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22/04/2024 | LUXEMBOURG | N°49140

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 avril 2024, 49140


Tribunal administratif N° 49140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49140 2e chambre Inscrit le 6 juillet 2023 Audience publique du 22 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49140 du rôle et déposée le 6 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El

Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a...

Tribunal administratif N° 49140 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2024:49140 2e chambre Inscrit le 6 juillet 2023 Audience publique du 22 avril 2024 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49140 du rôle et déposée le 6 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Ibtihal El Bouyousfi, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Afghanistan), de nationalité afghane, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 2) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 octobre 2023 ;

Vu la nouvelle constitution d’avocat à la Cour du 6 mars 2024 de Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, pour le compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Charline Radermecker en sa plaidoirie à l’audience publique du 29 janvier 2024.

Le 25 février 2022, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date des 1er et 10 juin 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 31 mai 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre »,informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours. Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite auprès du service compétent du Ministère des Affaires étrangères et européennes en date du 25 février 2022 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains votre fiche manuscrite du 25 février 2022, le rapport du Service de Police Judiciaire du 25 février 2022, ainsi que votre rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 1er et 10 juin 2022 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Monsieur, il ressort de votre dossier administratif que vous seriez né le … à … en Afghanistan, de nationalité afghane, de confession musulmane chiite, d’ethnie Hazara et célibataire.

À l’appui de votre demande, vous avancez avoir quitté l’Afghanistan car vous craindriez de vous faire tuer par les Taliban alors que vous auriez été surpris en train d’avoir une relation sexuelle extraconjugale, respectivement de vous faire violer par la sœur d’un commandant Taliban.

Dans ce contexte, vous indiquez tout d’abord que vous auriez vécu avec votre famille à …, un quartier du district de … situé dans la province de …. Votre mère serait décédée lorsque vous auriez été âgé d’une douzaine d’années et votre père se serait remarié à la dénommé …, une « personne très méchante » (p.5/16 du rapport d’entretien) puisqu’elle vous aurait maltraité, frappé et ordonné d’arrêter votre scolarisation pour vous occuper du bétail.

Durant l’année 2020, vous auriez été amené par votre père, suite aux recommandations de son cousin, chez une personne d’ethnie Pashtoun nommée … dans le quartier de … à ….

Vous vous seriez installé chez celui-ci pendant plusieurs mois et auriez été chargé de nourrir son bétail et d’entretenir les enclos. Vous auriez réalisé au bout d’une semaine que … aurait été un commandant Taliban, car il aurait possédé une arme et aurait tout le temps été accompagné d’hommes armés et cagoulés.

Vous expliquez ensuite que deux mois avant la prise de pouvoir des Taliban, alors que vous auriez été seul dans les enclos pour nourrir le bétail, une des sœurs de … s’appelant … serait venue vous rejoindre pour vous aider. Toutefois, elle vous aurait poussé par terre et se serait assise sur votre ventre. Elle se serait mise à vous embrasser de force, à vous déshabiller entièrement et à faire de même. Vous auriez essayé de vous défendre mais en vain car elle aurait été trop « grande et costaud » (p.8/16 du rapport d’entretien). Elle aurait « fait ce qu’elle voulait de moi » (p.5/16 du rapport d’entretien), respectivement une fellation et une 2 pénétration, des faits que vous qualifiez de « viol » (p.11/16 du rapport d’entretien). Vous auriez continué à vous débattre et à crier pour qu’elle arrête car vous auriez fortement redouté que quelqu’un ne vous appréhende puisque « c’est mauvais de faire cela avant d’être marié en Afghanistan », « les imams donnent l’ordre de lapider ceux qui font du sexe avant le mariage » (p.8/16 du rapport d’entretien).

Cependant, la femme de … vous aurait surpris tous les deux en plein acte. Elle vous aurait directement accusé d’en être le responsable malgré vos contestations, clamant votre innocence et accusant …. Elle aurait appelé la mère de … qui l’aurait rejointe et elles se seraient toutes les deux saisies de vous tout en ordonnant à une autre sœur de …, …, d’aller le chercher.

En attendant …, vous auriez réussi à vous dégager de sa femme et de sa mère, et vous vous seriez échappé. Vous seriez parti vers le bazar de … et vous y auriez pris un taxi vers la ville de …. Vous auriez ensuite rejoint, le jour-même, votre oncle paternel … à … en minibus et vous lui auriez tout raconté. Vous auriez pris la décision de ne pas retourner à votre domicile familial, car vous auriez redouté que … ne vous y retrouve.

Trois jours après votre fuite, vous auriez reçu un appel téléphonique de votre père. Il vous aurait demandé pour quelles raisons … se serait présenté avec ses hommes à son domicile, l’aurait frappé et vous aurait recherché. Vous lui auriez rapporté les faits en insistant que la sœur de … vous aurait violé et que vous viviez désormais à … chez un oncle paternel. Votre père vous aurait averti que vous seriez donc recherché par … et que celui-ci « voulait me tuer à cause de l’acte que j’ai eu avec sa sœur » (p.11/16 du rapport d’entretien).

