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26/04/2000 | SUISSE | N°1A.117/2000

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 avril 2000, 1A.117/2000


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1A.117/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

26 avril 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre. Greffier:
M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

X.________ et E.________ S.A., tous deux représentés par Me
Henri Nanchen, avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 15 mars 2000 par l'Office fédéral de
la

police;

(entraide judiciaire avec l'Italie; délégation de la
poursuite pénale)

Vu les pièces du dossier d'où ressort...

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1A.117/2000

Ie C O U R D E D R O I T P U B L I C
**********************************************

26 avril 2000

Composition de la Cour: MM. les Juges Aemisegger, Président,
Féraud, Jacot-Guillarmod, Catenazzi et Favre. Greffier:
M. Kurz.

Statuant sur le recours de droit administratif
formé par

X.________ et E.________ S.A., tous deux représentés par Me
Henri Nanchen, avocat à Genève,

contre

la décision rendue le 15 mars 2000 par l'Office fédéral de
la
police;

(entraide judiciaire avec l'Italie; délégation de la
poursuite pénale)

Vu les pièces du dossier d'où ressortent
les f a i t s suivants:

A.- Au mois d'avril 1995, l'Italie a présenté une
demande d'entraide judiciaire pour les besoins d'une procédu-
re ouverte par le Procureur de Latina notamment contre
X.________, marchand d'art italien domicilié à Rome, prévenu
de vol, de recel, d'appropriation de découvertes, de faux
dans les titres et d'exportation illicite d'objets apparte-
nant au patrimoine culturel national. La demande tendait no-
tamment à la remise, en vue de leur confiscation, d'objets
se
trouvant dans les locaux de la société E.________, dont
X.________ est l'ayant droit, au Port franc de Genève.

Le 13 septembre 1995, le Juge d'instruction du can-
ton de Genève a fait procéder à la perquisition des locaux.
La saisie des objets a été ordonnée. Des photographies de
l'ensemble des oeuvres ont été remises aux enquêteurs ita-
liens, présents à la perquisition.

Le 20 septembre 1995, une procédure pénale a été ou-
verte à Genève, contre inconnu, pour recel. Dans ce cadre,
le
juge d'instruction genevois a ordonné, le 9 octobre 1995, la
saisie conservatoire de l'ensemble des objets se trouvant
dans les locaux de E.________, et en a interdit l'accès tant
que leur provenance ne pourrait pas être établie. Cette dé-
cision a été confirmée par la Chambre d'accusation du canton
de Genève (ci-après: la Chambre d'accusation), par
ordonnance
du 18 janvier 1996.

B.- Le 15 novembre 1995, le Procureur de Latina a
adressé au juge d'instruction genevois une nouvelle demande
d'entraide. L'examen des photographies avait permis d'identi-
fier trois chapiteaux appartenant à la commune de Rome. L'au-
torité requérante désirait obtenir tous les documents saisis
au Port franc. Elle demandait le maintien de la saisie et
des

scellés, jusqu'à ce que la provenance des objets ait pu être
déterminée. Le 15 mars 1996, elle a complété sa demande en
produisant un rapport selon lequel presque tous les biens
saisis, d'une grande valeur archéologique et couvrant une
vaste période, proviendraient de vols dans les zones archéo-
logiques du Latium. La provenance illicite de ces objets se-
rait confirmée par l'étude des photographies: de nombreux ob-
jets porteraient des traces de terre attestant un enlèvement
récent; ces traces, et l'endommagement de certains objets,
seraient dus à des fouilles illicites. L'autorité requérante
demandait la remise de l'ensemble de ces pièces, et leur pri-
se en charge par une société de transports internationaux.

C.- Par ordonnance du 4 juin 1996, après avoir, le 3
juin 1996, levé le séquestre pénal, le juge d'instruction
est
entré en matière: il a ordonné le transfert des objets sai-
sis, à disposition de l'autorité judiciaire italienne. Même
si X.________ proposait de prouver l'acquisition régulière
de
certains objets, leur origine délictueuse antérieure n'était
pas à exclure. Seule une analyse directe des oeuvres permet-
trait d'en déterminer la provenance.

