La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

15/10/2021 | LUXEMBOURG | N°46473

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 octobre 2021, 46473


Tribunal administratif N° 46473 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2021 Audience publique du 15 octobre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46473 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2019 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour,

inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …...

Tribunal administratif N° 46473 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 septembre 2021 Audience publique du 15 octobre 2021 Recours formé par Monsieur …, …, contre trois décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46473 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2019 par Maître Louis Tinti, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 8 septembre 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, à la réformation de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 6 octobre 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Vu la circulaire du président du tribunal administratif du 22 mai 2020 portant notamment sur la présence physique des représentants des parties au cours des plaidoiries relatives à des affaires régies par des procédures écrites ;

Vu la communication du 21 septembre 2021 de Maître Louis Tinti suivant laquelle il marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Vu la communication du 12 octobre 2021 de Madame le délégué du gouvernement Stéphanie Linster suivant laquelle elle marque son accord à ce que l’affaire soit prise en délibéré sans sa présence ;

Le soussigné entendu en son rapport à l’audience publique du 12 octobre 2021, les parties étant excusées.

Le 27 août 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après reprise par les termes « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au 1Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée-police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Les 1er septembre 2021, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 8 septembre 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé envoyé le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », résuma les déclarations de Monsieur … comme suit :

« (…) En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 27 août 2021 ainsi que le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 27 août 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être de nationalité albanaise, d'ethnie albanaise, de confession musulmane et avoir vécu à … en Albanie.

Il ressort de votre rapport d'entretien, que vous auriez quitté l'Albanie pour cause de conflits familiaux, plus particulièrement des conflits avec votre grand-père paternel. Vous déclarez que ces conflits auraient commencé alors que votre grand-père aurait été violent avec votre mère et que vous auriez été violent en retour avec votre grand-père, afin de la protéger. Depuis décembre 2020, votre grand-père aurait habité chez vous en cas de besoin, suite à des problèmes dans son village mais aussi à cause de la pandémie liée au Covid-19.

Suite à cette confrontation, vous l'auriez jeté dehors et votre grand-père aurait donc décidé de porter plainte contre vous. Votre grand-père vous aurait accusé de l'avoir frappé et menacé. Ensuite, le 17 juin 2021 votre mère et vous auriez décidé de porter plainte à votre tour contre de votre grand-père.

Début juillet 2021, l'audience aurait eu lieu, laquelle le juge vous aurait déclaré innocent. Vous rajoutez que malgré ce jugement, votre grand-père aurait continué à vous menacer « Il m'a dit qu'il allait me tuer, selon la loi du Kanun, il est capable de me tuer » (p.4 du rapport). Vous déclarez que les menaces auraient été faites pendant l'audience en présence de la police. Votre grand-père aurait ainsi dit à votre père « soit je le tue, soit je ne suis pas tranquille » (p.4 du rapport).

Vous précisez que votre grand-père serait capable de vous tuer car il aurait le soutien de sa famille, à savoir ses sœurs et cousins et que ces membres de la famille vous auraient à l'œil.

Enfin, vous auriez décidé de ne pas vous adresser de nouveau à la police albanaise parce qu'il s'agissait de votre grand-père paternel et vous auriez voulu éviter que votre père ait des problèmes et donc vous auriez décidé après avoir été enfermé pendant un mois, de quitter l'Albanie.

Vous avez à la même occasion, déclaré que vous auriez quitté l'Albanie le 16 juillet 2021 avec l'intention de demander une protection internationale en Angleterre parce que vous craindriez pour votre sécurité en Albanie. Dans l'impossibilité de vous rendre en Angleterre, vous auriez décidé de déposer une demande de protection internationale au Luxembourg par commodité. Des personnes vous auraient conseillé de faire une demande de 2protection internationale au Luxembourg et ne pas en France, car le Luxembourg aurait de meilleures conditions pour les protections internationales.

Vous ne présentez pas de documents à l'appui de vos dires. Vous présentez uniquement une copie de votre carte d'identité albanaise. (…) ».

