La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/11/2016 | CANADA | N°2016CSC53

Canada | Canada, Cour suprême, 25 novembre 2016, 2016CSC53


Répertorié : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary

No du greffe : 36460.

2016 : 1er avril; 2016 : 25 novembre.

Law Society of Alberta, British Columbia, Freedom of Information and Privacy Association, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, Information and Privacy Commissioner for British Columbia, Information and Privacy Commissioner for the Province of Newfoundland and Labrador, Advocates’ Society, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Association du Barreau canadie

n, Commissaire à l’information du Canada, Commissaire à la protection de la vi...

Répertorié : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. University of Calgary

No du greffe : 36460.

2016 : 1er avril; 2016 : 25 novembre.

Law Society of Alberta, British Columbia, Freedom of Information and Privacy Association, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, Information and Privacy Commissioner for British Columbia, Information and Privacy Commissioner for the Province of Newfoundland and Labrador, Advocates’ Society, Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, Association du Barreau canadien, Commissaire à l’information du Canada, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Ombudsman du Manitoba, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée des Territoires du Nord‑Ouest, Nova Scotia Information and Privacy Commissioner [Review Officer], Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée du Nunavut, Saskatchewan Information and Privacy Commissioner, Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée et ombudsman du Yukon et Criminal Lawyers’ Association, Intervenants

Coram : Les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté

Motifs de jugement (par. 1 à 71) : La juge Côté (avec l’accord des juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, et Gascon)

Motifs concordants en partie (par. 72 à 129) : Le juge Cromwell

Motifs concordants en partie (par. 130 à 138) : La juge Abella

en appel de la cour d’appel de l’Alberta


Arrêt : Le pourvoi est rejeté.

Les juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté : La question de savoir si le par. 56(3) de la FOIPP permet l’examen d’un document à l’égard duquel est invoqué le secret professionnel de l’avocat est d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et elle se situe en dehors du domaine d’expertise du commissaire. Décider qu’un libellé législatif est suffisant ou non pour autoriser un tribunal administratif à porter atteinte au secret professionnel de l’avocat est susceptible d’avoir de grandes répercussions sur d’autres régimes législatifs. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte en ce qui a trait tant à (i) la décision du commissaire selon laquelle il possède le pouvoir d’exiger la production des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué qu’à (ii) celle de donner un avis enjoignant à son destinataire de produire des documents.

L’expression « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’oblige pas un organisme public à communiquer au commissaire un document à l’égard duquel est invoqué le secret professionnel de l’avocat. Le secret professionnel de l’avocat n’est plus seulement un privilège du droit de la preuve, mais constitue un droit substantiel qui est essentiel au bon fonctionnement de notre système de justice. La communication de documents en application d’un régime d’accès à l’information établi par une loi, indépendamment d’une instance judiciaire, met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan du fond plutôt que sur celui de la preuve. Si le secret professionnel de l’avocat constitue un principe fondamental du droit, la disposition législative dont l’objet est de le supprimer, de l’écarter ou d’y porter atteinte doit être interprétée de manière restrictive et l’intention du législateur doit y être claire et non équivoque. Le paragraphe 56(3) ne satisfait pas à cette exigence et ne traduit donc pas l’intention claire et non équivoque du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat. Cette conclusion ne constitue pas un abandon de la méthode moderne d’interprétation des lois, mais reconnaît le respect des valeurs fondamentales par le législateur.

L’interprétation du par. 56(3) dans le contexte global de la loi confirme que le législateur n’a pas voulu écarter le secret professionnel de l’avocat. Premièrement, le par. 27(1) de la FOIPP établit sans conteste qu’un organisme public peut refuser de communiquer des « renseignements qui sont protégés par tout type de privilège légal, notamment le secret professionnel de l’avocat ». Deuxièmement, il s’agit d’une interprétation cohérente. Le « privilège que reconnaît le droit de la preuve » et auquel renvoie le par. 56(3) est une sous‑catégorie de « privilège légal » dont fait mention le par. 27(1). Interprétées de pair, les deux dispositions font en sorte qu’un organisme public peut refuser de communiquer un document qui fait l’objet d’un « privilège légal », alors que le commissaire peut obtenir un document à l’égard duquel est invoqué un « privilège que reconnaît le droit de la preuve » afin de se prononcer sur le bien‑fondé de la revendication. Troisièmement, étant donné l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat, si le législateur avait voulu l’écarter, il aurait établi certaines sauvegardes afin de faire en sorte que la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat n’intervienne pas de manière préjudiciable au droit substantiel ou il aurait précisé que la communication au commissaire d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat emporte ou non renonciation au privilège.

Enfin, même si le par. 56(3) traduisait clairement l’intention du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat, il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire qui se prête à une ordonnance de communication. Même si le délégué a conclu qu’il devait examiner les documents parce que l’Université n’avait pas établi l’application du secret professionnel de l’avocat comme l’exigeait le Protocole, celui‑ci ne constitue pas une règle de droit. Il s’agit plutôt d’un guide conçu par le Commissariat à l’intention des décideurs et des organismes publics. Le courant alors dominant dans les instances civiles albertaines permettait à une partie de regrouper les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et de les identifier au moyen de numéros, et aucun élément de preuve ni aucun argument selon lequel l’Université avait invoqué sans droit le secret professionnel de l’avocat n’avait été présenté. Dans ces circonstances, le délégué a eu tort de conclure qu’il lui fallait examiner les documents pour se prononcer en toute justice sur l’existence du privilège.

Le juge Cromwell : Il appert du libellé exprès du par. 56(3) de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act et de la totalité du contexte dans lequel il s’inscrit que le législateur a voulu supprimer le secret professionnel de l’avocat pour permettre au commissaire d’ordonner la production de documents lorsque cette mesure est nécessaire pour se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard. Le paragraphe 56(3) confère explicitement ce pouvoir « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve », et la conclusion selon laquelle, pour l’application de la FOIPP, le secret professionnel de l’avocat constitue un privilège légal, mais non un « privilège que reconnaît le droit de la preuve », n’est pas justifiée.

