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19/10/2021 | LUXEMBOURG | N°46546

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 octobre 2021, 46546


Tribunal administratif N° 46546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2021 Audience publique du 19 octobre 2021 Requête en institution d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, …, par rapport à des décisions du ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature et des ressources naturelles et de fermeture de chantier

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numÃ

©ro 46546 du rôle et déposée le 8 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif par la ...

Tribunal administratif N° 46546 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 8 octobre 2021 Audience publique du 19 octobre 2021 Requête en institution d’un sursis à exécution sinon d’une mesure de sauvegarde introduite par Madame …, …, par rapport à des décisions du ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable en matière de protection de la nature et des ressources naturelles et de fermeture de chantier

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ORDONNANCE

Vu la requête inscrite sous le numéro 46546 du rôle et déposée le 8 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme KRIEGER ASSOCIATES SA, inscrite sur la liste V du Tableau de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre du commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, qui est constituée et en l’étude de laquelle domicile est élu, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges KRIEGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, demeurant à …, tendant à voir ordonner qu’il soit sursis à l’exécution de 1. la décision du ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable du 14 juillet 2021 concernant la fermeture du chantier relative à la rénovation et la transformation d’une ferme avec annexe, située à …, sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Berdorf, section … de Berdorf, sous les numéros cadastraux … et …, ainsi que 2. la décision du 30 août 2021 du ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable concernant le refus de lever la fermeture de chantier et concernant le refus d’accorder l’autorisation de continuer les travaux, et 3. la décision implicite de refus, ainsi qualifiée, du recours gracieux du 25 juin 2021, sinon à voir autoriser des mesures de stabilisation de la construction existante en l’attente de la solution du présent litige, ces décisions étant encore attaquées au fond par une requête en annulation introduite le 8 octobre 2021, portant le numéro 46545 du rôle ;

Vu les articles 11 et 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives ;

Vu la note de plaidoiries communiquée en date du 18 octobre 2021 par Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT pour l’Etat ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

1 Maître Georges KRIEGER, assisté de Maître Jean-Claude KIRPACH, pour la requérante, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Daniel RUPPERT entendus en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Madame … est propriétaire d’une ancienne ferme, composée d’une maison d’habitation et d’une grange, sise en zone verte à …, sur un terrain inscrit au cadastre de la commune de Berdorf, section … de Berdorf, sous les numéros cadastraux … et ….

Par décision du 14 janvier 2019, le ministre de la Culture inscrivit ladite ferme et son annexe à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux en raison de son intérêt historique, architecturale et esthétique.

Par décision du 16 juin 2020, le ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable, ci-après « le ministre », accorda à Madame … l’autorisation pour transformer sa ferme sous la condition explicite, notamment, que « la construction sera rénovée dans les murs existants sans démolition de la construction existante ».

Les travaux ayant débuté le 6 mai 2021, une partie des murs de la ferme s’effondrèrent le 7 mai 2021.

Par arrêté ministériel du 26 mai 2021, le ministre ordonna la fermeture immédiate du chantier, cet arrêté étant libellé comme suit :

« Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;

Vu le rapport du préposé de la nature et des forêts territorialement compétents de l’Administration de la nature et des forêts du 11 mai 2021 ;

Considérant qu’il en résulte que des travaux ont été réalisée sur la propriété de Mme …, située en zone verte, sans respecter les conditions énumérées dans la décision … du 16 juin 2020 ;

décide :

Art. 1er Au vu de ces faits et conformément aux dispositions de l’article 73 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, le chantier en cours sur les parcelles … et … inscrites au cadastre de la commune de Berdorf, section … de Berdorf, est fermé avec effet immédiat. Toute continuation des travaux est interdite.

Art. 2. La présente décision est affichée par les soins de l’Administration de la nature et des forêts aux abords du chantier et à la maison communale.

Toute personne qui par infraction à l’article 73 de la prédite loi du 18 juillet 2018 continue les travaux de construction entrepris est susceptible d’être punie d’une peine d’emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 750.000 euros ou d’une de ces peines seulement.

Toute personne qui détruit ou rend illisible ou déplace l’affiche pré-mentionnée est susceptible d’être punie d’une amende de 24 euros à 1.000 euros.

2 L’Administration de la nature et des forêts est chargée de l’exécution de la présente et ampliations sont adressées à Madame le Procureur Général d’Etat, à Monsieur le Procureur d’Etat et à l’Administration communale de Berdorf.

Contre la présente décision, un recours en annulation peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour ».

