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26/08/2010 | SUISSE | N°1C_259/2010

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 26 août 2010, 1C 259/2010


{T 1/2}
1C_259/2010
Arrêt du 26 août 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
1. Salika Wenger,
2. Nicholas Wenger,
tous deux représentés par Me Christian Grobet, avocat, recourants,
contre
Grand Conseil du canton de Genève, case postale 3970, 1211 Genève 3.
Objet
Loi 10607 modifiant la loi sur l'organisation judiciaire du 11 février 2010,
recours contre la loi 10607 modifiant

la loi sur l'organisation judiciaire du 11 février 2010.
Faits:

A.
Le 11 février 2010, le Gran...

{T 1/2}
1C_259/2010
Arrêt du 26 août 2010
Ire Cour de droit public
Composition
MM. les Juges Féraud, Président, Aemisegger, Reeb, Fonjallaz et Eusebio.
Greffière: Mme Tornay Schaller.
Participants à la procédure
1. Salika Wenger,
2. Nicholas Wenger,
tous deux représentés par Me Christian Grobet, avocat, recourants,
contre
Grand Conseil du canton de Genève, case postale 3970, 1211 Genève 3.
Objet
Loi 10607 modifiant la loi sur l'organisation judiciaire du 11 février 2010,
recours contre la loi 10607 modifiant la loi sur l'organisation judiciaire du 11 février 2010.
Faits:

A.
Le 11 février 2010, le Grand Conseil du canton de Genève (ci-après: le Grand Conseil) a adopté la loi 10607 modifiant la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 (ci-après: la loi 10607 ou la loi), comportant notamment la disposition suivante relative à l'organisation du Ministère public:
Art. 162
...
16 Dans les 3 mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente modification, le procureur général arrête entre 3 et 5 le nombre des premiers procureurs provisoires qu'il entend faire désigner, puis les fait désigner par un collège composé, outre de lui-même :
a) du président de la Cour de justice, ou d'un magistrat de sa juridiction désigné par lui;
b) du président du Tribunal de première instance ou d'un magistrat de sa juridiction désigné par lui;
c) d'un juge d'instruction élu par le collège des juges d'instruction;
d) d'un magistrat du Ministère public élu par les membres de cette juridiction.
17 L'élection des représentants du collège des juges d'instruction et du Ministère public, ainsi que celle des premiers procureurs provisoires, a lieu au bulletin secret, à la majorité absolue des votants au premier tour, à la majorité relative au second tour. En cas d'égalité, le rang est déterminant.
18 Les premiers procureurs provisoires :
a) sont chargés, sous la direction du procureur général, de préparer la mise en oeuvre, au sein du Ministère public, de la loi sur l'organisation judiciaire, du 9 octobre 2009 [loi 10462]. Ils n'exercent pas à ce titre de fonctions juridictionnelles ni hiérarchiques spécifiques;
b) entrent en fonction le 1er janvier 2011 en qualité de premiers procureurs, conformément à l'article 145, alinéa 4, de la loi précitée.
En l'absence de référendum, le Conseil d'Etat du canton de Genève a promulgué cette loi par arrêté du 14 avril 2010, publié dans la Feuille d'avis officielle du canton de Genève du 16 avril 2010. La loi est entrée en vigueur le 17 avril 2010.

B.
Agissant par la voie du "recours en matière publique", Salika et Nicholas Wenger, citoyens genevois, demandent au Tribunal fédéral d'annuler les alinéas 16 à 18 de l'art. 162 de la loi 10607. Ils se plaignent d'une atteinte à leur droit de vote, d'une violation de l'art. 132 de la constitution genevoise du 24 mai 1847 (Cst/GE; RSG A 2 00) et de l'art. 119 al. 1 et 2 de la loi genevoise sur l'exercice des droits politiques du 15 octobre 1982 (LEDP; RSG A 5 05).
L'élection des premiers procureurs provisoires a eu lieu le 2 juin 2010 suivant la procédure prévue par l'art. 162 al. 16 de la loi 10607.
Invité à se déterminer, le Grand Conseil conclut au rejet du recours. Les recourants ont répliqué, sans contester formellement l'élection des premiers procureurs provisoires datée du 2 juin 2010.
Considérant en droit:

1.
Selon l'art. 82 let. b et c LTF, le Tribunal fédéral connaît des recours dirigés directement contre les actes normatifs cantonaux, ainsi que les recours concernant le droit de vote des citoyens. Dans le canton de Genève, la loi attaquée n'est pas susceptible de recours cantonal, de sorte que le recours en matière de droit public est directement ouvert (art. 87 al. 1 LTF).
L'art. 89 al. 1 LTF confère la qualité pour former un recours en matière de droit public à quiconque est particulièrement atteint par la décision ou l'acte normatif attaqué (let. b) et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). Lorsque le recours est dirigé, comme en l'espèce, contre un acte normatif cantonal, la qualité pour recourir appartient à toute personne dont les intérêts sont effectivement touchés par l'acte attaqué ou pourront l'être un jour; une simple atteinte virtuelle suffit, à condition toutefois qu'il existe un minimum de vraisemblance que le recourant puisse un jour se voir appliquer les dispositions contestées (ATF 135 II 243 consid. 1.2 p. 247; 131 I 291 consid. 1.3 p. 296; ATF 124 I 11 consid. 1b p. 13; ATF 122 I 70 consid. 1b p. 73 et la jurisprudence citée). Quant à l'intérêt digne de protection, il n'est pas nécessaire qu'il soit de nature juridique, un intérêt de fait étant suffisant (ATF 133 I 286 consid. 2.2 p. 290). Selon l'art. 89 al. 3 LTF, la qualité pour recourir dans le domaine des droits politiques appartient à toute personne disposant du droit de vote dans l'affaire en cause, même si elle n'a aucun intérêt juridique personnel à l'annulation de l'acte attaqué (ATF 130 I 290 consid. 1 p. 292; 128 I 190 consid. 1 p. 192; 121 I 138 consid. 1 p. 139; 357 consid. 2a p. 360). En l'occurrence, les recourants sont domiciliés dans le canton de Genève, où ils exercent leurs droits politiques, de sorte qu'ils sont susceptibles d'être touchés par les modifications contestées. Qu'elle soit fondée sur l'art. 89 al. 1 let. b et c ou sur l'art. 89 al. 3 LTF, la qualité pour recourir des recourants peut donc être admise.
Au surplus, le fait que le recours soit inexactement intitulé "recours en matière publique" ne prête pas à conséquence (cf. ATF 133 I 300 consid. 1.2 p. 302). Quant à la question de la recevabilité du recours au regard des exigences de motivation découlant des art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF, elle peut demeurer indécise, dès lors que le recours est de toute manière mal fondé.

2.
Les recourants font valoir que le mode d'élection des premiers procureurs provisoires, tel que prévu par l'art. 162 al. 16 de la loi 10607 porte une atteinte à leur droit de vote. Ils prétendent que la fonction de premier procureur provisoire constitue une fonction nouvelle au sens de l'art. 119 LEDP, et qu'à ce titre l'élection devrait être soumise au peuple. Ils se plaignent aussi d'une violation de l'art. 132 Cst/GE.

2.1 Il convient dans un premier temps d'exposer le cadre constitutionnel et légal des élections judiciaires dans le canton de Genève. A teneur de l'art. 132 al. 1 de la constitution genevoise, "les magistrats du pouvoir judiciaire, à l'exception des juges prud'hommes, sont élus par le Conseil général, en un seul collège, selon le système majoritaire". L'alinéa 4 de cette disposition prévoit que "la loi règle tout ce qui concerne l'exécution du présent article, ainsi que, même en dérogation au principe constitutionnel, le mode de pourvoir aux fonctions qui deviennent vacantes dans l'intervalle des élections générales".
Le législateur genevois a fait usage de cette possibilité. Ainsi, l'art. 119 al. 1 LEDP dispose qu'en "cas de non-acceptation, de démission, de vacance, de décès ou d'augmentation légale de l'effectif d'une juridiction postérieurs à l'élection générale, le Grand Conseil pourvoit de titulaires les sièges vacants". Cette dérogation n'est admise que dans certaines limites. En effet, selon l'alinéa 2 de cet article, "si le nombre de vacances se trouve être de plus de 4 à la fois ou si une fonction est nouvellement créée, il est procédé à une élection pour pourvoir les postes vacants par l'ensemble des électeurs cantonaux réunis en Conseil général, comme pour l'élection générale".