Le 22 novembre 1996, la Chambre d'accusation du can-
ton de Genève a annulé cette décision. La provenance délic-
tueuse des pièces saisies n'était pas hautement vraisembla-
ble, et une remise à titre de produit de l'infraction
n'était
pas possible. Il fallait donner la priorité à la procédure
pénale nationale, à l'issue de laquelle il serait statué sur
l'octroi de l'entraide.

Par arrêt du 5 juin 1997, le Tribunal fédéral a re-
jeté un recours de droit administratif de l'OFP (ATF 123 II
268). Si une remise en vue de confiscation n'était pas envi-
sageable en l'état de la procédure étrangère, faute d'un ju-
gement de confiscation exécutoire en Italie, le Tribunal fé-
déral a réservé la possibilité d'une remise à titre probatoi-

re. La procédure pénale nationale pouvait être instruite pa-
rallèlement à l'exécution de l'entraide requise (ATF 123 II
268 consid. 5 p. 278).

D.- Le 23 décembre 1997, l'Italie a présenté une
nouvelle demande d'entraide pour les besoins de la
procédure,
transmise entre-temps au Procureur de Rome. La demande ten-
dait à la saisie des objets se trouvant dans les locaux de
E.________, ainsi qu'à l'examen de ces objets par des
experts
italiens, en vue de leur identification.

Le 29 janvier 1998, le Juge d'instruction genevois
est entré en matière. Il a ordonné la saisie des objets se
trouvant dans les locaux de la société, et a autorisé les ex-
perts italiens à examiner les pièces saisies, sous contrôle
des autorités genevoises.

Cette décision a été confirmée le 19 juin 1998 par
la Chambre d'accusation, et le 21 juillet 1998 par le Tribu-
nal fédéral.

E.- Les pièces saisies ont fait l'objet d'un rapport
établi le 2 juillet 1999 par les trois experts commis par le
Procureur de Rome. X.________ a pour sa part produit deux ex-
pertises, l'une de A.________ du mois de mai 1999, l'autre
de
B.________ du mois de juin 1999.

Par décision du 14 septembre 1999, le juge d'ins-
truction a ordonné, par voie d'exécution simplifiée, la
transmission aux autorités italiennes de ces différents rap-
ports et de leurs annexes, ainsi que de divers documents et
disquettes photographiques. X.________ et E.________ ont
donné leur accord le 15 décembre 1999. Le 23 décembre 1999,
ils ont repris possession des objets dont la provenance
n'était manifestement pas illicite.

F.- Le 3 mars 2000, le Procureur général genevois
s'est adressé à l'OFP en relevant que la poursuite pénale
genevoise avait été suspendue dans l'attente du résultat de
l'expertise. X.________ étant de nationalité italienne et
domicilié en Italie, il se justifiait de déléguer aux autori-
tés italiennes la poursuite pénale ouverte à Genève. Le 13
mars 2000, le Procureur général a présenté une demande for-
melle de délégation, estimant que les conditions de l'art.
88
EIMP étaient réunies. Le centre de gravité de l'affaire se
trouvait en Italie, et la délégation permettrait d'éviter
des
décisions contradictoires, et une violation de la règle "ne
bis in idem". Compte tenu du volume des documents et du nom-
bre des pièces saisies, les autorités italiennes devraient,
en cas d'acceptation de la délégation, prendre contact avec
le Ministère public afin d'organiser la remise.

Par lettres des 15 et 16 mars 2000, X.________ et
E.________ ont contesté les allégations du Procureur gene-
vois, en relevant que, sur la base de leurs propres exper-
tises, il n'était pas possible d'affirmer qu'une grande par-
tie des objets saisis proviendraient de fouilles illicites
récentes en Italie. Les principaux objets avaient été acquis
hors d'Italie, en Suisse ou dans d'autres pays, ou lors de
ventes aux enchères publiques internationales.