Le ministre informa Monsieur … qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande avait été refusée comme non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le ministre motiva ses décisions par le fait que Monsieur … serait de nationalité albanaise et qu’en vertu de l'article 30 de la loi du 18 décembre 2015 et du règlement grand-

ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d'origine sûrs au sens de la loi précitée, l'Albanie devrait être considérée comme pays d'origine sûr où il n'existerait pas, généralement et de façon constante de persécution au sens de la Convention de Genève, constat qui ne serait pas contredit par l'examen individuel de sa demande de protection internationale. A ce titre, le ministre releva, outre l’existence, en Albanie, d’un service de contrôle interne relèvant du ministre de l'intérieur responsable pour les plaintes contre les forces de l’ordre, ainsi que de l'institution « Ombudsman », que l’Albanie aurait le statut de candidat à l'adhésion à l'Union Européenne depuis juin 2014.

Le ministre estima ensuite que Monsieur … n’aurait soulevé que des questions sans pertinence au regard de l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale, du fait que les faits invoqués ne seraient aucunement liés aux motifs de fond définis dans la Convention de Genève, à savoir des motifs liés à sa race, sa nationalité, sa religion, ses convictions religieuses ou son appartenance à un certain groupe social, mais que le conflit qui l’opposerait à son grand-père trouverait son origine dans un conflit familial. Il en serait de même des idées de vengeance de son grand-père, suite à l’acquittement de Monsieur … par rapport à la plainte déposée contre lui.

En tout état de cause, un défaut de protection de la part des autorités du pays d'origine contre les menaces de son grand-père ne serait pas établi.

Le ministre rajouta que contrairement à ce que l’on pourrait s’attendre d'une personne réellement persécutée ou à risque d'être persécutée et en réel besoin d'une protection qui chercherait à déposer une demande de protection internationale dans le premier pays sûr traversé et ceci dans le plus bref délai, Monsieur … aurait voyagé clandestinement à travers plusieurs pays de l'Union européenne, sans jamais rechercher une forme quelconque de protection, tout en introduisant une telle demande au Luxembourg, par pure commodité, suite à l’échec de son départ vers l’Angleterre, constat qui prouverait que les problèmes invoqués ne seraient pas si graves.

Le ministre souligna encore, dans ce contexte, que les dettes de sang seraient sévèrement réprimées par le Code pénal albanais, de même que les autorités albanaises auraient mis en place les démarches en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence afin de pouvoir offrir une protection appropriée, menant le vice-ministre des affaires internes à affirmer que ledit phénomène serait largement sous contrôle, de sorte que 3l’affirmation de Monsieur … de ne pas avoir pu déposer une plainte y relative ne serait pas convaincante surtout au regard de sa propre expérience positive devant la justice albanaise.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 16 septembre 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 8 septembre 2021 de statuer sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, de la décision ministérielle du même jour portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions du ministre de statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale prises dans ce cadre et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé dans ce contexte, et attribue compétence au président de chambre ou au juge qui le remplace pour connaître de ce recours, le soussigné est compétent pour connaître des recours en réformation dirigés contre les décisions du ministre du 8 septembre 2021, telles que déférées.

Lesdits recours ayant encore été introduits dans les formes et délai de la loi, ils sont à déclarer recevables.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être de nationalité albanaise et de confession musulmane et avoir quitté son pays d'origine en raison des problèmes qui l'auraient opposé à son grand-père lesquels s'inscriraient dans le contexte particulier du Kanun.

Il expose qu’il aurait frappé son grand-père en raison du comportement violent respectivement irrespectueux de ce dernier à l'égard de sa mère.

Alors qu’il aurait été acquitté en justice à la suite d’une plainte y relative déposée par son grand-père, ce dernier l’aurait menacé de mort à l’audience même du prononcé du jugement.

Le demandeur donne à considérer que depuis ce jour, il aurait décidé de rester enfermé avant de quitter son pays d’origine pour de bon, alors qu’en application du Kanun, selon lequel il serait irrespectueux de frapper une personne âgée, les sœurs et cousins de son grand-

père ne l’auraient plus laissé tranquille.

Il estime ne pas pouvoir obtenir une protection suffisante de la part des autorités en place du fait que la police ne pourrait pas faire grand-chose, vu que son grand-père suivrait les règles du Kanun et non pas les lois de l'Etat.