Par courrier du 25 juin 2021, le mandataire de Madame … introduisit auprès du ministre un recours gracieux sollicitant la levée de la fermeture de chantier et l’autorisation de reconstruire à l’identique les murs écroulés sur la base de plans adaptés à la nouvelle situation ainsi que l’autorisation de pouvoir mettre en œuvre des mesures de stabilisation.

Le ministre prit en date du 14 juillet 2021 un nouvel arrêté de fermeture de chantier, annulant et remplaçant l’arrêté du 26 mai 2021, libellé comme suit :

« Vu la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles ;

Vu le rapport du préposé de la nature et des forêts territorialement compétents de l’Administration de la nature et des forêts du 11 mai 2021 ;

Considérant qu’il en résulte que des travaux ont été réalisée sur la propriété de Mme …, située en zone verte, sans respecter les conditions énumérées dans la décision … du 16 juin 2020 ;

décide :

Art. 1er Au vu de ces faits et conformément aux dispositions de l’article 73 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles, le chantier en cours sur les parcelles … et … inscrites au cadastre de la commune de Berdorf, section … de Berdorf, est fermé avec effet immédiat. Toute continuation des travaux est interdite.

Art. 2. La présente décision est affichée par les soins de l’Administration de la nature et des forêts aux abords du chantier et à la maison communale.

Toute personne qui par infraction â l’article 73 de la prédite loi du 18 juillet 2018 continue les travaux de construction entrepris est susceptible d’être punie d’une peine d’emprisonnement de huit jours à six mois et d’une amende de 251 euros à 750.000 euros ou d’une de ces peines seulement.

Toute personne qui détruit ou rend illisible ou déplace l’affiche pré-mentionnée est susceptible d’être punie d’une amende de 24 euros à 1.000 euros.

L’Administration de la nature et des forêts est chargée de l’exécution de la présente et ampliations sont adressées à Madame le Procureur Général d’Etat, à Monsieur le Procureur d’Etat et à l’Administration communale de Berdorf.

Le présent arrêté annule et remplace celui du 26 mai 2021.

3 Contre la présente décision, un recours en annulation peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour ».

Par décision subséquente du 30 août 2021, le ministre rejeta encore le recours gracieux lui adressé en date du 25 juin 2021 en les termes suivants :

« Je fais suite à votre courrier du 25 juin 2021 par lequel vous demandez la levée de la fermeture de chantier du 26 mai 2021, annulée et remplacée entretemps par la décision de fermeture de chantier du 14 juillet 2021, ainsi que l’autorisation de reconstruire la maison et grange située sur des fonds inscrits au cadastre de la commune de BERDORF : section B de BERDORF (…), sous les numéros … et ….

Permettez-moi tout d’abord de récapituler les faits. Par arrêté ministériel de la Ministre de la Culture du 14 janvier 2019, la maison et grange a été classée à l’inventaire supplémentaire des monuments nationaux. Le classement a reposé aussi bien sur les murs extérieurs que sur certains éléments à l’intérieur de la construction.

Par ma décision du 16 juin 2020, j’ai autorisé la rénovation de la maison et grange conformément aux plans et propositions de modifications que votre mandante avait convenues avec les responsables du service des sites et monuments nationaux. La condition numéro 3 de ma décision a la teneur suivante : « La construction sera rénovée dans les murs existants sans démolition de la construction existante. » Par courrier du 11 mai 2021, le préposé de la nature et des forêts territorialement compétent, m’a averti que contrairement aux conditions de l’autorisation du 16 juin 2020, les murs porteurs de la construction, à l’exception de la façade principale, avaient été démolis.

Aux termes de l’article 7, paragraphe 6 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles : « Les constructions en zone verte qui ont été démolies ou démontées ne peuvent être reconstruites qu’en vertu des dispositions de la présente loi ».

Ainsi, après une démolition, une reconstruction doit, pour être autorisable, être conforme aux critères de l’article 6 de la loi du 18 juillet 2018 concernant la protection de la nature et des ressources naturelles.

Selon l’article 6, paragraphe 1er, « Sont conformes à l’affectation de la zone verte, des constructions ayant un lien certain et durable avec des activités d’exploitation qui sont agricoles, horticoles, maraîchères, sylvicoles, viticoles, piscicoles, apicoles, cynégétiques, ou qui comportent la gestion des surfaces proches de leur état naturel. Seules sont autorisables les constructions indispensables à ces activités d’exploitation ».

En outre, les activités d’exploitation agricole, horticole, maraîchère et viticole doivent être opérées à titre principal au sens de la loi modifiée du 27 juin 2016 concernant le soutien au développement durable des zones rurales.

