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07/12/2023 | LUXEMBOURG | N°46794,46992

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 07 décembre 2023, 46794,46992


Tribunal administratif Nos 46794 et 46992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46794+46992 2e chambre Inscrits les 17 décembre 2021 et 4 février 2022 Audience publique du 7 décembre 2023 Recours formés par l’association sans but lucratif “A” ASBL et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en présence de la société anonyme “B” SA, …, en matière d’établissements classés

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JUGEMENT

I.


Vu la requête inscrite sous le numéro 46794 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en ...

Tribunal administratif Nos 46794 et 46992 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46794+46992 2e chambre Inscrits les 17 décembre 2021 et 4 février 2022 Audience publique du 7 décembre 2023 Recours formés par l’association sans but lucratif “A” ASBL et consorts, …, contre des décisions du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, en présence de la société anonyme “B” SA, …, en matière d’établissements classés

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JUGEMENT

I.

Vu la requête inscrite sous le numéro 46794 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 17 décembre 2021 par Maître Alain Bingen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom 1) de l’association sans but lucratif “A” ASBL, établie à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, 2) de Monsieur …, demeurant à L-…, 3) de Madame …, demeurant à L-…, 4) de Madame …, demeurant à L-…, 5) de Monsieur …, demeurant à L-…, 6) de Madame …, demeurant à L-…, 7) de Monsieur …, demeurant à L-…, 8) de Madame …, demeurant à L-…, 9) de Monsieur …, demeurant à L-…, 10) de Madame …, demeurant à L-…, 11) de Monsieur …, demeurant à L-…, et 1 12) de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté référencé sous le numéro 1/17/0421 du 29 octobre 2021 du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable portant autorisation d’exploiter une centrale d’énergie de trigénération biomasse à Lentzweiler, Zone industrielle « Op Der Sang » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christiane Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 21 décembre 2021, portant signification du prédit recours à la société anonyme “B” SA, établie et ayant son siège social à L-…, zone d’activités ZARE, Ilot Ouest, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2022 par la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Jean Bertholet, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B189905, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Vincent Wellens, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de la société anonyme “B” SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mars 2022 ;

Vu le mémoire en réponse de la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 pour le compte de la société anonyme “B” SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Alain Bingen déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2022 pour le compte des parties demanderesses ;

Vu le mémoire en duplique de la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2022 pour le compte de la société anonyme “B” SA ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2022 ;

II.

Vu la requête inscrite sous le numéro 46992 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 février 2022 par Maître Alain Bingen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom 1) de l’association sans but lucratif “A” ASBL, établie à L-…, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, 2 2) de Monsieur …, demeurant à L-…, 3) de Madame …, demeurant à L-…, 4) de Madame …, demeurant à L-…, 5) de Monsieur …, demeurant à L-…, 6) de Madame …, demeurant à L-…, 7) de Monsieur …, demeurant à L-…, 8) de Madame …, demeurant à L-…, 9) de Monsieur …, demeurant à L-…, 10) de Madame …, demeurant à L-…, 11) de Monsieur …, demeurant à L-…, et 12) de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté référencé sous le numéro 1/17/0421/RG du 16 décembre 2021 du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, intervenu suite à un recours gracieux, ayant actualisé l’arrêté initial du même ministre du 29 octobre 2021 référencé sous le numéro 1/17/0421 dans le sens d’une modification de la « ligne ayant le numéro de nomenclature « 070209 03 » de la condition 1er de l’article 2 » dudit arrêté ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Kelly Ferreira Simoes, en remplacement de l’huissier de justice Carlos Calvo, demeurant à Luxembourg, du 11 février 2022, portant signification du prédit recours à la société anonyme “B” SA, établie et ayant son siège social à L-…, zone d’activités ZARE, Ilot Ouest, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 21 février 2022 par la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL, inscrite à la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du Barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-1233 Luxembourg, 2, rue Jean Bertholet, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B189905, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Vincent Wellens, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de la société anonyme “B” SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 28 mars 2022 ;

3 Vu le mémoire en réponse de la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats Luxembourg SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2022 pour le compte de la société anonyme “B” SA, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Alain Bingen déposé au greffe du tribunal administratif le 29 avril 2022 pour le compte des parties demanderesses ;

Vu le mémoire en duplique de la société à responsabilité limitée NautaDutilh Avocats SARL déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2022 pour le compte de la société anonyme “B” SA ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2022 ;

I. + II.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alain Bingen, Maître Vincent Wellens et Monsieur le délégué du gouvernement Joé Ducomble en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2023.