En droit et après avoir cité l'article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur souligne que les faits à la base de sa demande de protection internationale s'inscriraient dans le contexte du Kanun, phénomène qui persisterait en Albanie.

Dans ce contexte, il cite un article intitulé « Albanie, la pratique du kanun toujours d'actualité », suivant lequel le « Comité de réconciliation nationale », organisation non gouvernementale albanaise, estimerait que depuis la chute du communisme en 1990 jusqu'à 4nos jours, plus de 20 000 familles auraient été victimes de vendetta et 6000 personnes auraient été tuées du fait de vendettas, même si, dernièrement, le nombre de morts liés à la vendetta serait en diminution.

Ainsi, la plupart des articles de presse parus récemment sur le sujet évoqueraient toujours la situation de personnes enfermées ou forcées de fuir ainsi que l’émergence de formes modernes de la vendetta qui se situeraient bien loin des traditions ancestrales, prenant notamment pour cibles les femmes et les enfants. De même, la vengeance du sang ne serait pas considérée comme une sanction pour un assassinat, mais comme une satisfaction pour l'honneur personnel ou familial souillé.

S'agissant de l'ampleur du phénomène à l'heure actuelle, le demandeur renvoie au rapport déposé par le « Home Office Canadien » en 2018 qui ferait état d'importants progrès ces dernières années dans la lutte contre ce phénomène tout en soulignant néanmoins la fragilité particulière de la situation des personnes se retrouvant obligées de s'enfermer dans leur maison.

Quant à sa situation particulière, le demandeur fait plaider que ce serait à tort que l'autorité ministérielle aurait estimé que les faits qu’il aurait exposés ne seraient aucunement liés aux motifs de fond définis dans la Convention de Genève et qu’un défaut de protection de la part des autorités du pays d'origine ne serait pas établi, alors que la menace de mort de la part de son grand-père relèverait d'une gravité suffisante pour tomber dans le champ d'application de l'article 42 de la loi du 18 décembre 2015, de même qu’il serait incontestable que ces menaces seraient motivées par son appartenance à un groupe social des personnes victimes de la loi du Kanun, tel que cela aurait déjà été retenu dans une affaire similaire par la tribunal administratif du 4 mars 2013, inscrit sous le numéro 32139 du rôle, le demandeur relevant finalement que les autorités albanaises ne seraient pas en mesure de lui apporter une protection suffisante contre la menace dont il serait victime, et ce, même si la situation se serait améliorée ces dernières années. En effet, en l’espèce, il ne serait pas en mesure de trouver une protection autrement qu'en restant enfermé chez lui, alors que son grand-père aurait l'appui des membres de la famille et plus précisément de ses cousins.

Finalement, le demandeur souligne qu'il n'existerait aucune bonne raison de penser que les faits qu’il aurait subis ne se reproduiront pas en cas de retour en Albanie.

A titre subsidiaire, le demandeur estime qu’il remplirait, en tout état de cause, les conditions d’octroi de la protection subsidiaire, alors que les menaces qu’il aurait subies seraient à assimiler à un traitement inhumain et dégradant du fait qu’il devrait vivre reclus dans un état d’angoisse aigue.

Quant à la définition des critères d’application de la protection subsidiaire, le demandeur se réfère à l’« Affaire grecque » dans le cadre de laquelle la « Commission européenne » aurait retenu que les traitements considérés comme dégradants seraient ceux qui humilient gravement la personne aux yeux d’autrui ou l’incitent à agir contre sa volonté ou sa conscience, ainsi qu’à l’affaire Irlande contre Royaume Uni, dans le cadre de la laquelle la Cour de Justice de l’Union Européenne, dénommée ci-après « la CJUE », aurait retenu qu’un traitement infligé devrait, pour pouvoir être qualifié de torture, causer de « forts graves et cruelles souffrances » au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », de même qu’à une affaire « Selmouni c/ France », dans le cadre de laquelle la CJUE se serait réservée une certaine souplesse dans l’examen des actes illicites en fonction du 5niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

En dernier lieu et quant à l'ordre de quitter le territoire, le demandeur invoque le principe du non refoulement tel que consigné dans l’article 33 de la Convention de Genève, repris en droit interne luxembourgeois au travers de l'article 54, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte qu’en conséquence de la reconnaissance, dans son chef, d’un statut de protection internationale, l'ordre de quitter le territoire serait à réformer.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, pris en son triple volet.

