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27/08/2010 | SUISSE | N°8C_737/2009

Suisse | Suisse, Tribunal fédéral suisse, 27 août 2010, 8C 737/2009


{T 0/2}
8C_737/2009
Arrêt du 27 août 2010
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Frésard et Niquille.
Greffière: Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
Mobilière Suisse Société d'assurances, Bundesgasse 35, 3011 Berne, représentée par
Me Philippe A. Grumbach, avocat,
recourante,
contre
B.________, représenté par Me Guy Zwahlen, avocat,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (réduction de la prestation d'assurance),
recours contre le jugement de la Cour des

assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois du 2 juillet 2009.
Faits:

A.
A.a Le 14 octobre 2006, a...

{T 0/2}
8C_737/2009
Arrêt du 27 août 2010
Ire Cour de droit social
Composition
MM. et Mme les Juges Ursprung, Président,
Frésard et Niquille.
Greffière: Mme von Zwehl.
Participants à la procédure
Mobilière Suisse Société d'assurances, Bundesgasse 35, 3011 Berne, représentée par
Me Philippe A. Grumbach, avocat,
recourante,
contre
B.________, représenté par Me Guy Zwahlen, avocat,
intimé.
Objet
Assurance-accidents (réduction de la prestation d'assurance),
recours contre le jugement de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois du 2 juillet 2009.
Faits:

A.
A.a Le 14 octobre 2006, aux environs de 23 heures, G.________ circulait en voiture à O.________ sur la route de H.________ en direction du village de R.________. Peu avant le chemin de A.________, il se tenait dans la présélection de gauche dans l'intention de s'engager dans cette voie. Il a alors franchi la ligne de sécurité de la présélection dans le but de prendre son virage «à la corde». Lors de sa manoeuvre, inattentif, il n'a pas accordé la priorité à B.________, motocycliste, qui circulait normalement en sens inverse. Une violente collision s'est produite entre les deux véhicules. B.________ a subi de multiples fractures aux bras et aux jambes. Au moment de l'accident, il était en état d'ébriété (taux d'alcoolémie de 1,29 0/00). Par ordonnance de condamnation du 26 juin 2007, le Procureur général de la République et canton de Genève a déclaré G.________ coupable de lésions corporelles par négligence (art. 125 al. 1 CP). Il l'a condamné à une peine pécuniaire de 60 jours-amende avec sursis pendant trois ans, ainsi qu'à une amende de 500 fr. Par ordonnance du même jour, le Procureur général a déclaré B.________ coupable de conduite en état d'ébriété avec un taux d'alcool qualifié et l'a condamné à une peine pécuniaire de 20 jours-amende avec sursis pendant trois ans. Il l'a en outre condamné à une amende de 300 fr.
A.b B.________ était obligatoirement assuré contre les accidents auprès de la Mobilière Suisse, Société d'assurances (ci-après : la Mobilière). Par décision du 10 octobre 2007, confirmée par une décision sur opposition du 11 décembre 2007, la Mobilière a notifié à B.________ qu'elle réduirait de 30 pour cent ses prestations en espèces (indemnité journalière, rente, indemnité pour atteinte à l'intégrité et allocation pour impotent), en application de l'art. 37 al. 3 LAA. Cette réduction était motivée par le fait que l'accident était survenu alors que l'assuré était en état d'ébriété, ce qui constituait un délit.

B.
B.________ a recouru contre la décision sur opposition devant la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois.
Statuant le 2 juillet 2009, le tribunal cantonal a admis le recours et réformé la décision attaquée en ce sens «qu'aucune réduction des prestations n'est opérée par la Mobilière pour les suites de l'accident survenu le 14 octobre 2006.»

C.
La Mobilière a interjeté un recours en matière de droit public, assorti d'une requête d'effet suspensif. Elle a conclu à l'annulation du jugement cantonal et à la confirmation de sa décision du 11 décembre 2007.
B.________ a conclu au rejet du recours. L'Office fédéral de la santé publique (Assurance maladie et accidents) ne s'est pas déterminé sur le recours.

