’être exposé à des conditions matérielles contraires aux exigences de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, le demandeur exposant craindre de subir un stress important en raison de son transfert, alors qu’il serait déjà atteint d’un syndrome de stress post-traumatique. Ce défaut de vérification l’exposerait à un risque d’être soumis à des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la CEDH et des articles 3 et 4 de la Charte. En s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne , ci-après la « CJUE »2, 3 et de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après « la CourEDH »4, le demandeur souligne que lesdites juridictions s’opposeraient à l’application d’une présomption irréfragable selon laquelle l’Etat membre désigné comme responsable sur base du règlement Dublin III respecterait les droits fondamentaux de l’Union européenne.

2 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department.

3 CJUE, 16 février 2017, affaire C-578/16, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija.

4 CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

Ainsi, son transfert ne pourrait être effectué que s’il lui est garanti que ledit transfert n’entraînerait aucun risque réel de préjudice grave dans son chef. Il se réfère à cet égard à un rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) et de l’association borderline-

europe intitulé « Conditions d’accueil en Italie » de janvier 2020 mis à jour en date du 10 juin 2021, disponible sur le site Internet www.osar.ch, en soutenant qu’eu égard à son état de santé et de vulnérabilité, il n’aurait aucune garantie d’hébergement et serait exposé aux actes prohibés par les articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Monsieur … expose encore qu’il n’aurait pas pu bénéficier de soins médicaux en Italie et qu’en cas de transfert vers l’Italie il subirait un « un préjudice grave et irréparable, non seulement au regard de sa vie privée mais encore en raison de son état psychologique, eu égard aux traumatismes déjà vécus ». Il cite encore l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire.

Monsieur … invoque ensuite une violation des articles 31 et 32 du règlement Dublin III en reprochant au ministre de ne pas avoir transmis aux autorités italiennes les données relatives à son état de santé vulnérable.

Le demandeur reproche par la suite au ministre de ne pas avoir fait application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III « lu à la lumière de l’article 4 de la [Charte] », en se référant à la « particulière gravité de [son] état de santé (…) » et en insistant plus particulièrement sur le fait qu’il ne serait pas exclu que le transfert vers l’Italie entraînerait un risque réel et sérieux d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé.

En se basant sur l’arrêt C-578/16, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, précité, de la CJUE, le demandeur soutient encore que « s’il n’était pas avéré qu’il existe, en Italie, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, §2, du règlement Dublin III, il ne s’agit pas du seul motif pour le requérant permettant de démontrer que le transfert l’exposerait à un risque réel de traitements inhumains ou dégradants » et qu’il reviendrait « aux autorités d’examiner toutes les circonstances importantes dans le respect du principe de non refoulement et de l’interdiction de l’article 3 CEDH, y compris l’état de santé de Monsieur … ».

Monsieur … reproche ensuite au ministre d’avoir violé l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III en se référant au rapport OSAR intitulé « Reception conditions in Italy » de janvier 2020, publié sur le site Internet www.osar.ch. Au vu de son état de santé mental, il serait inquiet du sort lui réservé en cas de transfert vers l’Italie et, dans la crainte d’un renvoi automatique dans son pays d’origine, il n’aurait aucune garantie légale et procédurale que sa demande de protection internationale sera examinée par les autorités italiennes. Il se réfère à cet égard à un arrêt de la CourEDH du 20 juillet 20105 ayant retenu que l’expulsion vers l’Afghanistan d’une demanderesse d’asile déboutée afghane serait contraire à l’article 3 de la CEDH. Il ne ferait aucun doute qu’en Italie, au vu du grand nombre de réfugiés, il ferait face à des conditions déplorables d’examen de sa demande de protection internationale et, compte tenu de la situation du système d’accueil et en l’absence d’informations détaillées et fiables quant à la structure d’accueil de destination, les autorités luxembourgeoises ne disposeraient pas d’éléments suffisants pour être assurées qu’en cas de renvoi en Italie, il pourrait bénéficier d’une prise en charge effective.

