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16/10/2015 | CANADA | N°2015_CSC_47

Canada | Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47
Date : 20151016
Dossier : 35959

Entre :
Lee Michael Wilson
Appelant
et
Superintendent of Motor Vehicles et
procureur général de la Colombie-Britannique
Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 43)

Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge en ch

ef McLachlin et des juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté)

Note : Ce document fera l'objet de retouche...

COUR SUPRÊME DU CANADA

Référence : Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47
Date : 20151016
Dossier : 35959

Entre :
Lee Michael Wilson
Appelant
et
Superintendent of Motor Vehicles et
procureur général de la Colombie-Britannique
Intimés

Traduction française officielle

Coram : La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement :
(par. 1 à 43)

Le juge Moldaver (avec l'accord de la juge en chef McLachlin et des juges Cromwell, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté)

Note : Ce document fera l'objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada .



wilson c. c.‑b. (superintendent of motor vehicles)
Lee Michael Wilson Appelant
c.
Superintendent of Motor Vehicles et
procureur général de la Colombie‑Britannique Intimés
Répertorié : Wilson c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles)
2015 CSC 47
N o du greffe : 35959.
2015 : 19 mai; 2015 : 16 octobre.
Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté.
en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique
Droit administratif — Contrôle judiciaire — Surintendant des véhicules automobiles — Régime réglementaire d'interdiction automatique de conduire — Signification par un agent de la paix d'une interdiction immédiate de conduire après l'obtention d'un échantillon d'haleine lors d'un contrôle routier — Demande de réexamen de l'interdiction de conduire présentée par le conducteur au Surintendant — L'agent de la paix pouvait‑il se fonder sur les résultats d'un appareil de détection approuvé utilisé pour prélever des échantillons d'haleine afin de signifier une interdiction de conduire ou faut‑il d'autres éléments de preuve confirmant l'affaiblissement de la capacité de conduire? — L'interprétation qu'a faite le Surintendant de la disposition législative imposant l'interdiction immédiate de conduire était-elle raisonnable? — Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1996, c. 318, art. 215.41(3.1), 215.5.
Pour résoudre le problème de la conduite avec facultés affaiblies, la Colombie‑Britannique a mis en place un régime créé par la Motor Vehicle Act (« MVA ») et connu sous le nom de régime d'interdiction automatique de conduire (« RIAC »). Des échantillons d'haleine sont prélevés lors de contrôles routiers au moyen d'un appareil de détection approuvé (« ADA »). Aux termes du par. 215.41(3.1) de la MVA , lorsque le conducteur obtient le résultat « Avertissement » ou « Échec » sur cet appareil, l'agent de la paix est tenu de lui signifier une interdiction immédiate de conduire s'il « a, en raison de l'analyse, des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool ».
En 2012, W a été arrêté par la police à un poste de contrôle routier. Il a fourni deux échantillons de son haleine qui ont donné le résultat « Avertissement ». L'agent de la paix lui a signifié un avis qui lui interdisait de conduire pendant une période de trois jours.
W a présenté une demande de réexamen au Superintendent of Motor Vehicles (« Surintendant ») en vue d'obtenir la révocation de l'avis. Il a fait valoir que le résultat de l'ADA ne pouvait, à lui seul, fournir à l'agent les motifs raisonnables exigés par le par. 215.41(3.1) et que l'agent devait également mentionner d'autres éléments de preuve confirmant que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool. Le Surintendant a rejeté cet argument. Lors du contrôle judiciaire, l'avis a été annulé. La Cour d'appel a conclu que l'interprétation donnée par le Surintendant au par. 215.41(3.1) était raisonnable et elle a rétabli l'avis.
Arrêt : L'appel est rejeté.
Le recours de W repose sur la prémisse voulant que le par. 215.41(3.1) soit ambigu et qu'il faille recourir aux valeurs consacrées par la Charte pour dissiper cette ambiguïté. Cet argument souffre d'un vice fatal : le par. 215.41(3.1) n'est pas ambigu. Lorsque cette disposition est interprétée à la lumière de son libellé, du contexte et de l'intention du législateur, on ne peut plutôt lui donner qu'une seule interprétation raisonnable — soit celle à laquelle en est venu le Surintendant. Les valeurs consacrées par la Charte ne sauraient servir à créer une ambiguïté alors qu'il n'en existe aucune et elles ne constituent pas un outil d'interprétation en l'espèce.
Le sens ordinaire du par. 215.41(3.1) établit explicitement un lien entre la croyance de l'agent et le résultat de l'analyse effectuée au moyen de l'ADA. Le libellé ne saurait être plus clair. Selon W, la croyance de l'agent doit reposer non seulement sur le résultat de l'analyse effectuée au moyen de l'ADA, mais aussi sur des éléments de preuve qui confirment ce résultat. Cette interprétation ne trouve pas appui dans le texte de la disposition. L'agent doit croire sincèrement en l'exactitude du résultat de l'ADA afin d'avoir des motifs raisonnables de croire, « en raison de l'analyse », que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool. Cette interprétation donne un sens aux mots utilisés dans la loi sans y introduire des termes qui lui apporteraient une dimension nouvelle.
