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18/12/2023 | LUXEMBOURG | N°46762

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 décembre 2023, 46762


Tribunal administratif N° 46762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46762 1re chambre Inscrit le 7 décembre 2021 Audience publique du 18 décembre 2023 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, … contre deux décisions du bourgmestre de la commune de Reckange-sur-Mess, en présence de la société anonyme B, …, et de la société à responsabilité limitée C, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numé

ro 46762 du rôle et déposée le 7 décembre 2021 au greffe du tribunal administratif par la société...

Tribunal administratif N° 46762 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46762 1re chambre Inscrit le 7 décembre 2021 Audience publique du 18 décembre 2023 Recours formé par la société à responsabilité limitée A, … contre deux décisions du bourgmestre de la commune de Reckange-sur-Mess, en présence de la société anonyme B, …, et de la société à responsabilité limitée C, …, en matière de permis de construire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46762 du rôle et déposée le 7 décembre 2021 au greffe du tribunal administratif par la société anonyme Krieger Associates SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège à L-2146 Luxembourg, 63-65, rue de Merl, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B240929, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Georges Krieger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société à responsabilité limitée A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions, tendant à l’annulation :

1) de « […] l’autorisation de bâtir du 11 février 2021 n°… portant sur la construction du « … » au [nos] …, Rue … à Wickrange L-… […] » et 2) de « […] la décision du bourgmestre de l’administration communale de Reckange-sur-Mess en date du 6 septembre 2021, réceptionnée le 7 septembre 2021, portant rejet du recours gracieux formulé par la requérante en date du 9 juin 2021 […] » ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice suppléant Christine Kovelter, en remplacement de l’huissier de justice Frank Schaal, demeurant à Luxembourg, du 21 décembre 2021 portant signification de ce recours 1) à l’administration communale de Reckange-sur-Mess, représentée par son collège des bourgmestre et échevins actuellement en fonctions, établie à L-4980 Reckange-sur-Mess, 83, rue Jean-Pierre Hilger, 2) à la société anonyme B, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions et 3) à la société à responsabilité limitée C, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son gérant actuellement en fonctions ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de la société anonyme Arendt & Medernach SA, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établie et ayant son siège social à L-2082 Luxembourg, 41A, avenue J.F. Kennedy, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B186371, représentée aux fins de la présente procédure par Maître Christian Point, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 23 1décembre 2021, au nom de la société anonyme B et de la société à responsabilité limitée C, préqualifiées ;

Vu la constitution d’avocat à la Cour de Maître Steve Helminger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposée au greffe du tribunal administratif le 4 janvier 2022, au nom de l’administration communale de Reckange-sur-Mess, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 par la société anonyme Arendt & Medernach SA, au nom de la société anonyme B et de la société à responsabilité limitée C, préqualifées ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 21 mars 2022 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Reckange-sur-Mess, préqualifiée ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 21 avril 2022 par la société anonyme Krieger Associates SA, au nom de la société à responsabilité limitée A, préqualifée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2022 par Maître Steve Helminger, au nom de l’administration communale de Reckange-sur-Mess, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2022 par la société anonyme Arendt & Medernach SA, au nom de la société anonyme B et de la société à responsabilité limitée C, préqualifées;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions attaquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Couvreur, en remplacement de Maître Georges Krieger, Maître Martial Barbian, en remplacement de Maître Christian Point, et Maître Steve Helminger en leurs plaidoiries à l’audience publique du 15 novembre 2023.

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Le 17 janvier 2020, le bourgmestre de la commune de Reckange-sur-Mess, ci-après désigné par « le bourgmestre », délivra à la société anonyme B, ci-après désignée par « la société B », l’autorisation, référencée sous le numéro …, « […] de procéder à la construction du … sur le terrain inscrit au cadastre de la Commune de Reckange-sur-Mess sous le numéro … […] », ladite autorisation étant ci-après désignée par « l’autorisation … ».

Il est constant en cause que la parcelle devant accueillir la construction projetée relève d’un plan d’aménagement particulier dénommé « Op dem Pad », ci-après désigné par « le PAP ».

Le 11 février 2021, le bourgmestre accorda à la société B « […] l’autorisation de procéder à la modification de l’autorisation N° … « construction du … » sur le terrain inscrit au cadastre de la Commune de Reckange-sur-Mess sous le numéro … […] », ladite autorisation, référencée sous le numéro …, étant ci-après désignée par « l’autorisation … ».