2.2 En l'occurrence, le Grand Conseil rappelle que l'art. 132 al. 1 Cst/GE a pour but de garantir aux citoyens le droit d'élire des personnes appelées à occuper des fonctions judiciaires. Pour lui, une fois élus à ces fonctions, les magistrats en question peuvent nécessairement être appelés à accomplir des tâches de nature administrative. Cette charge ne fait pas de ceux qui l'assument des magistrats d'une nature différente ou supérieure; elle est le corollaire du fait qu'un magistrat est élu pour une juridiction déterminée, laquelle appelle un minimum de règles d'organisation entre les magistrats qui la composent; elle n'a que des effets internes à la juridiction concernée et n'affecte en aucune manière l'indépendance des magistrats. Ainsi, la désignation à ce type de charge ne concerne pas le droit de vote des citoyens, mais relève de l'organisation interne des juridictions. Cette règle obéit par ailleurs à d'évidentes considérations pratiques: considérer que toute charge administrative au sein d'une juridiction devrait faire l'objet d'une élection populaire conduirait soit à multiplier les élections, soit à rigidifier à l'excès l'organisation des juridictions, sans intérêt pour le citoyen.
Cette argumentation est convaincante et le Tribunal fédéral y souscrit sans réserve. Le Grand Conseil considère à juste titre que les magistrats qui assument une charge organisationnelle ne doivent pas être soumis pour ce motif à une nouvelle élection. Le texte de l'art. 132 al. 1 Cst/GE ne souffre pas d'interprétation lorsqu'il se réfère au "pouvoir judiciaire" exercé par le juge. Reste donc à évaluer si les tâches de premier procureur provisoire et de premier procureur sont purement administratives, sans fonctions juridictionnelles ou hiérarchiques spécifiques.

2.3 Pour trancher cette question, le Grand Conseil a d'abord opéré une analogie entre la fonction de premier procureur et celle de président de juridiction. Les juges n'ont en effet jamais fait l'objet d'une élection populaire particulière en raison de la fonction de présidence. Or, comme les présidents de juridiction, les premiers procureurs pourront attribuer les procédures (art. 79 al. 2 let. b, 81 al. 1; art. 29 al. 4 let. a de la loi 10462 sur l'organisation du pouvoir judiciaire, adoptée par le Grand Conseil le 9 octobre 2009 et soumise à votation populaire le 26 septembre 2010 [ci-après: n-LOJ 10462]), veiller à ce que les magistrats remplissent leur charge avec dignité, rigueur, assiduité, diligence et humanité (art. 79 al. 2 let. c; art. 29 al. 4 let. b n-LOJ 10462), veiller au bon fonctionnement du Ministère public - respectivement de la juridiction - et à l'avancement des procédures (art. 79 al. 2 let. d; art. 29 al. 4 let. c n-LOJ 10462) et convoquer la séance plénière du Ministère public - respectivement du tribunal - (art. 79 al. 2 let. e; art. 29 al. 4 let. d n-LOJ 10462). Enfin, le Grand Conseil ajoute que les pouvoirs des premiers procureurs sont des pouvoirs délégués et peuvent de ce fait être inférieurs à ceux des présidents de juridiction.
Au contraire, les recourants soutiennent qu'il n'est pas possible de comparer les présidents de juridiction aux premiers procureurs, ceux-là se succédant tous les deux ans alors que la charge de premier procureur serait maintenue durant six ans. Outre le fait que les présidents de juridiction se succèdent non pas tous les deux ans, mais tous les trois ans (cf. art. 2B al.2 de la loi sur l'organisation judiciaire du 22 novembre 1941 [RSG E 2 05] et art. 29 al. 3 n-LOJ 10462) et que les premiers procureurs sont élus pour trois ans (cf. art. 80 al. 2 n-LOJ 10462), cet élément n'est pas déterminant pour qualifier la nature de la fonction. De même, l'argument selon lequel les présidents de juridiction auraient le même statut que les autres juges de la même juridiction - ce qui ne serait pas le cas des premiers procureurs amenés à remplacer le procureur général -, ne démontre pas en quoi les attributions des premiers procureurs ne seraient pas purement administratives.
Ce d'autant moins que la version amendée de l'art. 81 n-LOJ 10462 prévoit désormais expressément que certaines compétences du procureur général ne peuvent pas être déléguées aux premiers procureurs. Il en va ainsi de la définition de la politique présidant à la poursuite des infractions (art. 79 al. 2 let. a n-LOJ 10462), de l'édiction du règlement de la juridiction (art. 79 al. 2 let. e n-LOJ 10462), de la composition des sections (art. 79 al. 2 let. f n-LOJ 10462) et de la désignation des procureurs chargés d'exercer les fonctions de procureurs des mineurs (art. 79 al. 2 let. g n-LOJ 10462).
S'ajoute encore à cela le fait que l'art. 381 al. 2 du code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP; RO 2010 p. 1881 ss) permet aux cantons qui ont désigné un premier procureur ou un procureur général de déterminer quelles autorités peuvent interjeter recours dans la procédure pénale en matière de contraventions. Or, le législateur cantonal genevois n'a octroyé aucune compétence particulière aux premiers procureurs pour interjeter recours dans la procédure pénale en la matière, dans la loi 10355 d'application du code pénal suisse et d'autres lois fédérales en matière pénale du 27 août 2009 (RSG E 4 10).