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A la suite d’une demande présentée le 21 juillet 2017 par la société anonyme “C” SA, ci-après désignée par « la société “C” », renseignant comme maître de l’ouvrage la société anonyme “D” SA (groupe “J”), ci-après désignée par « la société “D” », et comme exploitant « ”K” », le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre », délivra, par arrêté référencé sous le numéro 1/17/0421 du 29 octobre 2021, l’autorisation de procéder à l’exploitation d’une centrale d’énergie de trigénération biomasse dans la zone industrielle « Op der Sang » à Lentzweiler, sur un site inscrit au cadastre de la commune de Wincrange, section … de …, sous le numéro …, ci-après désignée par « la centrale biomasse », l’autorisation ayant été sollicitée pour les éléments suivants :

« - des dépôts de bois d’une capacité totale de 4090 m3 ;

- une installation de production de froid d’une puissance frigorifique de 1,5 MW ;

- des tours de refroidissement d’une puissance totale de 4,5 MW ;

- des compresseurs d’une puissance électrique totale de 60 kW ;

- des transformateurs électriques d’une puissance apparente totale de 9,5 MVA ;

- un dépôt de substances et mélanges classés dans les catégories de dangers les plus graves d’une capacité totale de 300 l […] ».

Le 23 novembre 2021, la société renseignée comme futur exploitant de l’établissement classé en cause, à savoir « ”K” » introduisit un recours gracieux à l’encontre de « la condition 1er de l’article 2 de l’arrêté 1/17/0421 du 29 octobre 2021 » précité.

4 Par arrêté du 16 décembre 2021, le ministre décida de réserver une suite favorable au recours gracieux et, en conséquence, « de procéder à l’actualisation de l’arrêté 1/17/0421 du 29 octobre 2021 », en arrêtant ce qui suit :

« Article 1er : L’arrêté 1/17/0421 du 29 octobre 2021, délivré par le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions, est modifié comme suit :

1. La ligne ayant le numéro de nomenclature « 070209 03 » de la condition 1er de l’article 2 est remplacée par la ligne suivante : […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 17 décembre 2021, inscrite sous le numéro 46794 du rôle, (i) l’association sans but lucratif “A” ASBL, ci-après désignée par « l’ASBL », ainsi que (ii) Monsieur …, Madame …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur …, Madame …, Monsieur … et Monsieur …, ci-après désignés par « les Citoyens », introduisirent un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 29 octobre 2021.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 février 2022, inscrite sous le numéro 46992 du rôle, l’ASBL, ainsi que les Citoyens introduisirent un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 16 décembre 2021, pris sur recours gracieux.

Il y a tout d’abord lieu de prononcer la jonction des deux recours, inscrits sous les numéros 46794 et 46992 du rôle. Il est, en effet, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice de statuer sur les deux affaires par un seul et même jugement, dans la mesure elles concernent les mêmes parties et qu’elles ont trait au même objet, à savoir l’exploitation du même établissement classé, telle qu’autorisée par le même ministre.

I.

Quant au recours inscrit sous le numéro 46794 du rôle 1. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que l’article 19, alinéa 1er de la loi modifiée du 10 juin 1999 relative aux établissements classés, ci-après désignée par « la loi du 10 juin 1999 », prévoit un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

