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02/11/2012 | CANADA | N°2012_CSC_58

Canada | R. c. Dineley


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272
Date : 20121102
Dossier : 33640

Entre :
Samuel Dineley
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général du Canada et procureur général du Québec
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :
(par. 1 à 26)

Motifs dissidents :
(par. 27 à 81)
La juge Desch

amps (avec l'accord des juges LeBel, Fish et Abella)

Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et le juge Rothste...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272
Date : 20121102
Dossier : 33640

Entre :
Samuel Dineley
Appelant
et
Sa Majesté la Reine
Intimée
- et -
Procureur général du Canada et procureur général du Québec
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell

Motifs de jugement :
(par. 1 à 26)

Motifs dissidents :
(par. 27 à 81)
La juge Deschamps (avec l'accord des juges LeBel, Fish et Abella)

Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et le juge Rothstein)




R. c. Dineley, 2012 CSC 58, [2012] 3 R.C.S. 272

Samuel Dineley Appelant
c.
Sa Majesté la Reine Intimée
et
Procureur général du Canada et procureur général du Québec Intervenants
Répertorié : R. c . Dineley
2012 CSC 58
N o du greffe : 33640.
2011 : 13 octobre; 2012 : 2 novembre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Deschamps, Fish, Abella, Rothstein et Cromwell.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit criminel — Moyens de défense — « Défense de type Carter » — Accusé inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie « supérieure à 80 » — Modifications apportées au Code criminel durant le procès de l'accusé limitent les éléments de preuve qui peuvent être produits en défense pour mettre en doute la fiabilité des résultats obtenus par l'utilisation d'un alcootest — L'accusé peut-il se prévaloir de la défense de type Carter? — Les modifications s'appliquent-elles rétrospectivement au moment où les infractions reprochées auraient été commises? — Les modifications portent-elles atteinte à des droits procéduraux ou substantiels? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 258(1) c), d.01) — Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, ch. 6.
Législation — Interprétation — Effet d'une nouvelle loi — Modifications apportées au Code criminel durant le procès de l'accusé limitent les éléments de preuve qui peuvent être produits en défense pour mettre en doute la fiabilité des résultats obtenus par l'utilisation d'un alcootest — Les modifications s'appliquent-elles rétrospectivement au moment où les infractions reprochées auraient été commises? — Les modifications portent-elles atteinte à des droits procéduraux ou substantiels? — Le législateur a-t-il prévu la conservation d'éléments de preuve en vue des procès intentés avant l'entrée en vigueur des modifications? — Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46 , art. 258(1) c), d.01) — Loi sur la lutte contre les crimes violents, L.C. 2008, ch. 6.
D a été impliqué dans un accident automobile après lequel on lui a demandé de se soumettre à des alcootests qui ont révélé des taux de 99 et 97 mg d'alcool par 100 ml de sang. D a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite légale de 80 mg d'alcool par 100 ml de sang.
Au début du procès de D, l'avocat de ce dernier a informé le juge qu'il comptait produire le rapport d'un toxicologue pour contester l'exactitude des résultats de l'alcootest — ce qu'on appelle une défense de type Carter . L'avocat du ministère public souhaitait contre-interroger le toxicologue au sujet de son rapport, mais ce dernier était absent. Le procès a donc été ajourné. Après l'ajournement, mais avant la reprise du procès de D, des modifications au Code criminel ont été adoptées, ce qui a eu pour effet d'éliminer la défense de type Carter comme moyen indépendant pour soulever un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'alcootest.
Le juge du procès a conclu à la recevabilité de la défense de type Carter présentée par D et a acquitté ce dernier. Le juge de la cour d'appel des poursuites sommaires a maintenu cette décision, concluant que les nouvelles dispositions législatives avaient pratiquement supprimé la défense de type Carter , qu'elles étaient des dispositions substantielles et non procédurales, et qu'elles ne s'appliquaient donc que pour l'avenir. La Cour d'appel a infirmé cette décision et conclu que les nouvelles dispositions législatives portaient simplement sur la preuve et qu'elles s'appliquaient par conséquent au cas à l'étude. La tenue d'un nouveau procès sur le fondement du par. 258(1) du Code criminel tel que modifié a été ordonnée.
Arrêt (la juge en chef McLachlin et les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli et l'acquittement est rétabli.
Les juges LeBel, Deschamps, Fish et Abella : Les tribunaux reconnaissent depuis longtemps le caractère exceptionnel des mesures législatives applicables rétrospectivement. Plus précisément, ils ont jugé indésirable l'application rétrospective de nouvelles dispositions législatives portant atteinte à des droits acquis ou substantiels. La tâche qui s'impose pour statuer sur l'application dans le temps des nouvelles dispositions législatives consiste non pas à les qualifier de « dispositions procédurales » ou de « dispositions substantielles », mais à déterminer si elles portent atteinte à des droits substantiels.
Le fait qu'une nouvelle mesure législative influe sur le contenu ou sur l'existence d'un moyen de défense, plutôt qu'uniquement sur sa présentation, indique que des droits substantiels sont en jeu. Étant donné les modifications apportées au Code criminel et l'arrêt R. v. St-Onge Lamoureux , 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187, la seule preuve pouvant être produite pour soulever un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'alcootest se limite désormais à celle du mauvais fonctionnement ou de l'utilisation incorrecte de l'alcootest. La défense de type Carter a été supprimée comme moyen de défense susceptible de soulever, à lui seul, un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'analyse. Cela indique que les modifications au Code criminel ne sont pas simplement de nature procédurale; elles ont une incidence sur un moyen de défense dont dispose l'accusé et sont, par le fait même, assujetties à la présomption de non‑rétrospectivité des nouvelles mesures législatives.
Le régime général instauré par le législateur repose sur des présomptions voulant que les résultats des analyses soient exacts et correspondent à l'alcoolémie de l'accusé au moment où l'infraction reprochée aurait été commise. Comme l'illustre l'arrêt St-Onge Lamoureux , ces présomptions légales portent atteinte à la présomption d'innocence garantie par la Constitution. La conclusion selon laquelle l'atteinte est justifiée sous le régime des nouvelles mesures législatives ne change rien au fait qu'il a été porté atteinte à des droits constitutionnels. Il s'agit d'une indication supplémentaire que les nouvelles mesures législatives portent atteinte à des droits substantiels puisque les droits constitutionnels sont forcément de nature substantielle. La règle générale interdisant l'application rétrospective des mesures législatives devrait s'appliquer en cas d'atteinte à des droits constitutionnels.
Finalement, dans les cas où l'ancienne mesure législative n'envisage pas la collecte d'éléments de preuve devenue nécessaire en raison de la nouvelle mesure législative, celle-ci ne peut s'appliquer que pour l'avenir.
La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein et Cromwell (dissidents) : Trois principes d'interprétation des lois peuvent être pertinents pour déterminer dans quels cas s'appliquent de nouvelles dispositions législatives. Selon le premier d'entre eux, le législateur est présumé ne pas souhaiter que la loi modifie la nature ou les conséquences juridiques des actes commis avant son adoption. Selon le deuxième principe, le législateur est présumé ne pas avoir l'intention de porter atteinte à des droits acquis. Selon le troisième, le législateur souhaite qu'un texte portant exclusivement sur des questions de procédure, y compris de preuve, s'applique immédiatement à toutes les instances, que celles‑ci aient été engagées avant ou après l'entrée en vigueur du texte. La principale question en litige en l'espèce est celle de savoir si les nouvelles dispositions législatives en cause sont de nature procédurale ou substantielle.
Les nouvelles dispositions législatives en cause satisfont à tous les critères énoncés par la Cour dans sa jurisprudence pour établir qu'une disposition est de nature procédurale, et elles n'ont aucune des caractéristiques des dispositions considérées à juste titre comme relevant du fond. Les dispositions traitent de présomptions de fait et des éléments de preuve nécessaires pour les réfuter, et elles ne sont pertinentes que s'il y a bel et bien un litige. Les dispositions relatives à la preuve comme celles en cause en l'espèce sont habituellement considérées de nature procédurale. Qui plus est, ces dispositions n'ont aucune des caractéristiques des dispositions de fond. Elles ne confèrent pas de conséquences nouvelles à des actes antérieurs, ni ne modifient le contenu substantiel d'un moyen de défense. Elles n'influent pas non plus sur l'existence ou sur le contenu d'un droit. Les éléments de l'infraction n'ont pas changé et il demeure loisible à l'accusé de présenter une preuve soulevant un doute raisonnable quant à l'existence de ces éléments. Les dispositions n'interdisent pas une conduite qui était légale au moment où elle est survenue. En outre, le fait que la disposition limite le droit de l'accusé d'être présumé innocent protégé par l'al. 11 d ) de la Charte ne soutient pas la conclusion que la disposition en est une de fond.
Les nouvelles dispositions n'éliminent pas de moyen de défense, elles n'en neutralisent pas non plus. Ce que l'on appelle la « défense de type Carter » est en fait un type particulier de preuve présentée afin de soulever un doute raisonnable. Si l'on considère que ces dispositions écartent un moyen de défense, il faudrait alors considérer que toute disposition relative à la preuve qui augmente le risque de condamnation a le même effet. La jurisprudence de la Cour indique clairement qu'il n'en est rien.
