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15/04/2024 | LUXEMBOURG | N°48757

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 avril 2024, 48757


Tribunal administratif N° 48757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48757 2e chambre Inscrit le 31 mars 2023 Audience publique du 15 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48757 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2023 par Maître Françoise Nsa

n-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom...

Tribunal administratif N° 48757 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:48757 2e chambre Inscrit le 31 mars 2023 Audience publique du 15 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48757 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2023 par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Cameroun), de nationalité camerounaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 mars 2023 portant refus de faire droit à sa demande de protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alfven Mirouka, en remplacement de Maître Françoise Nsan-Nwet, et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff Reckinger en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 4 décembre 2023.

Le 16 septembre 2020, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent du Service de police judiciaire de la Police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Les 24 mars et 23 avril 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 16 mars 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme non fondée. La décision, qui comporte encore un ordre de quitter le territoire dans un délai de trente 1 jours à son égard, est libellée de la façon suivante :

« […] J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 16 septembre 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 septembre 2020, votre fiche des motifs du 16 septembre 2020, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 24 mars et 23 avril 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Vous déclarez être né à …, de nationalité camerounaise, d'ethnie Bamiléké, être chrétien et avoir vécu à … un quartier de … en République du Cameroun, jusqu'à votre départ du pays le 28 mars 2018 en direction de Chypre où vous avez séjourné jusqu'en août 2020.

Concernant vos craintes en cas de retour en République du Cameroun, vous indiquez que vous seriez homosexuel et vous ajoutez que « ce n'est pas à cause de ma famille que je ne peux pas retourner mais à cause de cet article du code pénal qui m'a fait partir, et qui est toujours en vigueur…et ils en abusent… » (page 17 de votre rapport d'entretien).

Concernant les événements qui se seraient déroulés avant votre départ de votre pays d'origine, vous expliquez qu'à l'âge de … ans, vous auriez parlé en dormant et vous auriez mentionné que vous seriez « gay » (page 6 de votre rapport d'entretien). Votre petit-frère qui aurait partagé votre chambre aurait rapporté vos propos auprès de vos parents. Alors que vous auriez nié être homosexuel, vos parents vous auraient « tabassé » (page 6 de votre rapport d'entretien) de telle sorte que votre bras aurait été cassé. A votre sortie de l'hôpital, vos parents vous auraient emmené chez « les féticheurs » en pensant qu'un sort vous aurait été jeté. Vous ajoutez que vos parents auraient toutefois encore douté de votre orientation sexuelle par la suite et vous auraient emmené de temps en temps « chez les féticheurs » (page 6 de votre rapport d'entretien).

Vous expliquez dans ce contexte que depuis la sixième quand vous auriez eu entre … et … ans, vous vous seriez rapproché d'un certain « … » (page 7 de votre rapport d'entretien) qui aurait fréquenté la même école que vous. Vous ajoutez qu'un jour, alors que vous vous seriez amusés ensemble, vos bouches se seraient touchées et alors que cela ne l'aurait pas dérangé, vous auriez compris qu'il aurait été homosexuel. Vous ajoutez qu'un jour, les parents de … l'auraient tabassé au motif qu'ils auraient trouvé une lettre dans laquelle … vous aurait nommé …, tout en mentionnant que « même si on est du même sexe on s'en fou » (page 7 de votre rapport d'entretien). Quelques temps après cet évènement, les parents de … l'auraient retiré de l'école, toutefois vous précisez que les parents de … l'auraient retiré de l'école pour des motifs différents, à savoir qu'ils se seraient opposés à la participation de leur fils aux messes obligatoires alors qu'ils auraient été des témoins de Jehova.

2 En 2012, vous auriez quitté la maison familiale pour vous installer à … et y suivre des cours du soir en maintenance des systèmes informatiques. Durant la première année, vous auriez alterné vos cours et un travail de jour dans l'entreprise de votre oncle « … » (page 10 de votre rapport d'entretien). La deuxième année, vous auriez suivi les cours de jour.

Après les deux années que vous auriez passées à …, vous auriez déménagé à … pour y suivre des cours de jour. Vous auriez terminé vos études en 2015, date à laquelle vous seriez rentré dans la vie active.