Or, la construction/reconstruction d’une maison à des fins d’habitation n’a aucun lien avec une des activités précitées. Sur base de l’article 7, paragraphe 6, de la loi précitée, je ne saurais donc pas autoriser une reconstruction à l’identique de la maison de votre mandante.

4 L’article 7, paragraphe 7 de la loi précitée, qui a d’ailleurs été la base légale pour accorder l’autorisation n° 93416 du 16 juin 2020 à votre mandante, permet de déroger à l’article 7 pour des constructions existantes en zone verte classées ou inscrites à l’inventaire supplémentaire par application de la loi modifiée du 18 juillet 1983 concernant la conservation et la protection des sites et monuments, ceci en vue de la sauvegarde et du maintien dans le patrimoine d’une telle construction classée.

Dans l’attente d’une décision quant à. l’avenir du classement de la partie restante de la construction de votre mandante, je ne suis actuellement pas encore en mesure de me prononcer sur la question d’une éventuelle reconstruction. Dès lors, je ne saurais non plus procéder à une levée de la fermeture de chantier du 16 juillet 2021.

Contre la présente décision, un recours peut être interjeté auprès du Tribunal Administratif statuant comme juge du fond. Ce recours doit être introduit sous peine de déchéance dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision par requête signée d’un avocat à la Cour. (…) » En date du 8 octobre 2021, Madame … a fait introduire par requête enrôlée sous le numéro 46545 un recours en annulation dirigé contre l’arrêté ministériel daté du 14 juillet 2021, contre la décision du ministre du 30 août 2021 et contre « la décision implicite de refus sur le recours gracieux du 25 juin 2021 ».

Par requête séparée déposée le même jour, inscrite sous le numéro 46546 du rôle, elle a demandé à voir prononcer un sursis à exécution de ces décisions en attendant la solution de son recours au fond, ladite demande visant expressément à pouvoir poursuivre le chantier et rebâtir les murs effondrés sur leurs exactes mêmes emprises, sinon à voir autoriser l’exécution de mesures temporaires de stabilisation des murs non effondrés.

La requérante fait soutenir que le maintien de la fermeture de chantier l’exposerait au risque d’un effondrement complet de la construction existante et à l’impossibilité de pouvoir la rebâtir par la suite. Elle donne en effet à considérer que les éléments actuellement encore en place du bâtiment risqueraient de s’effondrer eux-aussi alors qu’ils ne seraient pas stabilisés.

Or, dans un tel cas, il faudrait craindre que la disposition du ministre d’autoriser la remise en état de la construction diminuerait encore davantage, étant donné que le ministre risquerait de considérer qu’il n’y aurait plus de construction existante en place et que les travaux visent en fait une reconstruction non autorisable en zone verte à moins de servir à une affectation agricole. Si le ministre n’accordait au vu de ces circonstances pas l’autorisation de remettre en état la construction, la requérante aurait perdu tout son patrimoine, ce qui engendrerait un préjudice considérable, la requérante ayant envisagé de se loger elle-même dans la ferme et d’en donner une partie en location.

Elle expose encore que le ministre de la Culture risquerait de déclasser l’immeuble, c’est-à-dire de le rayer de l’inventaire des sites et monuments, ce qui aurait pour conséquence que le ministre de l’Environnent, du Climat et du Développement durable n’autorise plus l’aménagement de logements dans l’ancienne grange, de sorte que le projet devrait être modifié et revu à la baisse, entrainant des coûts supplémentaires pour un résultat moindre.

Madame … se prévaut encore des délais avant d’obtenir un jugement au fond du tribunal administratif, qu’elle estime à un an et demi voire près de deux ans après l’introduction de la requête en annulation. Or, si l’immeuble était entièrement effondré à cette date, le recours en annulation risquerait de ne plus pouvoir produire l’effet escompté, c’est-à-dire conduire à la 5 délivrance, in fine, d’une autorisation ministérielle pour pouvoir achever les travaux de restauration de la maison. Le préjudice serait donc définitif et grave, puisque la compensation ne pourrait se faire que par l’allocation de dommages et intérêts, mais la maison ne pourrait plus être rebâtie.

Enfin, elle relève qu’en fermant le chantier en question, elle subirait un préjudice grave et difficilement réparable par des mesures de réparation par équivalent pouvant intervenir a posteriori alors que, pendant une période prolongée, l’achèvement de la construction sera repoussé. Par ailleurs, elle serait dans ce cas obligée de rester dans les lieux qu’elle occupe actuellement et qui ne peuvent être vendus ou reloués à un tiers qu’à partir de sa sortie : comme la libération des lieux se trouverait retardée par les décisions attaquées, il s’agirait d’un préjudice qui difficilement réparable par équivalent a posteriori, tandis qu’il y aurait également des surcoûts dus à la renégociation du marché avec l’entrepreneur et de la durée de son prêt.