Ainsi, les nouvelles dispositions ne concernent que les règles de preuve applicables lors d'un procès et elles sont donc purement procédurales. Cela étant, elles sont présumées s'appliquer immédiatement, et rien ne réfute cette présomption.
Jurisprudence
Citée par la juge Deschamps
Arrêts mentionnés : R. c. St‑Onge Lamoureux , 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187; R. c. Carter (1985), 19 C.C.C. (3d) 174 ; Angus c. Sun Alliance Compagnie d'assurance , [1988] 2 R.C.S. 256; Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Wildman c. La Reine , [1984] 2 R.C.S. 311; R. c. Gervais , [1978] J.Q. n o 181 (QL); R. c. Ali , [1980] 1 R.C.S. 221 ; R. c. Loiseau , 2010 QCCA 1872, [2010] R.J.Q. 2246.
Citée par le juge Cromwell (dissident)
R. c. Crosthwait , [1980] 1 R.C.S. 1089 ; R. c. St. Pierre , [1995] 1 R.C.S. 791; R. c. Carter (1985), 19 C.C.C. (3d) 174; R. c. St‑Onge Lamoureux , 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187; R. c. Secretary of State for the Environment , Transport and the Regions, Ex parte Spath Holme Ltd. , [2001] 2 A.C. 349 ; R. c. Monney , [1999] 1 R.C.S. 652 ; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) , 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306 ; West c. Gwynne , [1911] 2 Ch. 1; Angus c. Sun Alliance Compagnie d'assurance , [1988] 2 R.C.S. 256; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs , 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801; Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board , [1933] R.C.S. 629; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national , [1977] 1 R.C.S. 271; Dikranian c. Québec (Procureur général) , 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530; Ciecierski c. Fenning , 2005 MBCA 52, 195 Man. R. (2d) 272; Upper Canada College c. Smith (1920), 61 R.C.S. 413 ; Procureur général du Qué bec c. Tribunal de l'expropriation , [1986] 1 R.C.S. 732; Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole) , [1989] 1 R.C.S. 880; Wright c. Hale (1860), 6 H. & N. 227, 158 E.R. 94; Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248 ; Moon c. Durden , [1848] 2 Ex. 22, 154 E.R. 389; Midland Railway Co. c. Pye (1861), 10 C.B. (N.S.) 179, 142 E.R. 419; Yew Bon Tew c. Kenderaan Bas Mara , [1983] 1 A.C. 553; Martin c. Perrie , [1986] 1 R.C.S. 41 ; The Ydun , [1899] P. 236; Republic of Costa Rica c. Erlanger , [1876] 3 Ch. D. 62; Howard Smith Paper Mills Ltd. c. The Queen , [1957] R.C.S. 403; R. c. E. (A.W.) , [1993] 3 R.C.S. 155 ; Wildman c. La Reine , [1984] 2 R.C.S. 311; Bingeman c. McLaughlin , [1978] 1 R.C.S. 548; R. c. Gervais , [1978] J.Q. n o 181 (QL); Taylor c. The Queen (1876), 1 R.C.S. 65; Banque Royale du Canada c. Concrete Column Clamps (1961) Ltd. , [1971] R.C.S. 1038; R. c. Puskas , [1998] 1 R.C.S. 1207; R. c. Ali , [1980] 1 R.C.S. 221; R. c. Gartner , 2010 ABCA 335 , 490 A.R. 268; R. c. Truong , 2010 BCCA 536 , 296 B.C.A.C. 248; R. c. Loiseau , 2010 QCCA 1872 , [2010] R.J.Q. 2246.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 , 11 d ).
Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , art. 253(1) a ), b ), 258(1) c ), d.01 ).
Loi d'interprétation , L.R.C. 1985, ch. I‑21 , art. 43 , 44 .
Loi sur la lutte contre les crimes violents , L.C. 2008, ch. 6.
Doctrine et autres documents cités
Côté, Pierre‑André, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat. Interprétation des lois , 4 e éd. Montréal : Thémis, 2009.
Phipson, Sidney Lovell. Phipson on the Law of Evidence , 9th ed. by Ronald Burrows. London : Sweet & Maxwell, 1952.
Roubier, Paul. Le droit transitoire : conflits des lois dans le temps , 2 e éd. Paris : Dalloz et Sirey, 1960.
Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes , 5th ed. Markham, Ont. : LexisNexis, 2008.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges MacPherson, Cronk et Epstein), 2009 ONCA 814, 98 O.R. (3d) 81, 248 C.C.C. (3d) 489, 71 C.R. (6th) 25, 256 O.A.C. 235, 86 M.V.R. (5th) 45, [2009] O.J. No. 4875 (QL), 2009 CarswellOnt 7170, qui a infirmé une décision du juge Sproat (2009), 86 M.V.R. (5th) 34, 2009 CanLII 24636, [2009] O.J. No. 2007 (QL), 2009 CarswellOnt 2698, confirmant l'acquittement prononcé par le juge Clements. Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents.
Paul Burstein et J. Thomas Wiley , pour l'appelant.
Philip Perlmutter et James Palangio , pour l'intimée.
Jeffrey G. Johnston , pour l'intervenant le procureur général du Canada.
Michel Déom , Jean‑Vincent Lacroix , Marie‑Ève Mayer et Patricia Blair , pour l'intervenant le procureur général du Québec.
Version française du jugement des juges LeBel, Deschamps, Fish et Abella rendu par
[1] La juge Deschamps — Le présent pourvoi soulève la question de savoir si certaines dispositions de la Loi sur la lutte contre les crimes violents , L.C. 2008, ch. 6 (les « modifications »), qui ont modifié le Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , s'appliquent rétrospectivement.
[2] Comme je l'explique plus en détail dans R. c. St‑Onge Lamoureux , 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187, une affaire entendue en même temps que la présente espèce, les modifications limitent les éléments de preuve que l'accusé peut produire pour mettre en doute la fiabilité des résultats obtenus par l'utilisation d'un alcootest approuvé. Les modifications, qui s'inscrivent dans un régime plus large mis en place par le législateur pour réduire la fréquence de la conduite avec facultés affaiblies, ont pour objet d'attribuer à ces résultats un poids correspondant à leur valeur scientifique ( St‑Onge Lamoureux , par. 29 et 31). Pour réfuter les présomptions d'exactitude et d'identité dont jouit le ministère public à l'égard des résultats de l'alcootest, l'accusé ne peut plus se fonder simplement sur l'avis d'un expert selon lequel la quantité d'alcool qu'il a consommé est incompatible avec les résultats de l'analyse, ce que l'on appelle la « défense de type Carter » ( R. c. Carter (1985), 19 C.C.C. (3d) 174 (C.A. Ont.)).
[3] Il n'y a aucune disposition transitoire indiquant expressément si les modifications s'appliquent rétrospectivement, c'est‑à‑dire aux actes commis avant leur entrée en vigueur. Il faut donc s'en remettre aux principes généraux et à l'effet des modifications. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que les modifications ne s'appliquent pas rétrospectivement. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement prononcé au procès.
I. Faits et historique judiciaire
[4] Le 22 juillet 2007, le véhicule conduit par l'appelant, Samuel Dineley, est entré en collision avec un véhicule stationné. On lui a demandé de se soumettre à des alcootests. Les résultats de ces alcootests ont révélé des taux de 99 et 97 mg d'alcool par 100 ml de sang. Il a été inculpé de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie supérieure à la limite légale de 80 mg d'alcool par 100 ml de sang.
[5] Au début du procès, le 19 juin 2008, l'avocat de M. Dineley a informé le juge qu'il ne serait pas en mesure d'achever la présentation de la défense ce jour‑là. Il comptait produire le rapport d'un toxicologue à l'appui d'une défense de type Carter pour contester l'exactitude des résultats de l'alcootest; l'avocat du ministère public avait pour sa part demandé de contre‑interroger le toxicologue au sujet de son rapport, mais ce dernier était absent. Ce jour‑là, toutes les parties ont convenu que la présentation de la défense se poursuivrait le 15 juillet 2008 pour permettre au ministère public de procéder à ce contre‑interrogatoire. Tant l'avocat du ministère public que celui de la défense savaient ou auraient dû savoir que les modifications entreraient en vigueur le 2 juillet 2008. L' alinéa 258(1) c ) du Code criminel , tel qu'il a été modifié par les modifications, crée une présomption d'exactitude des résultats de l'alcootest et une présomption voulant que ces résultats correspondent à l'alcoolémie de l'accusé au moment où l'infraction reprochée aurait été commise. Selon l' al. 258(1) c ), ces présomptions ne peuvent être réfutées que si l'accusé présente des éléments de preuve tendant à démontrer le mauvais fonctionnement ou l'utilisation incorrecte de l'alcootest. Cette disposition, combinée à l' al. 258(1) d.01 ), élimine la défense de type Carter comme moyen indépendant pour soulever un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'alcootest.
[6] Le juge du procès n'a pas autorisé le ministère public à soutenir que l'application des modifications faisait obstacle à une défense de type Carter . Il lui semblait inapproprié que le ministère public demande un ajournement pour contre‑interroger le toxicologue et invoque ensuite les modifications qui sont entrées en vigueur dans l'intervalle sans avoir prévenu au préalable l'avocat de la défense que telle était son intention. Il a jugé recevable la défense de type Carter et acquitté M. Dineley.
[7] Le juge de la cour d'appel des poursuites sommaires a estimé qu'il n'était pas inapproprié que le ministère public ait soulevé la question de l'applicabilité des modifications. Toutefois, il s'est dit d'avis que ces dernières avaient pratiquement supprimé la défense de type Carter , qu'elles étaient des dispositions substantielles et non procédurales, et qu'elles ne s'appliquaient donc que pour l'avenir.
[8] La Cour d'appel a infirmé cette décision. Elle a jugé que les modifications portaient simplement sur la preuve et qu'elles s'appliquaient par conséquent au cas à l'étude. S'exprimant au nom de la cour, le juge MacPherson a dit être d'avis que la défense de type Carter n'avait pas été supprimée : elle avait été modifiée, mais elle continuait d'exister sous une forme différente (2009 ONCA 814, 98 O.R. (3d) 81, par. 26). La Cour d'appel a ordonné la tenue d'un nouveau procès sur le fondement du par. 258(1) du Code criminel tel que modifié.
II. Analyse
[9] L'application rétrospective des modifications en cause est une question très controversée. Comme le juge MacPherson l'a affirmé en l'espèce, de nombreux juges des cours provinciales et des cours supérieures dans tout le pays ont exprimé des opinions contradictoires à cet égard.