En 2018, votre mère vous aurait prévenu que votre père serait tombé malade à l'ouest de … et vous aurait demandé de l'y accompagner. Vous seriez parti avec votre mère et à votre surprise, il se serait agi d'une fausse excuse pour vous emmener chez un nouveau « féticheur » (page 11 de votre rapport d'entretien) au motif que les précédents féticheurs auraient fait du mauvais travail.

Pendant trois jours, vous auriez été gardé contre votre volonté afin que le féticheur et ses assistants exécutent leur rituel. Vous auriez passé la première journée attaché à une chaise et les deux jours suivants, vous auriez été attaché à une fenêtre. Au bout de la troisième journée, vous auriez réussi à briser votre chaîne grâce à une cuillère qui vous aurait été donnée avec votre repas et vous auriez pris la fuite en déplaçant une « tôle du toit » (page 12 de votre rapport d'entretien). Votre premier réflex aurait été de vous rendre à la gendarmerie où au beau milieu de la nuit vous auriez fait part de votre séquestration. Le lendemain matin les gendarmes auraient contacté vos parents, toutefois « le féticheur » se serait présenté en premier et aurait informé les gendarmes que vous seriez homosexuel et que vous seriez venu de la ville pour vous faire soigner. Ils auraient dès lors décidé que vous devriez continuer votre « traitement » (page 12 de votre rapport d'entretien), mais qu'auparavant, ils auraient voulu vous « donner une bonne punition » (page 12 de votre rapport d'entretien) en vous gardant au poste. Après trois jours, alors que vous auriez dû nettoyer les motos des gendarmes, vous auriez profité de leur inadvertance pour vous enfuir.

De retour à …, vous auriez séjourné dix jours chez une amie et deux jours après votre arrivée vous auriez pris contact avec Maître … pour lui faire part des évènements que vous auriez traversés. Elle vous aurait conseillé de faire profil bas. Vous auriez par la suite contacté un ami à vous avec qui vous auriez auparavant déjà eu une conversation sur les études à Chypre et vous lui auriez demandé de l'aide pour partir continuer vos études à Chypre. Votre ami aurait fait certaines démarches pour vous et vous auriez obtenu une lettre d'acceptation de la « Business management school » (page 16 de votre rapport d'entretien).

Le 28 mars, vous auriez quitté la République du Cameroun par avion en direction de Chypre où vous auriez séjourné jusqu'en août 2020.

A l'appui de votre demande de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

- Une copie de la lettre d'acceptation de la « Business management school Cyprus » ;

- Une copie de votre certificat de participation à la formation « Trouvez [Sic] un job avec ton ordinateur » donnée par … au Luxembourg ;

3 - Une copie d'une attestation de votre présence au cours de « training Computer Digital Literacy Computer Essentials : Microsoft Word » organisée au Luxembourg par l'ASBL … ;

- Votre CV ;

- Un certificat d'affiliation au centre commun de la sécurité sociale ;

- Un contrat de travail à durée indéterminée auprès de … S.A.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Avant tout autre développement, il convient de soulever le fait que votre identité n'est pas établie. En effet, Monsieur vous déclarez qu'après que vous auriez étudié à Chypre d'avril 2018 à août 2020, vous auriez quitté Chypre en y laissant tous vos documents officiels tel que votre passeport et vos diplômes. Au-delà du fait que vous ne fournissez aucune explication quant à votre choix d'abandonner tous vos documents à Chypre, force est de constater qu'il est très curieux que vous ne soyez pas en mesure de fournir ne fût-ce qu'une copie de vos diplômes qui vous ont permis de compléter votre dossier de candidature à l'université à Chypre. En effet, vous déclarez que vous auriez envoyé le scan de vos diplômes et de votre passeport à votre ami qui vous aurait aidé à vous inscrire. Partant vous devriez être en mesure de retrouver la trace de ces échanges voire vos documents en pièces jointes. Sinon, vous devriez être au moins en mesure de verser une preuve qui démontre que vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir pour récupérer des copies des documents constitutifs de votre dossier de candidature auprès de votre université à Chypre et dont une copie de votre passeport devait faire partie alors que votre numéro de passeport est renseigné sur la lettre d'acceptation de votre université.