Suivant leur sens ordinaire et grammatical, les mots « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » employés au par. 56(3) englobent le secret professionnel de l’avocat, lequel constitue à la fois un privilège en matière de preuve et un principe de fond. Mais comme l’Université demande qu’on la soustraie à l’obligation de produire les documents exigés par la Commissaire en vertu de ses pouvoirs légaux, c’est le privilège en matière de preuve qui est en cause en l’espèce. Le fait que le par. 27(1) de la FOIPP renvoie précisément au « secret professionnel de l’avocat » n’affaiblit en rien cette interprétation du par. 56(3) car les deux dispositions remplissent des fonctions différentes. Le paragraphe 27(1) énumère un certain nombre de motifs pour lesquels un organisme public peut refuser la communication, alors que l’art. 56 précise ce que le commissaire peut faire et ce qu’il ne peut pas faire dans le cadre d’une enquête. Aucun des éléments de ces dispositions ne permet de conclure qu’il ne peut ordonner la production de documents qui seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il s’agit de résoudre les questions de droit et de fait qui se posent dans le cadre d’une enquête.

Cette interprétation est également étayée par un certain nombre d’éléments contextuels. D’abord, le régime législatif appuie sans équivoque la thèse selon laquelle le législateur a voulu conférer au commissaire les pouvoirs nécessaires pour décider si des documents doivent ou non être produits par un organisme public, notamment celui de statuer sur l’existence d’un privilège, sous réserve du contrôle judiciaire de l’exercice de ces pouvoirs. Plus particulièrement, la FOIPP établit une procédure détaillée et autonome de communication de renseignements à une personne et, sans le pouvoir de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat, le commissaire ne serait pas en mesure de s’acquitter de son mandat légal.

Deuxièmement, aucun des éléments qui militent contre la suppression législative du secret professionnel de l’avocat n’est présent en l’espèce : le commissaire possède un pouvoir juridictionnel, il ne comparaît pas au nom du plaignant et le texte du par. 56(3) ne saurait constituer une disposition d’acception large régissant la production de documents. Au contraire, le par. 56(3) prévoit expressément que le pouvoir d’ordonner la production s’applique malgré tout privilège que reconnaît le droit de la preuve.

Enfin, les débats qui ont précédé l’adoption de la première ébauche de la FOIPP étayent plus avant l’interprétation voulant que le par. 56(3) supprime le secret professionnel de l’avocat, tout comme le fait que la même expression employée dans une disposition apparentée de la Colombie‑Britannique vise clairement le secret professionnel de l’avocat.

Même si la Commissaire est investie du pouvoir d’ordonner la production en vue de son examen d’un document à l’égard duquel est invoqué le secret professionnel de l’avocat, et en tenant pour acquis (sans statuer en ce sens) que la norme de la décision correcte s’applique, la Commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production des documents malgré la preuve offerte à l’appui de l’existence du privilège. L’allégation du privilège par l’Université respectait les exigences des règles de pratique qui valaient alors en matière civile en Alberta, et le délégué de la Commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en soumettant l’Université à une norme plus stricte que celle applicable dans un litige civil devant une cour de justice pour établir l’existence du privilège invoqué. La preuve offerte à la Commissaire indique clairement que les documents constituent des communications entre un avocat et son client, que celles‑ci visaient l’obtention ou la formulation d’un avis juridique et que les parties ont voulu qu’elles demeurent confidentielles.

La juge Abella : La norme de contrôle applicable en l’espèce devrait être celle de la décision raisonnable, conformément aux arrêts de la Cour relatifs à des décisions de commissaires à l’information et à la protection de la vie privée, y compris sur l’application du secret professionnel de l’avocat. La question soulevée dans la présente affaire ne fait pas partie de celles qui, suivant l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, emportent l’assujettissement à la norme de la décision correcte. Au contraire, la Commissaire interprète sa propre loi habilitante, qui lui confère expressément le mandat de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat. Il s’agit du territoire classique de la « raisonnabilité ».

Toutefois, la décision d’ordonner la communication était déraisonnable. La Commissaire n’aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de manière attentatoire au secret professionnel de l’avocat que si cela était absolument nécessaire à la réalisation des objectifs de sa loi habilitante. Elle n’a pas tenu suffisamment compte du fait que l’Université avait convenablement justifié le respect de ce privilège au vu, tout particulièrement, des règles de droit et de pratique qui avaient cours en matière civile en Alberta.

Jurisprudence

Citée par la juge Côté

Arrêts appliqués : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; arrêts mentionnés : R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135; Legal Services Society c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2003 BCCA 278, 226 D.L.R. (4th) 20; Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815; R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809; Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32; R. c. Brown, 2002 CSC 32, [2002] 2 R.C.S. 185; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124; Ansell Canada Inc. c. Ions World Corp. (1998), 28 C.P.C. (4th) 60; Dorchak c. Krupka, 1997 ABCA 89, 196 A.R. 81.

Citée par le juge Cromwell

Arrêt appliqué : Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; arrêts mentionnés : Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209; Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456; Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860; Newfoundland and Labrador (Attorney General) c. Information and Privacy Commissioner (Nfld. and Lab.), 2011 NLCA 69, 314 Nfld. & P.E.I.R. 305; Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15247; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471; Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Dorchak c. Krupka, 1997 ABCA 89, 196 A.R. 81; Canadian Natural Resources Ltd. c. ShawCor Ltd., 2014 ABCA 289, 580 A.R. 265; Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821.

Citée par la juge Abella

Arrêt appliqué : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; arrêts mentionnés : McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, 2013 CSC 62, [2013] 3 R.C.S. 733; Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574; Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), 2014 CSC 31, [2014] 1 R.C.S. 674; Untel c. Ontario (Finances), 2014 CSC 36, [2014] 2 R.C.S. 3; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809; Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381.

Lois et règlements cités

Access to Information and Protection of Privacy Act, S.N.L. 2002, c. A‑1.1, art. 52.

Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, c. F‑25, art. 2(c), (e), 7, 27, 53(1)(a), 56, 58, 59(1), (4), 65(1), 69(1), 70, 72(1), (2)(a), 73.

Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, c. 165, art. 44.

Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.A. 1994, c. F‑18.5, art. 54(3).

Freedom of Information and Protection of Privacy Amendment Act, 2003, S.B.C. 2003, c. 5, art. 15.

Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P‑21, art. 34(2) .

Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5, art. 12 [rempl. 2010, c. 23, art. 83], 12.1, 15.

Personal Information Protection Act, S.A. 2003, c. P‑6.5, art. 38(3).

Public Inquiries Act, R.S.A. 2000, c. P‑39.

Public Inquiry Act, S.B.C. 2007, c. 9, art. 76.

Doctrine et autres documents cités

Alberta. Legislative Assembly. Alberta Hansard, 2nd Sess., 23rd Leg., April 11, 1994, p. 1052.