[10] Plusieurs règles d'interprétation peuvent aider à circonscrire les cas où une nouvelle mesure législative trouve application. Vu le besoin d'assurer la certitude des conséquences juridiques découlant des faits et des actes antérieurs, les tribunaux reconnaissent depuis longtemps le caractère exceptionnel des mesures législatives applicables rétrospectivement. Plus précisément, ils ont jugé indésirable l'application rétrospective de dispositions législatives portant atteinte à des droits acquis ou substantiels. Ainsi, une nouvelle mesure législative qui porte atteinte à de tels droits est présumée n'avoir d'effet que pour l'avenir, à moins qu'il soit possible de discerner une intention claire du législateur qu'elle s'applique rétrospectivement ( Angus c. Sun Alliance Compagnie d'assurance , [1988] 2 R.C.S. 256, p. 266-267; Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, par. 57; Wildman c. La Reine , [1984] 2 R.C.S. 311, p. 331-332 ). Les nouvelles dispositions procédurales destinées à ne régir que la manière utilisée pour établir ou faire respecter un droit n'ont pour leur part pas d'incidence sur le fond de ces droits. De telles mesures sont présumées s'appliquer immédiatement, à la fois aux instances en cours et aux instances à venir ( Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , par. 57 et 62; Wildman , p. 331).
[11] Ce ne sont pas toutes les dispositions procédurales qui s'appliquent rétrospectivement. Certaines peuvent, dans leur application, porter atteinte à des droits substantiels. De telles dispositions ne sont pas purement procédurales et ne s'appliquent pas immédiatement (P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4 e éd. 2009, p. 208). Par conséquent, la tâche qui s'impose pour statuer sur l'application dans le temps des modifications en cause consiste non pas à qualifier les dispositions de « dispositions procédurales » ou de « dispositions substantielles », mais à déterminer si elles portent atteinte à des droits substantiels.
[12] Un autre facteur peut être pertinent pour décider de l'application rétrospective ou non des modifications : il s'agit de la question de savoir si elles commandent la présentation d'éléments de preuve que l'accusé n'avait aucune raison de réunir sous le régime de l'ancienne mesure législative.
[13] Il convient de reproduire les parties pertinentes des modifications, qui sont entrées en vigueur durant le procès de M. Dineley :
258. (1) Dans des poursuites engagées en vertu du paragraphe 255(1) à l'égard d'une infraction prévue à l'article 253 ou au paragraphe 254(5) ou dans des poursuites engagées en vertu de l'un des paragraphes 255(2) à (3.2) :
. . .
c ) lorsque des échantillons de l'haleine de l'accusé ont été prélevés conformément à un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3), [conditions préalables à remplir]
la preuve des résultats des analyses fait foi de façon concluante, en l'absence de toute preuve tendant à démontrer à la fois que les résultats des analyses montrant une alcoolémie supérieure à quatre‑vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang découlent du mauvais fonctionnement ou de l'utilisation incorrecte de l'alcootest approuvé et que l'alcoolémie de l'accusé au moment où l'infraction aurait été commise ne dépassait pas quatre‑vingts milligrammes d'alcool par cent millilitres de sang, de l'alcoolémie de l'accusé tant au moment des analyses qu'à celui où l'infraction aurait été commise, ce taux correspondant aux résultats de ces analyses, lorsqu'ils sont identiques, ou au plus faible d'entre eux s'ils sont différents, si les conditions suivantes sont réunies :
. . .
d.01 ) il est entendu que ne constituent pas une preuve tendant à démontrer le mauvais fonctionnement ou l'utilisation incorrecte de l'alcootest approuvé ou le fait que les analyses ont été effectuées incorrectement les éléments de preuve portant :
(i) soit sur la quantité d'alcool consommé par l'accusé,
(ii) soit sur le taux d'absorption ou d'élimination de l'alcool par son organisme,
(iii) soit sur le calcul, fondé sur ces éléments de preuve, de ce qu'aurait été son alcoolémie au moment où l'infraction aurait été commise;
(Je note que l'application dans le temps de la deuxième présomption d'identité prévue à l' al. 258(1) d.1 ) du Code criminel n'est pas en cause dans la présente affaire.)
[14] Dans St‑Onge Lamoureux , je conclus que la première exigence énoncée à l' al. 258(1) c ) et précisée à l' al. 258(1) d.01 ) voulant que l'alcootest approuvé ait mal fonctionné ou ait été utilisé incorrectement porte atteinte au droit à la présomption d'innocence garanti par l' al. 11 d ) de la Charte canadienne des droits et libertés , mais que cette atteinte est justifiée au regard de l'article premier. Je conclus également dans cette affaire que les deux autres exigences de l' al. 258(1) c ) — (1) la démonstration d'un lien de causalité entre le mauvais fonctionnement ou l'utilisation incorrecte de l'alcootest et le constat que l'alcoolémie de l'accusé dépasse la limite légale, et (2) la présentation d'éléments de preuve supplémentaires démontrant que l'alcoolémie de l'accusé ne dépassait pas la limite légale — violent de façon injustifiée l' al. 11 d ) de la Charte . Toutes les autres contestations constitutionnelles soulevées dans cette affaire sont rejetées. Puisque seule la première exigence de l' al. 258(1) c ) survit à l'arrêt St‑Onge Lamoureux de la Cour, je n'examinerai que les modifications telles qu'elles sont à la suite de cet arrêt.
[15] Même si je ne tenterai pas d'accomplir la tâche impossible de faire la synthèse de toute la jurisprudence dans laquelle les tribunaux se sont demandé si une nouvelle mesure législative porte atteinte à des droits substantiels, il est utile de mentionner quelques arrêts. Les propos tenus par le juge La Forest aux p. 265-266 de l'arrêt Angus sont particulièrement pertinents quant à la question dont notre Cour est saisie :
Normalement, les règles de procédure n'ont pas d'effet sur le contenu ou sur l'existence d'une action ou d'un moyen de défense (ou d'un droit, d'une obligation ou de quelque autre objet de la loi), mais seulement sur la manière de l'appliquer ou de l'utiliser. . .
. . .
Le changement d'un « mode » de procédure dans la production d'une défense est une chose très différente du retrait complet du moyen de défense. [Souligné dans l'original.]
[16] Le fait qu'une nouvelle mesure législative influe sur le contenu ou sur l'existence d'un moyen de défense, plutôt qu'uniquement sur sa présentation, indique que des droits substantiels sont en jeu. Je ne saurais accepter l'approche adoptée en l'espèce par la Cour d'appel pour qui une mesure législative modifiant le contenu d'un moyen de défense au chapitre de la preuve doit s'appliquer rétrospectivement (par. 27).
[17] La première question est donc de savoir si, en imposant une nouvelle exigence à satisfaire pour réfuter les présomptions d'exactitude et d'identité applicables aux résultats de l'alcootest, le législateur a influé sur l'existence ou le contenu d'un moyen de défense. Étant donné les modifications et l'arrêt St‑Onge Lamoureux , la seule preuve pouvant être produite pour soulever un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'alcootest se limite désormais à celle du mauvais fonctionnement ou de l'utilisation incorrecte de l'alcootest. Il ressort clairement de l' al. 258(1) d.01 ) que la défense de type Carter ne suffit plus, à elle seule, pour réfuter les présomptions d'exactitude et d'identité. Le fardeau de preuve qui repose sur l'accusé s'en trouve alourdi, celui‑ci ne pouvant plus demander au juge, au moyen de la défense de type Carter , de conclure au mauvais fonctionnement ou à l'utilisation incorrecte de l'alcootest à partir d'une preuve indirecte. L'accusé doit dorénavant produire une preuve visant directement l'alcootest.
[18] Comme la défense de type Carter ne suffit plus, à elle seule, pour réfuter les présomptions prévues à l' al. 258(1) c ), il est difficile d'accepter l'opinion du juge MacPherson que cette défense n'a pas été supprimée, neutralisée ou abolie, et qu'elle continue d'exister sous une forme différente. En fait, cette opinion contraste nettement avec le texte même de l' al. 258(1) d.01 ), selon lequel la preuve produite par l'accusé en invoquant la défense de type Carter ne constitue pas une « preuve tendant à démontrer le mauvais fonctionnement ou l'utilisation incorrecte de l'alcootest approuvé ». Contrairement à l'opinion exprimée par le juge MacPherson, je dois conclure que la défense de type Carter a été supprimée comme moyen de défense susceptible de soulever, à lui seul, un doute raisonnable quant à la fiabilité des résultats de l'alcootest. À mon avis, cela indique que les dispositions ne sont pas simplement de nature procédurale; elles ont une incidence sur un moyen de défense dont dispose l'accusé et sont, par le fait même, assujetties à la présomption de non‑rétrospectivité des nouvelles mesures législatives. Je partage l'avis du juge Mayrand lorsqu'il dit dans R. c. Gervais , [1978] J.Q. n o 181 (QL) (C.A.), que le droit d'un accusé d'invoquer un moyen de défense est de nature substantielle et qu'une nouvelle mesure législative doit être interprétée de façon à ne pas priver l'accusé d'un moyen de défense dont il disposait au moment où l'acte litigieux aurait été posé (par. 8-9).
[19] Dans St‑Onge Lamoureux , je conclus que de priver une personne accusée du droit de recourir à la défense de type Carter comme moyen suffisant à lui seul pour mettre en doute la fiabilité des résultats de l'alcootest ne viole pas l' art. 7 de la Charte . Cependant, la faculté du législateur d'exclure la preuve de consommation d'alcool ne change rien à la suppression d'un moyen de défense qui, à lui seul, permettait à un accusé d'éviter une déclaration de culpabilité.
[20] Cela m'amène à la deuxième raison pour laquelle j'estime que les modifications portent atteinte à des droits substantiels de l'accusé. Le régime général instauré par le législateur repose sur des présomptions voulant que les résultats des analyses soient exacts et correspondent à l'alcoolémie de l'accusé au moment où l'infraction reprochée aurait été commise. Comme l'illustre l'arrêt St-Onge Lamoureux au par. 27, ces présomptions légales portent atteinte à la présomption d'innocence garantie par la Constitution puisqu'elles libèrent le ministère public de l'obligation d'établir hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé avant que celui-ci n'ait besoin de répondre. Les moyens légaux de repousser ces présomptions sont pertinents pour déterminer si l'atteinte au droit à la présomption d'innocence est justifiée au regard de l'article premier. C'est à cette étape qu'entre en jeu la défense de type Carter . Sous le régime des anciennes mesures législatives, la défense de type Carter permettait à l'accusé de s'acquitter de son fardeau de repousser les présomptions légales en faveur du ministère public en s'appuyant sur l'opinion d'un expert selon laquelle la quantité d'alcool qu'il avait bu n'était pas compatible avec les résultats de l'alcootest. Ce n'est plus le cas, par suite de l'adoption des modifications. Pour réfuter ces présomptions, l'accusé doit plutôt dorénavant présenter une preuve directe quant au fonctionnement ou à l'utilisation de l'alcootest.
