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21/05/2015 | CANADA | N°2015_CSC_28

Canada | R. c. Kokopenace


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kokopenace, 2015 CSC 28
Date : 20150521
Dossier : 35475

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Clifford Kokopenace
Intimé
- et -
Advocates' Society, Nation Nishnawbe Aski,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, inc. (FAEJ),
Association des femmes autochtones du Canada,
Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et
Aboriginal Legal Services of Toronto Inc.
Intervenants

Traductio

n française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis,...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : R. c. Kokopenace, 2015 CSC 28
Date : 20150521
Dossier : 35475

Entre :
Sa Majesté la Reine
Appelante
et
Clifford Kokopenace
Intimé
- et -
Advocates' Society, Nation Nishnawbe Aski,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, inc. (FAEJ),
Association des femmes autochtones du Canada,
Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et
Aboriginal Legal Services of Toronto Inc.
Intervenants

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon

Motifs de jugement :
(par. 1 à 130)

Motifs concordants en partie :
(par. 131 à 189)

Motifs dissidents :
(par. 190 à 307)
Le juge Moldaver (avec l'accord des juges Rothstein, Wagner et Gascon)

La juge Karakatsanis



Le juge Cromwell (avec l'accord de la juge en chef McLachlin)

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



r. c. kokopenace
Sa Majesté la Reine Appelante
c.
Clifford Kokopenace Intimé
et
Advocates' Society, Nation Nishnawbe Aski,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Fonds d'action et d'éducation juridiques pour
les femmes, inc. (FAEJ), Association des femmes
autochtones du Canada, Association canadienne
des Sociétés Elizabeth Fry et Aboriginal Legal
Services of Toronto Inc. Intervenants
Répertorié : R. c. Kokopenace
2015 CSC 28
N o du greffe : 35475.
2014 : 6 octobre; 2015 : 21 mai.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Rothstein, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner et Gascon.
en appel de la cour d'appel de l'ontario
Droit constitutionnel — Charte des droits — Procès équitable — Droit à un procès avec jury — Représentativité du jury — Définition — Accusé autochtone d'une réserve des Premières Nations déclaré coupable d'homicide involontaire coupable — Résidents autochtones des réserves sous‑représentés sur la liste des jurés à partir de laquelle a été constitué le jury pour le procès de l'accusé — Quel est le critère juridique convenable en matière de représentativité? — L'État s'est‑il acquitté de son obligation de représentativité? — Charte canadienne des droits et libertés , art. 11d) , 11f).
Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l'égalité — Résidents autochtones des réserves — Accusé autochtone d'une réserve des Premières Nations déclaré coupable d'homicide involontaire coupable — Résidents autochtones des réserves sous‑représentés sur la liste des jurés à partir de laquelle a été constitué le jury pour le procès de l'accusé — L'État a‑t‑il violé le droit à l'égalité de l'accusé ou des résidents autochtones d'une réserve qui étaient des candidats jurés? — Charte canadienne des droits et libertés , art. 15 .
L'accusé, un Autochtone habitant la réserve d'une première nation, a été accusé de meurtre au deuxième degré et reconnu coupable d'homicide involontaire coupable au terme d'un procès devant juge et jury. Avant le prononcé de la sentence, l'avocat de l'accusé a appris qu'il y avait peut‑être eu des irrégularités concernant les mesures prises pour inscrire les résidents autochtones des réserves sur la liste des jurés du district de Kenora, ce qui suscitait des interrogations au sujet de la représentativité du jury dans le cas de l'accusé. Le juge du procès a refusé d'ajourner l'instance pour instruire une demande d'annulation du procès puisqu'il se considérait dessaisi de l'affaire. La question de la représentativité a donc été soulevée pour la première fois en appel, où de nouveaux éléments de preuve ont été présentés relativement aux mesures que la province avait prises pour dresser les listes de jurés du district. La Cour d'appel était convaincue que l'accusé avait bénéficié d'un procès équitable et que le jury n'était pas entaché d'une crainte raisonnable de partialité. Les juges majoritaires ont toutefois conclu que les droits garantis à l'accusé par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte avaient été violés et ont ordonné la tenue d'un nouveau procès. Les trois juges ont tous rejeté les prétentions de l'accusé fondées sur l' art. 15 de la Charte .
Arrêt (la juge en chef McLachlin et le juge Cromwell sont dissidents) : Le pourvoi est accueilli. L'ordonnance prévoyant la tenue d'un nouveau procès est annulée et la déclaration de culpabilité est rétablie.
Les juges Rothstein, Moldaver , Wagner et Gascon : La représentativité est un aspect important de notre système de jury, mais elle a un sens restreint. Il faut un échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement. Pour ce qui est de la liste des jurés, la représentativité met l'accent sur la procédure utilisée pour la dresser, et non sur sa composition finale.
Pour déterminer si l'État s'est acquitté de son obligation de représentativité, la question consiste à savoir s'il a donné à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés. Pareille possibilité est donnée quand l'État déploie des efforts raisonnables pour : (1) dresser la liste des jurés en sélectionnant ceux‑ci au hasard à partir de listes brutes issues d'un large échantillon de la société et (2) envoyer des avis de sélection de juré aux personnes choisies au hasard. Quand cette procédure est suivie, la liste des jurés est représentative et le droit à un jury représentatif que la Charte garantit à l'accusé est respecté. Ce processus vise à faire en sorte que des personnes aux points de vue différents fassent partie du jury et à empêcher l'exclusion systémique de certains segments de la population.
La représentativité du jury relève à la fois de l' al. 11 d ) et de l' al. 11 f ) de la Charte , mais elle joue un rôle différent dans le cas de ces deux garanties.
Le rôle que joue la représentativité dans l'application de l' al. 11 d ) se limite à son incidence sur l'indépendance et l'impartialité. Le problème de représentativité qui ne mine pas ces notions n'emportera pas violation de l' al. 11 d ) .
Les parties à la présente affaire se sont concentrées sur le volet « impartialité » de l' al. 11 d ) . Même si le petit jury ne semble pas partial, il y a violation de l' al. 11 d ) si la procédure utilisée pour dresser la liste des jurés crée une apparence de partialité sur le plan systémique. Cela peut se produire de deux façons : un groupe en particulier est exclu délibérément ou les efforts déployés pour dresser la liste des jurés laissent à désirer au point de créer une apparence de partialité. Toutefois, lorsque l'État ne se conduit d'aucune de ces façons, le problème de représentativité ne viole pas l' al. 11 d ) .
La définition restreinte donnée à la représentativité dans la jurisprudence canadienne signifie que l'impartialité est garantie grâce à la procédure suivie pour dresser la liste des jurés, et non grâce à la composition finale de la liste des jurés ou du petit jury lui‑même. La liste des jurés comptant peu de personnes de la même race ou religion que l'accusé ne constitue pas à elle seule un indice de partialité.
La représentativité joue un rôle élargi dans l'application de l' al. 11 f ) : non seulement favorise‑t‑elle l'impartialité, mais elle confère également une légitimité au rôle du jury en tant que « conscience de la collectivité » et renforce la confiance du public dans le système de justice pénale. Ce rôle élargi crée une différence importante : bien qu'un problème de représentativité n'emporte pas nécessairement violation de l' al. 11 d ) , l'absence de représentativité mine automatiquement le droit, reconnu par l' al. 11 f ) , à un procès avec jury.
Si l'État exclut délibérément un certain sous‑groupe de personnes habiles à remplir les fonctions de juré, il viole le droit de l'accusé à un jury représentatif, peu importe la taille du groupe touché. Cependant, s'il s'agit d'une exclusion involontaire, c'est la qualité des efforts déployés par l'État pour dresser la liste des jurés qui déterminera si le droit de l'accusé à un jury représentatif a été respecté. Lorsque l'État fait des efforts raisonnables, mais qu'une partie de la population est exclue parce qu'elle refuse de participer, l'État s'acquitte néanmoins de son obligation constitutionnelle. Par contre, si l'État ne déploie pas d'efforts raisonnables, il faut tenir compte du nombre de personnes exclues par inadvertance. Quand seule une petite couche de la population est touchée, un large échantillon de la société a tout de même une possibilité honnête de participer.
La représentativité ne consiste pas à cibler des groupes particuliers pour que leurs membres figurent sur la liste des jurés. La province n'était donc pas obligée de remédier aux problèmes systémiques contribuant à la réticence des Autochtones vivant dans des réserves à participer au processus de sélection des jurés. Les efforts déployés pour réparer les torts historiques et systémiques causés aux peuples autochtones — quoique louables sur le plan social — visent par définition à cibler un groupe en particulier pour que ses membres figurent sur la liste des jurés. Le droit de l'accusé à la représentativité ne constitue pas le bon moyen de réparer la relation mise à mal entre certains groupes de la société et notre système de justice pénale en général.
Il n'existe aucun droit à une liste de jurés d'une composition précise, ni à une liste qui représente proportionnellement tous les différents groupes de la société canadienne. Exiger qu'une liste de jurés représente proportionnellement les différentes religions, races, cultures ou autres caractéristiques personnelles des personnes habiles à être jurés engendrerait plusieurs problèmes insolubles. Il existe un nombre infini de caractéristiques qu'on pourrait considérer comme devant être représentées et, même si l'on utilisait une liste brute parfaite, il serait impossible d'établir une liste de jurés qui les représente entièrement. Exiger une représentation proportionnelle reviendrait aussi à écarter des principes bien établis, comme le droit à la vie privée des jurés et la sélection aléatoire. Ces principes seraient remplacés par un examen des antécédents des candidats jurés et par l'obligation pour l'État de cibler des groupes particuliers pour les inscrire sur la liste des jurés. Une telle approche serait inapplicable et entraînerait la disparition de notre système de jury dans sa forme actuelle.
La province s'est acquittée de son obligation de représentativité en l'espèce. La Cour d'appel a soulevé des points susceptibles d'être litigieux relativement à trois volets du processus : les listes, la distribution et le faible taux de réponse. Appréciés en fonction de ce que l'on savait à l'époque et en regard de la norme appropriée, les efforts déployés par la province pour faire participer les résidents autochtones des réserves au processus de sélection des jurés étaient raisonnables. Par conséquent, il n'y a pas eu violation des al. 11 d ) ou 11 f ) de la Charte . Bien que le problème de la sous‑représentation des résidents autochtones des réserves dans le système de jury soit une sérieuse préoccupation de principe qui mérite qu'on s'y attarde, les droits garantis à l'accusé par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte ne constituent pas le moyen approprié de répondre à cette préoccupation.
Il faut aussi rejeter les prétentions de l'accusé fondées sur l' art. 15 de la Charte . S'agissant de sa prétention personnelle fondée sur l' art. 15 , l'accusé n'a pas clairement formulé de désavantage. S'agissant de sa demande visant à obtenir la qualité pour agir dans l'intérêt public afin de faire valoir une réclamation fondée sur l' art. 15 au nom des résidents autochtones d'une réserve qui étaient des candidats jurés, elle ne peut être accueillie parce que l'accusé risque d'avoir des intérêts divergents, voire contradictoires, de ceux des candidats jurés.
La juge Karakatsanis : Les droits à un procès équitable reconnus par l' art. 11 de la Charte permettent à l'accusé d'être jugé par un jury indépendant et impartial, issu d'une liste de jurés dressée au moyen d'un processus équitable et neutre de sélection aléatoire à partir de listes brutes provenant d'un large échantillon, sans exclusion délibérée ou importante. Ce critère a été respecté en l'espèce.
La représentativité ne nécessite pas une liste de jurés qui reflète ce à quoi ressemblerait un échantillon aléatoire de la collectivité. Si l'on adopte une telle démarche fondée sur l'identité, cela constituerait un écart important par rapport à la jurisprudence et à l'expérience canadiennes. La représentativité du jury vise à permettre au jury d'exercer ses fonctions importantes de juge des faits et de lien entre le processus judiciaire et la collectivité dans son ensemble. Ce droit a un sens limité en droit canadien. Il ne signifie pas que le jury doit correspondre à un échantillon de la collectivité ou de ses différents points de vue ou caractéristiques. Il décrit plutôt le fonctionnement du jury en tant qu'institution, dans laquelle des profanes sont chargés de contribuer au processus de justice pénale et de fournir le lien essentiel entre ce système et l'ensemble de la collectivité. Le jury agit au nom de la société et, de ce fait, il la représente. Il ne tire pas sa légitimité du fait que ses membres reflètent la démographie de cette collectivité.
La fonction de représentant qui incombe au jury est assurée par le recours à un processus de sélection équitable et aléatoire, fondé sur des listes brutes largement inclusives, qui n'exclut pas délibérément ou de façon importante un segment de la collectivité. La représentativité nécessite davantage que le déploiement d'efforts raisonnables pour utiliser un tel processus. C'est le caractère adéquat du processus employé et non la qualité des efforts de l'État qui détermine si les droits que la Charte garantit à l'accusé ont été violés.
Il est essentiel de faire en sorte que les listes brutes soient produites à partir d'un large éventail de membres de la collectivité, mais la perfection n'est pas nécessaire. Il faut donner aux provinces la latitude d'employer un processus de sélection pratique eu égard à la nature des listes brutes généralement disponibles. L'État doit également faire en sorte que le mécanisme employé pour communiquer avec les candidats jurés sélectionnés ne mine pas la qualité généralisée et aléatoire de la liste des jurés.
L'exclusion involontaire de certains segments de la collectivité de la liste des jurés n'équivaut pas à un vice constitutionnel. Même les meilleures listes brutes excluront encore certaines personnes, et cette exclusion par inadvertance peut toucher certains groupes de façon disproportionnée. Cela ne suffit pas en soi pour établir une violation de l' art. 11 de la Charte . Puisqu'il n'existe pas de listes brutes parfaites, l'État doit bénéficier d'une marge de manœuvre dans le choix de la liste brute. Cette marge de manœuvre prend également en compte la latitude importante qu'il faut donner aux gouvernements pour définir les limites de districts judiciaires, lesquelles sont établies à des fins administratives et pratiques et qui n'ont pas à assurer la représentation d'une collectivité ou d'un groupe en particulier.
Par contre, l'État peut, dans des circonstances exceptionnelles, violer les droits garantis à l'accusé par la Charte en excluant de façon involontaire mais importante une couche de la population. Il se peut que l'importance de cette exclusion soit telle que le jury ne soit pas en mesure d'exercer sa fonction représentative, le privant ainsi de sa légitimité aux yeux de la société et minant son indépendance et son impartialité. Dans les cas où la liste des jurés est à ce point lacunaire que la société n'admettrait plus qu'un jury constitué à partir de cette liste puisse légitimement agir en son nom, il y a violation des droits que les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte garantissent à l'accusé.
L'exclusion délibérée de certaines couches de la population de la liste des jurés la rendrait inconstitutionnelle. Une liste de jurés viciée par une telle exclusion délibérée ne peut être considérée avoir été dressée équitablement et au hasard à partir de la collectivité dans son ensemble, et on ne saurait pas non plus la qualifier d'indépendante et d'impartiale. Un accusé aura donc gain de cause dans sa contestation s'il établit une exclusion délibérée visant à limiter la représentation de certains groupes dans le processus de sélection des jurés.
Les droits de l'accusé à un procès équitable n'obligent pas l'État à inciter ceux qui ne veulent pas le faire à participer à la sélection des jurés. L' article 11 de la Charte n'impose à l'État aucune obligation d'encourager la participation ou de réparer des relations mises à mal qui peuvent amener certains à se désengager du système de justice. L' article 11 ne va tout simplement pas jusqu'à obliger l'État à s'attaquer aux raisons de cette désaffection pour faire respecter le droit de l'accusé à un jury impartial, indépendant et représentatif.
Dans le cas présent, l'accusé n'a pas établi que la liste des jurés à partir de laquelle on avait constitué son jury avait été dressée d'une manière qui violait les droits que lui garantit l' art. 11 de la Charte . S'agissant des prétentions fondées sur l' art. 15 de la Charte , il est inopportun en l'espèce de décider si les droits à l'égalité des Autochtones sont en cause par suite de l'aliénation de ces derniers à l'égard du système de justice et de leur sous‑représentation sur les listes de jurés.
La juge en chef McLachlin et le juge Cromwell (dissidents) : La sélection d'un jury régulièrement constitué assure les assises nécessaires à la tenue d'un procès équitable et à la confiance du public envers l'administration de la justice. Notre conception d'un jury régulièrement formé repose essentiellement sur la condition qu'il soit constitué dans un district donné à partir d'un échantillon aléatoire de personnes habiles à remplir les fonctions de jurés qui, de par cette sélection au hasard, sont représentatives de la population de ce district. Au Canada, la Charte ne garantit pas de droit distinct à un jury représentatif. Toutefois, la représentativité — en ce sens que la liste des jurés résulte d'un tirage au sort effectué à partir d'un bassin acceptable de candidats jurés — s'inscrit dans le droit à un procès avec jury et le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial garantis par les al. 11 f ) et 11 d ) de la Charte . L' alinéa 11 f ) de la Charte constitutionnalise l'institution du jury comme composante fondamentale du système canadien de justice pénale. La représentativité est partie intégrante de cette composante et constitue l'une des caractéristiques fondamentales d'un jury régulièrement formé. La représentativité, tout comme l'impartialité, est essentielle pour que l'institution du jury joue son rôle de conscience de la collectivité et pour que l' al. 11 f ) ait un véritable effet. La représentativité constitue également l'un des éléments qui font du jury un tribunal indépendant et impartial au sens où il faut l'entendre pour l'application de l' al. 11 d ) de la Charte . Ainsi, les vices de formation du jury qui touchent son caractère représentatif seront analysés pour savoir s'il y a eu violation à l' al. 11 d ) . Suivant la protection que lui confèrent les al. 11 d ) et 11 f ), le droit à la représentativité de la liste des jurés est un droit conféré à l'inculpé, et non à des groupes précis ou à la collectivité en général. Il n'existe pas dans ces dispositions de droit correspondant permettant à la collectivité en général ou à un groupe précis de faire partie d'une liste de jurés, d'un tableau de jurés ou d'un petit jury.
L'aspect central de la représentativité est la question de savoir si la liste des jurés, qui sert à la sélection des jurés, est aussi représentative de la collectivité que le serait un groupe de personnes choisies aléatoirement au sein de cette même collectivité. Ainsi, la sélection aléatoire est l'instrument de la représentativité. Une liste des jurés représentative ressemble sensiblement au groupe de personnes qui serait réuni à l'issue d'un processus de sélection au hasard effectuée parmi toutes les personnes habiles à remplir les fonctions de jurés dans une collectivité donnée. Or, la sélection aléatoire n'est un bon instrument de la représentativité que si le bassin de personnes auquel elle s'applique quand il s'agit de dresser la liste des jurés résulte lui‑même d'un vaste échantillonnage au sein de la collectivité.
Pour obtenir une liste des jurés représentative, il faut que deux conditions soient réunies. Premièrement, les listes brutes à partir desquelles sera effectuée la sélection aléatoire doivent être sensiblement représentatives du district. La liste des jurés ne sera suffisamment représentative de la population du district que si la liste brute des personnes à qui les avis peuvent être envoyés est aussi complète et aussi exacte que possible et qu'elle ressemble sensiblement à un échantillon pris au hasard parmi toutes les personnes habiles à être jurés dans le district. Deuxièmement, le groupe constitué des personnes habiles à remplir les fonctions de jurés qui retournent les formules de rapport doit ressembler sensiblement à un échantillon aléatoire de la liste brute. L'État doit donc examiner certains éléments, par exemple, la proportion d'avis et de formules de rapport réellement reçus et les facteurs susceptibles d'influer sur le taux de réponse. Si le groupe constitué des personnes qui retournent les formules ne ressemble pas sensiblement à un échantillon de personnes choisies au hasard sur la liste brute, le fondement entier de la représentativité est en péril parce que le caractère aléatoire n'est alors plus l'instrument de la représentativité.
Des raisons d'ordre pratique et de principe étayent cette conception de la sélection aléatoire comme instrument de la représentativité. S'il fallait définir plus largement la représentativité dans ce contexte, d'interminables débats s'ensuivraient pour savoir qui le jury doit représenter et sur la base de quelles caractéristiques. Définir toutes les facettes possibles de la représentativité d'un jury — et, de surcroît, dresser une liste des jurés qui les refléteraient toutes — présenterait des difficultés d'ordre pratique insurmontables et entraînerait une incursion grave dans la vie privée des candidats jurés. Ces considérations de principe et d'ordre pratique signifient que nous devons nous garder d'élargir la portée des obligations de communication du ministère public ou d'exposer la vie privée des candidats jurés. Concrètement, la protection de la vie privée d'un juré signifie qu'un accusé sera rarement en mesure d'établir la sous‑représentation d'un groupe donné à moins de dénoncer le caractère inadéquat de la liste brute ou une autre dérogation importante au principe de la sélection aléatoire.
Il est possible d'établir une sélection aléatoire lacunaire en démontrant des vices dans le processus, par exemple qu'un grand nombre de personnes habiles à remplir les fonctions de jurés ont été exclues de la liste des jurés. Or, il existe d'autres moyens de démontrer un écart par rapport à une sélection aléatoire en bonne et due forme. Que l'analyse soit axée sur le processus de sélection aléatoire ne signifie pas que les résultats du processus ne comptent pas lorsqu'il s'agit de déterminer si ce dernier était acceptable. On ne saurait faire fi des résultats lorsqu'ils démontrent clairement un écart considérable par rapport à un processus en bonne et due forme de sélection aléatoire.
La Charte protège contre les interventions attentatoires de l'État. Pour prouver une violation de la Charte , le demandeur doit, par conséquent, non seulement établir que les droits qu'il tire de la Charte ont été restreints, mais aussi que cette restriction est attribuable à une action de l'État. La question qui se pose est celle de savoir s'il existe un lien suffisant entre les actes de l'État et la restriction du droit, de sorte qu'il est possible d'affirmer que cette limite est le fait de l'État. Bien que le critère du lien de causalité suffisant ait principalement servi dans le contexte de l' art. 7 , un critère semblable a également été appliqué à l'égard d'autres dispositions de la Charte et de lois provinciales en matière de droits de la personne et convient dans la présente affaire. Le point de départ de l'analyse n'est pas les efforts que l'État a déployés pour se conformer; il faut plutôt se demander si la liste des jurés était représentative. Si elle ne l'était pas, il faut donc déterminer si ce défaut est attribuable à une action de l'État, à savoir s'il existe un lien suffisant entre la restriction du droit et l'action — ou l'omission — de l'État. Pour déterminer si l'État a respecté ses obligations découlant de la Charte , il faut évaluer sa conduite à la lumière des actes par lesquels il a contribué au problème et de sa capacité à le régler. Lorsqu'une restriction du droit intervient dans une matière qui ressortit entièrement ou en grande partie à l'État, il existe un lien évident entre l'action ou l'omission de l'État et la restriction du droit en question. Dans ces cas, le critère fondé sur les « efforts raisonnables » ne reflète pas la nature de l'obligation de l'État : le respect des droits constitutionnels n'est ni facultatif ni (sous réserve des limites justifiées) fonction des efforts requis. En revanche, l'État ne peut être tenu responsable lorsque l'acte attentatoire intervient dans une matière qui ne lui ressortit pas. Quant aux cas qui se situent quelque part entre ces deux situations, la réponse à la question de savoir s'il existe un lien suffisant entre la restriction du droit et l'action de l'État dépendra de la capacité de ce dernier d'intervenir pour régler le problème dans la matière où la restriction agit et des efforts raisonnables qu'il aura déployés pour y parvenir.
En l'espèce, la liste des jurés n'était pas représentative, car sa composition se distinguait nettement de celle qui aurait résulté d'une sélection aléatoire effectuée parmi toutes les personnes habiles à être jurés dans le district, car les résidents autochtones de réserves y étaient sous‑représentés. Parmi les quatre facteurs qui ont contribué à la non‑représentativité de la liste des jurés, deux — les listes brutes et la distribution des avis de sélection de juré — incombaient à l'État, et il était en son pouvoir de s'en acquitter. Les deux autres — le faible taux de réponse aux avis et la marginalisation des Autochtones au sein du système de justice pénale — étaient des problèmes auxquels l'État pouvait remédier en partie, mais il n'a pas déployé d'efforts raisonnables pour ce faire. Par conséquent, il existe un lien suffisant entre l'action et l'omission de l'État d'une part et la non‑représentativité de la liste des jurés d'autre part pour conclure que l'État a porté atteinte au droit de l'accusé à une liste des jurés représentative garanti par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte .
Pour déterminer en quoi consiste la réparation convenable à l'omission de l'État de fournir une liste des jurés représentative, il faut examiner l'ensemble des circonstances, notamment la nature de l'atteinte aux droits de l'accusé et son effet sur la confiance du public dans l'administration de la justice. L'étape de l'instance à laquelle le problème est soulevé est également pertinente. Si, comme en l'espèce, la question est soulevée pour la première fois après le prononcé du verdict, un jugement déclaratoire portant qu'il y a eu atteinte aux droits de l'inculpé pourrait constituer la réparation convenable pourvu que ce dernier n'ait pas établi qu'un nouveau procès est le seul moyen de rétablir la confiance du public dans l'administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances. En l'espèce, la Cour d'appel n'a commis aucune erreur susceptible d'annulation en ordonnant la tenue d'un nouveau procès en vertu de son pouvoir discrétionnaire. L'omission de fournir une liste des jurés représentative a miné la confiance du public dans l'administration de la justice.
Jurisprudence
Citée par le juge Moldaver
Arrêts mentionnés : R. c. Fiddler , [1994] 4 C.N.L.R. 99; R. c. Gladue , [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509; R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65; R. c. Laws (1998), 41 O.R. (3d) 499; R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405; R. c. Bradley (No. 2) (1973), 23 C.R.N.S. 39; R. c. Find , 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863; R. c. Brown (2006), 215 C.C.C. (3d) 330; Valente c. La Reine , [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Bain , [1992] 1 R.C.S. 91; R. c. Lippé , [1991] 2 R.C.S. 114; R. c. Williams , [1998] 1 R.C.S. 1128; R. c. Nahdee , [1994] 2 C.N.L.R. 158; R. c. Kokopenace , 2011 ONCA 536; R. c. Butler (1984), 63 C.C.C. (3d) 243; R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761; Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général) , 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623; Pierre c. McRae, Coroner , 2011 ONCA 187, 104 O.R. (3d) 321 .
Citée par la juge Karakatsanis
Arrêts mentionnés : R. c. Davey , 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509; R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761; R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien) , [1999] 2 R.C.S. 203.
Citée par le juge Cromwell (dissident)
R. c. Barrow , [1987] 2 R.C.S. 694; R. c. Turpin , [1989] 1 R.C.S. 1296; R. c. Davey , 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828; R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509; R. c. Born with a Tooth (1993), 81 C.C.C. (3d) 393; R. c. Williams , [1998] 1 R.C.S. 1128; R. c. Yumnu , 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777; R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65; R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761; R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405; R. c. Buckingham , 2007 NLTD 107, 221 C.C.C. (3d) 568; R. c. Butler (1984), 63 C.C.C. (3d) 243; R. c. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324; R. c. Big M Drug Mart Ltd. , [1985] 1 R.C.S. 295; R. c. Find , 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863; R. c. Yooya , [1995] 1 C.N.L.R. 166; R. c. Teerhuis‑Moar , 2010 MBCA 102, 222 C.R.R. (2d) 207; R. c. Pan , 2001 CSC 42, [2001] 2 R.C.S. 344; R. c. Nahdee , [1994] 2 C.N.L.R. 158; Pierre c. McRae, Coroner , 2011 ONCA 187, 104 O.R. (3d) 321 ; Canada (Procureur général) c. Bedford , 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101; Kazemi (Succession) c. République islamique d'Iran , 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176; Symes c. Canada , [1993] 4 R.C.S. 695; Québec (Procureur général) c. A , 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; R. c. Askov , [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin , [1992] 1 R.C.S. 771; Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation) , 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360; R. c. W.E.B. , 2014 CSC 2, [2014] 1 R.C.S. 34; R. c. Clark , 2005 CSC 2, [2005] 1 R.C.S. 6; Housen c. Nikolaisen , 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; R. c. O'Connor , [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Gladue , [1999] 1 R.C.S. 688; R. c. Ipeelee , 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l'Éducation) , 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Canada (Premier ministre) c. Khadr , 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; R. c. Regan , 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297; R. c. Babos , 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass , [1997] 3 R.C.S. 391; R. c. Carosella , [1997] 1 R.C.S. 80; Morin c. The Queen (1890), 18 R.C.S. 407; McLean c. The King , [1933] R.C.S. 688; R. c. Bird , [1984] 1 C.N.L.R. 122; R. c. Snow (2004), 73 O.R. (3d) 40; R. c. Cameron (1991), 2 O.R. (3d) 633; R. c. Fiddler , [1994] 4 C.N.L.R. 99; Rojas c. Berllaque , [2003] UKPC 76, [2004] 1 W.L.R. 201; R. c. Ellis , [2011] NZCA 90, [2011] 4 L.R.C. 515.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 1 , 7 , 11 , 15 , 24(1) , 32 .
Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , art. 629 , 630 , 631 , 632 , 633 , 634 à 638 , 639 à 642 , 644 .
Human Rights Code , R.S.B.C. 1996, c. 210.
Loi sur l'évaluation foncière , L.R.O. 1990, c. A.31, art. 15.
Loi sur les coroners , L.R.O. 1990, c. C.37.
Loi sur les jurys , L.R.O. 1990, c. J.3, art. 2 à 4, 5, 6(1), (2), (5), (8), 8, 9, 12, 15 à 18.1, 19, 38(3).
Doctrine et autres documents cités
Black's Law Dictionary , 10th ed. by Bryan A. Garner, ed., St. Paul (Minn.), Thomson Reuters, 2014, « jury ».
Blackstone, William. Commentaries on the Laws of England , Book III, Oxford, Clarendon Press, 1768.
Blackstone, William. Commentaries on the Laws of England , Book IV, Oxford, Clarendon Press, 1769.
Brown, R. Blake. A Trying Question : The Jury in Nineteenth‑Century Canada , Toronto, University of Toronto Press, 2009.
Canada. Commission de réforme du droit. Document de travail 27. Le jury en droit pénal , Ottawa, La Commission, 1980.
Ewaschuk, E. G. Criminal Pleadings & Practice in Canada , vol. 2, 2nd ed., Aurora (Ont.), Canada Law Book, 1987 (loose‑leaf updated December 2014, release 114).
Granger, Christopher. The Criminal Jury Trial in Canada , 2nd ed., Scarborough (Ont.), Carswell, 1996.
Iacobucci, Frank. La représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario : Rapport de l'examen indépendant mené par l'honorable Frank Iacobucci , Toronto, Ministère du Procureur général de l'Ontario, 2013.
Manitoba. Public Inquiry into the Administration of Justice and Aboriginal People. Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba , vol. 1, Winnipeg, The Inquiry, 1991.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Goudge, LaForme et Rouleau), 2013 ONCA 389, 115 O.R. (3d) 481, 306 O.A.C. 47, 285 C.R.R. (2d) 77, 4 C.R. (7th) 67, 299 C.C.C. (3d) 48, [2013] 4 C.N.L.R. 273, [2013] O.J. No. 2752 (QL), 2013 CarswellOnt 7938 (WL Can.), qui a annulé la déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et le juge Cromwell sont dissidents.
Gillian E. Roberts , Deborah Calderwood et Michael Fawcett , pour l'appelante.
Jessica Orkin , Delmar Doucette , Andrew Furgiuele et Angela Ruffo , pour l'intimé.
Brian H. Greenspan , Katherine Hensel et Promise Holmes Skinner , pour l'intervenante Advocates' Society.
Julian N. Falconer , Julian Roy et Marc E. Gibson , pour l'intervenante la Nation Nishnawbe Aski.
Cheryl Milne et Kim Stanton , pour les intervenants David Asper Centre for Constitutional Rights et le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, inc. (FAEJ) .
Mary Eberts , pour les intervenantes l' Association des femmes autochtones du Canada et l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry .
Christa Big Canoe et Jonathan Rudin , pour l'intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc.