Alberta. Legislative Assembly. Alberta Hansard, 2nd Sess., 23rd Leg., April 18, 1994, p. 1239‑1240.

Alberta. Legislative Assembly. Alberta Hansard, 2nd Sess., 23rd Leg., May 5, 1994, p. 1752.

Alberta. Office of the Information and Privacy Commissioner. « Solicitor‑Client Privilege Adjudication Protocol », October 2008 (online : www.oipc.ab.ca/media/613544/practice_note_solicitor_client_privilege_protocol_oct2008.pdf).

Cross, Rupert. Cross on Evidence, 5th ed., London, Butterworths, 1979.

Dodek, Adam M. Solicitor‑Client Privilege, Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Hubbard, Robert W., Susan Magotiaux and Suzanne M. Duncan. The Law of Privilege in Canada, Aurora (Ont.), Canada Law Book, 2006 (loose‑leaf updated August 2016, release 35).

Lederman, Sidney N., Alan W. Bryant and Michelle K. Fuerst. The Law of Evidence in Canada, 4th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

Manes, Ronald D., and Michael P. Silver. Solicitor‑Client Privilege in Canadian Law, Toronto, Butterworths, 1993.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed., Markham (Ont.), LexisNexis, 2014.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta (les juges Rowbotham, Bielby et Brown), 2015 ABCA 118, 602 A.R. 35, 647 W.A.C. 35, 12 Alta. L.R. (6th) 272, 81 Admin. L.R. (5th) 257, 382 D.L.R. (4th) 299, [2015] 7 W.W.R. 213, [2015] A.J. No. 348 (QL), 2015 CarswellAlta 574 (WL Can.), qui a infirmé une décision du juge Jones, 2013 ABQB 652, 90 Alta. L.R. (5th) 94, 574 A.R. 137, 66 Admin. L.R. (5th) 254, [2013] A.J. No. 1233 (QL), 2013 CarswellAlta 2198 (WL Can.). Pourvoi rejeté.

Glenn Solomon, c.r., et Elizabeth Aspinall, pour l’appelante.

Robert W. Calvert, c.r., et Michael D. A. Ford, c.r., pour l’intimé.

David Phillip Jones, c.r., et Victoria A. Jones, pour l’intervenante Law Society of Alberta.

Argumentation écrite seulement par Michael A. Feder et Emily MacKinnon, pour l’intervenante British Columbia Freedom of Information and Privacy Association.

Lawren Murray et David Goodis, pour l’intervenant le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario.

Ivan Bernardo, c.r., Gerald Chipeur, c.r., et Jill W. Wilkie, pour l’intervenant Information and Privacy Commissioner for British Columbia.

Andrew A. Fitzgerald, pour l’intervenant Information and Privacy Commissioner for the Province of Newfoundland and Labrador.

Perry R. Mack, c.r., pour l’intervenante Advocates’ Society.

Mahmud Jamal et David Rankin, pour l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada.

Michele H. Hollins, c.r., James L. Lebo, c.r., et Jason L. Wilkins, pour l’intervenante l’Association du Barreau canadien.

Marlys A. Edwardh, Daniel Sheppard, Regan Morris, Diane Therrien et Aditya Ramachandran, pour les intervenants le commissaire à l’information du Canada, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, l’Ombudsman du Manitoba, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée des Territoires du Nord‑Ouest, Nova Scotia Information and Privacy Commissioner [Review Officer], le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée du Nunavut, Saskatchewan Information and Privacy Commissioner et le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée et ombudsman du Yukon.

Argumentation écrite seulement par Brian Gover, Justin Safayeni et Carlo Di Carlo, pour l’intervenante Criminal Lawyers’ Association.

Version française du jugement des juges Moldaver, Karakatsanis, Wagner, Gascon et Côté rendu par

La juge Côté —

I. Aperçu

[1] Le pourvoi porte sur le contrôle judiciaire d’une décision rendue sous le régime de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, c. F‑25 (« FOIPP »). Un délégué de la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta (« Commissaire ») a ordonné la production de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat était invoqué afin de vérifier la validité de l’assertion. La principale question en litige est celle de savoir si le par. 56(3) de la FOIPP, qui oblige un organisme public à produire les documents exigés par la Commissaire [traduction] « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve », permet à cette dernière et à ses délégués d’examiner les documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat.

[2] Je conclus que le par. 56(3) n’oblige pas un organisme public à communiquer à la Commissaire un document à l’égard duquel est invoqué le secret professionnel de l’avocat. Comme la Cour l’a décidé dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, le secret professionnel de l’avocat ne peut être écarté par inférence, mais seulement au moyen d’un libellé législatif clair, explicite et non équivoque. En l’espèce, la disposition en cause ne satisfait pas à cette exigence et, par conséquent, elle ne traduit pas l’intention claire et non équivoque du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat. Il est bien établi que ce dernier n’est plus seulement un privilège du droit de la preuve, mais qu’il constitue une protection relevant du droit substantiel. J’estime donc que l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’englobe pas le secret professionnel de l’avocat. En outre, le contexte global de la loi permet également de conclure que le législateur n’a pas voulu, au par. 56(3), écarter le secret professionnel de l’avocat. Et même si on pouvait considérer que le par. 56(3) autorise la Commissaire à examiner les documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat, il n’y avait pas lieu en l’espèce d’ordonner la production des documents en vue de leur examen. Par conséquent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

II. Faits

[3] L’Université de Calgary (« Université ») a été poursuivie par une ancienne employée qui alléguait un congédiement déguisé. En octobre 2008, l’ancienne employée a présenté en vertu de l’art. 7 de la FOIPP une demande d’accès à l’information en vue d’obtenir des documents la concernant que l’Université avait en sa possession.

[4] L’Université a fourni certains des documents demandés, mais elle a invoqué le secret professionnel de l’avocat à l’égard des autres. En mars 2009, l’ancienne employée a demandé, en se fondant sur la FOIPP, la production des documents refusés. Un délégué de la Commissaire (« délégué ») a fait enquête conformément au « Solicitor-Client Privilege Adjudication Protocol » du Commissariat (« Protocole ») (en ligne). Le Protocole précise comment, selon le Commissariat, la démonstration de l’application du secret professionnel de l’avocat peut être faite sans que ne soient révélés les détails des communications. S’appuyant sur le Protocole, le délégué a donné un avis d’enquête enjoignant à l’Université de fournir une copie [traduction] « des documents en cause » ou de deux copies « d’un affidavit ou d’une simple déclaration confirmant que le secret professionnel de l’avocat s’applique aux documents ».