Ceci étant dit, il y a lieu de rappeler qu'il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui alléguées, sur base d'un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l'administration en mesure de saisir l'intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l'analyse d'une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s'agit également d'apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément d'évaluation fondamental dans l'appréciation du bien-fondé d'une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu'il y a lieu de constater que vous ne faites pas état de manière crédible qu'il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d'origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Dès lors, la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d'origine doit être réfutée pour les raisons suivantes :

Premièrement, soulevons que lors de l'introduction de votre demande de protection internationale, vous avez déclaré que « je souhaite demander l'asile car je suis homosexuel et ma famille veut me marier de force avec une femme » (page 2 du rapport du Service de Police Judiciaire) ou encore «[j]’ai quitté mon pays en mars 2018 à cause de mon orientation sexuelle 4 car je suis un gay et aussi par ma famille qui voulait m'imposer une femme » (votre fiche des motifs).

Or, Monsieur, au-delà du fait que tel que développé ci-après, votre prétendue homosexualité n'est pas crédible, force est de constater que vous ne faites nullement mention ni des « féticheurs » chez lesquels vous auriez été amené contre votre gré et d'où vous vous seriez échappé de façon rocambolesque avant de vous rendre à la police où vous auriez été arrêté et d'où vous vous seriez évadé après trois jours. Partant, il semble évident que vous avez étoffé votre vécu au fur et à mesure de l'avancement de votre procédure de demande de protection internationale. En effet, si vous aviez réellement vécu ces évènements, il parait impensable que vous auriez omis de les mentionner dès l'introduction de votre demande de protection internationale.

Deuxièmement, vous déclarez que suite à vos problèmes liés à votre homosexualité, vous auriez rencontré ou du moins auriez été en contact à plusieurs reprises avec Me …. A l'âge de … ans, soit en …, vous auriez pris contact avec elle afin d'« éclaircir certaines choses sur l'homosexualité » (page 13 de votre rapport d'entretien). Elle vous aurait informé du fait que vous vous trouveriez « dans un pays avec une loi qui condamne l'homosexualité mais que la plupart des personnes qui sont arrêtés et condamnés à cause de leur homosexualité sont des gens qui ont été dénoncé par la population et pas des gens qui ont été trouvé en flagrant délit » (page 13 de votre rapport d'entretien) et vous aurait conseillé « de vivre discrètement » (page 13 de votre rapport d'entretien). Plus tard, après les évènements qui seraient arrivés en 2018, vous auriez repris contact avec Me … qui vous aurait alors conseillé de faire profil bas.

Lorsque vous lui auriez fait part de votre projet de quitter la République du Cameroun, elle vous aurait conseillé de l'appeler au cas où vous seriez arrêté à l'aéroport.

Monsieur, au vu de ces déclarations, il est très étonnant que vous ne soyez pas en mesure de verser une quelconque preuve de votre entrevue avec Me …, « avocate camerounaise spécialiste de droits LGBT » et fondatrice en 2003 de « l'Association de défense des homosexuels du Cameroun (Adefho) ». En effet, on est en droit de s'attendre à ce que si cet échange, voire entrevue avait réellement eu lieu, vous auriez fait le nécessaire pour demander à Me … de confirmer vos dires par une attestation sur l'honneur ou quelconque autre témoignage qui prouverait vos dires. Or, tel n'est pas le cas en espèce.

De plus, il n'est pas crédible que si comme vous le relatez, vous auriez fait part à Me … de vos problèmes ainsi que de votre projet de voyage, elle ne vous ait pas informé de la possibilité de demander une protection internationale à l'étranger. Partant vos déclarations selon lesquelles vous n'auriez pas introduit de demande de protection internationale en Allemagne au motif que « je ne savais pas ce que c'était la protection internationale » (page 5 de votre rapport d'entretien) ne tiennent pas la route.

Troisièmement, vous dépeignez une situation familiale compliquée depuis que vos parents auraient pensé que vous seriez homosexuel dès l'âge de … ans. Vous expliquez que le jour où vos parents auraient commencé à avoir des doutes, votre père vous aurait cassé le bras en vous frappant et vous auriez été envoyé contre votre gré à plusieurs reprises chez des « féticheur[s] » (page 6 de votre rapport d'entretien) pour vous « soigner » (page 6 de votre entretien) de votre homosexualité par divers rituels. Vous ajoutez qu'après cet épisode, vous auriez été surveillé par vos parents qui auraient entre autres restreint vos sorties.