[21] Le fait que l'accusé puisse réfuter les présomptions légales au moyen d'une défense de type Carter (sous le régime des anciennes mesures législatives) ou d'une preuve ciblant l'alcootest (selon les modifications) est déterminant lorsqu'il s'agit de décider si l'atteinte à la présomption d'innocence est justifiée. Toutefois, la conclusion selon laquelle l'atteinte est justifiée sous le régime des nouvelles mesures législatives ne change rien au fait qu'il a été porté atteinte à des droits constitutionnels. Il s'agit d'une indication supplémentaire que les nouvelles mesures législatives portent atteinte à des droits substantiels puisque les droits constitutionnels sont forcément de nature substantielle. Ainsi, la règle générale interdisant l'application rétrospective des mesures législatives devrait s'appliquer en cas d'atteinte à des droits constitutionnels.
[22] Outre l'incidence sur les droits substantiels de l'accusé, il existe une autre raison de ne pas conclure à l'application rétrospective des modifications. En raison de celles‑ci, la preuve que l'accusé peut produire pour réfuter les présomptions se limite à celle du mauvais fonctionnement ou de l'utilisation incorrecte de l'alcootest. Les modifications ne définissent pas la nature de cette preuve, mais elle doit vraisemblablement se rapporter à l'alcootest utilisé pour tester l'alcoolémie de l'accusé, et non au fonctionnement des alcootests en général. Cela signifie que l'accusé pourrait avoir besoin de renseignements sur l'alcootest utilisé dans son cas ou de comptes rendus d'utilisation qui lui permettraient d'établir si l'appareil a bien fonctionné ou a été utilisé correctement. On voit mal comment cet examen pourrait être effectué des mois, voire des années, après les analyses. Rien n'indique que les alcootests sont conservés isolément après leur utilisation dans un cas donné. Le législateur n'a pas prévu la conservation des éléments de preuve en vue des procès intentés avant l'entrée en vigueur des modifications.
[23] On a notamment soutenu dans St‑Onge Lamoureux que les modifications violaient les droits garantis à l'accusé par l' art. 7 parce qu'il était tellement difficile de présenter le moyen de défense nécessaire par suite de l'adoption des nouvelles mesures législatives que cela le rendait pratiquement illusoire. Cet argument a été rejeté au motif que l'accusé peut raisonnablement produire tous les éléments de preuve qu'il veut, pourvu que ceux‑ci aient trait au mauvais fonctionnement ou à l'utilisation incorrecte de l'alcootest. Cependant, dans les cas où, comme en l'espèce, les parties n'étaient pas conscientes, au moment des analyses, du besoin d'invoquer par la suite un tel moyen de défense, et où plusieurs années se sont écoulées entre les analyses et le procès, il pourrait s'avérer impossible de présenter des éléments de preuve pour réfuter les présomptions.
[24] La situation dans l'affaire qui nous occupe présente des similitudes avec celle dont la Cour était saisie dans R. c. Ali , [1980] 1 R.C.S. 221. Dans cette affaire, des modifications au Code criminel autorisaient les policiers à demander plus d'un échantillon d'haleine et avaient fait du prélèvement de deux échantillons une condition de l'application des présomptions liées aux résultats de l'alcootest. Puisque l'ancienne disposition n'autorisait pas les policiers à prélever deux échantillons, l'ajout de la nouvelle condition aurait entravé les poursuites engagées avant l'entrée en vigueur de la nouvelle disposition s'il avait été conclu à l'application rétrospective des modifications. La Cour a conclu que le législateur ne pouvait avoir souhaité un tel résultat. Tant dans l'affaire Ali que dans la présente affaire, le législateur a ajouté une exigence relative aux éléments de preuve qu'une partie doit produire. En l'espèce, la nouvelle exigence constitue une condition à remplir pour repousser la présomption établie à l' al. 258(1) c ), tandis que, dans Ali , la nouvelle exigence était une condition additionnelle pour que s'applique la présomption.
[25] Ali étaye l'avis que, dans les cas où l'ancienne mesure législative n'envisage pas la collecte d'éléments de preuve devenue nécessaire en raison de la nouvelle disposition, celle-ci ne peut s'appliquer que pour l'avenir. En l'espèce, l'accusé ne peut présenter des éléments de preuve qu'il n'avait aucune raison de réunir avant l'entrée en vigueur des modifications. C'est là une raison de plus de conclure que les modifications ne s'appliquent pas aux instances introduites avant leur entrée en vigueur. Je ne partage donc pas l'avis du juge MacPherson selon lequel la difficulté que peut éprouver un accusé pour obtenir des éléments de preuve concernant le fonctionnement de l'alcootest utilisé dans son cas plusieurs années auparavant relève de l'hypothèse. Je suis plutôt d'accord avec le commentaire suivant formulé par la juge Bich (dissidente) dans R. c. Loiseau , 2010 QCCA 1872, [2010] R.J.Q. 2246, par. 56 :
Devant une loi qui alourdit les exigences de la constitution de la preuve et fait en sorte que l'accusé n'aura pas recherché, à cause de l'état du droit à l'époque, des éléments qui lui seraient maintenant indispensables afin de faire valoir sa défense, il ne saurait y avoir application des dispositions modifiées à la présente situation.
[26] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement prononcé par le juge du procès.
Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et des juges Rothstein et Cromwell rendus pas
Le juge Cromwell (dissident) —
I. Introduction
[27] Selon l' alinéa 253(1) b ) du Code criminel , L.R.C. 1985, ch. C‑46 , commet une infraction quiconque conduit (ou a la garde ou le contrôle d') un véhicule à moteur avec une alcoolémie supérieure à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang. Pour faciliter la preuve de cette infraction, le ministère public bénéficie depuis de nombreuses années de certaines présomptions de fait. Ces présomptions entrent en jeu une fois qu'il est établi que les échantillons d'haleine ont été prélevés et analysés au moyen d'un alcootest, conformément aux exigences détaillées prescrites par la loi. Mis à part certains détails, l'une de ces présomptions veut que les résultats obtenus en conformité avec les conditions prévues par la loi soient exacts (la présomption d'exactitude); une autre présomption veut que les résultats obtenus au moment de l'analyse correspondent à l'alcoolémie de l'accusé au moment de l'infraction reprochée (la présomption d'identité).
[28] Pendant de nombreuses années, un accusé pouvait renverser ces présomptions en présentant toute espèce d'élément de preuve qui ferait naître un doute raisonnable dans l'esprit du juge des faits quant à l'existence des faits présumés. Or, en 2008, le législateur a adopté la Loi sur la lutte contre les crimes violents , L.C. 2008, ch. 6, qui a modifié le Code criminel en créant de nouvelles règles pour préciser quels types de preuve pouvaient être utilisés pour réfuter ces présomptions.
[29] La question en l'espèce est de savoir dans quels cas s'appliquent ces nouvelles dispositions relatives à la preuve. S'appliquent‑elles, comme l'a affirmé la Cour d'appel, aux procès tenus le ou après le jour de l'entrée en vigueur des nouvelles règles ou s'appliquent‑elles, comme le prétend l'appelant, uniquement aux procès concernant des événements qui seraient survenus après leur entrée en vigueur?
[30] La décision de la Cour d'appel me semble correcte et je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
II. Aperçu de la question en litige
[31] Avant les modifications de 2008, la présomption d'exactitude (et aussi par le fait même la présomption d'identité) pouvait être réfutée par tout type d'éléments de preuve permettant de soulever un doute raisonnable quant au fait que l'alcoolémie réelle au moment de l'analyse était inférieure à 80 mg d'alcool par 100 ml de sang : voir, p. ex., R. c. Crosthwait , [1980] 1 R.C.S. 1089. La présomption d'identité elle‑même pouvait être réfutée par une preuve tendant à démontrer que l'alcoolémie de l'accusé avait changé entre le moment de l'infraction et celui de l'alcootest, à la condition que l'effet du processus biologique normal de l'absorption et l'élimination de l'alcool par le métabolisme ne puisse pas, en soi, constituer une contre‑preuve : R. c. St. Pierre , [1995] 1 R.C.S. 791, par. 44 et 59‑61.
[32] On présentait souvent une preuve contraire sous forme de preuve de la « consommation et de l'élimination » de l'alcool — parfois appelée preuve de type « Carter » ( R. c. Carter (1985), 19 C.C.C. (3d) 174 (C.A. Ont.)). Il s'agissait généralement de la déposition de l'accusé et peut‑être aussi de celle d'autres témoins concernant la quantité d'alcool que l'accusé avait bu et le moment où il l'avait bu, de même que du témoignage d'un toxicologue selon lequel l'alcoolémie de l'accusé au moment de l'infraction aurait été inférieure à la limite légale si l'accusé avait consommé la quantité alléguée. La production de cette preuve a parfois été qualifiée de « défense de type Carter », mais, en fait, il ne s'agit aucunement d'un moyen de défense. Il s'agit simplement de la présentation d'éléments de preuve sur lesquels on peut se fonder pour soulever un doute quant à l'exactitude de l'alcoolémie de l'accusé établie par l'alcootest et quant à la fidélité des résultats par rapport à son alcoolémie au moment où il conduisait le véhicule ou en avait la garde ou le contrôle.