[5] En août 2010, l’Université a refusé de fournir une copie des autres documents. Elle a plutôt remis une liste des documents identifiés seulement par le numéro des pages en cause. Cette façon de procéder était conforme au droit et à la pratique qui avaient alors cours en Alberta pour identifier un document protégé par le secret professionnel de l’avocat dans une instance civile. L’Université a par ailleurs remis un affidavit dans lequel sa coordonnatrice de l’accès à l’information et de la protection de la vie privée affirmait que le secret professionnel de l’avocat était invoqué à l’égard des documents. L’Université a également transmis par la suite une lettre dans laquelle son vice‑recteur à l’enseignement et à la recherche invoquait le secret professionnel de l’avocat à l’égard des documents.

[6] En septembre 2010, le délégué a enjoint à l’Université de démontrer l’application du secret professionnel de l’avocat, soit par la remise d’une copie des documents, soit par la communication de renseignements supplémentaires sur les documents, comme la date et le nombre de pages, et certaines précisions sur l’auteur et le destinataire.

[7] L’Université n’a acquiescé à aucune de ces demandes. Le délégué a donc donné un avis fondé sur le par. 56(3) de la FOIPP enjoignant à l’Université de produire les documents en vue de leur examen. Le paragraphe 56(3) est libellé comme suit :

[traduction] (3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés en vertu des paragraphes (1) ou (2).

[8] Là encore, l’Université ne s’est pas conformée à l’avis et, en octobre 2010, elle en a demandé le contrôle judiciaire, d’où le présent pourvoi.

[9] Il convient de signaler que l’auteure de la demande, l’ancienne employée de l’Université, n’est pas partie au pourvoi. Elle n’a pris aucune part à l’instance depuis que sa poursuite contre l’Université a fait l’objet d’un règlement en 2012 (2012 ABQB 342, 545 A.R. 110). La demande de produire les documents revêt donc désormais un caractère théorique.

III. Décisions des juridictions inférieures

A. Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta

[10] Dans sa décision du 20 octobre 2010, le délégué exige que l’Université produise une copie des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué afin qu’il puisse se prononcer sur le bien‑fondé de cette assertion. Il conclut qu’il s’agit d’un cas exceptionnel, car l’Université a omis de produire la preuve nécessaire à l’appui de sa prétention selon laquelle le secret professionnel de l’avocat s’applique, de sorte qu’il lui faut examiner les documents en cause pour décider si l’Université a raison ou non de refuser de les produire.

B. Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, 2013 ABQB 652, 574 A.R. 137

[11] Saisi d’une demande de contrôle judiciaire, le juge Jones conclut d’abord que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Il recourt à la méthode moderne d’interprétation des lois et statue que le par. 56(3) de la FOIPP permet à la Commissaire d’exiger la production des documents pour s’assurer de l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard. Il examine la jurisprudence relative aux dispositions similaires d’autres lois, puis conclut que l’intention qu’avait le législateur albertain lors de l’adoption de la FOIPP est claire. Il ajoute que les dispositions de la FOIPP ne peuvent bien s’appliquer les unes avec les autres que si la Commissaire a le pouvoir d’exiger la production de l’information à l’égard de laquelle le privilège est invoqué puisque la FOIPP ne prévoit aucune autre procédure pour se prononcer sur pareille allégation.

[12] Le juge se penche ensuite sur l’exercice par le délégué du pouvoir d’obliger un organisme à produire un document. Il estime que le délégué a donné l’avis à bon droit et souligne que l’Université a refusé de justifier par ailleurs l’application du secret professionnel de l’avocat. De manière générale, il statue que la démarche du délégué établit [traduction] « un cadre qui ne porte atteinte à la confidentialité et au privilège que dans la mesure où cela est absolument nécessaire » (par. 233).

C. Cour d’appel de l’Alberta, 2015 ABCA 118, 602 A.R. 35

[13] La Cour d’appel fait droit à l’appel de l’Université et conclut que la Commissaire n’avait pas le pouvoir légal d’exiger la production des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat était invoqué. Elle convient avec le juge de première instance que la norme de contrôle est celle de la décision correcte. Par contre, en ce qui a trait à l’interprétation des lois, elle statue que l’arrêt Blood Tribe écarte la méthode moderne d’interprétation des lois lorsque le secret professionnel de l’avocat est en jeu. C’est plutôt la règle de l’interprétation stricte — qui commande le renvoi clair, explicite et précis au secret professionnel de l’avocat — qui s’applique.

[14] Suivant la règle de l’interprétation stricte, la Cour d’appel opine qu’il serait nécessaire de tirer une inférence pour conclure que l’expression [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » englobe le secret professionnel de l’avocat. Le libellé du par. 56(3) n’est donc pas jugé suffisamment précis pour traduire une intention claire en ce sens de la part du législateur.

[15] La Cour d’appel fait également observer qu’un certain nombre d’éléments contextuels appuient sa conclusion. Premièrement, ni la Commissaire ni son délégué ne sont tenus d’être avocats, de sorte qu’ils pourraient ne pas avoir la formation juridique voulue pour se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat. Deuxièmement, la FOIPP autorise la Commissaire à communiquer au ministre de la Justice et au procureur général tout renseignement relatif à la perpétration d’une infraction. Troisièmement, la Personal Information Protection Act, S.A. 2003, c. P‑6.5, par. 38(3), qui s’applique aux cabinets d’avocats, permet également à la Commissaire d’exiger la production de documents [traduction] « [n]onobstant [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ». La Cour d’appel souligne que permettre l’atteinte au secret professionnel de l’avocat dans un tel contexte serait non souhaitable.

IV. Questions en litige

[16] Le pourvoi soulève les questions suivantes :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la Commissaire?

2. Quelle méthode d’interprétation des lois s’applique à une disposition censée supprimer, lever ou écarter le secret professionnel de l’avocat ou y porter atteinte?

3. Le paragraphe 56(3) de la FOIPP oblige‑t‑il un organisme public à produire à l’intention de la Commissaire les documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat?