Entre-temps, votre oncle vous aurait trouvé un travail un mois après votre arrivée à … en tant que serveur et plongeur dans un hôtel à …. Vous auriez cependant arrêté d’y travailler au bout d’une semaine après avoir intercepté la conversation de trois clients inconnus provenant du même quartier que …. Ceux-ci auraient mentionné que … aurait « tué sa sœur parce qu’il l’avait trouvé avec son ouvrier » (p.12/16 du rapport d’entretien). Vous précisez que « tout le monde est au courant qu’elle a été tuée », « tout le monde se connaît et tout le monde participe pendant les funérailles » (p.12/16 du rapport d’entretien).

Vous seriez retourné chez votre oncle et vous auriez décidé de vivre en cachette dans son domicile, respectivement de ne jamais sortir de la maison. Vous auriez ensuite contacté un autre oncle paternel vivant en Iran à qui vous auriez demandé de l’argent afin de pouvoir financer votre fuite d’Afghanistan. Finalement, deux à trois mois après votre arrivée à … et quelques jours après la prise de pouvoir des Taliban, vous auriez quitté l’Afghanistan pour l’Iran. Vous seriez ensuite passé par la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France avant de rejoindre le Luxembourg.

Quelques jours après votre fuite d’Afghanistan, vous expliquez que votre père aurait reçu une deuxième visite de … et qu’il se serait à nouveau fait frapper. Par ailleurs, les Taliban étant désormais au pouvoir, vous craignez d’être retrouvé facilement en cas de retour en Afghanistan, d’autant plus que … serait en possession d’une photographie de vous et qu’il serait en mesure de la distribuer dans les différents postes de contrôle.

À l’appui de votre demande, vous ne présentez aucun document.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale 3 Avant tout autre développement en cause, il convient de rappeler qu’il incombe au demandeur de protection internationale de rapporter, dans toute la mesure du possible, la preuve des faits, craintes et persécutions par lui allégués, sur base d’un récit crédible et cohérent et en soumettant aux autorités compétentes le cas échéant les documents, rapports, écrits et attestations nécessaires afin de soutenir ses affirmations. Il appartient donc au demandeur de protection internationale de mettre l’administration en mesure de saisir l’intégralité de sa situation personnelle. Il y a lieu de préciser également dans ce contexte que l’analyse d’une demande de protection internationale ne se limite pas à la pertinence des faits allégués par un demandeur de protection internationale, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations, la crédibilité du récit constituant en effet un élément fondamental dans l’appréciation du bien-fondé d’une demande de protection internationale, et plus particulièrement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Or, la question de crédibilité se pose avec acuité dans votre cas alors qu’il y a lieu de constater que vos réponses incohérentes et vos contradictions répétitives ne font pas état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire que vous encourriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la Loi de 2015.

Premièrement, il y a lieu de noter que le motif de fuite que vous invoquez à l’appui de votre demande de protection internationale dans votre fiche manuscrite et dans le rapport du Service de Police Judiciaire en date du 25 février 2022 n’est en rien similaire au motif que vous invoquez dans votre rapport ministériel des 1er et 10 juin 2022.

En effet, force est de constater qu’en date du 25 février 2022, vous déclarez formellement dans votre fiche manuscrite que vous auriez quitté l’Afghanistan « à cause de la guerre », tout comme auprès du Service de Police Judicaire où vous avancez qu’« Ich musste Afghanistan verlassen, da dort Krieg herrscht ». Cependant, vous changez radicalement de version dans le cadre de votre entretien ministériel puisque vous invoquez que votre vie serait en danger car vous auriez été surpris en plein rapport sexuel extraconjugal avec la sœur du Taliban …, que vous auriez été accusé à tort d’en être l’instigateur alors que vous auriez en réalité été violé par celle-ci, et que vous seriez donc recherché par … qui ambitionnerait certainement de vous assassiner pour ce motif.

Alors que vous ne mentionnez aucunement l’insécurité découlant de la guerre en Afghanistan dans le cadre de votre entretien ministériel contrairement à votre motif initial du 25 février 2022, vous êtes logiquement interrogé quant à cette absence par l’agent en charge de votre entretien. Votre réponse expliquant que vous auriez prétendument été « fatigué mentalement et physiquement » (p.13/16 du rapport d’entretien) le 25 février 2022, et que vous vous seriez donc contenté d’évoquer une généralité sur votre fiche manuscrite, telle que la guerre en Afghanistan, ne saurait être une excuse suffisante pour justifier le fait que vous n’avez pas invoqué brièvement le motif que vous présentez dans le cadre de votre entretien ministériel. Il est évident que si ces faits s’étaient réellement déroulés, vous auriez très facilement pu les décrire en quelques mots simples dès l’introduction de votre demande de protection internationale, en mentionnant par exemple que vous seriez recherché activement par un Taliban, voire que celui-ci tenterait de vous assassiner alors qu’il vous accuserait injustement d’avoir eu un rapport sexuel extraconjugal avec l’une de ses sœurs.

4 Partant, puisque le fait invoqué dès l’introduction de votre demande de protection internationale en date du 25 février 2022 n’est en rien similaire et comparable à celui que vous invoquez dans le cadre de votre entretien ministériel des 1er et 10 juin 2022, il convient de fortement remettre en doute la crédibilité de votre récit.

Deuxièmement, il est impossible de se faire une idée concrète de la date précise à laquelle vous auriez réellement quitté l’Afghanistan puisque vos déclarations sont relativement vagues et multiples à cet égard, voire contredites par les informations disponibles sur les réseaux sociaux.

