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15/10/2021 | LUXEMBOURG | N°46462

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2021, 46462


Tribunal administratif N° 46462 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 septembre 2021 4e chambre Audience publique du 15 octobre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46462 du rôle et déposée le 16 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né ...

Tribunal administratif N° 46462 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 16 septembre 2021 4e chambre Audience publique du 15 octobre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46462 du rôle et déposée le 16 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah Moineaux, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 août 2021 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers l’Italie, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 septembre 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sarah Moineaux et Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 octobre 2021.

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Le 30 juillet 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée et police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il s’avéra à cette occasion, tel que confirmé par une recherche dans la base de données EURODAC, que Monsieur … avait préalablement franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 17 juin 2021 et que ses empreintes digitales y avaient été prélevées en date du 18 juin 2021.

Le 30 juillet 2021, il fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 3 août 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues italiens en vue de la prise en charge de Monsieur … en exécution du règlement Dublin III.

Par courrier du 5 août 2021, les autorités italiennes informèrent leurs homologues luxembourgeois dans les termes suivants :

« Chers messieurs, nous vous informons que la personne en question n est l objet que d une entrée illègale à Agrigente à la date 18.6.2021.

Sauf erreur de notre partie il n est l objet d aucun titre de séjour, permis visa ou demande d asile , si bien que son nom resulte inconnu aux archives de la commission.

Votre demande de prise en charge du 3.8.2021 nous fait reflechir qu il est fort probable qu’il quitta le centre d accueil sans permission sans formaliser aucune demande d asile.

En ce qui concerne ces cas nous ne donnons notre accord en considération aussi que d habitude il s agit des personne qui ne sont pas intéressés à rester en Italie et a demander l asile dans notre pays Il faut quand meme prévenir au cas de transfert (…). » Par arrêté du ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », du 5 août 2021, Monsieur … fut assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg.

Par décision du 31 août 2021, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée envoyée le même jour, le ministre informa Monsieur … de sa décision de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Italie, sur base des dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de celles de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III. Ladite décision est libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 30 juillet 2021 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 13(1) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 30 juillet 2021.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 30 juillet 2021, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 17 juin 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date 30 juillet 2021.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 3 août 2021 une demande de prise en charge aux autorités italiennes sur base de l'article 13(1) du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités italiennes en date du 5 août 2021.

2.

Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Lorsqu'il est établi, sur la base de preuves ou d'indices tels qu'ils figurent dans les deux listes mentionnées à l'article 22, paragraphe 3, du règlement DIII, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d'un État membre dans lequel il est entré en venant d'un État tiers, cet État membre est responsable de l'examen de la demande de protection internationale, conformément à l'article 13(1) du règlement DIII.

En application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII, il y a lieu d'analyser s'il existe de sérieuses raisons de croire que la procédure de demande de protection internationale ou les conditions d'accueil des demandeurs de protection internationale présentent des défaillances systémiques susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE ») ou de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH »).

Un Etat n'est pas non plus autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 CEDH ou 4 de la Charte UE.

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 30 juillet 2021 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez franchi irrégulièrement la frontière italienne en date du 17 juin 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté …/Erythrée en mars 2018. Vous seriez d'abord resté à Khartoum/Soudan pendant une année avant de vous rendre à Tazirbu/Libye.

Vous y auriez reçu des coups de la part des passeurs qui auraient réclamé de l'argent de votre part. En date du 16 juin 2021, vous seriez monté à bord d'un bateau en direction de l'Italie. En Italie vous auriez été mis en quarantaine et vous auriez quitté le pays quelques jours après.

Vous auriez traversé la France et la Belgique pour arriver au Luxembourg en date du 22 juillet.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 30 juillet 2021, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l'Italie qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous indiquez avoir quitté l'Italie sans y introduire une demande de protection internationale en Italie parce que le Luxembourg aurait toujours été la destination de votre voyage comme votre cousin y habite et que vous auriez entendu « tellement de belles choses sur le Luxembourg » (p. 5 du rapport d'entretien).

Rappelons à cet égard que l'Italie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l'Italie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (cc directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (cc directive Accueil »).

Soulignons en outre que l'Italie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. S'il est notoire que les autorités italiennes connaissent des problèmes quant à leurs capacités d'accueil des demandeurs de protection internationale, qui peuvent être confrontés à d'importantes difficultés sur le plan de l'hébergement et des conditions de vie, il n'y a toutefois aucune sérieuse raison de croire qu'il existe, en Italie, des défaillances systémiques dans la procédure de demandes de protection internationale et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte UE.

Notons dans ce contexte que l'Italie a adopté en date du 21 octobre 2020 le décret n° 130/2020 qui remplace la loi n° 132/2018 du 1er décembre 2018 et met en place le SAI (Sistema di accoglienza e integrazione). Ce nouveau système de protection en matière d'accueil et d'intégration a réformé le système établi en 2018 et permet depuis lors d'améliorer l'accueil pour les demandeurs de protection internationale.

Par conséquent, en l'absence d'une pratique actuelle avérée en Italie de violation systématique de ces normes minimales de l'Union européenne, cet Etat est présumé respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-

refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture, de même que les conditions minimales d'accueil fixées dans la directive Accueil.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l'Italie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Italie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv.

torture.