V. Thèses des parties

A. Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta

[17] La Commissaire soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. En ce qui a trait à l’interprétation des lois, elle préconise une analyse téléologique. En bref, elle est d’avis que le par. 56(3) de la FOIPP lui confère expressément le pouvoir d’examiner les documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. Elle prétend que celui‑ci constitue un privilège que reconnaît le droit de la preuve, de sorte que les mots [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » employés au par. 56(3) suppriment clairement le secret professionnel de l’avocat. Elle ajoute que l’assimilation du secret professionnel de l’avocat à une règle de fond ne fait pas obstacle à une telle interprétation et que l’analyse contextuelle la conforte dans son opinion.

B. Conseil des gouverneurs de l’Université de Calgary

[18] Le Conseil des gouverneurs de l’Université soutient au contraire que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. En ce qui a trait à l’interprétation des lois, il fait valoir que des termes exprès, clairs et précis sont nécessaires pour que la Commissaire puisse lever le secret professionnel de l’avocat. Suivant sa thèse principale, le par. 56(3) ne contient pas de termes exprès en ce sens puisque le secret professionnel de l’avocat est passé d’une règle de preuve à une règle substantielle et fondamentale. Subsidiairement, il prétend que même si le par. 56(3) pouvait être interprété comme conférant expressément à la Commissaire le pouvoir de lever le secret professionnel de l’avocat, la communication des documents n’était pas indiquée en l’espèce. Il ajoute que l’analyse contextuelle appuie sa thèse.

VI. Analyse

A. Norme de contrôle

[19] Le juge de première instance et la Cour d’appel ont conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Je suis d’accord.

[20] La question de savoir si la FOIPP permet d’écarter le secret professionnel de l’avocat est d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et elle se situe en dehors du domaine d’expertise de la Commissaire. Comme le dit la Cour dans l’arrêt Blood Tribe, le secret professionnel de l’avocat est « essentiel au bon fonctionnement du système de justice » (par. 9). Il s’agit d’un privilège qui revêt également un caractère constitutionnel tant à titre de principe de justice fondamentale que de droit fondamental du client au respect de sa vie privée (R. c. McClure, 2001 CSC 14, [2001] 1 R.C.S. 445, par. 41; Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, par. 46; voir aussi Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381, par. 17). En outre, comme le fait observer la Cour d’appel, déterminer les conditions auxquelles un libellé législatif est suffisant pour autoriser un tribunal administratif à porter atteinte au secret professionnel de l’avocat est susceptible d’avoir de grandes répercussions sur d’autres régimes législatifs.

[21] Dans l’arrêt Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, [2014] 2 R.C.S. 135, le juge Rothstein, au nom des juges de la Cour, fait état des conditions auxquelles une question d’interprétation législative sans grandes répercussions sur d’autres régimes législatifs ne revêt pas une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et, de ce fait, commande l’application de la norme de la décision raisonnable. Voici ce qu’il dit au par. 60 :

Il ne s’agit pas non plus d’une question qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. La question en litige concerne l’interprétation de l’art. 120.1 de la [Loi sur les transports au Canada, L.C. 1996, c. 10 (« LTC »)]. La question est propre à ce régime de réglementation particulier, car elle met en cause des contrats confidentiels prévus par la LTC ainsi que la possibilité de recourir à un mécanisme de plaintes qui se limite aux expéditeurs répondant aux conditions que prévoit le par. 120.1(1) . La réponse qui est donnée à la question en litige n’a valeur de précédent que pour les questions relevant de ce régime législatif.

À l’inverse, lorsque, comme en l’espèce, la question a de grandes répercussions sur d’autres régimes législatifs, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte.

[22] De plus, rien n’indique que la Commissaire est dotée d’une expertise particulière qui la rend apte à se prononcer sur le secret professionnel de l’avocat, cette question ayant toujours relevé des cours de justice (voir Legal Services Society c. British Columbia (Information and Privacy Commissioner), 2003 BCCA 278, 226 D.L.R. (4th) 20, par. 25). La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 60) en ce qui a trait tant à (i) la décision de la Commissaire selon laquelle elle possède le pouvoir d’exiger la production des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué qu’à (ii) celle de donner un avis enjoignant à son destinataire de produire des documents.

[23] Ma collègue la juge Abella est d’un avis différent. À partir de six arrêts dans lesquels la Cour statue sur la décision d’un commissaire à l’information et à la protection de la vie privée d’ordonner ou non la communication, elle suggère que le « cheminement clair » de la jurisprudence commande que la norme de contrôle soit en l’espèce celle de la décision raisonnable. Soit dit en tout respect, je ne peux être d’accord.

[24] Des six arrêts invoqués, seulement deux font mention du secret professionnel de l’avocat. L’un d’eux est Blood Tribe, où le juge Binnie revoit la décision contestée selon la norme de la décision correcte, même s’il ne le mentionne pas expressément. L’autre est Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, 2010 CSC 23, [2010] 1 R.C.S. 815, dans lequel la Cour tranche la question secondaire de savoir si le commissaire adjoint a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en application d’une disposition qui l’autorise explicitement à soustraire à la communication un document protégé par le secret professionnel de l’avocat. C’est tout. La réponse de la Cour à la question a peu de répercussions sur le principe du secret professionnel de l’avocat et sur son application au‑delà de l’exercice du pouvoir discrétionnaire considéré dans cette affaire.

[25] La question est différente en l’espèce. Il s’agit de savoir non seulement si la Commissaire a bien exercé son pouvoir discrétionnaire, mais également si le libellé [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » suffit pour englober les attributs du secret professionnel de l’avocat qui relèvent du droit substantiel. Force est donc d’analyser les caractéristiques de chacune des composantes — règle de fond et règle de preuve — du privilège.

[26] On ne saurait trop insister sur l’importance du secret professionnel de l’avocat dans le fonctionnement du système juridique canadien. Il s’agit d’un privilège légal voué à la protection de rapports qui revêtent une importance capitale pour le système de justice dans son ensemble. Dans R. c. Gruenke, [1991] 3 R.C.S. 263, le juge en chef Lamer précise comme suit sa raison d’être :

La protection à première vue des communications entre l’avocat et son client est fondée sur le fait que les rapports et les communications entre l’avocat et son client sont essentiels au bon fonctionnement du système juridique. Pareilles communications sont inextricablement liées au système même qui veut que la communication soit divulguée . . . [Je souligne; p. 289.]

[27] Ayant décidé que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte, je l’applique maintenant à la décision en cause.