2 Par avis au public du 5 mai 2021, le collège des bourgmestre et échevins de la commune de Reckange-sur-Mess, ci-après désigné par « le collège échevinal », informa le public du fait qu’un projet de modification ponctuelle du PAP avait été introduit pour le compte de la société B.

Par courrier de son litismandataire du 7 juin 2021, la société à responsabilité limitée A, ci-après désignée par « la société A », propriétaire de la parcelle portant le numéro cadastral …, soumit au collège échevinal ses objections à l’encontre du projet de modification ponctuelle du PAP.

Par courrier de son litismandataire du 9 juin 2021, elle introduisit auprès du bourgmestre un recours gracieux à l’encontre de l’autorisation …, lequel fut rejeté par décision du bourgmestre du 6 septembre 2021, libellée comme suit :

« […] en main votre courrier du 9 juin 2021 valant recours gracieux contre mon autorisation de bâtir du 11 février 2021 référencée sous le numéro … pour la construction du « … ».

Je tiens tout d’abord à vous rendre attentif au fait que cette autorisation n’est qu’une autorisation modificative de mon autorisation du 17 janvier 2020 référencée sous le numéro … et que les modifications accordées concernent exclusivement les aménagements et agencements intérieurs de l’immeuble pour n’avoir en rien touché ni au gabarit, ni au nombre d’étages et ni non plus à l’implantation de l’immeuble. Les seules modifications apportées à l’extérieur de l’immeuble concernent les accès pompiers.

Dans ces considérations vos allégations que cette autorisation visait en fait à exécuter une modification du PAP en cours d’élaboration manquent de tout fondement.

Il s’y ajoute et je tiens à le préciser pour autant que de besoin et à toutes fins utiles que votre mandante est aujourd’hui forclose à entreprendre la légalité de l’autorisation du 17 janvier 2020 référencée sous le numéro … et qui entretemps acquise force de décidée.

Je ne saurais partant faire droit à votre recours gracieux visant à ce que je revienne sur mon autorisation du 11 février 2021 référencée sous le numéro … pour la construction du « … ». […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 décembre 2021, la société A a fait introduire un recours tendant à l’annulation (i) de « […] l’autorisation de bâtir du 11 février 2021 n°… portant sur la construction du « … » au [nos] …, Rue … à Wickrange L-… […] » et (ii) de « […] la décision du bourgmestre de l’administration communale de Reckange-sur-Mess en date du 6 septembre 2021, réceptionnée le 7 septembre 2021, portant rejet du recours gracieux formulé par la requérante en date du 9 juin 2021 […] ».

I) Quant à la compétence du tribunal Aucun recours au fond n’étant prévu en matière d’autorisation de construire, le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation introduit en l’espèce.

II) Quant à la recevabilité 3 • Quant à l’intérêt à agir de la société A Positions respectives des parties L’administration communale de Reckange-sur-Mess, ci-après désignée par « l’administration communale », conclut à l’irrecevabilité du recours, pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse.

Après avoir souligné que la société A aurait, à l’origine, elle-même été propriétaire de la parcelle accueillant le projet litigieux, à savoir la parcelle portant le numéro cadastral …, ci-

après désignée par « la parcelle … », et qu’elle aurait vendu ladite parcelle, respectivement la société l’ayant détenue, à l’actuel maître de l’ouvrage en vue, précisément, de la réalisation du projet en question, elle insiste sur le fait que l’autorisation déférée consisterait en une simple autorisation modificative de l’autorisation …, qui, quant à elle, serait coulée en force de chose décidée pour ne pas avoir fait l’objet d’un recours contentieux endéans le délai légal.

Or, la société A n’aurait pas rapporté la preuve, lui incombant pour justifier d’un intérêt à agir, que l’autorisation déférée lui causerait un préjudice effectif, respectivement qu’elle entraînerait une aggravation de sa situation concrète de voisin.

En effet, tant l’implantation que le gabarit et le nombre de niveaux de l’immeuble projeté auraient déjà été autorisés par l’autorisation …, à laquelle l’autorisation actuellement déférée n’apporterait que quelques modifications mineures, qui, par rapport au permis de construire initial, n’auraient aucune incidence sur la situation de la société A.

Ainsi, l’affirmation de la société demanderesse d’être le voisin direct de la parcelle devant accueillir le projet litigieux ne saurait suffire pour établir l’existence, dans son chef, d’un intérêt à agir.