Relevons dans ce contexte que vous avez la possibilité, dès votre arrivée en Italie, d'introduire une demande de protection internationale et si vous deviez estimer que les autorités italiennes ne respectent pas vos droits élémentaires, il vous appartient de saisir les autorités compétentes italiennes, notamment judiciaires.

Au vu de ce qui précède, l'application de l'article 3(2), alinéa 2, du règlement DIII ne se justifie pas.

Aussi, les informations à ma disposition ne sauraient donner lieu à l'application des articles 8, 9, 10 et 11 du règlement DIII.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers l'Italie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers l'Italie, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie en informant les autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités italiennes n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 31 août 2021.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1), de la même loi, telle que la décision litigieuse, un recours au fond a valablement pu être introduit à l’encontre de celle-ci. Le recours en réformation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes de l’affaire, fait préciser qu’il aurait subi des viols, des actes de torture, de la séquestration et de l'extorsion pendant deux ans et demi dans les camps de migrants de Tazirbu en Libye, de sorte à être devenu une victime du trafic et de la traite des êtres humains, tel que cela ressortirait du récit qu’il aurait confié à une association luxembourgeoise de soutien des demandeurs d’asile.

Ainsi, il aurait été retenu avec 84 personnes dans une cave où on les aurait affamés et torturés par le biais de chocs électriques, jusqu’à ce qu’il aurait réussi à avoir assez d’argent pour payer le voyage. Il explique avoir ensuite été mis dans les mains d'un passeur qui lui aurait infligé des violences sexuelles sous la menace d’une arme, violences dont il n’aurait pas voulu parler. Après avoir été vendu à un troisième passeur et traversé la mer méditerranée, il n’aurait trouvé en Italie aucun soin ni secours.

En droit, le demandeur conclut en premier lieu à une violation de ses droits fondamentaux protégés par l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », et par l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », et ce, au vu de sa vulnérabilité.

A ce titre, il rappelle qu’il serait une victime de la traite des êtres humains en raison des violences sexuelles, des actes de torture, des actes de séquestration et des actes d'extorsion qu'il aurait subis pendant deux ans et demi en Lybie et suite auxquels il serait, à ce jour, lourdement traumatisé. Il affirme qu’il tenterait actuellement d'être pris en charge par un médecin psychiatre au Luxembourg, alors qu’il serait incapable de gérer lui-même les souvenirs de ses traumatismes et la honte y relative, ce qui le laisserait envisager de mettre un terme à ses jours.

Dans ce contexte, le demandeur se base, en outre, sur les articles 21 et 22 de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par la « directive accueil », pour conclure que les Etats membres devraient tenir compte, lors de la transposition de ladite directive, de la situation particulière des personnes vulnérables, telles que les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des maladies graves, les personnes souffrant de troubles mentaux et les personnes ayant subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, ainsi que celles ayant des besoins particuliers en matière d’accueil, et ce pendant toute la durée de la procédure d’asile et ce, même si ces besoins ne deviendraient manifestes qu’à une étape ultérieure de la procédure d’asile.

Ainsi, le demandeur souligne qu’en droit luxembourgeois, l’article 2 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, définirait le demandeur ayant des besoins particuliers comme étant une personne vulnérable conformément à l’article 15 de la même loi, et prévoirait la prise en compte des besoins particuliers dans l’article 16 de la même loi, les obligations y relatives du ministre étant fixées à l’article 19 de la même loi. Il s’appuie encore sur le « Projet d’articles sur l’expulsion des étrangers » de 2014 de la Commission du droit internationale de l’Organisation des Nations Unies pour relever que son article 15 consacrerait la protection des personnes vulnérables faisant l’objet d’une expulsion.

Le demandeur en conclut qu’au vu de son parcours migratoire et de son statut de victime de traite des êtres humains, lequel aurait pour conséquence qu’il serait aujourd'hui lourdement traumatisé, il serait incontestable qu'il devrait être considéré comme étant une personne vulnérable au sens des textes internationaux et nationaux précités.

Le demandeur tient ensuite à souligner que le considérant 11 du règlement Dublin III prévoirait que la directive accueil devrait s’appliquer à la procédure de détermination de l’Etat membre responsable régie par ledit règlement, avant de citer une jurisprudence qu’il qualifie de constante de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après désignée par « la CourEDH », rappelée dans son arrêt du 4 novembre 2014, dans une affaire Tarakhel c/ Suisse, requête 29217/12, selon laquelle l’expulsion d’un demandeur d’asile par un Etat contractant pourrait soulever un problème au regard de l’article 3 de la CEDH, et donc engager la responsabilité de l’Etat en cause, ce qui impliquerait, le cas échant, l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays.

La même position aurait été adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », laquelle aurait retenu, dans un arrêt du 16 février 2018 dans l’affaire C.K. et autres c/ Republika Slovenija, que le transfert de demandeurs d’asile dans le cadre du système du règlement Dublin III pourrait, dans certaines circonstances, être incompatible avec l’interdiction prévue à l’article 4 de la Charte et que les Etats membres seraient liés, dans l’application de celui-ci, par la jurisprudence de la CourEDH relative à l’article 3 de la CEDH.