Version française du jugement des juges Rothstein, Moldaver, Wagner et Gascon rendu par

Le juge Moldaver —
I. Introduction
[1] Le droit d'être jugé par un jury formé de ses pairs est l'une des pierres angulaires de notre système de justice pénale. Il est consacré par deux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés : le droit, prévu par l' al. 11 d ) , à un procès équitable devant un tribunal impartial et le droit, prévu par l' al. 11 f ) , à un procès devant jury. Pourtant, malgré l'importance de ce droit, c'est la première fois que la Cour est appelée à se prononcer sur les efforts que l'État doit déployer pour faire en sorte qu'un jury soit « représentatif » de la collectivité. Cet examen soulève à son tour les questions connexes de la définition que devrait recevoir la représentativité et du rôle qu'elle devrait jouer dans les droits garantis par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte . Pour répondre à ces questions, il faut se rappeler que le droit à un jury représentatif est un droit de l'accusé qui favorise l'équité de son procès en apparence et dans les faits. Il ne s'agit pas d'un moyen de réparer la relation mise à mal entre certains groupes de la société et notre système de justice pénale en général, et ce droit ne devrait pas servir à cette fin.
[2] À mon avis, la représentativité met l'accent sur la procédure utilisée pour dresser la liste des jurés, et non sur sa composition finale. L'État respecte donc le droit de l'accusé à un jury représentatif en donnant à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés. Une telle possibilité est fournie lorsque l'État déploie des efforts raisonnables pour : (1) dresser la liste des jurés en sélectionnant ceux‑ci au hasard à partir de listes brutes issues d'un large échantillon de la société et (2) envoyer des avis de sélection de juré aux personnes choisies au hasard. Quand cette procédure est suivie, la liste des jurés est représentative et le droit à un jury représentatif que la Charte garantit à l'accusé est respecté.
[3] Je suis convaincu qu'il n'y a pas eu de violations de la Charte en l'espèce. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi.
II. Contexte
[4] Clifford Kokopenace est un Autochtone de la Première Nation de Grassy Narrows dans le district de Kenora. Il a été accusé de meurtre au deuxième degré pour avoir poignardé son ami à mort durant une altercation. Au terme d'un procès devant juge et jury en 2008, il a été acquitté de l'accusation de meurtre, mais déclaré coupable de l'infraction moindre et incluse d'homicide involontaire coupable. Avant le prononcé de la sentence, l'avocat qui le représentait au procès a appris qu'il y avait peut‑être eu des irrégularités concernant les mesures prises pour inscrire les résidents autochtones des réserves sur la liste des jurés du district de Kenora, ce qui suscitait des interrogations au sujet de la représentativité du jury dans le cas de M. Kokopenace. Le juge du procès, le juge Stach, a refusé d'ajourner l'instance pour instruire une demande d'annulation du procès puisqu'il se considérait dessaisi de l'affaire. La question de la représentativité a donc été soulevée pour la première fois en appel devant la Cour d'appel de l'Ontario.
[5] En Cour d'appel, M. Kokopenace a prétendu que son jury avait été constitué à partir d'une liste de jurés qui n'assurait pas adéquatement la participation des résidents autochtones des réserves. Comme la liste des jurés serait le fruit d'une procédure inadéquate, il a soutenu que ses droits garantis aux al. 11 d ) et 11 f ) et à l' art. 15 de la Charte avaient été violés. De nouveaux éléments de preuve volumineux ont été présentés relativement aux mesures que l'Ontario avait prises durant plusieurs années pour dresser les listes de jurés du district de Kenora.
[6] La Cour d'appel a rendu trois opinions. Deux des juges — les juges LaForme et Goudge — ont conclu que les droits garantis à M. Kokopenace par les al. 11 d ) et 11 f ) avaient été violés et ont ordonné la tenue d'un nouveau procès pour cette raison. Le juge Rouleau, dissident, a conclu que l'Ontario avait déployé des efforts raisonnables pour inscrire des Autochtones résidant dans une réserve sur la liste des jurés. Il aurait donc rejeté l'appel. Les trois juges ont tous rejeté les prétentions de M. Kokopenace fondées sur l' art. 15 .
[7] Le ministère public se pourvoit maintenant devant notre Cour, et M. Kokopenace réitère ses prétentions fondées sur l' art. 15 .
III. Le processus de sélection des jurés dans le district de Kenora
A. Aperçu du processus de sélection des jurés en Ontario
[8] Pour être habile à remplir les fonctions de juré en Ontario, la personne doit être âgée d'au moins 18 ans, avoir la citoyenneté canadienne et résider en Ontario. Cette habilité est assortie de plusieurs autres restrictions, dont des exemptions liées à la profession de la personne ou à sa possession d'un casier judiciaire : Loi sur les jurys , L.R.O. 1990, c. J.3, art. 2‑4. La sélection des jurés se fait en trois étapes à partir du bassin des personnes habiles :
1. La préparation de la liste des jurés, composée de personnes sélectionnées au hasard dans la collectivité de chaque district judiciaire de l'Ontario.
2. La sélection des personnes inscrites sur la liste des jurés qui formeront le tableau des jurés lors des sessions du tribunal. Les tableaux des jurés constituent les bassins à partir desquels les jurés sont sélectionnés pour les procès.
3. La sélection du jury (également connu sous le nom de petit jury), à partir du tableau des jurés, qui remplira ses fonctions dans un procès criminel donné.
[9] En Ontario, les deux premières étapes sont régies par la Loi sur les jurys tandis que la troisième est régie par le Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 . La contestation de l'intimé vise la première étape du processus : la préparation de la liste des jurés.
[10] La Loi sur les jurys exige qu'une liste de jurés soit préparée chaque année par des fonctionnaires provinciaux pour chacun des districts judiciaires de l'Ontario. La même liste est utilisée pour tous les procès tenus dans un district au cours d'une année civile donnée. Suivant le par. 6(2) de cette loi, l'Ontario dresse ses listes de jurés en fonction des listes d'évaluation municipale qu'elle reçoit de la Société d'évaluation foncière des municipalités (la « SEFM »). Cette dernière effectue un recensement une fois tous les trois ans et ses listes ne sont pas mises à jour entre les recensements.
[11] Les données de la SEFM ne tiennent pas compte des personnes qui habitent dans les réserves des Premières Nations. Voilà pourquoi le par. 6(8) de la Loi sur les jurys prévoit une procédure distincte pour inscrire ces résidents sur les listes de jurés. Le par. 6(8) prévoit :
Pour dresser une liste de jurés pour un comté ou un district où se trouve une réserve indienne, le shérif sélectionne le nom des habitants de la réserve habiles à être membres d'un jury comme si la réserve était une municipalité et, à cette fin, il peut obtenir le nom des habitants de la réserve en consultant tout registre disponible.
[12] Les par. 6(2) et 6(8) visent tous deux l'envoi, à chaque municipalité ou réserve, du nombre d'avis de sélection qui est approximativement proportionnel au pourcentage, dans cette municipalité ou réserve, de la population totale du district judiciaire.
[13] En fait, les fonctions attribuées au shérif par le par. 6(8) sont exercées par divers fonctionnaires provinciaux et municipaux dans chaque district judiciaire. Les employés de la Division des services aux tribunaux (la « DST ») sont responsables de presque tout le processus de sélection des habitants d'une réserve qui figureront sur la liste des jurés. Ils obtiennent les listes des résidents d'une réserve qui seront utilisées dans le processus de sélection des jurés, calculent le nombre d'avis de sélection de juré requis (également appelés questionnaires), sélectionnent aléatoirement les habitants d'une réserve qui recevront des avis de sélection, préparent les avis de sélection et les envoient par courrier aux destinataires choisis. Le Centre provincial de sélection des jurés (le « CPSJ ») est chargé de fournir à chaque bureau de la DST le nombre de questionnaires qu'il faut envoyer par la poste aux résidents des réserves. Le CPSJ reçoit les questionnaires remplis par les habitants de la réserve sélectionnés, puis inscrit le nom des personnes habiles dans le système de sélection des jurés utilisé pour dresser la liste des jurés.
B. La PDB n o 563 et les listes utilisées pour l'application du par. 6(8)
[14] La PDB n o 563 était la directive d'orientation du ministère du Procureur général de l'Ontario qui servait de guide au personnel de la DST pour appliquer la procédure prévue par le par. 6(8) à l'époque en cause. Elle indiquait que les employés de la DST doivent :
• établir, vérifier et confirmer les réserves situées dans leur comté ou district;
• tenter d'obtenir les listes électorales des bandes ou toute autre liste exacte de résidents, en écrivant des lettres, en téléphonant ou en visitant les réserves du district;
• calculer le nombre de questionnaires à envoyer aux résidents des réserves;
• sélectionner au hasard le nombre nécessaire de personnes à qui il faut envoyer des questionnaires à partir de la meilleure liste disponible;
• fournir des rapports provisoires et finaux au CPSJ à certains stades du processus.
[15] La PDB n o 563 encourageait les employés à tenter d'obtenir les meilleures listes disponibles de résidents des réserves. Elle chargeait à cette fin les employés de solliciter les listes électorales des bandes [ traduction ] « ou toute autre liste exacte de résidents ».
[16] En outre, la PDB n o 563 indiquait que les listes fournies par le ministère fédéral connu à l'époque sous le nom d'Affaires indiennes et du Nord Canada (« AINC ») n'étaient pas les meilleures listes disponibles parce qu'elles comprenaient le nom des membres d'une bande qui n'habitaient pas la réserve. Par contre, si les employés de la DST ne réussissaient pas à obtenir une meilleure liste auprès de la bande, ils avaient pour pratique courante d'utiliser les listes d'AINC. Jusqu'en 2001, AINC fournissait régulièrement ses listes à l'Ontario pour l'application du par. 6(8). Toutefois, cette année‑là, AINC a cessé de fournir les listes des bandes à la DST, apparemment par souci de respect de la vie privée. Depuis ce temps, la nécessité des démarches prises par les employés de la DST pour obtenir des listes directement auprès des réserves des Premières Nations s'est fait de plus en plus sentir, les listes d'AINC devenant de plus en plus désuètes d'une année à l'autre.
C. L'établissement des listes de jurés dans le district de Kenora
[17] Le district de Kenora compte un grand nombre de réserves, qui sont associées à environ 46 Premières Nations différentes. Les adultes des réserves représentent entre 21 et 32 pour 100 de la population adulte du district.
[18] Le taux de réponse aux avis de sélection de juré chez les résidents des réserves dans le district de Kenora a connu un déclin important au fil des ans. En 1993, le taux de renvoi des questionnaires remplis des jurés dans le district était d'environ 33 pour 100 chez les résidents des réserves et d'environ 60 à 70 pour 100 chez les collectivités hors réserve : R. c. Fiddler , [1994] 4 C.N.L.R. 99 (C. Ont. (Div. gén.)), p. 114. À cette époque, le bureau de la DST de Kenora a commencé à joindre une lettre additionnelle aux avis de sélection de juré destinés aux résidents des réserves pour les aider à comprendre le processus de sélection des jurés. La lettre était écrite en anglais, mais une traduction en ojibwé et en oji‑cri était également jointe. Malgré l'ajout de cette lettre, le taux de réponse des résidents des réserves n'a pas augmenté. En 2002, il avait chuté à 15,8 pour 100 et en 2008 (l'année en cause dans le présent pourvoi), il avait baissé à 10 pour 100.
(1) L'envoi d'avis de sélection de juré aux résidents des réserves dans le district de Kenora
[19] Bon nombre des collectivités des Premières Nations du district de Kenora sont isolées et accessibles uniquement par voie aérienne. Les habitants de ces collectivités ne possèdent généralement pas de boîte aux lettres à leur lieu de résidence. Certains disposent d'une boîte postale communautaire ou possèdent une case postale individuelle au bureau de poste. Pour d'autres personnes, le courrier est conservé au bureau de poste et elles doivent le récupérer auprès du commis des postes.
[20] Les avis de sélection de juré destinés aux résidents d'une réserve sont envoyés à une adresse de « poste restante ». Le courrier distribué de cette façon est envoyé au bureau de poste communautaire, mais n'est pas livré à des cases postales individuelles ou communautaires. Les employés des postes font ensuite un tri du courrier selon leur connaissance des habitants de la réserve et tentent ainsi de livrer les avis à la boîte postale communautaire ou aux cases postales des destinataires. Les commis des postes ont tendance à connaître les résidents de ces petites collectivités et, s'ils connaissent le destinataire, ils déposeront la lettre dans sa boîte postale communautaire ou dans sa case postale au lieu de la retourner à l'expéditeur. S'il n'y a pas de case postale désignée ou si les commis ne connaissent pas le destinataire, ils mettent la lettre qui lui est destinée de côté et vérifient si son nom figure sur la liste des clients pour tenter de déterminer la bonne case postale. Le courrier qui n'est pas réclamé dans les 30 jours et qui n'a pas été livré à une boîte postale communautaire ou une case postale est habituellement retourné à l'expéditeur par le bureau de poste.
(2) La mise en application du par. 6(8) dans le district de Kenora
[21] Durant la période pertinente en l'espèce, les fonctions que le par. 6(8) confie au shérif ont été exercées dans le district de Kenora par Laura Loohuizen, la chef de groupe au bureau local de la DST. Madame Loohuizen a commencé à faire le travail prévu au par. 6(8) en 2001, année durant laquelle elle a reçu les listes de résidents d'une réserve utilisées par son prédécesseur. Elle a reçu les listes d'AINC pour 42 des 43 réserves qui, selon elle, relevaient du district. Aucune liste n'avait été fournie pour la 43 e réserve, Neskantaga/Lansdowne House.
[22] Madame Loohuizen n'a reçu aucune formation concernant les limites du district ou sur la façon d'accomplir le travail prévu au par. 6(8). Toutefois, elle s'est renseignée auprès du CPSJ sur la marche à suivre pour obtenir des listes à jour. Dans l'exercice de ses fonctions, elle s'est fondée sur les directives énoncées dans la PDB n o 563, les consignes de ses superviseurs au bureau de la DST, les directives du CPSJ ainsi que les conseils fournis par le juge Stach, un juge respecté et siégeant depuis longtemps à la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans le district de Kenora. Bien que M me Loohuizen se soit fondée sur la PDB n o 563, les rapports provisoires et finaux qui y sont prévus n'étaient parfois pas achevés — ou s'ils l'étaient, ils ne contenaient pas tous les renseignements nécessaires. Des rapports entièrement terminés auraient exposé en détail les mesures prises pour obtenir des listes à jour, l'efficacité de ces mesures et le nombre de questionnaires envoyés aux réserves.
[23] Madame Loohuizen a déployé des efforts répétés et croissants au fil des ans pour se procurer des listes à jour auprès des réserves. Cependant, elle a eu beaucoup de difficulté à obtenir la collaboration de bon nombre d'entre elles et devait souvent accomplir son travail prévu par le par. 6(8) au moyen de listes inexactes ou désuètes.
D. Efforts déployés en 2007 pour dresser la liste des jurés de 2008
[24] En 2007, pour la première fois, le CPSJ a informé M me Loohuizen des statistiques montrant le faible taux de réponse des résidents des réserves. Les chiffres indiquaient qu'en réponse aux envois de 2006 (pour dresser la liste des jurés de 2007), le taux de renvoi de la part des résidents des réserves était de 10,72 pour 100 comparativement à 56 pour 100, le taux de réponse enregistré chez les résidents hors réserve. Parmi les questionnaires envoyés aux résidents des réserves, 72 pour 100 n'ont pas été retournés et 17 pour 100 ont été retournés par le bureau de poste à titre d'envoi non livrable; ces statistiques étaient nettement inférieures à celles concernant les résidents hors réserve.
[25] Madame Loohuizen a communiqué ces résultats au juge Stach, qui avait donné à l'occasion des conseils sur la procédure établie au par. 6(8), et il a été décidé qu'il fallait envoyer près de 50 pour 100 plus de questionnaires aux résidents des réserves. Les supérieurs de M me Loohuizen au bureau de la DST de Kenora ont également décidé qu'elle visiterait plusieurs réserves du district pour rencontrer les dirigeants des bandes afin de discuter des questions de représentativité des jurys.
[26] En 2007 également, M me Loohuizen s'est renseignée sur les limites du district de Kenora. Sa demande faisait apparemment suite aux questions qui découlaient d'une enquête imminente du coroner. Après avoir demandé ces renseignements, elle s'est rendu compte qu'elle avait exclu par inadvertance deux réserves de ses fonctions prévues par le par. 6(8) parce qu'elle ne savait pas qu'elles relevaient du district. Elle a également constaté qu'une autre réserve figurant sur sa liste, Sandy Lake, s'était scindée en deux, devenant ainsi deux collectivités distinctes. Par conséquent, ce sont 46 réserves — et non 43 — qui auraient dû relever de son travail prévu par le par. 6(8). Elle a constaté ces erreurs trop tard pour pouvoir obtenir des listes en vue de préparer la liste des jurés de 2008. Comme elle n'avait toujours pas réussi à obtenir une liste pour la réserve Neskantaga/Lansdowne House, celle‑ci a également été exclue de l'établissement de la liste des jurés pour 2008.
[27] Par suite des efforts déployés par M me Loohuizen, les envois postaux de 2007 pour la préparation de la liste des jurés de 2008 étaient fondés sur les listes suivantes :
• les listes de bandes de 2006 pour deux Premières Nations
• les listes de bandes de 2007 pour huit Premières Nations
• les listes d'AINC de 2000 pour 32 Premières Nations
• aucune liste pour quatre Premières Nations
[28] En fin de compte, seulement 10 pour 100 des questionnaires envoyés aux résidents des réserves ont été retournés, et seulement 5,7 pour 100 de ces personnes qui ont retourné les questionnaires étaient habiles à remplir les fonctions de juré. Le jury dans le procès de M. Kokopenace a été constitué à partir d'un tableau de 175 jurés, dont 8 habitaient une réserve. Aucun résident d'une réserve n'a été sélectionné pour faire partie du petit jury de M. Kokopenace.
E. Le rapport Iacobucci et les mesures prises après 2008
[29] Depuis 2008, l'Ontario a élargi ses mesures pour faire participer les résidents des réserves au processus de sélection des jurés. La province a mis ses politiques à jour, offert une formation en bonne et due forme sur les fonctions prévues au par. 6(8), envoyé un nombre accru de questionnaires à ces résidents et commencé à faire le suivi des statistiques concernant les taux de réponse et de distribution pour les questionnaires en cause. Fait important, en 2011, l'Ontario a nommé l'ancien juge Frank Iacobucci à titre d'examinateur indépendant pour étudier la question de la sous‑représentation des résidents autochtones des réserves dans les jurys et pour formuler des recommandations afin de régler le problème. Le rapport exposant en détail ses conclusions a été rendu public en 2013, alors que l'appel interjeté par M. Kokopenace était en délibéré en Cour d'appel ( La représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario : Rapport de l'examen indépendant mené par l'honorable Frank Iacobucci (2013) (« rapport Iacobucci »)). Le rapport Iacobucci révèle que le problème de la sous‑représentation des résidents des réserves est profondément enraciné, comporte de multiples facettes et déborde largement les difficultés à obtenir des listes brutes exactes. Il explique que le problème est lié à la marginalisation de longue date des Autochtones au sein du système de justice et à la méfiance envers ce système qui en a découlé. Depuis la publication du rapport, l'Ontario commence à mettre en œuvre certaines de ses recommandations.
IV. La décision de la Cour d'appel de l'Ontario, 2013 ONCA 389, 115 O.R. (3d) 481
[30] La Cour d'appel a rendu trois opinions. Les juges LaForme et Goudge ont tous deux conclu qu'il y avait eu violation des droits garantis à M. Kokopenace par les al. 11 d ) et 11 f ); par contre, le juge Rouleau a conclu qu'il n'y avait pas eu violation de la Charte . La Cour d'appel a rejeté à l'unanimité les prétentions de M. Kokopenace fondées sur l'art. 15.
[31] Les trois juges ont tous reconnu que, pour déterminer si l'Ontario s'était acquitté de ses obligations de représentativité, le tribunal devait se demander si la province avait déployé des efforts raisonnables en vue de donner aux groupes ayant des points de vue distincts une possibilité honnête de figurer sur la liste des jurés. Ils ont conclu que des efforts raisonnables doivent être faits à chaque étape du processus, y compris l'établissement des listes, l'envoi des avis, la facilitation de leur livraison et de leur réception de même que l'incitation à y répondre.
[32] Les juges majoritaires ont souligné que l'analyse des efforts déployés par l'Ontario en application du par. 6(8) de la Loi sur les jurys doit respecter à la fois l'honneur de la Couronne et les principes établis dans l'arrêt R. c. Gladue , [1999] 1 R.C.S. 88. Selon eux, l'Ontario devait tenir compte de la marginalisation des Autochtones au sein du système de justice et collaborer avec les gouvernements des Premières Nations en vue de trouver une solution au problème. D'après les juges majoritaires, il était déraisonnable pour l'Ontario de déléguer les responsabilités que lui attribue le par. 6(8) à M me Loohuizen, une fonctionnaire subalterne. Des hauts dirigeants du gouvernement étaient tenus de s'engager avec les Premières Nations dans des échanges entre gouvernements.
[33] Les juges majoritaires ont également conclu que l'Ontario avait porté à tort toute son attention sur les efforts déployés pour obtenir des listes à jour. D'après eux, le faible taux de réponse obligeait l'Ontario à étudier les causes du problème et à encourager activement les résidents des réserves à répondre. L'inaction de l'Ontario à cet égard a mené les juges majoritaires à conclure qu'il avait négligé le problème et n'avait pas déployé d'efforts raisonnables pour permettre honnêtement la participation des résidents autochtones des réserves. Il s'ensuit que les droits garantis à M. Kokopenace par les al. 11 d ) et 11 f ) ont été violés.
[34] En ce qui concerne la réparation, les juges majoritaires étaient convaincus que M. Kokopenace avait bénéficié d'un procès équitable et que le jury n'était pas entaché d'une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, ils ont jugé que les violations des al. 11 d ) et 11 f ) [ traduction ] « min[aient] nécessairement la confiance du public dans l'intégrité du système de justice et l'administration de la justice » (par. 227). Ils ont donc conclu que la seule réparation adéquate était la tenue d'un nouveau procès.
[35] Le juge Rouleau, dissident, a estimé que les efforts déployés par l'Ontario étaient raisonnables compte tenu de ce que l'on savait à l'époque. Il a souligné que, pendant la période en cause dans le présent pourvoi, tout le monde avait l'impression que le faible taux de réponse était imputable aux listes désuètes. En effet, les arguments avancés par M. Kokopenace devant la Cour d'appel portaient principalement sur les failles des listes. Ce n'est qu'après la publication du rapport Iacobucci que la complexité du problème est devenue évidente. À son avis, les critiques des juges majoritaires étaient injustifiées parce qu'elles reposaient sur des renseignements dont n'avait pas connaissance l'Ontario à l'époque.
[36] Le juge Rouleau a également conclu que le faible taux de réponse ne signifiait pas que les résidents des réserves avaient moins l'occasion de participer au processus. Selon lui, le fait que ces résidents avaient refusé l'invitation à participer ne menait pas à la conclusion que l'Ontario n'avait pas permis leur participation. L'obligation constitutionnelle de l'Ontario n'exigeait pas de lui qu'il déploie tous les efforts possibles ou fasse des efforts inutiles : il n'était tenu que de déployer des efforts raisonnables pour inviter les résidents des réserves à participer au processus. À son sens, c'est que l'Ontario a fait. Il a donc conclu qu'il n'y avait pas eu violation des al. 11 d ) ou 11 f ).
[37] S'agissant des prétentions fondées sur l' art. 15 , deux arguments ont été présentés devant le tribunal. Premièrement, M. Kokopenace a cherché à obtenir la qualité pour agir dans l'intérêt public afin d'invoquer un argument relatif au droit à l'égalité au nom des candidats jurés habitant dans des réserves. Deuxièmement, il a fait valoir que ses droits personnels prévus à l' art. 15 avaient été violés. La Cour d'appel a rejeté à l'unanimité les deux prétentions. Elle a décidé qu'il ne convenait pas en l'espèce d'accorder la qualité pour agir dans l'intérêt public et, pour ce qui est de la prétention personnelle avancée par M. Kokopenace sur le fondement de l' art. 15 , ce dernier n'avait aucunement prouvé que les mesures prises par l'Ontario l'avaient défavorisé. Par conséquent, aucune des prétentions ne pouvait être retenue.
V. Questions en litige
[38] Notre Cour est saisie de quatre questions :
1. Comment la représentativité est‑elle définie et comment s'inscrit‑elle dans l'application des al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte ?
2. L'Ontario s'est‑il acquitté de son obligation de représentativité en l'espèce?
3. L'Ontario a‑t‑il violé les droits garantis par l' art. 15 à M. Kokopenace ou aux résidents autochtones d'une réserve qui étaient des candidats jurés?
4. S'il y a eu violation des droits garantis à M. Kokopenace par la Charte , quelle est la réparation convenable?
VI. Analyse
A. Comment la représentativité est‑elle définie et comment s'inscrit‑elle dans l'application des al. 11d) et 11f) de la Charte ?
(1) Définition de la représentativité
[39] La représentativité est un aspect important du jury, mais elle a un sens restreint. Il faut un « échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement » : R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509, p. 524. Il n'existe aucun droit à une liste de jurés d'une composition précise, ni à une liste qui représente proportionnellement tous les différents groupes de la société canadienne. Les tribunaux ont systématiquement rejeté l'idée que l'accusé a droit à une liste de jurés ou à un petit jury composé d'un nombre précis de membres de sa race : R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65 (C.A.), p. 120‑121; R. c. Laws (1998), 41 O.R. (3d) 499 (C.A.), p. 517‑518; R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405 (C.A. Man.), p. 421‑422; R. c. Bradley (No. 2) (1973), 23 C.R.N.S. 39 (C.S. Ont.), p. 40‑41. Comme l'a fait remarquer le juge Rosenberg à la p. 121 de l'arrêt Church of Scientology , [ traduction ] « il faut un processus qui fournit les outils nécessaires à la sélection d'un petit jury compétent et impartial, qui assure la confiance dans le verdict du jury et qui contribue à l'appui manifesté par la collectivité à l'égard du système de justice pénale ».
[40] Comme le montre cette affirmation, la représentativité concerne la procédure utilisée pour dresser la liste des jurés, et non sa composition finale. La jurisprudence a traité à ce jour de deux caractéristiques clés de cette procédure qui garantissent la représentativité : le recours à des listes brutes issues d'un large échantillon de la société et la sélection aléatoire à partir de ces sources : R. c. Find , 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, par. 20; Sherratt , p. 525; Church of Scientology , p. 121. J'ajouterais à cette liste une troisième caractéristique, soit la distribution des avis aux personnes choisies aléatoirement. La liste des jurés est représentative lorsque ces trois caractéristiques sont présentes, pourvu que l'État n'ait pas délibérément exclu les membres d'un groupe donné. Ce processus vise à faire en sorte que des personnes aux points de vue différents fassent partie du jury : Church of Scientology , p. 122. Il vise également à empêcher l'exclusion systémique de certains segments de la population : ibid. , p. 122‑124.
[41] La première caractéristique — le recours à des listes brutes issues d'un large échantillon de la société — vise à obtenir le plus grand nombre possible de personnes habiles à être jurés dans chaque district. Une liste parfaite énumérerait toutes les personnes habiles à être jurés et représenterait donc proportionnellement tous les groupes admissibles dans le district. Or, la Charte ne commande pas une liste proportionnellement représentative, et il ne serait pas non plus possible de respecter une telle exigence. En effet, il serait pratiquement impossible de trouver pareille liste brute.
[42] La deuxième caractéristique — la sélection aléatoire — porte sur la façon dont les personnes sont sélectionnées à partir des listes brutes pour faire partie de la liste des jurés [1] . Elle garantit que toutes les personnes inscrites sur les listes brutes ont une chance égale d'être sélectionnées pour faire partie de cette liste. Par conséquent, la représentativité ne peut requérir une liste de jurés d'une composition précise. Il faudrait alors un processus de sélection où l'on se renseigne sur les caractéristiques personnelles des candidats jurés, un concept incompatible avec la sélection aléatoire. D'ailleurs, aucune province n'exige que ses listes de jurés représentent proportionnellement les cultures, races, religions ou autres caractéristiques personnelles de ses habitants. Exiger qu'une liste de jurés représente proportionnellement les différentes religions, races, cultures ou autres caractéristiques personnelles des personnes habiles à être jurés engendrerait plusieurs problèmes insolubles. Comme l'a affirmé la Cour d'appel de l'Ontario au par. 22 de l'arrêt R. c. Brown (2006), 215 C.C.C. (3d) 330 :
[ traduction ] Il existe un nombre presque infini de caractéristiques qu'on pourrait considérer comme devant être représentées dans le petit jury : l'âge, la profession, la fortune, la résidence, le pays d'origine, la couleur, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la capacité, l'incapacité, etc. Il serait impossible d'assurer un tel degré de représentativité dans un jury donné.
[43] Bien que ces commentaires aient été formulés dans le contexte d'une contestation de la composition d'un petit jury, ils valent tout autant pour la composition de la liste des jurés. Même si l'on utilisait une liste brute parfaite, il serait impossible d'établir une liste de jurés qui représente entièrement les innombrables caractéristiques présentes dans notre société diversifiée et multiculturelle.
[44] Cette conclusion est renforcée par les nombreuses restrictions acceptées à la représentativité de nos listes de jurés. Premièrement, une liste de jurés est dressée pour chaque district judiciaire, dont chacun est en soi une région artificiellement délimitée. Il se peut que la population d'un district donné ne soit pas du tout représentative de la population générale du Canada ou de la collectivité du district où l'infraction a été commise : Church of Scientology , p. 121. Deuxièmement, les restrictions à l'habilité à être juré ont pour effet d'exclure les non‑citoyens, les personnes reconnues coupables d'une infraction criminelle et celles qui exercent certaines professions. Enfin, dans la plupart des provinces, le shérif a le pouvoir d'exempter certaines personnes d'agir comme jurés si cela leur impose une contrainte. Cela entraîne généralement l'exclusion des travailleurs autonomes, des personnes habitant dans des endroits isolés et des personnes à faible revenu. Toutes ces restrictions sont acceptées depuis longtemps malgré leur incidence sur la représentativité.