En ce qui concerne la recevabilité du recours en réformation introduit à titre principal, il convient de relever qu’à travers leurs écrits contentieux respectifs, tant l’Etat que la société anonyme “B” SA, ci-après désignée par « la société “B” », ont contesté tout intérêt dans le chef de l’ASBL et des Citoyens pour agir contre l’arrêté ministériel du 29 octobre 2021. A l’audience des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, les parties défenderesse et tierce-intéressée ont déclaré renoncer à ce moyen d’irrecevabilité et ce, face au constat que, dans son arrêt du 4 février 2021, inscrit sous le numéro 45110C du rôle, la Cour administrative a, par réformation du jugement du tribunal administratif du 9 septembre 2020, inscrit sous le numéro 43296 du rôle, conclu à l’existence dans le chef tant de l’ASBL que des Citoyens d’un intérêt suffisant à agir contre l’arrêté du 28 mai 2019 par le biais duquel le ministre ayant le Travail dans ses attributions a autorisé sur le fondement de la loi du 10 juin 1999 la 5 construction, l’aménagement et l’exploitation de la même centrale biomasse que celle autorisée à travers l’arrêté ministériel actuellement litigieux. Il convient dès lors de leur en donner acte.

A défaut d’autre moyen d’irrecevabilité, le recours en réformation introduit à titre principal est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

2. Quant au fond A titre liminaire, il convient de relever qu’à l’appui de leur recours, les parties demanderesses contestent, en substance, la recevabilité et la validité de la demande d’autorisation du 21 juillet 2017 en ce qu’elle aurait été introduite pour le compte d’un exploitant « inexistant, sinon nul », respectivement en ce que l’autorisation litigieuse aurait été accordée à une entité dépourvue de personnalité juridique, sinon que la qualité de l’exploitant ne ressortirait pas de la demande d’autorisation, voire que l’entité « ”K” », renseignée comme étant l’exploitant, n’aurait de toute façon pas la qualité pour « […] figurer comme exploitant », de sorte qu’aucune demande d’autorisation n’aurait pu être introduite pour son compte. A l’audience des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, les parties demanderesses ont déclaré renoncer à ces contestations et ce, face au constat que, dans son arrêt du 26 janvier 2023, inscrit sous le numéro 47204C du rôle, la Cour administrative a rejeté, pour ne pas être fondés, ces mêmes moyens qui avaient été présentés devant elle dans le cadre de la requête d’appel dirigée contre le jugement du tribunal administratif du 7 février 2022, inscrit sous le numéro 43296a du rôle, dans lequel ledit tribunal avait déclaré non fondé le recours contentieux introduit par les mêmes parties demanderesses contre l’arrêté du 28 mai 2019 par le biais duquel le ministre ayant le Travail dans ses attributions avait autorisé sur le fondement de la loi du 10 juin 1999 la construction, l’aménagement et l’exploitation de la même centrale biomasse que celle visée par l’arrêté ministériel actuellement litigieux sur le fondement de la même loi, la Cour étant, dans ce contexte, encore venue à la conclusion que la société “B” était à considérer comme exploitant potentiel de la centrale biomasse en cause. Il convient dès lors de leur en donner acte.

Les parties demanderesses sollicitent ensuite la réformation de l’autorisation litigieuse sur base des moyens et arguments qui peuvent être résumés comme suit :

(i) ni l’entité « ”K” », ni la société “D” ne pourraient se prévaloir d’un droit d’occupation et d’utilisation de l’emplacement prévu pour l’installation de la centrale biomasse ;

(ii) ce serait à tort que le ministre aurait considéré la demande lui soumise comme ayant été complète, étant donné qu’elle aurait contenu des renseignements incohérents et erronés, sinon incomplets, les parties demanderesses soutenant, à cet égard :

(a) que le domicile, respectivement le siège social de l’entité « ”K” » n’y serait pas renseigné, (b) que le numéro d’identité national de ladite entité n’y figurerait pas, contrairement aux dispositions de l’article « 7.7.a) » de la loi du 10 juin 1999, (c) que s’agissant de la protection des eaux et plus particulièrement du traitement et de l’évacuation des eaux usées, l’étude à fournir par le bureau “E” SA sur la gestion des eaux du projet ferait défaut, 6 (d) que pour ce qui est de la lutte contre les bruits et les vibrations « une carte avec les contingents de bruit de la zone » ferait défaut, (e) que s’agissant de l’impact sonore sur l’environnement, « le problème de la maîtrise du bruit qui sera causé par la soupape de sortie de vapeur » ne serait pas mentionné.