Le caractère raisonnable de l'interprétation du Surintendant ressort également du contexte dans lequel s'inscrit le régime législatif en cause et cette interprétation se concilie avec les motifs limités qui autorisent le Surintendant à réexaminer la décision d'un agent de la paix. Rien n'indique que le Surintendant peut révoquer un avis si l'agent de la paix ne mentionne pas d'autres éléments de preuve corroborants. Même si l'application du RIAC est déclenchée lorsque le prélèvement d'un échantillon d'haleine est ordonné en vertu de l' art. 254 du Code criminel , il s'agit d'un régime indépendant. Il ne s'agit pas d'une mesure accessoire au C. cr. et elle n'emporte pas l'application des mesures de protections que prévoit ce dernier. Le RIAC est plutôt un régime législatif qui met en balance les libertés individuelles et la protection du public, et qui accorde plus de poids à l'intérêt public.
La décision du Surintendant est également compatible avec le double objectif législatif d'accroître la sécurité routière et de décourager la conduite avec facultés affaiblies. Le RIAC établit une norme commune permettant d'écarter de la circulation les conducteurs qui constituent un risque élevé pour autrui. Permettre aux policiers de se fonder sur les résultats d'une analyse effectuée au moyen d'un ADA est essentiel à la réalisation des objectifs visés par la loi.
Jurisprudence
Arrêts appliqués : R. c. McIntosh , [1995] 1 R.C.S. 686; R. c. Wholesale Travel Group Inc. , [1991] 3 R.C.S. 154; arrêts mentionnés : Goodwin c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) , 2015 CSC 46; McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission) , 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex , 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général) , [1999] 1 R.C.S. 743; R. c. Clarke , 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612; Charlebois c. Saint John (Ville) , 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563; Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) , 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; R. c. Hinchey , [1996] 3 R.C.S. 1128; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) , 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306; Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières , 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837; R. c. Gordon , 2002 BCCA 224, 100 B.C.L.R. (3d) 35; R. c. Bernshaw , [1995] 1 R.C.S. 254; Sivia c. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) , 2014 BCCA 79, 307 C.C.C. (3d) 77; Buhlers c. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) , 1999 BCCA 114, 170 D.L.R. (4th) 344.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés , art. 8 , 10 b ).
Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 , art. 254 .
Motor Vehicle Act , R.S.B.C. 1996, c. 318, art. 25.1(1), 215.41(3.1), 215.43(1), (2.1), 215.45, 215.46, 215.5, 253(6), (7).
Motor Vehicle Act Regulations , B.C. Reg. 26/58, art. 43.09.
Motor Vehicle Amendment Act, 2010 , S.B.C. 2010, c. 14, art. 19.
Motor Vehicle Amendment Act, 2012 , S.B.C. 2012, c. 26.
Motor‑vehicle Act Amendment Act, 1966 , S.B.C. 1966, c. 30, art. 34.
Doctrine et autres documents cités
Colombie‑Britannique. Legislative Assembly. Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard) , vol. 16, No. 1, 2nd Sess., 39th Parl., April 27, 2010, p. 4871.
Colombie‑Britannique. Legislative Assembly. Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard) , vol. 36, No. 7, 4th Sess., 39th Parl., May 3, 2012, pp. 11492‑93.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes , 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (les juges Saunders, Levine et Harris), 2014 BCCA 202, 60 B.C.L.R. (5th) 371, 311 C.C.C. (3d) 369, 356 B.C.A.C. 133, 610 W.A.C. 133, [2015] 4 W.W.R. 579, 66 M.V.R. (6th) 99, [2014] B.C.J. No. 1055 (QL), 2014 CarswellBC 1453 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Dley, 2013 BCSC 1638, [2013] B.C.J. No. 1960 (QL), 2013 CarswellBC 2696 (WL Can.). Pourvoi rejeté.
Kyla Lee et Paul Doroshenko , pour l'appelant.
Robert Mullett et Tyna Mason , pour les intimés.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Moldaver —
I. Aperçu
[1] La conduite avec facultés affaiblies est un sujet de préoccupation majeure pour le public canadien. Diverses infractions ont été ajoutées au Code criminel au fil des ans pour remédier à ce problème. Les provinces ont également adopté des lois de nature réglementaire dans le but de diminuer le nombre de conducteurs avec facultés affaiblies sur les routes. Malgré ces mesures, le problème de l'alcool au volant persiste, causant souvent la mort et brisant des vies.
[2] Le présent pourvoi porte sur un des mécanismes mis en place par la Colombie‑Britannique pour résoudre le problème : un régime créé par la Motor Vehicle Act , R.S.B.C. 1996, c. 318 (« MVA ») et connu sous le nom de régime d'interdiction automatique de conduire (« RIAC »). Le RIAC dont il est question dans le présent appel est celui qui a succédé au régime en cause dans l'arrêt connexe Goodwin c. Colombie‑Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) , 2015 CSC 46. Même s'il s'agit d'un régime provincial, il entre en jeu lorsqu'un échantillon d'haleine est exigé dans le cadre d'un contrôle routier effectué en vertu de l' art. 254 du Code criminel , L.R.C. 1985, c. C‑46 (« C. cr. »). L'échantillon est prélevé au moyen d'un appareil de détection approuvé (« ADA »). Aux termes du par. 215.41(3.1) de la MVA , lorsque le conducteur obtient le résultat [ traduction ] « Avertissement » ou « Échec » sur cet appareil, l'agent de la paix est tenu de lui signifier une interdiction immédiate de conduire s'il « a, en raison de l'analyse , des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool ».