[33] L'appelant, en l'espèce, a présenté ce type de preuve et a été acquitté au procès. L'incident en question est survenu avant l'entrée en vigueur des modifications de 2008, mais le procès de l'appelant s'est poursuivi après leur entrée en vigueur. Son alcoolémie avait été établie à 99 et à 97 mg d'alcool par 100 ml de sang et rien n'indiquait que l'appareil fonctionnait mal. L'appelant a toutefois affirmé n'avoir bu que trois bières durant une période d'environ deux heures et son toxicologue a témoigné que, si c'était le cas, son alcoolémie se serait située entre 0 et 40 au moment de l'analyse et entre 20 et 52 au moment de l'incident. Le juge a cru l'appelant et a conclu qu'il n'était pas convaincu hors de tout doute raisonnable que l'alcoolémie de l'appelant au moment de l'incident dépassait 80.
[34] Si on avait appliqué les modifications de 2008 lors du procès de l'appelant, elles auraient limité doublement le type de preuve sur laquelle il aurait pu s'appuyer pour réfuter les présomptions d'exactitude et d'identité. Premièrement, selon l' al. 258(1) c ) modifié, la preuve visant à réfuter l'exactitude des résultats au moment de l'analyse doit soulever un doute raisonnable quant à savoir si l'appareil a mal fonctionné ou a été utilisé incorrectement, si son mauvais fonctionnement ou son utilisation incorrecte a entraîné un résultat supérieur à 80, et si l'alcoolémie de l'appelant au moment de l'incident était inférieure à 80 (la Cour supprime ces deux dernières exigences dans son arrêt R. c. St-Onge Lamoureux , 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187). Deuxièmement, selon l' al. 258(1) d.01 ) modifié, la preuve dite de type Carter ne peut être invoquée pour soulever un doute quant au mauvais fonctionnement ou à l'utilisation incorrecte de l'alcootest approuvé. Ces dispositions modifiées reposent sur l'idée que les résultats de l'alcootest obtenus conformément aux exigences prévues par la loi doivent être tenus pour exacts, en l'absence de preuve donnant à penser le contraire, et que la preuve de type Carter est trop peu fiable pour être admise en vue de mettre en doute l'exactitude de ces résultats. L'idée en question est largement reconnue dans la documentation scientifique. Les dispositions modifiées indiquent en fait quels types de preuve n 'ont pas une force probante suffisante pour qu'on les utilise en vue de mettre en doute l'exactitude des résultats de l'alcootest.
[35] Trois principes d'interprétation des lois peuvent être pertinents pour déterminer dans quels cas s'appliquent les modifications de 2008. Il faut d'abord décider lequel de ces principes est applicable en l'espèce. Selon le premier d'entre eux, le législateur est présumé ne pas souhaiter que la loi modifie la nature ou les conséquences juridiques des actes commis avant son adoption. Selon le deuxième principe, le législateur est présumé ne pas avoir l'intention de porter atteinte à des droits acquis. Selon le troisième, le législateur souhaite qu'un texte portant exclusivement sur des questions de procédure, y compris de preuve, s'applique immédiatement à toutes les instances, que celles‑ci aient été engagées avant ou après l'entrée en vigueur du texte. Ce sont tous des principes d'interprétation subordonnés à des dispositions législatives claires à l'effet contraire.
[36] L'appelant soutient que le premier principe s'applique en l'espèce. Selon lui, les dispositions modifiées ne relèvent pas simplement de la procédure : elles ont une incidence sur le contenu d'un moyen de défense contre l'accusation. L'appelant soutient subsidiairement que, même si les dispositions modifiées sont de nature procédurale, le législateur ne voulait pas qu'elles s'appliquent aux procès résultant d'événements antérieurs. Ainsi, pour l'appelant, l'application du troisième principe d'interprétation est écartée par l'intention claire du législateur. Pour sa part, le ministère public appuie la conclusion de la Cour d'appel que le troisième principe s'applique parce que les dispositions modifiées sont de nature procédurale.
[37] Pour trancher l'appel, nous devons répondre à deux questions :
1. Les dispositions modifiées sont-elles de nature procédurale, de sorte qu'elles sont présumées s'appliquer à tous les procès qui ont lieu ou qui se poursuivent après leur entrée en vigueur?
2. Si oui, cette présomption est‑elle réfutée par une indication que le législateur ne souhaite pas qu'elles soient appliquées de la sorte?
[38] J'examinerai successivement ces deux questions après avoir donné un aperçu des faits et des procédures.
III. Les faits et les procédures
[39] Le 22 juillet 2007 au petit matin, l'appelant, Samuel Dineley, au volant de la voiture de ses parents, a heurté un véhicule stationné après avoir passé la nuit avec des amis dans une boîte de nuit. Les policiers lui ont fait subir deux alcootests qui ont indiqué respectivement que son alcoolémie atteignait 99 et 97 mg d'alcool par 100 ml de sang. L'administration des alcootests a été enregistrée sur bande vidéo. L'appelant a été inculpé, en vertu des al. 253(1) a ) et b ) du Code criminel , de conduite avec facultés affaiblies et de conduite avec une alcoolémie dépassant 80.
[40] Son procès devant un juge de la cour provinciale a commencé le 19 juin 2008. Le ministère public a terminé la présentation de sa preuve le jour même. Le procès a cependant été ajourné au 15 juillet pour permettre au ministère public de contre‑interroger le toxicologue de l'appelant. Or, les modifications de 2008 sont entrées en vigueur le 2 juillet, c'est‑à‑dire entre l'ajournement du procès et sa reprise. Elles ont eu pour effet d'empêcher que la preuve d'expert produite par l'appelant puisse réfuter les présomptions établies à l' al. 258(1) c ). Le ministère public a fait valoir que le par. 258(1) récemment modifié s'appliquait sur‑le‑champ à toutes les infractions visées à l'art. 253, peu importe le moment où étaient survenus les faits dont elles découlaient. Le juge du procès n'a pas tranché la question, décidant plutôt, d'une part, qu'il était inapproprié que le ministère public tente d'invoquer les récentes modifications à la reprise du procès et, d'autre part, qu'il reconnaissait l'appelant non coupable.
[41] En appel de la déclaration de culpabilité par procédure sommaire, un juge de la Cour supérieure de justice de l'Ontario a conclu que les modifications de 2008 sont de nature substantielle et assujetties par le fait même à la présomption de non-modification de la nature ou des conséquences juridiques des actes antérieurs. À son avis, les dispositions modifiées ne s'appliquent qu'aux infractions qui auraient été commises après leur entrée en vigueur, et ne s'appliquent donc pas aux accusations portées contre l'appelant : (2009), 86 M.V.R. (5th) 34. (Je devrais ajouter que, selon le juge, il n'était pas inapproprié pour le ministère public d'essayer d'invoquer les récentes modifications à la reprise du procès. L'appelant n'a contesté cette conclusion ni devant la Cour d'appel, ni devant la Cour.)
[42] La Cour d'appel de l'Ontario a infirmé cette décision et ordonné qu'un nouveau procès soit tenu en partant du principe que le nouveau par. 258(1) s'appliquait à l'appelant : 2009 ONCA 814, 98 O.R. (3d) 81. La Cour d'appel a qualifié les dispositions modifiées de procédurales et en a conclu qu'elles s'appliquent à tous les procès tenus après leur entrée en vigueur.
IV. Analyse
[43] Je vais d'abord exposer brièvement les principes d'interprétation pertinents en l'espèce. J'expliquerai ensuite que les modifications de 2008 en cause sont purement procédurales. Il s'ensuit que, au moment de leur entrée en vigueur, elles sont devenues applicables à toutes les accusations portées en vertu du par. 253(1) , y compris à celles déposées contre l'appelant, peu importe le moment où sont survenus les faits à l'origine de ces accusations. Je motiverai ensuite ma conclusion selon laquelle la présomption d'application immédiate n'est pas réfutée par une intention claire du législateur qu'il en soit autrement.
A. Les présomptions portant sur l'intention du législateur
[44] L'interprétation des lois vise à découvrir l'intention du législateur, qui [ traduction ] « désigne de façon abrégée l'intention que le tribunal prête raisonnablement au législateur à l'égard des termes employés » : R. c. Secretary of State for the Environment , Transport and the Regions, Ex parte Spath Holme Ltd. , [2001] 2 A.C. 349 (H.L.), p. 396; R. c. Monney , [1999] 1 R.C.S. 652, par. 26. Les tribunaux découvrent l'intention du législateur en lisant le texte de la loi dans son contexte et en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s 'harmonise avec l'esprit et l'objet de la loi en cause : Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) , 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 27. Quand les termes employés par le législateur le permettent, les tribunaux supposent qu'il ne voulait pas créer une injustice ou une iniquité. Les présomptions de non‑modification de la nature ou des conséquences juridiques des actes antérieurs et de non‑atteinte aux droits acquis ainsi que la présomption d'application immédiate des modifications purement procédurales témoignent toutes de cette attitude de respect.
[45] Selon la première de ces présomptions, le tribunal présume que le législateur ne voulait pas modifier la nature ou les conséquences juridiques des actes posés avant l'entrée en vigueur de la loi en question : West c. Gwynne , [1911] 2 Ch. 1 (C.A.), p. 11-12; Angus c. Sun Alliance Compagnie d'assurance , [1988] 2 R.C.S. 256, p. 262; Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs , 2007 CSC 34, [2007] 2 R.C.S. 801, par. 118. D'après la deuxième, le tribunal présume que le législateur ne voulait pas porter atteinte aux droits acquis ayant pris naissance avant l'entrée en vigueur de la loi : Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board , [1933] R.C.S. 629, p. 638; Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national , [1977] 1 R.C.S. 271, p. 282; Dikranian c. Québec (Procureur général) , 2005 CSC 73, [2005] 3 R.C.S. 530, par. 32-36.
[46] Ces deux présomptions portant sur l'intention du législateur sont étroitement liées et visent toutes deux à protéger le droit des parties de s'appuyer sur l'état du droit au moment des actes : Angus , p. 268-269; Ciecierski c. Fenning , 2005 MBCA 52, 195 Man. R. (2d) 272, par. 29; Upper Canada College c. Smith (1920), 61 R.C.S. 413. Bien que les présomptions reposent sur les mêmes préoccupations, la Cour a toujours considéré qu'elles étaient distinctes : Gustavson Drilling (1964) Ltd. , p. 279-283; Procureur g énéral du Québec c. Tribunal de l'expropriation , [1986] 1 R.C.S. 732, p. 741-747; Venne c. Québec (Commission de protection du territoire agricole) , [1989] 1 R.C.S. 880, p. 906-907; Dikranian , par. 29-31. Il n'est toutefois pas nécessaire en l'espèce d'examiner les subtilités qui les distinguent.