[45] La troisième caractéristique, la distribution, se passe d'explication. En somme, avant que la liste des jurés ne puisse être dressée, l'État doit envoyer des avis aux personnes choisies aléatoirement pour leur permettre de répondre. Le caractère adéquat de la distribution doit être apprécié à la lumière des faits de chaque affaire, compte tenu des défis propres à cette entreprise.
[46] Par conséquent, pour définir la représentativité dans le contexte de la liste des jurés, il faut privilégier le processus, et non le résultat. Si l'État a eu recours à une procédure adéquate, la liste des jurés sera forcément représentative même si des groupes précis de la population y sont peu représentés.
(2) Le rôle de la représentativité dans l'application des al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte
[47] Les alinéas 11 d ) et 11 f ) de la Charte disposent :
11. Tout inculpé a le droit :
[. . .]
d ) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
[. . .]
f ) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;
Bien que la représentativité relève à la fois de l' al. 11 d ) et de l' al. 11 f ) , elle joue un rôle différent dans le cas de ces deux garanties, comme je vais l'expliquer plus loin.
(a) Alinéa 11d)
[48] Puisque l' al. 11 d ) met l'accent sur l'indépendance et l'impartialité du tribunal, le rôle que joue la représentativité dans l'application de cette garantie se limite forcément à son incidence sur ces deux notions. Le problème de représentativité qui ne mine pas l'indépendance ou l'impartialité n'emportera pas violation de l' al. 11 d ) . Les parties à la présente affaire se sont concentrées sur le volet « impartialité » de cet alinéa. Je limiterai donc mes commentaires à cette notion.
[49] Pour déterminer si un tribunal est impartial, il faut se demander si une personne raisonnable et bien informée des circonstances éprouverait une crainte raisonnable de partialité : Valente c. La Reine , [1985] 2 R.C.S. 673, p. 684‑691; R. c. Bain , [1992] 1 R.C.S. 91, p. 101, 111‑112 et 147‑148. Le tribunal doit être impartial tant sur le plan institutionnel qu'individuel. Même si le petit jury ne semble pas partial, il y a violation de l' al. 11 d ) si la procédure suivie pour dresser la liste des jurés crée une apparence de partialité sur le plan systémique : R. c. Lippé , [1991] 2 R.C.S. 114, p. 140.
[50] La représentativité est un gage important d'impartialité : R. c. Williams , [1998] 1 R.C.S. 1128, par. 46. La représentativité peut avoir deux failles susceptibles d'influer sur l'impartialité. Premièrement, l'exclusion délibérée d'un groupe en particulier jetterait un doute sur l'intégrité du processus et violerait l' al. 11 d ) en créant une apparence de partialité : Church of Scientology , p. 118. Deuxièmement, même lorsque l'État n'exclut pas délibérément des personnes, les efforts qu'il déploie pour dresser la liste des jurés peuvent laisser à désirer au point de créer une apparence de partialité : voir, p. ex., R. c. Nahdee , [1994] 2 C.N.L.R. 158 (C. Ont. (Div. gén.)). Toutefois, lorsque l'État ne se conduit d'aucune de ces façons, le problème de représentativité ne viole pas l' al. 11 d ) .
[51] Il convient d'apporter une précision importante sur le lien entre la représentativité et l'impartialité. La définition restreinte donnée à la représentativité dans la jurisprudence canadienne signifie que l'impartialité est garantie grâce à la procédure suivie pour dresser la liste des jurés, et non grâce à la composition finale de la liste des jurés ou du petit jury lui‑même. La liste des jurés comptant peu de personnes de la même race ou religion que l'accusé ne constitue pas à elle seule un indice de partialité.
[52] Mon collègue le juge Cromwell laisse entendre au par. 238 de ses motifs qu'un petit jury constitué à partir d'une liste de jurés formée de personnes qui ne présentent pas les mêmes caractéristiques que l'accusé — en l'espèce, le résident autochtone d'une réserve — sera moins susceptible de déceler et d'empêcher les « effets souvent inconscients du racisme ». Cependant, aucune donnée empirique ne permet d'affirmer que les jurés doivent être de la même race que l'accusé pour être en mesure d'évaluer la preuve de façon équitable et impartiale : Laws , p. 516. La présente affaire en est la preuve. Aucune allégation de partialité réelle n'a été formulée en l'espèce, et selon la Cour d'appel, [ traduction ] « rien dans les circonstances de l'espèce » ne justifie une crainte raisonnable de partialité (par. 226). En outre, un tribunal a déjà conclu que M. Kokopenace avait bénéficié d'un procès équitable : R. c. Kokopenace , 2011 ONCA 536.
[53] Il existe, au sein de notre système de justice pénale, une forte présomption d'impartialité des jurés, et le processus de sélection des jurés comporte de nombreuses mesures de protection conçues pour écarter les personnes potentiellement partiales et garantir que celles choisies pour former le petit jury jugeront l'affaire de façon impartiale : Find , par. 26, 41‑42; Williams , par. 47. Contrairement à ce qu'affirme le juge Cromwell, ces protections n'ont jamais été tributaires de l'existence d'une liste de jurés qui représente proportionnellement les différents groupes de notre société. Même si les tribunaux canadiens ont conclu que la liste des jurés devait être représentative, ils n'ont jamais affirmé qu'elle devait être proportionnellement représentative, comme le soutient mon collège.
[54] Plusieurs principes se dégagent de cette analyse. Premièrement, le lien entre la représentativité et l' al. 11 d ) se limite à l'incidence de la représentativité sur l'impartialité du tribunal. Deuxièmement, et par extension, un problème de représentativité n'emporte pas automatiquement violation de l' al. 11 d ) : il faut toujours examiner si la conduite de l'État a créé une apparence de partialité. Enfin, la représentativité favorise l'impartialité grâce à la procédure suivie pour dresser la liste des jurés, et non grâce à la composition finale de cette liste.
(b) Alinéa 11 f )
[55] Si la représentativité joue un rôle limité dans l'application de l' al. 11 d ) , son rôle dans l'application de l' al. 11 f ) est important. Non seulement la représentativité favorise l'impartialité, mais elle confère également une légitimité au rôle du jury en tant que « conscience de la collectivité » et renforce la confiance du public dans le système de justice pénale : Sherratt , p. 523‑525; Church of Scientology , p. 118‑120. La représentativité est donc une composante essentielle du droit, reconnu à l'accusé par l' al. 11 f ) , à un procès devant jury.
[56] Pour pouvoir agir à titre de « conscience de la collectivité » comme l'exige l' al. 11 f ) , le jury doit être représentatif. Pour l'application de l' al. 11 f ) , la représentativité a le même sens qu'à l' al. 11 d ) : elle protège le droit de l'accusé à un processus adéquat de sélection des jurés.
[57] Bien que les deux dispositions donnent le même sens à la représentativité, le rôle élargi qu'elle joue dans l'application de l' al. 11 f ) crée une différence importante : bien qu'un problème de représentativité n'emporte pas nécessairement violation de l' al. 11 d ) , on ne peut pas en dire autant de l' al. 11 f ) . Comme la représentativité est un élément clé du jury, son absence mine automatiquement le droit, reconnu par l' al. 11 f ) , à un procès avec jury. Tel que l'a mentionné la Cour dans l'arrêt Sherratt , à la p. 525 :
L'importance perçue du jury et du droit, conféré par [l' al. 11 f ) de] la Charte , à un procès avec jury n'est qu'illusoire en l'absence d'une garantie quelconque que le jury va remplir ses fonctions impartialement et représenter, dans la mesure où cela est possible et indiqué dans les circonstances, l'ensemble de la collectivité. De fait, sans les deux caractéristiques de l'impartialité et de la représentativité, un jury se verrait dans l'impossibilité de remplir convenablement un bon nombre des fonctions qui rendent son existence souhaitable au départ. [Je souligne.]
[58] Pour ces raisons, un problème de représentativité viole l' al. 11 f ) même s'il n'est pas grave au point de porter atteinte à l'impartialité. Cela dit, si un problème de ce genre porte atteinte à l'impartialité, il viole tant l' al. 11 d ) que l' al. 11 f ) .
(3) Le critère juridique de la représentativité
(a) Le critère applicable met l'accent sur la procédure suivie pour dresser la liste des jurés
[59] La représentativité est axée sur le caractère adéquat du processus de sélection des jurés. Elle n'oblige pas l'État à faire en sorte qu'un point de vue en particulier soit représenté sur la liste des jurés ni à garantir que ses listes brutes représentent de façon proportionnelle tous les groupes de personnes habiles à remplir les fonctions de juré. Ainsi, le critère permettant de déterminer si l'État a respecté son obligation de représentativité met davantage l'accent sur le processus utilisé tout au long de la sélection des jurés que sur la composition finale de la liste des jurés.
[60] La Cour d'appel a conclu que le critère consiste à savoir si l'État a déployé des efforts raisonnables pour donner à des groupes ayant des points de vue distincts une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés. Soit dit en tout respect, je formulerais le critère différemment. Il est problématique de braquer les projecteurs sur les « points de vue distincts » et, à mon avis, cela met à tort l'accent sur l'identité des personnes inscrites sur la liste plutôt que sur le processus ayant mené à leur sélection. De plus, cette approche soulève des questions épineuses quant à savoir ce qui constitue un « point de vue distinct » et quelles caractéristiques doivent être représentées, questions auxquelles il n'est pas utile de répondre au moment d'examiner si le processus était adéquat.
[61] Par conséquent, je reformulerais le critère en ces termes. Pour déterminer si l'État s'est acquitté de son obligation de représentativité, la question consiste à savoir s'il a donné à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés. Pareille possibilité est donnée quand l'État déploie des efforts raisonnables pour : (1) dresser la liste des jurés en sélectionnant ceux‑ci au hasard à partir de listes brutes issues d'un large échantillon de la société et (2) envoyer des avis de sélection de juré aux personnes choisies au hasard. Autrement dit, c'est le fait de ratisser large qui garantit la représentativité. Elle ne consiste pas à cibler des groupes particuliers pour que leurs membres figurent sur la liste des jurés.
[62] Avant d'exposer en détail cette exigence constitutionnelle, je m'arrête ici pour répondre à la critique formulée par mon collègue le juge Cromwell au sujet de cette norme. Comprenez‑moi bien. Il ne fait aucun doute que l'accusé a droit, selon la Charte , à un jury représentatif. Je tiens cela pour acquis. En définissant comme je l'ai fait l'obligation de l'État, je ne dis pas, comme le suggère le juge Cromwell au par. 249 de ses motifs, que l'accusé a uniquement droit à « une “possibilité honnête” d'être jugé par un jury représentatif ». Je ne sous‑entends pas non plus que la province n'a qu'à « faire des “efforts raisonnables” pour ne pas [porter atteinte aux droits reconnus à l'accusé par la Charte ] » (par. 250). Soit dit en tout respect, la critique du juge Cromwell tient à notre désaccord sur le sens de la représentativité en droit canadien. Puisque je mets l'accent sur la procédure utilisée pour dresser la liste des jurés, les efforts de l'État sont forcément importants. Le juge Cromwell conclut qu'ils ne le sont pas parce qu'il définit la représentativité en fonction de la composition finale de la liste des jurés.
[63] Quant à ma collègue la juge Karakatsanis, je fais mienne sa conclusion selon laquelle c'est le processus qui détermine si le droit de l'accusé à un jury représentatif a été respecté. Je n'accepte cependant pas sa proposition qu'il est possible de mesurer le processus en fonction d'une norme objective du caractère adéquat. C'est plutôt la qualité des efforts déployés par l'État qui détermine si le processus est adéquat. Comme l'indique le dossier, l'établissement des listes de jurés est un exercice complexe et bon nombre des facteurs ayant une incidence sur le processus sont indépendants de la volonté de l'État. Par exemple, comme je l'expliquerai, l'Ontario dépendait entièrement de la collaboration des Premières Nations afin d'obtenir des listes adéquates de leurs membres qui vivent dans des réserves. D'après la juge Karakatsanis, lorsque la province ne parvient pas à obtenir de listes adéquates — même si cet échec est imputable à des facteurs indépendants de sa volonté — il y a atteinte à la représentativité. Je ne saurais retenir un critère menant à la conclusion qu'il y a atteinte même dans les cas où la province a pris des mesures raisonnables pour dresser la liste des jurés en les sélectionnant au hasard à partir de listes issues d'un large échantillon et envoyer les avis aux personnes choisies au hasard.
[64] Dans le même ordre d'idées, je ne peux accepter la proposition du juge Cromwell que l'État doit inciter activement les gens à participer et qu'il est tenu, à cette fin, de remédier à la marginalisation et à la discrimination navrantes dont ont été victimes les peuples autochtones. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles l'obligation de représentativité de l'État ne va pas jusque là et ne requiert qu'une possibilité honnête de participer. Les efforts déployés pour réparer les torts historiques et systémiques causés aux peuples autochtones — quoique louables sur le plan social — visent par définition à cibler un groupe en particulier pour que ses membres figurent sur la liste des jurés. Obliger l'État à cibler un groupe en particulier constituerait un écart radical par rapport à la conception que l'on a toujours eue du processus de sélection des jurés au Canada.
[65] En arrivant à cette conclusion, je n'affirme aucunement que l'État ne devrait pas s'occuper de ce problème social urgent. Toutefois, le droit de l'accusé à la représentativité n'est pas le bon moyen d'accomplir cette tâche. Ce droit appartient à l'accusé, non à des groupes de la société. Et, comme la représentativité est axée sur le processus plutôt que sur les résultats, l'État respecte son obligation constitutionnelle en donnant une possibilité honnête de participer, même si une partie de la population refuse de s'en prévaloir.
[66] Cela dit, si l'État exclut délibérément un certain sous‑groupe de personnes habiles à remplir les fonctions de juré, il viole le droit de l'accusé à un jury représentatif, peu importe la taille du groupe touché. Il va de soi que l'État ne déploie pas d'efforts raisonnables s'il exclut délibérément une partie de la population. L'exclusion délibérée mine l'intégrité du système de justice et ne saurait être tolérée. Cependant, s'il s'agit d'une exclusion involontaire, c'est la qualité des efforts déployés par l'État pour dresser la liste des jurés qui déterminera si le droit de l'accusé à un jury représentatif a été respecté. Lorsque l'État fait des efforts raisonnables, mais qu'une partie de la population est exclue parce qu'elle refuse de participer, l'État s'acquitte néanmoins de son obligation constitutionnelle. Par contre, si l'État ne déploie pas d'efforts raisonnables, il faut tenir compte du nombre de personnes exclues par inadvertance. L'absence d'efforts raisonnable à l'égard d'une petite couche de la population ne compromet pas la représentativité globale de la liste des jurés parce qu'il n'existe aucun droit à une représentation proportionnelle. Quand seule une petite couche de la population est touchée, un large échantillon de la société a tout de même une possibilité honnête de participer.
(b) La marche à suivre pour contester la représentativité de la liste des jurés
[67] À mon avis, si l'accusé a l'intention de contester la représentativité de la liste des jurés, il doit le faire au début du procès. Ne contester qu'après coup la représentativité à l'issue de tout un procès constitue un gaspillage du temps et des ressources du tribunal. Quoique le parallélisme ne soit pas parfait, je souligne que cette façon de faire est conforme à la procédure habituelle de récusation du tableau des jurés prévue à l' art. 629 du Code criminel . Lorsqu'il conteste la liste des jurés, l'accusé devrait fournir des éléments de preuve montrant que la province a manqué à son obligation constitutionnelle. Je reconnais néanmoins que de nouveaux éléments de preuve faisant état de graves préoccupations quant à l'intégrité de la procédure suivie pour dresser la liste des jurés peuvent parfois surgir pendant ou après le procès. Dans de tels cas, je n'écarte pas la possibilité de présenter une contestation : voir R. c. Butler (1984), 63 C.C.C. (3d) 243 (C.A. C.‑B.).
[68] L'intervenante Advocates' Society fait valoir que le ministère public devrait être tenu dans tous les cas de fournir avant le procès de l'information sur les efforts déployés par la province pour respecter son obligation de représentativité. Avec égards, je ne suis pas de cet avis. Il ne sera justifié d'ordonner la communication de ces renseignements que si le juge du procès est convaincu que la préoccupation est fondée sur la preuve. Sans preuve à l'appui, une demande de communication sur ce point ne constitue guère plus qu'une recherche à l'aveuglette.
(c) Le critère fondé sur les résultats doit être rejeté
[69] Avec égards, je ne peux souscrire au critère fondé sur les résultats que propose mon collègue le juge Cromwell. Il exigerait que le groupe de personnes figurant sur la liste des jurés « ressemble sensiblement » au résultat d'une sélection aléatoire de personnes habiles à être jurés (par. 246-247). Autrement dit, il conférerait à l'accusé le droit à une liste de jurés qui est plus ou moins proportionnellement représentative de l'ensemble des personnes habiles à être jurés dans le district judiciaire en question. Selon lui, le droit à la représentativité n'a trait ni au processus, ni aux efforts de l'État : il indique que ces facteurs ne sont utiles qu'au moment de déterminer si une atteinte à ce droit est imputable à l'État.
[70] Je ne saurais reconnaître que le droit de l'accusé à un jury représentatif emporte le droit à la représentation proportionnelle à quelque étape que ce soit du processus de sélection des jurés, notamment à celle de la confection de la liste des jurés. En effet, la reconnaissance d'un tel droit serait sans précédent au Canada. Comme je l'ai expliqué, l'accusé n'a jamais eu droit à une liste de jurés d'une composition précise, encore moins à une liste qui représente proportionnellement la population générale, et ce, pour de bonnes raisons. Ce droit serait tout simplement inapplicable et entraînerait la disparition du système de jury dans sa forme actuelle. Plus d'une décennie après l'adoption de la Charte , la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) a décrit les problèmes qui découleraient d'une exigence de représentation proportionnelle. Voici ce qu'elle a écrit dans ses motifs concordants dans R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761, par. 56‑58 :
Le juge Gonthier, à la p. 787, fait remarquer que le jury doit être « impartial, représentatif et compétent ». J'admets que le jury doive être impartial et compétent. En revanche, avec égards, la loi n'a jamais dit que le jury devait être représentatif. Pendant des siècles, les jurys ont été composés exclusivement d'hommes au Canada. Devons‑nous en conclure qu'ils étaient tous, pour cette raison, partiaux et incompétents?
Exiger que le jury soit représentatif, c'est confondre la fin et les moyens. Je conviens que la représentativité puisse procurer une garantie supplémentaire d'impartialité et de compétence. J'irais même jusqu'à dire que c'est en général une bonne chose. Par contre, je ne peux admettre que la représentativité est toujours essentielle, ou que son absence donne automatiquement à l'accusé le droit à un nouveau procès.
Exiger la représentativité d'un jury revient à fixer une norme impossible à atteindre. On pourrait partager la collectivité en des centaines de groupes différents sur le fondement de caractéristiques comme le sexe, la race, la classe et l'instruction. Chaque groupe doit‑il être représenté au sein de chaque jury? Dans la négative, quels groupes choisir et pour quels motifs? Dans l'affirmative, quelle représentation suffit? Devons‑nous exiger la parité fondée sur les statistiques démographiques régionales? Ou pouvons‑nous nous contenter de moins? Je ne vois pas l'utilité de s'engager dans cette voie problématique de la représentativité du jury, pourvu que l'impartialité et la compétence du jury soient garanties. La représentativité peut être un moyen d'atteindre cette fin. Mais elle ne devrait pas être élevée au niveau d'exigence absolue.
[71] Si j'ai bien compris les propos de la Juge en chef, la représentation proportionnelle n'est pas un impératif constitutionnel et constitue un objectif impossible à atteindre en pratique. Ces commentaires sont tout aussi valables aujourd'hui qu'ils l'étaient il y a 20 ans. Je ne vois aucune raison de m'en écarter. Mon collègue tente d'établir une distinction d'avec Biddle du fait que cette affaire portait sur l'étape de la sélection des jurés relative à la constitution du petit jury. Avec égards, cette distinction n'est pas pertinente. Comme je l'ai souligné à maintes reprises, il n'y a pas une seule décision dans laquelle le tribunal a conclu que la représentation proportionnelle était une exigence constitutionnelle à quelque étape que ce soit du processus de sélection des jurés. Les difficultés pratiques dont fait état la Juge en chef dans Biddle touchent autant le petit jury que la liste des jurés.
[72] Le juge Cromwell reconnaît que définir la représentativité de façon générale pose problème. Au par. 227 de ses motifs, il affirme ce qui suit :
d'interminables débats s'ensuivraient pour savoir qui le jury doit représenter et sur la base de quelles caractéristiques [. . .] Définir toutes les facettes possibles de la représentativité d'un jury — et, de surcroît, dresser une liste des jurés qui les refléterait toutes — présenterait des difficultés d'ordre pratique insurmontables.
[73] Et pourtant, l'approche de mon collègue est à l'origine des problèmes mêmes qu'il qualifie d'insurmontables. Pour déterminer si les listes brutes ou la liste définitive des jurés « ressemblent sensiblement » à la population générale, il faut nécessairement se renseigner sur les caractéristiques et les antécédents personnels des individus figurant tant sur les listes brutes que sur la liste des jurés, et les comparer ensuite à la composition de la population générale. Mon collègue reconnaît que cela obligerait la province à établir « qui le jury doit représenter et sur la base de quelles caractéristiques ». Mais sur quelle caractéristique mettrait‑on l'accent? Serait‑ce sur la race? L'origine ethnique? La religion? L'âge? La situation économique? L'identité sexuelle? À quel point la liste des jurés et la composition de la population d'un district judiciaire en particulier doivent‑elles se ressembler pour être considérées « sensiblement [semblables] »? Avec égards, mon collègue ne répond pas à ces questions.
[74] Se renseigner sur l'identité des candidats jurés représenterait un écart radical par rapport à la conception que l'on a toujours eue de la sélection des jurés au Canada. Habituellement, les listes brutes ne révèlent pas les antécédents des personnes qui y figurent. Dans les questionnaires, on ne demande pas non plus aux personnes de dévoiler leurs caractéristiques personnelles comme leur race, leur origine ethnique ou leur religion. Au contraire, le processus de sélection des jurés est fondé depuis longtemps sur le respect de la vie privée des jurés. Le fait d'examiner les antécédents des candidats jurés lorsque vient le temps de dresser la liste des jurés minerait ce principe de manière inacceptable.
[75] De plus, conférer à l'accusé le droit à une liste de jurés proportionnellement représentative, comme le fait mon collègue, aurait une incidence radicale sur le déroulement des procès criminels. Puisque la représentativité ne vise pas à garantir que des personnes ayant les mêmes caractéristiques que l'accusé figureront sur la liste des jurés, il est inutile de déterminer si l'accusé provient du même milieu que le groupe sous‑représenté. Si, comme le suggère le juge Cromwell, l'accusé a droit à une liste de jurés proportionnellement représentative, l'avocat de la défense serait vraisemblablement autorisé à consulter les listes brutes et la liste des jurés au début de chaque procès. Il pourrait ensuite prétendre que la liste n'est pas représentative si le taux de participation de quelque groupe que ce soit ne correspond pas à peu près à son pourcentage de la population générale — à supposer que nous puissions régler d'une quelconque façon la question insoluble de savoir de quel groupe il s'agit.
[76] Cette approche a un double effet. Premièrement, elle créerait un bourbier procédural au début des procès devant jury. Deuxièmement, s'il s'avère qu'une liste de jurés n'est pas représentative, elle ne peut être utilisée pour aucun procès — et chaque district judiciaire ne possède qu'une seule liste de jurés pour une année civile. Soit dit en tout respect, si l'on adopte la conception élargie qu'a le juge Cromwell de la représentativité, cela risque de compromettre, voire d'anéantir, la capacité de tenir des procès devant jury partout au pays.
[77] Mon collègue cherche à dissiper ces craintes. Il soutient que son critère fondé sur les résultats ne bouleversera pas le processus de sélection des jurés parce que le problème posé par le par. 6(8) de la Loi sur les jurys est propre à l'Ontario. Le paragraphe 6(8) dévoile le problème de la sous‑représentation des résidents des réserves en Ontario; le juge Cromwell est donc d'avis d'imposer des obligations accrues à cette province.
[78] Avec égards, il est factice de laisser entendre que le critère de mon collègue n'aura d'incidence que sur le problème mis au jour par le processus établi au par. 6(8). Les résidents des réserves dans d'autres provinces sont sans doute sous‑représentés, bien que ce problème soit peut‑être moins apparent. On n'a qu'à étudier le rapport Iacobucci pour s'en rendre compte. Soit la représentativité s'entend de la représentation proportionnelle de la collectivité, soit elle n'a pas cette acception. Il est impossible que la Charte protège le droit de l'accusé à un jury qui représente proportionnellement des groupes dont le nombre de membres inscrits sur la liste des jurés peut être facilement établi à l'aide des données disponibles, mais n'assure guère ou pas du tout la représentation proportionnelle des groupes dont le nombre de membres figurant sur la liste des jurés n'est pas aussi évident. Je ne puis souscrire à l'affirmation de mon collègue selon laquelle son critère peut être limité aux situations mettant en cause le par. 6(8). À mon sens, ce critère a des ramifications beaucoup plus larges.
[79] Mon collègue aborde de la même façon la crainte que son critère déclenchera un déluge et donnera lieu à des contestations périodiques et constantes de la liste des jurés au motif qu'elle n'est pas proportionnellement représentative. Il dit surmonter cette crainte en proposant une solution simple. Voici ce qu'il affirme aux par. 228‑229 :
Ces considérations de principe et d'ordre pratique signifient que nous devons nous garder d'élargir la portée des obligations de communication du ministère public ou d'exposer la vie privée de candidats jurés.
Concrètement, la protection de la vie privée d'un juré signifie qu'un accusé sera rarement en mesure d'établir la sous‑représentation d'un groupe donné à moins de dénoncer le caractère inadéquat d'un registre ou une autre dérogation importante au principe de la sélection aléatoire.
[80] J'ai deux choses à dire à ce sujet.
[81] Tout d'abord, la solution proposée par mon collègue pose problème. L'accusé qui n'est pas au courant de l'atteinte à son droit constitutionnel à un jury représentatif et qui ne peut pas vraiment la découvrir se trouve dans la situation insatisfaisante de la personne qui jouit d'un droit tout en étant privée d'un recours pour le faire respecter.
[82] En toute déférence, il me paraît incongru de dire à l'accusé qu'il jouit d'un important droit constitutionnel et de l'empêcher pratiquement, du même souffle, d'établir qu'il y a eu atteinte à ce droit. La conception qu'a mon collègue de la représentativité du jury dépend de la composition de la liste des jurés : les caractéristiques des personnes inscrites sur la liste indiqueraient si le droit de l'accusé a été respecté. Or, les données qui se rapportent à cette question cruciale sont des renseignements que l'État ne peut légitimement chercher à obtenir sans effacer notre engagement de longue date envers la protection de la vie privée des jurés, un principe qui doit être maintenu, ce dont convient mon collègue. Tout critère qui comporte cette contradiction inhérente doit être rejeté.
[83] Ensuite, si l'on retenait le critère de mon collègue, je crois que le juge du procès fixerait une norme peu exigeante pour l'accusé qui conteste la représentativité d'une liste de jurés et il serait beaucoup plus facile d'atteindre le seuil applicable que l'affirme mon collègue. Et le processus de sélection des jurés deviendrait en peu de temps une enquête publique sur les torts culturels causés dans le passé, la relation mise à mal entre certains groupes de la société et notre système de justice pénale ainsi que l'omission de l'État de prendre les mesures qui s'imposent pour remédier à ces maux. Il serait alors pratiquement impossible de tenir un procès avec jury à quelque endroit que ce soit au pays, et l'administration de la justice pénale en souffrirait énormément.
[84] Mon collègue répond à cette préoccupation en soulignant que dans Williams , la Cour a rejeté les arguments du « doigt dans l'engrenage » avancés à l'encontre des mesures visant à « contrer le racisme dans la sélection des jurés » et « le ciel ne nous est pas tombé sur la tête » pour autant (par. 239). Il soutient que sa proposition aura une incidence tout aussi mineure sur les procès devant jury. Soit dit tout en respect, la comparaison avec l'arrêt Williams est viciée.
[85] Contrairement au test proposé par mon collègue, l'arrêt Williams n'a pas entraîné une modification importante du droit applicable au processus de sélection des jurés. Il s'agissait dans cette affaire de déterminer si l'accusé devait être autorisé à demander la récusation motivée de candidats jurés sur le fondement de l'existence de préjugés raciaux largement répandus chez les membres de la collectivité contre les Autochtones. Le processus de récusation motivée est une caractéristique de longue date du processus canadien de sélection des jurés. La Cour a simplement décidé dans Williams qu'un type particulier de récusation était permis dans le cadre du régime existant de récusation motivée. En conséquence, la question soulevée dans Williams était une question étroite, peu susceptible de déstabiliser notre système de jury. Il faut se rappeler que la demande de récusation motivée consiste généralement à poser aux candidats jurés une seule question, à laquelle ils doivent répondre par « oui » ou par « non ». Elle n'entraîne pas d'atteinte à la vie privée ni de dérogation à la sélection aléatoire, et elle n'a pas non plus d'incidence importante sur le processus de sélection des jurés.