La société B et la société à responsabilité limitée C, ci-après désignée par « la société C », rejoignent, en substance, cet argumentaire de l’administration communale.

Par ailleurs, elles soulèvent le caractère illégitime de l’intérêt à agir invoqué par la société demanderesse, en soutenant qu’en réalité, le présent recours ne viserait qu’à perturber leur projet immobilier, alors que la société B aurait refusé, à juste titre, de payer une « commission » réclamée par la société à responsabilité limitée D, qui aurait le même bénéficiaire économique que la société A, au titre d’une « Convention portant sur une commission du Project Manager « … » » du 16 novembre 2012.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse soutient que son recours ne serait pas à déclarer irrecevable pour défaut d’intérêt à agir, en réfutant l’argumentaire des parties défenderesse et tierces intéressées selon lequel l’autorisation déférée n’apporterait que des modifications mineures à l’autorisation initiale, lesquelles n’auraient aucune incidence sur sa situation.

A cet égard, elle fait valoir que l’autorisation …, qui n’indiquerait nullement être une autorisation modificative, se présenterait comme une nouvelle autorisation de bâtir, alors que les modifications précises apportées par rapport à l’autorisation initiale n’y seraient pas mises 4en évidence. Elle en déduit que l’autorisation … remplacerait purement et simplement l’autorisation initiale, qui aurait, dès lors, disparu de l’ordonnancement juridique.

Quant à la liste des modifications apportées au projet initial, telle que dressée par l’administration communale dans son mémoire en réponse, la société A fait valoir que la création de surfaces commerciales supplémentaires y renseignée entraînerait, par rapport aux bureaux initialement prévus à l’endroit concerné, une augmentation de la circulation et des difficultés de stationnement.

La société demanderesse estime que sa situation de propriétaire s’en trouverait aggravée, du fait des flux de circulation supplémentaires dans les rues adjacentes et des nuisances sonores en résultant.

Par ailleurs, elle insiste sur le fait qu’elle serait le voisin direct de la parcelle devant accueillir le projet litigieux, en ce que sa propre parcelle y serait directement contiguë, qu’il y aurait une vue directe entre sa parcelle et la construction projetée, qui comporterait huit étages, et que cette situation de proximité par rapport à un projet d’une telle envergure serait de nature à lui causer un préjudice certain.

La société A ajoute qu’elle aurait introduit une réclamation à l’encontre du projet de modification du PAP, tout en soulignant que dans la mesure où « […] l’autorisation de bâtir vise[rait] à permettre des modifications au projet qui [seraient] retenues dans ladite modification ponctuelle du PAP, [sa] réclamation et [son] recours […] contre le PAP deviendrai[ent] sans objet si entretemps, l’autorisation de bâtir a déjà été délivrée […] ».

Elle en déduit que le recours sous examen s’inscrirait dans la continuité de son action contre le projet de construction litigieux.

Dans son mémoire en duplique, l’administration communale insiste sur le fait qu’il se dégagerait du libellé même de l’autorisation … qu’il s’agirait d’une autorisation modificative de l’autorisation ….

En tout état de cause, le projet de construction litigieux serait couvert par cette dernière autorisation qui aurait été dûment mise en exécution endéans l’année de sa délivrance et qui n’aurait pas fait l’objet d’un recours contentieux de la part de la société demanderesse. Ainsi, pour l’appréciation de l’intérêt à agir de cette dernière, il importerait peu de savoir si l’autorisation … constitue une autorisation modificative ou une nouvelle autorisation, étant donné que dans les deux cas, la société A ne pourrait justifier son intérêt à agir que par rapport à des points sur lesquels ladite autorisation divergerait de l’autorisation ….

Or, la société demanderesse resterait en défaut de prouver en quoi les modifications apportées à travers l’autorisation … au projet initial lui causeraient un quelconque préjudice.

Son argumentation ayant trait à une augmentation du trafic et à une accentuation de la problématique des emplacements de stationnement, du fait que des espaces initialement prévus comme bureaux seraient dorénavant prévus comme surfaces commerciales, serait à rejeter, étant donné qu’elle serait restée en défaut de prouver non seulement que cette modification créerait effectivement davantage de trafic ou un accroissement d’une problématique de stationnement, mais aussi qu’il y aurait un problème de trafic, respectivement de stationnement dans le quartier concerné.