Il ressortirait, ainsi, des arrêts précités que la vulnérabilité des personnes faisant l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III serait un facteur que les Etats membres devraient prendre en compte dans l’appréciation du risque de subir des traitements prohibés par l’article 3 de la CEDH, respectivement par l’article 4 de la Charte, traitements qui devraient présenter un minimum de gravité appréciée au vu de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime.

En se penchant sur le cas d’une personne dont la vulnérabilité résultait de son état de santé, la CJUE aurait retenu, en application de la jurisprudence de la CourEDH, que la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, pourrait relever de l’article 3 de la CEDH si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement, que celui-ci résulte d’une expulsion ou d’autres mesures, dont les autorités peuvent être tenues pour responsables, et cela, à condition que les souffrances en résultant atteindraient le minimum de gravité requis par cet article. La CJUE aurait rajouté que les autorités de l’Etat membre concerné, y compris ses juridictions seraient tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-

ci.

Le demandeur conclut qu’au vu des développements qui précèdent, et notamment en raison de sa vulnérabilité en tant que victime de la traite des êtres humains, d'actes de tortures et de violences sexuelles et de son état de santé mental lourdement altéré par son passé, il devrait indéniablement faire l'objet d'une prise en charge spécifique et adaptée à sa vulnérabilité et à son état de santé mentale, de sorte que ces facteurs auraient dû être pris en compte dans l’appréciation du risque, qu’en cas de transfert vers l’Italie, il soit soumis à un traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 3 de la CEDH, respectivement par l’article 4 de la Charte, voire à un traitement contraire à l’article 2 de la CEDH et en tout état de cause un traitement contraire à l’article 1 de la Charte.

Quant à l’existence concret d’un tel risque dans son chef, le demandeur rappelle que dans son arrêt Tarakhel c/ Suisse, la CourEDH aurait retenu, que si la structure et la situation générale du dispositif d’accueil en Italie ne constitueraient pas en soi un obstacle à tout renvoi de demandeurs d’asile vers ce pays, il y aurait de sérieux doutes quant aux capacités actuelles du système, de sorte que l’hypothèse d’un nombre significatif de demandeurs d’asile privés d’hébergement ou hébergés dans des structures surpeuplées dans des conditions de promiscuité, voire d’insalubrité ou de violence ne saurait être écartée comme dénuée de tout fondement.

Il relève qu’en raison de sa situation personnelle caractérisée par sa vulnérabilité, son transfert vers l’Italie, où il risquerait de ne pas bénéficier de conditions matérielles d’accueil adaptées à son état de santé, aurait pour conséquence d'être confronté au sans-abrisme pour une durée prolongée et, en tout état de cause, indéterminée, de subir l'absence totale de soutien d'un encadrement médical effectif, ainsi que d'être confronté à la faim et à l'impossibilité d'avoir accès au suivi médical nécessaire à sa survie (suivi psychiatrique et psychologique adapté aux jeunes victimes de traite), ce qui aurait pour conséquences de le plonger dans un état de détresse ultime, lequel aurait sur lui, en raison de sa situation particulière, des conséquences irrémédiables et irréversibles à plus ou moins long terme.

De plus, et tel que la CJUE l'a retenu dans son arrêt Abubacarr Jawo contre Bundesrepublik Deutschland du 19 mars 2019 (Affaire 163/17), l'article 4 de la Charte devrait être interprété en ce sens qu'il ne s'oppose pas à un tel transfert du demandeur de protection internationale, à moins que la juridiction saisie d'un recours contre la décision de transfert ne constate, sur la base d'éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l'Union, la réalité de ce risque pour ce demandeur, en raison du fait que, en cas de transfert, celui-ci se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.

Afin d’établir qu’en sa qualité de victime de traite, de son état de santé mentale et de sa particulière vulnérabilité, il risquerait, en cas d'exécution de la décision de transfert vers la République d'Italie, de se trouver, dans une situation de dénuement matériel extrême, contraire aux articles 1er et 4 de la Charte et 3 de la CEDH, le demandeur s'empare de la récente mise à jour de la publication de l'Organisation Suisse d'Aide aux Réfugiés (OSAR) intitulée « Conditions d'accueil en Italie », rapport initialement publié en janvier 2020 et mis à jour le 10 juin 2021, et dans le cadre de laquelle cette dernière aurait souligné que si le tollé suscité par l'ancien ministre de l'Intérieur italien Matteo Salvini serait retombé, les conséquences de sa politique d'asile imprévoyante et misanthrope continueraient à se faire sentir, même si entre-

temps, quelques-unes de ces modifications auraient déjà été corrigées sur le papier et parfois annulées par le ministre de l’intérieur actuellement en fonctions, étant donné qu’un acte législatif ne pourrait pas rétablir immédiatement le statu quo antérieur.