[47] Il en est ainsi parce qu'aucune de ces présomptions portant sur l'intention du législateur ne s'applique quant au droit purement procédural. Par conséquent, la troisième présomption veut qu'en l'absence d'une indication contraire du législateur, une loi de nature procédurale soit réputée s'appliquer à compter de son adoption, peu importe le moment où surviennent les faits à l'origine d'une affaire donnée : Wright c. Hale (1860), 6 H. & N. 227, 158 E.R. 94, p. 96, cité avec approbation dans Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, par. 62.
[48] L'importance que revêt la distinction entre les dispositions de fond et celles de procédure pour l'interprétation des lois ressort de la Loi d'interprétation , L.R.C. 1985, ch. I‑21 . D'une part, les instances engagées sous le régime d'une disposition maintenant abrogée doivent se poursuivre sous le régime de la procédure prévue par les nouvelles dispositions. D'autre part, l'abrogation d'un texte ne porte atteinte à aucun droit acquis en vertu de ce texte. Je vais décrire brièvement les dispositions pertinentes.
[49] La première est l' art. 44 qui prévoit que, en cas d'abrogation et de remplacement d'un texte, les procédures engagées sous le régime du texte antérieur se poursuivent conformément au nouveau texte. Il prévoit en outre que « la procédure établie par le nouveau texte doit être suivie, dans la mesure où l'adaptation en est possible [. . .] pour l'exercice des droits acquis sous le régime du texte antérieur, [et] dans toute affaire se rapportant à des faits survenus avant l'abrogation » : al. 44 c ) et sous‑al. 44 d )(ii) et (iii). Comme le dit le professeur Sullivan, [ traduction ] « ces dispositions prévoient l'application immédiate des nouvelles règles procédurales à toutes les instances, notamment celles en cours au moment de l'entrée en vigueur de la loi » : R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (5 e éd. 2008), p. 698.
[50] La deuxième est l' art. 43 qui prévoit que l'abrogation d'un texte ne porte pas atteinte aux « droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues » sous le régime du texte abrogé : al. 43 c ) . Comme le dit le professeur Sullivan, l'abrogation ne supprime aucun droit ou aucune responsabilité qui découle du texte abrogé; c'est‑à‑dire que [ traduction ] « la loi abrogée continue de s'appliquer aux faits antérieurs à son abrogation dans la plupart des cas comme si elle était toujours en vigueur » (p. 708).
[51] Le professeur Sullivan résume ainsi l'effet cumulatif de ces deux dispositions : [ traduction ] « . . . le maintien en vigueur de la loi abrogée retarde l'application d'une nouvelle loi portant sur le fond, [mais] non celle d'une nouvelle loi de nature procédurale » (p. 698).
B. Droit substantiel et droit procédural
[52] Il s'agit donc de savoir comment décider si un texte législatif est de nature substantielle ou procédurale. Une disposition porte sur le fond si elle modifie l'effet juridique d'une opération ou porte atteinte à des droits acquis. Bien qu'on ait tenté à maintes reprises de déterminer quels types de disposition portent atteinte aux droits substantiels ou acquis, il convient de prendre comme point de départ l'affirmation faite dans Moon c. Durden , [1848] 2 Ex. 22, 154 E.R. 389, par le baron Rolfe (p. 396) et le baron Parke (p. 398) et citée avec approbation par le juge Duff dans Upper Canada College , p. 417 : [ traduction ] « . . . non seulement il serait extrêmement inopportun de priver des gens de droits acquis lors d'opérations parfaitement valides et régulières au regard du droit alors applicable , mais il s'agirait d'une “violation flagrante de la justice naturelle” » (je souligne). Ce point de vue est aussi exprimé par l'idée qu'une disposition porte atteinte à des droits substantiels ou acquis si [ traduction ] « un acte légal au moment de sa perpétration devient illégal en raison d'un quelconque nouveau texte » : Midland Railway Co. c. Pye (1861), 10 C.B. (N.S.) 179, 142 E.R. 419, p. 424, cité avec approbation par le juge Duff dans Upper Canada College , p. 419. Autrement dit, il faut se demander si l'application de la disposition [ traduction ] « porterait atteinte aux droits et aux obligations existants » : Yew Bon Tew c. Kenderaan Bas Mara , [1983] 1 A.C. 553 (C.P.), p. 563, cité avec approbation dans Martin c. Perrie , [1986] 1 R.C.S. 41, p. 48-49. Plus récemment, la Cour a reconnu qu'un droit acquis résulte d'une situation juridique individualisée, concrète et constituée au moment de l'adoption de la nouvelle disposition : Dikranian , par. 37.
[53] Pour leur part, les dispositions procédurales [ traduction ] « régi[ssent] les moyens de prouver des faits et d'établir des conséquences juridiques dans tout genre d'instance » : Sullivan, p. 698. Elles ne touchent qu'au moyen de conduire un litige, et non au retrait de droits d'action ou de moyens de défense : Upper Canada College , p. 442, le juge Anglin; Angus , p. 265. Au nombre des dispositions de ce genre figurent les prescriptions l é gislatives indiquant [ traduction ] « quelle preuve doit être produite pour établir des faits précis » : Wright , p. 95, le baron en chef Pollock, approuvé par The Ydun , [1899] P. 236 (C.A.), p. 245, le lord Smith, et dans Upper Canada College , p. 444, le juge Anglin; voir aussi Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , par. 57.
[54] La distinction entre les droits substantiels et les questions de procédure repose sur l'idée qu'un changement d'ordre procédural ne prive personne de droits acquis lors d'opérations parfaitement valides et régulières au regard du droit applicable au moment de leur conclusion : Upper Canada College , p. 417, le juge Duff. Le juge Duff a cité, dans cet arrêt à la p. 423, en les approuvant, les propos suivants tenus par le lord juge Mellish dans Republic of Costa Rica c. Erlanger , [1876] 3 Ch. D. 62 (C.A.), p. 69 : [ traduction ] « Aucun plaideur n'a de droit acquis quant à la façon de procéder, ni le droit de se plaindre en cas de modification de la procédure au cours d'un litige, pour autant, bien entendu, que cette modification n'entraîne pas d'injustice ». Ce test est parfois formulé sous une forme négative : une disposition n'est pas de nature procédurale si elle « crée des droits substantiels ou acquis, ou empiète sur ces droits » : Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , par. 57.
[55] Il ressort notamment de la jurisprudence que les tribunaux ne déterminent pas qu'une disposition est de nature substantielle ou de nature procédurale en examinant simplement sa forme; ils en analysent aussi la fonction et l'effet : Howard Smith Paper Mills Ltd. c. The Queen , [1957] R.C.S. 403; R. c. E. (A.W.) , [1993] 3 R.C.S. 155; Yew Bon Tew , p. 563; Angus , p. 265. Cela vaut autant pour les règles de preuve que pour les autres dispositions procédurales. Si une règle de preuve « crée des droits substantiels ou acquis, ou empiète sur ces droits, elle n'a pas une incidence strictement procédurale et elle ne prend pas effet immédiatement » : Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , par. 57. Il est utile de revenir sur quelques exemples tirés de la jurisprudence de la Cour. J'étudierai d'abord trois arrêts qui portent de façon plus générale sur la distinction entre le fond et la procédure.
[56] Upper Canada College est un bon exemple d'arrêt ancien où la Cour a procédé à une analyse fonctionnelle. Il y était question d'une disposition interdisant d'intenter une action en paiement d'une commission sur la vente d'un immeuble, à moins que l'entente sur laquelle se fondait l'action ait été faite par écrit et signée par la partie visée. Il s'agissait de savoir si cette disposition s'appliquait aux actions visant les contrats oraux de commission conclus avant son entrée en vigueur. On a fait valoir qu'il fallait répondre par l'affirmative à cette question parce que la disposition était purement procédurale : elle écartait non pas le droit, mais seulement la procédure d'exercice de ce droit. La Cour à la majorité a rejeté cet argument et décidé que la disposition ne s'appliquait pas aux contrats conclus avant son adoption. La Cour a examiné l'effet de la disposition, et non pas simplement sa forme. Bien que la disposition se soit rapportée en apparence au recours judiciaire possible, elle [ traduction ] « annulait [en fait] un droit d'action qu'une partie à un contrat aurait pu autrement faire valoir » et il fallait donc la considérer comme « portant atteinte à un “droit ou à un statut conféré par la loi” » : p. 431, le juge Duff.
[57] L'arrêt Angus illustre également bien l'accent mis sur la fonction plutôt que sur la forme. Dans cette affaire, il s'agissait de savoir si la loi abolissant l'immunité des époux en matière délictuelle devait s'appliquer aux actes prétendument délictueux commis avant son adoption.
[58] La Cour a répondu à cette question par la négative et déclaré que les dispositions traitaient de droits substantiels. Le juge La Forest a affirmé au nom de la Cour, aux p. 265-266, que « [n]ormalement, les règles de procédure n'ont pas d'effet sur le contenu ou sur l'existence d'une action ou d'un moyen de défense (ou d'un droit, d'une obligation ou de quelque autre objet de la loi), mais seulement sur la manière de l'appliquer ou de l'utiliser » (souligné dans l'original). Comme l'a fait remarquer le juge La Forest, il était difficile de voir de quelle façon la procédure était touchée par les dispositions en question (p. 265). Les dispositions ne réglementaient ni les éléments de preuve admissibles ou non, ni les faits dont il faut présumer l'existence lorsque d'autres faits sont établis. Elles ont plutôt écarté ce qui constituait une exemption complète de responsabilité civile délictuelle au moment de la conduite en question.