Aux termes de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « Contre la décision du ministre de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée et de la décision de refus de la demande de protection internationale prise dans ce cadre, de même que contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Le recours contre ces trois décisions doit faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Il doit être introduit dans un délai de quinze jours à partir de la notification.

Le président de chambre ou le juge qui le remplace statue dans le mois de l’introduction de la requête. Ce délai est suspendu entre le 16 juillet et le 15 septembre, sans préjudice de la faculté du juge de statuer dans un délai plus rapproché. Il ne peut y avoir plus d’un mémoire de la part de chaque partie, y compris la requête introductive. La décision du président de chambre ou du juge qui le remplace n’est pas susceptible d’appel.

Si le président de chambre ou le juge qui le remplace estime que le recours est manifestement infondé, il déboute le demandeur de sa demande de protection internationale.

Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant le tribunal administratif pour y statuer ».

Il ressort de cette disposition qu’il appartient au magistrat, siégeant en tant que juge unique, d’apprécier si le recours est manifestement infondé. Dans la négative, le recours est renvoyé devant le tribunal administratif siégeant en composition collégiale pour y statuer.

Le soussigné constate de prime abord que ni le texte légal ni d’ailleurs les travaux parlementaires afférents ne contiennent de définition de ce qu’il convient d’entendre par « recours manifestement infondé ».

Il appartient dès lors au soussigné, saisi d’un recours basé sur la disposition légale citée ci-avant, de définir ce qu’il convient d’entendre par un recours « manifestement infondé » et de déterminer, en conséquence, la portée de sa propre analyse.

Il convient de prime abord de relever que l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que l’affaire est renvoyée ou non devant le tribunal administratif selon que le recours est ou n’est pas manifestement infondé. Comme le législateur s’est référé au « recours », c’est-à-dire au recours contentieux, en d’autres termes à la requête introductive d’instance, et non pas à la demande de protection internationale en tant que telle, la notion de « manifestement infondé » est à apprécier par rapport aux moyens présentés à l’appui du recours, englobant toutefois nécessairement le récit du demandeur tel qu’il a été présenté à l’appui de sa demande et consigné dans le cadre de son rapport d’audition.

Le recours est à qualifier de manifestement infondé si le rejet des différents moyens 6invoqués à son appui s’impose de manière évidente. En d’autres termes, le magistrat siégeant en tant que juge unique ne doit pas ressentir le moindre doute que les critiques soulevées par le demandeur à l’encontre des décisions déférées sont visiblement dénuées de tout fondement.

Dans cet ordre d’idées, il convient d’ajouter que dans l’hypothèse où un recours s’avère ne pas être manifestement infondé, cette conclusion n’implique pas pour autant que le recours soit nécessairement fondé. En effet, en application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, la seule conséquence de cette conclusion est le renvoi du recours par le président de chambre ou le juge qui le remplace devant une composition collégiale du tribunal administratif pour statuer sur ledit recours.1 1) En ce qui concerne le recours contre la décision de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée.

En l’espèce, la décision ministérielle déférée est fondée sur les dispositions des points a) et b) de l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes desquels « Sous réserve des articles 19 et 21, le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée dans les cas suivants :

a) le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; ou b) le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la présente loi ; (…) ».

Il s’ensuit qu’aux termes de l’article 27 (1) a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le ministre peut statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale par voie de procédure accélérée, soit s’il apparaît que les faits soulevés lors du dépôt de la demande sont sans pertinence au regard de l’examen de cette demande, soit si le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens de l’article 30 de la même loi.

Les conditions pour pouvoir statuer sur le bien-fondé d’une demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée étant énumérées à l’article 27 (1) de la loi du 18 décembre 2015 de manière alternative et non point cumulative, une seule condition valablement remplie peut justifier la décision ministérielle à suffisance.