Ainsi, même si le décret-loi italien n° 130/2020 du 21 octobre 2020, confirmé par la loi n°173/2020 du 18 décembre 2020, aurait annulé de nombreuses restrictions de l'époque Salvini en modifiant notamment les conditions d'adjudication des centres CAS (strutture temporanee) de sorte à ce que la base financière ne serait plus aussi précaire et à ce que les demandeurs d'asile auraient de nouveau accès au système d'accueil de second niveau SAI, le changement n'existerait, jusqu’à présent, que sur le papier alors qu’il n'y aurait pas d'amélioration sensible étant donné que cet élargissement, certes bienvenu, ne changerait rien au manque de places.

Quant aux demandeurs d'asile transférés vers l'Italie en vertu du règlement Dublin III, qui seraient très probablement placés dans un CAS, du fait qu’il n’y aurait pas de nouveaux projets dans le système SAI et que les places disponibles dans l'ancien système SPRAR seraient insuffisantes, le rapport OSAR noterait que de nombreuses organisations de protection des droits des demandeurs d'asile auraient toutefois souligné que l'accès à un CAS ne serait pas toujours garanti pour les demandeurs d'asile transférés vers l'Italie, qui seraient souvent livrés à eux-mêmes à leur arrivée dans les aéroports, de sorte à rester sans aucun hébergement, alors que le risque serait grand pour ces personnes d'avoir perdu le droit à l'hébergement.

Aucun changement ne serait intervenu en ce qui concerne l'accès à la procédure d'asile, de sorte que l'OSAR renverrait, à ce sujet à son rapport de janvier 2020 qui resterait toujours valable, tout en considérant que les temps d'attente seraient plus longs en raison de la pandémie.

L'accès à la procédure d'asile serait très difficile pour les personnes qui, pour diverses raisons, seraient exclues du système d'accueil public ou n'y seraient pas admises, parce que les services de police (Questure), contrairement à ce que prévoirait la loi, exigeraient la preuve d'un logement privé pour procéder à l’enregistrement. Si le décret Salvini, selon lequel les demandeurs d'asile en Italie n'auraient pas la possibilité de demander une résidence, ne serait certes plus en vigueur, ses répercussions se feraient néanmoins encore nettement sentir.

Le demandeur souligne qu’en raison des manquements persistants dans le système d'accueil décrits et des difficultés supplémentaires causées par la pandémie de Covid-19 en Italie, le rapport OSAR maintiendrait ses recommandations de ne pas y renvoyer de manière générale les demandeurs d'asile vulnérables en cas de risque de violation de ses droits de l'homme, alors que les conditions d'accueil resteraient très précaires, sauf s'il était possible de déterminer en détail et au cas par cas par l’obtention des autorités italiennes d’une garantie individuelle que l'hébergement de la personne pourrait être garanti en dehors d'un hébergement d'urgence, tout en relevant que faute de garanties d'hébergement, les personnes touchées seraient confrontées à des difficultés matérielles extrêmes, aggravées par la pandémie de Covid-19 et la mauvaise situation économique générale de l'Italie.

Au vu de ces considérations, le demandeur conclut que, malgré le changement politique et législatif intervenu en Italie, la situation des demandeurs de protection internationale, notamment ceux faisant l’objet de l'exécution d'une décision de transfert à destination de l'Italie dans le cadre d'une procédure Dublin, resterait à ce jour inchangée, alors que les conditions d'accueil offertes par l'Italie aux demandeurs de protection internationale n'atteindraient pas les minimas requis par les textes communautaires applicables en la matière.

Il estime dès lors qu’il serait confronté à une situation de dénuement extrême en cas de transfert vers la République d'Italie au vu de la probabilité très élevée qu'il n'y aurait pas accès à un logement et une prise en charge conforme à son état de vulnérabilité et à son état de santé mentale, ce qui aurait pour effet de dégrader son état sans qu’il ne puisse se soustraire à cette situation de désœuvrement extrême pour une durée indéterminée.

Le demandeur en conclut que de tels traitements devraient être qualifiés de contraires aux articles 2 (droit à la vie) et 3 (droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants) de la CEDH, en rappelant que la CourEDH aurait relevé dans l'affaire Tarakhel cl Suisse, précitée, qu'il ne serait pas exclu que la responsabilité d’un Etat puisse être engagée par un traitement dans le cadre duquel un requérant totalement dépendant de l'aide publique serait confronté à l'indifférence des autorités alors qu'il se trouverait dans une situation de privation ou de manque à ce point grave qu'elle serait incompatible avec la dignité humaine.

De plus, la situation de crise sanitaire mondiale liée à la lutte contre la propagation du coronavirus, laquelle aurait particulièrement affectée l'Italie, serait indéniablement de nature à aggraver la situation des migrants en Italie.

Finalement, dans le même contexte, le demandeur fait encore relever qu'il ressortirait de la jurisprudence précitée des juridictions européennes qu'il ne pourrait être procédé au transfert de personnes vulnérables que dans des conditions excluant qu'un tel transfert entraînerait un risque réel qu'elles subiraient des traitements prohibés par l'article 3 de la CEDH et par l'article 4 de la Charte et qu’à ce titre, la CourEDH imposerait aux Etats membres d'obtenir des autorités italiennes des garanties individuelles concernant les besoins particuliers des personnes vulnérables.