En effet, il ressort du rapport de Service de Police Judicaire datant du 25 février 2022 que vous auriez quitté l’Afghanistan « vor 5 Monaten », respectivement aux environs du mois d’octobre 2021. Le même jour, vous avez déclaré dans votre fiche des données personnelles que vous auriez quitté l’Afghanistan « il y a six mois », respectivement aux environs du mois de septembre 2021. Dans votre rapport d’entretien, vous témoignez le 1er juin 2022 que vous auriez fui l’Afghanistan « 5-6 jours après la prise de pouvoir des talibans » (p.5/13 du rapport d’entretien), évènement dont vous ne vous souvenez plus avec exactitude de la date mais que vous estimez s’être déroulé « il y a 8-9 mois » (p.5/13 du rapport d’entretien), respectivement donc en octobre-novembre 2021.

Nonobstant que votre supposition relative à la date à laquelle a eu lieu la prise de pouvoir des Taliban est complètement erronée, fait néanmoins intriguant pour un ressortissant afghan déclarant qu’il aurait été contraint de fuir son pays d’origine à cause de la prise de pouvoir des Taliban s’étant déroulée le 15 août 2021 et non pas en octobre ou novembre 2021, il appert que vous n’êtes aucunement en mesure de garder une version inchangée de la date de votre départ de votre pays d’origine puisque les repères temporels que vous fournissez s’étalent sur plus de trois mois, respectivement entre la mi-août et novembre 2021.

Il convient en réalité de constater qu’aucune des dates relevées ci-dessus ne saurait porter conviction puisqu’il ressort d’une publication de l’un de vos comptes Facebook que vous auriez déjà été dès le mois de juillet 2021 à Istanbul en Turquie, respectivement plus d’une vingtaine de jours avant la prise de pouvoir des Taliban en Afghanistan. En effet, sur votre publication du 23 juillet 2021 postée sur votre compte Facebook « … », l’on peut reconnaitre la célèbre mosquée Süleymaniye et la tour de Beyazit en arrière-plan. Aucun doute ne saurait subsister quant à votre emplacement à Istanbul sur cette photographie car l’angle utilisé correspond entièrement à celui d’une image d’un site de voyage proposant des solutions de logement pour des visiteurs à Istanbul : les quatre minarets de la mosquée Süleymaniye sont distinctement reconnaissables, tout comme le sommet de la tour de Beyazit ou encore les parapluies rouges d’une terrasse sur la colline.

Partant, il n’est aucunement crédible que vous auriez quitté l’Afghanistan après la prise de pouvoir des Taliban en date du 15 août 2021, respectivement entre la mi-août et novembre 2021 conformément à vos dires, puisque vous aviez été sur le territoire turc dès le 23 juillet 2021 au minimum.

Par extension, la crédibilité de l’entièreté de votre récit se trouve compromise puisque vous indiquez clairement dans votre entretien que la prise de pouvoir des Taliban aurait été une des raisons principales pour lesquelles vous auriez fui l’Afghanistan puisqu’elle aurait permis à … d’entreprendre plus sérieusement des démarches pour vous retrouver de sorte que vous ne vous seriez même plus senti en sécurité à … après y avoir vécu 2-3 mois : « Je me suis 5 dit que les talibans avaient le pouvoir et que … était un commandant. Il pourrait me retrouver n’importe où » (p.6/16 du rapport d’entretien), « s’il veut vraiment me retrouver, il peut donner ma photo à tous les points de contrôles. Les talibans sont partout. Ils peuvent me retrouver partout » (p.12/16 du rapport d’entretien) alors que vous auriez estimé qu’« avant qu’ils [les Taliban] ne prennent le pouvoir, je pouvais vivre à … ou à … mais maintenant qu’ils sont partout, je ne peux plus y vivre » (p.14/16 du rapport d’entretien). Or, le fait que vous ayez quitté l’Afghanistan bien avant la prise de pouvoir des Taliban prouve que vous n’auriez en réalité aucunement été affecté par cet évènement et qu’il ne se serait pas agi d’un élément déterminant pour votre départ. Partant, il convient de s’interroger sur les réels motifs vous ayant poussé à fuir votre pays d’origine.

Le fait que vous ayez quitté l’Afghanistan avant la prise de pouvoir des Taliban conforte plutôt le constat que vous auriez en réalité fui votre pays d’origine en raison de la guerre, conformément à vos déclarations initiales auprès du Service de Police Judicaire et dans votre fiche manuscrite en date du 25 février 2022, et que vous auriez réalisé entre-temps, jusqu’à votre entretien ministériel des 1er et 10 juin 2022, qu’il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour vous voir octroyer une protection internationale au Luxembourg.

Troisièmement, votre récit est également parsemé d’incohérences et de contradictions qui, prises dans leur globalité, ne font qu’effriter sa crédibilité de sorte que les constats précédents se trouvent corroborés.

En effet, il n’est par exemple pas crédible que vous puissiez prétendre, pour justifier le fait que … ou ses hommes ne vous auraient jamais retrouvé après votre fuite à …, que vous y auriez vécu « en cachette », « je ne sortais jamais de la maison » (p.6/16 du rapport d’entretien), alors qu’en même temps, vous démentez vous-même ces propos en évoquant que vous auriez travaillé en tant que serveur dans un hôtel de la capitale un mois après votre arrivé à … pendant « une ou deux semaines » (p.6/16 du rapport d’entretien).