Le Procureur genevois répondit qu'il était désormais
dessaisi de la procédure. L'OFP fit savoir que la délégation
avait été ordonnée le 15 mars 2000, étant précisé que seule
la personne poursuivie ayant sa résidence habituelle en Suis-
se avait qualité pour recourir contre cette délégation.

Le 22 mars 2000, la Direction générale des affaires
pénales du Ministère italien de la justice a formé une requê-
te de poursuite pénale à l'encontre de X.________. Une procé-
dure pénale est en cours contre ce dernier pour vol et expor-
tation illicite de biens appartenant au patrimoine archéolo-

gique de l'Etat. Considérant qu'il pourrait s'agir d'actes
de
recel commis sur le territoire suisse, l'autorité judiciaire
compétente en Italie est requise de procéder à l'encontre de
X.________ pour ces faits.

G.- X.________ et E.________ forment un recours de
droit administratif contre la décision de l'OFP du 15 mars
2000. Ils en demandent l'annulation en tant qu'elle autorise
la remise aux autorités italiennes des pièces se trouvant au
Port franc de Genève, et en tant qu'elle ne respecte pas le
principe de la spécialité.

Il n'a pas été demandé de réponse.

H.- Un recours de droit public formé par X.________
et E.________ contre la demande de délégation adressée le 13
mars 2000 par le Procureur genevois à l'OFP, a été déclaré
irrecevable par arrêt du 25 avril 2000.

C o n s i d é r a n t e n d r o i t :

1.- Le Tribunal fédéral examine d'office la receva-
bilité du recours de droit administratif (ATF 125 II 497 con-
sid. 1a p. 499).

a) La décision attaquée est une délégation, par la
Suisse, de la procédure pénale à un Etat étranger. Elle est
fondée sur l'art. 88 de la loi fédérale sur l'entraide judi-
ciaire en matière pénale (EIMP, RS 351.5), ainsi que sur
l'art. 21 (dénonciation aux fins de poursuite) de la Conven-
tion européenne d'entraide judiciaire (CEEJ, RS 0.351.1) à
laquelle l'Italie et la Suisse sont parties. En vertu de
l'art. 30 al. 2 EIMP, l'OFP est l'autorité compétente pour
former une telle demande, à la requête de l'autorité canto-
nale.

Au contraire de la requête adressée par cette der-
nière à l'OFP, qui ne constitue qu'une simple proposition,
ou
prise de position, l'acte de délégation de l'OFP est une dé-
cision, au sens de l'art. 5 PA, rendue par l'autorité fédéra-
le. Toutefois, selon la règle spéciale de l'art. 25 al. 2
EIMP, le recours dirigé contre une demande suisse adressée à
un Etat étranger en vue de lui faire assumer la poursuite pé-
nale ou l'exécution d'un jugement, ne peut être formé que
par
la personne poursuivie qui possède sa résidence habituelle
en
Suisse. Cette disposition a été ajoutée lors de la révision
de l'EIMP, entrée en vigueur le 1er février 1997. Dans la
version précédente de l'EIMP, le législateur avait prévu de
limiter le droit de recours à l'inculpé ou au condamné ayant
sa résidence habituelle en Suisse, mais cette limitation
avait disparu par inadvertance du texte promulgué (cf. par
exemple ATF 112 Ib 137 consid. 3a p. 141). La nouvelle ver-
sion de l'art. 25 al. 2 EIMP ne fait que réparer cette omis-
sion (FF 1995 III 20).

b) Les recourants ne contestent pas en l'espèce que
X.________, qui fait l'objet de la procédure pénale ouverte
en Italie du chef de vol et exportation d'objets culturels,
a
sa résidence habituelle à Rome. Il en découle que le recours
de droit administratif n'est en principe pas ouvert. Les re-
courants l'admettent d'ailleurs, puisqu'ils déclarent ne pas
remettre en cause la décision de délégation en tant que
telle.