La CJUE, de son côté, aurait conclu, dans l'affaire précitée C.K. et autres contre Republika Slovenija, que même en l'absence de raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques dans l'État membre responsable de l'examen de la demande d'asile, le transfert d'un demandeur d'asile dans le cadre du règlement Dublin Ill ne pourrait être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l'intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article et ce, non seulement pour des familles avec enfants.

Or, à ce jour, aucune garantie individuelle n'aurait été demandée aux autorités italiennes, ni a fortiori obtenue de la part de ces dernières quant à ses besoins de base en tant que personne vulnérable et victime de la traite des êtres humains, notamment en termes d'accès à un logement et à une prise en charge médicale, de sorte que la décision entreprise devrait être réformée.

A titre subsidiaire, le demandeur estime, après avoir cité le considérant 5, ainsi que les articles 3, paragraphe (1), 13, 18, 21, paragraphe (1), 22, paragraphes (1) et (7) et 26 du règlement Dublin III, de même que les articles 3 et 51 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présenté dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, tel que modifiée par le Règlement d’exécution (UE) n° 118/2004 de la Commission du 30 janvier 2013 modifiant le règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers, ci-après désigné par « le règlement d’exécution », que, contrairement à l’affirmation du ministre, les autorités italiennes auraient donné une réponse négative à la demande de prise en charge des autorités luxembourgeoises et ce « sans aucun doute ou aucune confusion possible », de sorte qu’au de cette réponse négative de la part des autorités italiennes, il aurait appartenu au ministre soit de se déclarer responsable de l’examen de la demande de protection internationale, soit, conformément à l’article 5, paragraphe (2) du règlement d’exécution, de mettre en œuvre, endéans le délai de trois semaines suivant la réception de la réponse négative, la procédure additionnelle facultative de réexamen de sa requête aux fins de prise en charge en sollicitant un réexamen de sa requête auprès des autorités italiennes.

A défaut par le ministre d’avoir mis en œuvre cette procédure additionnelle facultative de réexamen, la procédure de détermination de l’Etat membre responsable serait close et la responsabilité incomberait, à défaut d’acceptation de la part de l’Etat membre requis, aux autorités nationales.

Le demandeur invoque à cet égard un arrêt de la CJUE, du 13 novembre 2018, dans les affaires C-47/17 et C-48/17, en faisant valoir qu’à défaut par le ministre d’avoir introduit une demande de réexamen, la procédure de détermination de l’Etat membre responsable serait close et les autorités luxembourgeoises seraient, à l’issue du délai impératif de trois semaines, responsables de l’examen de la demande de protection internationale. Il rappelle qu’il serait 1 Article 5 du règlement d’exécution : « 1. Lorsque, après vérification, l'État membre requis estime que les éléments soumis ne permettent pas de conclure à sa responsabilité, la réponse négative qu'il envoie à l'État membre requérant est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus.

2. Lorsque l'État membre requérant estime que le refus qui lui est opposé repose sur une erreur d'appréciation ou lorsqu'il dispose d'éléments complémentaires à faire valoir, il lui est possible de solliciter un réexamen de sa requête. Cette faculté doit être exercée dans les trois semaines qui suivent la réception de la réponse négative.

L'État membre requis s'efforce de répondre dans les deux semaines. En tout état de cause, cette procédure additionnelle ne rouvre pas les délais prévus à l'article 18, paragraphes 1 et 6, et à l'article 20, paragraphe 1, point b), du règlement (CE) no 343/2003. » incontestable que les autorités italiennes auraient donné une réponse négative à la demande de prise en charge des autorités luxembourgeoises en précisant « En ce qui concerne ces cas nous ne donnons [pas] notre accord ».

Le demandeur soutient encore qu’au-delà du caractère négatif de la réponse des autorités italiennes, leur réponse ne ferait par ailleurs pas état des mentions reprises à l’article 6 du règlement Dublin III, voire des informations quant à l’organisation ultérieure d’un transfert avec l’indication d’un aéroport ou des coordonnées du service ou de la personne à contacter.

Pour autant que le tribunal douterait de la réponse négative des autorités italiennes à la suite de laquelle les autorités luxembourgeoises auraient pris le choix de ne pas solliciter le réexamen de leur requête aux fins de prise en charge dans le délai de trois semaines, le demandeur demande au tribunal de saisir la CJUE de la question préjudicielle suivante :

« Le contenu d'une réponse positive adressée par les autorités de l'Etat membre requis aux termes d'une requête aux fins de prise en charge doit-il être strictement conforme aux modalités fixées par l'article 6 du Règlement (CE) No 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d'application du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers, tel que modifié par le Règlement d'exécution (UE) No 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) no 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande d'asile présentée dans l'un des États membres par un ressortissant d'un pays tiers ? ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours sous analyse.

Le tribunal n'est pas tenu de suivre l'ordre dans lequel les moyens sont présentés par une partie demanderesse mais, dans l'intérêt d’une bonne administration de la justice, sinon de la logique inhérente aux éléments de fait et de droit touchés par les moyens soulevés, peut les traiter suivant un ordre différent2.