[3] L'interprétation de cette disposition est au cœur du présent pourvoi. La question en litige est la suivante : pour avoir les motifs requis qui lui permettent de croire qu'un conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool, l'agent peut‑il se fonder uniquement sur le résultat indiqué par l'ADA?
[4] M. Wilson est d'avis que non. Selon lui, pour qu'il soit satisfait à la norme des « motifs raisonnables de croire », le résultat indiqué par l'ADA doit être corroboré par d'autres éléments de preuve qui indiquent que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool. Il pourrait s'agir d'une preuve de conduite irrégulière ou d'autres indices que l'on associe généralement à l'affaiblissement des facultés, comme une articulation déficiente, des yeux vitreux et injectés de sang, une démarche chancelante, et ainsi de suite.
[5] Le Superintendant of Motor Vehicles (« Surintendant ») a rejeté cet argument et confirmé l'avis d'interdiction de conduire signifié à M. Wilson. À son avis, le résultat de l'analyse effectuée au moyen de l'ADA fournissait à lui seul à l'agent de la paix les motifs nécessaires pour signifier un tel avis. Lors du contrôle judiciaire, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a annulé l'avis. En appel de cette décision, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique l'a rétabli.
[6] Devant la Cour, M. Wilson soutient que le par. 215.41(3.1) est ambigu et que l'arbitre, un délégué du Surintendant, a commis une erreur en ne tenant pas compte des valeurs consacrées par la Charte canadienne des droits et libertés pour dissiper cette ambiguïté. Selon M. Wilson, la décision de l'arbitre est donc déraisonnable. Soit dit tout en respect, je ne suis pas d'accord. La disposition n'est pas ambiguë et l'interprétation qu'en a faite l'arbitre constituait la seule interprétation raisonnable. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi.
II. Faits
A. Régime d'interdiction automatique de conduire de la Colombie‑Britannique
[7] Depuis les années 60, la Colombie‑Britannique cherche à remédier au problème de la conduite avec facultés affaiblies au moyen de lois de nature réglementaire qui permettent aux agents de la paix de signifier des interdictions de conduire lors de contrôles routiers (voir la Motor‑vehicle Act Amendment Act, 1966 , S.B.C. 1966, c. 30, art. 34). En 2010, la province a élargi les pouvoirs des agents de la paix à cet égard ( Motor Vehicle Amendment Act , 2010 , S.B.C. 2010, c. 14, art. 19). La constitutionnalité du régime de 2010 est en cause dans l'arrêt connexe Goodwin . Le présent appel porte sur une version modifiée de ce régime ( Motor Vehicle Amendment Act, 2012 , S.B.C. 2012, c. 26) et il ne soulève pas de contestation constitutionnelle.
[8] Le RIAC modifié s'applique, et ce, uniquement lorsque le prélèvement d'un échantillon d'haleine est ordonné en vertu de l' art. 254 du C. cr. Suivant ce régime, si le conducteur obtient le résultat « Avertissement » ou « Échec » sur l'ADA, l'agent de la paix est tenu de lui signifier un avis d'interdiction de conduire s'il a, en raison de l'analyse, des motifs raisonnables de croire que les facultés du conducteur en question sont affaiblies par l'alcool. Une telle interdiction doit également être signifiée au conducteur qui, sans excuse raisonnable, n'obtempère pas ou refuse d'obtempérer à un ordre de fournir un échantillon d'haleine.
[9] Les conducteurs qui obtiennent le résultat « Avertissement » — lorsque l'ADA mesure 50 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang ou plus — reçoivent un avis leur interdisant de conduire pendant 3, 7 ou 30 jours, selon leur dossier de conduite ( MVA , par. 215.43(1)). L'amende applicable est de 200 $, 300 $ ou 400 $ respectivement ( Motor Vehicle Act Regulations , B.C. Reg. 26/58, art. 43.09). Les conducteurs qui obtiennent le résultat « Échec » — lorsque l'ADA mesure 80 milligrammes d'alcool par 100 millilitres de sang ou plus — et les conducteurs qui refusent ou omettent de fournir un échantillon d'haleine reçoivent un avis leur interdisant de conduire pendant 90 jours ainsi qu'une amende de 500 $ ( MVA , par. 215.43(2.1); Motor Vehicle Act Regulations , art. 43.09). De plus, le véhicule des conducteurs visés par une interdiction de conduire de 30 ou de 90 jours est obligatoirement mis en fourrière pendant 30 jours ( MVA , par. 215.46(2) et 253(7)). Les conducteurs ayant reçu signification d'une interdiction de conduire de 3 ou 7 jours peuvent également, à la discrétion de l'agent de la paix, voir leur véhicule mis en fourrière pour la durée de cette interdiction ( MVA , par. 215.46(1) et 253(6)). Diverses autres mesures peuvent également être imposées, notamment l'inscription à un programme de rééducation et l'installation d'un dispositif de verrouillage du système de démarrage ( MVA , art. 215.45 et 25.1(1)). Les conducteurs doivent assumer le coût de ces programmes et payer les droits requis pour récupérer leur permis ainsi que leur véhicule si celui‑ci a été mis en fourrière.