(iii) le principe général de respect du délai raisonnable imposé à l’administration pour prendre une décision aurait été violé ;

(iv) les conditions d’exploitation arrêtées dans l’autorisation litigieuse ne tiendraient pas compte des nuisances et dangers résultant de l’installation litigieuse, ce qui impliquerait que l’autorisation devrait être modifiée et complétée sur un certain nombre de points.

(i) Quant au reproche tenant à l’absence de droit d’occupation et d’utilisation de l’emplacement prévu pour l’installation de la centrale biomasse en cause Arguments des parties Les parties demanderesses critiquent, en substance, le fait que l’entité désirant exploiter la centrale biomasse projetée sur le site à Lentzweiler ne pourrait pas se prévaloir d’un droit d’occupation et d’utilisation de l’emplacement prévu pour l’installation de la centrale biomasse ce qui devrait entraîner l’annulation de l’autorisation litigieuse.

Elles expliquent, dans ce contexte, que, par acte notarié du 26 novembre 1996, un contrat de concession d’un droit de superficie portant, entre autres, sur le terrain censé accueillir ladite centrale aurait été conclu entre le “F” et la société anonyme “G” SA, absorbée par la suite par la société anonyme “H” SA, ci-après désignée par « la société “H” ». Or, lors de sa réunion du 1er juillet 2019, le “F” aurait décidé de ne pas marquer son accord avec une rétrocession partielle du terrain utilisé par la société “H” en vue de la cession ultérieure à une entité souhaitant y mettre en place la centrale litigieuse. Ainsi, au stade actuel, seule la société “H” aurait qualité pour solliciter l’autorisation critiquée, les parties demanderesses soulignant encore que dans la mesure où la demande d’autorisation ferait expressément référence aux besoins énergétiques de cette dernière société, qui n’y figurerait cependant ni en tant que demandeur, ni en tant qu’exploitant, le lien entre l’entité “K” et la société “D” serait plus que nébuleux.

La partie étatique fait, quant à elle, valoir que les autorisations délivrées sur le fondement de la législation sur les établissements classés ne seraient pas nominatives mais auraient le caractère d’un droit réel s’attachant à la propriété sur laquelle l’autorisation porte.

Ainsi, l’autorisation d’une activité serait indépendante entre autres de l’adresse de l’exploitant.

Dans son mémoire en réponse, la société “B”, en sa qualité d’exploitant potentiel de la centrale biomasse en cause, met en avant que la situation du terrain sur lequel il est prévu d’implanter ladite centrale et les droits y afférents ne seraient pas de nature à impacter la validité de l’arrêté ministériel litigieux, ce d’autant plus que la loi du 10 juin 1999 n’imposerait aucunement au ministre de vérifier si le demandeur d’autorisation dispose d’un tel droit. Elle estime qu’une telle exigence serait contraire au caractère réel d’une autorisation d’exploitation qui pourrait être octroyée indépendamment de la propriété du terrain faisant l’objet de l’autorisation accordée. A cela s’ajouterait que la demande d’autorisation indiquerait de manière suffisamment précise quelle est la parcelle envisagée pour la construction de la 7 centrale biomasse, de même qu’elle indiquerait que la société “B” ne disposerait pas encore d’un droit sur la parcelle en question, ce qui démontrerait que le bureau d’étude avait bien pris le soin de détailler le procédé envisagé afin que la centrale en question puisse y être édifiée, sans pour autant qu’il n’existe de certitude quant au résultat final. Il devrait dès lors être admis que le ministre avait délivré l’autorisation litigieuse en connaissance de cause sans que les parties demanderesses ne puissent ériger cet élément en condition de validité de l’arrêté ministériel déféré.

Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses insistent sur le fait que si la partie étatique et la société “B” étaient d’avis qu’en raison du caractère réel attaché à l’autorisation d’exploitation litigieuse, le demandeur d’autorisation serait dispensé de la preuve d’un droit ou d’un titre sur le terrain faisant l’objet de l’autorisation, il n’en resterait pas moins qu’en l’espèce, un contrat de concession d’un droit de superficie ferait défaut à l’heure actuelle, de même qu’aucun morcellement de parcelle prévu pour accueillir la centrale litigieuse n’aurait été réalisé jusqu’à ce jour. A cela s’ajouterait que la société “B” n’affirmerait même pas être titulaire d’un droit d’utilisation du sol. Comme la société “B” ne disposerait d’aucun droit d’utilisation du sol prévu pour l’implantation de la centrale en cause, elle ne pourrait, a fortiori, pas non plus mettre en exploitation une telle installation.