5 Partant et alors que vous précisez que quand vous seriez rentré dans la vie active, soit vers vos 25 ans, ce n'est plus seulement vos parents, mais « toute la famille » (page 17 de votre rapport d'entretien) qui vous aurait mis la pression pour que vous épousiez une fille, il est très curieux qu'au lieu de vous émanciper et de mener votre propre vie, indépendamment de votre famille, vous auriez choisi de travailler dans une entreprise de bâtiment et travaux publics qui aurait appartenu à votre oncle.

Monsieur, contrairement à la situation familiale compliquée à laquelle vous tentez de faire croire, force est de constater que vos parents vous auraient scolarisé, vous auraient supporté financièrement au moins jusqu'à vos 25 ans et que vous avez été engagé après vos études dans l'entreprise de votre oncle, où d'après le CV que vous avez introduit à l'appui de votre demande d'occupation temporaire au Luxembourg, vous auriez été employé jusqu'à votre départ de la République du Cameroun, de sorte que votre situation personnelle ne reflète pas le vécu d'une personne homosexuelle persécutée par sa propre famille.

Vous confirmez d'ailleurs vous-même ce constat de façon indirecte en déclarant que « ce n'est pas à cause de ma famille que je ne peux pas retourner [en République du Cameroun] mais à cause de cet article du code pénal qui m'a fait partir, et qui est toujours en vigueur…et ils en abusent… » (page 17 de votre rapport d'entretien). D'ailleurs il convient de soulever que ces propos de votre part sont très étonnant alors que tous vos problèmes seraient à mettre en relation avec les agissements de votre famille et à aucun moment vous n'avez été jugé, voir condamné au nom dudit article du code pénal.

Quatrièmement, quant aux évènements qui auraient menés à votre arrestation, soulevons qu'il est invraisemblable que vous auriez réussi à vous défaire de la chaîne qui vous aurait retenu chez le féticheur, à l'aide d'une cuillère. Quand bien-même vous auriez réussi à forcer cette chaîne avec une cuillère, et alors que d'après vos dires vous saviez que l'homosexualité est un délit en République du Cameroun, il parait invraisemblable que le premier réflexe que vous auriez eu en quittant le lieu où sur demande de vos parents un « féticheur » aurait voulu vous soigner de votre homosexualité, aurait été de vous rendre au poste de police afin de dénoncer ces faits. Quant à votre évasion après trois jours d'arrestation, il est invraisemblable que des policiers vous auraient enlevé les menottes et vous auraient laissé sans surveillance en dehors du poste de police.

De plus, Monsieur, ces déclarations feraient de vous un fugitif en République du Cameroun. Or, là encore, force est de constater que vous avez quitté la République du Cameroun légalement par avion et muni de votre passeport, de sorte qu'il paraît évident que vous n'êtes pas recherché en République du Cameroun et que par conséquent la véracité de vos propos est questionnable. Dans le même état d'esprit, si réellement vous vous étiez évadé du poste de police où vous auriez été retenu au motif que vous seriez homosexuel et que la police de … vous aurait recherché dans votre appartement, vous devriez faire l'objet d'un mandat d'arrêt, voire d'un avis de recherche que votre avocate Me … aurait très bien pu vous faire parvenir, or vous restez à défaut de présenter une quelconque pièce qui permettrait de confirmer votre récit.

Monsieur, il est évident que comme votre frère l'a fait avant vous au Luxembourg ou encore votre sœur et vos cousins en France, vous essayez simplement de vous établir en Europe. Partant, il est indéniable que vous faites un recours abusif aux procédures propres à votre demande de protection internationale dans le seul but de régulariser votre situation administrative.

6 Votre récit n'étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Votre demande en obtention d'une protection internationale est dès lors refusée comme non fondée.

Suivant les dispositions de l'article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la République du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner.