Le tribunal relève d’abord que l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection 2 trib. adm. 21 novembre 2001, n° 12921 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 479 et les autres références y citées.

internationale introduite au Luxembourg.

L’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III sur le fondement duquel la décision litigieuse a été également prise dispose, quant à lui, que « Lorsqu’il est établi, sur la base de preuves ou d’indices tels qu’ils figurent dans les deux listes mentionnées à l’article 22, paragraphe 3, du présent règlement, notamment des données visées au règlement (UE) n° 603/2013, que le demandeur a franchi irrégulièrement, par voie terrestre, maritime ou aérienne, la frontière d’un État membre dans lequel il est entré en venant d’un État tiers, cet État membre est responsable de l’examen de la demande de protection internationale. Cette responsabilité prend fin douze mois après la date du franchissement irrégulier de la frontière».

Il est constant en l’espèce que la décision litigieuse a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif que ce ne serait pas le Luxembourg qui serait compétent pour le traitement de la demande de protection internationale présentée par Monsieur …, mais l’Italie, pays dont les frontières ont été irrégulièrement franchies par ce dernier en date du 17 juin 2021.

Il échet de constater que les parties sont en désaccord concernant la portée du courrier des autorités italiennes du 5 août 2021, le demandeur soutenant que la phrase « nous ne donnons notre accord en considération aussi que d habitude il s agit des personne qui ne sont pas intéréssées à rester en Italie et a demander l asile dans notre pays » serait à interpréter comme un refus de prise en charge, alors que le délégué du gouvernement estime qu’au regard de la phrase finale « Il faut quand meme prevenir au cas de transfert », il faudrait nécessairement conclure à un accord de prise en charge par les autorités italiennes.

Force est au tribunal de retenir que s’il est vrai que la réponse des autorités italiennes ne correspond pas tout à fait aux formalités de l’article 6 du règlement d’exécution et même si les termes utilisés dans le courrier du 5 août 2021 sont quelque peu confus en raison d’un emploi approximatif de la langue française, il ne peut être déduit ni de ce courrier ni d’aucun autre élément du dossier administratif que l’Italie aurait expressément refusé de prendre en charge l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur ….

En effet, selon l’article 5 du règlement d’exécution aux termes duquel « 1. Lorsque, après vérification, l'État membre requis estime que les éléments soumis ne permettent pas de conclure à sa responsabilité, la réponse négative qu'il envoie à l'État membre requérant est pleinement motivée et explique en détail les raisons du refus. (…) ».

Ainsi, s’il découle certes du courrier du 5 août 2021 des autorités italiennes que « nous ne donnons notre accord en considération aussi que d habitude il s agit des personne qui ne sont pas intéréssées à rester en Italie », outre le constat que ce bout de phrase ne saurait clairement pas être interprété comme un refus catégorique, il n’en reste pas moins que les autorités italiennes, dans le même courrier, sont pleinement conscientes de leur responsabilité dans l'affaire en cause en confirmant les renseignements résultant de la base de données EURODAC, selon lesquels le demandeur a fait l'objet d'une « entrée illégale à Agrigente à la date du 18.6. 2021 », sans que de dernier n’ait fait « l objet d aucun titre de séjour, permis visa ou demande d asile » ; estimant qu’« il est fort probable qu’il quitta le centre d accueil pour étrangers sans permission sans formaliser aucune demande d asile », de sorte à faire implicitement référence à l’article 13, paragraphe 1 du règlement Dublin III, sur base duquel la demande de prise en charge avait été formulée.

Si les autorités italiennes expriment ensuite leur inquiétude selon laquelle le demandeur risque de ne pas être intéressé à formaliser sa demande de protection internationale en Italie, elles terminent néanmoins leur courrier en demandant expressément aux autorités luxembourgeoises de les prévenir dès la concrétisation du transfert en précisant « Il faut quand meme prevenir au cas de transfert ».

Il s’ensuit que le courrier précité du 5 août 2021 ne saurait être interprété comme un refus de la part des autorités italiennes d’accepter leur responsabilité, tel que prévu à l’article 5 du règlement d’exécution, alors même qu’il ne contient pas tous les éléments prévus par l’article 6 du même règlement d’exécution, étant relevé que les modalités fixées dans le règlement d’exécution sont destinées à faciliter la coopération entre les autorités des Etats membres lors de l’application du règlement Dublin III3, de sorte qu’une réponse de l’Etat membre responsable ne concordant pas dans tous les points avec l’article 6 du règlement d’exécution ne saurait conduire ipso facto à une annulation de la décision de transfert, si, tel qu’en l’espèce, l’accord expresse de l’Etat membre requis peut encore être déduit d’autres éléments, comme en l’espèce.

Au vu de ce qui précède, il doit être retenu que les autorités italiennes ont accepté la prise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 13, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers l’Italie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale déposée au Luxembourg.

Ainsi, le moyen subsidiaire ayant trait à une violation du considérant 5, ainsi que des articles 3, paragraphe (1), 13, 18, 21, paragraphe (1), 22, paragraphes (1) et (7) et 26 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 et 5 du règlement d’exécution est partant à rejeter pour manquer en fait.