[10] Le conducteur ayant reçu un avis d'interdiction de conduire peut présenter une demande de réexamen au Surintendant. Cependant, ce réexamen est limité et le Surintendant ne peut révoquer un tel avis qu'en se fondant sur certains motifs prévus à l'art. 215.5 de la MVA . En effet, lorsqu'une personne a obtenu le résultat « Avertissement » ou « Échec », le Surintendant doit prendre en considération les facteurs suivants :
• Était‑elle la « conductrice » au sens de la loi?
• A‑t‑elle été informée de son droit à une deuxième analyse effectuée au moyen d'un ADA et la deuxième analyse (si elle en a fait la demande) a‑t‑elle été effectuée?
• La deuxième analyse (si la personne en a fait la demande) a‑t‑elle été effectuée avec un ADA différent?
• La signification de l'avis reposait‑elle sur le plus bas des deux résultats d'analyse?
• L'ADA a‑t‑il donné le résultat « Avertissement » parce que la personne visée avait une alcoolémie d'au moins 50 mg par 100 ml de sang, ou a‑t‑il donné le résultat « Échec » parce qu'elle avait une alcoolémie d'au moins 80 mg par 100 ml de sang?
• Le résultat de l'analyse était‑il fiable?
• Dans le cas d'une interdiction de 7 jours, s'agissait‑il de la deuxième interdiction lui ayant été infligée, et, dans le cas d'une interdiction de 30 jours, s'agissait‑il de la troisième interdiction ou d'une interdiction subséquente lui ayant été infligée?
B. Interdiction de conduire infligée à M. Wilson et demande de réexamen
[11] Le 19 septembre 2012 à 22 h 40, M. Wilson a été arrêté par la police à un poste de contrôle routier près de Coombs, en Colombie‑Britannique. L'agent de la paix ayant effectué le contrôle a remarqué que l'haleine de M. Wilson dégageait une odeur d'alcool. Lorsqu'il a été interrogé, ce dernier a admis avoir consommé quatre bières quelques heures auparavant. Il a ensuite fourni des échantillons de son haleine dans deux ADA différents, soit à 22 h 41 et à 22 h 46. Les deux appareils ont donné le résultat « Avertissement ». L'agent de la paix a donc signifié à M. Wilson un avis qui lui interdisait de conduire pendant une période de trois jours, en application du par. 215.41(3.1) de la MVA .
[12] M. Wilson a présenté une demande de réexamen au Surintendant en vue d'obtenir la révocation de l'avis. Il a fait valoir que l'agent n'avait pas de motifs raisonnables de croire que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool. Selon M. Wilson, le résultat de l'ADA ne pouvait, à lui seul, fournir à l'agent les motifs raisonnables exigés par le par. 215.41(3.1) de la MVA : en effet, à son avis, l'agent devait également mentionner d'autres éléments de preuve confirmant que sa capacité de conduire était affaiblie par l'alcool. La disposition pertinente de la MVA est rédigée en ces termes :
[ traduction ]
215.41 [. . .]
(3.1) Lorsque, à un moment ou à un endroit quelconque sur une autoroute ou une route industrielle,
a ) un conducteur obtient un avertissement ou un échec après avoir fourni pour analyse dans un appareil de détection approuvé un échantillon d'haleine exigé par un agent de la paix en application du Code criminel et que
b ) l'agent de la paix a, en raison de l'analyse, des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool,
l'agent de la paix ou un autre agent de la paix doit
c ) prendre possession du permis ou certificat valide que détient le conducteur sous le régime de la présente loi ou de tout autre document qui lui a été délivré à l'extérieur de la province et qui l'autorise à conduire un véhicule à moteur, si ce permis, certificat ou autre document est en sa possession;
d ) sous réserve de l'art. 215.42, signifier un avis d'interdiction de conduire au conducteur.
[13] L'arbitre Hughes a rejeté l'argument de M. Wilson et conclu que le message d'« Avertissement » fournissait à l'agent, à lui seul, les motifs requis pour signifier un avis. Il a donc confirmé l'interdiction de conduire infligée à M. Wilson.
III. Historique des procédures judiciaires
A. Cour suprême de la Colombie‑Britannique (juge Dley), 2013 BCSC 1638
[14] M. Wilson a présenté une demande de contrôle judiciaire à la Cour suprême de la Colombie‑Britannique. Le juge saisi de la demande a souligné que selon l'al. 215.41(3.1) b ) de la MVA , il faut que l'agent de la paix croie , en raison de l'analyse, que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool (par. 20). À son avis, si le législateur avait voulu que l'avis soit signifié sur la seule foi du résultat indiqué sur l'ADA, il n'aurait pas prévu cette exigence. Il a donc conclu que, suivant le sens ordinaire de la loi, il faut des éléments de preuve corroborants additionnels avant qu'un avis puisse être signifié. À son avis, l'interprétation donnée par l'arbitre au par. 215.41(3.1) était donc déraisonnable. Comme aucun élément de preuve ne confirmait que la capacité de conduire de M. Wilson était affaiblie par l'alcool, le juge chargé du contrôle a annulé l'avis.
B. Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (juges Saunders, Levine et Harris), 2014 BCCA 202, 60 B.C.L.R. (5th) 371