[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 31 mars 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle du 16 mars 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 16 mars 2023 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 16 mars 2023, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique qu’il serait originaire du Cameroun et qu’il aurait compris, pendant son adolescence, qu’il serait attiré par les personnes du même sexe que lui et que ce ne serait qu’à l’âge de … ans qu’il aurait pu verbaliser son homosexualité. Lorsque sa famille aurait découvert son orientation sexuelle, ses parents l’auraient enrôlé de force dans un programme violent de reconversion, pratiqué par les « féticheurs » traditionnels dans son village, pour le « guérir de sa maladie ».

Après avoir été séquestré, battu et maltraité pendant trois jours par ces « féticheurs », il aurait réussi à s’échapper et cherché à trouver de l’aide auprès des autorités. Il affirme avoir cependant été « très vite déçu » car il aurait été « rattrapé » par ses parents qui auraient réussi à retourner les agents de police contre lui.

Compte tenu de l’homophobie « ambiante » dans la société camerounaise, les policiers auraient été convaincus que ses parents auraient cherché à le « soigner » du mauvais sort que constituerait l’homosexualité. Il aurait été, par la suite, mis en détention par les policiers qui auraient normalement dû lui porter secours et il aurait de nouveau été maltraité par ces derniers.

Le demandeur reproche, à cet égard, au ministre de l’avoir implicitement accusé d’avoir inventé ces événements afin d’augmenter ses chances d’obtenir une protection internationale au Luxembourg.

Le demandeur relève, dans ce contexte, que selon les recommandations du Haut-

Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (« UNHCR »), il serait courant que les individus demandant l’asile pour des motifs liés à leur orientation sexuelle n’oseraient pas, 7 dans un premier temps, exposer ouvertement ces motifs à l’appui de leur demande, alors qu’ils seraient susceptibles d’avoir subi dans leur pays d’origine des sévices graves du fait de leur orientation sexuelle et pourraient avoir pris l’habitude de dissimuler cette orientation, voire de nier leur propre identité, afin d’échapper à des traitements barbares. Cette attitude serait induite par la situation dans le pays d’origine et pourrait à son tour générer des graves troubles psychologiques qui rendraient très difficile la révélation d’éléments pertinents pour la demande de protection internationale.

Il insiste sur le fait que comme chaque élément évoqué par lui sur son vécu traumatique serait remis en question par la partie étatique, ce serait l’incrédulité de cette dernière qui tiendrait lieu d’analyse en lieu et place de la rigueur requise par l’UNHCR lors de l’analyse de la crédibilité du récit d’un demandeur de protection internationale invoquant des persécutions fondées sur son orientation sexuelle. Lorsque le ministre relèverait, par exemple, qu’il « serait très curieux qu’au lieu de s’émanciper et de mener sa propre vie, indépendamment de sa famille, [il] aurait choisi de travailler dans une entreprise de bâtiment et travaux publics qui aurait appartenu à son oncle », le ministre démontrerait l’absence d’analyse de sa situation effective dans la société camerounaise, le demandeur reprochant au ministre de considérer qu’il ne serait pas ostracisé par sa famille du seul fait qu’il aurait travaillé pour son oncle, sans toutefois expliquer de quelle façon il est venu à cette conclusion. Ce serait d’ailleurs cette « mise au ban » par les membres de sa propre famille qui l’aurait poussé à chercher de l’aide en dehors de son pays, puisque ni les autorités camerounaises ni sa famille ne cautionneraient son orientation sexuelle.

Le demandeur estime qu’en analysant les faits comme il l’a fait, sans chercher quelles auraient été les spécificités de la société camerounaise face à la question de l’acceptation de l’orientation sexuelle dans les structures familiales traditionnelles, le ministre aurait fait abstraction de ce point crucial, pourtant repris dans les recommandations de l’UNHCR.

Monsieur … poursuit en mettant en avant que son attitude serait tout à fait compréhensible à la lumière de ces recommandations et au regard des exactions que subiraient les membres de la communauté « LGBT » au Cameroun, encouragées par la législation en vigueur qui criminaliserait l’homosexualité. Il explique qu’après peu de temps passé au Grand-

duché de Luxembourg, il se serait senti suffisamment en confiance et à l’abri des exactions pour se confier sur les sévices qu’il aurait subis dans son pays d’origine, alors que son traumatisme aurait été d’autant plus grand en raison du fait que ses propres parents l’auraient « livré à ses bourreaux ».