Le demandeur reproche finalement au ministre de ne pas avoir fait application de la clause de souveraineté inscrite à l’article 17 du règlement Dublin III, alors qu’il risquerait d’être renvoyé dans son pays d’origine, ce qui mettrait sa vie en danger.

5 CourEDH, 20 juillet 2010, N. c. Suède, n° 23505/09.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2021 portant modification de la loi du 18 décembre 2015, publiée au Mémorial en date du 1er juillet 2021, est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire – indépendamment de la légalité – l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier la situation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés6.

Encore, à titre liminaire, il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités italiennes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que : « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière. ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de 6 Trib. adm. 17 septembre 2018, n° 40026 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

transférer le demandeur vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Italie, en ce qu’il aurait franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 2 avril 2021 et que les autorités italiennes ont accepté sa prise en charge le 9 juin 2021, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Force est ensuite de relever que le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Italie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois, mais il soutient, en substance, qu’un transfert en Italie l’exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants en violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 et 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, respectivement des articles 2 et 3 de la CEDH et 3 et 4 de la Charte, en raison des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions matérielles d’accueil telles qu’elles résulteraient des rapports versés en cause.

Il convient, à cet égard, de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Tel que relevé ci-avant, la décision déférée du 19 août 2021 a été prise en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, cette dernière disposition visant une hypothèse distincte du cas d’un demandeur ayant introduit une demande de protection internationale dans un premier Etat membre, hypothèse plus particulièrement visée à l’article 18 du règlement Dublin III, étant, à cet égard, relevé qu’il est constant en cause pour résulter également des propres déclarations du demandeur auprès de la police grand-ducale le 25 mai 2021, ainsi qu’auprès d’un agent ministériel lors de son entretien le lendemain, qu’il a quitté l’Italie sans y avoir introduit une demande de protection internationale.

Dans la mesure où le demandeur n’a pas eu la qualité de demandeur de protection internationale lors de son séjour en Italie, un premier constat s’impose au tribunal, à savoir que Monsieur … n’est, en tout état de cause, pas en mesure de se prévaloir de défaillances systémiques dans le système d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qu’il aurait personnellement pu y rencontrer.

D’autre part, même si, conformément au principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le demandeur sera dorénavant considéré par les autorités italiennes comme demandeur de protection internationale, le tribunal se doit de constater qu’il ne fournit aucun élément pertinent permettant de conclure qu’il craint avec raison qu’en tant que demandeur de protection internationale en Italie, la procédure d’asile et les conditions minimales d’accueil n’y seraient pas assurées en raison de défaillances systémiques.

Force est, en effet, de constater que les éléments produits en cause ne permettent pas au tribunal de dégager, ni dans le cas particulier du demandeur, ni d’une manière générale, l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III qui prévoit ce qui suit : « Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Cette disposition impose dès lors à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, respectivement de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé7.

A cet égard, le tribunal relève, à l’instar du ministre, que l’Italie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève » et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner que le système européen commun d’asile a justement été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard8. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le 7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

8 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-

493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants9.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées10. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile11, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

En effet, suivant la jurisprudence des juridictions administratives12, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE13, des défaillances systémiques au sens de l’article 3 du règlement Dublin III, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH.

Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201714.

Il y a ensuite lieu de préciser qu’il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201915 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine16. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte 9 Ibidem, point. 79 ; Voir également : Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.ja.etat.lu.

10 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

11 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

12 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.ja.etat.lu.

13 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

14 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

15 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

16 Ibid., pt. 92.

dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant17.

Dans la mesure où le demandeur remet en question cette présomption du respect par l’Italie des droits fondamentaux, puisqu’il affirme y risquer des traitements inhumains et dégradants, il lui incombe de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, pareilles défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie atteignant un tel seuil particulièrement élevé de gravité ne résultent ni théoriquement, ni concrètement, des éléments soumis au tribunal.