Pour les mêmes raisons, la demande tendant à saisir la CJUE d’une question préjudicielle concernant le respect de l’article 6 du règlement d’exécution est à rejeter.

En ce qui concerne le moyen tenant à une violation des article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, il y a d’abord lieu de relever que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, implicitement invoqué par la partie demanderesse vu sa mise en cause des capacités d’accueil de l’Italie, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, non invoqué en l’espèce, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III dispose que « Lorsqu’il est 3 Considérant (1) du préambule du règlement d’exécution.

impossible de transférer un demandeur vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable.

Lorsqu’il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable devient l’État membre responsable. ».

Cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH, respectivement de l’article 4 de la Charte.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé.

S’agissant de prime abord des obligations découlant pour le ministre de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal relève que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5,6. Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur d’asile de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées7.

4 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

5 Ibidem, point. 79.

6 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur : www.jurad.etat.lu 7 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile8, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il y existe des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que ces défaillances systémiques requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

En effet, le tribunal relève encore que suivant la jurisprudence des juridictions administratives9, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE10, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans un arrêt du 16 février 201711.

Quant à la preuve à rapporter par le demandeur à l’appui de son moyen tiré de la violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, le tribunal précise qu’il se dégage de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 201912 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel ladite disposition du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine13. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant14.

Etant donné que le demandeur remet en question cette présomption du respect des droits 8 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

9 Trib. adm. 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur : www.jurad.etat.lu 10 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

11 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

12 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, point 91.

13 Ibidem., point 92.

14 Ibidem., point 93.

fondamentaux par l’Italie, en affirmant risquer des traitements inhumains et dégradants en cas de transfert vers ledit pays, il lui appartient de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

En l’espèce, il est certes exact qu’il ressort des articles et rapports invoqués par le demandeur, tels qu’énumérés ci-avant dans le cadre de l’exposé de ses moyens, que les autorités italiennes connaissent toujours certains problèmes quant à leur capacité d’accueil des demandeurs d’asile, ce qui implique que ceux-ci risquent de se voir confrontés à des difficultés plus ou moins importantes suivant le cas de figure dans lequel ils se trouvent au niveau de l’accès à l’hébergement, aux soins et des conditions de vie en général, il ressort néanmoins également du rapport OSAR précité ainsi que des développements non contestés du délégué du gouvernement que depuis octobre 2020, l’Italie est revenu sur le durcissement récent de sa politique migratoire sous l’ère « Salvini », par le décret-loi de l’actuel ministre de l’intérieur italien ayant rapporté de nombreuses restrictions dans le cadre de l’accueil des demandeurs de protection internationale, notamment par la possibilité d'utiliser à nouveau des centres d'accueil plus petits pour héberger les demandeurs d'asile, ainsi que par la possibilité pour les demandeurs d'asile de s'inscrire sur les registres de l'état civil et donc de posséder un domicile légal leur permettant de bénéficier des prestations sanitaires ou d'ouvrir un compte en banque.

Si d’après les observations du rapport OSAR, ce retour à la normale prend un certain temps avant de porter des fruits sur le terrain, force est de constater que ce constat est insuffisant pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Italie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 3 de la CEDH et par l’article 4 de la Charte.

Le tribunal tient encore à relever que le demandeur n’invoque aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers l’Italie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Le demandeur ne fait pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers l’Italie de ressortissants erythréens dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile italienne qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Par ailleurs, même s’il ressort des considérations du rapport OSAR, tels qu’invoquées par le demandeur, que la situation des demandeurs de protection internationale en Italie n’est pas encore tout à fait retournée à la normale, il y a cependant lieu de constater qu’aucun indice sérieux n’indique que sa procédure d’asile n’y serait pas conduite conformément aux normes imposées par la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

Force est dès lors de constater qu’en l’espèce, le demandeur, qui n’avait pas encore déposé de demande de protection internationale en Italie avant de venir au Luxembourg, n’apporte aucun élément concret de nature à établir qu’il risquerait personnellement des mauvais traitements en cas de retour en Italie. En effet, il n’établit pas que, personnellement et concrètement, ses droits ne seraient pas garantis en Italie, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale transférés en Italie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ces derniers n’auraient en Italie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, étant encore relevé que la Italie est signataire de la Charte, de la CEDH et de la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés -

comprenant le principe de non-refoulement y inscrit à l’article 33 - ainsi que du Protocole additionnel du 31 janvier 1967 relatif aux réfugiés et, à ce titre, devrait en appliquer les dispositions.

Ainsi, le demandeur est resté en défaut d’avancer des raisons concrètes permettant de penser que les autorités italiennes n’analyseraient pas correctement sa demande de protection internationale et qu’il n’aurait pas accès à la justice italienne pour, le cas échéant, faire valoir ses droits, que ce soit en relation avec la décision sur sa demande de protection internationale ou avec son accès aux conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale.

Finalement, et en ce qui concerne le risque mis en avant par le rapport OSAR d’un retrait du droit à un hébergement en cas de retour en Italie, force est de constater qu’il ne ressort ni du dossier administratif ni des déclarations du demandeur qu’il ferait l’objet d’un tel retrait en Italie, alors qu’il est constant qu’il n’y avait pas encore déposé de demande de protection internationale, de sorte qu’il ne saurait d’ores et déjà être reproché auxdites autorités, dans le cadre de leurs obligations découlant la directive accueil, de ne pas mettre à sa disposition un logement ou un hébergement.