D.
L'effet suspensif a été attribué au recours par ordonnance du juge instructeur du 30 octobre 2009.
Considérant en droit:

1.
Dans la procédure de recours concernant l'octroi ou le refus de prestations en espèces de l'assurance-accidents ou de l'assurance militaire, le Tribunal fédéral n'est pas lié par l'état de fait constaté par la juridiction précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF).

2.
Dans sa version en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, l'art. 37 al. 3 LAA, 1ère phrase, prévoyait ceci:
«Si l'assuré a provoqué l'accident en commettant un crime ou un délit, les prestations en espèces peuvent être réduites ou, dans les cas particulièrement graves, refusées.»
La LPGA, entrée en vigueur le 1er janvier 2003, a unifié dans une large mesure les régimes des réductions ou des refus de prestations disséminés jusqu'alors dans les diverses lois d'assurance sociale. Elle a aussi introduit des assouplissements en posant le principe que le refus ou la réduction des prestations n'est désormais autorisé qu'en présence d'un comportement intentionnel; elle a laissé subsister des dérogations en matière d'assurance-accidents (pour une vue d'ensemble, voir Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, n. 1 ss ad art. 21; ATF 134 V 277 consid. 2 p. 279). C'est ainsi que l'art. 21 al. 1 LPGA prévoit une réduction, voire un refus (temporaire ou définitif), des prestations en espèces si l'assuré a aggravé le risque assuré ou en a provoqué la réalisation intentionnellement ou en commettant intentionnellement un crime ou un délit. L'adoption de la LPGA a entraîné, parallèlement, une modification de l'art. 37 al. 3 LAA (modification également entrée en vigueur le 1er janvier 2003) et dont la première phrase prévoit désormais ceci:
«Si l'assuré a provoqué l'accident en commettant, non intentionnellement, un crime ou un délit, les prestations en espèces peuvent, en dérogation à l'art. 21, al. 1, LPGA, être réduites ou, dans les cas particulièrement graves, refusées.»
Ce nouveau texte de l'art. 37 al. 3 LAA contient donc une dérogation à l'art. 21 LPGA en ce sens qu'il permet, dans l'assurance-accidents, une réduction des prestations de l'assuré en cas de crime ou de délit non intentionnel (voir à ce sujet ATF 134 V 277 consid. 2.4 p. 280).

3.
3.1 La juridiction cantonale a retenu, à juste titre, que le comportement de l'intimé, qui conduisait un véhicule en état d'ébriété avec un taux d'alcoolémie qualifié, était constitutif d'un délit (art. 91 al. 1 LCR en corrélation avec l'art. 10 CP et l'art. 1er al. 2 de l'ordonnance de l'Assemblée fédérale du 21 mars 2003 concernant les taux d'alcoolémie limites admis en matière de circulation routière [RS 741.13]). On précisera dans ce contexte que la conduite d'un véhicule en étant pris de boisson est une infraction qui peut être commise intentionnellement, notamment par dol éventuel, ou par négligence (Bernard Corboz, Les infractions en droit suisse, volume II, 2002 n. 24 et 25 ad art. 91 LCR, p. 812; Bussy/Rusconi, Code suisse de la circulation routière, Commentaire, 3ème édition, 1996, art. 91 LCR no 5.1).

3.2 En matière d'assurance sociale, la réduction ou le refus des prestations à raison d'un crime ou d'un délit supposent que l'accident soit survenu à l'occasion de l'acte pénalement répréhensible, comme l'exprime le texte des art. 21 al. 1 LPGA et 37 al. 3 LAA («en commettant»; «bei [...] Ausübung»; «commettendo»). Un lien objectif et temporel entre l'acte délictueux et l'atteinte à la santé suffit pour fonder une réduction ou un refus. Il n'est pas nécessaire que l'acte comme tel soit la cause de l'atteinte à la santé (ATF 119 V 241 consid. 3c p. 246; Alexandra Rumo-Jungo, Die Leistungskürzung oder -verweigerung gemäss Art. 37-39 UVG, thèse 1993, p. 190 ss [à propos de l'ancien art. 37 al. 3 LAA]; Ulrich Meyer, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], in: Murer/Stauffer [éd.], Die Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, 2ème éd., 2010, p. 76 [en relation avec l'art. 7b LAI]; Kieser op. cit., n. 28 ad art. 21 [à propos de l'art. 21 LPGA]).