[59] L'arrêt Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) portait, pour sa part, sur la question de savoir s'il était possible d'invoquer les nouvelles dispositions du Code criminel autorisant la tenue d'investigations judiciaires — auxquelles une personne pouvait recevoir l'ordre de se présenter afin de répondre à des questions — dans le cas d'événements survenus avant leur adoption. Selon la Cour, les dispositions s'appliquaient effectivement parce qu'elles étaient de nature strictement procédurale : par. 61. Comme l'ont dit les juges Iacobucci et Arbour, au par. 60, « bien qu'elle puisse permettre d'obtenir des renseignements relatifs à une infraction [. . .] l'investigation judiciaire elle‑même reste de nature procédurale. À l'instar d'autres outils procéduraux, telles les empreintes génétiques et les autorisations d'écoute électronique, l' art. 83.28 offre un moyen de recueillir des renseignements et des éléments de preuve dans le cadre d'une enquête portant sur des infractions passées, présentes et futures. » Autrement dit, l'appelant ne disposait pas du droit substantiel de ne pas être interrogé selon cette procédure (par. 66).
[60] Je passe maintenant à la jurisprudence de la Cour qui traite plus particulièrement des questions de preuve. Dans Howard Smith , il fallait déterminer si une disposition modifiée de la Loi relative aux enquêtes sur les coalitions s'appliquait à une poursuite intentée relativement à un complot qui aurait été mené à terme avant l'entrée en vigueur de la modification. La disposition avait pour effet de rendre admissibles en preuve des documents qualifiés de [ traduction ] « notes internes » et indiquait qu'ils étaient réputés être une preuve prima facie contre la société en possession de qui ils étaient trouvés et contre les personnes qui étaient nommées : Loi relative aux enquêtes sur les coalitions , S.R.C. 1927, ch. 26, art. 41, telle qu'elle a été édictée par S.C. 1949 (2 e sess.), ch. 12, puis renumérotée et modifiée par S.C. 1952, ch. 39. La Cour a conclu à l'unanimité que cette disposition était de nature procédurale et qu'elle s'appliquait donc aux procès tenus après son entrée en vigueur. Comme l'a dit le juge Cartwright, à la p. 420 : [ traduction ] « Bien que [la disposition] entraîne une modification majeure du droit de la preuve, elle ne crée aucune infraction, elle n'écarte aucun moyen de défense, elle n'incrimine aucune conduite qui ne l'était pas déjà avant son adoption, elle ne modifie la nature ou l'effet juridique d'aucune opération déjà complétée ; elle porte uniquement sur une question de preuve . . . » (je souligne). Ainsi, une preuve qui n'aurait pas constitué une preuve concluante de culpabilité avant l'adoption de la modification est devenue une telle preuve par suite de cette adoption; la Cour a néanmoins attribué au texte une nature procédurale et l'a appliqué à l'instance. Le simple fait de rendre admissible une preuve incriminante qui ne l'était pas auparavant n'a pas pour effet d'« écarter » un moyen de défense.
[61] L'arrêt Howard Smith est également utile pour délimiter la portée de ce que l'on entend par règle de preuve. Approuvant un passage de la 9 e édition de l'ouvrage Phipson on the Law of Evidence (1952) (p. 1), le juge Cartwright y a mentionné, à la p. 419, que le droit substantiel définit les droits, les obligations et les responsabilités tandis que le droit adjectival définit la procédure, les actes de procédure et la preuve qui permettent d'appliquer le droit substantiel. Le passage de Phipson on Evidence cité par le juge Cartwright précise en outre que la preuve [ traduction ] « consiste à établir ces faits par des moyens juridiques appropriés à la satisfaction de la Cour ».
[62] L'arrêt Wildman c. La Reine , [1984] 2 R.C.S. 311, donne des indications supplémentaires. Dans cette affaire, il s'agissait de déterminer si une nouvelle disposition de la Loi sur la preuve au Canada , S.R.C. 1970, ch. E‑10, s'appliquerait lors du procès intenté contre l'accusé relativement à des événements survenus avant son adoption. Le paragraphe 4(3.1) de cette loi prévoyait que le conjoint de l'accusé était un témoin compétent et contraignable pour la poursuite lorsque le plaignant ou la victime était âgé de moins de 14 ans. Le juge Lamer (plus tard Juge en chef) a conclu, au nom de la Cour, que l'inhabilité et la non‑contraignabilité à témoigner « ne résultent pas d'une règle de fond en matière de confidentialité, il s'agit d'une simple règle de procédure » : p. 332. Il a aussi précisé qu'un test servant à déterminer si une disposition est de nature substantielle ou de nature procédurale consiste à se demander si elle est « indépendant[e] de l'existence d'un litige » et si elle n'est « pas modifié[e] par la survenance d'un procès » : p. 331-332, citant P. Roubier, Le droit transitoire : conflits des lois dans le temps (2 e éd. 1960), p. 237.
[63] Le juge Lamer a cependant reconnu que certaines présomptions pourraient relever du fond. Il a cité l'exemple de la présomption de donation, que la Cour a jugée comme portant sur le fond dans Bingeman c. McLaughlin , [1978] 1 R.C.S. 548, p. 557. La présomption de donation est une présomption réfutable selon laquelle, lorsqu'un mari consent un transfert à son épouse, l'avantage consenti par le mari est censé profiter à l'épouse. Il faut donc considérer que cette présomption a un effet sur les droits dont jouissaient entre eux le mari et son épouse au moment du transfert et qu'elle n'est pas touchée de quelque façon que ce soit par la survenance d'un litige.
[64] Étant donné la décision rendue dans Wildman , la nouvelle disposition s'appliquait lors du procès même si, au moment de l'infraction reprochée, l'épouse de l'accusé n'aurait pas pu être contrainte à témoigner pour le ministère public. Tout comme dans Howard Smith , une preuve de culpabilité potentiellement importante était irrecevable au moment des événements à l'origine du procès, mais elle a malgré tout été jugée admissible au procès en raison des nouvelles règles de preuve.
[65] Je passe maintenant à l'arrêt E. (A.W.) . La question importante pour les besoins du présent pourvoi était de savoir si l'abrogation de l'exigence de corroboration du témoignage d'un enfant qui n'a pas prêté serment s'appliquait aux procès tenus après l'abrogation de cette exigence, mais découlant d'événements survenus avant son abrogation. Le juge en chef Lamer (dissident, mais non sur ce point) a conclu que la disposition relative à la corroboration faisait partie du droit de la preuve et que c'était « les règles de preuve en vigueur à l'époque du procès qui s'appliqu[aient] » : p. 189. Une preuve inculpatoire potentiellement importante qui n'aurait pas été admise sans corroboration au moment du crime reproché serait donc recevable en vertu des nouvelles règles en vigueur au moment du procès.
[66] Nous pouvons tirer de cette étude de la jurisprudence les conclusions suivantes :
1. Les dispositions de fond [ traduction ] « modifient la nature ou l'effet juridique d'une opération » ( Howard Smith , p. 420) , notamment en écartant un moyen de défense qui pouvait être invoqué auparavant ( Upper Canada College ; Howard Smith ; Angus ). L'application des dispositions de ce genre n'est pas modifi é e par la survenance d'un litige ( Wildman ).
2. Les dispositions procédurales [ traduction ] « régi[ssent] les moyens de prouver des faits et d'établir des conséquences juridiques » (Sullivan, p. 698). Leur application est habituellement fonction de l'existence d'un litige.
3. Les règles de preuve sont considérées comme étant de nature procédurale, sauf si elles ont en fait une incidence sur des droits substantiels : Demande fondée sur l'art. 83.28 du Code criminel (Re) , par. 57.
4. Les règles de preuve portent sur [ traduction ] « l'établissement [ou la réfutation] de [. . .] faits par des moyens juridiques appropriés » : Howard Smith , p. 419, citant Phipson on Evidence , p. 1.
5. Les dispositions qui rendent admissible une preuve qui ne l'était pas auparavant ou modifient les conditions d'admissibilité de la preuve sont de nature procédurale. Cela vaut même pour les nouvelles dispositions qui rendent admissible une preuve incriminante importante qui était auparavant exclue. Mentionnons, à titre d'exemple, les dispositions qui : entraînent une modification majeure de l'admissibilité et de l'effet de la preuve documentaire ( Howard Smith ); rendent contraignable à témoigner pour le ministère public une personne qui ne l'était pas auparavant ( Wildman ); et qui abrogent l'exigence de corroboration du témoignage d'un enfant qui n'a pas prêté serment : E. (A.W. ).
C. Les dispositions en cause sont de nature procédurale
[67] Les dispositions en cause ici me semblent purement procédurales. Elles satisfont à tous les critères énoncés par la Cour dans sa jurisprudence pour établir qu'une disposition est de nature procédurale, et elles n'ont aucune des caractéristiques des dispositions considérées à juste titre comme relevant du fond.
[68] Les dispositions sur lesquelles nous sommes appelés à nous pencher traitent de présomptions de fait et des éléments de preuve nécessaires pour les réfuter. Pour reprendre les termes approuvés par le juge Cartwright dans Howard Smith , ces dispositions intéressent l'[ traduction ] « établissement [. . .] de faits » par des moyens juridiques appropriés. Les dispositions relatives à la preuve comme celles en cause en l'espèce sont habituellement considérées de nature procédurale. L'application des dispositions procédurales est généralement fonction de l'existence d'un litige. Or, les dispositions en cause ici ne s'appliquent que s'il y a un procès où l'on conteste l'alcoolémie établie par l'alcootest : elles ne sont pertinentes que s'il y a bel et bien un litige. Elles n'[ traduction ] « incrimine[nt] aucune conduite qui ne l'était pas déjà avant [leur] adoption » ( Howard Smith , p. 420); les éléments de l'infraction à établir n'ont pas changé. Elles n'ont pas d'effet sur le contenu ou sur l'existence d'une action ou d'un moyen de défense; elles réglementent les types de preuve nécessaires pour réfuter les présomptions de fait. Les dispositions comme celles en cause en l'espèce qui modifient le mode de procédure dans la production d'une défense restent de nature procédurale : Angus , p. 266. Les dispositions dont il est question ici ont donc toutes les caractéristiques des dispositions procédurales.
[69] Qui plus est, ces dispositions n'ont aucune des caractéristiques des dispositions de fond. Elles ne confèrent pas de conséquences nouvelles à des actes antérieurs, ni ne modifient le contenu substantiel d'un moyen de défense. Elles n'influent pas sur l'existence ou sur le contenu d'un droit. Les éléments de l'infraction n'ont pas changé et il demeure loisible à l'accusé de présenter une preuve soulevant un doute raisonnable quant à l'existence de ces éléments. Les dispositions n'interdisent pas une conduite qui était légale au moment où elle est survenue.