c) Toutefois, lorsque l'intéressé soutient, comme en
l'espèce, que la délégation ordonnée par la Suisse permet-
trait la remise des objets saisis, sans que les conditions
fixées aux art. 74 et 74a EIMP ne soient réalisées, il y a
lieu de reconnaître la possibilité de faire valoir ces argu-
ments par la voie du recours de droit administratif. Dans ce
cas en effet, l'argument soulevé consiste à dire que la délé-
gation, et la remise de l'ensemble des objets en tant que

pièces à conviction au sens de l'art. 90 in fine EIMP, cons-
titue un cas d'entraide déguisée, privant les intéressés de
la protection juridique accordée dans ce domaine (arrêt du 7
novembre 1996 dans la cause R., publié in SJ 1997 193). L'in-
téressé doit toutefois justifier de sa qualité pour recourir
en établissant que les actes transmis le touchent directe-
ment. Tel paraît être le cas en l'espèce puisque les pièces
saisies se trouvent dans des locaux loués par E.________, et
que X.________ s'en prétend acquéreur de bonne foi.

2.- Les recourants se plaignent d'une violation des
art. 74 et 74a EIMP. Selon eux, une remise des pièces
saisies
ne serait possible qu'aux conditions fixées dans ces disposi-
tions. Une remise en vue de confiscation ne pourrait avoir
lieu que sur la base d'un jugement définitif rendu en
Italie,
et une remise à titre de moyens de preuve ne pourrait être
ordonnée que par le juge d'instruction saisi de la demande
d'entraide italienne, au terme d'une pesée soigneuse des in-
térêts en présence, compte tenu notamment du principe de la
proportionnalité. La remise de ces pièces, sous couvert
d'une
transmission du dossier pénal, près de quatre ans après l'ou-
verture de la procédure pénale en Suisse, serait uniquement
destinée à éluder ces conditions. L'art. 90 EIMP prévoirait
la remise du dossier pénal et des pièces à conviction et ne
pourrait servir de base légale à la remise de l'ensemble des
pièces saisies. Le respect du principe de la spécialité ne
serait pas assuré, et la garantie de la propriété serait vio-
lée, faute d'une base légale adéquate et d'un intérêt public
prépondérant.

a) Prévue à l'art. 21 CEEJ, la dénonciation aux fins
de poursuite ne fait pas l'objet de conditions
particulières.
La communication doit se faire entre Ministères de la
justice
et l'Etat requis doit informer l'Etat requérant des suites
données à la dénonciation en communiquant, le cas échéant,
la
décision rendue. L'art. 6 al. 2 CEExtr., qui consacre la rè-

gle "aut dedere, aut judicare", prévoit que lorsqu'une
partie
requise n'extrade pas son ressortissant, elle doit, sur de-
mande de la partie requérante, soumettre l'affaire aux auto-
rités compétentes afin que des poursuites judiciaires puis-
sent être exercée.


Figurant dans la quatrième partie de l'EIMP (déléga-
tion de la poursuite pénale), section 2 (délégation à l'é-
tranger), l'art. 88 EIMP permet à l'OFP d'inviter un Etat
étranger à assumer la poursuite pénale d'une infraction re-
levant de la juridiction suisse si la législation de cet
Etat
permet la répression de cette infraction et si la personne
poursuivie réside dans cet Etat, son extradition à la Suisse
étant exclue ou inopportune. Selon l'art. 90 EIMP, en sus
des
documents visés à l'art. 28 al. 3 EIMP (cf. aussi art. 11
OEIMP), la demande est accompagnée du dossier pénal et, le
cas échéant, des pièces à conviction. L'art. 8 OEIMP fixe
les
principes applicables au choix de la procédure selon l'art.
19 EIMP. Les critères énumérés (les relations de la personne
poursuivie avec la Suisse et l'Etat étranger, une administra-
tion rationnelle de la justice et la nécessité d'un jugement
d'ensemble en cas de pluralité d'infractions) peuvent aussi
être retenus, par analogie, à la décision de délégation.