Eu égard à ces circonstances, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir porté une plus grande attention aux recommandations de l’UNHCR, évoquées ci-avant, relatives à la cohérence de son récit ayant trait à des persécutions fondées sur son orientation sexuelle. Ce serait, dès lors, à tort que le ministre aurait conclu de ces incohérences que son récit ne serait pas crédible.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

8 La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la loi 18 décembre 2015 comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves, au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat;

9 b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

En l’espèce, le tribunal précise, en premier lieu, que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

10 Il se dégage à ce propos de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur … en relation avec son vécu en tant que personne homosexuelle, ne serait pas crédible.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

En ce qui concerne tout d’abord l’homosexualité du demandeur, il n’est certes pas évident pour un demandeur de protection internationale de prouver objectivement son orientation sexuelle. Cependant, le ministre est en droit d’attendre d’un demandeur qui se dit homosexuel et avoir subi des actes de persécution de ce fait, respectivement craindre de subir de tels actes en cas de retour dans son pays d’origine, qu’il soit convaincant et cohérent sur son vécu et son parcours relatifs à son orientation sexuelle.

En l’espèce, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement concernant la crédibilité du récit du demandeur ayant notamment trait à sa prétendue homosexualité.

Le tribunal constate, en premier lieu, que le concerné a indiqué dans la fiche de motifs relative au dépôt de sa demande de protection internationale qu’il aurait quitté son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle et de « [sa] famille qui voulait [lui] imposer une femme [ainsi qu’en raison de] toutes [c]es persécutions physiques et morales par [sa] famille et des tiers personnes ».

Le demandeur a encore indiqué, lors de son entretien du 16 septembre 2022 avec la police judiciaire, qu’il souhaitait introduire une demande de protection internationale au motif qu’il serait « homosexuel et [s]a famille [voudrait] [l]e marier de force avec une femme ».

Or, dans ses entretiens des 24 mars et 23 avril 2021 relatifs à sa demande de protection internationale, le demandeur a expliqué que sa décision de fuir son pays d’origine aurait principalement été liée à son vécu au Cameroun, à savoir le fait d’avoir été amené par ses parents, contre son gré et en raison de son homosexualité, chez des « féticheurs », d’avoir par la suite été arrêté par la police et d’avoir été recherché, après son évasion du poste de police, par les autorités camerounaises.

Le tribunal relève en effet que, questionné plus en détail sur les raisons qui l’auraient poussées à fuir le Cameroun, Monsieur … a vaguement précisé que sa fuite était due à « La pression de toute la famille pour que j’épouse une femme, au début c’était juste les parents et 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

11 après c’était toute la famille. »2 alors que, selon ces derniers, « il fallait avoir une femme et des enfants »3. Bien qu’il affirme encore avoir prétexté à sa famille ne pas avoir les moyens pour organiser un mariage, raison pour laquelle ces derniers lui auraient proposé, un soutien financer4, Monsieur … n’a toutefois jamais mentionné, durant l’entretien du 24 mars 2021 relatif à sa demande de protection internationale, l’organisation, par ses parents, d’un mariage « forcé », tel que pourtant invoqué par lui dans la fiche relative aux motifs de sa demande de protection internationale et lors de son entretien du 16 septembre 2020 avec la police judiciaire, comme principale raison de fuite de son pays d’origine.

Force est également de constater que le demandeur revient sur ses propres déclarations en avançant, à la fin dudit entretien, « que ce n’est pas à cause de [s]a famille [qu’il] ne p[ourrait] pas retourner [au Cameroun] mais à cause de cet article du code pénal qui m’a fait partir et qui est toujours en vigueur… et ils en abusent… »5.

Ainsi, le fait même que le demandeur a été inconsistant quant au motif principal à la base de sa fuite est déjà de nature à semer un doute sur la crédibilité de son récit.