Cette contradiction pousse automatiquement à en conclure que soit vous n’auriez jamais travaillé dans un hôtel puisque vous ne seriez jamais sorti du domicile de votre oncle paternel, soit vous n’auriez en réalité pas craint d’être poursuivi par … puisque vous n’auriez pas hésité à vous montrer publiquement lorsque vous y auriez travaillé en tant que serveur.

Or, le fait qu’une de ses deux versions est remise en doute est suffisant pour s’interroger sérieusement sur la gravité de votre vécu en Afghanistan et sur la crédibilité de votre récit de manière générale. En effet, si la première version est retenue, respectivement si vous n’aviez jamais travaillé dans un hôtel à …, force est de constater que vous n’auriez jamais été en mesure d’intercepter une conversation de trois clients inconnus qui auraient évoqué l’assassinat de … par … « parce qu’il l’avait trouvé avec son ouvrier » (p.12/16 du rapport d’entretien). Si la seconde version est retenue et que vous auriez réellement travaillé dans un hôtel, il convient de s’interroger sur l’authenticité des craintes que vous avancez puisqu’il paraît dans ce cas aberrant, au vu des risques que vous auriez prétendument encouru, que vous auriez osé exercer la fonction de serveur, à la vue de tous, en accueillant une clientèle inconnue.

Quand bien même vous auriez réellement travaillé dans un hôtel pendant quelques jours, il n’est aucunement crédible que vous auriez réussi à intercepter une conversation de trois clients inconnus dans un hôtel à …, capitale peuplée de 4,5 millions d’habitants, et que par pure coïncidence, ils auraient été originaires du même quartier que …, respectivement de 6 … à … se trouvant à plus de 200 kilomètres de …, et auraient discuté ouvertement du fait que ce dernier aurait assassiné l’une de ses sœurs dont vous êtes persuadé qu’il se serait agi de ….

Par ailleurs, même si cette improbabilité se serait réellement déroulée, il est aberrant de constater que … n’aurait pas été puni en vertu de la législation de l’ancien Etat afghan pour avoir tué sa propre sœur alors que vous confirmez que « tout le monde est au courant qu’elle a été tuée » (p.12/16 du rapport d’entretien) et qu’au minimum ces trois inconnus l’auraient accusé.

Finalement, la gravité des risques que vous encourrez en cas de retour en Afghanistan est également à relativiser. En effet, vous expliquez craindre de vous faire tuer par … puisqu’il « pense que j’ai violé sa sœur » (p.14/16 du rapport d’entretien) et que par conséquent, même l’intégrité physique de votre père aurait été menacée étant donné que … se serait rendu à deux reprises à son domicile pour le violenter tout en le menaçant : « Vous avez jusqu’à telle date pour m’amener votre fils sinon vous allez voir » (p.12/16 du rapport d’entretien) et qu’il fallait « nettoyer le sang avec du sang » (p.13/16 du rapport d’entretien). Or, il ressort de la lecture de votre entretien que votre père résiderait toujours en Afghanistan, qu’il aurait continué à vivre dans son domicile habituel pendant plusieurs mois après votre départ d’Afghanistan avant de déménager il y a « 3 ou 4 semaines » (p.9/16 du rapport d’entretien) conformément à vos dires en date du 1er juin 2022, respectivement donc en mai 2022, au motif qu’il « a été menacé » (p.12/16 du rapport d’entretien) par …. Or, il ne fait aucun sens que votre père aurait décidé de déménager au mois de mai 2022 en raison de ces menaces alors que la dernière visite de … aurait daté de huit mois, soit en septembre 2021 - si l’on s’en tient à la version selon laquelle vous auriez quitté l’Afghanistan quelques jours après la prise de pouvoir des Taliban - puisque vous expliquez que … ne se serait rendu que « deux fois » (p.12/16 du rapport d’entretien) au domicile de votre père, « une première fois quand j’étais à … (…) une deuxième fois quand j’étais en Iran. C’était une ou 2 semaines après mon arrivée en Iran » (p.12/16 du rapport d’entretien). En d’autres termes, le fait que vous tentez de faire croire que votre vie serait en danger en Afghanistan, en évoquant le fait que votre père aurait été contraint de déménager en raison des menaces qu’il aurait reçues, n’est nullement crédible alors que sa dernière interaction avec … remonterait au mois de septembre 2021. Par extension, il semble évident que la gravité de votre situation en Afghanistan ne semble pas être telle que vous tentez de la dépeindre au Ministère alors que … ne semblerait plus être à votre recherche depuis plusieurs mois.

Monsieur, en guise de conclusion, il y a lieu de considérer qu’au vu de vos déclarations diamétralement opposées faites lors de vos entretiens auprès du Ministère luxembourgeois, et au vue des contradictions et incohérences qui gangrènent vos déclarations, la sincérité de l’ensemble de votre récit doit être réfutée. Vous avez visiblement inventé de toutes pièces une série d’éléments afin d’augmenter vos chances d’obtenir une protection internationale, tout en dissimulant la réalité des motifs vous ayant poussé à venir vous installer au Luxembourg.