b) En l'espèce, les recourants ne contestent pas que
les conditions posées à l'art. 88 EIMP sont respectées: res-
sortissant italien, X.________ réside en Italie, d'où son ex-
tradition est, sinon exclue, du moins inopportune. En effet,
il a à répondre devant les juridictions italiennes des in-
fractions principales de vol et d'exportation de biens cultu-
rels. Compte tenu du caractère accessoire de l'infraction de
recel et de la provenance des pièces archéologiques, le Pro-
cureur genevois et, à sa suite, l'OFP, pouvaient considérer
à
juste titre que le rattachement de la procédure pénale se
trouvait davantage en Italie qu'en Suisse. L'infraction de
recel est également connue du droit pénal italien, et l'Etat

requis a d'ores et déjà accepté la délégation, en enjoignant
à l'autorité compétente d'étendre les poursuites à cette in-
fraction. On ne saurait, dans ces conditions, tenir la déci-
sion de l'OFP pour un prétexte à la transmission des pièces
saisies.

c) Les recourants soutiennent que cette transmission
ne pouvait avoir lieu que sur la base d'un jugement de con-
fiscation définitif et exécutoire rendu en Italie; la trans-
mission à titre de moyens de preuve devrait par ailleurs
être
précédée d'une décision de clôture du juge d'instruction.
Les
recourants perdent toutefois de vue que ces considérations,
émises par le Tribunal fédéral dans ses précédents arrêts,
ont été faites dans la perspective de l'octroi de l'entraide
judiciaire requise par l'Italie. Le principal obstacle à une
remise consistait alors dans la procédure pénale pendante à
Genève: d'une part, l'art. 74a al. 4 let. d permettait de re-
tenir en Suisse les objets ou valeurs nécessaires à une pro-
cédure pénale pendante en Suisse ou susceptible d'y être con-
fisqués; d'autre part, le principe de la proportionnalité
s'opposait à une transmission comme moyens de preuve, au re-
gard des nécessités de l'enquête genevoise et aux risques
liés au transport des pièces, de sorte qu'une consultation à
Genève paraissait préférable. Cet obstacle est aujourd'hui
levé puisqu'en raison de la décision de délégation, les auto-
rités répressives suisses sont dessaisies, et qu'en vertu du
principe "ne bis in idem", une poursuite pénale est doréna-
vant exclue en Suisse (cf. art. 89 EIMP).

Par ailleurs, les recourants soutiennent en vain que
les objets saisis ne seraient pas de provenance illicite.
Une
telle argumentation à décharge, qui n'est recevable ni dans
une procédure d'extradition, ni dans le cadre de l'exécution
d'une demande d'entraide judiciaire, a moins encore sa place
dans un recours relatif à une décision de délégation. C'est
à
l'autorité pénale italienne qu'il appartiendra d'en juger,

puisqu'elle est désormais appelée à connaître de l'ensemble
des infractions poursuivies dans ce cadre.

d) Les recourants soutiennent aussi que l'art. 90
EIMP, qui prévoit la transmission du dossier et des pièces à
conviction à l'appui de la demande de délégation, serait une
simple règle de procédure se rapportant à la documentation
qui doit accompagner la demande. Ce point de vue ne peut
être
partagé: la documentation à produire avec la demande de délé-
gation est déjà mentionnée aux art. 27 à 29 EIMP, auxquels
renvoie l'art. 11 OEIMP. Compte tenu de la spécificité de la
demande de délégation, l'art. 90 EIMP prévoit, en plus de la
documentation à l'appui de la demande, la remise du dossier
pénal, ainsi que des pièces à conviction. Cette remise est
la
conséquence logique du dessaisissement consécutif à la délé-
gation: l'Etat requérant doit remettre à l'Etat requis tout
ce qui peut être utile à la poursuite des infractions délé-
guées, afin de lui permettre de mener à bien sa mission.