5 Dans ce contexte, l’administration communale insiste sur le fait que la parcelle de la société demanderesse, d’une part, ne serait pas desservie par la même voirie que la parcelle … et, d’autre part, ne serait pas directement voisine de cette dernière, en ce qu’elle en serait séparée par la parcelle portant le numéro cadastral ….

Ainsi, même si les modifications apportées au projet initial par l’autorisation actuellement déférée engendraient une augmentation de trafic, ce qui ne serait néanmoins pas établi, la propriété de la société demanderesse n’en subirait aucune conséquence.

Par ailleurs, l’administration communale souligne que le projet litigieux comporterait suffisamment d’emplacements de stationnement pour l’ensemble des activités y prévues.

Dans leur mémoire en duplique, les parties tierces intéressées rejoignent, en substance, cet argumentaire de l’administration communale, en insistant sur le fait que l’autorisation … n’engendrerait aucun inconvénient supplémentaire par rapport à l’autorisation …, tout en soulignant que la société demanderesse, qui se prévaudrait d’une augmentation de la circulation et d’une aggravation de problèmes de stationnement, ne saurait s’ériger en défenseur de l’intérêt général.

Par ailleurs, elles concluent au caractère inopérant des développements de la société demanderesse ayant trait à l’introduction d’une réclamation contre le projet de modification ponctuelle du PAP, en précisant que ce serait à tort que la société A soutiendrait que l’autorisation déférée aurait anticipé sur ladite modification ponctuelle, alors que la procédure d’adoption de cette dernière n’aurait pas encore été entamée lors de la délivrance de l’autorisation litigieuse.

Finalement, elles réitèrent leurs développements antérieurs ayant trait au caractère illégitime de l’intérêt à agir invoqué par la société demanderesse.

Appréciation du tribunal L’intérêt conditionne la recevabilité d’un recours contentieux. En matière de contentieux administratif, portant, comme en l’espèce, sur des droits objectifs, l’intérêt ne consiste pas dans un droit allégué, mais dans le fait vérifié qu’une décision administrative affecte négativement la situation en fait ou en droit d’un administré qui peut en tirer un avantage corrélatif de la sanction de la décision par le juge administratif.1 Par ailleurs, toute partie demanderesse introduisant un recours contre une décision administrative doit justifier d’un intérêt personnel distinct de l’intérêt général. Si les voisins proches ont un intérêt évident à voir respecter les règles applicables en matière d’urbanisme, cette proximité de situation constitue certes un indice pour établir l’intérêt à agir, mais ne suffit pas à elle seule pour le fonder. Il faut de surcroît que l’inobservation éventuelle de ces règles soit de nature à entraîner une aggravation concrète de leur situation de voisin.2 En d’autres termes, il faut que la construction litigeuse affecte directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance du bien d’un demandeur, lequel doit ainsi voir sa 1 Cour adm. 14 juillet 2009, n° 23857C et 23871C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse n° 2 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 22 janvier 1997, n° 9443 du rôle, confirmé par Cour adm., 24 juin 1997, n° 9843C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 86 et les autres références y citées.

6situation s’aggraver effectivement et réellement3, la simple qualité de voisin, même direct, étant dès lors insuffisante pour justifier un intérêt à agir dans le chef du demandeur.

En tout état de cause, l’intérêt à agir s’apprécie non pas de manière abstraite, par rapport à la seule qualité de propriétaire d’un immeuble voisin, mais concrètement au regard de la situation de fait invoquée.4 La situation de l’espèce est particulière, en ce que l’autorisation de construire déférée fait suite à une première autorisation – l’autorisation … – portant sur le même projet, à savoir le « … ».

La société demanderesse soutient que l’autorisation … constituerait une nouvelle autorisation, qui aurait purement et simplement remplacé l’autorisation …, laquelle aurait, dès lors, disparu de l’ordonnancement juridique.

Le tribunal ne saurait cependant partager cette argumentation de la société A.

En effet, l’autorisation déférée a l’intitulé suivant : « Autorisation pour la modification de l’autorisation N° …5 « construction du … ». Par ailleurs, il ressort de ses visas qu’elle fait suite à « […] la demande et [aux] plans présentés le 23.12.2020 […] concernant la modification de l’autorisation N°…6 « construction du … » […] ». Il se dégage encore du libellé de l’autorisation litigieuse que sur base de cette demande et des plans afférents, le bourgmestre a autorisé la société B « […] de procéder à la modification de l’autorisation N° …7 « construction du … », en précisant encore que « […] le projet prévoit la modification de l’autorisation N° …8 « construction du … » […] ». De même, les plans gisant à la base de l’autorisation de construire déférée précisent qu’ils ont été élaborés dans le cadre d’une « modification », telle que souligné à juste titre par les sociétés tierces intéressées.