Votre récit n’étant pas crédible, aucune protection internationale ne vous est accordée.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une part, de la décision du ministre du 31 mai 2023 refusant de faire droit à sa demande de protection internationale et, d’autre part, de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre la décision de refus d’une demande de protection internationale et contre l’ordre de quitter le territoire prononcé subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision ministérielle du 31 mai 2023, prise en son double volet, telle que déférée, ledit recours étant, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

1) Quant au recours visant la décision portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, le demandeur rappelle avoir indiqué lors de ses auditions qu’il serait né le … à …, qu’il serait de nationalité afghane, qu’il appartiendrait à l’ethnie Hazara et qu’il serait de confession musulmane chiite. Il aurait grandi et vécu avec ses parents dans le quartier …, situé dans le district de …, dans la province de …. A l’âge de … ans, sa mère serait décédée et son père se serait remarié. Il aurait très tôt abandonné sa scolarité et en 2020, son père aurait décidé de l’envoyer chez une personne de l’ethnie pachtoune, le commandant taliban …, chez laquelle il aurait été chargé de nourrir le bétail et d’entretenir les enclos. Lors de son travail, il aurait eu des relations sexuelles non consenties avec la sœur du commandant taliban, relations lors desquelles ils auraient été surpris. A la suite de cet évènement, il aurait pris la fuite pour s’installer à … chez son oncle paternel, où il aurait travaillé comme serveur dans un restaurant. Un jour, lors de son service, il aurait surpris la conversation de trois personnes qui auraient affirmé que le commandant taliban … aurait assassiné sa propre sœur et qu’il serait activement à sa recherche afin de le tuer. Il aurait alors immédiatement abandonné son poste de travail dans le restaurant et aurait vécu cloîtré au domicile de son oncle à …. Pendant ce temps, son père aurait reçu, à leur domicile familial, deux visites du commandant taliban … qui aurait été à sa recherche et qui aurait usé de violence à l’encontre de son père afin de le retrouver. Craignant pour sa vie, il aurait alors décidé de quitter l’Afghanistan. Le demandeur précise encore qu’il n’aurait pas sollicité la protection des autorités talibanes alors qu’il serait recherché par l’un d’eux et qu’il n’y aurait aucune possibilité de fuite ou de réinstallation interne dans son pays d’origine, sans qu’il ne se fasse repérer par les talibans. Il affirme enfin craindre d’être assassiné ou tué par les talibans en cas de retour en Afghanistan, sans pouvoir recourir à une protection effective et efficace des autorités de son pays d’origine.

En droit, le demandeur s’appuie sur plusieurs publications du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Agence de l’Union européenne de l’asile (AUEA), sur un jugement du tribunal administratif du 29 juin 2017, inscrit sous le numéro 38159 du rôle, ainsi que sur des arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », pour soutenir qu’il aurait dû se voir appliquer le principe du bénéfice du doute. Après avoir relevé les arguments ministériels mettant en cause la crédibilité de son récit, Monsieur … explique que le ministre se serait basé sur trois éléments manifestement accessoires, minimes et non pertinents pour évaluer son éligibilité à une protection internationale et considère que le ministre aurait procédé à une évaluation erronée de sa crédibilité.

En premier lieu, il explique, quant à la divergence des faits invoqués dans le cadre de l’enregistrement de sa demande de protection internationale en date du 25 février 2022 et de ceux invoqués dans le cadre de son entretien ministériel des 1er et 10 juin 2022, qu’il serait « de notoriété publique » qu’à la question de savoir la raison de son départ de son pays d’origine, tout Afghan répondrait que la guerre en serait la cause. Il estime que le fait d’avoir, le jour de sa première rencontre avec les autorités luxembourgeoises, simplement indiqué avoir quitté son pays d’origine à cause de la guerre, avant de revenir détailler quelques mois plus tard les réelles raisons de sa fuite, ne rendrait pas son récit contradictoire, mais le compléterait. Dans ce contexte, il affirme qu’il aurait expliqué « cette situation » par sa fatigue mentale et physique, en raison de son long trajet migratoire, de sorte qu’il n’aurait pu inscrire que la guerre en Afghanistan sur la fiche des motifs lui remise le 22 février 2022 sans toutefois approfondir les faits. Il reproche, à cet égard, au ministre de ne pas avoir pris en compte sa fatigue lors de l’évaluation de la crédibilité de son récit. Il ajoute qu’il serait possible que lors de l’enregistrement de sa demande de protection internationale en date du 25 février 2022, « il n’a eu l’opportunité soit de livrer son récit que très brièvement, ou soit il avait peut-être alors peur des autorités ou bien, il ne comprenait pas encore ce qui était concrètement attendu de lui », d’autant plus qu’il n’aurait, à ce moment, pas encore bénéficié de l’assistance d’un avocat pour comprendre le déroulement de la procédure de demande de protection internationale au Luxembourg. En outre, l’argument du ministre selon lequel le viol subi aurait été inventé car il ne l’aurait pas mentionné le 25 février 2022 serait lacunaire et non pertinent, le demandeur précisant que le viol serait souvent source de gêne et de traumatismes. Il ajoute que, lors de ses entretiens avec un agent du ministère, il lui aurait été permis pour la première fois de parler de lui-même et de son vécu après avoir bénéficié des conseils juridiques sur le déroulement de la procédure de protection internationale au Luxembourg. Enfin, après avoir renvoyé à un arrêt de la CourEDH rendu le 18 novembre 2014 dans l’affaire M.A. c. Suisse, n° 52589/13, dans laquelle elle aurait sévèrement et explicitement critiqué et rejeté la méthode d’évaluation de la crédibilité du récit d’un demandeur reposant sur des contradictions entre ses déclarations antérieures lors de l’enregistrement de sa demande de protection internationale et ses déclarations ultérieures faites lors de l’entretien personnel sur le fond de ladite demande, Monsieur … estime que ce point ne pourrait amener à conclure à un défaut de crédibilité de son récit.