Au vu de ce qui précède, le moyen du demandeur basé sur l’existence de défaillances systémiques en Italie au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III entrainant une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est rejeté.

Néanmoins, dans ce cadre, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Il échet dès lors d’analyser le moyen du demandeur tiré de la violation par le ministre de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte pris isolément.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’État membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du 15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

Le transfert d’un demandeur de protection internationale par le Grand-Duché de Luxembourg vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en application du règlement Dublin III ne pourrait constituer une violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte, qu’à la condition que l’intéressé démontre qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’il encourt un risque réel de subir la torture ou des traitements inhumains ou dégradants dans cet Etat.

Il appartient dès lors au tribunal de procéder à la vérification de l’existence d’un risque de mauvais traitement qui doit atteindre un seuil minimal de sévérité, l’examen de ce seuil minimum étant relatif et dépendant des circonstances concrètes du cas d’espèce, tels que la durée du traitement et ses conséquences physiques et mentales et, dans certains cas, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de l’intéressé18.

A cet égard, il convient de prime abord de relever qu’alors même qu’il n’en ait jamais fait mention à son arrivé au Luxembourg, ni devant la police grand-ducale, ni au cours de son audition, dans le cadre de laquelle il affirme, au contraire, que son état de santé serait « Bon », malgré le fait qu’il se serait fait « tabasser (principalement sur le dos avec un tuyeau en caoutchouc) [sans en avoir] gardé de cicatrices », mais « jamais été brûlé, ni électrocuté », le demandeur fait plaider, dans le cadre de sa requête introductive d’instance, qu’il devrait être considéré comme une personne vulnérable au sens de l’article 2 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, tout en versant, en date du 28 septembre 2021, un certificat médical du docteur M.G. datant du 23 septembre 2021, constatant, sur base d’un examen réalisé le même jour, que le demandeur souffre d’un état de stress post-traumatique et d’un épisode dépressif sévère, faisant état de traumatismes physiques, psychologiques et sexuels atroces subis en Libye, de sorte qu’il serait instable sur le plan émotionnel et qu’il risquerait de se suicider, un transfert en Italie risquant de le déstabiliser encore davantage et de l’exposer à un risque suicidaire majeur.

S’il ne peut pas être reproché au ministre de ne pas avoir pris en compte un tel état de vulnérabilité dans le cadre de sa décision et de ne pas s’être préalablement assuré auprès des autorités italiennes qu’en cas de transfert, le demandeur aurait accès aux soins médicaux dont il aurait besoin, alors qu’il n’en est fait mention que depuis le dépôt du recours, force est de relever que l’analyse de la légalité et de l’opportunité d’une décision administrative s’apprécie, dans le cadre d’un recours en réformation, en considération de la situation de droit et de fait prévalant au jour où le tribunal statue.

16 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 65 et 96.

17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

18 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n°29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09.

Or, si le certificat médical en question est certes de nature à objectiver l’état de santé mis en avant par le demandeur, force est néanmoins de constater, à l’instar des développements non contestés du délégué du gouvernement sur ce point, qu’il ne ressort pas dudit certificat médical, ni d’un autre élément du dossier administratif, que le demandeur se serait trouvé, respectivement se trouverait actuellement sous un traitement médical s’opposant à un transfert en Italie, étant relevé que le demandeur se trouve au Luxembourg depuis juillet 2021, sans jamais avoir sollicité de l’aide par rapport à ses problèmes psychiques, alors que l’origine des traumatismes est bien antérieure.

Dans ce contexte, et au regard des conclusions retenues ci-avant au sujet des conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Italie, le demandeur laisse d’établir qu’il n’aurait pas accès, le cas échéant, à des soins en Italie, respectivement qu’il ne puisse pas y faire valoir ses droits y relatifs, d’autant plus que le demandeur reste en défaut non seulement d’expliquer quels seraient concrètement ses besoins, mais également de démontrer que l’absence d’une prise en charge desdits besoins serait telle qu’elle entraînerait une violation de l’article 3 de la CEDH, respectivement 4 de la Charte.

Cette conclusion n’est pas énervée par la situation sanitaire liée à la pandémie du COVID-19, étant donné qu’il n’est pas établi en l’espèce que la situation sanitaire en Italie serait actuellement à ce point grave qu’un transfert vers ce pays emporterait de ce seul fait un risque de violation de l’article 3 de la CEDH ou 4 de la Charte.

Il s’ensuit que le ministre n’était pas, et n’est d’ailleurs toujours pas, confronté à des éléments suffisants qui lui auraient imposé de s’assurer auprès des autorités italiennes des conditions d’accès aux soins médicaux du demandeur au-delà, le cas échéant, de la prise en compte de son état de santé lors de l'organisation du transfert vers l'Italie notamment par l’information des autorités italiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 octobre 2021 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Michèle Stoffel, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 octobre 2021 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46462
Date de la décision : 15/10/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-10-15;46462 ?

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