Ainsi, le tribunal est tout d’abord amené à insister sur le fait, tel que relevé ci-avant, que faute d’avoir eu la qualité de demandeur de protection internationale pendant son séjour en Italie, le demandeur ne saurait, en tout état de cause, se prévaloir de son vécu personnel pour conclure à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans ce pays, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte dans son chef, empêchant son transfert vers ce pays, ses affirmations non autrement étayées selon lesquelles il aurait voulu quitter l’Italie parce qu’il aurait « déjà subi l’inhospitalité des autorités italiennes », respectivement qu’il craindrait de se retrouver sans abri n’étant pas pertinentes à cet égard puisqu’en omettant de déposer une demande de protection internationale en Italie, le demandeur y a manifestement vécu en tant que migrant en situation irrégulière, de sorte que ses expériences personnelles et les craintes qu’il en déduit ne reflètent nécessairement pas les conditions de vie d’un demandeur de protection internationale, d’autant plus qu’il ressort de son récit recueilli par l’association sans but lucratif … que Monsieur …, même sans avoir déposé de demande de protection internationale en Italie, a pu y être logé dans un foyer d’accueil, d’abord en Sicile et puis à Turin.

Ensuite, et de manière plus générale en ce qui concerne les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, le tribunal se doit de relever que le demandeur se limite à citer de manière générale et abstraite les dispositions des articles 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, 4 de la Charte et 3 de la CEDH, de même qu’à se référer à la jurisprudence de la CJUE et de la CourEDH, ainsi qu’à des rapports internationaux sans mise en relation de leur contenu avec sa situation particulière.

En outre, s’il est certes exact qu’il ressort des documents invoqués par le demandeur et plus particulièrement du rapport actualisé de l’OSAR et de l’association borderline-europe du 10 juin 2021, que les autorités italiennes ont connu et connaissent toujours de sérieux problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, impliquant que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes, suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent, au niveau de l’accès à l’hébergement et aux soins, ainsi que des conditions de vie en général et que la situation régnant en Italie semble inquiétante, il n’en reste pas moins que les documents invoqués par le demandeur sont insuffisants pour permettre de retenir, de manière générale, l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de 17 Ibid., pt. 93.

risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal se doit, à cet égard, de relever que, pour ce qui est du rapport de l’OSAR de janvier 2020, celui-ci n’est, en tout état de cause, pas de nature à refléter la situation actuelle telle que se présentant en Italie pour surtout ne pas tenir compte de l’abolition des décrets dits « Salvini » et des modifications législatives intervenues depuis octobre 2020. A cela s’ajoute que, de toute façon, les extraits du rapport mis en évidence par le demandeur visent la situation des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, respectivement celle de personnes transférées qui avaient présenté une demande de protection internationale en Italie avant de quitter ce pays pour un autre Etat membre, ce qui n’est pas le cas de Monsieur … qui, tel que relevé ci-avant, n’a pas introduit de demande de protection internationale en Italie.

Le tribunal constate ensuite que le rapport de l’OSAR et de l’association borderline-

europe de 10 juin 2021 confirme que de nombreuses restrictions imposées à travers les décrets dits « Salvini » ont été abolies, de sorte que les conditions des demandeurs de protection internationale se sont améliorées. Il ressort encore d’un jugement du tribunal administratif du 1er septembre 2021, inscrit sous le numéro 46364 du rôle, qu’« Il ressort pareillement d’articles publiés sur le site internet www.lesechos.fr, dont se prévaut la partie étatique, que dorénavant l’utilisation de centres d’accueil plus petits pour héberger les demandeurs d’asile a de nouveau été rendue possible, de même que les demandeurs de protection internationale peuvent aussi s’inscrire sur les registres de l’état civil et donc posséder d’un domicile légal leur permettant de bénéficier des prestations sanitaires ou d’ouvrir un compte bancaire et les personnes ayant obtenu un permis de séjour peuvent plus facilement le convertir en permis de travail. A cela s’ajoute qu’une protection spéciale est accordée aux personnes qui risquent des « traitements inhumains ou dégradants » en cas de retour dans leur pays d’origine, ou dans le cas où une expulsion irait « à l’encontre du droit à la vie privée et familiale » et les expulsions ou les rapatriements vers des pays où les droits de l’Homme ne sont pas respectés sont suspendus. ».