[15] Le Surintendant a interjeté appel à la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. Dans un jugement unanime, le juge Harris a examiné le texte, le contexte et l'objet de la MVA avant de conclure que l'interprétation de l'arbitre était raisonnable. À son avis, cette interprétation répondait davantage à l'objectif législatif que celle proposée par M. Wilson (par. 33). Il a donc rétabli l'avis.
IV. Question en litige
[16] La seule question en litige en l'espèce est celle de savoir si l'interprétation donnée par l'arbitre au par. 215.41(3.1) de la MVA était raisonnable. Il s'agit d'une question d'interprétation législative. M. Wilson ne conteste pas la constitutionnalité de la disposition.
V. Analyse
[17] On présume que l'interprétation par un décideur administratif de sa loi constitutive commande la déférence : McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission) , 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 21; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers' Association , 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 34; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick , 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 54. Les parties reconnaissent, à juste titre selon moi, que la norme applicable est celle de la décision raisonnable.
[18] Pour juger du caractère raisonnable de l'interprétation d'un décideur administratif, la règle moderne d'interprétation des lois formulée par Driedger apporte un éclairage utile dans l'évaluation :
[ traduction ]
Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution: il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'économie de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
(E. A. Driedger, Construction of Statutes (2 e éd. 1983), p. 87)
[19] Il faut garder ces principes à l'esprit lors de l'analyse du caractère raisonnable de l'interprétation de l'arbitre. Par souci de commodité, je répète ici le passage pertinent du par. 215.41(3.1) :
[ traduction ]
(3.1) Lorsque, à un moment ou à un endroit quelconque sur une autoroute ou une route industrielle,
a ) un conducteur obtient un avertissement ou un échec après avoir fourni pour analyse dans un appareil de détection approuvé un échantillon d'haleine exigé par un agent de la paix en application du Code criminel et que
b ) l'agent de la paix a, en raison de l'analyse, des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool,
[20] M. Wilson a le fardeau de démontrer que l'interprétation de l'arbitre était déraisonnable : McLean , par. 41. Même s'il invoque divers arguments pour s'acquitter de ce fardeau, son recours repose en définitive sur la prémisse voulant que le par. 215.41(3.1) de la MVA soit ambigu et qu'il faille recourir aux valeurs consacrées par la Charte pour dissiper cette ambiguïté : Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex , 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, par. 28. Selon M. Wilson, comme l'arbitre n'a pas pris en considération ces valeurs, sa décision doit être annulée en raison de son caractère déraisonnable.
[21] Avant d'examiner le bien‑fondé de l'argument de M. Wilson, il me faut souligner, pour être juste envers l'arbitre, qu'on ne lui a pas demandé de tenir compte des valeurs consacrées par la Charte comme outil d'interprétation; et, d'ailleurs, qu'on n'a pas demandé non plus au juge chargé du contrôle de le faire. L'argument d'ambiguïté a été invoqué pour la première fois devant la Cour d'appel — et uniquement de manière incidente. Cela pourrait d'ailleurs expliquer pourquoi cette dernière n'en a pas traité explicitement dans ses motifs, bien que j'estime qu'elle l'ait fait implicitement.
[22] Il est bien établi en droit qu'il n'y a ambiguïté véritable que lorsqu'il existe « deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s'harmonisent chacune également avec l'intention du législateur » : CanadianOxy Chemicals Ltd. c. Canada (Procureur général) , [1999] 1 R.C.S. 743, par. 14; Bell ExpressVu , par. 29‑30. L'affirmation de la Cour d'appel selon laquelle l'interprétation de l'arbitre répondait davantage à l'objectif législatif que celle proposée par M. Wilson pourrait donner à penser qu'elle n'a pas considéré que la disposition était ambiguë (par. 33).
[23] Quoi qu'il en soit, M. Wilson soutient que le par. 215.41(3.1) est ambigu et qu'il faut recourir aux valeurs consacrées par la Charte pour cerner l'intention véritable du législateur. À l'appui de sa thèse, il souligne que le régime de détection routier établi par le C. cr. est constitutionnel parce qu'il comporte diverses mesures destinées à protéger les droits garantis aux conducteurs par l' art. 8 et l' al. 10 b ) de la Charte , des mesures absentes du RIAC. Plus particulièrement, M. Wilson fait ressortir les caractéristiques suivantes du régime prévu au Code criminel :
• Le conducteur peut contester le fait que les policiers avaient les « soupçons raisonnables » requis pour pouvoir exiger le prélèvement d'un échantillon d'haleine;
• Le test doit être effectué immédiatement;
• Les résultats indiqués sur l'ADA ne peuvent servir à prouver l'affaiblissement des facultés ou l'alcoolémie du conducteur dans le cadre d'un procès criminel.
[24] Selon M. Wilson, comme il entre en jeu lorsque le prélèvement d'un échantillon d'haleine est ordonné en application du C. cr. , le RIAC doit être interprété d'une manière qui soit compatible avec les protections conférées par celui‑ci. À cet égard, il soutient que l'exigence des « motifs raisonnables de croire » doit recevoir une interprétation robuste — le résultat de l'ADA n'est pas suffisant en soi pour permettre d'y satisfaire; d'autres éléments de preuve corroborants sont nécessaires. M. Wilson prétend que, si son interprétation n'est pas retenue, le RIAC sera incompatible avec les valeurs consacrées par la Charte parce qu'il n'accorde pas de protections comparables à celles que confère le C. cr. lors d'une analyse effectuée au moyen d'un ADA.