En deuxième lieu, concernant le défaut de crédibilité de son récit tiré du fait qu’il n’aurait pas réussi à situer temporellement le moment exact de son départ de l’Afghanistan, le demandeur estime que cet élément ne serait pas suffisant, étant donné que certaines cultures n’accorderaient pas la même importance aux dates que la société occidentale, ce qui expliquerait que certains demandeurs de protection internationale soient incapables d’identifier la date exacte à laquelle un évènement se serait produit. En s’appuyant sur une publication de l’AUEA, il fait valoir que la mémoire serait quelque chose de très personnel et qu’elle varierait d’une personne à une autre en fonction de facteurs comme l’âge ou les évènements traumatiques vécus, ce qui expliquerait qu’il ne puisse pas se souvenir avec précision de la date de prise de pouvoir des talibans ni de son départ de l’Afghanistan. Il soutient, à cet effet, que les maltraitances qu’il aurait subies de la part de sa belle-mère depuis son adolescence, le fait d’avoir arrêté ses études précocement, d’avoir été placé chez un commandant taliban et d’avoir été violé par une femme seraient des traumatismes qui auraient affecté sa mémoire. Il en conclut que ses difficultés à situer temporellement la date de son départ de l’Afghanistan et de la prise du pouvoir par les talibans ne pourraient pas remettre en cause la crédibilité de son récit. Il ajoute enfin que les publications Facebook, si elles sont des preuves irréfutables de sa présence en Turquie depuis juillet 2021, ne seraient passuffisantes pour retenir automatiquement l’absence de crédibilité de l’ensemble de son récit, ni pertinentes pour répondre à la question fondamentale de sa crainte de persécution de la part des talibans du fait d’avoir eu une relation intime interdite par la charia.

En troisième lieu, en ce qui concerne les évènements s’étant déroulés dans le restaurant à …, le demandeur donne à considérer que les conclusions du ministre dans ce cadre seraient subjectives et hâtives et ne permettaient pas de retenir automatiquement un défaut de crédibilité de son récit, alors qu’il serait probable qu’il ait pu effectivement travailler dans un restaurant à … sans être immédiatement identifié et qu’il ait pu surprendre une conversation le concernant. En renvoyant à une autre publication du HCR, il fait valoir que le ministre se serait basé sur un raisonnement purement spéculatif et sur une opinion personnelle ne tenant pas compte de son contexte culturel ni de la possibilité que ces évènements se soient effectivement produits.

En quatrième lieu, le demandeur soutient que le fait que son père ait été violenté à deux reprises par le commandant taliban … et qu’il ait tout de même pu vivre dans sa maison près de huit mois avant de déménager ne relativiserait en rien l’intérêt de vengeance de … contre lui-même. En effet, … serait bien conscient de la personne recherchée et n’aurait aucun intérêt à persécuter son père.

Finalement, Monsieur … donne à considérer que son vécu particulier devrait interpeler le ministre qui ne devrait pas trop s’attarder sur des incohérences minimes pouvant être dissipées. Il serait ainsi nécessaire de prendre en considération sa vulnérabilité, liée tant à son vécu qu’à son parcours migratoire. Il reproche au ministre de ne pas avoir effectué une « évaluation souple remettant en lumière la vulnérabilité d’un jeune homme afghan » qui aurait fui son pays d’origine en étant terrorisé. Par conséquent, les incohérences relevées dans son récit ne seraient pas suffisantes pour remettre automatiquement en cause la crédibilité générale de tout son récit, le demandeur soutenant à cet égard que le principe du bénéfice du doute devrait valablement s’appliquer en l’espèce.

Concernant le refus d’octroi du statut de réfugié, le demandeur, après avoir cité l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, fait valoir que ses motifs de persécution seraient liés à la religion, à l’appartenance à un certain groupe social et à l’appartenance ethnique, en raison de l’accusation selon laquelle il aurait volontairement eu une relation extraconjugale avec une femme, en l’occurrence avec la sœur d’un commandant taliban, alors qu’il appartient à l’ethnie hazara et est de confession musulmane chiite, acte qui serait punissable en vertu de la charia.

Ainsi, les auteurs de tels actes pourraient être considérés comme appartenant à un certain groupe social, à savoir celui des individus perçus par la société comme ayant transgressé les codes moraux et religieux. Ils pourraient encore être perçus comme exprimant à travers leurs actes une opinion politique ou religieuse, d’autant plus qu’il est de l’ethnie Hazara, une ethnie de confession musulmane chiite, qui serait considérée par les talibans comme étant des mécréants.

Dans ce contexte, Monsieur … indique que ce qui constitue une crainte fondée de persécution dépendrait des circonstances particulières de chaque cas individuel, y compris les sentiments et les structures psychologiques du demandeur de protection internationale, ainsi que de la situation dans son pays d’origine. A ce propos, il soutient que depuis la prise du pouvoir des talibans en Afghanistan, de nombreuses violations des droits de l’Homme seraient régulièrement commises.