B. Principes d’interprétation législative

[28] Si le secret professionnel de l’avocat constitue un principe fondamental du droit, la disposition législative dont l’objet est de le supprimer, de l’écarter ou d’y porter atteinte doit être interprétée de manière restrictive et l’intention du législateur doit y être claire et non équivoque. Le privilège ne peut être écarté par inférence (Blood Tribe, par. 11; Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2004 CSC 31, [2004] 1 R.C.S. 809, par. 33; Lavallee, par. 18). Comme le dit la Cour dans l’arrêt Thompson :

. . . un tribunal ne peut conclure du libellé d’une disposition législative que le secret professionnel de l’avocat est supprimé à l’égard de certains renseignements que si ce libellé révèle l’intention claire du législateur d’arriver à ce résultat. Une telle intention ne peut simplement être inférée de la nature du régime législatif ou de son historique, bien que ceux‑ci puissent offrir un contexte à l’appui lorsque le texte de la disposition est déjà suffisamment clair. Cependant, lorsque la disposition n’est pas claire, il ne faut pas considérer qu’elle vise à soustraire à la protection du secret professionnel de l’avocat des communications ou des documents qui en bénéficieraient normalement. [par. 25]

[29] J’ajoute qu’une telle exigence ne constitue pas un abandon de la méthode moderne d’interprétation des lois. En effet, l’arrêt Blood Tribe n’empêche pas, à mon sens, de recourir à cette méthode à l’égard de termes censés supprimer un privilège. L’analyse à laquelle se livre la Cour dans Blood Tribe n’appuie pas l’adhésion à une interprétation stricte, mais traduit essentiellement le recours à la méthode moderne pour se prononcer sur le secret professionnel de l’avocat, dans la mesure où cette méthode reconnaît le respect des valeurs fondamentales par le législateur. La Cour s’en remet à la méthode moderne dans Thompson, et c’est la démarche que j’adopte en l’espèce. La Cour ne renoue donc pas avec la règle du sens ordinaire, ni n’abandonne la méthode moderne.

C. La Freedom of Information and Protection of Privacy Act

[30] L’accès à l’information constitue un élément important d’une société démocratique moderne. Comme le dit la Cour dans Criminal Lawyers’ Association :

L’accès à l’information détenue par les institutions publiques peut accroître la transparence du gouvernement, aider le public à se former une opinion éclairée et favoriser une société ouverte et démocratique. Certains renseignements détenus par ces institutions doivent toutefois être protégés pour empêcher une atteinte à ces mêmes principes et promouvoir une bonne gouvernance. [par. 1]

[31] L’un des objets de la FOIPP est [traduction] « d’accorder au citoyen, sous réserve de certaines exceptions précises prévues dans la présente loi, un droit d’accès aux renseignements personnels le concernant détenus par un organisme public » (al. 2(c)). Il appert de ce libellé que la loi n’octroie pas un accès illimité aux documents; les demandes d’accès peuvent se heurter à certaines exceptions.

[32] La FOIPP établit également une procédure pour mener [traduction] « des révisions indépendantes de décisions rendues par des organismes publics en vertu de la présente loi et pour le règlement des plaintes formulées au titre de la présente loi » (al. 2(e)). À cet égard, la personne qui sollicite l’accès à un document « peut demander au commissaire de réviser toute décision, action ou omission » du responsable de l’organisme public en cause se rapportant à sa demande d’accès (par. 65(1)). Au nombre des attributions du commissaire, mentionnons la tenue d’enquêtes pour assurer le respect de la FOIPP (al. 53(1)(a)) et pour donner suite à des demandes de révision (par. 69(1)).

[33] La disposition visée par le présent pourvoi est le par. 56(3) de la FOIPP. L’article 56 est libellé comme suit :

[traduction] 56(1) Lorsqu’il mène une enquête au titre de l’alinéa 53(1)(a) ou des articles 69 ou 74.5 ou qu’il donne des conseils ou fait des recommandations au titre de l’article 54, le commissaire est investi des mêmes pouvoirs, privilèges et immunités qu’un commissaire nommé en vertu de la Public Inquiries Act, ainsi que des pouvoirs énoncés au paragraphe (2) du présent article.

(2) Le commissaire peut exiger la production de tout document et peut examiner les renseignements qui y sont contenus, y compris les renseignements personnels, que le document soit visé ou non par les dispositions de la présente loi.

(3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés par le commissaire en vertu des paragraphes (1) ou (2).

La principale question en litige en l’espèce est celle de savoir si le par. 56(3) de la FOIPP exige d’un organisme public qu’il produise des documents afin que le commissaire puisse se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard. L’objet du pourvoi est donc l’obligation de l’Université de communiquer au commissaire, en vue de leur examen, des documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat. Il ne s’agit pas de savoir si le commissaire peut ordonner que des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat soient communiqués à l’auteur de la demande.

D. Le secret professionnel de l’avocat

[34] Le secret professionnel de l’avocat est incontestablement essentiel au bon fonctionnement du système de justice et constitue l’une des pierres d’assise de l’accès à la justice (Blood Tribe, par. 9). L’avocat exerce la fonction unique de conseiller ses clients dans le cadre d’un système de justice complexe (McClure, par. 2). Sans garantie de confidentialité, on ne saurait être assuré qu’une personne se confiera avec honnêteté et franchise à son avocat, ce qui nuirait à la qualité des conseils juridiques (voir Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455, par. 46). Il est donc dans l’intérêt public de protéger le secret professionnel de l’avocat. C’est pourquoi « [il] est jalousement protégé et ne doit être levé que dans les circonstances les plus exceptionnelles » (Pritchard, par. 17).

[35] En outre, le secret professionnel de l’avocat s’applique au bénéfice du client, non de l’avocat (Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, 2016 CSC 20, [2016] 1 R.C.S. 336, par. 48; Blood Tribe, par. 9). Vue avec les yeux du client, la communication forcée à un fonctionnaire constitue à elle seule une atteinte au privilège (Blood Tribe, par. 21). La communication forcée de documents au commissaire afin qu’il vérifie l’application du secret professionnel de l’avocat porte donc atteinte en soi au privilège, que le commissaire communique ou non par la suite les documents à l’auteur de la demande.

[36] À cet égard, il convient de signaler que le commissaire n’est pas un décideur impartial au même titre qu’une cour de justice. La FOIPP lui attribue à la fois une fonction juridictionnelle et un pouvoir d’enquête. Contrairement à une cour de justice, le commissaire peut avoir des intérêts opposés à ceux de l’organisme public. Il peut traduire ce dernier en justice et devenir partie à l’instance engagée contre lui lorsqu’il refuse de communiquer de l’information. On peut dès lors conclure que la communication de l’information au commissaire constitue en soi une atteinte au secret professionnel de l’avocat.