[25] À mon avis, l'argument de M. Wilson doit être rejeté. Il souffre d'un vice fatal : le par. 215.41(3.1) n'est pas ambigu. Comme je l'ai souligné au par. 22, il n'y a ambiguïté véritable que lorsqu'il existe deux ou plusieurs interprétations plausibles, qui s'harmonisent chacune également avec l'intention du législateur. Or, le par. 215.41(3.1) ne satisfait pas à ce test. En effet, selon moi, cette disposition ne donne même pas ouverture à deux interprétations plausibles, et encore moins à deux telles interprétations qui s'harmonisent chacune également avec l'intention du législateur. Comme je l'expliquerai, lorsque cette disposition est interprétée à la lumière de son libellé, du contexte et de l'intention du législateur, on ne peut plutôt lui donner qu'une seule interprétation raisonnable — soit celle à laquelle en est venu l'arbitre. Les valeurs consacrées par la Charte ne sauraient servir « à créer une ambiguïté alors qu'il n'en existe aucune » : R. c. Clarke , 2014 CSC 28, [2014] 1 R.C.S. 612, par. 1. Elles ne constituent donc pas un outil d'interprétation en l'espèce : Charlebois c. Saint John (Ville) , 2005 CSC 74, [2005] 3 R.C.S. 563, par. 23 et 24; Bell ExpressVu , par. 62. Dans les circonstances, je n'ai donc pas à décider si l'argument de M. Wilson aurait nécessairement été retenu si j'avais conclu que le par. 215.41(3.1) était ambigu.
A. Libellé
[26] Le sens ordinaire du par. 215.41(3.1) étaye l'interprétation de l'arbitre. Cette disposition établit explicitement un lien entre la croyance de l'agent et le résultat de l'analyse effectuée au moyen de l'ADA. En effet, elle prévoit que l'agent de la paix doit avoir, en raison de l'analyse , des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool. Le libellé ne saurait être plus clair. L'analyse effectuée au moyen de l'ADA sert de jalon pour mesurer le caractère raisonnable de la croyance de l'agent.
[27] Selon M. Wilson, la croyance de l'agent doit reposer non seulement sur le résultat de l'analyse effectuée au moyen de l'ADA, mais aussi sur des éléments de preuve qui confirment que les facultés du conducteur sont affaiblies par l'alcool. Je suis d'avis de rejeter cette interprétation qui ne trouve pas appui dans le texte de la disposition et qui obligerait la cour à y inclure des termes qui ne s'y trouvent tout simplement pas alors qu'elle a souligné antérieurement que les tribunaux doivent se garder de réécrire une loi sous prétexte de l'interpréter :
. . . l'analyse contextuelle permet aux tribunaux de s'écarter du sens grammatical ordinaire des termes lorsqu'un contexte particulier l'exige, mais elle n'exige généralement pas des tribunaux qu'ils introduisent des termes dans une disposition législative. C'est seulement lorsqu'«ils peuvent raisonnablement avoir» un sens particulier que ces termes peuvent être interprétés d'après leur contexte. [. . .] Le ministère public demande à notre Cour d'inclure dans le par. 34(2) des termes qui ne s'y trouvent pas. À mon avis, cela équivaudrait à modifier le par. 34(2), ce qui constitue une fonction législative et non judiciaire. [Premier soulignement dans l'original; deuxième soulignement ajouté.]
( R. c. McIntosh , [1995] 1 R.C.S. 686, p. 701; cité avec approbation dans Bristol‑Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général) , 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, par. 174. Voir aussi R. c. Hinchey , [1996] 3 R.C.S. 1128, par. 8‑9 et 36; Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale) , 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, par. 40.)
[28] M. Wilson soutient également que l'interprétation de l'arbitre ne donne aucun sens à l'al. 215.41(3.1) b ). Il souligne que la disposition utilise un libellé impératif ayant pour effet d'obliger les agents de la paix à signifier un avis lorsqu'ils ont des motifs raisonnables de croire que la capacité de conduire d'une personne est affaiblie par l'alcool. Selon lui, si un « Avertissement » ou un « Échec » fournit, à lui seul, de tels motifs, l'al. b ) est superflu : le législateur aurait pu tout simplement dire que l'agent doit signifier un avis si l'un de ces deux résultats est obtenu. Pour ce motif, il soutient que le libellé de la loi exige sûrement davantage que le seul résultat de l'analyse effectuée au moyen d'un ADA.
[29] À mon avis, la Cour d'appel et le ministère public intimé répondent tous deux de manière convaincante à cet argument. Comme ils le font remarquer, il peut y avoir des cas où un conducteur obtient un « Avertissement » ou un « Échec », mais où l'agent a des raisons de douter de l'exactitude de ce résultat. Deux exemples viennent à l'esprit :
• L'agent a des motifs de douter du bon fonctionnement de l'ADA;
• L'agent a des raisons de douter que l'échantillon ait été prélevé correctement (c.‑à‑d. conformément aux procédures applicables pour obtenir des résultats fiables d'un ADA).