[70] Ma collègue la juge Deschamps écrit que les dispositions ont supprimé ou neutralisé un moyen de défense. En toute déférence, je ne suis pas d'accord. Les dispositions limitent l'éventail des éléments de preuve admissibles qui auraient pu être produits auparavant pour tenter de soulever un doute raisonnable au sujet d'un des éléments essentiels de l'infraction. Ce que l'on appelle la « défense de type Carter » est en fait un type particulier de preuve présentée afin de soulever un doute raisonnable. Si on considère que ces dispositions écartent un moyen de défense, il faudrait alors considérer que toute disposition relative à la preuve qui augmente le risque de condamnation a le même effet. À mon avis, la jurisprudence de la Cour que je viens d'examiner indique clairement qu'il n'en est rien.
[71] La Cour a conclu dans St‑Onge Lamoureux que la limitation de l'admissibilité d'une preuve de type Carter ne porte pas atteinte au droit garanti à un accusé par l' art. 7 de la Charte de présenter une défense pleine et entière. Si la restriction de la possibilité de produire une preuve de type Carter n'écarte pas un moyen de défense pour l'application de la Charte , il est impossible que la même restriction soit de nature substantielle parce qu'elle écarte bel et bien d'une certaine manière un moyen de défense.
[72] L'arrêt R. c. Gervais , [1978] J.Q. n o 181 (QL), de la Cour d'appel du Québec n'est d'aucune utilité pour l'appelant. Il y était question d'une modification des droits d'appel. La jurisprudence de la Cour établit clairement depuis longtemps que le droit d'appel est un droit substantiel, et non une question de procédure : voir, p. ex., Taylor c. The Queen (1876), 1 R.C.S. 65; Banque Royale du Canada c. Concrete Column Clamps (1961) Ltd ., [1971] R.C.S. 1038, p. 1041-1042; R. c. Puskas , [1998] 1 R.C.S. 1207, par. 6.
[73] Je ne puis accepter la proposition selon laquelle le fait que la disposition limite le droit de l'accusé d'être présumé innocent protégé par l' al. 11 d ) de la Charte soutient la conclusion que la disposition en est une de fond, et ce, pour deux raisons. Premièrement, les dispositions procédurales peuvent limiter les droits garantis par la Charte ou même contrevenir à la Charte tout autant que les dispositions de fond. L'analyse fondée sur la Charte ne nous apprend rien au sujet de la nature des dispositions pour l'application de la présomption d'application immédiate des dispositions procédurales. Deuxièmement, je souscris à l'opinion qu'exprime ma collègue la juge Deschamps, au par. 14, qu'il nous faut examiner l'application temporelle de ces dispositions telles qu'elles sont par suite de l'arrêt St-Onge Lamoureux de la Cour. Les dispositions ainsi formulées ne contreviennent pas à la Charte . Avec égards, je ne peux toutefois convenir que le fait d'avoir conclu que ces dispositions sont raisonnablement justifiées plutôt que d'avoir conclu qu'elles ne limitent aucunement les droits en cause a un rapport quelconque avec la question de savoir si les dispositions portent atteinte à des droits substantiels.
[74] Je conclus que les dispositions ne concernent que les règles de preuve applicables lors d'un procès et qu'elles sont donc purement procédurales. Comme je l'ai déjà expliqué, l'opinion répandue sur l'application temporelle des dispositions procédurales veut qu'elles s'appliquent avec effet immédiat.
D. La présomption d'application immédiate n'est pas réfutée
[75] Cela nous amène à la deuxième question sur laquelle porte le pourvoi : malgré la nature procédurale des dispositions, la présomption qu'elles doivent s'appliquer immédiatement est‑elle réfutée par leur libellé ou l'ensemble des circonstances?
[76] Selon l'appelant, la loi n'indique pas que le législateur voulait qu'une partie quelconque des dispositions modifiées s'applique à des événements survenus avant leur adoption. De mon point de vue, la réponse sur ce point est que les dispositions sont purement procédurales et que leur application dans le temps est donc bien établie par la jurisprudence et renforcée par les dispositions de la Loi d'interprétation . Le législateur est réputé connaître la loi.
[77] Toujours selon l'appelant, si le législateur avait voulu que ces dispositions s'appliquent immédiatement, il aurait pris des mesures avant leur entrée en vigueur pour s'assurer que les éléments de preuve essentiels à la défense, comme les bandes vidéo des alcootests, soient conservés et que les pratiques en matière de communication de la preuve soient modifiées en conséquence. En toute déférence, ces considérations n'indiquent pas que le législateur voulait que ces dispositions procédurales ne prennent pas effet immédiatement. Les bandes vidéos, la communication de la preuve et les éléments de preuve relatifs au fonctionnement de l'appareil au moment en question étaient tous importants et fort pertinents pour la défense tant avant qu'après l'entrée en vigueur de ces dispositions. La limitation de l'admissibilité de la preuve de type Carter prévue par ces dispositions n'a pas rendu soudainement cette autre preuve pertinente ou importante. Elle a toujours été pertinente et importante. Qui plus est, le législateur n'a édicté aucune disposition à l'égard de ces éléments pour quelque affaire que ce soit, que l'affaire soit survenue avant ou après l'entrée en vigueur des modifications. Je ne vois pas comment l'inaction du législateur à cet égard avant l'adoption des modifications peut traduire son souhait que les modifications ne s'appliquent pas immédiatement, vu qu'il est resté tout aussi inactif après l'entrée en vigueur des modifications. Il m'est donc difficile de comprendre comment l'absence de ce genre de dispositions appuie la thèse qu'elles n'étaient pas censées prendre effet immédiatement.
[78] À mon avis, l'arrêt R. c. Ali , [1980] 1 R.C.S. 221, de la Cour n'est d'aucune utilité pour l'appelant. La Cour y a examiné l'applicabilité de modifications selon lesquelles un certificat devait se fonder sur deux échantillons d'haleine — et non pas un seul comme le prévoyait l'ancienne disposition législative — pour donner ouverture à la présomption d'exactitude. À cette modification s'en ajoutait une autre qui autorisait les agents de la paix à prendre plus d'un échantillon. S'exprimant au nom de la majorité, le juge Pratte a tenu pour acquis, mais n'a pas décrété, que la première modification mentionnée était de nature procédurale. Il a toutefois décidé que cette modification ne s'appliquait pas aux événements survenus avant son entrée en vigueur, parce qu'il n'était pas légalement possible auparavant d'obtenir les deux échantillons d'haleine exigés alors qu'il était possible de les obtenir après l'entrée en vigueur de la modification. La modification du nombre d'échantillons nécessaires à l'obtention d'un certificat valide « ne peut se rapporter à des échantillons d'haleine qui ne pouvaient légalement faire l'objet d'une sommation au moment de l'infraction » : p. 239. Il ressort de l'ensemble des changements apportés au régime législatif que le législateur voulait que l'ancienne règle de droit continue de s'appliquer dans les affaires survenues avant les modifications. Avec égards, je ne vois aucun parallèle entre cette situation et celle de l'espèce. Comme je l'ai mentionné au paragraphe précédent, les modifications en cause dans la présente affaire n'étaient pas accompagnées d'autres modifications touchant la preuve pertinente qui, selon la loi, pouvait être présentée. Elles n'ont pas non plus rendu pertinente une preuve qui ne l'était pas avant leur adoption. Les questions de savoir si l'alcootest a mal fonctionné ou a été utilisé incorrectement étaient fort pertinentes pour un accusé tant avant qu'après l'entrée en vigueur des modifications. À mon humble avis, on ne saurait dire que ces dispositions modifiées ont eu pour effet d'obliger un accusé à produire des éléments de preuve qu'il n'avait aucune raison de réunir avant leur entrée en vigueur. Un accusé avait toutes les raisons de réunir de tels éléments de preuve tant avant qu'après l'adoption de ces dispositions.
E. Conclusion
[79] J'estime donc que les modifications du par. 258(1) sont de nature purement procédurale. Elles ne font intervenir aucun droit substantiel, ni ne modifient les faits à l'égard desquels il est possible de soulever un doute raisonnable afin de réfuter les présomptions créées par le par. 258(1) . Les modifications sont présumées s'appliquer immédiatement, et rien ne réfute cette présomption. Je suis conforté dans mon opinion par le fait qu'outre la Cour d'appel de l'Ontario en l'espèce, les cours d'appel de l' Alberta, de la Colombie‑Britannique et du Québec sont arrivées aux mêmes conclusions : R. c. Gartner , 2010 ABCA 335, 490 A.R. 268; R. c. Truong , 2010 BCCA 536, 296 B.C.A.C. 248; R. c. Loiseau , 2010 QCCA 1872, [2010] R.J.Q. 2246.
[80] La version modifiée du par. 258(1) s'applique donc à toutes les accusations portées en vertu de l'art. 253, notamment celles portées contre l'appelant, que les faits sur lesquels elles reposent se soient produits avant ou après l'adoption des modifications.
V. Dispositif
[81] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance de la Cour d'appel portant nouveau procès. Les dispositions modifiées, telles qu'elles ont été scindées dans l'arrêt St‑Onge Lamoureux rendu par la Cour en même temps que le présent arrêt, doivent s'appliquer à ce nouveau procès.
Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et les juges Rothstein et Cromwell sont dissidents.
Procureurs de l'appelant : Burstein Bryant, Toronto; J. Thomas Wiley, Brampton.
Procureur de l'intimée : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada : Procureur général du Canada, Ottawa.
Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec : Procureur général du Québec, Montréal et Québec.


Synthèse
Référence neutre : 2012 CSC 58 ?
Date de la décision : 02/11/2012
Proposition de citation de la décision: R. c. Dineley


Origine de la décision
Date de l'import : 28/08/2014
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2012-11-02;2012.csc.58 ?

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