E. Application

[37] En l’espèce, la question centrale est celle de savoir si le par. 56(3) de la FOIPP, qui requiert d’un organisme public qu’il produise les documents demandés par la Commissaire [traduction] « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve », permet à la Commissaire d’examiner les documents dont l’Université allègue qu’ils sont protégés par le secret professionnel de l’avocat. Je conclus que l’expression « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’est pas suffisamment claire et précise pour écarter le secret professionnel de l’avocat ou permettre qu’on y porte atteinte.

(1) Le secret professionnel de l’avocat n’est pas seulement une règle de preuve

[38] D’abord, il est bien établi que le secret professionnel de l’avocat a évolué : d’une règle de preuve, il est devenu une règle de fond (Blood Tribe, par. 10; Thompson, par. 17; Chambre des notaires, par. 28). Qui plus est, rappelons que, selon certains, la Cour lui reconnaît même un caractère quasi constitutionnel.

[39] Lorsqu’il ne constituait qu’une règle de preuve, le secret professionnel de l’avocat faisait en sorte que le client et son avocat n’avaient pas à produire leurs communications confidentielles en preuve dans le cadre d’une instance judiciaire (Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, p. 876, citant R. Cross, Cross on Evidence (5e éd. 1979), p. 282). Comme l’écrivent R. D. Manes et M. P. Silver dans Solicitor‑Client Privilege in Canadian Law (1993), p. 2 :

[traduction] Le droit du privilège remonte au règne des Tudor en Angleterre et s’entendait alors du respect du serment et de l’honneur de l’avocat tenu de ne pas révéler les confidences de son client. Au départ, il ne s’agissait que d’une exception à l’obligation de témoigner, soit le droit de l’avocat ou du client de refuser de témoigner devant le tribunal relativement à des communications confidentielles. [Je souligne; note en bas de page omise.]

Au début de son existence, le secret professionnel de l’avocat ne valait qu’à l’encontre de l’obligation de témoigner (Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821, p. 834).

[40] Toutefois, dès l’arrêt Solosky, la Cour a reconnu que le secret professionnel de l’avocat se retrouve « sur un plan nouveau » et qu’il ne s’applique plus seulement en salle d’audience (p. 836). Deux ans plus tard, dans l’arrêt Descôteaux, la Cour apportait les précisions suivantes sur le secret professionnel de l’avocat en tant que règle de fond :

1. La confidentialité des communications entre client et avocat peut être soulevée en toutes circonstances où ces communications seraient susceptibles d’être dévoilées sans le consentement du client;

2. À moins que la loi n’en dispose autrement, lorsque et dans la mesure où l’exercice légitime d’un droit porterait atteinte au droit d’un autre à la confidentialité de ses communications avec son avocat, le conflit qui en résulte doit être résolu en faveur de la protection de la confidentialité;

3. Lorsque la loi confère à quelqu’un le pouvoir de faire quelque chose qui, eu égard aux circonstances propres à l’espèce, pourrait avoir pour effet de porter atteinte à cette confidentialité, la décision de le faire et le choix des modalités d’exercice de ce pouvoir doivent être déterminés en regard d’un souci de n’y porter atteinte que dans la mesure absolument nécessaire à la réalisation des fins recherchées par la loi habilitante;

4. La loi qui en disposerait autrement dans les cas du deuxième paragraphe ainsi que la loi habilitante du paragraphe trois doivent être interprétées restrictivement. [p. 875]

Ainsi, la règle de fond a élargi les circonstances dans lesquelles le secret professionnel de l’avocat s’applique et a aussi instauré des protections gouvernant les conditions auxquelles le privilège peut être supprimé, écarté ou faire l’objet d’une atteinte.

[41] Dans la foulée de l’arrêt Descôteaux, la Cour a conclu que le secret professionnel de l’avocat ne s’applique pas qu’en salle d’audience et qu’il vaut notamment pour la saisie et la perquisition effectuées dans un cabinet d’avocats (Lavallee; Maranda c. Richer, 2003 CSC 67, [2003] 3 R.C.S. 193; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, 2015 CSC 7, [2015] 1 R.C.S. 401), ainsi que pour la communication de documents dans le cadre de l’application des dispositions sur l’accès à l’information (Blood Tribe; Goodis c. Ontario (Ministère des Services correctionnels), 2006 CSC 31, [2006] 2 R.C.S. 32; Criminal Lawyers’ Association). Dans sa forme moderne, le secret professionnel de l’avocat ne s’entend plus uniquement d’une règle de preuve; il constitue « une règle de preuve, un droit civil important ainsi qu’un principe de justice fondamentale en droit canadien » (Lavallee, par. 49).

[42] J’estime que la présente affaire met en jeu le secret professionnel de l’avocat sur le plan du fond plutôt que sur celui de la preuve. Il ne s’agit pas en l’espèce d’un cas où nous avons à traiter du dépôt en preuve de documents protégés dans le cadre d’une procédure judiciaire. Nous avons plutôt affaire à la communication de documents en application d’un régime d’accès à l’information établi par une loi, indépendamment d’une instance judiciaire. Il est vrai que l’auteur de la demande cherchait au départ à obtenir les documents pour les utiliser en preuve dans un litige distinct qui l’opposait à l’Université, mais sa poursuite a depuis lors connu son dénouement. En outre, la Commissaire n’entend pas examiner les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat comme s’il s’agissait d’une preuve à partir de laquelle serait tranché un litige. Dans le cas qui nous occupe, la communication n’a donc aucun lien avec le « privilège en matière de preuve ». Elle s’apparente plutôt au contrôle du courrier destiné à une personne détenue dans un pénitencier, ce sur quoi la Cour s’est prononcée dans Solosky. Pour reprendre la formulation employée dans Descôteaux, la Cour « appliquait une norme qui n’a rien à voir avec la règle de preuve [. . .] puisqu’en rien n’y était‑il question de témoignages devant un tribunal quelconque » (p. 875). De la même façon, l’absence d’une telle question en l’espèce fait ressortir l’application du secret professionnel de l’avocat en tant que règle de fond, plutôt que comme règle de preuve.