Concernant plus particulièrement le point b) de l’article 27 (1), précité, de la loi du 18 décembre 2015 visant l’hypothèse où le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, un pays est à considérer comme sûr au sens de l’article 30 de la loi du 18 décembre 2015 dans les conditions suivantes : « (1) Un pays tiers désigné comme pays d’origine sûr conformément au paragraphe (2) ne peut être considéré comme tel pour un demandeur déterminé, après examen individuel de la demande introduite par cette personne que si le demandeur est ressortissant dudit pays ou si l’intéressé est apatride et s’il s’agit de son ancien pays de résidence habituelle, et si ce demandeur n’a pas fait valoir de raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle, compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale.

1 Trib. adm., 27 juin 2016, n° 37963 du rôle, Pas. adm. 2020, V° Etrangers, n° 272 et les autres références y citées.

7(2) Un règlement grand-ducal désigne un pays comme pays d’origine sûr s’il est établi qu’il n’y existe généralement et de façon constante pas de persécution au sens de la Convention de Genève en s’appuyant sur un éventail de sources d’information, y compris notamment des informations émanant d’autres Etats membres du BEAA, du HCR, du Conseil de l’Europe et d’autres organisations internationales compétentes.

Les critères suivants seront pris en considération pour la désignation d’un pays comme pays d’origine sûr:

a) l’observation des droits et libertés prévus par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants;

b) le respect du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève;

c) la prévision d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés.

La situation dans les pays tiers désignés comme pays d’origine sûrs conformément au présent paragraphe est régulièrement examinée par le ministre ».

Il est constant en cause que le règlement grand-ducal modifié du 21 décembre 2007 fixant une liste de pays d’origine sûrs au sens de la loi du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désigné par « le règlement grand-

ducal du 21 décembre 2007 », a désigné l’Albanie comme pays d’origine sûr et il se dégage en l’espèce des éléments du dossier que le demandeur a la nationalité albanaise.

Au vu du libellé de l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le fait qu’un règlement grand-ducal désigne un pays comme sûr n’est cependant pas suffisant pour justifier à lui seul le recours à une procédure accélérée, étant donné que cette disposition oblige le ministre, nonobstant le fait qu’un pays ait été désigné comme pays d’origine sûr par règlement grand-ducal, à procéder, avant de pouvoir conclure que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr, à un examen individuel de sa demande de protection internationale, et qu’il incombe par ailleurs au ministre d’évaluer si le demandeur ne lui a pas soumis des raisons sérieuses permettant de penser qu’il ne s’agit pas, dans son chef, d’un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle et cela compte tenu des conditions requises pour prétendre à une protection internationale.

En l’espèce, le ministre a conclu que le demandeur provient d’un pays qui, dans son chef, est à qualifier de pays d’origine sûr, de sorte qu’il y a lieu d’analyser si, conformément à l’article 30 (1) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur a soumis des raisons sérieuses permettant de penser que l’Albanie n’est pas un pays d’origine sûr en raison de sa situation personnelle.

Or, l’analyse de la situation personnelle décrite par le demandeur ne permet pas d’en dégager des éléments suffisants impliquant que le constat du ministre s’en trouve ébranlé, dans la mesure où il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas lui fournir une protection appropriée par rapport aux agissements dont il craint d’être victime de la part de son grand-père.

Il ne se dégage ainsi pas des pièces versées, ni des autres éléments soumis à l’appréciation du soussigné que le système policier et judiciaire albanais serait défaillant à tel 8point qu’en tout état de cause, les victimes d’infractions pénales ne pourraient raisonnablement espérer obtenir une protection étatique suffisamment efficace, étant précisé, dans ce contexte, que la notion de protection n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants d’un pays contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Au contraire et au-delà du constat qu’il ressort même des articles cités par le demandeur lui-même que les autorités albanaises ont fait de gros efforts dans l’endiguement du phénomène du Kanun, - le rapport du Home office canadien soulignant que « Effective protection for a person in Blood feud is available in general » -, il ressort du propre récit du demandeur que ce dernier a eu, dans le passé, accès à un système judiciaire effectif lui ayant non seulement permis d’obtenir, à l’encontre de son grand-père, une interdiction de l’approcher, mais qui a aussi mené à son acquittement dans le cadre de la plainte déposée contre lui par son grand-père, la seule affirmation du demandeur selon laquelle il aurait préféré se cacher dans sa maison après le jugement, en raison du fait que son grand-père ne suivrait que les lois du Kanun et non pas celles de l’Etat albanais ne saurait manifestement ébranler ce constat, d’autant plus que les menaces à son encontre ont été proférées devant témoins à l’audience du tribunal. En s’abstenant délibérément, dans ces circonstances, de déposer une nouvelle plainte contre son grand-père, le demandeur ne saurait manifestement pas invoquer un défaut de protection de la part des autorités de son pays.