[86] On ne peut pas en dire autant de l'approche préconisée par mon collègue. Exiger comme il le fait une liste de jurés proportionnellement représentative serait sans précédent. Comme je l'ai expliqué en détail, la représentation proportionnelle n'a jamais constitué une caractéristique de notre processus de sélection des jurés. Adopter la solution qu'il propose reviendrait à écarter d'autres principes bien établis, comme le droit à la vie privée des jurés et la sélection aléatoire. Ces principes seraient remplacés par un examen des antécédents des candidats jurés et par l'obligation pour l'État de cibler des groupes particuliers pour les inscrire sur la liste des jurés. Cela donnerait lieu à un remaniement complet de notre processus de sélection des jurés. En bref, il propose une modification radicale du droit — modification dont les effets auraient une grande portée.
[87] Enfin, je tiens à aborder l'affirmation de mon collègue selon laquelle, en exprimant des préoccupations à l'égard du critère qu'il propose, je « [m]'oppos[e] aux efforts de réforme du processus de sélection des jurés pour contrer le racisme dans la sélection des jurés » (par. 239). Rien ne saurait être plus loin de la vérité. Je crois fermement que l'État doit faire tout ce qu'il peut pour surmonter les problèmes systémiques qui ont amené les Autochtones à se méfier de notre système de justice et à refuser d'y participer. Ce processus de guérison et de réconciliation s'opérera, espérons‑le, dans un avenir prévisible.
[88] Entre‑temps, que doit‑on faire à propos des procès devant jury? Devons‑nous forcer les Autochtones à y participer, sous peine d'emprisonnement? Nous faut‑il établir des règles spéciales qui leur permettent de se porter volontaires pour agir comme jurés et abolir par le fait même le principe de la sélection aléatoire, principe essentiel à notre processus de sélection des jurés dans les procès criminels? Faut‑il en conclure que le résident autochtone d'une réserve du district de Kenora qui fait l'objet d'accusations à Toronto ou dans un district semblable — où il n'y a pas d'Autochtones vivant dans des réserves — devrait avoir droit à un changement du lieu du procès? Est‑ce à dire qu'une telle personne ne peut bénéficier d'un procès équitable à Toronto? Devons‑nous en conclure que d'autres groupes marginalisés ayant des griefs tout aussi solides à l'encontre de notre système de justice ne peuvent bénéficier d'un procès équitable que si la liste des jurés est proportionnellement représentative du nombre de membres de ces groupes dans une collectivité donnée? Ces préoccupations sont réelles, et mon collègue n'y répond aucunement. Selon lui, « [i]l existe de nombreux moyens évidents de s'attaquer concrètement » au problème du faible taux de réponse chez les Autochtones qui vivent dans des réserves (par. 240). Cependant, aucune de ces suggestions ne répond aux préoccupations relatives à l'exigence de représentation proportionnelle qu'il propose, préoccupations que moi‑même et bien d'autres avons exprimées, notamment la juge en chef actuelle dans les motifs qu'elle a rédigés dans Biddle . Avec égards, la critique de mon collègue à mon endroit — selon laquelle je me sers des arguments du « doigt dans l'engrenage » pour m'opposer aux efforts visant à contrer le racisme dans le processus de sélection des jurés — est à la fois injuste et non fondée.
(d) Il faut rejeter l'« interprétation fonctionnelle »
[89] Ma collègue la juge Karakatsanis conclut que la représentativité décrit « le fonctionnement du jury en tant qu'institution » (par. 151) et qu'il y a violation du droit de l'accusé à un jury représentatif uniquement lorsque « la société n'admettrait plus qu'un jury constitué à partir de la liste puisse légitimement agir en son nom » (par. 161). Selon elle, c'est ce qui arrive lorsque l'accusé peut établir l'« exclusion délibérée de certaines couches de la population de la liste des jurés » (par. 173). Subsidiairement, elle affirme qu'une « exclusion importante, bien qu'involontaire, peut en théorie être à ce point généralisée que la liste des jurés ne serait plus admise comme groupe agissant au nom de la société et représentant cette dernière » ( ibid .).
[90] En toute déférence, cette approche me préoccupe à deux égards.
[91] Premièrement, le critère que propose ma collègue est flou et il s'avérera difficile, voire impossible, à appliquer. Il emploie des termes vagues et ne donne que peu ou pas d'indications aux juges de première instance. En l'absence d'indications, il faut se poser la question suivante : à quel moment la société n'admettra‑t‑elle plus qu'un jury constitué à partir d'une liste donnée puisse légitimement agir en son nom?
[92] Deuxièmement, sous prétexte d'élargir le critère de la représentativité et les obligations constitutionnelles de l'État qui s'y rattachent, ma collègue propose un critère qui tient l'État responsable de facteurs indépendants de sa volonté. Suivant ce critère, l'État ne respecte pas son obligation constitutionnelle si un groupe qui représente une portion importante de la population d'un district judiciaire refuse de participer au processus de sélection des jurés, même si l'État a déployé des efforts raisonnables pour donner à ce groupe une possibilité honnête d'y prendre part. Soit dit tout en respect, je ne peux accepter un tel critère.
B. L'Ontario s'est‑il acquitté de son obligation de représentativité en l'espèce?
[93] Soit dit en tout respect, les juges majoritaires de la Cour d'appel ont commis trois erreurs en concluant que l'Ontario n'avait pas déployé d'efforts raisonnables. J'analyserai chacune de ces erreurs à tour de rôle. Ces trois erreurs de droit étaient au cœur du raisonnement des juges majoritaires et minaient leurs conclusions. Il appert d'une analyse adéquate que les efforts de l'Ontario, à défaut d'être parfaits, étaient raisonnables.
(1) Les erreurs de droit relevées dans les motifs des juges majoritaires
(a) Le critère juridique
[94] La principale erreur que les juges majoritaires ont commise dans leur approche était de s'être fondés sur un critère qui imposait une norme trop élevée. Les juges LaForme et Goudge ont tous deux exigé de l'Ontario qu'il fasse davantage que de déployer des efforts raisonnables pour : (1) dresser la liste des jurés en sélectionnant ceux‑ci au hasard à partir de listes brutes issues d'un large échantillon de la population et (2) envoyer des avis de sélection de juré aux personnes choisies au hasard. Ils ont plutôt appliqué une norme qui obligeait l'Ontario à encourager activement la participation des résidents autochtones des réserves en étudiant les autres causes du faible taux de réponse et en s'y attaquant.
[95] Les juges majoritaires ont appliqué une norme élevée parce qu'ils avaient mal défini la représentativité. Ils l'ont tous deux définie par rapport à la composition finale de la liste des jurés plutôt qu'au processus utilisé pour l'établir. Comme ils ont défini la représentativité en fonction de la composition de la liste des jurés, les juges majoritaires ont conclu qu'il fallait redoubler d'efforts vu le faible taux de réponse et que, sans de tels efforts, la liste des jurés ne serait pas représentative. Ce n'est pas la conclusion qu'il faut nécessairement tirer. Dans la mesure où le faible taux de réponse était attribuable aux failles des listes brutes ou de la distribution, l'Ontario devait déployer des efforts raisonnables pour résoudre le problème. Ces failles font partie du processus et s'inscrivent donc dans l'obligation de l'Ontario de donner une possibilité honnête. Cependant, l'Ontario n'était pas tenu de s'attaquer à toutes les causes du faible taux de réponse. Il n'était pas non plus obligé de s'attaquer aux problèmes systémiques contribuant à la réticence des Autochtones vivant dans des réserves à participer au processus de sélection des jurés. Avec égards, les juges majoritaires ont conclu à tort que l'Ontario devait agir ainsi.
[96] En outre, les juges majoritaires ont décidé irrégulièrement que l'Ontario avait l'obligation d'encourager activement les gens à répondre afin de remédier au faible taux de réponse. L'omission de l'Ontario de le faire était l'un des facteurs cruciaux sous‑tendant la conclusion des juges majoritaires selon laquelle l'Ontario avait [ traduction ] « négligé » le problème et n'avait pas déployé d'efforts raisonnables. Il n'était cependant pas tenu d'encourager la participation. Il a respecté son obligation constitutionnelle en donnant une possibilité honnête de participer.
(b) L'honneur de la Couronne et les principes énoncés dans Gladue
[97] Les juges majoritaires ont aussi fait erreur en concluant que l'analyse des efforts de l'Ontario devait tenir compte à la fois de la marginalisation des Autochtones au sein du système de justice pénale, thème dont il est question dans l'arrêt Gladue , et de l'honneur de la Couronne. Il existe deux raisons pour lesquelles ces considérations n'auraient pas dû être prises en compte.
[98] Premièrement, l'honneur de la Couronne et les principes énoncés dans Gladue n'auraient pas dû être pris en considération parce qu'ils n'ont aucun lien avec l'obligation de l'État de déployer des efforts raisonnables pour dresser la liste des jurés en les sélectionnant au hasard à partir de listes brutes issues d'un large échantillon de la société et envoyer des avis de sélection de juré aux personnes choisies au hasard.
[99] Deuxièmement, les juges majoritaires ont conclu à tort que l'honneur de la Couronne était engagé du simple fait que le par. 6(8) de la Loi sur les jurys oblige le gouvernement à traiter différemment les Autochtones qui vivent dans une réserve pour les besoins de la sélection des jurés. Certes, le par. 6(8) porte expressément sur ces Autochtones, mais il s'agit au fond d'une disposition administrative. La procédure régulière de confection des listes de jurés en application du par. 6(2) de la Loi sur les jurys s'exécute au moyen de listes où ne figurent pas les résidents des réserves. Le par. 6(8) prévoit donc un mécanisme pour les inclure. Il ne crée pas une obligation particulière envers les peuples autochtones ni un besoin de consultation entre la Couronne et les groupes autochtones. Dans ces circonstances, l'honneur de la Couronne n'est pas engagé. Comme l'a souligné notre Cour dans l'arrêt Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général) , 2013 CSC 14, [2013] 1 R.C.S. 623, par. 72, l'honneur de la Couronne n'entre pas en jeu dans toutes les interactions entre la Couronne et les peuples autochtones :
il doit être explicite que le créancier de l'obligation est un groupe autochtone. L'honneur de la Couronne ne saurait être engagé par une obligation constitutionnelle ayant simplement une grande importance pour les peuples autochtones. Il ne saurait non plus être engagé par une obligation constitutionnelle de la Couronne à l'égard d'un groupe composé partiellement d'Autochtones. Les Autochtones font partie du Canada et ne jouissent pas d'un statut particulier pour ce qui est des obligations constitutionnelles imposées à l'égard de l'ensemble des Canadiens. Cependant, l'obligation constitutionnelle qui vise explicitement un groupe autochtone s'appuie sur la « relation spéciale » de ce groupe avec la Couronne.
[100] Vu que le par. 6(8) est une disposition administrative régissant la création de la liste des jurés, il ne répond pas à ce critère. Bien que ce paragraphe soit l'un des moyens par lesquels l'État s'acquitte des obligations constitutionnelles que lui impose l' art. 11 de la Charte , il n'est pas une obligation constitutionnelle en soi. De plus, les droits garantis par l' art. 11 appartiennent à tous et pas seulement aux Autochtones. Le paragraphe 6(8) n'engage donc pas l'honneur de la Couronne et les juges majoritaires ont commis une erreur en utilisant cette règle de droit pour guider leur analyse.
[101] En se fondant sur l'honneur de la Couronne et les principes énoncés dans Gladue , les juges majoritaires ont transformé les droits reconnus à l'accusé par l' art. 11 de la Charte en un moyen de combler le fossé de longue date entre les groupes autochtones et le système de justice canadien. Ce faisant, ils ont haussé la norme à laquelle devait répondre l'Ontario pour s'acquitter de son obligation de représentativité.
[102] Cette norme plus élevée a amené les juges majoritaires à conclure que l'Ontario devait transiger avec les Premières Nations dans une relation de gouvernement à gouvernement pour s'attaquer au faible taux de réponse. Ils ont donc jugé que l'Ontario ne s'était pas acquitté de son obligation parce qu'il avait délégué à M me Loohuizen les responsabilités qu'il devait assumer dans le district de Kenora aux termes du par. 6(8). Cette conclusion était erronée. Puisque l'honneur de la Couronne n'entrait pas en jeu, la délégation de ces responsabilités n'avait rien d'inappropriée. En fait, la Loi sur les jurys prévoit explicitement l'exercice de ces responsabilités par le « shérif » local.
(c) Le rapport Iacobucci
[103] La troisième erreur que les juges majoritaires ont commise a été de faire un examen rétrospectif fondé sur le rapport Iacobucci. À l'époque en cause, on croyait généralement que le faible taux de réponse était imputable aux difficultés à obtenir des listes à jour. Cette croyance a perduré bien après l'établissement de la liste des jurés de 2008 : voir, p. ex., Pierre c. McRae, Coroner , 2011 ONCA 187, 104 O.R. (3d) 321, par. 68‑69 . Comme l'a fait remarquer le juge Rouleau, il appert des arguments présentés par les parties devant la Cour d'appel qu'elles considéraient également les listes comme la principale cause du faible taux de réponse.
[104] Le rapport Iacobucci a été rendu public après que la Cour d'appel eut pris la présente affaire en délibéré. Ce n'est qu'après la publication du rapport qu'il est devenu évident que la cause du faible taux de réponse était très complexe :
l'examen de ce problème [la sous‑représentation en Ontario, sur les listes des jurés, des personnes qui vivent dans des réserves] soulève toutefois inévitablement une série de questions plus vastes, systémiques, qui sont au cœur même des présentes relations dysfonctionnelles entre le système judiciaire ontarien et les Autochtones de cette province. Ce sont ces questions de fond auxquelles nous devons trouver une réponse si nous voulons réellement améliorer la représentation des membres des Premières Nations au sein des jurys. [par. 15]
[105] Les juges majoritaires se sont fondés sur ces conclusions pour guider leur analyse. Cela posait problème pour deux raisons. Tout d'abord, ce faisant, ils n'ont pas analysé les mesures prises par l'Ontario à la lumière de ce que l'on savait à l'époque. Ensuite, même si les conclusions du rapport Iacobucci avaient été connues à l'époque, l'obligation de représentativité de l'Ontario n'aurait pas exigé de lui qu'il s'attaque aux problèmes systémiques dévoilés par le rapport.
(2) Les efforts de l'Ontario étaient raisonnables
[106] Appréciés en fonction de ce que l'on savait à l'époque et en regard de la norme appropriée, les efforts de l'Ontario étaient raisonnables. La Cour d'appel a soulevé des points susceptibles d'être litigieux relativement à trois volets du processus : les listes, la distribution et le faible taux de réponse. Je vais évaluer les efforts de l'Ontario par rapport à ces trois balises.
(a) Les listes
[107] Deux des juges de la Cour d'appel — les juges Goudge et Rouleau — ont conclu que les efforts déployés par l'Ontario pour résoudre le problème des listes désuètes étaient raisonnables. Je partage leur opinion. Les listes étaient imparfaites, mais l'Ontario a fait des efforts raisonnables pour utiliser des listes à jour des résidents des réserves. Madame Loohuizen a tenté sans relâche d'obtenir des listes à jour et s'est sincèrement efforcée d'inclure ces résidents.
[108] En 2001, M me Loohuizen s'est occupée de tout le processus de sélection des jurés et a demandé des listes à jour aux 42 réserves pour lesquelles elle détenait des listes d'AINC remontant à l'année 2000. Elle a communiqué non seulement avec les chefs, mais aussi avec le directeur des Services juridiques de la nation Nishnawbe Aski et, deux fois, elle a demandé l'aide du grand chef adjoint de cette nation. Par conséquent, même à ce stade précoce, elle examinait différents moyens d'obtenir les listes. Cependant, ces efforts se sont avérés vains et aucune nouvelle liste n'a été obtenue.
[109] Madame Loohuizen n'a pas envoyé d'autre demande de listes avant 2006, mais cela n'est pas en soi inacceptable. Il faut se rappeler que les listes de la SEFM utilisées pour les résidents hors réserve sont mises à jour seulement tous les trois ans. Fait important, M me Loohuizen n'a pas cessé entre‑temps de s'attaquer au problème. En 2004, elle a tenu une séance de remue‑méninges avec le juge Stach, le juge de paix Morrison (un aîné autochtone) et deux de ses supérieurs à la DST. Durant la séance, ils ont étudié, entre autres, des moyens d'obtenir de meilleures listes. Après la réunion, M me Loohuizen a demandé au juge de paix Morrison de l'aider à entrer en contact avec les collectivités visées par les traités n os 3 et 9 dans le district de Kenora, mais elle n'a reçu aucune réponse de sa part.
[110] Lorsqu'elle a tenté d'obtenir des listes à jour en 2006, M me Loohuizen a transmis aux réserves une lettre par télécopieur. Si elle avait de la difficulté à communiquer avec elles de cette manière, elle essayait alors de leur envoyer une lettre par courrier. Elle a obtenu quatre listes à jour en réponse à ces démarches. De plus, on a envoyé aux résidents des réserves 42 pour 100 plus de questionnaires que leur proportion de la population générale dans le but de compenser les failles des listes. Ces efforts témoignent d'une véritable volonté d'obtenir des listes à jour et de donner aux Autochtones résidant dans les réserves une possibilité honnête de participer.
[111] En 2007 (pendant l'établissement de la liste des jurés de 2008), le CPSJ a calculé, pour la première fois depuis 1993, le taux de réponse des Autochtones vivant dans les réserves. En 1993, le taux de réponse était de 33 pour 100; les nouvelles données ont révélé que le taux de réponse avait chuté à 10,7 pour 100. Quand M me Loohuizen a été informée des résultats, elle a signalé le problème au juge Stach et à ses supérieurs à la DST, et a redoublé d'efforts pour obtenir des listes à jour. En plus de communiquer avec les 43 réserves auxquelles elle avait envoyé des demandes l'année précédente, elle a visité 15 réserves éloignées pour rencontrer les dirigeants des bandes et discuter du processus de sélection des jurés, du désir de la province d'inscrire davantage d'Autochtones sur les listes de jurés et des difficultés à obtenir des listes de bandes à jour. Elle a reçu huit nouvelles listes de bandes à la suite de ces efforts. Bien qu'elle ait envoyé des lettres de suivi aux sept autres réserves et qu'elle les ait appelées, elle n'a reçu aucune liste de leur part.
[112] Madame Loohuizen a aussi essayé d'organiser des rencontres avec les chefs de quatre réserves situées à proximité de la ville de Kenora et deux d'entre eux ont accepté de la rencontrer. De plus, elle a tenté d'organiser des rencontres en personne ou des appels téléphoniques avec les représentants de dix autres réserves pour discuter de la question des jurés. Madame Loohuizen n'a obtenu aucune liste à jour par suite de ces efforts. Encore une fois, elle a effectué un suivi auprès de ces réserves en leur envoyant des lettres et en les appelant dans le but de recueillir des listes à jour. Elle a fait cinq appels de suivi à l'égard d'une seule réserve. Cette situation ne peut guère être comparée à celle qui prévalait dans l'affaire Nahdee , où l'État a simplement accepté l'absence de réponse des réserves. Madame Loohuizen a plutôt essayé avec diligence et persistance d'obtenir des listes. Qui plus est, on a envoyé presque 50 pour 100 plus de questionnaires aux résidents des réserves pour compenser les failles des listes désuètes.
[113] Ensemble, ces efforts constituaient une façon raisonnable de traiter les failles des listes. Or, malgré les mesures prises, l'intimé prétend que les lacunes des listes rendaient insatisfaisants les efforts de l'Ontario. Avec égards, je ne peux me rendre à cet argument.
[114] Premièrement — et c'est la raison la plus importante — l'Ontario n'a pas à obtenir de listes parfaites pour s'acquitter de son obligation constitutionnelle. Ce qui importe, ce sont les efforts déployés pour donner la possibilité de participer. Tel que le révèle la preuve, M me Loohuizen a démontré par ses efforts qu'elle connaissait réellement le problème. Elle a fait de son mieux avec les listes reçues et a sans cesse redoublé d'efforts au fil des ans pour obtenir de meilleures listes brutes.
[115] En outre, l'intimé exagère l'importance de la confusion entourant les limites du district judiciaire. M me Loohuizen ne disposait d'aucune liste pour quatre réserves parce qu'elle ignorait que celles‑ci faisaient partie du district de Kenora. Cela posait manifestement problème. L'Ontario aurait dû offrir une meilleure formation pour que les réserves situées dans ce district puissent être correctement identifiées. Par contre, cette erreur a touché une proportion relativement faible des réserves. De véritables efforts ont été déployés pour inclure 42 des 46 réserves. Je ne peux affirmer que l'absence de listes pour quatre réserves était suffisamment grave pour constituer un manquement à l'obligation de représentativité de l'Ontario.
[116] Enfin, je suis en désaccord avec la suggestion de mon collègue que la Constitution oblige la province à réussir à obtenir des listes brutes exactes, plutôt qu'à simplement déployer des efforts raisonnables à cette fin. Je n'accepte pas sa conclusion que la compilation des listes brutes est « essentiellement une fonction de l'État » et que les efforts raisonnables déployés par la province ne peuvent donc pas sauvegarder une lacune (par. 266). Soit dit en tout respect, cette suggestion tient à une méprise sur ce que la province peut et ne peut maîtriser.
[117] Comme l'indique le dossier, l'Ontario assumait une grande responsabilité à l'égard des listes, mais il ne pouvait obtenir des listes de résidents des réserves que des réserves elles‑mêmes. Il ne pouvait pas recueillir lui‑même ces renseignements. Peu importe les efforts déployés par l'Ontario, cette province n'avait aucun autre moyen d'obtenir les listes brutes si les réserves refusaient de les lui fournir pour l'application du par. 6(8). Imputer toutes ces lacunes à la province donne un portrait inexact de la réalité. Comme je l'ai expliqué, la compilation des listes brutes n'est pas entièrement sous l'emprise de l'Ontario. C'est pourquoi j'estime que le bon critère doit être axé sur les efforts de l'État et non sur la question de savoir s'il est parvenu à obtenir des listes à jour.
[118] En résumé, les efforts déployés par l'Ontario pour obtenir des listes à jour étaient raisonnables. Je suis donc convaincu qu'il a respecté son obligation de représentativité à cet égard. Cette conclusion concorde avec celles des juges Goudge et Rouleau.
(b) La distribution
[119] En Cour d'appel, seul le juge Goudge a analysé la distribution séparément des listes. À mon avis, la preuve fait en sorte qu'il est pratiquement impossible de le faire. La preuve relative à la distribution du courrier dans les réserves indique plutôt que la probabilité que les destinataires reçoivent les avis est directement liée à l'exactitude des listes. La désuétude des listes faisait accroître le risque que les avis soient envoyés à des personnes qui n'habitaient plus dans une réserve. Dans ces cas‑là, les commis des postes n'étaient pas en mesure de les distribuer et les avis en question étaient donc retournés à l'expéditeur par le bureau de poste avec la mention « non livrable ». Il faut considérer le nombre relativement élevé de questionnaires non livrables comme un symptôme des listes désuètes. Ayant conclu que les efforts déployés pour résoudre le problème des listes étaient raisonnables, je n'ai pas à m'attarder sur ce point.
[120] Tout comme dans le cas des listes, le juge Cromwell conclut que leur distribution « ressortit essentiellement à l'État » (par. 269). Même s'il en était ainsi, la distribution ne peut être dissociée des listes. Qui plus est, le bureau de poste ne relève pas de la province; de plus, cette dernière ne peut obliger les particuliers à ramasser leur courrier. À l'instar des listes, leur distribution n'est pas entièrement du ressort de la province et le critère des efforts raisonnables est tout ce qui est requis.
[121] À cet égard, je constate que la province n'a pas tout simplement lancé la serviette en découvrant les problèmes de distribution. Elle s'est plutôt attaqué à ces problèmes avec énergie. Après avoir consulté le juge Stach, elle a envoyé près de 50 pour 100 de plus d'avis aux résidents des réserves. Il s'agit là, selon moi, d'une réponse raisonnable aux problèmes de distribution. Dans la mesure où les juges majoritaires de la Cour d'appel ont conclu le contraire, comme je l'ai dit, leurs conclusions de fait reposaient sur un critère juridique qui imposait une norme trop élevée à l'Ontario. Ces conclusions ne commandent donc aucune déférence.
(c) Le faible taux de réponse
[122] La stratégie adoptée par l'Ontario pour contrer le faible taux de réponse était le facteur qui a suscité les critiques les plus sévères de la part des juges majoritaires de la Cour d'appel. Or, pour respecter son mandat constitutionnel, l'Ontario était uniquement tenu d'examiner les façons dont les failles des listes brutes et les problèmes de distribution ont contribué au faible taux de réponse. Comme je l'ai expliqué, il a déployé des efforts raisonnables à cette fin. Il n'était pas obligé d'examiner les facteurs systémiques qui, selon le rapport Iacobucci, sont au cœur de ce problème.
[123] L'intimé prétend que l'Ontario aurait dû étudier plus tôt la cause du faible taux de réponse. Toujours selon l'intimé, cette omission de l'Ontario rend inadéquats les efforts qu'il a faits pour contrer le faible taux de réponse. Je rejette cet argument.
[124] L'intimé soutient que, si les rapports provisoires et finaux exigés par la PDB n° 563 avaient été déposés et si le CPSJ avait analysé plus tôt les données qu'il recueillait à propos du taux de réponse des personnes résidant dans les réserves, l'Ontario aurait pu agir plus rapidement. Certes, l'Ontario aurait pu appliquer les exigences en matière de déclaration et traiter les données plus tôt, mais je ne vois pas en quoi cela aurait été utile. Ces deux mesures auraient simplement permis de confirmer ce que l'on savait déjà : les résidents des réserves répondaient en bien moins grand nombre. Aucune de ces mesures n'aurait permis d'en apprendre davantage sur les causes de ce faible taux de réponse. À l'époque, tout le monde croyait que le problème était attribuable aux listes lacunaires. Des efforts étaient faits pour corriger ce problème. J'ai du mal à voir comment l'Ontario aurait modifié sa stratégie s'il avait été au courant des données précises relatives au faible taux de réponse des résidents des réserves. De plus, même si la province avait eu connaissance plus tôt des problèmes systémiques, ses obligations constitutionnelles ne l'auraient pas contraint à s'y attaquer.
(3) Conclusion sur le caractère suffisant des efforts de l'Ontario
[125] L'Ontario a déployé des efforts raisonnables pour faire participer les résidents autochtones des réserves au processus de sélection des jurés. Je conclus donc qu'il n'y a pas eu violation des al. 11 d ) ou 11 f ) de la Charte .
[126] Comme nous le savons maintenant, le problème dépasse largement les listes lacunaires. Le rapport Iacobucci conclut en son par. 209 que « le principal obstacle systémique à la participation des Premières Nations au système du jury en Ontario est l'influence négative que le système de justice pénale a eu[e] sur leur vie, leur culture, leurs valeurs et leurs lois tout au long de leur histoire ». Voilà une sérieuse préoccupation de principe qui mérite qu'on s'y attarde. Cependant, les droits garantis à l'accusé par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte ne constituent pas le moyen approprié de répondre à cette préoccupation. Le droit de l'accusé d'être jugé par un jury formé de ses pairs vise à garantir un processus décisionnel équitable. Il ne saurait être utilisé pour dicter au gouvernement comment il devrait — encore moins doit — résoudre des questions importantes de politique générale de cette nature. Pour l'application des al. 11 d ) et 11 f ), l'obligation constitutionnelle de l'État cesse lorsqu'il donne à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer au processus de sélection des jurés. C'est ce qu'il a fait.
[127] En tirant cette conclusion, je tiens à souligner que rien dans les présents motifs ne doit être considéré comme suggérant qu'il serait opportun pour l'Ontario d'interrompre ses efforts visant à résoudre le problème de la sous‑représentation des résidents autochtones des réserves dans le système de jury. Comme l'a souligné la Cour à maintes reprises, la marginalisation des Autochtones au sein du système de justice est une question urgente. Pour qu'il y ait réconciliation un jour, l'État doit non seulement poursuivre ses efforts, mais redoubler d'efforts. Cependant, notre Cour n'est pas une commission d'enquête, et il ne lui appartient pas de dicter au gouvernement comment il doit résoudre ce problème. La question dont nous sommes saisis consiste à savoir si les droits garantis à l'accusé par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte ont été violés. Vus sous cet angle étroit, les efforts de l'État étaient suffisants.
C. L'Ontario a‑t‑il violé les droits garantis par l' art. 15 à M. Kokopenace ou aux résidents autochtones d'une réserve qui étaient des candidats jurés?
[128] Pour les motifs exposés par la Cour d'appel, je suis d'avis de rejeter les prétentions de M. Kokopenace fondées sur l' art. 15 . S'agissant de la prétention personnelle que M. Kokopenace a avancée sur le fondement de l' art. 15 , il n'a pas clairement formulé de désavantage, ce qui porte un coup fatal à sa prétention. S'agissant de sa demande visant à obtenir la qualité pour agir dans l'intérêt public afin de faire valoir une réclamation fondée sur l' art. 15 au nom des résidents autochtones d'une réserve qui étaient des candidats jurés, je n'y accède pas. En tant qu'accusé, M. Kokopenace risque d'avoir des intérêts divergents, voire contradictoires, de ceux des candidats jurés. Si une contestation est présentée en leur nom, ils doivent se voir accorder la possibilité de se faire entendre. Tout comme la Cour d'appel, je refuse donc de lui accorder la qualité pour agir dans l'intérêt public et je rejette la réclamation qu'il a déposée au nom des candidats jurés.
D. S'il y a eu violation des droits garantis à M. Kokopenace par la Charte , quelle est la réparation convenable?
[129] Comme je l'ai conclu, il n'y a eu aucune violation de la Charte . Monsieur Kokopenace a bénéficié d'un procès équitable devant un jury impartial et représentatif. Il n'est donc pas nécessaire d'examiner la question de la réparation.
VII. Dispositif
[130] Pour ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance prévoyant la tenue d'un nouveau procès et de rétablir la déclaration de culpabilité de M. Kokopenace.