3.3 En règle ordinaire, la faute d'un tiers n'est pas propre à interrompre le lien matériel entre l'acte délictueux et l'accident (Rumo-Jungo, op. cit., p. 200 s.). Par exemple, ce lien n'est pas rompu entre le délit de violence ou menace contre les autorités et les fonctionnaires (art. 285 CP) et le décès de l'assuré consécutif à l'usage de son arme par un agent de la force publique, même s'il n'était pas justifié que l'agent en fît usage au regard des circonstances (ATFA 1962 p. 273 [à propos des actes délictueux qui étaient alors exclus de l'assurance au titre de dangers extraordinaires]). En matière de conduite en état d'ébriété, ce lien subsiste en présence de la faute de circulation d'un tiers si le comportement de l'assuré a tout de même joué un rôle causal dans l'enchaînement des faits. Il en est ainsi, par exemple, en cas de perte de maîtrise du véhicule conduit par un assuré sous l'emprise de l'alcool et qui, une fois immobilisé sur la chaussée, est heurté violemment par un autre véhicule dont le conducteur n'a pas pu freiner à temps; il n'est pas déterminant que ce conducteur ait lui-même commis une faute grave de circulation pour laquelle il a été condamné pour lésions corporelles par négligence (arrêt U 186/01, résumé dans RJB 142/2006 p. 719 et dans REAS/HAVE 2002 p. 219). Dans ce même ordre d'idées, il a été jugé que le lien n'était pas davantage rompu dans le cas d'un accident survenu dans les circonstances suivantes : un assuré en état d'ébriété avancé, dont la voiture a des problèmes de moteur, décide de s'arrêter au beau milieu de la voie d'accès d'une autoroute; il sort ensuite de son véhicule pour se placer en bordure des voies de roulement afin de faire signe aux autres usagers de la route (sans installer au préalable un triangle de panne) et est percuté peu de temps après par une voiture dont le conducteur a voulu éviter le véhicule stationné au milieu du passage (arrêt U 394/2005). Dans ces deux dernières affaires, l'assuré avait commis des fautes de circulation dont il pouvait être présumé que l'ivresse au volant en était à l'origine.

3.4 La faute exclusive d'un tiers, découlant de la violation d'une ou de plusieurs règles de circulation, ne suffit pas encore pour nier tout lien objectif entre l'infraction d'ivresse au volant commise par l'assuré et l'accident. Un conducteur en état d'ébriété est entravé dans son aptitude à conduire par l'effet de l'alcool, qui amoindrit sa capacité de réaction. Pour juger du lien matériel entre l'acte délictueux et l'accident, il y a lieu de présumer que celui-ci ne serait pas survenu ou qu'il n'aurait pas eu les mêmes conséquences dans le cas d'un conducteur resté sobre. Cette présomption peut toutefois être renversée s'il apparaît, avec un degré de vraisemblance prépondérante, que l'état alcoolique n'a eu d'incidence ni sur la survenance de l'accident ni sur ses conséquences, autrement dit qu'aucune manoeuvre d'évitement n'aurait été possible même pour un conducteur en pleine possession de ses moyens. On peut entre autres exemples songer à un conducteur pris de boisson arrêté à un feu rouge et dont le véhicule est percuté à l'arrière par un autre véhicule. La recourante se méprend donc quand elle soutient que la conduite en état d'ébriété qualifiée justifie en elle-même et sans exception une réduction des prestations d'assurance en cas d'accident.