En tout état de cause, même en cas d’une éventuelle inaction de la part de certains membres de la police, il aurait été possible au demandeur, pour faire valoir ses droits, de s’adresser à d’autres policiers ou aux supérieurs hiérarchiques des policiers en question, voire à d’autres institutions, telles que décrites de manière non contestée par la partie gouvernementale, à savoir notamment le service de contrôle interne relevant du ministère de l’intérieur ou l’Ombudsman.

Dans la mesure où il n’est, dans ces circonstances, manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises ne voudraient ou ne pourraient pas fournir une protection appropriée au demandeur par rapport aux menaces de son grand-père, le soussigné doit conclure que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de statuer dans le cadre d’une procédure accélérée est à déclarer manifestement infondé, en ce sens que le demandeur n’a manifestement fourni aucune raison sérieuse permettant de retenir que compte tenu de sa situation personnelle et compte tenu des conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale, l’Albanie, inscrite sur la liste des pays d’origine sûr conformément au règlement grand-ducal du 21 décembre 2007, ne constitue pas un pays d’origine sûr dans son chef, sans qu’il n’y ait lieu d’examiner les moyens fondés sur l’article 27, paragraphe (1) a) de la loi du 18 décembre 2015, cet examen devenant surabondant.

2) Quant au recours contre la décision du ministre portant refus d’une protection internationale S’agissant du recours dirigé contre le refus du ministre d’accorder au demandeur une protection internationale, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

9La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner, et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, précités, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ensemble celles des articles 39 et 40 de la même loi cités ci-

avant, que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est de constater que la condition commune au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire est la preuve, à rapporter par le demandeur, que les autorités de son pays d’origine ne sont pas capables ou ne sont pas disposées à lui fournir une protection.

10Or, le soussigné vient ci-avant de retenir, dans le cadre de l’analyse de la décision ministérielle de statuer sur la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, qu’il n’est manifestement pas établi en l’espèce que les autorités albanaises seraient dans l’impossibilité ou ne voudraient pas fournir au demandeur une protection appropriée par rapport aux menaces dont il déclare avoir été victime. Dès lors, dans la mesure où, dans le cadre du présent recours contre la décision ministérielle de refus d’octroi d’un statut de protection internationale, le soussigné ne s’est pas vu soumettre d’autres éléments permettant d’énerver cette conclusion, les faits invoqués ne sauraient manifestement justifier ni l’octroi du statut de réfugié, ni l’octroi de la protection subsidiaire et ce quelles que soient la qualification ou la gravité des faits invoqués.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à déclarer manifestement infondé et que le demandeur est à débouter de sa demande de protection internationale.

3) Quant au recours contre la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le soussigné vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est manifestement infondé et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur et que, par conséquent, un retour dans son pays d’origine ne l’expose ni à des persécutions, ni à des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire, sans violer le principe de non refoulement invoqué par le demandeur.

Il s’ensuit que le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est à son tour à rejeter comme étant manifestement infondé.

Par ces motifs, le premier juge, siégeant en remplacement du président de la quatrième chambre du tribunal administratif, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 8 septembre 2021 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, contre celle portant refus d’octroi de la protection subsidiaire et contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond, déclare le recours en réformation dirigé contre ces trois décisions manifestement infondé et en déboute ;

11déboute le demandeur de sa demande de protection subsidiaire ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 15 octobre 2019 par le soussigné, Olivier Poos, premier juge au tribunal administratif, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Olivier Poos Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 octobre 2021 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46473
Date de la décision : 15/10/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-10-15;46473 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award