Version française des motifs rendus par

La juge Karakatsanis —
[131] Les Autochtones sont considérablement surreprésentés dans notre système de justice en tant que contrevenants et victimes, mais ils y participent comme jurés à des taux beaucoup plus faibles que les non‑Autochtones. Cette réalité, dont les causes sont profondément enracinées et complexes, affaiblit et appauvrit la société canadienne. Pour trancher le présent pourvoi, la Cour doit déterminer si la faible présence de résidents autochtones d'une réserve sur la liste des jurés du district de Kenora pour 2008 a violé les droits de M. Kokopenace à un procès équitable, garantis par l' art. 11 de la Charte canadienne des droits et libertés .
[132] Pour répondre à cette question, la Cour doit statuer sur la portée du droit à un procès avec jury garanti par la Charte et décider si l' art. 11 est l'outil constitutionnel approprié pour réparer la relation mise à mal entre les Autochtones et le système de justice au Canada.
[133] Je conclus qu'en dépit des difficultés dont je traiterai plus loin en ce qui concerne sa confection, la liste des jurés de Kenora pour 2008 satisfaisait aux normes constitutionnelles qu'impose l' art. 11 de la Charte . En arrivant à cette décision, j'exprime respectueusement mon désaccord avec les approches adoptées par chacun de mes collègues quant à la représentativité. Contrairement au juge Cromwell, je ne puis accepter que la représentativité nécessite une liste de jurés qui ressemble sensiblement à une sélection au hasard de jurés admissibles issus de la collectivité. À mon sens, la représentativité s'attache principalement à la fonction du jury plutôt qu'à la mesure dans laquelle la liste des jurés reflète la composition particulière de la collectivité. Considéré à la lumière de son histoire et de sa raison d'être, le jury représente la société en ce sens qu'il agit en son nom.
[134] Je ne peux pas non plus souscrire à l'opinion du juge Moldaver que la représentativité oblige seulement l'État à déployer des efforts raisonnables pour dresser la liste des jurés au moyen d'un processus équitable, sans égard au résultat de ces efforts. Une violation de la Charte se définit non pas par les efforts de l'État, mais par le caractère adéquat du processus utilisé. En outre, contrairement à mon collègue, je n'écarte pas la possibilité que, même en cas d'utilisation d'une procédure convenable, une exclusion involontaire mais importante sape la légitimité, l'indépendance et l'impartialité d'une liste de jurés, rendant celle-ci non représentative. Je conclus donc que, selon l' art. 11 , l'État doit établir la liste des jurés au moyen d'un processus aléatoire qui puise largement dans la collectivité, sans exclusion délibérée ou importante. Ce critère a été respecté en l'espèce.
I Contexte
[135] En 2008, Clifford Kokopenace a subi un procès devant juge et jury en Cour supérieure de justice de l'Ontario à Kenora, où il a été acquitté de meurtre au deuxième degré, mais reconnu coupable de l'infraction moindre et incluse d'homicide involontaire coupable. Il a contesté la représentativité de la liste des jurés après la déclaration de culpabilité, mais avant la détermination de la peine. Cette contestation a été plaidée pour la première fois en appel.
[136] En Cour d'appel de l'Ontario, M. Kokopenace a soutenu que le jury qui l'avait reconnu coupable avait été constitué à partir d'une liste de jurés qui n'assurait pas adéquatement la représentation des résidents autochtones d'une réserve. Il a prétendu que cette situation violait les droits que lui garantissaient les al. 11 d ) et 11 f ) et l' art. 15 de la Charte . De nouveaux éléments de preuve ont été admis sur cette question, y compris un rapport intitulé La représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario : Rapport de l'examen indépendant mené par l'honorable Frank Iacobucci (2013) (rapport Iacobucci), publié le 26 février 2013, alors que la Cour d'appel n'avait pas encore rendu sa décision.
[137] La Cour d'appel a rendu trois opinions et était partagée quant aux conclusions de fait et à l'issue de l'appel. Auteurs des motifs distincts de la majorité, les juges LaForme et Goudge ont conclu que les droits garantis à l'accusé par les al. 11 d ) et 11 f ) avaient été violés. Ils sont arrivés à cette conclusion parce que, selon eux, l'État n'avait pas déployé d'efforts raisonnables en vue de donner aux points de vue particuliers des résidents autochtones d'une réserve une possibilité honnête de figurer sur la liste des jurés à partir de laquelle les jurés ont été choisis. Le juge Rouleau, dissident, a souscrit au critère de représentativité retenu par les juges majoritaires, mais il a conclu que, malgré les imperfections dans la confection de la liste des jurés, les efforts de l'État étaient raisonnables au vu des circonstances. Les trois juges ont tous rejeté les prétentions de M. Kokopenace fondées sur l' art. 15 , faute de preuve et de qualité pour agir (2013 ONCA 389, 115 O.R. (3d) 481).
II. Analyse
[138] Le présent pourvoi met en lumière une dure réalité en Ontario : le faible taux de participation des Autochtones dans l'établissement des listes de jurés de la province. La preuve en l'espèce montre que ce problème est sérieux et qu'il va en s'aggravant : en 2008, seulement 4,1 pour 100 des personnes inscrites sur la liste des jurés du district de Kenora étaient des résidents autochtones d'une réserve, alors que les résidents adultes d'une réserve représentent de 21,5 pour 100 à 31,8 pour 100 de la population adulte totale du district. Cette situation est tragique, à la fois de par ses causes et ses effets. Le rapport Iacobucci conclut que les répercussions négatives du système de justice pénale sur les communautés, les cultures, les lois et les vies des Autochtones font en sorte qu'un grand nombre d'entre eux se sentent écartés de ce système, et que la sous‑représentation des Autochtones sur les listes de jurés n'est qu'une manifestation parmi d'autres de ce problème beaucoup plus vaste (par. 209). Malheureusement, l'absence de participation dans le système de justice pénale ne fait qu'approfondir le clivage.
[139] La nécessité de répondre aux doléances de longue date qui sous‑tendent ce désengagement ne fait aucun doute. L'aliénation des Autochtones à l'égard du système de justice est un problème profondément enraciné dans la société canadienne, et ce problème pourrait fort bien avoir des implications constitutionnelles. Toutefois, je conviens avec la Cour d'appel, pour les motifs donnés par mon collègue le juge Moldaver, qu'il est inopportun en l'espèce de décider si les droits à l'égalité que l' art. 15 de la Charte garantit aux Autochtones sont en cause par suite de cette aliénation et de cette sous‑représentation.
[140] Qui plus est, j'estime que le droit de l'accusé à un procès équitable avec jury n'est pas le bon moyen de répondre indirectement aux doléances historiques et actuelles des Premières Nations. La contestation de la représentativité d'une liste de jurés pose une question beaucoup plus étroite, considérée du point de vue des droits de l'accusé à un procès équitable : la faible participation d'un segment de la société dans l'établissement de la liste des jurés fait‑elle obstacle à un procès devant un jury par ailleurs indépendant, impartial et compétent?
[141] Les alinéas 11 d ) et 11 f ) de la Charte disposent :
11. Tout inculpé a le droit :
[. . .]
d ) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
[. . .]
f ) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave;
[142] En l'espèce, il s'agit de décider s'il y a eu atteinte au droit de l'accusé à un procès avec jury. À mon avis, ce droit ne garantit pas à l'accusé un jury ou une liste de jurés qui reflète proportionnellement tous les points de vue et toutes les caractéristiques que l'on trouve dans la société. Il exige plutôt un jury qui peut agir au nom de la société. Pour que le jury puisse fonctionner en tant que représentant de la société dans le système de justice pénale, la liste des jurés doit être dressée au moyen d'un processus neutre dans lequel une sélection aléatoire est appliquée à des listes brutes produites à partir d'un large éventail de membres de la collectivité, sans exclusion délibérée ou importante. Un tel processus fournit les assises de la constitution d'un jury impartial et indépendant. Cette exigence a été remplie en l'espèce. Qui plus est, personne ne conteste vraiment que M. Kokopenace a reçu un verdict d'un jury indépendant et impartial (motifs de la CA, par. 226). Je suis convaincue que ses droits à un procès équitable, garantis par l' al. 11 d ) , n'ont pas été violés. Comme je l'expliquerai plus loin, je suis également convaincue qu'il n'y a pas eu atteinte au droit à un procès avec jury que lui garantit l' al. 11 f ) .
A. Les caractéristiques essentielles du procès avec jury
[143] Bien que la Charte protège le droit à un procès avec jury, elle ne précise pas ce que ce droit suppose au juste. Il est donc utile de revoir les origines historiques du procès avec jury, ses fonctions et sa raison d'être.
[144] Le système de jury fait partie des fondements du système judiciaire canadien. Il a été introduit au Canada en tant qu'élément de la common law d'Angleterre. Le juriste William Blackstone, qui a vécu au dix‑huitième siècle, a vanté les mérites du jury, écrivant que [ traduction ] « les fondateurs du droit anglais se sont arrangés, de façon fort sagace [. . .], pour que la véracité de toute accusation [. . .] soit ultérieurement confirmée par le suffrage unanime de douze de ses égaux et voisins, choisis au hasard et au‑dessus de tout soupçon » ( Commentaries on the Laws of England (1769), Livre IV, p. 343).
[145] Les « égaux et voisins » dont parle Blackstone doivent recevoir un sens très restreint. Lorsque Blackstone a écrit les lignes précitées dans les années 1760, cette expression désignait les propriétaires fonciers de sexe masculin, ou les lords si un lord était inculpé ( Commentaries on the Laws of England (1768), Livre III, p. 349). Lorsque le système de jury a été introduit au Canada comme élément de la common law d'Angleterre, il fallait encore que les jurés soient des propriétaires fonciers de sexe masculin (R. B. Brown, A Trying Question: The Jury in Nineteenth‑Century Canada (2009), p. 45 et 135).
[146] Les restrictions fondées sur le sexe ont subsisté jusque dans les années 1970, quand les dernières provinces canadiennes ont modifié leurs lois pour permettre aux femmes d'agir comme jurées. Au cours d'une bonne partie de l'histoire canadienne, les Autochtones étaient systématiquement exclus de la fonction de juré par les effets combinés du racisme, du déni du droit de vote aux Autochtones et de l'exclusion des réserves des listes brutes : voir, par exemple, Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba (1991), vol. 1, p. 378‑379.
[147] Ces exclusions témoignent de préjugés qui n'ont pas leur place dans l'administration de la justice et qui ne seraient plus tolérées dans le système de jury moderne. De fait, elles seraient considérées aujourd'hui comme des exclusions délibérées qui violent les droits que les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte garantissent à l'accusé. Comme le montre cette histoire difficile, la société s'est éloignée de la conception du jury fondée sur l'identité. Il y a d'ailleurs des raisons impérieuses de le faire : les gens peuvent avoir de multiples identités ou caractéristiques interreliées qui ne se prêtent pas à une simple catégorisation. La notion même d'identité change constamment. Par conséquent, de nos jours, la sélection des candidats jurés ne se fait pas sur le fondement de leur identité ou de leurs caractéristiques. Cela ne veut pas dire que la conception de Blackstone — pour qui le jury devait être composé [ traduction ] « d'égaux et de voisins » — est sans valeur. C'est plutôt que, s'ils sont interprétés correctement, « les égaux et les voisins » renvoient à la société dans son ensemble.
[148] Le procès avec jury est un procès par des profanes issus de la collectivité, dont la tâche consiste à établir les faits et à rendre un verdict. Le Black's Law Dictionary (10 e éd., 2014) définit le jury comme [ traduction ] « [u]n groupe de personnes sélectionnées conformément à la loi et investies du pouvoir de trancher des questions de fait et de rendre un verdict » (p. 986). Cette définition porte exclusivement sur sa fonction de juge des faits, plutôt que sur ses qualités de représentant. Quelles sont les caractéristiques essentielles du jury qui lui permettent d'exercer cette fonction de prise de décision collective?
[149] Le jury doit être indépendant et impartial, comme le prévoit l' al. 11 d ) de la Charte ( R. c. Davey , 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 30). Par‑dessus tout, cette double exigence est fondamentale et explique en partie pourquoi le procès avec jury fait partie du droit de l'accusé à un procès équitable. Bien entendu, le jury doit aussi être compétent et le processus permet au tribunal d'exclure les jurés qui ne sont pas en mesure d'exercer leurs responsabilités : Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , art. 632 et 644 .
[150] Notre Cour a relevé d'autres caractéristiques du jury ancrées à l' al. 11 f ) de la Charte . La liste des jurés doit être dressée au moyen d'un processus neutre et largement inclusif qui ne favorise ni la poursuite ni l'accusé. Ce processus favorise l'indépendance et l'impartialité du jury qui finira par être constitué. Comme notre Cour l'a affirmé dans R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509, p. 524 :
Le jury moderne n'était pas destiné à servir d'outil au ministère public ou à l'accusé, ni à être endoctriné à cette fin au moyen de la procédure de récusation. On le concevait plutôt comme un échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement .
[151] La notion d'échantillon représentatif de la société a engendré une certaine confusion. Comme je l'expliquerai plus loin, la représentativité n'est pas une question d'inclusion ou de représentation de tous les groupes et points de vue que l'on trouve dans la société. Elle décrit plutôt le fonctionnement du jury en tant qu'institution, dans laquelle des profanes sont chargés de contribuer au processus de justice pénale et de fournir le lien essentiel entre ce système et l'ensemble de la collectivité. Le jury sert donc de représentant de la société. Le jury ne tire pas sa légitimité du fait que ses membres reflètent la démographie de cette collectivité. On ne s'attend pas non plus à ce que les jurés représentent des points de vue particuliers au cours de leurs délibérations. Le jury agit plutôt au nom de la société. La fonction de représentant est assurée par le recours à un processus de sélection durant lequel l'échantillonnage aléatoire est appliqué à des listes brutes produites à partir d'un large éventail de membres de la collectivité, sans exclusion délibérée ou importante.
[152] En faisant mienne cette conception fonctionnelle de la représentativité, je me dissocie de mon collègue le juge Cromwell. À son avis, une liste de jurés doit refléter ce à quoi ressemblerait un échantillon aléatoire de la collectivité ― dans les faits, elle doit représenter proportionnellement la collectivité dont elle est issue. Je ne partage pas non plus l'opinion de la Cour d'appel selon laquelle la représentativité oblige l'État à faire des efforts raisonnables pour inclure les points de vue particuliers des membres de toutes les collectivités des réserves de Premières Nations dans la liste des jurés.
[153] J'estime que, si l'on adopte une telle démarche fondée sur l'identité qui vise à garantir que certains points de vue soient exprimés dans la liste des jurés, cela constituerait un écart important par rapport à l'expérience et à la jurisprudence canadiennes. Personne ne conteste que le système de jury canadien n'a jamais exigé que le tableau final des jurés constitué pour un procès représente proportionnellement les points de vue et les identités que l'on trouve dans une collectivité donnée. Comme l'a écrit la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761, par. 56‑57 :
J'admets que le jury doive être impartial et compétent. En revanche, avec égards, la loi n'a jamais dit que le jury devait être représentatif. Pendant des siècles, les jurys ont été composés exclusivement d'hommes au Canada. Devons‑nous en conclure qu'ils étaient tous, pour cette raison, partiaux et incompétents?
Exiger que le jury soit représentatif, c'est confondre la fin et les moyens. Je conviens que la représentativité puisse procurer une garantie supplémentaire d'impartialité et de compétence. J'irais même jusqu'à dire que c'est en général une bonne chose. Par contre, je ne peux admettre que la représentativité est toujours essentielle, ou que son absence donne automatiquement à l'accusé le droit à un nouveau procès.
[154] Admettre que les exclusions fondées sur des préjugés n'ont pas leur place dans le système de jury moderne ne revient pas à dire que le jury doit être constitué à partir d'une liste qui reflète proportionnellement les différents points de vue et caractéristiques que l'on trouve dans la société. À mon avis, les mêmes considérations pratiques et considérations de principe qui militent contre l'obligation d'avoir un jury proportionnellement représentatif s'appliquent tout autant à la liste des jurés.
[155] Premièrement, la société accepte depuis longtemps qu'en principe, les gouvernements puissent déclarer bon nombre de personnes inhabiles à remplir les fonctions de juré, par exemple en raison de leur profession, de leur instruction, de leurs antécédents judiciaires ou de leur statut d'immigrant : voir, par exemple, la Loi sur les jurys , L.R.O. 1990, c. J‑3, art. 2‑4; R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65 (C.A.). Imposer la proportionnalité dans la sélection des jurés saperait complètement ces restrictions de longue date.
[156] Toutefois, cette approche pose des problèmes beaucoup plus fondamentaux qu'une simple question pratique. Quelles caractéristiques auraient à être « représentées » au juste? La race? Le sexe? L'origine ethnique? La religion? La langue? L'instruction? La situation socioéconomique? Le fait de résider dans un milieu urbain ou rural? Dans Church of Scientology , à la p. 121, le juge Rosenberg, de la Cour d'appel de l'Ontario, a illustré les problèmes conceptuels qui se posent lorsque la représentativité est vue comme un droit positif plutôt qu'une interdiction contre les exclusions irrégulières :
[ traduction ]
Demander au shérif de préparer une liste ou un tableau de jurés entièrement représentatif serait contraire à la sélection au hasard. Il faudrait que le shérif ajoute à la liste ou au tableau des candidats jurés qui correspondraient aux caractéristiques considérées nécessaires à la représentativité. Le processus de sélection deviendrait beaucoup plus envahissant, le shérif devant, pour préparer une liste représentative, exiger des candidats jurés de l'information concernant leur race, leur religion, leur pays d'origine et d'autres caractéristiques jugées essentielles à la représentativité [. . .] [L]e droit à une liste ou à un tableau représentatif de jurés est un droit essentiellement restreint. Il ne saurait y avoir de droit absolu à une liste ou à un tableau représentatif de jurés.
La juge McLachlin a traité dans Biddle des mêmes problèmes que présente le fait d'exiger la constitution d'un jury représentatif et, tout comme elle, je « ne vois pas l'utilité de s'engager dans cette voie problématique de la représentativité du jury, pourvu que l'impartialité et la compétence du jury soient garanties. La représentativité peut être un moyen d'atteindre cette fin. Mais elle ne devrait pas être élevée au niveau d'exigence absolue. » (par. 58)
[157] L'intimé souligne le rôle important du jury en tant que conscience de la collectivité, plaidant que ce rôle exige un droit plus solide à la représentativité. Il est vrai qu'en établissant un lien entre la collectivité dans son ensemble et l'administration de la justice, et en raison du rôle décisionnel aussi important qui a été confié à des profanes de la collectivité, le jury sert de pont entre le public et le système de justice, et renforce la confiance à l'égard de l'issue d'une affaire en particulier et du fonctionnement du système de façon plus générale : Davey , par. 30. Les rôles que joue le jury, soit instruire le public, renforcer la légitimité du système de justice et agir comme conscience de la collectivité, sont manifestement des fonctions positives de notre système de procès avec jury : voir Sherratt , p. 523‑24.
[158] Toutefois, il importe de ne pas confondre ces importants rôles ou effets du système de jury et les caractéristiques essentielles qui lui permettent d'exercer ces fonctions. Ces caractéristiques découlent des qualités qui jouissent d'une protection constitutionnelle : l'indépendance, l'impartialité et la compétence. Elles sont assurées par la sélection au hasard à partir d'une liste de jurés résultant d'un large échantillonnage de la collectivité dans son ensemble, sans exclusion délibérée de jurés par ailleurs qualifiés et, à une étape ultérieure, par la possibilité de les récuser pour un motif valable. En ce sens, le jury est représentatif de la société.
[159] Ainsi, bien que la représentativité — dans le sens très général de représentation de la société — soit une caractéristique essentielle du jury, elle doit être interprétée en fonction de la raison pour laquelle elle est protégée. Plutôt que de garantir à des collectivités ou à des points de vue particuliers un rôle dans le processus, la représentativité du jury assure l'indépendance, l'impartialité et la légitimité de l'institution par la sélection aléatoire à partir de la collectivité dans son ensemble. Le droit à un procès avec jury ne garantit pas qu'un groupe en particulier sera représenté; il garantit seulement que la liste des jurés doit être dressée par la sélection au hasard à partir de listes résultant d'un large échantillonnage, sans exclure délibérément ou de façon importante une couche de la population. Cette conception de la représentativité concorde avec l'affirmation générale de notre Cour dans Sherratt selon laquelle la représentativité est garantie par la sélection au hasard à partir de listes brutes largement inclusives : p. 525.
[160] Selon mon collègue le juge Moldaver, il suffit que l'État fasse des efforts raisonnables pour employer un processus équitable et largement inclusif. J'estime toutefois que le processus employé est constitutionnellement acceptable ou ne l'est pas. Les efforts raisonnables déployés par l'État pour respecter les obligations que lui impose la Charte seraient sans doute pertinents à l'étape de détermination de la réparation. Toutefois, c'est le caractère adéquat du processus employé et non la qualité des efforts de l'État qui détermine si les droits que la Charte garantit à l'accusé ont été violés.
[161] Contrairement au juge Moldaver, dont le critère est axé sur les efforts raisonnables de l'État, je n'exclus pas la possibilité que l'État puisse, dans des situations exceptionnelles, violer les droits garantis à l'accusé par la Charte en excluant de façon involontaire mais importante une couche de la population. Il se peut que l'importance de cette exclusion soit telle que le jury ne soit pas en mesure d'exercer sa fonction représentative, le privant ainsi de sa légitimité aux yeux de la société et minant son indépendance et son impartialité. Dans les cas où la liste des jurés est à ce point lacunaire que la société n'admettrait plus qu'un jury constitué à partir de la liste puisse légitimement agir en son nom, il y a violation des droits que les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte garantissent à l'accusé.
[162] Cet aspect supplémentaire du critère de représentativité permet à un demandeur d'établir une violation de la Charte dans un cas où, malgré un processus adéquat et l'absence d'exclusion délibérée, la liste des jurés qui en résulte est néanmoins entachée d'un vice fondamental. On reconnaît ainsi que, même si la représentativité dépend principalement du processus par lequel la liste des jurés est constituée, on ne saurait faire abstraction de l'effet qu'a ce processus sur la capacité du jury d'exercer ses fonctions. Cette analyse supplémentaire traduit donc l'importance de la représentativité et élargit en fait l'obligation constitutionnelle de l'État. Toutefois, comme je l'expliquerai plus loin, il n'y a pas eu une exclusion aussi importante en l'espèce et j'estime qu'il vaut mieux attendre une autre occasion de fixer l'endroit précis où se situe le seuil.
[163] En résumé, le droit canadien n'a jamais indiqué que les jurys étaient représentatifs de toutes les caractéristiques ou de tous les points de vue particuliers que l'on trouve dans la société. Le droit à un jury garanti par l' al. 11 f ) de la Charte n'a jamais donné à l'accusé le droit à un jury ou à une liste de jurés d'une composition particulière. Pour des raisons d'ordre pratique et de principe, il serait problématique de définir les caractéristiques que l'on devrait retrouver dans une liste de jurés. En effet, de nombreux points de vue ne sont pas représentés, car des personnes sont en fait exclues de la liste des jurés par les critères d'admissibilité et exclues du jury lorsque des candidats jurés sont exemptés parce que leur participation leur imposerait une contrainte. Il arrive couramment aux juges d'exempter des candidats jurés qui travaillent à leur compte ou qui ne seraient pas rémunérés pendant leur absence du travail, qui sont aux études, qui doivent s'occuper d'enfants ou qui ont d'autres responsabilités familiales. Je conclus qu'un jury représentatif garanti par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte n'est pas défini en fonction du fait que la liste des jurés reflète les points de vue et les identités qui composent une collectivité. À mon sens, la représentativité d'un jury est principalement fonctionnelle, et non descriptive. Le jury agit au nom de la société et, de ce fait, il la représente.
B. Que faut‑il pour qu'il y ait représentativité?
(1) Les listes brutes
[164] La liste des jurés est représentative si elle est dressée au moyen d'un processus équitable et aléatoire, fondé sur des listes brutes largement inclusives, qui n'exclut pas délibérément ou de façon importante un segment de la collectivité. De telles listes servent de fondement à toutes les étapes subséquentes du processus de sélection des jurés. Il est donc essentiel de faire en sorte que ces listes soient produites à partir d'un large éventail de membres de la collectivité.
[165] Toutefois, la perfection n'est pas nécessaire, et ce, pour bien des raisons. Premièrement, il faut donner aux provinces la latitude d'employer un processus de sélection pratique eu égard à la nature des listes brutes généralement disponibles. Les provinces canadiennes ont choisi différents mécanismes pour dresser les listes de membres de la collectivité dans son ensemble. Certaines se servent de dossiers de santé, alors que d'autres utilisent les listes électorales et les rôles d'évaluation, les annuaires municipaux, les dossiers d'immatriculation automobile ou une combinaison de plusieurs sources : rapport Iacobucci, par. 150‑174. En effet, l'utilisation de ces autres moyens signifie que dans bien des provinces, il est impossible de déterminer la proportion dans laquelle les Autochtones figurent sur les listes brutes. En Ontario, on ne connaît les statistiques relatives à la participation des Autochtones vivant dans des réserves que parce que la Loi sur les jurys prévoit un processus distinct pour les résidents des réserves. Ceux qui n'habitent pas les réserves sont répertoriés dans les listes d'évaluation municipale, lesquelles ne comprennent pas d'information sur le statut d'autochtone de chacun.
[166] Deuxièmement, l'exclusion involontaire de certains segments de la collectivité n'équivaut pas à un vice constitutionnel. Même les meilleures listes brutes excluront encore certaines personnes, et cette exclusion par inadvertance peut toucher certains groupes de façon disproportionnée. Cela ne suffit pas en soi pour établir une violation de l' art. 11 . Puisqu'il n'existe pas de listes brutes parfaites, il s'ensuit que l'État doit bénéficier d'une marge de manœuvre dans le choix de la liste brute étant donné qu'aucune liste ne sera complète en tous points, et que chacune comporte ses propres avantages et inconvénients. Cette marge de manœuvre prend également en compte la latitude importante qu'il faut donner aux gouvernements pour définir les limites de districts judiciaires, lesquelles sont établies à des fins administratives et pratiques et qui n'ont pas à assurer la représentation d'une collectivité ou d'un groupe en particulier. Cette latitude n'est limitée que par l'obligation de veiller à ce que l'exclusion n'ait pas une ampleur telle que le jury ne puisse pas remplir sa fonction de représentation.
[167] Bien que l'exclusion involontaire soit susceptible de se produire en raison des réalités pratiques de la confection des listes de jurés, on ne peut pas en dire autant du fait d'empêcher intentionnellement et irrégulièrement certains groupes de participer. Une liste de jurés viciée par une telle exclusion délibérée ne peut guère être considérée avoir été dressée équitablement et au hasard à partir de la collectivité dans son ensemble, et on ne saurait pas non plus la qualifier d'indépendante et d'impartiale. Un accusé aura donc gain de cause dans sa contestation s'il établit une exclusion délibérée visant à limiter la représentation de certains groupes dans le processus de sélection des jurés.
(2) L'envoi des avis de sélection de juré
[168] L'État doit également faire en sorte que le mécanisme employé pour communiquer avec les candidats jurés sélectionnés ne mine pas la qualité généralisée et aléatoire de la liste des jurés. Cela ne veut pas dire que l'État doive concevoir un modèle parfait pour l'envoi des avis de sélection de juré. Généralement, l'État sera en mesure d'établir qu'il a employé un processus adéquat lorsqu'il utilise le même système par lequel les personnes ou les collectivités en question reçoivent normalement leur courrier.
(3) La représentativité n'oblige pas à remédier aux faibles taux de réponse
[169] Les droits que les al. 11 d ) et 11 f ) garantissent à l'accusé exigent l'utilisation d'un processus neutre pour identifier les candidats jurés et communiquer avec eux. Ceux qui reçoivent un questionnaire sont tenus par la loi d'y répondre. S'ils choisissent de ne pas le faire, les droits de l'accusé à un procès équitable n'imposent pas à l'État une obligation constitutionnelle d'aider ou d'inciter les gens à participer, pourvu que la liste des jurés respecte la norme voulant qu'elle résulte d'un large échantillonnage de la collectivité.
[170] Le juge Cromwell estime que l'État doit promouvoir et faciliter la participation de candidats jurés qui choisissent de ne pas participer au système de jury. Il tire cette conclusion en s'appuyant en grande partie sur la responsabilité de l'État en ce qui a trait à la marginalisation des Autochtones dans le système de justice, et affirme que « [v]u son rôle important dans la création de ces problèmes, l'État devrait être en quelque sorte obligé d'y remédier » afin de s'acquitter de ses obligations en matière de représentativité (par. 281). La Cour d'appel a conclu elle aussi que l'État devait inciter les gens qui reçoivent des avis de sélection de juré à y répondre.
[171] Il ne fait aucun doute que s'attaquer au désengagement des Autochtones vis‑à-vis le système de jury est une étape importante de la résolution du vaste ensemble de problèmes ― qualifiés de crise aux par. 4 et 14 du rapport Iacobucci ― qui pèsent sur l'application du système de justice aux Autochtones. Il ne fait non plus aucun doute que ce désengagement est un problème complexe aux racines profondes et pour lequel il n'existe pas de solution simple. Il est essentiel que le bon outil constitutionnel soit utilisé pour remédier à ce problème. En l'espèce, la Cour est appelée à décider si les droits de l'accusé à un procès équitable sont des outils qui conviennent à cette tâche et, dans l'affirmative, à se prononcer sur l'utilisation qui doit en être faite pour remédier au désengagement des Autochtones vis‑à‑vis le système de jury.
[172] À mon avis, les droits de l'accusé à un procès équitable n'obligent pas l'État à inciter ceux qui ne veulent pas le faire à participer à la sélection des jurés. Aussi troublant ce refus soit‑il, il ne prive pas l'accusé de son droit à un procès devant un jury impartial et indépendant agissant au nom de la société. À mon avis, la conclusion contraire serait incompatible avec la portée limitée de la représentativité en droit canadien. Les droits à un procès équitable que les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte garantissent à l'accusé n'obligent nullement l'État à s'attaquer aux problèmes qui peuvent amener des couches de la population à se désengager du système de justice. Par conséquent, il n'y a pas atteinte au droit de l'accusé à un procès avec jury et le verdict n'est pas compromis parce que l'État ne facilite pas activement la participation de ceux qui ne participent pas ou qui ne peuvent pas le faire. Bien que ce désengagement puisse avoir des répercussions sur d'autres droits constitutionnels, le dossier en l'espèce ne permet pas de trancher cette question.
(4) Conclusion sur la représentativité
[173] Pour conclure, la représentativité du jury a un sens limité en droit canadien. La représentativité ne signifie pas que le jury doit correspondre à un échantillon de la collectivité ou de ses différents points de vue ou caractéristiques. Le jury agit au nom de la société et la représente. Il faut un processus neutre pour dresser la liste des jurés, un processus par lequel les candidats jurés sont sélectionnés au hasard à l'aide de listes établies à partir d'un large éventail de membres de la collectivité au sens qui est donné à ce mot dans la législation pertinente. L'exclusion délibérée de certaines couches de la population de la liste des jurés la rendrait inconstitutionnelle. Une exclusion importante, bien qu'involontaire, peut en théorie être à ce point généralisée que la liste des jurés ne serait plus admise comme groupe agissant au nom de la société et représentant cette dernière. Toutefois, comme je l'expliquerai ci‑dessous, ce n'est pas le cas en l'espèce.
III. Application aux faits
[174] Aux paragraphes 8 à 28 de ses motifs, le juge Moldaver décrit la manière dont la liste des jurés a été dressée en Ontario et dans le district de Kenora.
A. Les conclusions de la Cour d'appel
[175] La Cour d'appel a examiné trois lacunes alléguées dans la confection de la liste des jurés de 2008 pour le district de Kenora. Ces lacunes avaient trait au caractère suffisant des listes brutes employées pour dresser la liste des jurés, au caractère suffisant des méthodes d'envoi par lesquelles les candidats jurés avaient été avisés de leur sélection et au faible taux de réponse des candidats jurés qui avaient reçu leur avis de sélection de juré.
(1) Caractère suffisant des listes brutes
[176] En Cour d'appel, on a présenté une preuve abondante concernant la piètre et déclinante qualité des listes brutes au moyen desquelles les Autochtones qui habitent une réserve étaient inscrits sur la liste des jurés dans le district de Kenora. En 2001, Affaires indiennes et du Nord Canada (AINC, maintenant appelé Affaires autochtones et Développement du Nord Canada) a cessé de fournir à l'Ontario les listes de bandes pour l'application du par. 6(8) de la Loi sur les jurys , invoquant le souci du respect de la vie privée. Après 2000, les employés de la Division des services aux tribunaux (DST) du ministère du Procureur général dans le district de Kenora ont tenté d'obtenir des listes à jour en communiquant avec les Premières Nations pour lesquelles ils avaient reçu des listes d'AINC, et avec les hauts responsables de la nation Nishnawbe Aski. Dans le cadre de ces démarches, les employés de la DST se sont également rendus en 2007 dans quinze réserves accessibles par avion pour discuter de la participation à la sélection des jurés avec les dirigeants des Premières Nations. La même année, les employés locaux de la DST ont également appris qu'ils avaient accidentellement exclu trois Premières Nations de la liste des jurés, y compris la liste de 2008. À la suite de ces démarches, lorsque les questionnaires pour l'établissement de la liste des jurés de 2008 devaient être envoyés par la poste, le bureau de la DST de Kenora possédait les listes de bandes de 2007 visant huit Premières Nations, les listes de bandes de 2006 visant deux Premières Nations, les listes d'AINC de 2000 visant 32 Premières Nations, mais aucune liste visant l'une des trois Premières Nations manquantes ou visant une autre Première Nation pour laquelle les employés de la DST n'avaient apparemment jamais possédé de liste de bande.
[177] Le juge LaForme a conclu que le jury qui avait déclaré M. Kokopenace coupable avait été constitué à partir de listes tellement périmées qu'elles ne représentaient pas adéquatement sur la liste des jurés les Autochtones qui habitaient des réserves. À son avis, ces lacunes ont été aggravées par l'omission de l'Ontario de mettre à jour ses politiques pour donner suite à l'arrêt de notre Cour dans Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien ) , [1999] 2 R.C.S. 203, qui a eu pour effet d'élargir les listes électorales des bandes pour y ajouter les membres de Premières Nations qui habitent une réserve et les membres hors réserve. Il a conclu que l'omission de donner suite à ces changements rendait les listes de bandes beaucoup moins utiles pour l'inscription des Autochtones qui habitent une réserve sur la liste des jurés. Il a en outre conclu que l'État était au courant de ce problème et qu'il avait fait peu de choses pour le corriger.
[178] Les juges majoritaires sur ce point (les juges Goudge et Rouleau) n'étaient pas d'accord, concluant que les listes avaient eu un effet minime sur la représentation des résidents autochtones d'une réserve. Le juge Goudge a reconnu que les listes étaient désuètes et incomplètes, mais il a conclu qu'elles étaient néanmoins d'une utilité considérable pour les besoins de la représentativité, puisqu'elles permettaient quand même d'inclure les points de vue particuliers des résidents autochtones des réserves dans la liste des jurés. Il a conclu que les efforts déployés par les employés de la DST en vue d'obtenir de meilleures listes étaient adéquats, vu l'incidence minime que les listes lacunaires avaient eue sur la représentativité. Le juge Rouleau a convenu que les failles des listes de bandes avaient eu un effet [ traduction ] « assez minime » et il a noté que, selon le rapport Iacobucci, l'obtention de listes complètes et exactes n'aura qu'un effet limité sur le problème des faibles de taux de participation des Autochtones au sein du système de jury (par. 290).
[179] Je souscris aux conclusions des juges majoritaires sur ce point. L'Ontario a pallié les failles de ses listes en faisant des efforts pour les corriger. Bien que ces efforts aient connu un succès mitigé, les employés de la DST, sur l'avis d'un juge qui avait longtemps travaillé dans le district, ont également envoyé une proportion beaucoup plus élevée de questionnaires du juré en employant les listes de bandes qu'ils possédaient, pour pallier ce qu'ils reconnaissaient être un faible taux de réponse. S'il est vrai que certains résidents des réserves ont été involontairement exclus de la fonction de juré en raison de l'insuffisance des listes, la conclusion des juges majoritaires selon laquelle cette exclusion n'avait eu qu'un effet minime signifie qu'elle ne déroge pas à l'exigence que la liste des jurés soit dressée à partir d'un large échantillon de la collectivité.
[180] Pour la même raison, ce n'est pas parce que quatre Premières Nations ne figuraient pas sur la liste des jurés que cette liste n'est pas représentative. L'obligation de faire en sorte que les candidats jurés soient issus de listes brutes établies à partir d'un large échantillon n'exige pas que tous soient inclus et l'exclusion involontaire d'une petite collectivité ― autochtone ou non ― ne mine pas la représentativité de la liste des jurés. Même si les listes brutes ne comprenaient pas toutes les personnes habiles à remplir les fonctions de juré ou toutes les Premières Nations, un jury constitué à partir de cette liste de jurés pouvait néanmoins constater les faits de façon impartiale et indépendante et rendre un verdict au nom de la société. Tant que l'État ne cherche pas intentionnellement à exclure ces collectivités, les exclusions aussi minimes n'équivaudront pas à une atteinte aux droits que les al. 11 d ) ou 11 f ) garantissent à l'accusé.
(2) Caractère suffisant des méthodes d'envoi
[181] La Cour d'appel a tiré des conclusions divergentes quant au caractère suffisant des mécanismes employés par l'Ontario pour envoyer les avis de sélection de juré aux personnes qui habitaient les réserves. Le juge LaForme n'a pas directement traité de cette question dans ses motifs. Le juge Goudge a relevé de sérieux problèmes dans l'envoi des avis et a conclu que l'Ontario n'y avait pas porté attention et n'avait pratiquement rien fait pour déterminer les causes du défaut d'envoi ou pour trouver une façon d'y remédier. À son avis, [ traduction ] « l'omission de l'État de prendre les mesures qui étaient à sa disposition ne saurait satisfaire à la norme des efforts raisonnables » : par. 262. Le juge Rouleau n'était pas d'accord et estimait que les problèmes d'envoi étaient liés aux difficultés d'obtenir des listes à jour de résidents d'une réserve.
[182] Je conviens avec le juge Rouleau que toute lacune en l'espèce est étroitement liée aux problèmes qu'avait l'État relativement à l'exactitude des listes de bandes. Comme nous l'avons vu, la représentativité exige que les avis de sélection de juré soient envoyés aux candidats juré d'une manière qui ne mine pas délibérément ou de façon importante la qualité généralisée et aléatoire de la liste des jurés. En l'espèce, l'État s'est servi du même système d'envoi de courrier (poste restante et tri du courrier par les employés de la poste selon leur connaissance du destinataire) qui dessert en temps normal les collectivités des réserves en question, voire bon nombre de petites collectivités éloignées au Canada. Les lacunes, s'il en est, de cette méthode d'envoi n'ont pas entraîné l'exclusion importante ou délibérée d'Autochtones qui habitent une réserve. Par conséquent, je suis d'avis que les méthodes d'envoi employées par l'État n'ont violé ni le droit à un procès avec jury que l' al. 11 f ) garantit à M. Kokopenace ni les droits à un procès équitable que lui garantit l' al. 11 d ) de la Charte .
(3) Le problème des faibles taux de réponse
[183] La preuve abondante réunie en Cour d'appel indique que, même lorsque l'État réussit à identifier et à sélectionner des Autochtones qui habitent une réserve pour les inscrire sur la liste des jurés, bon nombre d'entre eux ne retournent pas les avis qui leur ont été envoyés. Le rapport Iacobucci explique que ce faible taux de réponse n'est pas attribuable uniquement aux difficultés techniques liées à l'établissement de la liste des jurés. Il est plutôt le signe d'un problème beaucoup plus difficile à résoudre, soit l'aliénation des Autochtones à l'égard du système de justice.
[184] On a recensé de nombreuses raisons à l'origine de la non‑participation au processus de sélection des jurés, notamment : l'opposition entre, d'une part, les valeurs culturelles et les lois des Premières Nations et, d'autre part, celles sur lesquelles repose le système de justice pénale canadien; la discrimination systémique subie par les Autochtones dans les systèmes de justice pénale et de protection de l'enfance; le besoin de transmettre de l'information sur le système de justice et le jury en particulier; les perceptions négatives du système de justice découlant de problèmes liés aux services de police; le désir d'exercer un contrôle accru sur la justice au sein des collectivités dans le cadre de l'autonomie gouvernementale; les rapports souvent difficiles entre le ministère du Procureur général et les Premières Nations en Ontario (rapport Iacobucci, par. 209‑230 et 248‑251).
[185] À ces raisons s'ajoutent des préoccupations d'ordre plus pratique relatives à la vie privée des membres de la bande, aux types de questions posées dans les questionnaires du juré et aux difficultés de logistique que rencontrent de nombreux habitants des collectivités éloignées (rapport Iacobucci, par. 231‑244). Le rapport Iacobucci signale que « [c]e que [les auteurs du rapport ont] entendu [lors des discussions avec les représentants des Premières Nations], toujours et encore, est que le problème de la participation aux jurys restera sans solution tant que des changements importants et substantiels n'auront pas été apportés au système de justice pénale » (p. 209).
[186] Les trois juges de la Cour d'appel ont tous convenu que l'exigence de représentativité fondée sur l' art. 11 obligeait l'État à faire des efforts pour s'attaquer au faible taux de réponse chez les Autochtones qui vivent dans des réserves. Les juges LaForme et Goudge ont conclu que l'État avait manqué à cette obligation, tandis que le juge Rouleau a conclu que les efforts de l'État étaient suffisants. Avec égards, je ne peux souscrire à ces conclusions.
[187] Comme je l'ai mentionné au début des présents motifs, il est incontestable que les problèmes sous‑tendant le désengagement d'un si grand nombre d'Autochtones du système de justice revêtent une importance fondamentale. De fait, ils comptent parmi les problèmes les plus difficiles et les plus pressants auxquels se heurte la société canadienne et pourraient fort bien avoir des implications constitutionnelles. Toutefois, malgré la grande importance de ces problèmes, il ne convient pas de les traiter dans le cadre d'un débat sur les droits à un procès équitable que l' art. 11 de la Charte garantit à l'accusé. Cela ne veut pas dire non plus que la légitimité des verdicts rendus par des jurys dans le district de Kenora doit être compromise en attendant que ces problèmes si profondément enracinés soient résolus.
[188] Ces droits à un procès équitable permettent à l'accusé d'être jugé par un jury indépendant et impartial, issu d'une liste de jurés dressée au moyen d'un processus équitable et neutre de sélection aléatoire à partir de listes brutes provenant d'un large échantillon, sans exclusion délibérée ou importante. Interprétée ainsi, la représentativité du jury est un droit restreint qui vise à permettre au jury d'exercer ses fonctions importantes de juge des faits et de lien entre le processus judiciaire et la collectivité dans son ensemble. L' article 11 n'impose à l'État aucune obligation d'encourager la participation ou de réparer des relations mises à mal qui peuvent amener certains à se désengager du système de justice. L' article 11 ne va tout simplement pas jusqu'à obliger l'État à s'attaquer aux raisons de cette désaffection pour faire respecter le droit de l'accusé à un jury impartial, indépendant et représentatif. Il faudra employer d'autres outils pour résoudre ces problèmes.
IV. Conclusion
[189] À mon avis, l'intimé n'a pas établi que la liste des jurés à partir de laquelle on avait constitué son jury avait été dressée d'une manière qui violait les droits que lui garantit l' art. 11 de la Charte . En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'ordonnance prévoyant la tenue d'un nouveau procès et de rétablir la déclaration de culpabilité de l'intimé.