Dans son mémoire en duplique, la partie étatique donne, quant à elle, à considérer que le débat autour du contrat de concession ou du droit d’utilisation du sol serait étranger à la législation relative aux établissements classés, tout en soulignant que l’objectif de la décision litigieuse serait de fixer les « conditions d’aménagement et d’exploitation visant l’aménagement humain et naturel, telles que la protection de l’air, de l’eau, du sol, de la faune et de la flore, la lutte contre le bruit et les vibrations, l’utilisation rationnelle de l’énergie, la prévention et la gestion des déchets ». S’il était vrai que, pour pouvoir exploiter l’établissement classé, l’exploitant devrait encore « s’assurer de toutes autres autorisations requises », de même qu’il devrait « bien évidemment, le cas échéant, avoir l’accord du propriétaire pour pouvoir exploiter son établissement », tel ne serait toutefois pas l’objet de la législation relative aux établissements classés.

Appréciation du tribunal En l’espèce, il est constant en cause pour se dégager des pièces versées au tribunal et pour ne pas être contesté que le terrain destiné à accueillir la centrale biomasse litigieuse a fait l’objet d’un contrat de concession d’un droit de superficie établi par devant le notaire … en date du 26 novembre 1996 concédé par le “F” à la société “H”, anciennement dénommée “G” SA, pour un terme de 30 années et étant venu à expiration le 31 décembre 2022, le concessionnaire s’étant engagé à exercer sur le site « l’activité de fabrication et de vente de revêtements de sols et murs, de leurs composants, d’insonorisants notamment pour l’industrie automobile et de tous autres produits, notamment en matière plastique […] ».

Il est encore non litigieux que lors de sa séance publique du 1er juillet 2019, le “F”, après avoir relevé avoir pris connaissance « de manière indirecte dans le cadre d’une procédure commodo-incommodo, et sans que [son] bureau ait été saisi d’une demande de rétrocession, des démarches administratives visant l’installation d’une centrale de trigénération dite , initiées par “H” S.A., “I” s.àr.l., “D” S.A., “C” S.A. e.a. » et constaté que « la surface concernée [était] actuellement propriété de [son] syndicat mais concédée à “H” S.A. jusqu’au 31 décembre 2022 », a décidé à l’unanimité des voix « de s’opposer à la sous-location, rétrocession ou nouvelle concession d’une partie d’un terrain 8 faisant l’objet d’un contrat de concession d’un droit de superficie conclu avec la société anonyme “H” S.A. en vue de l’aménagement d’une centrale de trigénération au sein de la Z.A.E.R. op der Sang ». Lors de sa séance publique du 7 novembre 2022, le “F” a réitéré sa position à l’unanimité des voix en retenant plus particulièrement qu’il « ne concédera ni à la société anonyme “B”, ni à toute autre personne morale constituée ou à constituer un droit de superficie ou un droit d’utilisation du sol » sur la parcelle référencée sous le numéro cadastral …, « sinon de toute autre parcelle faisant partie de la Z.A.E.R. op der Sang à Lentzweiler en vue de la construction, l’aménagement et l’exploitation d’une centrale de trigénération ».