Le tribunal se doit encore de relever que le simple fait que dans leur rapport du 10 juin 2021, l’OSAR et l’association borderline-europe ont adressé aux Etats membres des recommandations dans le cadre de l’exécution des transferts vers l’Italie n’est pas à lui seul de nature à conclure à l’existence d’un risque pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins, ce constat s’imposant d’autant plus qu’il se dégage des extraits dudit rapport tels que retranscrits dans le recours sous analyse que les recommandations en question visent avant tout les personnes vulnérables et les bénéficiaires d’une protection internationale en Italie, mais non pas tout demandeur de protection internationale transféré en Italie.

Par ailleurs, il convient de relever que le demandeur n’invoque pas non plus de jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Il ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou d’un avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui exposerait tout demandeur de protection internationale à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, c’est à bon droit que le ministre a conclu que, dans le cas d’espèce, l’application de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III ne se justifiait pas.

Nonobstant les conclusions retenues ci-avant, le tribunal se doit néanmoins de relever que même si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable18.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte19, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant20.

En l’espèce, si le demandeur explique ne pas avoir introduit de demande de protection internationale en Italie, au motif que « (…) les italiens se comportent très mauvais avec moi»21, il ne fournit néanmoins pas la moindre explication quant à des démarches qu’il aurait concrètement entreprises en vue de l’introduction d’une demande de protection internationale et de l’obtention d’un hébergement et quant aux obstacles qu’il aurait rencontrés à cet égard.

Au contraire, il se dégage, tel que retenu ci-avant, des affirmations du demandeur tant lors de son entretien Dublin III que de son récit auprès l’association sans but lucratif Passerell ASBL, qu’à son arrivée en Italie, il a pu être logé, dans un premier temps, en Sicile et, dans un deuxième temps, à Turin, sans toutefois qu’il ne se dégage de ses déclarations pour quelles raisons il a quitté les foyers en question. Dans ces circonstances, le tribunal retient qu’il n’est pas établi que les droits du demandeur n’auraient pas été respectés lors de son séjour en Italie.

Par ailleurs, le demandeur n’apporte pas la preuve que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-ci n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités italiennes en usant des 18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09 19 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96 20 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

88 21 Page 5 du rapport d’entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

voies de droit adéquates22, étant encore rappelé que l’Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, est censée en appliquer les dispositions.

En ce qui concerne ensuite l’état de santé du demandeur, force est au tribunal de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni du document établi par la Cellule Santé des Demandeurs de Protection Internationale en date du 22 juin 2021 selon lequel le demandeur aurait une tuberculose latente et qu’une chimioprophylaxie serait indiquée, ni du certificat médical du docteur … établi en date du 21 juin 2021 selon lequel « (…) le patient se dit avoir été sommé à un travail forcé en Lybie et avoir perdu le 3e phalange du 5e doigt main gauche.

Il souffre aussi d’un syndrome post-traumatique qui pourrait être la conséquence direct de son emprisonnement, torture, travail forcé en Lybie » ni d’un quelconque autre élément que celui-

ci serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert en Italie, étant encore relevé que le seul fait que le demandeur ait expliqué lors de son entretien Dublin avoir « mal aux reins »23, état non autrement documenté, étant encore insuffisant à cet égard.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage de toute façon d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale, voire les migrants en situation irrégulière en Italie n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin.