S’agissant de la capacité de protection des autorités afghanes, le demandeur estime que, dans la mesure où les persécutions émaneraient des talibans qui sont au pouvoir, l’Etat afghan ne disposerait, actuellement, d’aucune capacité pour poursuivre et sanctionner efficacement les responsables alors que les talibans prôneraient l’application rigoureuse de la charia.

S’agissant de la possibilité d’une fuite ou d’une réinstallation interne, il estime encore qu’une telle alternative ne serait pas possible dans son chef, étant donné que l’agent de persécution ferait partie des autorités au pouvoir. En outre, pour envisager une fuite interne, il faudrait également que la zone proposée de réinstallation lui soit accessible sur le plan pratique, juridique et en termes de sécurité, afin de lui éviter d’être exposé à un risque de persécution ou une autre forme grave de mauvais traitement et de lui permettre de mener une vie relativement normale sans devoir faire face à de trop grandes difficultés, ce qui ne serait pas le cas, tel que le démontrerait son déménagement à … avant de fuir son pays d’origine.

En conclusion, le demandeur fait valoir craindre avec raison d’être exposé à des persécutions en raison de son appartenance ethnique, à l’appartenance à un certain groupe social et pour des motifs religieux, de sorte que le statut de réfugié devrait lui être accordé.

Quant au refus de la protection subsidiaire, Monsieur … explique que le besoin de protection du demandeur de protection internationale serait le principal critère qui devrait guider les autorités nationales compétentes ou les juridictions saisies et qu’il devrait, à tout le moins, bénéficier d’une protection subsidiaire au titre de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en raison de l’existence d’une menace sur sa personne. En effet, la peine de mort serait prévue par le droit islamique. Il indique qu’avant leur prise de pouvoir, les talibans auraient imposé, dans les régions sous leur contrôle, des châtiments par l’intermédiaire d’un système judiciaire parallèle fondé sur une stricte interprétation de la charia et qu’ils auraient procédé à des exécutions publiques par lapidation et par balles. Au vu de l’accusation portée à son encontre, en l’occurrence le fait d’avoir eu une relation intime extraconjugale avec la sœur d’un commandant taliban, il existerait un « fort degré raisonnable de probabilité » que la peine de mort ou l’exécution lui soit appliquée en cas de retour en Afghanistan, de sorte qu’il devrait obtenir une protection subsidiaire sur base de l’article 48 a) de la loi du 18 décembre 2015. En s’appuyant sur une note de l’AUEA de novembre 2021 sur l’Afghanistan, le demandeur estime encore qu’il ferait l’objet de traitements inhumains et dégradants s’il venait à être arrêté par les talibans et qu’il devrait, en conséquence, bénéficier d’une protection subsidiaire sur base de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement réitère en substance les développements contenus dans la décision ministérielle entreprise. Il insiste sur le fait que le principe du bénéfice du doute ne pourrait pas être applicable au demandeur, dans la mesure où les déclarations de celui-ci ne seraient pas cohérentes, que sa crédibilité générale n’aurait pas pu être établie et que le ministre aurait réfuté les différents éléments de son récit.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de ladite loi comme étant « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et 11 qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2 g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphe (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié » que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1 A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« […] a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

12 c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. ».

Aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Il convient ensuite de rappeler que le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. La crédibilité du récit de ce dernier constitue en effet un élément d’appréciation fondamental dans l’analyse du bien-fondé de sa demande de protection internationale, spécialement lorsque des éléments de preuve matériels font défaut.

Le tribunal relève qu’il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Monsieur Hussein ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves1.

En l’espèce, force est de constater que le demandeur invoque un seul fait à la base de sa demande de protection internationale : les relations sexuelles non consenties avec la sœur d’un commandant taliban pachtoune et les menaces qui s’en seraient suivies de la part de ce dernier, non seulement en raison du fait même de la relation extraconjugale avec ladite sœur mais également du fait de cette relation dans le contexte de son ethnie hazara et de sa confession chiite.

Or, le tribunal partage les doutes du ministre et du délégué du gouvernement quant à la crédibilité de l’intégralité de son récit à ce propos.

S’il ne peut certes être attendu d’un demandeur de protection internationale qu’il se rappelle du moindre détail de son récit, ce dernier doit tout de même présenter un témoignage qui soit suffisamment précis et cohérent, tout au moins en ce qui concerne les faits les plus significatifs de sa demande, et qui ne soit pas contredit par des éléments matériels.

A cet égard, le tribunal est amené à relever, tout d’abord, que le moment du départ du demandeur de son pays d’origine fluctue au fur et à mesure des déclarations de ce dernier. En effet, il a précisé, dans la fiche remplie lors du dépôt de sa demande de protection internationale le 25 février 2022, avoir quitté son pays d’origine six mois auparavant, soit en août 2021. Il a ensuite affirmé le même jour devant la police luxembourgeoise « Vor 5 Monaten habe ich Afghanistan illegal in den Iran verlassen. Ich war 1 Monat im Iran […]. Dann ging ich illegal in die Türkei, ich blieb 1,5 Monat dort. »2, de sorte qu’il aurait quitté son pays d’origine fin septembre 2021 et qu’il se serait trouvé en Turquie de fin octobre à mi-décembre 2021. Par la suite, il affirme et confirme avoir quitté l’Afghanistan « 5-6 jours après la prise de pouvoir des talibans »3 et que cette prise de pouvoir aurait eu lieu « 8-9 mois »4 avant ses entretiens début juin 2022, soit en septembre-octobre 2021, et qu’il aurait travaillé ensuite en Turquie pendant deux mois, soit jusque novembre-décembre 2021.