Il y a lieu de relever que, dans son arrêt du 26 janvier 2023, inscrit sous le numéro 47204C du rôle - intervenu dans le cadre du recours contentieux dirigé par les parties demanderesses contre l’autorisation d’exploitation délivrée sur le fondement de la loi du 10 juin 1999 pour la même centrale de biomasse que celle actuellement litigieuse, par le ministre ayant le Travail dans ses attributions -, la juridiction suprême, confrontée au même reproche suivant lequel l’entité désirant exploiter la centrale biomasse projetée sur le site à Lentzweiler ne pourrait pas se prévaloir d’un droit d’occupation et d’utilisation de l’emplacement prévu pour l’installation de ladite centrale, a tout d’abord retenu que, face à l’opposition du “F” de voir aménager sur son terrain une centrale de trigénération, telle qu’elle se dégagerait clairement des pièces du dossier, il aurait appartenu à la société “B” « de rapporter la preuve de son droit réel s’attachant à la propriété sur laquelle porte l’autorisation » en cause, respectivement qu’il « aurait appartenu à un premier stade au bureau “C”, en sa qualité de mandataire des sociétés “H” et “J”, à l’initiative desquelles le projet a été initié, sinon à un deuxième stade par lesdites sociétés ou la société “B”, une fois constituée, d’étoffer lors de l’instruction de la demande d’autorisation par l’ITM et les services ministériels le dossier et de démontrer pour le moins la potentialité de disposer le moment venu d’un droit réel lui accordé par le propriétaire sur le terrain devant accueillir la centrale de trigénération et non pas d’essayer d’obtenir une autorisation commodo/incommodo totalement « détachée » de la possibilité de pouvoir exploiter l’établissement projeté sur le site litigieux ». Elle a encore jugé qu’il « aurait appartenu à l’ITM et aux services ministériels de s’enquérir, soit lors du dépôt de la demande d’autorisation, sinon au fur et à mesure de l’avancement de l’instruction du dossier, sinon au plus tard avant l’octroi de l’autorisation d’exploitation de la centrale d’énergie de trigénération biomasse, sur les droits réels dont pouvait se prévaloir le futur exploitant en vue de vérifier si le projet litigieux était susceptible de se réaliser un jour et non pas d’accorder une autorisation « théorique » pour un établissement classé en faisant abstraction de toute possibilité concrète de réalisation dudit projet sur le terrain indiqué dans la demande d’autorisation. ». Après avoir encore relevé qu’en matière d’établissements classés à ériger sur un fonds immobilier, l’autorisation afférente s’analysait en droit réel par rapport à ce fonds, la Cour administrative a retenu qu’en « contrepartie, le demandeur d’autorisation [devait] au moins faire preuve d’une potentialité de détenir sur ce même fonds un droit réel suffisant afin de pouvoir accueillir l’établissement pour la mise en place duquel cette autorisation est sollicitée ». Elle a, par conséquent, considéré que dans un cas de figure où le refus net et inconditionnel du propriétaire du fonds immobilier pertinent s’opposait à toute potentialité de mise en place utile de l’établissement envisagé sur ce fonds, « la non-prise en compte de cet obstacle dirimant à la base du processus d’autorisation place l’administration concernée dans la position d’avoir procédé à une erreur de fait rendant l’autorisation néanmoins accordée nulle ab ovo, en raison de son caractère abstrait, théorique et irréaliste faisant fi d’un obstacle dirimant à la base » et que, le ministre ayant le Travail dans ses attributions, « en omettant de vérifier si cette condition essentielle était remplie au plus tard au moment de l’octroi de son autorisation » avait commis une erreur de fait devant entraîner l’annulation de l’autorisation d’exploitation délivrée par celui-ci.

9 Si certes, tel que relevé ci-avant, l’arrêt de la Cour administrative du 26 janvier 2023, prévisé, a été pris dans le contexte de l’autorisation d’exploitation délivrée par le ministre ayant le Travail dans ses attributions, il n’en reste pas moins que le tribunal ne saurait se départir des enseignements en découlant qui doivent, en effet, être transposés en l’espèce dans la mesure où l’autorisation d’exploitation actuellement litigieuse porte sur le même établissement classé, à savoir une centrale biomasse à ériger au sein de la zone industrielle « Op der Sang » à Lentzweiler, sur la même parcelle appartenant au “F”, en relation avec laquelle celui-ci a marqué son opposition à la voir aménager sur son terrain. Comme la Cour administrative a retenu que le refus net et inconditionnel du propriétaire du fonds immobilier pertinent s’opposait à toute potentialité de mise en place utile de l’établissement envisagé sur ce fonds et que de ce fait, la non-prise en compte de cet obstacle dirimant à la base du processus d’autorisation plaçait l’administration concernée dans la position d’avoir procédé à une erreur de fait rendant l’autorisation néanmoins accordée nulle ab ovo, en raison de son caractère abstrait, théorique et irréaliste faisant fi d’un obstacle dirimant à la base et qu’en l’espèce, il n’est pas contesté que l’autorisation d’exploitation du ministre ayant l’Environnement dans ses attributions a elle-aussi été délivrée sans que l’administration n’ait vérifié si au plus tard au moment de l’octroi de l’autorisation il existait une possibilité concrète de réalisation du projet litigieux sur le terrain indiqué dans la demande d’autorisation, il convient, suivant les enseignements de la juridiction suprême, de conclure que, ce faisant, ledit ministre a pour les mêmes motifs commis une erreur de fait devant également entraîner l’annulation de l’arrêté ministériel actuellement litigieux.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu, dans le cadre du recours en réformation, d’annuler l’arrêté ministériel du 29 octobre 2021 portant autorisation d’exploiter une centrale biomasse dans la zone industrielle « Op der Sang » à Lentzweiler.