A cela s’ajoute que le demandeur n’a avancé ni lors de son entretien Dublin ni dans son recours des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à sa situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, il serait personnellement exposé au risque que ses besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à son transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités italiennes avant de le transférer.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si le demandeur devait estimer que le système d’aide italien serait à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si le demandeur devait estimer que le système italien ne serait pas conforme aux normes européennes ; dans ce cas, il appartiendrait au demandeur de faire valoir ses droits sur base de la directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte], ci-après désignée par « directive Procédure », ainsi que de la directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte], ci-après désignée par « directive Accueil », directement auprès des autorités italiennes en usant des voies de droit adéquates. La même conclusion s’impose quant aux craintes du demandeur d’être expulsé vers son pays d’origine, alors qu’il reste en défaut d’étayer concrètement l’existence d’un tel risque dans son chef. En effet, le demandeur ne fournit pas d’éléments susceptibles de démontrer que 22 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

23 Page 2 du rapport d’entretien en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

l’Italie ne respecterait pas le principe de non-refoulement et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité physique ou sa liberté seraient sérieusement en danger. A cela s’ajoute que même dans l’hypothèse où les autorités italiennes pourraient hypothétiquement envisager de rapatrier le demandeur vers le Tchad en violation des articles 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, il ne se dégage pas des éléments soumis au tribunal qu’il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités italiennes.

Dans ces circonstances et dans la mesure où le demandeur n’a pas fait état d’autres éléments dont il se dégagerait que compte tenu de sa situation personnelle, il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, en Italie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation desdits articles 2 et 3 de la CEDH et 3 et 4 de la Charte encourt à son tour le rejet.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, le tribunal relève que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres24, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201725. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge26, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration27.

En l’espèce, le demandeur invoque des difficultés pour les demandeurs de protection internationale d’accéder en Italie aux conditions matérielles minimales d’accueil telles que mises en avant par les rapports versés en cause, ainsi que sa situation de vulnérabilité qui serait due à son état de santé, pour soutenir qu’il courrait un risque réel de se retrouver à la rue sans aucune aide étatique et pour affirmer qu’il existerait dès lors des motifs humanitaires valables de prise en charge de sa demande de protection internationale par le Luxembourg.

Or, étant donné qu’il vient de rejeter les moyens tirés d’une violation de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III et des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte et dans la mesure où, par ailleurs, il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que le 24 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

25 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

26 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

27 Cour adm. 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

demandeur se trouve dans une situation de vulnérabilité particulière, le tribunal n’entrevoit pas d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal retient que le moyen tiré de la violation par le ministre de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III est à son tour à rejeter.

Dans la mesure où il vient d’être retenu ci-avant qu’il n’est pas établi que l’état de santé du demandeur requiert un traitement médical spécifique et qu’il n’a pas fourni d’éléments quant à une particulière vulnérabilité dans son chef, il ne saurait pas non plus être reproché au ministre de ne pas avoir fait application des articles 31 et 32 du règlement Dublin III qui sont relatifs à l’échange, entre Etats membres, d’informations pertinentes, respectivement de données concernant la santé d’une personne avant l’exécution d’un transfert. Le moyen afférent est dès lors rejeté.

La même conclusion s’impose au regard de la référence, faite par le demandeur, à l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire28, étant donné qu’outre le fait que le destinataire de l’obligation inscrite à cette disposition légale est, non pas le ministre, mais le directeur de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration, le demandeur n’a pas formulé de contestation concrète sur base de cette base juridique, étant rappelé qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base des conclusions du demandeur.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours principal en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

28 Article 15 de la loi du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire : « Le directeur [de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration] tient compte des besoins particuliers en matière d’accueil des personnes vulnérables telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les handicapés, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents isolés accompagnés d’enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, et plus particulièrement les victimes de mutilation génitale féminine » Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2021 par :

Annick Braun, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Géraldine Anelli, premier juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Annick Braun Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2021 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46426
Date de la décision : 29/09/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 03/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-09-29;46426 ?

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