Elle en conclut qu’il serait donc important que les travaux puissent continuer dans des délais aussi rapprochés que possible.

La requérante estime encore que ses moyens invoqués au fond seraient particulièrement sérieux.

La requête sous analyse pose toutefois une question de compétence, question soulevée d’office conformément à l’article 30 de la loi du 21 juin 1999.

En effet, il convient de rappeler que le président ou le juge qui le remplace, lorsqu’il statue en application de l’article 11 ou de l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives doit s’abstenir de préjuger les éléments soumis à l’appréciation ultérieure du tribunal statuant au fond, ce qui implique qu’il doit s’abstenir de prendre position de manière péremptoire notamment par rapport aux moyens invoqués au fond1, sous peine de porter préjudice au principal et de se retrouver, à tort, dans le rôle du juge du fond2.

Plus particulièrement, en ce qui concerne une demande de suspension, le président, à l’instar du président du tribunal civil, ne peut pas prendre d’ordonnance qui porte atteinte au fond, c’est-à-dire établisse les droits et obligations des parties au litige : ce qui a été décidé, dans le cadre de la demande de suspension, doit, en théorie, pouvoir être défait ultérieurement, à l’occasion de l’examen du recours au fond3, le juge devant s’abstenir de prendre une quelconque décision s’analysant en mesure définitive qui serait de nature à interférer dans la décision du juge compétent au fond en ce qu’elle serait de nature à affecter la décision de celui-

ci4.

La même limite s’impose d’ailleurs au président lorsqu’il est saisi d’une demande basée sur l’article 12 de la loi modifiée du 21 juin 1999, ledit article limitant explicitement la compétence du président à des mesures provisoires qui, prononcées à titre conservatoire, ne doivent préjuger en rien la décision au fond5.

1 Voir trib. adm. prés. 19 janvier 2005, n° 18974, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 559.

2 Voir trib. adm. prés. 13 juillet 2000, n° 12070, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 590.

3 Ph. Coenraets, Le contentieux de la suspension devant le Conseil d’Etat, synthèses de jurisprudence, 1998, n° 88, p.40 ; trib. adm. prés. 22 janvier 2010, n° 26457, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 572.

4 Voir en ce sens notamment : trib. adm. prés. 14 janvier 2000, n° 7340b, Pas. adm. 2020, V° Procédure contentieuse, n° 571.

5 Voir J.-P. Lagasse, Le référé administratif, 1992, n° 81, p.95.

6 Or, la mesure provisoire est par définition celle qui présente un caractère réversible6, celle qui peut être remise en cause par le juge du fond. Toutefois, pour que la mesure prononcée présente bel et bien un caractère réversible, il est nécessaire que la possibilité de remise en cause de la décision ne soit pas seulement virtuelle mais effective, ce qui suppose, par conséquent, que le litige ne s’éteigne pas par le seul prononcé de cette décision7.

Le juge des référés ne peut ainsi, sans excéder sa compétence, ordonner une mesure qui aurait des effets en tous points identiques à ceux qui résulteraient de l’exécution par l’administration d’un jugement d’annulation8.

En conséquence, le juge des référés administratif ne peut prononcer aucune mesure présentant un caractère définitif.

Il est constant en cause que les différentes décisions déférées portent sur une fermeture de chantier, à savoir, une décision conservatoire destinée à faire cesser immédiatement des travaux considérés comme illégaux afin d’éviter une aggravation de la situation illégale du fait de l’avancement des travaux9.

A l’inverse, un sursis à exécution ordonné par rapport à un arrêt de chantier a pour effet de suspendre provisoirement dans ses effets la décision de fermeture, ce qui a comme conséquence immédiate qu’aussi longtemps que la décision de sursis à exécution sort ses effets, la construction peut continuer10.

En l’espèce, dans la mesure où la demande principale de la requérante tend ainsi à se voir autoriser, nonobstant l’arrêté de fermeture, à poursuivre les travaux non autorisés, à savoir une reconstruction à l’identique des murs écroulés, et ce, la requérante ne s’en cachant pas, afin de créer un état de fait accompli avant que le ministre compétent ne refuse définitivement toute reconstruction : dans cette mesure, la demande doit être considérée comme tendant directement à vouloir anéantir les effets recherchés de l’arrêté de fermeture, de sorte que le soussigné ne saurait admettre, même au provisoire, une telle demande tendant manifestement à dénaturer définitivement le but visé par cette mesure conservatoire.