Le tribunal relève ensuite que le demandeur affirme qu’il aurait fui son pays d’origine en raison « de cet article du code pénal […] et qui est toujours en vigueur »6 et de la « pression de la famille, des autorités et du voisinage »7 exercée sur lui à cause de son orientation sexuelle et que le Cameroun serait un « pays avec une loi qui condamne l’homosexualité »8 en expliquant que l’homosexualité serait punie par une peine d’emprisonnement. Confronté à la question de savoir s’il avait connu des personnes ayant été arrêtées par les autorités camerounaises en raison de leur orientation sexuelle, Monsieur … a donné l’exemple d’une « personne qui était en relation avec un monsieur et après il a décidé qu’il ne se sentais plus bien dans sa relation. Tout de suite, le monsieur, a véhiculé l’information au forces de l’ordre et il a été arrêté. […] [A]près, au poste de police il a été incarcéré à la prison centrale. »9.

Or, le demandeur a affirmé qu’après s’être échappé de l’endroit où il aurait été retenu par les « féticheurs » en 2019, il se serait pourtant directement rendu à un poste de police pour rapporter les supplices lui infligés par ces derniers, alors même que Maître … - avocate qui serait spécialisée dans la défense des droits des personnes LGBTI - avec laquelle il se serait entretenu à l’âge de … ans, soit en …, l’aurait averti quant à l’existence d’une loi condamnant l’homosexualité et que son compagnon … aurait déclaré, durant la même période, qu’il valait mieux « être lynché par la population que de se retrouver dans un poste de police. »10.

Arrivé audit poste de police, le demandeur explique que les policiers auraient alors contacté ses parents et l’un des « féticheurs » se serait présenté aux gendarmes en leur dévoilant l’orientation sexuelle de celui-ci. En réponse aux affirmations dudit « féticheur », les policiers n’auraient pas porté secours à Monsieur … mais auraient insisté pour qu’il continue « [s]on 2 Page 17 du rapport d’entretien.

3 Page 9 du rapport d’entretien.

4 Ibid : « Ils m’ont proposé de financer le mariage, même mes frères me disait qu’ils vont se charger des coûts […] ».

5 Page 17 du rapport d’entretien.

6 Ibid.

7 Page 6 du rapport d’entretien.

8 Page 13 du rapport d’entretien.

9 Page 14 du rapport d’entretien.

10 Page 13 du rapport d’entretien.

12 traitement »11, tout en voulant lui « donner une bonne punition »12. Cette punition aurait consisté, d’après les affirmations du demandeur, à effectuer des travaux et du nettoyage, à savoir laver leurs motos. Au troisième jour de sa détention, les policiers lui auraient enlevé les menottes, ce qui lui aurait permis de s’enfuir.

Le tribunal relève, à cet égard, qu’il est peu convaincant - à la vue des informations et explications fournies par le demandeur et reprises ci-dessus, selon lesquelles l’homosexualité constituerait une infraction qui serait réprimée par le code pénal camerounais - que la police ait décidé, même après avoir appris l’orientation sexuelle du demandeur, de ne pas procéder à son arrestation, voire de l’inculper mais de lui imposer seulement des tâches de nettoyage, puis de lui enlever les menottes en le laissant sans surveillance, lui permettant ainsi de s’échapper « tout de suite »13 dudit poste de police. Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur a affirmé que « devant [un] tribunal […] le code pénal […] est contre nous »14 et que « la plupart des personnes qui sont arrêtés et condamnés à cause de leur homosexualité sont des gens qui ont été dénoncé par la population et pas des gens qui ont été trouvé en flagrant délit. Si t’es pris en flagrant délit tu ne sortiras pas vivant. »15. Au vu de ces considérations, le tribunal se doit de retenir que le vécu du demandeur, tel que décrit par ce dernier, n’emporte guère sa conviction pour comporter des contradictions et incohérences concernant le déroulement des faits mis en relation avec les explications et justifications avancées par le demandeur à l’appui de son vécu.

Les doutes quant à la crédibilité du récit de Monsieur … sont encore davantage confortés par les déclarations faites plus en avant lors de son entretien relatif à sa demande de protection internationale. Le demandeur expose, en effet, que quelques jours après sa fuite du poste de police, telle que décrite ci-avant, il aurait reçu un appel de sa bailleresse qui lui aurait demandé de récupérer ses affaires à son domicile, après que la police se serait présentée chez elle pour la questionner à son sujet avant de la menacer « en disant qu’elle héberge des homosexuels »16 et de lui ordonner de leur dire où se trouve le demandeur. Elle lui aurait ensuite défendu de revenir à son domicile « parce que tout le quartier était au courant [qu’il serait] homosexuel »17.