2.4 Les recourants relèvent ensuite que, suivant le système actuel, l'élection des magistrats du Ministère public se fait selon trois catégories, à savoir procureur général, procureur et substitut. Ils prétendent que le fait que les citoyens aient pu élire des procureurs, d'une part, et des substituts, d'autre part, a fait de ces deux fonctions des fonctions distinctes. La suppression du titre de substitut impliquerait de remplacer la fonction actuelle de procureur par celle de premier procureur.
L'argument avancé par les recourants ne convainc pas. En effet, si la fonction de procureur général est clairement différente de celle des autres magistrats du Ministère public, le droit genevois n'indique en revanche pas en quoi les fonctions de substitut et de procureur seraient distinctes. Lorsqu'il exerce son droit de vote, le citoyen n'a ainsi aucune connaissance des tâches qui permettraient de distinguer ces deux fonctions. Dans ses déterminations devant le Tribunal de céans, le Grand Conseil précise avoir voulu historiquement assurer un meilleur soutien au Procureur général, en dénommant "procureurs" certains des substituts. Comme la fonction de substitut est, dans la règle, la première occupée par un nouveau magistrat, ses titulaires tendent à poursuivre leur carrière dans d'autres juridictions. En revanche, les procureurs seraient des magistrats expérimentés, intéressés à faire carrière au Ministère public et à traiter des dossiers complexes. Le fait qu'il y ait une élection distincte ne serait dû qu'à des raisons contingentes: faute de mode de désignation spécifique posé par la loi, la seule façon de pourvoir les postes de procureurs et de substituts est de les faire élire directement par le peuple selon leur détermination. Dans ces circonstances, une dénomination différente ne suffit pas à en faire des fonctions distinctes.

2.5 Les recourants relèvent enfin le statut provisoire des premiers procureurs jusqu'au 31 décembre 2010. Ils soutiennent que lorsqu'ils deviendront premiers procureurs dès le 1er janvier 2011, ils "abandonneront leurs activités administratives ou la décharge dont ils bénéficient et appliqueront aussitôt leurs fonctions juridictionnelles et hiérarchiques". Cet argument se heurte à un élément essentiel. En effet, les tâches que seront amenés à remplir les premiers procureurs dès le 1er janvier 2011 sont énumérées aux art. 81 et 79 al. 2 n-LOJ 10462 (cf. consid. 2.3 ci-dessus). Il en ressort que ce sont des compétences organisationnelles. Le grief doit donc être écarté.

3.
Il s'ensuit que le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité. Conformément à l'art 66 al. 1 LTF, les frais judiciaires sont mis à la charge des recourants qui succombent. Le Grand Conseil n'a pas droit à des dépens (art. 68 al. 3 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté, dans la mesure de sa recevabilité.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 2'000 francs, sont mis à la charge des recourants.

3.
Le présent arrêt est communiqué au mandataire des recourants et au Grand Conseil du canton de Genève.

Lausanne, le 26 août 2010
Au nom de la Ire Cour de droit public
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Féraud Tornay Schaller


Synthèse
Numéro d'arrêt : 1C_259/2010
Date de la décision : 26/08/2010
1re cour de droit public

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2010-08-26;1c.259.2010 ?
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