4.
4.1 En l'espèce, la juridiction cantonale a jugé que le lien objectif entre l'infraction commise par l'intimé et la survenance de l'événement accidentel était rompu, sinon inexistant, en raison de la faute particulièrement grave de l'automobiliste. Elle retient que l'accident a été provoqué par le comportement totalement imprévisible et contraire aux règles élémentaires de prudence de l'automobiliste et que l'intimé n'a eu - ni n'aurait eu - aucune possibilité de réaction pour en éviter ou diminuer les conséquences dommageables, indépendamment de son état d'ébriété. Cette dernière considération se fonde sur la constatation que l'intimé a été percuté latéralement et alors que l'automobiliste se trouvait hors de son champ de vision au moment déterminant de la manoeuvre fautive à l'origine du sinistre.

4.2 La recourante s'en prend à cette constatation, en affirmant qu'elle ne repose que sur les allégations de l'intimé et qu'elle n'est étayée ni par pièces ni par témoins. Cette objection n'est toutefois pas fondée. La constatation en question est conforme aux pièces du dossier, notamment le rapport d'accident du 24 octobre 2006, le croquis établi par la gendarmerie, ainsi que le procès-verbal d'audition de l'automobiliste. Selon ses déclarations, ce dernier, qui roulait à une vitesse estimée à 50 km/h, a vu venir en face de lui, avant d'obliquer, une voiture qui se trouvait à environ 200 mètres de l'intersection. Il a pensé qu'il avait largement le temps d'obliquer. Il n'a pas marqué de temps d'arrêt et a pris son virage à gauche «à la corde» en franchissant la ligne de sécurité. C'est seulement alors qu'il venait d'amorcer sa manoeuvre et qu'il se trouvait déjà en travers de la route qu'il a vu (à deux mètres de distance) le motocycliste. A l'instar des premiers juges, on doit admettre que le choc a eu lieu latéralement, tandis que l'intimé se trouvait déjà pratiquement à hauteur de la voiture (celle-ci ayant été endommagée à l'avant gauche) et qu'il n'avait à ce moment pas de raison de garder son champ de vision sur sa gauche. La déduction que les premiers juges en ont tirée, selon laquelle l'intimé n'a objectivement eu aucune possibilité de réaction, indépendamment de son état d'ébriété, apparaît donc correcte. La manoeuvre de l'automobiliste était aussi imprévisible que soudaine et on ne voit pas comment, dans une telle situation, un motocycliste en possession de tous ses moyens aurait pu éviter l'obstacle, que ce soit en opérant une manoeuvre de contournement, en effectuant un freinage d'urgence ou au contraire une brusque accélération. L'autorité cantonale a donc nié a bon droit l'existence d'un lien objectif entre l'acte délictueux et l'accident ou ses conséquences.

4.3 Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d'avoir mal appliqué les dispositions en matière de réduction des prestations d'assurance.

5.
En conclusion, le recours doit être rejeté, aux frais de son auteur (art. 66 al. 1 LTF). L'intimé a droit à une indemnité de dépens (art. 68 al. 1 LTF).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1.
Le recours est rejeté.

2.
Les frais judiciaires, arrêtés à 750 fr., sont mis à la charge de la recourante.

3.
La recourante versera à l'intimé une indemnité de 2'800 fr. à titre de dépens.

4.
Le présent arrêt est communiqué aux parties, à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal vaudois et à l'Office fédéral de la santé publique.

Lucerne, le 27 août 2010
Au nom de la Ire Cour de droit social
du Tribunal fédéral suisse
Le Président: La Greffière:
Ursprung von Zwehl


Synthèse
Numéro d'arrêt : 8C_737/2009
Date de la décision : 27/08/2010
Cour des assurances sociales

Origine de la décision
Date de l'import : 14/10/2011
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ch;tribunal.federal.suisse;arret;2010-08-27;8c.737.2009 ?
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