Or, il y a lieu de relever que les affirmations de Monsieur …, selon lesquelles il serait recherché par les autorités camerounaises, au point que ces dernières auraient interpellé sa bailleresse et son voisinage, ne sauraient que difficilement convaincre et ce, sur la toile de fond, d’une part, que ce dernier n’a, tel que constaté ci-avant, ni été détenu par les policiers ayant appris par le « féticheur » qu’il serait homosexuel, ni même été particulièrement surveillé audit poste de police, raison pour laquelle il aurait pu s’enfuir sans grand effort, et, d’autre part, que le demandeur ne fait, par ailleurs, pas état d’un quelconque problème, ni d’une quelconque difficulté qu’il aurait rencontrés à l’aéroport, notamment avec les autorités camerounaises, pour fuir son pays d’origine.

Il convient d’ajouter que, malgré le fait pour le ministre d’avoir mis en cause la crédibilité du récit du demandeur dans son ensemble, la requête introductive d’instance ne 11 Page 12 du rapport d’entretien.

12 Ibid.

13 Ibid.

14 Page 15 du rapport d’entretien.

15 Page 13 du rapport d’entretien.

16 Page 7 du rapport d’entretien.

17 Ibid.

13 fournit aucune véritable explication de nature à pouvoir lever les différentes contradictions et incohérences décrites ci-avant et valablement relevées par le ministre dans la décision déférée, étant encore relevé que face aux doutes émis par le ministre, le demandeur est resté en défaut de rapporter le moindre début de preuve en lien avec son prétendu vécu au Cameroun et des « pressions »18 qu’il aurait prétendument subies par les autorités camerounaises en raison de son orientation sexuelle.

En effet, selon les explications du demandeur, celui-ci aurait été à plusieurs reprises en contact avec Maître …, qui l’aurait notamment éclairé sur la portée de loi pénale camerounaise concernant son homosexualité, qui lui aurait suggéré de se cacher et lui aurait proposé de l’appeler en cas d’arrestation par les autorités camerounaises à l’aéroport lors de sa fuite de son pays d’origine19. Le tribunal relève qu’il lui aurait, dès lors, été possible de se faire parvenir des pièces probantes de la part de cette avocate pour tenter de conforter la réalité de son vécu.

Or, tel que relevé ci-dessus, en application de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, un demandeur de protection internationale bénéficie du doute si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible et s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, livrant tous les éléments dont il disposait, ce qui n’est cependant pas le cas en l’espèce.

Eu égard à tout ce qui précède, le tribunal conclut que c’est à juste titre que le ministre a retenu que la crédibilité du récit du demandeur en ce qui concerne son vécu en tant que personne homosexuelle au Cameroun est ébranlée dans son ensemble et qu’il ne saurait, dès lors, bénéficier ni du statut de réfugié, ni du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il s’ensuit que ce volet du recours en réformation encourt le rejet pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un tel recours a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Le demandeur conteste la décision portant ordre de quitter le territoire et fait valoir que cette décision serait une violation manifeste des articles 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, ci-après désignée par « la Charte », dans la mesure où un retour au Cameroun serait suivi d’actes de torture ou de mauvais traitements contraire à ces dispositions.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas 18 Page 6 du rapport d’entretien.

19 Ibid.

14 expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Quant aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte invoqués par le demandeur, il y a lieu de relever en ce qui concerne précisément les risques de traitements inhumains prétendument encourus par le demandeur en cas de retour au Cameroun, que le tribunal a conclu ci-avant à l’absence de crédibilité du récit du demandeur quant à son vécu personnel, de sorte qu’il ne saurait se baser sur ce même récit pour invoquer un risque réel et sérieux de subir des traitement inhumains contraires à l’article 3 CEDH et 4 de la Charte en cas de retour dans son pays d’origine.

Au vu de ce qui précède et à défaut d’autres éléments, le recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 16 mars 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 16 mars 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 15 avril 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro 15 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48757
Date de la décision : 15/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-04-15;48757 ?

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