Version française des motifs de la juge en chef McLachlin et du juge Cromwell rendus par

Le juge Cromwell —
I. Introduction
[190] La sélection d'un jury régulièrement constitué assure les assises nécessaires à la tenue d'un procès équitable et à la confiance du public dans l'administration de la justice (voir p. ex. R. c. Barrow, [1987] 2 R.C.S. 694, p. 714 et 717). Notre conception d'un jury régulièrement formé repose essentiellement sur la condition qu'il soit constitué dans un district donné à partir d'un échantillon aléatoire de personnes habiles à remplir les fonctions de jurés qui, de par cette sélection au hasard, sont représentatives de la population de ce district. La sélection aléatoire est l'instrument de la représentativité, et tout inculpé au Canada qui bénéficie d'un procès avec jury a le droit constitutionnel à un jury représentatif entendu dans ce sens ( Charte canadienne des droits et libertés , al. 11 d ) et f )). Il s'agit en l'espèce de savoir si cette garantie est réelle ou illusoire pour les Autochtones.
[191] À l'issue d'un procès avec jury pour meurtre au deuxième degré à Kenora, Clifford Kokopenace a été déclaré coupable d'homicide involontaire coupable. Il est un Autochtone issu d'une réserve des Premières Nations. Les Autochtones qui résident dans des réserves étaient considérablement sous‑représentés sur la liste des jurés ayant servi à former le jury. Les fonctionnaires provinciaux chargés de dresser la liste des jurés ont utilisé pour ce faire des sources en grande partie périmées sur lesquelles figuraient des personnes qui n'auraient pas dû y être. Les réserves de quatre Premières Nations du district en étaient entièrement exclues. Les fonctionnaires provinciaux ont eu beaucoup de mal à faire parvenir les avis de sélection de juré aux résidents des réserves, et ces derniers, s'ils ont reçu l'avis, étaient nettement moins susceptibles d'y répondre que d'autres candidats jurés. Tout cela sur triste fond de discrimination raciale historique envers les peuples autochtones et de marginalisation de ces derniers dans l'administration de la justice pénale.
[192] Lorsque M. Kokopenace a été mis au courant des problèmes relatifs à la liste des jurés, après le prononcé de son verdict de culpabilité, il a interjeté appel. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont annulé sa déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Après avoir examiné une montagne de preuve, la Cour d'appel a conclu que la sous‑représentation considérable des résidents autochtones de réserves sur la liste des jurés minait l'apparence d'équité et la confiance du public dans l'administration de la justice.
[193] Le ministère public, qui sollicite l'annulation de ce jugement, demande à la Cour de conclure que le droit à une liste des jurés représentative signifie simplement que l'État ne peut procéder à des exclusions irrégulières et que ce qui compte n'est pas tant le résultat que le fait que l'État a déployé ou non des efforts raisonnables. Quant aux grands problèmes de discrimination à l'égard des peuples autochtones et de leur marginalisation au sein du système de justice, invoquer la représentativité des jurys, nous dit‑on, ne constitue pas le bon moyen juridique de les régler. L'État, nous dit‑on, peut s'y attaquer dans le cadre d'une politique sociale, mais ils ne regardent en rien le droit à un procès avec jury.
[194] De même, mon collègue, le juge Moldaver, conclut à l'absence d'infraction à la Charte malgré une sous‑représentation de 30 p. 100 fondée sur la race dans la liste des jurés. Selon lui, lorsqu'il prépare la liste des jurés, l'État n'est tenu à aucune obligation constitutionnelle de remédier aux facteurs systémiques sous‑jacents. En effet, il estime que l'État a pour seule obligation d'offrir une « possibilité honnête » à ceux qui sont marginalisés en raison d'une discrimination raciale de longue date et dont la participation améliorerait la légitimité du système.
[195] À l'instar des juges majoritaires de la Cour d'appel, je suis d'avis de rejeter ces prétentions. J'estime que le respect de la Constitution n'est ni facultatif ni une question de politique sociale. Un Autochtone devant être jugé pour meurtre a été forcé de choisir un jury à partir d'une liste des jurés de laquelle était exclue une bonne partie de la collectivité sur le fondement de la race — la sienne. Cette situation déconsidère à mon avis l'administration de la justice et ébranle la confiance du public dans l'équité du processus pénal. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.
[196] Certes, la sous‑représentation des Autochtones sur les listes des jurés a de nombreuses causes profondes. Or, à mon avis il faut voir la Charte comme un moteur de changement, et non s'en servir pour renvoyer à autrui la responsabilité d'accorder réparation.
II. Faits, questions en litige et historique judiciaire
A. Aperçu des faits et des questions en litige
[197] L'intimé, Clifford Kokopenace, a été reconnu coupable d'homicide involontaire coupable le 17 juin 2008 par un jury en Cour supérieure de justice, à Kenora, en Ontario. Peu de temps après le prononcé du verdict, il a appris que la liste des jurés dressée pour 2008 et qui avait servi à la sélection du jury qui l'avait reconnu coupable était peut‑être entachée de certaines irrégularités. Il s'est avéré que seulement 4,1 p. 100 des candidats jurés inscrits sur la liste étaient des résidents autochtones d'une réserve bien que ceux‑ci représentent environ 30 p. 100 de la population adulte du district de Kenora.
[198] M. Kokopenace a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité au motif notamment que la liste des jurés n'était pas représentative et que, partant, il y avait eu atteinte à ses droits garantis par la Charte à un procès avec jury, à un procès devant un tribunal impartial et à l'égalité devant la loi ( al. 11 f ) et d ), et art. 15). La Cour d'appel, à la majorité, a reconnu qu'il y avait eu atteinte à ses droits; elle a annulé le verdict de culpabilité et ordonné la tenue d'un nouveau procès (2013 ONCA 389, 115 O.R. (3d) 481).
[199] Dans le pourvoi interjeté par le ministère public devant notre Cour, l'existence du concept de la représentativité du jury n'est pas contestée. Le litige porte plutôt sur le sens et la teneur du droit à une liste des jurés représentative, la question de savoir s'il y a eu atteinte à ce droit et, dans l'affirmative, la réparation qu'il convient d'accorder.
[200] J'aborderai ces trois questions connexes :
a) En quoi consiste le droit à une liste des jurés représentative?
b) Y a‑t‑il eu atteinte à ce droit dans le cas de M. Kokopenace?
c) Dans l'affirmative, quelle réparation convient‑il d'accorder?
[201] J'estime qu'il n'est pas nécessaire d'aborder les droits à l'égalité ( art. 15 de la Charte ) vu que je conclus à une atteinte aux droits de M. Kokopenace à un procès avec jury et à un procès devant un tribunal impartial (garantis par les al. 11 f ) et 11 d )) et à la nécessité d'un nouveau procès devant un jury régulièrement formé.
B. Le processus de sélection des jurés en Ontario
[202] La présente affaire porte sur la préparation de la liste des jurés et sur le droit à une liste représentative. Un bon point de départ serait donc de déterminer en quoi consiste une liste des jurés et comment le jury est sélectionné pour le procès.
[203] Je tiens à souligner que les dispositions législatives qui régissent la préparation de la liste des jurés ou le choix du jury pour un procès ne sont pas contestées. M. Kokopenace dénonce la manière dont elles ont été appliquées en l'espèce et qui a porté atteinte à ses droits, non pas l'existence d'un vice constitutionnel qui les entacherait.
[204] En Ontario, le processus comporte trois étapes qui mènent à la sélection d'un petit jury constitué de douze jurés qui jugeront dans un procès criminel. Tout d'abord, le shérif prépare une liste des jurés (C. Granger, The Criminal Jury Trial in Canada (2 e éd. 1996), p. 114‑117). Ensuite, à la demande d'un juge, le shérif sélectionne des noms figurant sur la liste des jurés pour composer les tableaux des jurés (Granger, p. 117‑121 et 143). Enfin, le petit jury est formé par tirage en salle d'audience parmi les personnes inscrites au tableau.
[205] Seule la troisième étape du processus est régie par le Code criminel , L.R.C. 1985, c. C-46 ; les deux autres sont régies par des lois provinciales (E. G. Ewaschuk, Criminal Pleadings & Practice in Canada (2 e éd. (feuilles mobiles)), vol. 2, p. 17‑2; Granger, p. 143). L'entorse à la Constitution invoquée dans le présent pourvoi est survenue à la première étape du processus de sélection des jurés et concerne la préparation de la liste des jurés.
[206] En Ontario, la préparation de la liste des jurés est régie par la Loi sur les jurys , L.R.O. 1990, c. J.3. Aux termes de l'art. 5, le shérif détermine chaque année le nombre de candidats jurés nécessaires au cours de l'année et transmet ces renseignements au directeur de l'évaluation, qui fait envoyer des avis de sélection de juré et les formules de rapport à des personnes choisies au hasard (par. 6(1)). Toute personne qui reçoit un tel avis a l'obligation légale de renvoyer la formule de rapport dûment remplie au shérif (par. 6(5)), à défaut de quoi elle peut être déclarée coupable d'une infraction punissable d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement (par. 38(3)). Après avoir reçu les formules de rapport, le shérif dresse la liste des jurés en y inscrivant le nom des personnes habiles à remplir les fonctions de jurés parmi celles qui ont renvoyé la formule et il certifie que la liste est conforme (art. 8 et 9).
[207] Lorsque la formation d'un tableau des jurés est requise, un juge de la Cour supérieure de justice délivre au shérif des citations selon la formule prescrite par les règlements ( Loi sur les jurys , art. 12). Le shérif choisit ensuite le tableau en faisant un tirage au sort à partir de tous les noms qui figurent sur la liste des jurés (art. 15 à 18.1). Le shérif assigne ensuite les personnes inscrites au tableau, lesquelles sont légalement tenues, à moins d'avoir été exemptées pour cause de maladie ou de préjudice grave, de se présenter devant le tribunal (art. 19).
[208] Pour la formation du petit jury en vue d'un procès, le greffier du tribunal tire au sort les noms des personnes inscrites au tableau des jurés en suivant la procédure prévue à l' art. 631 du Code criminel . Par la suite, les jurés dont le nom a été tiré et qui n'ont pas été dispensés par le juge ou qui n'ont pas fait l'objet d'une récusation péremptoire ou d'une récusation motivée fondée sont assermentés jusqu'à ce que leur nombre suffise à constituer un jury complet (y compris des jurés suppléants, s'il en est ordonné) ( Code criminel , art. 639 à 642 ).
[209] Examinons les registres qui servent à la sélection aléatoire des personnes à qui seront envoyés des avis de sélection de juré et des formules de rapport. Dans les présents motifs, les termes « sources », « registres » et « bassin » sont employés de manière interchangeable et renvoient au terme « listes brutes » qu'utilisent mes collègues. Le processus qui permet d'obtenir les registres de résidents diffère selon le territoire. Il en existe trois catégories.
[210] La première vise les personnes qui résident dans une municipalité, c'est‑à‑dire les personnes dénombrées au recensement prévu par la Loi sur l'évaluation foncière , L.R.O. 1990, c. A.31. Suivant le par. 6(2) de la Loi sur les jurys , le directeur de l'évaluation doit envoyer les avis de sélection de juré à des personnes choisies au hasard, dont le nom et l'adresse proviennent du dernier recensement des habitants du comté effectué en vertu de l'art. 15 de la Loi sur l'évaluation foncière.
[211] La deuxième catégorie vise les personnes qui ne résident ni dans un territoire érigé en municipalité ni dans une réserve. Le par. 8(6) de la Loi sur les jurys prévoit que le shérif « peut recourir à tout registre disponible et, notamment, à la plus récente liste électorale établie et certifiée pour ce territoire, ainsi qu'au rôle d'évaluation ou de perception dressé aux fins scolaires ».
[212] La troisième catégorie vise les personnes qui résident dans une réserve. Je fais remarquer qu'il est acquis aux débats en l'espèce que la très grande majorité des résidents d'une réserve sont des Autochtones. Par conséquent, tout comme la Cour d'appel, j'estime qu'il n'existe pas de véritable distinction entre les [ traduction ] « résidents de réserves » et les « résidents autochtones de réserves » (par. 11). Les réserves autochtones n'étant pas visées par le recensement prescrit par la Loi sur l'évaluation foncière , le gouvernement ontarien ne produit pas de listes énumérant les résidents autochtones des réserves. Contrairement à ce qui y est prévu dans le cas des deux premières catégories, la Loi sur les jurys ne renvoie dans ce cas à aucun registre précis des résidents autochtones de réserves pour la sélection d'un jury par le shérif. En fait, le par. 6(8) permet simplement au shérif d'« obtenir le nom des habitants de la réserve en consultant tout registre disponible ».
[213] Il convient de souligner que, sous le régime de la Loi sur les jurys , la responsabilité d'établir la liste des jurés incombe au « shérif », mais ce sont divers employés provinciaux et locaux qui s'en acquittent dans les faits. Le personnel judiciaire local détermine le nombre d'avis de sélection de juré qui doivent être envoyés aux résidents de réserves et aux résidents hors réserve. La Société d'évaluation foncière des municipalités sélectionne des noms au hasard à partir de la liste de recensement municipale, tandis que le personnel judiciaire local s'occupe de la sélection au hasard de résidents autochtones de réserves et de l'envoi des avis à ces derniers. En outre, le Centre provincial de sélection des jurés (le « CPSJ ») prépare les avis de sélection de juré et les formules de rapport, qui sont ensuite remis au personnel judiciaire local qui les achemine par la poste. Une fois que les formules de rapport sont retournées au shérif et que la liste des jurés est préparée, celle‑ci est certifiée par le directeur de l'administration des tribunaux de la région Ouest qui agit au nom du shérif à cet égard. Enfin, le CPSJ est celui qui délivre les assignations et dresse le tableau des jurés au moyen d'un système de sélection des jurés informatisé, sur réception de la citation.
C. Instance devant la Cour supérieure de justice et devant la Cour d'appel
[214] Les préoccupations de M. Kokopenace à l'égard du processus qui a donné lieu à la liste des jurés pour 2008 dans le district de Kenora ont été portées à l'attention du juge Stach, qui présidait le procès. Comme le jury avait déjà prononcé son verdict, le juge a refusé d'ajourner la détermination de la peine afin d'instruire une demande en annulation du procès parce qu'il s'estimait dessaisi.
[215] La question de la représentativité de la liste des jurés a donc été débattue pour la première fois devant la Cour d'appel de l'Ontario, laquelle a examiné de nombreux nouveaux éléments de preuve à cet égard. La cour a conclu à l'unanimité que, pour déterminer si l'Ontario avait rempli son obligation de fournir une liste des jurés représentative, il fallait se demander s'il avait déployé des efforts raisonnables pour donner aux groupes ayant des perspectives particulières une possibilité honnête d'être inscrits sur cette liste. La Cour d'appel a également rejeté, à l'unanimité, les prétentions de M. Kokopenace fondées sur l' art. 15 . La cour était cependant divisée sur l'issue de l'appel.
[216] Les juges LaForme et Goudge ont tous deux convenu, dans des motifs distincts, que les droits que M. Kokopenace tire des al. 11 d ) et 11 f ) avaient été violés parce que l'État n'avait pas déployé des efforts raisonnables pour offrir aux résidents autochtones de réserves une possibilité honnête de figurer sur la liste des jurés. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont conclu que l'État connaissait ou aurait dû connaître la grave sous‑représentation des résidents autochtones de réserves sur la liste des jurés; que les mesures prises par l'État pour régler le problème étaient insuffisantes et très mal adaptées et que d'autres mesures s'imposaient pour remédier au problème à l'époque pertinente. La Cour d'appel a ordonné la tenue d'un nouveau procès.
[217] Les deux juges majoritaires n'ont pas envisagé de la même façon les sphères d'action étatique où l'Ontario avait manqué à son obligation constitutionnelle. Selon le juge LaForme, l'État se heurtait à deux principaux problèmes auxquels il ne s'était pas véritablement attaqué : obtenir les listes, à jour et exactes, des résidents autochtones de réserves et prendre des mesures pour améliorer le taux décroissant de renvoi des formules de rapport. Pour sa part, le juge Goudge a conclu que l'Ontario ne s'était pas acquitté de ses obligations parce qu'il n'avait [ traduction ] « pas fait d'efforts raisonnables pour faciliter la distribution des formules aux résidents autochtones de réserves et pour les encourager à les retourner » (par. 277).
[218] Le juge Rouleau, dissident, a conclu que l'État avait déployé des efforts suffisants pour respecter les obligations que la Charte lui impose et, par conséquent, il était d'avis de rejeter l'appel. Selon lui, pour mesurer les efforts de l'État, il fallait s'en tenir à ce qui était connu au moment de la préparation de la liste des jurés. Ce n'est qu'après l'établissement de la liste des jurés pour 2008 et après la publication du rapport de l'honorable Frank Iacobucci sur la représentation des Premières Nations sur les listes des jurés en Ontario que l'Ontario a été avisé de la complexité de la question ( La Représentation des Premières Nations sur la liste des jurés en Ontario : Rapport de l'examen indépendant mené par l'honorable Frank Iacobucci (2013) (le « rapport Iacobucci »). Selon le juge Rouleau, compte tenu des renseignements connus à l'époque, les efforts de l'État étaient à son avis raisonnables.
III. Analyse
A. En quoi consiste le droit à une liste des jurés représentative?
[219] Le présent pourvoi soulève des questions précises concernant la représentativité des listes des jurés dans le district de Kenora. Il faut cependant examiner ces questions à la lumière de la place qu'occupe le procès avec jury dans notre système de justice pénale et de son objet, compte tenu du sens particulier à donner à la représentativité lorsqu'il est question des droits que garantit l' art. 11 de la Charte .
(1) Le procès avec jury dans le système de justice pénale
[220] Dans la justice pénale de tradition anglo‑canadienne, le jury est considéré comme le « rempart des libertés individuelles » de l'accusé et comme « moyen d'éducation du public [. . .] incorporant les normes de la société aux verdicts des procès » ( R. c. Turpin , [1989] 1 R.C.S. 1296, p. 1309 – 1310; R. c. Davey , 2012 CSC 75, [2012] 3 R.C.S. 828, par. 30). Le jury exerce plusieurs fonctions : il est le juge des faits, la conscience de la collectivité, le rempart contre l'oppression des lois ainsi qu'une institution éducative par laquelle le public participe directement à un processus judiciaire important (Commission de réforme du droit du Canada, Document de travail 27, Le jury en droit pénal (1980), p. 5–15). Le système du jury est censé renforcer la légitimité du système de justice pénale aux yeux du public. Il confie un véritable pouvoir aux citoyens en leur donnant l'autorité et la responsabilité d'appliquer le droit pénal dans une affaire donnée.
[221] Pour remplir ces importantes fonctions, le jury doit être — et paraître — représentatif de la collectivité, compétent dans l'accomplissement de ses tâches, impartial et indépendant. La question de savoir si le jury possède effectivement ces qualités dépend des personnes choisies pour constituer le jury. C'est pourquoi l'établissement de la liste des jurés à partir de laquelle le petit jury est formé revêt une importance fondamentale pour l'équité réelle et perçue du procès. La formation d'un jury convenable constitue le fondement sur lequel repose toute l'instruction du procès.
(2) La place de la représentativité dans les droits que garantit l' article 11 de la Charte
[222] Au Canada, la Charte ne garantit pas de droit distinct à un jury représentatif. La représentativité — en ce sens que la liste des jurés résulte d'un tirage au sort effectué à partir d'un bassin acceptable de candidats jurés — s'inscrit dans le droit à un procès avec jury et le droit d'être jugé par un tribunal indépendant et impartial garantis par la Charte . Les alinéas 11 d ) et 11 f ) de la Charte , qui s'appliquent aux inculpés, disposent :
11. Tout inculpé a le droit :
. . .
d ) d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l'issue d'un procès public et équitable;
. . .
f ) sauf s'il s'agit d'une infraction relevant de la justice militaire, de bénéficier d'un procès avec jury lorsque la peine maximale prévue pour l'infraction dont il est accusé est un emprisonnement de cinq ans ou une peine plus grave.
[223] Il sera utile d'exposer brièvement quelques points concernant les paramètres du droit à une liste des jurés représentative.
(a) La sélection aléatoire est l'instrument de la représentativité
[224] La représentativité du jury, dont l'importance est fondamentale, est néanmoins interprétée dans un sens [ traduction ] « essentiellement restreint » (motifs de la C.A., par. 31). L'aspect central de la représentativité est la question de savoir si la liste des jurés, qui sert à la sélection des jurés, est aussi représentative de la collectivité que le serait un groupe de personnes choisies aléatoirement au sein de cette même collectivité. Je conçois l'obligation de représentativité exactement dans ce sens. Dans l'arrêt de principe R. c. Sherratt , [1991] 1 R.C.S. 509, la juge L'Heureux‑Dubé explique, à la p. 525, qu'un jury sera suffisamment représentatif si le tableau initial (et j'ajouterais, la liste à partir de laquelle ce tableau est établi) résulte d'une sélection aléatoire issue de sources adéquates :
La représentativité est garantie par la législation provinciale, du moins dans le cas du tableau initial. Le processus de sélection au hasard, conjugué aux sources à partir desquelles s'effectue cette sélection, assure la représentativité du jury criminel canadien.
[225] Le juge O'Leary a bien expliqué ce point dans le jugement R. c. Born with a Tooth (1993), 81 C.C.C. (3d) 393 (B.R. Alb.), p. 396 :
[ traduction ] La représentativité est garantie, premièrement, par l'assurance que le bassin ou la population à partir desquels sont établis les tableaux des jurés est, dans la plus grande mesure du possible, représentatif de la collectivité tout entière et, deuxièmement, par la sélection aléatoire des tableaux des jurés à partir de ce bassin.
[226] Ainsi, la sélection aléatoire est l'instrument de la représentativité. Une liste des jurés représentative ressemble sensiblement au groupe de personnes qui serait réuni à l'issue d'un processus de sélection au hasard effectuée parmi toutes les personnes habiles à remplir les fonctions de jurés dans une collectivité donnée. Le petit jury est représentatif lorsqu'il est régulièrement sélectionné à partir de cette liste. Or, la sélection aléatoire n'est un bon instrument de la représentativité que si le bassin de personnes auquel elle s'applique quand il s'agit de dresser la liste des jurés résulte lui‑même d'un vaste échantillonnage au sein de la collectivité.
(b) D'importantes raisons étayent cette conception restrictive de la représentativité
[227] Des raisons d'ordre pratique et de principe étayent cette conception de la sélection aléatoire comme instrument de la représentativité. S'il fallait définir plus largement la représentativité dans ce contexte, d'interminables débats s'ensuivraient pour savoir qui le jury doit représenter et sur la base de quelles caractéristiques, dont la race, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, les allégeances politiques, l'âge et la situation économique. Définir toutes les facettes possibles de la représentativité d'un jury — et, de surcroît, dresser une liste des jurés qui les refléteraient toutes — présenterait des difficultés d'ordre pratique insurmontables. En outre, s'engager dans cette voie entraînerait inévitablement une incursion grave — voire inacceptable selon nos traditions juridiques — dans la vie privée des candidats jurés, dont un grand nombre refuseraient de révéler ce genre de caractéristiques ou opinions personnelles que j'énumère précédemment.
[228] Ces considérations de principe et d'ordre pratique signifient que nous devons nous garder d'élargir la portée des obligations de communication du ministère public ou d'exposer la vie privée des candidats jurés. Certes, nous attachons une grande importance au droit à une liste des jurés représentative, mais il ne s'ensuit pas que ce droit l'emporte sur toutes les autres considérations. Nous attachons aussi une grande importance au droit à un jury impartial, et pourtant nous assortissons ce droit de limites strictes. Nous ne permettons pas aux parties de faire examiner les candidats jurés par des psychologues avant le procès; en fait nous restreignons grandement la portée de l'interrogatoire auquel sont soumis les candidats jurés dans la salle d'audience, même lorsqu'un motif de récusation est démontré (voir R. c. Williams , [1998] 1 R.C.S. 1128, par. 51‑56). On peut nommer en droit criminel bien d'autres cas où un droit n'est pas protégé au détriment d'un autre. Il n'y a rien d'inhabituel, et encore moins d' « incongru », à conclure qu'il faut mettre en balance le droit à une liste des jurés représentative d'une part et les autres droits et valeurs importants, y compris d'autres mesures visant à assurer l'impartialité du jury, d'autre part et que le premier se définit à la lumière des autres. De plus, on peut concevoir que la protection de la vie privée des jurés ne mine pas, mais favorise, l'impartialité du jury. Pour reprendre les propos du juge Moldaver dans l'arrêt R. c. Yumnu , 2012 CSC 73, [2012] 3 R.C.S. 777, qu'il a exprimés au par 42 : « [l]orsqu'ils ont été choisis, les jurés deviennent les juges des faits. Leur vie personnelle n'est dès lors pas plus pertinente que celle du juge qui préside l'audience ».
[229] Concrètement, la protection de la vie privée d'un juré signifie qu'un accusé sera rarement en mesure d'établir la sous‑représentation d'un groupe donné à moins de dénoncer le caractère inadéquat d'un registre ou une autre dérogation importante au principe de la sélection aléatoire. La présente affaire est toutefois très inhabituelle. Le paragraphe 6(8) de la Loi sur les jurys vise un groupe manifestement distinct : les résidents autochtones de réserves. Il est encore plus inhabituel que la preuve nous mette en présence du fait indiscutable qu'ils sont beaucoup moins nombreux sur la liste des jurés — et ce dans une proportion de près de 30 p. 100 — qu'ils ne le seraient dans un échantillon pris au hasard dans le district judiciaire. Nous attaquer à ce problème ne bouleversera pas notre tradition de sélection des jurés; en faire fi serait la renier.
[230] Dans l'arrêt R. c. Church of Scientology (1997), 33 O.R. (3d) 65 (C.A.), p. 120-121, le juge Rosenberg a bien expliqué la conception stricte de la représentativité, qui repose sur une sélection aléatoire :
[ traduction ] Le droit à une liste des jurés représentative n'est pas absolu si on entend par là qu'elle est représentative de chacun des nombreux groupes dont la société canadienne est composée. Un tel degré de représentativité est impossible à atteindre . De nombreux obstacles concrets propres au processus de sélection rendent la représentativité intégrale impossible. La liste est dressée à partir d'un district géographique précis, lequel peut ou non être représentatif de la société canadienne en général.
En outre, l'impartialité du petit jury est une caractéristique fondamentale qui est assurée, en partie, par le fait que la liste et le tableau sont issus d'un processus de sélection au hasard . Demander au shérif de préparer une liste ou un tableau entièrement représentatif serait contraire à la sélection au hasard. Il faudrait que le shérif ajoute à la liste ou au tableau des candidats jurés qui correspondraient aux caractéristiques perçues nécessaires à la représentativité. Le processus de sélection deviendrait beaucoup plus indiscret, le shérif devant, pour préparer une liste représentative, exiger des candidats jurés des renseignements concernant leur race, leur religion, leur pays d'origine et d'autres caractéristiques jugées essentielles à la représentativité. [Je souligne.]
[231] En conséquence, le droit à une liste des jurés représentative n'emporte pas le droit d'être jugé par un petit jury qui représente, toutes proportions gardées, la population, ni celui d'être jugé par un jury dont les membres appartiennent au même groupe, à la même race ou au même sexe que l'accusé ( R. c. Biddle , [1995] 1 R.C.S. 761, par. 55-60, la juge McLachlin; Church of Scientology , p. 121; R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405 (C.A. Man.), p. 421-422; Born with a Tooth , p. 397) (Je signale que les remarques de la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Biddle portaient sur la composition du petit jury; la Cour a confirmé à au moins deux reprises l'obligation quant à la représentativité du tableau des jurés ( Sherratt , p. 525, la juge L'Heureux‑Dubé, au nom des juges majoritaires; Williams , par. 45‑47, la juge McLachlin (maintenant Juge en chef) au nom de la Cour).
[232] La représentativité telle que nous la concevons dépend donc largement de la liste des jurés utilisée pour la sélection des candidats jurés puisqu'une sélection au hasard des noms tirés de cette liste est réputée satisfaire au critère de représentativité.
[233] Je tiens à être très clair. L'analyse est axée sur le processus de sélection aléatoire parce qu'il est, dans notre tradition juridique, l'instrument de la représentatitivé. Il est possible d'établir une sélection aléatoire lacunaire en démontrant des vices dans le processus, par exemple qu'un grand nombre de personnes habiles à remplir les fonctions de jurés ont été exclues de la liste, comme cela s'est produit dans l'affaire R. c. Buckingham , 2007 NLTD 107, 221 C.C.C. (3d) 568. Or, il existe d'autres moyens de démontrer un écart par rapport à une sélection aléatoire en bonne et due forme. Que l'analyse soit axée sur le processus de sélection aléatoire ne signifie pas que les résultats du processus ne comptent pas lorsqu'il s'agit de déterminer si ce dernier était acceptable. En l'espèce, le processus a produit des résultats qui se démarquent manifestement et considérablement de ceux qu'aurait produits une sélection aléatoire en bonne et due forme. Contrairement à mon collègue, le juge Moldaver, j'estime qu'on ne saurait faire fi des résultats lorsqu'ils démontrent clairement, comme dans la présente affaire, un écart considérable par rapport à un processus en bonne et due forme de sélection aléatoire.
(c) La représentativité et l'impartialité sont des notions distinctes, mais connexes
[234] Il ne faudrait pas confondre représentativité et impartialité. La représentativité s'inscrit dans un ouvrage de protections qui contribuent à assurer l'impartialité du jury et la confiance du public. Il s'agit notamment des directives du juge et des avocats, de la récusation du tableau des jurés, du pouvoir du juge d'écarter les jurés partiaux et du processus de récusation motivée (voir p.ex. Williams , par. 47). Pour reprendre les propos de la juge L'Heureux‑Dubé dans Sherratt :
L'importance perçue du jury et du droit, conféré par la Charte , à un procès avec jury n'est qu'illusoire en l'absence d'une garantie quelconque que le jury va remplir ses fonctions impartialement et représenter, dans la mesure où cela est possible et indiqué dans les circonstances, l'ensemble de la collectivité. De fait, sans les deux caractéristiques de l'impartialité et de la représentativité, un jury se verrait dans l'impossibilité de remplir convenablement un bon nombre des fonctions qui rendent son existence souhaitable [. . .] [Je souligne; p. 525.]
[235] Aux termes des art. 629 et 630 du Code criminel , l'accusé ou le poursuivant peut demander la récusation du tableau des jurés, soit ceux qui ont été assignés pour constituer le jury, pour l'un des motifs suivants : « [P]artialité, fraude ou inconduite délibérée du shérif ou des autres fonctionnaires qui ont constitué le tableau » (voir également Ewaschuk, p. 17‑5 et 17‑6). Les demandes de ce genre sont présentées avant le procès. La récusation a été demandée, par exemple, dans un cas où la preuve avait établi que le shérif avait pour principe de n'inscrire aucun Autochtone au tableau et un autre où le tableau avait été créé à partir de registres depuis longtemps périmées sur lesquels ne figuraient pas des dizaines de milliers de personnes habiles à remplir les fonctions de jurés ( R. c. Butler (1984), 63 C.C.C. (3d) 243 (C.A. C.‑B.); Buckingham ).
[236] Le juge du procès a un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de dispenser les jurés dont l'impartialité est mise en doute ( Code criminel , art. 632 et 633 ). Les parties ont également le droit de récuser péremptoirement un juré et la possibilité de procéder à la récusation motivée, prévus aux art. 634 à 638 du Code criminel (voir également R. c. Williams , par. 47; R. c. Parks (1993), 15 O.R. (3d) 324 (C.A.) p. 334).
[237] Ces moyens de garantir l'impartialité, conjugués à l'obligation de représentativité, visent à produire un jury impartial dont les membres ont des points de vue et des attitudes ancrés dans la collectivité où se tient le procès. Le jury ainsi produit est donc un « échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement » ( Sherratt , p. 524).
[238] Toutes ces protections, y compris l'obligation de représentativité, sont particulièrement importantes dans un contexte où les préjugés raciaux sont possibles. Pour reprendre les propos de la Juge en chef actuelle dans Williams , les préjugés raciaux sont d'une nature « insidieuse ». Ces notions « [p]rofondément enracinées dans la psyché humaine » reposent sur « des idées préconçues et des suppositions incontestées qui façonnent le comportement quotidien des gens sans qu'ils s'en rendent compte » (par. 21). Une liste des jurés représentative de la collectivité donnera vraisemblablement un petit jury qui pourra éviter ces effets souvent inconscients du racisme. D'ailleurs, les règles relatives à la récusation motivée sont fondées sur le principe de la représentativité entendue en ce sens ( ibid . par. 42). Si la prémisse n'est pas solide, l'ouvrage des protections de l'impartialité s'en trouve en entier affaibli.
[239] L'arrêt Williams nous enseigne également de nous méfier des arguments dits « du doigt dans l'engrenage » que l'on pourrait invoquer pour s'opposer aux efforts de réforme du processus de sélection des jurés pour contrer le racisme dans la sélection des jurés. Mon collègue propose que si on voulait remédier à la sous‑représentation fondée sur la race qui est en cause dans le présent litige, il « serait alors pratiquement impossible de tenir un procès avec jury à quelque endroit que ce soit au pays » de telle sorte que « l'administration de la justice pénale en souffrirait énormément » (motifs du juge Moldaver, par. 83). Des arguments semblables avaient été avancés dans l'affaire Williams en opposition à la récusation fondée sur la race (voir par. 51‑56). À l'époque, ils ont été rejetés, et le ciel ne nous est pas tombé sur la tête. De même, il faut les rejeter en l'espèce.
[240] Il existe de nombreux moyens évidents de s'attaquer concrètement au problème. Par exemple, certains sont esquissés dans les motifs du juge Goudge de la Cour d'appel (voir p. ex. le par. 273). L'un de ces moyens évidents — mais qui n'a pas été pris — consistait à faire [ traduction ] « des efforts concertés pour déterminer, après consultation des chefs des réserves autochtones, les causes du faible taux de réponse au sein de celles‑ci par rapport au taux à l'extérieur des réserves ou les mesures étatiques qui permettraient d'améliorer la situation » (par. 265). Selon le juge Goudge, « il y a et il y avait des solutions pour remédier à ce problème, si l'État les avait cherchées » (par. 274). Ou encore, comme le résume le juge LaForme de la Cour d'appel [ traduction ] « . . . les actes de l'État démontrent qu'il a presque fait complètement fi de la relation spéciale qu'il entretient avec les Autochtones [. . .] Rien ne prouve que l'État a tenu compte de la marginalisation critique des Autochtones dans le système de justice pénale [. . .] dans sa façon d'aborder le problème de leur représentation au sein des jurys » (par. 210).
(d) La représentativité et les alinéas 11f) et 11d) de la Charte
[241] L' alinéa 11 f ) — le droit de bénéficier d'un procès avec jury si l'on est accusé d'une infraction punissable d'un emprisonnement de cinq ans ou d'une peine plus grave — constitutionnalise l'institution du jury comme composante fondamentale du système canadien de justice pénale. La représentativité est partie intégrante de cette composante. Dans l'arrêt Sherratt , la juge L'Heureux‑Dubé souligne à la p. 524 que le jury « [est] con[çu] [. . .] comme un échantillon représentatif de la société, constitué honnêtement et équitablement » et que « [t]oute autre vision risque d'aller à l'encontre des motifs mêmes de l'existence d'une telle institution ». J'aborde précédemment ces motifs : la qualité de juge des faits du jury repose sur la sagesse collective des jurés; il exprime la conscience de la collectivité; il sert de rempart contre les lois oppressives ou leur application; il constitue un moyen par lequel le public acquiert une meilleure connaissance du système de justice criminelle; et, grâce à cette connaissance, il accroît la confiance de la société dans l'ensemble du système ( Sherratt , p. 523‑524).
[242] Par conséquent, la représentativité [ traduction ] « assortit les fonctions du jury [. . .] de la possibilité qu'un groupe hétérogène présente des points de vue différents » et « vise à faire en sorte que des personnes avec ces points de vue différents [. . .] ne risquent pas d'être systématiquement exclues de la liste des jurés » ( Church of Scientology , p. 122). Il s'ensuit que la représentativité constitue l'une des caractéristiques fondamentales d'un jury régulièrement formé ( Sherratt , p. 525). La représentativité, tout comme l'impartialité, est essentielle pour que l'institution du jury joue son rôle de « conscience de la collectivité » et pour que l' al. 11 f ) ait un véritable effet (voir R. c. Big M Drug Mart Ltd. , [1985] 1 R.C.S. 295). La représentativité est conçue comme une partie intégrante de ce droit ( Sherratt , p. 523-525; R. c. Find , 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, par. 43, la juge en chef McLachlin; R. c. Yooya , [1995] 1 C.N.L.R. 166 (B.R. Sask.); R. c. Teerhuis‑Moar , 2010 MBCA 102, 222 C.R.R. (2d) 207, par. 132-143; Church of Scientology , p. 119).
[243] En plus du rôle qu'elle joue pour donner effet au droit à un procès avec jury garanti par l' al. 11 f ) de la Charte , la représentativité constitue l'un des éléments qui font du jury « un tribunal indépendant et impartial » au sens où il faut l'entendre pour l'application de l' al. 11 d ) . Dans l'arrêt Williams , la Cour précise qu'un « tableau des jurés représentatif » constitue une « garantie essentielle du droit à un procès équitable et à un jury impartial, que l' al. 11 d ) de la Charte confère à l'accusé » (par. 47; voir également R. c. Pan , 2001 CSC 42, [2001] 2 R.C.S. 344, par. 42; Davey , par. 30; Parks , p. 336). Les vices de formation du jury qui touchent son caractère représentatif seront analysés pour savoir s'il y a eu violation à l' al. 11 d ) . Par exemple, dans l'affaire R. c. Nahdee , [1994] 2 C.N.L.R. 158 (C. Ont. (Div. gén.)), la cour a conclu que l'omission par le shérif d'obtenir des registres de résidents autochtones de réserves avait donné lieu à une liste des jurés qui n'était pas représentative et, sur le fondement de l' al. 11 d ) de la Charte , a déclaré que le processus de sélection du tableau des jurés était irrémédiablement vicié ab initio . Dans le contexte d'une enquête du coroner, la Cour d'appel de l'Ontario a également affirmé que l'exclusion effective des Autochtones pouvait vicier la liste des jurés ( Pierre c. McRae , 2011 ONCA 187, 104 O.R. (3d) 321).
[244] Suivant la protection que lui confèrent les al. 11 d ) et 11 f ), le droit à la représentativité de la liste des jurés est un droit conféré à l'« inculpé », et non à des groupes précis ou à la collectivité en général. Par conséquent, si la représentativité constitue un aspect des droits garantis aux al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte , ces dispositions ne confèrent pas pour autant un droit correspondant permettant à la collectivité en général ou à un groupe précis de faire partie d'une liste de jurés, d'un tableau de jurés ou d'un petit jury.
(3) Quand la non‑représentativité de la liste des jurés constitue‑t‑elle une violation des alinéas 11 f ) et 11 d ) ?
[245] En général, pour obtenir une liste des jurés représentative qui satisfera généralement à l'obligation de représentativité visée aux al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte , il faut que deux conditions soient réunies.
[246] Premièrement, les registres à partir desquels sera effectuée la sélection aléatoire doivent être sensiblement représentatifs du district. Ainsi que l'a affirmé la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Born with a Tooth , [ traduction ] « le bassin ou la population à partir duquel sont établis les tableaux des jurés [devrait être], dans la plus grande mesure du possible, représentatif de la collectivité tout entière » (p. 396). La liste des jurés ne sera suffisamment représentative de la population du district que si le registre des personnes à qui les avis peuvent être envoyés est aussi complet et aussi exact que possible et qu'il ressemble sensiblement à un échantillon pris au hasard parmi toutes les personnes habiles à être jurés dans le district.
[247] Deuxièmement, le groupe constitué des personnes habiles à remplir les fonctions de jurés qui retournent les formules de rapport doit ressembler sensiblement à un échantillon aléatoire du registre. L'État doit donc examiner certains éléments, par exemple, la proportion d'avis et de formules de rapport réellement reçus et les facteurs susceptibles d'influer sur le taux de réponse. Si le groupe constitué des personnes qui retournent les formules ne ressemble pas sensiblement à un échantillon de personnes choisies au hasard dans le registre, le fondement entier de la représentativité est en péril parce que le caractère aléatoire n'est alors plus l'instrument de la représentativité.
(4) Le critère énoncé par la Cour d'appel
[248] La Cour d'appel a énoncé un critère visant à déterminer si l'État avait rempli ses obligations constitutionnelles de garantir que les procès avec jury sont tenus devant des jurys représentatifs. Selon elle, il faut démontrer [ traduction ] « des efforts raisonnables pour tenter de donner aux résidents autochtones de réserves, un groupe ayant des points de vue distincts, une possibilité honnête d'être représentés » (par. 50, le juge LaForme). Je ne partage malheureusement pas leur avis sur deux points.
[249] Premièrement, à mon avis, et contrairement à celui du juge Moldaver, il ne faut pas concevoir le critère comme étant celui de savoir si l'État donne ou non une « possibilité honnête » à des points de vue en particulier d'être représentés. Par cette approche, on confond le bénéficiaire du droit en jeu et le détenteur de l'obligation. Dans l'expression « possibilité honnête » d'être représenté, l'accent n'est plus sur le fait que le droit à une liste des jurés représentative appartient à l'inculpé, aux termes des al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte , mais il est davantage sur ceux qui auraient dû être inscrits sur la liste. Qui plus est, dans cette expression l'accent n'est plus sur l'obligation constitutionnelle de l'État de garantir un jury représentatif. Par ailleurs, on ne parle jamais d'une « possibilité honnête » de bénéficier d'un procès équitable ou d'une « invitation » à être protégé contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. Soit dit en tout respect, il me semble que la notion de « possibilité honnête » d'avoir un jury représentatif n'est pas conforme aux principes consacrés dans la Charte . J'estime qu'il n'y a dans les al. 11 d ) ou 11 f ) de la Charte aucune norme fondée sur une « possibilité honnête ».
[250] Deuxièmement, je n'adopterais pas la norme des « efforts raisonnables », afin de déterminer s'il y a eu restriction du droit, proposée par la Cour d'appel et adoptée par mon collègue, le juge Moldaver. Cette approche s'éloigne, à mon avis, de l'analyse applicable au droit garanti par la Charte dont il est question. La norme des « efforts raisonnables » nous fait facilement perdre de vue le fait que la responsabilité de se conformer à la Charte incombe à l'État et que le droit de bénéficier d'un procès avec jury sélectionné d'une manière conforme à la Charte appartient à l'inculpé. L'État a l'obligation constitutionnelle de ne pas porter atteinte aux droits garantis par la Charte ; il ne suffit pas qu'il déploie des « efforts raisonnables » en ce sens. En outre, la norme des « efforts raisonnables » évacue la question de savoir si la restriction imposée au droit résulte d'une action de l'État.
(5) La représentativité et les actions de l'État