L'inclusion des mots « en raison de l'analyse » empêche l'agent de signifier un avis dans de telles situations. En effet, il doit croire sincèrement à l'exactitude du résultat indiqué sur l'ADA. Ce n'est que dans ce cas qu'il pourra avoir, en « raison de l'analyse », des motifs raisonnables de croire que le conducteur a les facultés affaiblies par l'alcool. Cette interprétation donne un sens aux mots utilisés dans la loi et elle n'introduit pas de termes qui lui apporteraient une dimension nouvelle, comme le souhaiterait M. Wilson.
B. Contexte
[30] Le caractère raisonnable de l'interprétation de l'arbitre ressort également du contexte dans lequel s'inscrit le régime législatif en cause. En effet, cette interprétation se concilie avec les motifs limités qui autorisent le Surintendant à réexaminer la décision d'un agent de signifier un avis ( MVA , par. 215.5(1)). Comme nous l'avons vu au par. 10, le Surintendant doit se demander notamment si le conducteur a été informé de son droit à une deuxième analyse, si la deuxième analyse a été effectuée avec une machine différente, si l'ADA a donné avec exactitude l'indication « Avertissement » ou « Échec » et si le résultat de l'analyse était fiable. En somme, les motifs de réexamen s'attachent principalement à la manière dont l'analyse a été effectuée ainsi qu'à la fiabilité des résultats. Rien n'indique que le Surintendant peut révoquer un avis si l'agent de la paix ne mentionne pas d'autres éléments de preuve corroborants. Cela montre que le législateur n'avait pas l'intention d'exiger d'autres éléments de preuve corroborants comme condition préalable à la signification d'un avis et que l'interprétation de l'arbitre était donc raisonnable.
[31] M. Wilson invoque un dernier argument relatif au contexte. À son avis, comme il entre en jeu lorsque le prélèvement d'un échantillon d'haleine est ordonné en application du C. cr. , le RIAC constitue une mesure législative accessoire qui doit donc inclure les protections offertes par ce dernier. Selon lui, en faisant abstraction de ces protections, l'interprétation de l'arbitre ne tient pas compte du lien qui existe entre les deux lois.
[32] Cet argument peut être tranché sommairement. La MVA et le C. cr. sont deux lois indépendantes ayant deux objets distincts. Ils ont été édictés par deux ordres de gouvernement différents, aucun des deux n'étant subordonné à l'autre : Renvoi relatif à la Loi sur les valeurs mobilières , 2011 CSC 66, [2011] 3 R.C.S. 837, par. 71. Dans la MVA , l'ordre de fournir un échantillon d'haleine déclenche l'application d'un régime de réglementation entièrement indépendant du C. cr. Le fait que la MVA renvoie à un ordre de fournir un échantillon d'haleine donné en application de ce dernier ne permet pas d'assimiler cette loi à une mesure législative accessoire.
[33] En outre, il est reconnu depuis longtemps qu'une loi de nature réglementaire comme la MVA se distingue d'une loi de nature criminelle dans la manière dont elle met en balance les libertés individuelles et la protection du public. Dans une loi de nature réglementaire, on accorde souvent plus de poids à l'intérêt public. Dans R. c. Wholesale Travel Group Inc. , [1991] 3 R.C.S. 154, p. 219, la Cour a conclu :
[l]a législation réglementaire implique que la protection des intérêts publics et sociaux passe avant celle des intérêts individuels et avant la dissuasion et la sanction d'actes comportant une faute morale. Alors que les infractions criminelles sont habituellement conçues afin de condamner et de punir une conduite antérieure répréhensible en soi, les mesures réglementaires visent généralement à prévenir un préjudice futur par l'application de normes minimales de conduite et de prudence.
[34] Ces commentaires sont particulièrement pertinents dans le cas d'une loi de nature réglementaire qui prévoit l'imposition d'interdictions de conduire dans le cadre de contrôles routiers : R. c. Gordon , 2002 BCCA 224, 100 B.C.L.R. (3d) 35, par. 26‑27. Ces interdictions visent à favoriser la sécurité publique. La loi accorde donc nécessairement plus de poids à cet objectif. Contrairement à ce qui se produit en cas d'application du régime de droit criminel, les personnes qui obtiennent un « Avertissement » ou un « Échec » suivant le régime réglementaire ne se retrouvent pas avec un casier judiciaire; elles ne sont pas non plus passibles des sanctions plus sévères prévues par le premier de ces régimes, dont l'incarcération. Bref, une loi de nature réglementaire ne vise pas le même objectif qu'une loi de nature criminelle et ce serait une erreur de l'interpréter comme si c'était le cas. Je rejette donc l'argument de M. Wilson selon lequel le RIAC doit comporter les mêmes mesures de protection que celles offertes par le régime établi par le C. cr .
[35] En somme, l'interprétation que donne l'arbitre au par. 215.41(3.1) est compatible avec le contexte législatif, ce qui n'est pas le cas de celle proposée par M. Wilson.
C. Objectif législatif
[36] La décision de l'arbitre est également compatible avec l'objectif législatif. Les interdictions de conduire signifiées lors de contrôles routiers servent un objectif de sécurité publique urgent. Comme l'a affirmé le juge Cory dans l'arrêt R. c. Bernshaw , [1995] 1 R.C.S. 254, par. 16 :
Chaque année, l'ivresse au volant entraîne énormément de décès, de blessures, de peine et de destruction. Au plan numérique seulement, l'ivresse au volant a une plus grande incidence sur la société canadienne que tout autre crime. Du point de vue des décès et des blessures graves donnant lieu à l'hospitalisation, la conduite avec facultés affaiblies est de toute évidence le crime qui cause la plus grande perte sociale au pays.