Il suit de tous ces éléments que même s’il est exact que lesdits plans portent sur l’ensemble de la construction et ne mettent pas en évidence les modifications apportées au projet par rapport à l’autorisation initiale, il n’en reste pas moins qu’il n’est pas sérieusement contestable qu’il était dans l’intention du bourgmestre d’accorder à la société B une simple modification de l’autorisation …, ainsi que cela se dégage, d’ailleurs, de manière non équivoque de la motivation de la décision du bourgmestre du 6 septembre 2021 portant rejet du recours gracieux de la société demanderesse, citée in extenso ci-avant.

Or, dans la mesure où l’adoption d’un acte modificatif d’un acte initial est sans incidence sur l’existence même de cet acte initial, le tribunal retient que l’autorisation … n’a pas disparu de l’ordonnancement juridique, du fait de la délivrance de l’autorisation ….

Dans ce contexte, le tribunal relève encore qu’il ressort des explications de la partie communale, non contestées par la société demanderesse, que l’autorisation … a été dûment 3 Trib. adm., 21 février 2018, n° 38029 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 86 et les autres références y citées.

4 Trib. adm. 8 décembre 2003, n°16236 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse n° 109 et les autres références y citées.

5 Souligné par le tribunal.

6 Ibid.

7 Ibid.

8 Ibid.

7mise en exécution endéans l’année de sa délivrance, de sorte qu’il n’est pas établi, ni d’ailleurs soutenu, qu’au moment de la délivrance de l’autorisation …, voire au moment du dépôt de la requête introductive d’instance, l’autorisation initiale ait été périmée, en application des dispositions de l’article 37, alinéa 59 de la loi modifiée du 19 juillet 2004 concernant l’aménagement communal et le développement urbain, désignée ci-après par « la loi du 19 juillet 2004 ».

Dès lors, et dans la mesure où il est constant en cause que l’autorisation … n’a pas fait l’objet d’un recours contentieux endéans le délai légal, de sorte à avoir acquis force de chose décidée, le projet de construction litigieux resterait couvert par l’autorisation initiale, en cas d’annulation de l’autorisation ….

Il s’ensuit que c’est à juste titre que les parties défenderesse et tierces intéressées soutiennent que l’intérêt à agir de la société A doit être apprécié par rapport au grief lui causé, le cas échéant, par les seules modifications concrètement apportées au projet initial par l’autorisation ….

Il ressort à ce propos des explications concordantes des parties défenderesse et tierces intéressées, non contestées par la société demanderesse, que l’autorisation … ne modifie ni l’implantation, ni le gabarit, ni le nombre de niveaux de l’immeuble à construire, tels que prévus par l’autorisation ….

La société demanderesse ne saurait, dès lors, utilement se prévaloir de l’envergure du projet, ni de la vue directe qu’il y aurait entre la construction projetée et sa propre parcelle pour justifier son intérêt à agir.

Quant aux modifications concrètement apportées au projet par l’autorisation …, le tribunal relève que la partie communale explique, sans être contredite par la société demanderesse, qu’il s’agit des modifications suivantes :

• « […] Le plan masse n° 7 et concernant l’implantation a été modifié comme suit :

- mise à jour de l’accessibilité pompiers, - montée et descente sur le parking central via une rampe intérieure ;

- sup[p]ression du passage pompier périphérique ;

« Remplacé par un chemin renforcé pour véhicules agricoles » ;

- déplacement de la servitude d’accès au champ à l’arrière du projet. […] » • « […] Le plan du niveau -1 fut modifié comme suit :

- mise à jour des locaux techniques : locaux sprinklage, séparateur d’hydrocarbure ;

- Zone A, surface des locaux techniques doublée (moins de surface de stockage) - Zone D, ajout d’un ascenseur monte voitures. […] » ;

• « […] Le plan du niveau 0 a été modifié comme suit :

9 Art. 37, alinéa 5 de la loi du 19 juillet 2004 : « L’autorisation est périmée de plein droit si, dans un délai d’un an, le bénéficiaire n’a pas entamé la réalisation des travaux de manière significative. […] ».