Eu égard à l’issue du litige il y a lieu de rejeter comme étant non fondée la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 5.000 euros formulée par la société “B” sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

II.

Quant au recours inscrit sous le numéro 46992 du rôle 1. Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité du recours Etant donné que l’article 19, alinéa 1er de la loi du 10 juin 1999 prévoit un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal en l’espèce, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

En ce qui concerne la recevabilité du recours en réformation introduit à titre principal, il convient de relever qu’à travers leurs écrits contentieux respectifs, tant l’Etat que la société “B” ont contesté tout intérêt dans le chef de l’ASBL et des Citoyens pour agir contre l’arrêté 10 ministériel du 16 décembre 2021. A l’audience des plaidoiries et sur question afférente du tribunal, les parties défenderesse et tierce-intéressée ont déclaré renoncer à ce moyen d’irrecevabilité et ce, face au constat que, dans son arrêt du 4 février 2021, inscrit sous le numéro 45110C du rôle, la Cour administrative avait conclu à l’existence dans le chef tant de l’ASBL que des Citoyens d’un intérêt suffisant à agir contre l’arrêté du 28 mai 2019 par le biais duquel le ministre ayant le Travail dans ses attributions a autorisé sur le fondement de la loi du 10 juin 1999 la construction, l’aménagement et l’exploitation de la même centrale biomasse que celle autorisée à travers l’arrêté ministériel actuellement litigieux sur le fondement de la même loi. Il convient dès lors de leur en donner acte.

A défaut d’autre moyen d’irrecevabilité, le recours en réformation introduit à titre principal est à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

2. Quant au fond Dans la mesure où il vient d’être retenu dans le cadre du recours inscrit sous le numéro 46794 du rôle que l’arrêté ministériel du 29 octobre 2021 encourrait, dans le cadre du recours en réformation, l’annulation et, dans la mesure où il est constant en cause que l’arrêté ministériel du 16 décembre 2021 trouve son fondement dans celui du 29 octobre 2021 qu’il n’a modifié et complété que sur un point isolé et précis, de sorte à être tributaire de la validité de celui-ci, l’arrêté ministériel du 16 décembre 2021 encourt à son tour l’annulation dans le cadre du recours en réformation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant sur les moyens formulés de part et d’autre.

Eu égard à l’issue du litige il y a lieu de rejeter comme étant non fondée la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 15.000 euros formulée par la société “B” sur le fondement de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

joint les recours en réformation, sinon en annulation inscrits sous les numéros 46794 et 46992 du rôle ;

reçoit en la forme les recours en réformation introduits à titre principal contre les arrêtés référencés sous les numéros 1/17/0421 et 1/17/0421/RG du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable des 29 octobre et 16 décembre 2021 ;

au fond, les déclare justifiés, partant annule, dans le cadre de la réformation, lesdits arrêtés ministériels ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur les recours subsidiaires en annulation ;

rejette les demandes en allocation d’une indemnité de procédure formulées par la société anonyme “B” SA dans les deux rôles ;

condamne l’Etat aux frais et dépens dans les deux rôles.

11 Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 7 décembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 8 décembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 46794,46992
Date de la décision : 07/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-12-07;46794.46992 ?

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