[37] Les interdictions de conduire infligées lors de contrôles routiers constituent un outil important pour contrer et réduire les effets dévastateurs de la conduite avec facultés affaiblies. Les tribunaux ont conclu à maintes reprises que de telles interdictions poursuivent deux objectifs : accroître la sécurité routière et décourager la conduite avec facultés affaiblies : Sivia c. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) , 2014 BCCA 79, 307 C.C.C. (3d) 77, par. 104; Gordon , par. 25‑27; Buhlers c. British Columbia (Superintendent of Motor Vehicles) , 1999 BCCA 114, 170 D.L.R. (4 th) 344, par. 28 et 29.
[38] Le RIAC en cause en l'espèce ne fait pas exception. Quand la version antérieure du régime été présentée en 2010, le ministre de Jong a confirmé qu'il avait pour objectif d'accroître la sécurité routière et de décourager la conduite avec facultés affaiblies :
[ traduction ]
Le projet de loi 14 [la Motor Vehicle Amendment Act, 2010 ] remplit un engagement du discours du Trône soit d'apporter des modifications importantes au régime en place en vue de réduire les cas de conduite avec facultés affaiblies et de conduite dangereuse, et d'accroître la sécurité du public sur nos routes.
Les modifications s'attaqueront au problème de la conduite avec facultés affaiblies en mettant l'accent sur l'intervention et sur la dissuasion [. . .]
Nous constatons malheureusement récemment une augmentation des cas de conduite avec facultés affaiblies et de l'ensemble des conséquences tragiques qui en découlent. Les modifications dont il est question ici [. . .] offriront aux policiers davantage d'outils pour écarter de la circulation les conducteurs ivres et dangereux et ainsi réduire le nombre de décès sur les routes de la Colombie‑Britannique. [Je souligne.]
(Colombie‑Britannique, Assemblée législative, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard) , vol. 16, n o 1, 2 e sess., 39 e parl., 27 avril 2010, p. 4871)
[39] Lors de l'entrée en vigueur du régime modifié en 2012, la ministre Bond a souligné que le législateur n'avait pas dévié de ces objectifs :
[ traduction ]
En septembre 2010, avec l'appui de cette Chambre, nous avons adopté de nouvelles sanctions pour les infractions de conduite avec facultés affaiblies. Nous nous sommes fixés comme objectif de réduire de 35 p. cent le nombre de décès causés par l'alcool au volant d'ici la fin de 2013 [. . .].
Après seulement une année, nous avons constaté une diminution de 40 p. cent du nombre de décès liés à l'alcool sur les routes de la Colombie‑Britannique et 45 personnes sont encore en vie aujourd'hui grâce à l'audace dont cette Chambre a fait preuve en essayant de changer notre façon de lutter contre l'alcool au volant. [. . .]
[. . .] Notre objectif est de protéger cette loi importante, qui s'est avérée très efficace pour décourager la conduite avec facultés affaiblies et sauver des vies dans notre province. [Je souligne.]
(Colombie‑Britannique, Assemblée législative, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard) , vol. 36, n o 7, 4 e sess., 39 e parl., 3 mai 2012, p. 11492 et 11493)
[40] Permettre aux policiers de se fonder sur les résultats d'une analyse effectuée au moyen d'un ADA est essentiel à la réalisation de ces objectifs. Une telle analyse constitue un moyen immédiat et efficace de déterminer si la capacité de conduire d'une personne est affaiblie par l'alcool. Comme l'a souligné la Cour d'appel au par. 33 de ses motifs, la preuve scientifique indique qu'une alcoolémie de 50 mg par 100 ml de sang — le niveau requis pour obtenir l'indication « Avertissement » — compromet sérieusement la capacité de conduire d'une personne et accroît de façon marquée son risque de faire un accident. La preuve montre également qu'il est extrêmement difficile de reconnaître les conducteurs qui ont bu par simple observation visuelle : Sivia , par. 100. Il s'agit des problèmes auxquels vise à remédier le RIAC. En effet, ce régime établit une norme commune permettant d'écarter de la circulation les conducteurs qui constituent un risque élevé pour autrui. Il vise aussi à décourager la conduite avec facultés affaiblies.
[41] En somme, l'interprétation de l'arbitre est compatible avec les objectifs législatifs du RIAC alors que celle proposée par M. Wilson ne l'est pas.
D. Conclusion sur l'interprétation du paragraphe 215.41(3.1)
[42] L'interprétation de l'arbitre est compatible avec le libellé, le contexte et l'objectif du RIAC. L'interprétation proposée par M. Wilson ne l'est pas. La disposition n'est pas ambiguë. L'interprétation de l'arbitre est la seule interprétation plausible.
VI. Dispositif
[43] Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi.




Pourvoi rejeté.
Procureurs de l'appelant : Acumen Law Corporation, Vancouver.
Procureur des intimés : Procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.


Synthèse
Référence neutre : 2015 CSC 47 ?
Date de la décision : 16/10/2015
Proposition de citation de la décision: Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles)


Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2015
Fonds documentaire ?: Lexum
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2015-10-16;2015.csc.47 ?

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