8- découpage des ateliers en surfaces plus petites ;

- ajout de couloir (chemins de fuite) et ajout de locaux techniques ;

- suppression du local simulateur (remplacé par parking) ;

- déplacement des locaux poubelles ;

- déplacement escalator entre le niveau 0 et le niveau +1 ;

- ajout d’un carwash ;

- ajout de l’ascenseur monte voiture dans la zone D. […] ».

• « […] Le plan du niveau +1 a été modifié comme suit :

- Zone A suppression showroom/découpé en plus petites surfaces (food corner et petites cellules de vente) ;

- modification du fonctionnement des cuisines et restaurant ;

- déplacement escalator (accès à l’intérieur) ;

- mise à jour (ajout) de WC ;

- redistribution de la galerie et des commerces. […] » ;

• « […] Le plan du niveau +2 a été modifié comme suit :

- mise à jour des circulations galeries commerces ;

- suppression de surfaces de bureaux (ajout de surfaces de commerces) ;

- ajout de la zone business center. […] ».

Force est au tribunal de constater que la société demanderesse est restée en défaut d’établir que ces différentes modifications affecteraient directement les conditions d’occupation, d’utilisation ou de jouissance de son bien, de manière telle qu’elle verrait sa situation s’aggraver effectivement et réellement.

Son argumentation selon laquelle la suppression de surfaces de bureau et leur remplacement par des surfaces de commerces conduiraient à une augmentation de la circulation et à une aggravation des problèmes de stationnement est insuffisante à cet égard.

En effet, l’argumentation en question est essentiellement hypothétique, alors que le lien de cause à effet invoqué entre, d’une part, la suppression de surfaces de bureau et leur remplacement par des surfaces de commerces et, d’autre part, une augmentation de la circulation et une aggravation de problèmes de stationnement n’est corroboré par aucun élément concret. Par ailleurs, outre le fait qu’il n’est pas non plus établi qu’à l’heure actuelle, il existerait des problèmes de circulation et de stationnement à l’endroit litigieux et que l’administration communale explique, sans être contredite par la société demanderesse, que le projet litigieux comporte suffisamment d’emplacements de stationnement pour l’ensemble des activités y prévues, le tribunal constate que la société demanderesse ne rapporte pas la preuve que l’augmentation de la circulation et l’aggravation de problèmes de stationnement dont elle se prévaut risqueraient – à les supposer établies – d’avoir une ampleur telle que sa situation de voisin s’en trouverait effectivement et réellement aggravée, étant relevé, dans ce contexte, qu’il est constant en cause que la parcelle de la société demanderesse n’est pas desservie par la même voie desservante que la construction litigieuse.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que la société demanderesse ne justifie pas d’un intérêt suffisant à agir à l’encontre des décisions déférées, de sorte que le recours sous analyse doit être déclaré irrecevable, sans qu’il y ait lieu de prendre position quant à l’argumentation des sociétés tierces intéressées ayant trait au 9caractère illégitime de l’intérêt à agir invoqué par la société A, cet examen devenant surabondant.

Les sociétés tierces intéressées sollicitent l’octroi, à chacune d’elle, d’une indemnité de procédure de 10.000 euros, sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné qu’il n’est pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des sociétés tierces intéressées les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens. Le simple fait que le recours ait été déclaré irrecevable, faute pour la société demanderesse d’avoir rapporté la preuve d’un intérêt à agir, est insuffisant à cet égard. La même conclusion s’impose quant à l’affirmation des sociétés tierces intéressées selon laquelle la société A n’aurait pas fait valoir le moindre argument juridiquement valable et pertinent à l’appui de son recours. En effet, dans une optique d’efficience de traitement du contentieux administratif et fiscal, il n’appartient pas à une juridiction saisie de pousser plus loin que nécessaire l’analyse des questions de droit soulevées par rapport au fond du litige, en vue de toiser une demande en allocation d’une indemnité de procédure, dans le cadre d’un recours déclaré irrecevable.10 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

déboute la société anonyme B et la société à responsabilité limitée C de leurs demandes respectives en allocation d’une indemnité de procédure ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 18 décembre 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 décembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10 Par analogie : Cour adm., 12 mars 2015, n° 35452C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 1243 et les autres références y citées ; voir aussi : trib. adm., 27 mars 2017, n° 37537 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

10 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46762
Date de la décision : 18/12/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/12/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-12-18;46762 ?

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