En effet, accorder la mesure sollicitée par l’octroi de la mesure recherchée, erronément qualifiée de « provisoire » permettrait à l’intéressée de créer une situation de droit et de fait définitive et le juge siégeant au provisoire aurait de la sorte épuisé le fond, en ce sens que la décision déférée devenue définitive en cas de confirmation de la fermeture de chantier par les juges du fond aurait perdu tout objet, puisque l’arrêt de fermeture de chantier sera devenu sans objet au moment où les juges du fond auront statué. Plus précisément, une éventuelle confirmation ex post de la décision déférée aurait perdu tout objet et toute utilité, les travaux litigieux ayant été achevés avant que le juge du fond ne puisse statuer. En d’autres termes, la suspension de l’exécution immédiate de la décision déférée entraînerait l’impossibilité de recréer la situation initiale au cas où le recours engagé au fond contre la décision serait rejeté par le tribunal.

6 Voir Conseil d’Etat fr., 31 mai 2007, n° 298293.

7 Olivier Le Bot, Le Guide des référés administratifs et des autres procédures d’urgence devant le juge administratif, Dalloz, 2013, n° 234.62.

8 Voir Conseil d’Etat fr., 1er mars 2010, n° 337079 ou encore Conseil d’Etat fr., 1er octobre 2016, n° 395211.

9 Voir trib. adm. 19 septembre 2002, n° 13933 du rôle.

10 Trib. adm. prés. 25 septembre 2000, n° 12284, Pas. adm 2020, V° Procédure contentieuse, n° 665.

7 En d’autres termes, autoriser, sous le couvert d’une mesure provisoire, la poursuite de travaux non autorisés, revient en fait à accorder une mesure définitive incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire, de sorte que le soussigné se doit, au vu du caractère irréversible de la mesure sollicitée, de décliner sa compétence.

Il résulte dès lors des considérations qui précèdent que l’arrêté de fermeture ici déféré constitue prima facie une mesure provisoire incompatible avec l’intervention du juge administratif statuant au provisoire, de sorte que le soussigné se doit de décliner sa compétence11.

En ce qui concerne la demande formulée à titre subsidiaire par la requérante, à savoir se voir autoriser, à titre de mesure de sauvegarde, de prendre les mesures requises en vue de la protection et de stabilisation des murs et ouvrages actuellement encore en place et non effondrés, il convient de constater que de telles mesures purement provisoires et conservatoires destinées à protéger le chantier et le bâti toujours en place, notamment des intempéries, échappent au soussigné, alors qu’étrangères à l’objet des décisions déférées, lesquelles ne portent nécessairement que sur l’arrêt des travaux en cours, le ministre n’ayant interdit que la continuation des travaux de construction, respectivement de reconstruction, non autorisés, respectivement illégaux, mais non des travaux purement provisoires et conservatoires destinés à protéger le bâti existant, tel que l’installation provisoire d’une structure métallique destinée à supporter et étayer les murs existants.

S’il est vrai que le ministre n’a pas expressément pris position par rapport à ces mesures strictement conservatoires de stabilisation et de préservation, l’admissibilité de telles mesures tombe néanmoins sous le sens, à charge le cas échéant pour la requérante d’en informer le ministre, respectivement de solliciter l’autorisation formelle afférente afin d’en arrêter précisément la nature et l’étendue et d’éviter ainsi tout quiproquo pouvant avoir des suites pénales.

La requérante est dès lors en tout état de cause à débouter de sa demande en institution d’une mesure provisoire, prise en son double volet.

La demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de ….- euros formulée par la requérante laisse également d’être fondée, les conditions légales afférentes n’étant pas remplies en cause.

Par ces motifs, le soussigné, président du tribunal administratif, statuant contradictoirement et en audience publique, rejette tant la demande principale en obtention d’un sursis à exécution que celle en obtention des mesures de sauvegarde plus amplement décrites ci-dessus ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que formulée par la partie requérante ;

condamne la partie requérante aux frais et dépens de l’instance.

11 Trib. adm. prés. 11 juillet 2016, n° 38163 ; trib. adm. prés. 21 décembre 2018, n° 42086.

8 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 octobre 2021 par Marc Sünnen, président du tribunal administratif, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 octobre 2021 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Numéro d'arrêt : 46546
Date de la décision : 19/10/2021

Origine de la décision
Date de l'import : 24/10/2021
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2021-10-19;46546 ?

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