La notion de pièces à conviction au sens de l'art.
90 EIMP correspond à celle de moyens de preuve au sens des
art. 59 EIMP (remise accessoire à l'extradition) ou 74 EIMP
(entraide judiciaire). Les objets remis à ce titre doivent
simplement présenter un rapport avec la procédure pénale dé-
léguée (ATF 115 Ib 517 consid. 7d p. 534-535), l'autorité
délégataire limitant son examen à l'"utilité potentielle"
des
pièces remises (cf. ATF 122 II 367 consid. 2c p. 371). Dans
ce sens, les recourants ne contestent pas que la remise aux
autorités de poursuite italiennes des pièces archéologiques
saisies au Port franc de Genève apparaît indispensable, puis-
que ces pièces constituent l'objet même des infractions pour-
suivies. Il s'agit de pièces à conviction essentielles: la
question centrale - et délicate - de la procédure est en ef-
fet celle de leur provenance, illicite ou non, et les diffé-
rentes expertises produites à ce sujet aboutissent à des ré-
sultats divergents. La remise des pièces à l'autorité ita-

lienne correspond dès lors à la lettre et à l'esprit de
l'art. 90 EIMP. Elle correspond également aux buts de la Con-
vention n° 141 du Conseil de l'Europe, du 8 novembre 1990,
relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la
confiscation des produits du crime, entrée en vigueur le 1er
septembre 1993 pour la Suisse et le 10 mai 1994 pour
l'Italie
(RS 0.311.53).

e) Il ne serait certes pas admissible que l'autorité
suisse procède à la délégation de la poursuite dans le seul
but de permettre la transmission de pièces alors que les con-
ditions des art. 74 et 74a EIMP ne sont pas réalisées. On ne
se trouve toutefois pas en présence d'un tel abus en l'espè-
ce: la procédure pénale pour recel a été ouverte à Genève in-
dépendamment des mesures prises par les autorités
italiennes,
et le séquestre des pièces archéologiques a été ordonné prin-
cipalement dans ce cadre; dans son arrêt du 5 juin 1997, le
Tribunal fédéral a retenu que si la priorité était donnée à
cette procédure nationale, cela n'empêchait pas d'effectuer
simultanément les actes d'entraide (ATF 123 II 268 consid.
4c
p. 277). Par la suite, la procédure pénale a été suspendue
dans l'attente de l'expertise effectuée à la requête de
l'Italie. C'est à l'issue de cette expertise que la déléga-
tion a été requise par le Procureur genevois. Compte tenu de
cette chronologie, on ne saurait reprocher aux autorités de
poursuite genevoises d'avoir ouvert une procédure pénale,
puis de l'avoir déléguée dans le seul but d'éluder les
règles
relatives à la transmission par voie d'entraide judiciaire.

f) Lorsque les moyens de preuve à transmettre cons-
tituent, comme en l'espèce, des objets de valeur, une protec-
tion juridique suffisante doit être garantie. Selon les art.
59 al. 2 et 74 al. 2 EIMP, lorsqu'un acquéreur de bonne foi,
une autorité ou le lésé habitant la Suisse font valoir des
droits sur les objets ou valeurs pouvant servir de moyens de
preuve, leur remise peut être subordonnée à la condition que

l'Etat requérant garantisse leur restitution au terme de sa
procédure. L'engagement de l'Etat requérant est alors assuré
par une remise conditionnelle selon les formes prévues à
l'art. 80p EIMP.