Même en retenant qu’il ait entendu viser le 15 août 2021 comme moment de la prise de pouvoir des talibans et qu’il aurait quitté son pays d’origine 5-6 jours après, donc vers le 20 ou 21 août 2021, force est de constater que toute la chronologie de son récit est remise en cause 1 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2023, V° Etrangers, n° 140 et les autres références y citées.

2 Page 2 du rapport de police.

3 Pages 5 et 13 du rapport d’audition.

4 Page 5 du rapport d’audition.par une photo publiée sur son compte Facebook en date du 23 juillet 2021 - dont il ne conteste ni le contenu ni la date - sur laquelle il se trouve en Turquie, à Istanbul plus précisément, la mosquée Sultanahmet apparaissant en arrière-plan, de sorte qu’il séjournait en Turquie depuis au moins cette date - et donc déjà avant la prise de pouvoir des talibans - et non pas entre octobre et décembre 2021 tel que pourtant affirmé. Cet élément à lui seul ébranle d’ores et déjà l’entièreté de la crédibilité de son récit, contrairement aux affirmations du demandeur selon lesquelles ces incohérences seraient minimes.

Ensuite, et au-delà de la plausibilité des évènements qui se seraient déroulés dans le restaurant à …, le tribunal est amené à constater que le caractère peu crédible de son récit concernant sa relation avec la sœur d’un commandant taliban est encore conforté par le fait qu’il a précisé à deux reprises, à savoir devant la police luxembourgeoise5 et lors du dépôt de sa demande de protection internationale6, qu’il avait quitté son pays d’origine en raison de la guerre en Afghanistan, sans faire la moindre mention de problèmes personnels qu’il aurait rencontrés avec un taliban ou la sœur de celui-ci.

A cet égard, les affirmations du demandeur selon lesquelles (i) il aurait été fatigué physiquement et mentalement lors du dépôt de sa demande de protection internationale et devant la police luxembourgeoise et (ii) il aurait été maltraité et aurait subi des traumatismes qui auraient affecté sa mémoire ne sont pas suffisantes pour redresser le manque de crédibilité qui ressort des développements ci-avant, ce d’autant plus qu’il ne verse aucun élément à l’appui de ses allégations, tel un certificat médical, qui soutiendrait qu’il aurait de réels problèmes avec sa mémoire.

Eu égard à ces constatations, le tribunal est amené à retenir que les conditions visées à l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir que le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, qu’il a livré tous les éléments dont il disposait et que ses déclarations sont cohérentes, ne sont pas remplies, de sorte que son récit doit être considéré comme n’étant pas crédible dans son intégralité.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal retient que le récit du demandeur en relation avec son prétendu vécu en Afghanistan, considéré dans sa globalité, n’est pas de nature à convaincre, l’intéressé apparaissant, au contraire, comme tentant d’ajouter des éléments pour augmenter la probabilité d’obtenir une protection internationale. C’est dès lors à bon droit que le ministre a conclu que le demandeur n’a pas fait état de manière crédible qu’il existerait des raisons sérieuses de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des persécutions au sens de l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 ou des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la même loi en relation avec son vécu personnel, tel qu’invoqué à la base de sa demande de protection internationale.

Ainsi, à défaut de faits avérés permettant de vérifier le bien-fondé des motifs mis en avant à la base de la demande de protection internationale soumise à l’analyse du tribunal, le recours dirigé tant contre le refus du statut de réfugié que contre le refus ministériel de lui octroyer une protection subsidiaire sur le fondement des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, seuls invoqués par le demandeur dans son recours, encourt le rejet pour être non fondé.

5 « Ich musste Afghanistan verlassen, da dort Krieg herrscht. », page 2 du rapport de police.

6 « J’ai quitté l’Afghanistan à cause de la guerre », fiche de motifs.2) Quant au recours visant la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur conclut à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire, en invoquant une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », et des articles 4 et 19 (2) de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », tout en se référant à la jurisprudence de la CourEDH, ainsi que du principe de non-refoulement. Il estime qu’il ferait l’objet de traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine en raison de sa transgression de la charia, risque qui serait aggravé par le fait qu’il serait Hazara et chiite.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce volet du recours, dans la mesure où l’ordre de quitter le territoire découlerait directement de la décision rejetant l’octroi d’une protection internationale.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour du demandeur dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, ainsi que son corollaire l’article 4 de la Charte, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat quiest en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Afghanistan, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de crédibilité de son récit lié à son vécu personnel, et a conclu à l’absence de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens notamment de l’article 48 b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH7, le tribunal n’estime pas, au vu des éléments lui soumis, qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit incompatible avec l’article 3 de la CEDH ou l’article 4 de la Charte, ni avec le principe de non-refoulement consacré à l’article 19 (2) de la Charte, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet pour être non fondé.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est à rejeter pour être également non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 31 mai 2023 portant refus d’une protection internationale ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 31 mai 2023 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

7 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2003, § 59. Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 22 avril 2024 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 avril 2024 Le greffier du tribunal administratif 18


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49140
Date de la décision : 22/04/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 04/05/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2024-04-22;49140 ?

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