[251] La Charte protège contre les interventions attentatoires de l'État (art. 32). Pour prouver une violation de la Charte , le demandeur doit, par conséquent, non seulement établir que les droits qu'il tire de la Charte ont été restreints, mais aussi que cette restriction est attribuable à une action de l'État. La question qui se pose est celle de savoir s'il existe un lien suffisant entre les actes de l'État et la restriction du droit, de sorte qu'il est possible d'affirmer que cette limite est le fait de l'État (voir p. ex. Canada (Procureur général) c. Bedford , 2013 CSC 72, [2013] 3 R.C.S. 1101, par. 73-78; Kazemi (Succession) c. République islamique d'Iran , 2014 CSC 62, [2014] 3 R.C.S. 176, par. 126 et 131-134). Il n'est pas nécessaire que l'action de l'État soit « l'unique ou la principale cause » de la restriction pourvu qu'il existe « un lien réel, et non hypothétique » entre la restriction reprochée et l'action de l'État ( Bedford , par. 76). Bien que le critère du lien de causalité suffisant ait principalement servi dans le contexte de l' art. 7 , un critère semblable a également été appliqué à l'égard d'autres dispositions de la Charte et de lois provinciales en matière de droits de la personne. J'estime que ce critère convient dans la présente affaire.
[252] Par exemple, dans l'arrêt Symes c. Canada , [1993] 4 R.C.S. 695, une affaire soulevant le droit à l'égalité protégé par l' art. 15 de la Charte , le juge Iacobucci explique que les demandeurs doivent démontrer que les effets préjudiciables ont été « causés en totalité ou en partie » par l'État (p. 764‑765). Plus récemment, dans l'arrêt Québec (Procureur général) c. A , 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, la juge Abella adopte un critère similaire à celui du lien de causalité et indique que « [l]es actes de l'État qui ont pour effet d'élargir, au lieu de rétrécir, l'écart entre le groupe historiquement défavorisé et le reste de la société sont discriminatoires » (par. 332). Fait important, elle rejette également une approche selon laquelle les droits à l'égalité seraient restreints par une limitation interne fondée sur le caractère raisonnable des actes étatiques, et conclut qu'il vaut mieux examiner cette question dans l'analyse relative à la justification que commande l'article premier de la Charte (par. 333).
[253] Une exigence semblable fondée sur l'existence d'un lien de causalité suffisant sous‑tend la jurisprudence de la Cour sur le droit d'être jugé dans un délai raisonnable garanti par l' al. 11 b ) de la Charte . Suivant ces affaires, les actes du ministère public qui contribuent à retarder l'instance, notamment les problèmes systémiques comme la pénurie de ressources institutionnelles, jouent contre lui ( R. c. Askov , [1990] 2 R.C.S. 1199; R. c. Morin , [1992] 1 R.C.S. 771, p. 795-796). En d'autres termes, les lenteurs ayant un lien de causalité suffisant avec une action de l'État sont prises en compte dans l'analyse visant à déterminer si ce dernier a violé le droit de l'accusé d'être jugé dans un délai raisonnable.
[254] Une approche semblable ressort également des lois provinciales en matière de droits de la personne. Dans l'arrêt Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation) , 2012 CSC 61, [2012] 3 R.C.S. 360, une affaire de discrimination par suite d'effets préjudiciables fondée sur le Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 210, la Cour affirme qu'il y a, à première vue, infraction si l'action de l'État a pour résultat de priver un élève de l'accès concret aux services découlant de la mission de l'éducation publique pour un motif protégé (par. 36). La question de savoir si le demandeur a établi l'existence du lien nécessaire entre l'action de l'État et la restriction du droit garanti par la Charte est essentiellement une question de fait.
[255] J'estime que le point de départ de l'analyse n'est pas les efforts que l'État a déployés pour se conformer; il faut plutôt se demander si la liste des jurés était représentative au sens que j'ai décrit. Si elle ne l'était pas, il faut donc déterminer si ce défaut est attribuable à une action de l'État; en d'autres termes, existe‑t‑il un lien suffisant entre la restriction du droit et l'action — ou l'omission — de l'État? À mon avis, pour déterminer si l'État a respecté ses obligations découlant de la Charte , il faut évaluer sa conduite à la lumière des actes par lesquels il a contribué au problème et de sa capacité à le régler.
[256] Lorsqu'une restriction du droit intervient dans une matière qui ressortit entièrement ou en grande partie à l'État, il existe un lien évident entre l'action ou l'omission de l'État et la restriction du droit en question. Dans ces cas, le critère fondé sur les « efforts raisonnables » ne reflète pas la nature de l'obligation de l'État : le respect des droits constitutionnels n'est ni facultatif ni (sous réserve des limites justifiées) fonction des efforts requis. En revanche, l'État ne peut être tenu responsable lorsque l'acte attentatoire intervient dans une matière qui ne lui ressortit pas. Quant aux cas qui se situent quelque part entre les deux situations, la réponse à la question de savoir s'il existe un lien suffisant entre la restriction du droit et l'action de l'État dépendra de la capacité de ce dernier d'intervenir pour régler le problème dans la matière où la restriction agit et des efforts raisonnables qu'il aura déployés pour y parvenir. C'est, à mon sens, uniquement à cet égard que la notion d'« efforts raisonnables » peut jouer un rôle dans l'examen de la question de savoir s'il existe un lien suffisant avec l'action de l'État. La question fondamentale est celle de savoir si le demandeur a établi l'existence d'un lien suffisant entre l'action de l'État et la restriction du droit.
(6) L'approche « prohibitive » et celle de l'« exclusion involontaire » doivent être rejetées
[257] Compte tenu de l'analyse qui précède, je rejette l'argument du ministère public selon lequel le droit à une liste des jurés représentative signifie simplement que l'État ne peut irrégulièrement exclure certains groupes de cette liste. De même, je ne peux souscrire à l'opinion de ma collègue, la juge Karakatsanis, selon laquelle « l'exclusion involontaire d'une petite collectivité [. . .] ne mine pas la représentativité de la liste des jurés » (par. 180). Les fondements sur lesquels reposent les deux propositions ne cadrent pas avec les principes fondamentaux de la Charte . L'État est non seulement responsable de sa conduite attentatoire délibérée, mais aussi des effets involontaires et non souhaitables de ses actions ou omissions. Les tribunaux ont toujours analysé et l'objet et l'effet de l'action étatique pour en déterminer la constitutionnalité : « . . . l'objet et l'effet d'une loi sont tous les deux importants pour déterminer sa constitutionnalité; un objet inconstitutionnel ou un effet inconstitutionnel peuvent l'un et l'autre rendre une loi invalide » ( Big M Drug Mart , p. 331). À mon avis, en acceptant qu'une violation de la Charte ne peut découler que d'un acte intentionnel ou fautif de la part de l'État, on déroge grandement et à mauvais droit à la jurisprudence de la Cour.
[258] Qui plus est, la norme « prohibitive » et celle de l'« exclusion involontaire » font peu pour assurer à l'accusé le jury auquel il a droit dans les cas où l'inscription de certains groupes à la liste des jurés dans le district judiciaire où l'accusé subit son procès présente des problèmes systémiques. Il en résulterait que, pourvu qu'il n'exclue pas irrégulièrement ou intentionnellement un groupe — par exemple, les résidents autochtones de réserves —, l'État n'aurait à s'acquitter d'aucune autre obligation quand il s'agit de fournir une liste des jurés représentative. J'estime que cette approche n'est pas conforme au droit garanti par la Charte à une liste des jurés représentative.
B. Y a‑t‑il eu atteinte à ce droit dans le cas de M. Kokopenace?
(1) La liste des jurés était‑elle représentative?
[259] La première question qui se pose, à mon avis, est de savoir si la liste des jurés préparée en l'espèce répondait à la norme de représentativité exigée par la Charte . Point n'est besoin de se prononcer sur les caractéristiques d'une liste des jurés suffisamment représentative. En l'espèce, quiconque évaluerait la situation conviendrait que la liste ne l'était pas, car sa composition se distinguait nettement de celle qui aurait résulté d'une sélection aléatoire effectuée parmi toutes les personnes habiles à être jurés dans le district. Les faits particuliers et exceptionnels de l'espèce permettent de tirer ce constat pour les raisons suivantes : (i) les résidents de réserves sont en très grande majorité autochtones; (ii) les résidents de réserves constituent environ 30 p. 100 de la population adulte du district judiciaire; (iii) les résidents des réserves constituent environ 4 p. 100 des noms figurant sur la liste des jurés. Par conséquent, la liste des jurés diffère nettement de celle qui aurait résulté d'un processus de sélection aléatoire en bonne et due forme, car les résidents autochtones de réserves y sont sous‑représentés. S'il ne s'agit pas là du défaut de produire une liste des jurés représentative, j'ai du mal à imaginer ce qui pourrait l'être.
(2) La non‑représentativité est‑elle attribuable à une action de l'État?
[260] Il est plus difficile de déterminer si la non‑représentativité est suffisamment liée à une action ou à une omission de l'État. Il faut démontrer non pas un lien de causalité strict, mais plutôt un lien suffisant comme je l'explique précédemment.
[261] Quatre problèmes ont peut‑être contribué à la non‑représentativité de la liste des jurés et je les examinerai à tour de rôle.
[262] Il ne faut pas oublier que la Cour d'appel de l'Ontario était le tribunal de première instance relativement à la question de la représentativité. Ainsi, les conclusions de fait des juges majoritaires de la Cour d'appel, tout comme celles d'un tribunal de première instance, commandent la déférence ( R. c. W.E.B. , 2014 CSC 2, [2014] 1 R.C.S. 34, par. 2); Yumnu , par. 17; Davey , par. 64‑65). Il s'ensuit que les juges de notre Cour « ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait [. . .] à moins qu'elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables » ( R. c. Clark , 2005 CSC 2, [2005] 1 R.C.S. 6, par. 9; voir également Housen c. Nikolaisen , 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, par. 10, 19 et 21‑25; Bedford , par. 48‑56).
(a) Les registres des résidents autochtones de réserves
[263] Les registres des résidents des réserves ayant servi à la sélection aléatoire des personnes à qui ont été envoyés les avis de sélection de jurés et les formules de rapport posaient problème. Si le juge Goudge était d'avis que ces problèmes ne compromettraient pas à eux seuls la représentativité, il partageait l'opinion du juge LaForme quant à leur nature.
[264] Point n'est besoin que les registres soient parfaits. Ils doivent être toutefois essentiellement représentatifs de la population du district, car c'est sur leur fondement que la sélection aléatoire est l'instrument de la représentativité. Le degré de représentativité s'évalue en fonction de l'objectif selon lequel le recours à la sélection aléatoire devient l'instrument de la représentativité. Les registres seront viciés s'ils diffèrent nettement du résultat auquel on arriverait si on sélectionnait au hasard des personnes habiles à être jurés dans le district.
[265] À l'automne 2007 dans le district, aucun registre n'avait été établi à l'égard de quatre Premières Nations, et les registres de 32 autres étaient périmés. Ces derniers dataient de l'an 2000, la dernière année où le gouvernement fédéral avait fourni des registres des bandes. Ainsi que l'a conclu le juge LaForme, seules les personnes âgées de 18 ans et plus à l'époque y figuraient. Par conséquent, la fiabilité de ces registres diminuait chaque année depuis 2000. Cette situation, a‑t‑il souligné, posait un problème particulier, car en général la population des réserves est disproportionnellement jeune. Des registres plus à jour existaient pour les dix autres Premières Nations, mais ceux‑ci comportaient également leur lot de problèmes. Les registres utilisés pour plusieurs réserves comportaient le nom de membres vivant hors réserve même si la procédure prévue au par. 6(8) est censée recruter uniquement des candidats jurés habitant une réserve.
[266] La préparation de ces registres ressortit essentiellement à l'État. Dénombrer ses habitants et connaître leur adresse constitue l'une de ses fonctions fondamentales. De plus, aux termes de la loi provinciale — la Loi sur les jurys —, le shérif est tenu d'obtenir les registres des résidents de réserves, à défaut de quoi ceux‑ci seraient totalement exclus de la liste des jurés. J'estime, en conséquence, que l'approche fondée sur les « efforts raisonnables » ne s'applique pas en l'espèce. Certes, point n'est besoin pour l'État de préparer des registres parfaits, mais ceux‑ci doivent résulter d'un vaste échantillonnage et être sensiblement représentatifs du district. Il n'incombe pas à l'inculpé de prouver que les registres lacunaires étaient la cause unique ou substantielle de la non‑représentativité de la liste des jurés. Comme elle avait adopté l'approche fondée sur les « efforts raisonnables », la Cour d'appel n'a pas abordé la question du lien suffisant entre l'action de l'État et la non‑représentativité. À mon avis, l'accusé en l'espèce a démontré l'existence d'un lien suffisant parce que les registres lacunaires ont inévitablement contribué dans une certaine mesure à la non‑représentativité du jury.
[267] En fait, le ministère public soutient que les registres lacunaires n'ont eu aucune incidence sur la représentativité en l'espèce. Les défauts de cette affirmation sont les suivants : (i) elle est fondée sur une conception de la non‑représentativité qui est limitée à l'exclusion irrégulière et (ii) elle implique, pour qu'il y ait non‑représentativité, que les registres en soient l'unique cause. Si on applique la bonne norme, celle du lien suffisant, l'argument du ministère public échoue. Les nombreuses inexactitudes contenues dans les registres périmés ainsi que l'absence totale de quatre réserves autochtones avaient un lien plus que théorique ou conjectural avec la représentativité du jury.
(b) La distribution des avis de sélection de juré et des formules de rapport
[268] Mon collègue, le juge Moldaver, est d'avis que l'État a l'obligation de faire des efforts raisonnables pour distribuer les avis de sélection de juré et conclut qu'il s'en est acquitté en l'occurrence en s'attaquant « à ces problèmes avec énergie » (par. 121). Or, l'avis de mon collègue est contraire aux conclusions de fait des juges majoritaires de la Cour d'appel, qui commandent la déférence.
[269] Selon le juge Goudge, la distribution des avis de sélection de juré et des formules de rapport posait un problème important. Le juge LaForme a également souligné qu'en omettant de quantifier les avis retournés avec la mention [ traduction ] « non distribuable » et de calculer le taux de réponse, [ traduction ] « [l'État] a fermé les yeux sur ce qui se passait réellement » (par. 89). Il me semble que la distribution des avis et formules de rapport aux candidats jurés ressortit également essentiellement à l'État. J'imagine difficilement à qui d'autre cette responsabilité pourrait incomber. Et, je le répète, la perfection n'est pas exigée; ce qu'il faut, c'est une distribution adéquate qui garantit que le caractère aléatoire de l'échantillon n'est pas compromis. Il n'a pas été satisfait à cette norme en l'espèce.
[270] En 2008, près de 28 p. 100 des avis envoyés aux résidents de réserves dans le district de Kenora ont été retournés à l'expéditeur par le bureau de poste parce qu'ils étaient non distribuables. En comparaison, le taux global pour la province s'établissait à moins de 6 p. 100 pour la même année. Le juge Goudge a conclu que le taux de distribution était [ traduction ] « bien pire » pour les résidents autochtones de réserves et que les avis destinés à ces personnes étaient « beaucoup moins susceptibles d'être distribués » (par. 258). Il a également conclu que l'État avait réagi à cette difficulté par un [ traduction ] « manque de vigilance » et « l'inaction » et qu'au fil des ans, y compris lorsqu'est venu le temps de préparer la liste des jurés de 2008, « rien pour ainsi dire n'avait été fait » pour arrêter les causes de ce problème ou pour y trouver des solutions (par. 260). Il a conclu qu'aucune mesure prise par l'État entre 2001 et 2008 ne s'attaquait au problème de distribution. Je ne vois aucune raison de mettre en doute la conclusion du juge Goudge selon laquelle [ traduction ] « [l]e problème de distribution en était un auquel l'État devait s'attaquer » (par. 258; je souligne). Le juge LaForme est arrivé à une conclusion semblable, soit que même si l'État était bien conscient du faible taux de réponse (qui tient compte évidemment des avis non distribués), [ traduction ] « ses causes n'ont jamais été analysées pour que d'autres modes de mobilisation puissent être adoptés » (par. 208).
[271] Je conclus que l'État est responsable de la distribution inadéquate et qu'il existe un lien suffisant entre cette distribution inadéquate et la non‑représentativité.
(c) Le taux de réponse des résidents autochtones de réserves
[272] Le troisième problème concerne le taux de renvoi des formules de rapport. Il soulève à mon avis une tout autre question dans l'analyse de l'existence d'un lien suffisant avec une action de l'État.
[273] Les destinataires des avis doivent remplir les formules et les retourner par la poste. Bien que l'État ait un rôle à jouer à cette étape, le faible taux de réponse ne peut lui être reproché exclusivement. Les particuliers doivent pour leur part s'acquitter de leur obligation légale, qui consiste à répondre à l'avis. Il s'ensuit que, pour évaluer le lien entre l'action de l'État et la non‑représentativité, quant au taux de réponse, il faut tenir compte des « limites pratiques du système de justice » ( Find , par. 28, citant R. c. O'Connor , [1995] 4 R.C.S. 411, par. 193). Comme je l'explique précédemment, dans le présent contexte, l'approche de la Cour d'appel fondée sur les efforts raisonnables est utile, non pas pour définir la norme constitutionnelle, mais parce qu'elle permet d'établir l'existence ou l'inexistence d'un lien suffisant entre la restriction du droit et l'action ou l'omission de l'État. Si l'État a pris toutes les mesures jugées raisonnables à la lumière de l'ensemble des circonstances pour régler les problèmes à l'égard desquels il est en mesure d'agir, il ne saurait être tenu responsable de l'échec de ces mesures.
[274] Il ne s'ensuit pas pour autant que l'État peut simplement s'en laver les mains. Comme l'a dit le juge Goudge, l'obligation de l'État ne s'arrête pas à la préparation des registres et à la distribution des avis; il lui incombe également d'encourager les destinataires à y répondre. La politique même du Ministère souligne à quel point il importe de suivre de près le taux de réponse : l'évaluation de cet aspect précise‑t‑elle [ traduction ] « est extrêmement importante pour la gestion de notre système du jury » (le juge LaForme, par. 88, citant la note de service PDB n o 563, Directive d'orientation du ministère du Procureur général, 1996).
[275] Par conséquent, je ne puis malheureusement souscrire à la prétention du ministère public et à l'opinion de mon collègue, le juge Moldaver, que la responsabilité de l'État à l'égard du taux de réponse est minime. Selon le ministère public, les efforts que la province a déployés à cet égard étaient raisonnables, mais ils n'ont pu régler le problème parce que [ traduction ] « les causes du faible taux de réponse sont multiples, complexes et dépassent la sphère de contrôle immédiate de l'État » (m.a., par. 78). Mon collègue, le juge Moldaver, partage ce point de vue et est d'avis que l'État « n'était pas [. . .] obligé de remédier aux problèmes systémiques contribuant à la réticence des Autochtones vivant dans des réserves à participer au processus de sélection des jurés » (par. 95). Par conséquent, pourvu que l'État ait donné « à un large échantillon de la société une possibilité honnête de participer » (par. 2), il a respecté son obligation constitutionnelle.
[276] À mon humble avis, ces points de vue n'accordent pas suffisamment d'importance aux droits que la Charte garantit à l'accusé. Il est question en l'espèce du droit de l'accusé à une liste des jurés représentative et de l'obligation de l'État de lui en fournir une. L'État engage sa responsabilité, même à l'égard des aspects qui dépassent sa sphère de contrôle, lorsqu'il ne prend pas des mesures raisonnables visant à contrer les facteurs qui contribuent à la non‑représentativité. Selon les juges majoritaires de la Cour d'appel, de telles mesures n'avaient pas été prises.
[277] Le juge LaForme présente en long et en large les faits qui concernent le problème du taux de réponse et il n'y a pas lieu d'en reprendre tous les détails. Ces faits étayent amplement la conclusion selon laquelle, pour reprendre les termes employés par le juge Goudge, [ traduction ] « [p]ar conséquent, en 2008, l'État savait bien, depuis quelques années, que le faible taux de réponse des résidents autochtones de réserves contribuait de manière importante à leur sous‑représentation dans la liste des jurés annuelle dans le district de Kenora » (par. 249). Le juge Goudge a également conclu que « [l]e taux [de réponse] hors réserve était généralement quatre ou cinq fois plus élevé que le taux pour les résidents des réserves. [. . .] l'État était au courant de cet écart depuis quelques années. L'incidence de cette réalité sur la sous‑représentation des résidents autochtones de réserves sur la liste annuelle des jurés est évidente » (par. 263) Le juge Goudge a si bien résumé ce qu'il pensait des efforts de l'État que je ne saurais faire mieux :
[ traduction ]
. . . l'État a délégué le grave problème du faible taux de réponse à une employée subalterne. Le procédé appliqué par cette dernière, au nom de l'État, d'année en année jusqu'en 2008 pour l'établissement de la liste des jurés n'est rien de moins qu'un échec. Aucun effort ne semble avoir été fait pour tenter de déterminer avec les chefs autochtones les causes des taux de réponse antérieurs ou d'autres incitatifs possibles que l'État pourrait mettre en place.
J'estime qu'une stratégie inefficace conjuguée à l'absence d'autres mesures que l'État aurait pu prendre pour améliorer la situation ne sauraient équivaloir aux efforts raisonnables que l'État doit déployer pour remédier à ce problème [. . .] Le faible taux de réponse constituait un grave problème qui exigeait davantage de la part de l'État. [par. 275-276]
[278] Je conclus que le faible taux de réponse était en partie attribuable à l'absence d'efforts raisonnables par l'État pour y remédier et qu'il existe un lien suffisant entre le taux de réponse et la non‑représentativité.
(d) La marginalisation des peuples autochtones dans le système de justice pénale au Canada
[279] Nous examinons enfin les grands facteurs systémiques qui contribuent sans l'ombre d'un doute à la sous‑représentation des résidents autochtones de réserves sur les listes des jurés. Il est indubitable que derrière tous ces faits et tous ces chiffres concernant les registres, la distribution et les taux de réponse jouent des facteurs fondamentaux, dont l'opposition entre les principes traditionnels autochtones de règlement des conflits et ceux du système de justice pénale, la discrimination de longue date envers les peuples autochtones dans ce système et une connaissance insuffisante du système (motifs de la CA, par. 272, le juge Goudge; rapport Iacobucci, par. 209-230).
[280] Ainsi que l'indique le juge Iacobucci dans son rapport : « [L]e principal obstacle systémique à la participation des Premières Nations au système du jury en Ontario est l'influence négative que le système de justice pénale a eu sur leur vie, leur culture, leurs valeurs et leurs lois tout au long de leur histoire » (par. 209). Même s'il s'agit peut‑être du plus important facteur de sous‑représentation des résidents autochtones de réserves sur les listes des jurés, jusqu'à tout récemment l'État n'avait pas déployé d'efforts concertés pour déterminer avec les chefs autochtones la cause du problème et le rôle que l'État pourrait jouer dans sa résolution.
[281] Le ministère public nous invite à faire fi de ces considérations parce qu'invoquer le droit à une liste des jurés représentative garanti par la Charte n'est pas le bon moyen de remédier à la situation. Mon collègue, le juge Moldaver, est de cet avis. Il estime que l'État n'est pas tenu de s'attaquer aux problèmes systémiques qui contribuent à la marginalisation des peuples autochtones au sein du système de justice pénale pour respecter son obligation relative à la représentativité. À mon sens, ces points de vue font abstraction de la responsabilité de l'État à l'égard de ces facteurs et, du coup, de sa responsabilité de déployer des efforts raisonnables pour régler la situation. Vu son rôle important dans la création de ces problèmes, l'État devrait avoir une certaine obligation d'y remédier lorsqu'il est appelé à respecter le droit constitutionnel d'un accusé à une liste des jurés représentative.
[282] D'abord et avant tout, que veut dire l'expression « problèmes systémiques » dans le présent contexte? C'est un euphémisme qui désigne notamment la discrimination raciale et la marginalisation des Autochtones dans le système de justice. Dans les arrêts R. c. Gladue , [1999] 1 R.C.S. 688, et Williams , la Cour a reconnu l'existence d'un problème de préjugés et de discrimination systémiques contre les Autochtones ayant des démêlés avec la justice.
[283] La Cour dans l'arrêt Gladue fait siennes les conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones et de l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba selon lesquelles le système de justice pénale au Canada ne tient pas compte des « valeurs culturelles et des expériences fort différentes des peuples autochtones » (par. 62-63). Dans l'arrêt Williams , la Cour reconnaît l'existence de préjugés largement répandus contre les Autochtones et, selon elle, la preuve révèle que ce racisme s'est traduit par une discrimination systémique dans le système de justice pénale (par. 58). En outre, comme le juge LaForme l'a fait observer, la Cour dans ces deux arrêts reconnaît que la surreprésentation des Autochtones sur le banc des accusés [ traduction ] « n'est que la partie émergée de l'iceberg que représente l'ensemble des ratés du système de justice pénale à l'égard des peuples autochtones. La sous‑représentation des Autochtones sur les listes des jurés équivaut à une autre partie de cet iceberg, qui découle des mêmes causes fondamentales : une relation mise à mal par des tensions qui remontent à l'ère coloniale » (par. 144).
[284] Faire fi de la discrimination raciale des Autochtones lorsqu'il s'agit de préparer les listes des jurés trancherait nettement avec l'approche de la Cour à l'égard de la discrimination raciale contre ces peuples lorsqu'il s'agit de déterminer la peine des délinquants autochtones. Par exemple, dans l'arrêt Gladue , la Cour reconnaît que la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels constitue un « problème social attristant et urgent » que des pratiques innovatrices en matière de détermination de la peine ne peuvent régler à elles seules (par. 64; voir également par. 58 et 65). La Cour souligne néanmoins qu'il importe de tenir compte de la situation des délinquants autochtones, comme le veut le législateur. Dans l'arrêt R. c. Ipeelee , 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, la Cour répond directement à l'argument voulant que la détermination de la peine ne soit pas un moyen valable de lutte contre la surreprésentation (par. 64). La Cour rejette catégoriquement cette position, citant l'Enquête publique sur l'administration de la justice et les peuples autochtones au Manitoba :
[ traduction ] Malgré l'ampleur des problèmes, le système de justice peut contribuer de beaucoup à la réduction de la délinquance chez les Autochtones. Il peut réduire les formes de discrimination qu'il opère à l'encontre des Autochtones et les façons dont il accroît leur aliénation. [par. 69]
(Citant le Report of the Aboriginal Justice Inquiry of Manitoba , vol. 1, The Justice System and Aboriginal People (1991), p. 110‑111.)
La Cour conclut que « [l]e processus de détermination de la peine offre une occasion valable pour tenter de trouver des solutions au problème de la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes » (par. 70).
[285] De même, à mon humble avis, la préparation d'une liste des jurés représentative — une obligation constitutionnelle — offre une occasion valable pour tenter de trouver des solutions au problème de la discrimination raciale contre les Autochtones et de la marginalisation de ces derniers dans le système de justice. Certes, comme dans le cas de la surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels, des causes profondes contribuent à leur sous‑représentation dans les listes des jurés. Or la Charte sert de tremplin, pas de prétexte pour faire la sourde oreille.
[286] J'estime que l'État a contribué à ces problèmes largement systémiques et, en ne déployant pas des efforts raisonnables pour les régler dans le contexte de la sous‑représentation au sein des jurys, son action ou omission présente un lien suffisant à la sous‑représentativité de la liste des jurés en ce qui a trait aux Autochtones. Il ne fait aucun doute que c'est le cas en l'espèce. Le juge LaForme a conclu que [ traduction ] « rien ne prouve que l'État a tenu compte de l'importante marginalisation des Autochtones dans le système de justice pénale et l'administration de la justice [. . .] dans sa réponse au problème de la représentation au sein des jurys » (par. 210). De même, le juge Goudge a indiqué que [ traduction ] « la marginalisation fondamentale des Autochtones dans le système de justice est un facteur pertinent [. . .] La nécessité de lutter contre cette marginalisation fait simplement ressortir l'importance des efforts que l'État doit fournir afin de donner aux résidents autochtones de réserves la possibilité de figurer sur la liste annuelle des jurés » (par. 241). Il a également fait la remarque suivante : « [a]ucun effort ne semble avoir été fait pour tenter de déterminer avec les chefs autochtones les causes des taux de réponse antérieurs ou d'autres incitatifs possibles à mettre en place » (par. 275).
(e) Conclusion sur la responsabilité de l'État
[287] Pour conclure, parmi les quatre facteurs qui ont contribué à la non‑représentativité de la liste des jurés, deux (les registres et la distribution) incombaient à l'État, et il était en son pouvoir de s'en acquitter. Les deux autres (le faible taux de réponse et la marginalisation des Autochtones) étaient des problèmes auxquels l'État pouvait remédier en partie, mais il n'a pas déployé d'efforts raisonnables pour ce faire. Les juges majoritaires de la Cour d'appel ont aussi conclu qu'avant 2008, l'État aurait pu et aurait dû prendre d'autres mesures pour s'attaquer au problème de la sous‑représentation s'il y avait prêté l'attention voulue en temps opportun. Rien ne justifie de modifier ces conclusions en appel.
[288] Pour ces motifs, je ne puis souscrire au point de vue de mon collègue le juge Moldaver selon lequel les juges majoritaires de la Cour d'appel se sont livrés à un examen « rétrospectif ». Les motifs des juges LaForme et Goudge relatent méticuleusement leur appréciation de la preuve quant à ce que l'État savait ou aurait dû savoir à l'époque. Il ne nous est pas loisible d'y substituer notre propre interprétation.
[289] Je ne dis pas que l'État ne pourra pas s'acquitter de son obligation quant à la représentativité tant que la marginalisation des Autochtones dans le système de justice pénale ne sera pas complètement éliminée. Cependant, l'ampleur et la complexité inouïes du problème ne sauraient servir de prétexte à l'État pour refuser de déployer des efforts adéquats lorsqu'il s'agit de respecter l'obligation constitutionnelle de fournir une liste des jurés représentative.
[290] J'estime qu'il existe un lien suffisant entre l'action et l'omission de l'État d'une part et la non‑représentativité de la liste des jurés d'autre part pour conclure que l'État a porté atteinte au droit de l'accusé à une liste des jurés représentative garanti par les al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte .
C. Quelle réparation convient‑il d'accorder?
[291] Le paragraphe 24(1) de la Charte accorde au tribunal un vaste pouvoir discrétionnaire pour accorder la réparation qu'il estime « convenable et juste eu égard aux circonstances » (voir Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l'Éducation) , 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 55‑57; Canada (Premier ministre) c. Khadr , 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, par. 30‑33). Dans l'examen du pouvoir discrétionnaire en matière de réparation exercé par les juges majoritaires de la Cour d'appel, il nous est permis d'intervenir uniquement s'ils se sont fondés sur des considérations erronées en droit ou si leur décision est erronée au point de créer une injustice : R. c. Regan , 2002 CSC 12, [2002] 1 R.C.S. 297, par. 117; R. c. Babos , 2014 CSC 16, [2014] 1 R.C.S. 309, par. 48; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Tobiass , [1997] 3 R.C.S. 391, par. 87; R. c. Carosella , [1997] 1 R.C.S. 80, par. 48.
[292] Pour déterminer en quoi consiste la réparation convenable à l'omission de l'État de fournir une liste des jurés représentative, il faut examiner l'ensemble des circonstances, notamment la nature de l'atteinte aux droits de l'accusé et son effet sur la confiance du public dans l'administration de la justice. L'étape de l'instance à laquelle le problème est soulevé est également pertinente. Si l'atteinte est invoquée au moment de la sélection du jury, la réparation convenable pourrait prendre la forme d'une ordonnance prescrivant la préparation d'une nouvelle liste. En revanche, si, comme en l'espèce, la question est soulevée pour la première fois après le prononcé du verdict, un jugement déclaratoire pourrait constituer la réparation convenable pourvu que l'accusé n'ait pas établi qu'un nouveau procès est le seul moyen de rétablir la confiance du public dans l'administration de la justice, compte tenu de toutes les circonstances.
[293] En l'espèce, trois raisons m'amènent à conclure que la Cour d'appel n'a commis aucune erreur susceptible d'annulation en ordonnant la tenue d'un nouveau procès en vertu de son pouvoir discrétionnaire. Eu égard à toutes les circonstances de la présente affaire, l'omission de fournir une liste des jurés représentative a miné la confiance du public envers l'administration de la justice. À mon avis, les tribunaux ont traditionnellement hésité à excuser les problèmes graves entachant la sélection d'un jury en les assimilant à de simples questions de forme, ce que nous devons nous garder de faire en l'espèce; l'omission de l'État dans la présente affaire a entraîné une sous‑représentation critique fondée sur la race; enfin, l'accusé appartient à la race même du groupe sous‑représenté sur la liste des jurés.
(1) Un jury régulièrement formé n'est pas une simple question de forme
[294] Un jury régulièrement formé constitue le fondement d'un procès équitable et d'un procès qui valorisera l'administration de la justice dans la collectivité. C'est la raison pour laquelle les tribunaux ont souvent eu des scrupules à excuser les erreurs dans le processus de sélection des jurés comme une simple « question de forme ». Par exemple, dans l'ancien arrêt Morin c. The Queen (1890), 18 R.C.S. 407, le juge en chef Ritchie (dissident quant au résultat, mais l'un des juges majoritaires sur la question de la sélection des jurés) tient les propos suivants :
[ traduction ] . . . l'objection [au processus de sélection des jurés] ne concerne pas une simple question de forme, mais le principe selon lequel le jury à qui le prisonnier sera confié doit être sélectionné, choisi et assermenté conformément à la loi . . .
Puisque j'estime que le prisonnier n'a pas bénéficié d'un procès légal, je ne puis le faire envoyer à la potence. [p. 425-426]
[295] Dans l'arrêt McLean c. The King , [1933] R.C.S. 688, la Cour déclare : [ traduction ] « . . . [D]ans l'administration de la justice pénale, rien n'est plus important que de constituer un jury à l'égard duquel aucune objection ne peut être soulevée et d'assurer à l'accusé qu'il bénéficie pleinement de toutes les protections que la loi met à sa disposition pour lui garantir ce droit, lequel constitue l'essence même d'un procès équitable » (p. 692 (je souligne)).
[296] Dans l'arrêt très succinct R. c. Bird , [1984] 1 C.N.L.R. 122 (C.A. Sask.), la Cour d'appel de la Saskatchewan a exprimé un sentiment semblable : [ traduction ] « [l]e processus qui, délibérément ou non, exclut systématiquement un groupe identifiable des fonctions de jurés peut justifier l'annulation de la déclaration de culpabilité prononcée par le jury sélectionné à l'issue de ce processus. » (p. 122) La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a réitéré ce point de vue dans l'affaire Butler , où il avait été allégué que le shérif avait délibérément exclu des Autochtones de la liste des jurés. La cour a conclu que de tels actes pouvaient être illégaux et engendrer un jury irrégulièrement constitué qui serait alors dépourvu de compétence. Comme le juge du procès n'avait pas examiné la sélection des jurés, la tenue d'un nouveau procès a été ordonnée (p. 259-260).
[297] Dans l'arrêt Barrow , le juge en chef Dickson a à son tour souligné l'importance fondamentale de la sélection des jurés. Pour reprendre ses propos : « [l]a formation d'un jury impartial est cruciale pour qu'il y ait procès équitable »; l'accusé, le ministère public et le public ont tous le droit « d'être certains que le jury est impartial et que le procès est équitable » et « la confiance du public dans l'administration de la justice en dépend » (p. 710). Il a également insisté sur un autre point essentiel : l'importance « cruciale » que justice paraisse être rendue, soit « l'impression chez le public que la procédure est équitable » (p. 715).
[298] En conséquence, il ne suffit pas d'opposer à l'objection relative à la sélection des jurés que l'accusé n'a pas établi le caractère inéquitable de son procès, car ce serait négliger le facteur important qu'est l'apparence d'équité. Toute lacune importante dans le processus de sélection des jurés éventuellement « se répercute sur l'équité du procès tout entier » ( Barrow , p. 719).
[299] Plus récemment, dans l'arrêt Yumnu , la Cour confirme que toute conduite, tant dans le cadre du processus de sélection des jurés que dans tout ce qui le concerne, peut donner lieu à une erreur judiciaire même si l'accusé a à tous autres égards bénéficié d'un procès équitable. La conduite qui constitue « une entrave sérieuse à l'administration de la justice » et heurte « le sens du franc‑jeu et de la décence qu'a la société » entraîne une erreur judiciaire et commande la tenue d'un nouveau procès (par. 79). Si l'atteinte [ traduction ] « est tellement grave qu'elle détruit l'apparence de justice et d'équité du procès », il n'est pas nécessaire de vérifier si l'accusé a réellement subi un préjudice : R. c. Snow (2004), 73 O.R. (3d) 40 (C.A.), par. 39; voir également R. c. Cameron (1991), 2 O.R. (3d) 633 (C.A.), p. 638‑639.
[300] Selon le ministère public, le fait que l'avocat de la défense n'a pas soulevé le problème avant le procès devrait entrer en ligne de compte dans le choix de la réparation convenable : l'avocat était au courant de la faible représentation des résidents autochtones de réserves et il a affirmé à l'audience connaître la décision du juge Stach dans l'affaire R. c. Fiddler , [1994] 4 C.N.L.R. 99 (C. Ont. (Div. gén.)), qui traitait de la représentativité de cette population. Le ministère public affirme que cette déclaration contredit l'argument de l'intimé selon lequel l'avocat n'a appris l'existence du problème qu'après la déclaration de culpabilité.
[301] Je rejette cet argument pour deux motifs. Premièrement, la responsabilité de se conformer aux al. 11 d ) et 11 f ) de la Charte incombe à l'État, et non à l'avocat de la défense. C'est à l'État d'assurer une liste des jurés représentative, et non à l'accusé de signaler que l'État n'a pas respecté son obligation. Deuxièmement, en tout état de cause, la Cour d'appel a conclu que l'avocat de la défense avait eu vent de la possibilité qu'un problème affecte la liste des jurés de Kenora pour 2008 après le prononcé de la déclaration de culpabilité, et le ministère public ne s'était pas opposé à ce que cette question soit soulevée pour la première fois dans le cadre de l'appel. Ainsi que l'a souligné le juge LaForme, il n'était pas déraisonnable que l'intimé tienne pour acquis que l'État avait respecté ses obligations constitutionnelles. Ce n'est que le 12 septembre 2008 — presque trois mois après que le jury a rendu son verdict contre M. Kokopenace — que l'avocat a appris pour la première fois l'existence d'une preuve d'irrégularité dans le processus de sélection des jurés. Ce jour‑là, il a reçu une lettre à laquelle était joint un affidavit souscrit par Rolanda Peacock, superviseure intérimaire de l'administration des tribunaux pour le district territorial de Kenora, lequel comportait le résumé des efforts déployés par l'État pour préparer la liste des jurés de Kenora pour 2007. J'estime que la Cour d'appel n'a commis, dans les circonstances inhabituelles de l'espèce, aucune erreur en refusant de priver l'accusé d'une réparation par ailleurs juste et convenable parce que le problème avait été soulevé tardivement.
(2) La sous‑représentation était fondée sur la race
[302] À mon sens, le deuxième motif important porte sur le fait que la sous‑représentation en l'espèce était fondée sur la race. Voici ce que l'ancien juge Iacobucci indique dans son rapport :
Il y a de meilleures chances que le public perçoive un procès, et, par extension, le système judiciaire tout entier, comme étant équitable, si les candidats‑jurés sont représentatifs de l'ensemble de la collectivité dont ils sont issus. Par contre, l'exclusion en bloc de groupes particuliers du bassin d'où les jurés sont tirés risque de nuire à l'acceptation par le public que le système de justice pénale est équitable. Un jury ne peut faire office de conscience communautaire que si la société pour le compte de laquelle il délibère le tient en estime. [par. 116]
[303] Dans l'arrêt Rojas c. Berllaque , [2003] UKPC 76, [2004] 1 W.L.R. 201, le Conseil Privé a déclaré au par. 14, qu'[ traduction ] « une méthode non discriminatoire pour établir la liste des jurés constitue un élément essentiel d'un procès avec jury équitable ». La Cour d'appel de la Nouvelle‑Zélande a également adopté ce point de vue : R. c. Ellis , [2011] NZCA 90, [2011] 4 L.R.C. 515, par. 50-60. Je reconnais que la discrimination peut être engendrée par les effets intentionnels d'une conduite, mais aussi par les effets involontaires d'une conduite. L'effet de la conduite de l'État (mais certainement pas son intention cependant) ayant donné lieu à une importante sous‑représentation fondée sur un motif de discrimination illicite a considérablement exacerbé la gravité de la violation et son incidence sur la confiance du public dans l'administration de la justice.
(3) L'accusé est autochtone
[304] Enfin, j'estime que nous ne devons pas négliger le fait que l'accusé dans la présente affaire appartient à la race même qui était injustement sous‑représentée sur la liste des jurés. Notre Cour a évoqué à maintes reprises la discrimination systémique à l'égard des Autochtones dans le système de justice pénale. La sous‑représentation involontaire — mais importante — des personnes appartenant à cette race sur la liste des jurés jette inévitablement, à mon avis, une ombre sur l'apparence de justice. Il me semble que la Cour ne devrait pas, d'une part, enjoindre aux autres tribunaux de tenir compte de ces réalités sociales et, d'autre part, les minimiser lorsqu'elles se présentent dans un contexte inopportun. J'estime qu'il est absolument manifeste qu'en raison d'actions et d'omissions de l'État, les personnes appartenant à la race de l'accusé étaient considérablement sous‑représentées sur la liste des jurés.
[305] La liste des jurés de Kenora de 2008 était composée de 699 candidats jurés dont 29 étaient des résidents autochtones de réserves. Par conséquent, les résidents autochtones de réserves formaient 4,1 p. 100 de la liste des jurés, alors qu'ils représentent environ 30 p. 100 de la population adulte du district judiciaire. Cette importante sous‑représentation a naturellement été reportée dans le tableau des jurés assignés pour le procès de M. Kokopenace. Ce tableau comportait 175 jurés, dont huit — soit 4,6 p. 100 — étaient des résidents de réserves. Dans le cadre du processus de sélection, quatre des huit candidats jurés ont été exemptés et deux n'ont pas donné suite à l'assignation.
(4) Conclusion concernant la réparation
[306] J'estime que les juges majoritaires de la Cour d'appel n'ont commis aucune erreur donnant lieu à révision lorsqu'ils ont conclu que l'omission de fournir une liste des jurés représentative dans la présente affaire a miné la confiance du public envers l'intégrité du système de justice et l'administration de la justice. Par conséquent, je suis d'avis de confirmer la décision de la Cour d'appel d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.
IV. Dispositif du pourvoi
[307] Je suis d'avis de rejeter le pourvoi.