Cette réglementation doit aussi s'appliquer, par
analogie, à la décision de délégation de la poursuite
pénale,
en tout cas lorsque, comme dans le cas particulier, l'Etat
qui se voit déléguer la poursuite avait auparavant tenté
d'obtenir la restitution des biens culturels en question. Il
apparaît toutefois que ni X.________, ni E.________ n'ont la
qualité de tiers au sens des dispositions précitées. En ef-
fet, le premier est la personne poursuivie, tant dans la pro-
cédure pénale italienne que dans la procédure ouverte à
Genève: même s'il n'a pas été inculpé et si la procédure ge-
nevoise a été ouverte contre inconnu, X.________
apparaissait
comme la seule personne susceptible d'être inculpée dans ce
cadre (cf. la lettre du Procureur général genevois du 3 mars
2000). Quant à E.________, cette société est dominée par
X.________ et ne possède pas l'indépendance nécessaire pour
se voir reconnaître la qualité de tiers (cf. ATF 123 II 595
consid. 6a p. 611-612). Quant à la protection des droits de
propriété de la personne poursuivie, elle apparaît suffisam-
ment assurée dans l'Etat requérant, comme cela est relevé ci-
dessous.

3.- Les recourants invoquent enfin la garantie de la
propriété. Ils estiment que la mesure de transmission ne re-
poserait pas sur une base légale suffisante, et ne
répondrait
pas à un intérêt public suffisant dès lors que l'examen des
pièces par les experts et enquêteurs italiens a déjà eu lieu
et qu'une confiscation n'a pas été ordonnée en Italie.

L'argument est toutefois manifestement mal fondé. La
décision de délégation ne se prononce nullement sur les
droits de propriété attachés aux objets saisis. L'entrave à

l'exercice du droit de propriété résulte des décisions de
saisie prises auparavant, mais non de la transmission des
pièces dans l'Etat délégatoire. C'est à ce dernier qu'il
appar-
tiendra, désormais, de statuer sur la restitution ou au con-
traire sur la confiscation de tout ou partie des objets sai-
sis, et il ne fait pas de doute que X.________ y disposera
des garanties de procédure propres à tout Etat démocratique.
L'Italie a en effet - au contraire de la Suisse - ratifié le
Protocole additionnel à la CEDH, qui garantit à son art. 1
la
protection de la propriété. Par ailleurs, l'Italie a ratifié
le 11 octobre 1999 la Convention d'UNIDROIT sur les biens
culturels volés ou illicitement exportés, du 24 juin 1995;
l'entrée en vigueur pour ce pays a eu lieu le 1er avril
2000.
Cette convention prévoit notamment la restitution des biens
culturels volés ou illégalement exportés (art. 3), mais
aussi
une indemnisation équitable versée au possesseur de bonne
foi
(art. 4 et 6). La protection accordée à ce dernier n'est guè-
re différente de celle qui est reconnue, en droit suisse,
aux
art. 3 al. 2 et 934 CC (Pierre Lalive, La Convention d'UNI-
DROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés
(du 24 juin 1995), RSDIE 7/1997 p. 13-66, notamment 32/33 et
35-40; ATF 123 II 134 consid. 7c p. 144; concernant la compa-
tibilité du système de la Convention avec la garantie de la
propriété, cf. JAAC 62/IV n° 78).

4.- Les recourants invoquent enfin la protection de
la bonne foi et l'interdiction de l'arbitraire, mais ces
griefs, sans portée propre par rapport à leur argumentation
principale, doivent être rejetés dans la même mesure.

5.- Sur le vu de ce qui précède, le recours de droit
administratif doit être rejeté, dans la mesure où il est re-
cevable. Un émolument judiciaire est mis à la charge soli-
daire des recourants, qui succombent (art. 156 al. 1 OJ).

Par ces motifs,

l e T r i b u n a l f é d é r a l :

1. Rejette le recours dans la mesure où il est rece-
vable.

2. Met à la charge solidaire des recourants un émo-
lument judiciaire de 5000 fr.

3. Communique le présent arrêt en copie au manda-
taire des recourants et à l'Office fédéral de la police
(B 100 302).

Lausanne, le 26 avril 2000
KUR/col

Au nom de la Ie Cour de droit public
du TRIBUNAL FEDERAL SUISSE:
Le Président,

Le Greffier,


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1A.117/2000
Date de la décision : 26/04/2000
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2000-04-26;1a.117.2000 ?
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