Pourvoi accueilli, la juge en chef McLachlin et le juge Cromwell sont dissidents.
Procureur de l'appelante : Procureur général de l'Ontario, Toronto.
Procureurs de l'intimé : Sack Goldblatt Mitchell, Toronto; Doucette Boni Santoro Furgiuele, Toronto.
Procureurs de l'intervenante Advocates' Society : Greenspan Humphrey Lavine, Toronto; Hensel Barristers, Toronto; Université de Toronto, Toronto.
Procureurs de l'intervenante la Nation Nishnawbe Aski : Falconers, Toronto.
Procureurs des intervenants David Asper Centre for Constitutional Rights et le Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, inc. (FAEJ) : Université de Toronto, Toronto; Fonds d'action et d'éducation juridiques pour les femmes, inc. (FAEJ), Toronto.
Procureurs des intervenantes l' Association des femmes autochtones du Canada et l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry : Law Office of Mary Eberts, Toronto.
Procureurs de l'intervenante Aboriginal Legal Services of Toronto Inc. : Aboriginal Legal Services of Toronto, Toronto.
[1] Le processus de sélection des jurys dans des procès criminels diffère à bien des égards de la procédure de sélection des jurys du coroner prévue par la Loi sur les coroners , L.R.O. ch. C.37. Les présents motifs portent uniquement sur le processus de sélection des jurys dans des procès criminels et je ne fais aucun commentaire sur la procédure de sélection des jurys prévue par la Loi sur les coroners .


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 28 ?
Date de la décision : 21/05/2015
Proposition de citation de la décision: R. c. Kokopenace


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-05-21;2015.csc.28 ?

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