[43] La Cour a maintes fois confirmé que, à titre de règle de fond, le secret professionnel de l’avocat doit demeurer aussi absolu que possible et qu’on ne doit y porter atteinte qu’en cas de nécessité absolue (Chambre des notaires, par. 28, citant Lavallee, par. 36‑37, McClure, par. 35, R. c. Brown, 2002 CSC 32, [2002] 2 R.C.S. 185, par. 27, Goodis, par. 15). Dans le cas, par exemple, de la preuve offerte dans une poursuite criminelle, on a jugé que l’assimilation du secret professionnel de l’avocat à une règle de fond faisait en sorte qu’il ne cède le pas que « dans certaines circonstances bien définies et ne nécessite pas une évaluation des intérêts dans chaque cas » (McClure, par. 35). Ces circonstances, qui ne se présentent que rarement, comprennent celles où l’accusé a droit à une défense pleine et entière (McClure; Brown) et celles où la sécurité publique est en jeu (Smith).

[44] Étant donné que, maintes fois et avec constance, la Cour a considéré le secret professionnel de l’avocat plus comme une règle de fond qu’une simple règle de preuve, j’estime que l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’identifie pas comme elle le devrait les intérêts substantiels larges protégés par le secret professionnel de l’avocat. Cette expression n’est donc pas suffisamment claire, explicite et non équivoque pour traduire l’intention du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat. À l’opposé, certaines catégories de privilèges, notamment le privilège relatif aux communications entre époux, celui qui intervient dans un contexte religieux et le privilège relatif aux échanges préalables à un règlement, ne s’appliquent que dans le cadre de la preuve dans une instance judiciaire. De tels privilèges sont assurément visés par l’expression « privilège que reconnaît le droit de la preuve ».

[45] À cet égard, il convient de mentionner que le par. 56(3) de la FOIPP a été édicté dans sa forme actuelle dès 1994 dans la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, S.A. 1994, c. F‑18.5, par. 54(3). La jurisprudence établissait alors fort bien, et ce, depuis plus d’une décennie, que le secret professionnel de l’avocat était passé d’un privilège reconnu en droit de la preuve à un privilège de fond.

(2) L’arrêt Blood Tribe n’appuie pas la proposition selon laquelle le secret professionnel de l’avocat constitue un « privilège que reconnaît le droit de la preuve »

[46] La Commissaire soutient que, selon l’arrêt Blood Tribe, l’énoncé « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » est suffisamment clair et précis pour supprimer le secret professionnel de l’avocat. Dans cette affaire, la disposition en cause était l’art. 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (« LPRPDE »), qui permettait à la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada d’obliger une personne à produire tout document « de la même façon et dans la même mesure qu’une cour supérieure d’archives » (actuel art. 12.1 ; voir L.C. 2010, c. 23, art. 83 ). La Cour a conclu que l’article constituait une disposition de nature générale en matière de production de documents et que son libellé n’était pas suffisamment explicite pour supprimer le secret professionnel de l’avocat (par. 21).

[47] Dans Blood Tribe, la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada soutenait que l’interprétation de ses pouvoirs d’enquête suivant la LPRPDE devait être compatible avec celle des pouvoirs que lui conférait par ailleurs la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P‑21 , qui permettait l’examen des renseignements malgré « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » (par. 34(2) ). S’exprimant au nom de la Cour, le juge Binnie rejette l’argument. Il fait observer que les pouvoirs conférés à la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada par la LPRPDE diffèrent de ceux dont l’investit la Loi sur la protection des renseignements personnels , car contrairement à la disposition de nature générale de la LPRPDE sur la production de documents, le par. 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels renferme une « disposition explicite permettant l’accès aux renseignements confidentiels » (par. 28).

[48] Dans la présente affaire, la Commissaire fait aujourd’hui valoir que le par. 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels , dont le juge Binnie dit qu’elle renferme une « disposition explicite permettant l’accès aux renseignements confidentiels », est très semblable à la disposition considérée en l’espèce. En voici le libellé :

(2) Nonobstant toute autre loi fédérale ou toute immunité reconnue par le droit de la preuve, le Commissaire à la protection de la vie privée a, pour les enquêtes qu’il mène en vertu de la présente loi, accès à tous les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, qui relèvent d’une institution fédérale, à l’exception des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada auxquels s’applique le paragraphe 70(1); aucun des renseignements auxquels il a accès en vertu du présent paragraphe ne peut, pour quelque motif que ce soit, lui être refusé.

[49] Je ne puis accepter l’argument de la Commissaire voulant que l’arrêt Blood Tribe appuie cette interprétation, et ce, pour deux raisons. D’abord, la Cour reconnaît expressément dans Blood Tribe que la portée du par. 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels ne fait pas l’objet du litige et que « [l]a question de l’interprétation correcte du par. 34(2) [de cette loi] sera tranchée lorsqu’elle sera posée directement, dans le cadre d’un autre pourvoi » (par. 29). Dans Blood Tribe, la Cour ne considère le par. 34(2) que pour faire la démonstration que les pouvoirs conférés à la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada par la LPRPDE diffèrent de ceux dont l’investit la Loi sur la protection des renseignements personnels , et ce, afin de réfuter la thèse de la Commissaire à la protection de la vie privée du Canada (par. 28‑29). Dans cet arrêt, la Cour n’énonce pas de critères définitifs concernant le libellé du par. 34(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels .

[50] Ensuite, si comme le reconnaît le juge Binnie, les énoncés « toute immunité reconnue par le droit de la preuve » ou « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » confèrent explicitement un droit d’accès à certains renseignements confidentiels, j’estime qu’ils n’écartent pas clairement le secret professionnel de l’avocat, ni ne permettent clairement d’y porter atteinte. Rappelons que le secret professionnel de l’avocat n’est pas qu’une simple règle de preuve puisqu’il a été élevé au rang de règle de fond. En outre, l’interprétation contextuelle du par. 56(3) au regard du régime établi par la FOIPP appuie la conclusion selon laquelle le législateur n’a pas voulu écarter le secret professionnel de l’avocat.

(3) Le régime législatif étaye la conclusion selon laquelle le secret professionnel de l’avocat n’est pas écarté

[51] Outre l’absence au par. 56(3) d’un libellé clair, explicite et non équivoque, l’interprétation de la disposition dans le contexte global de la loi confirme également que le législateur n’a pas voulu écarter le secret professionnel de l’avocat.

[52] Premièrement, le par. 27(1) de la FOIPP établit sans conteste qu’un organisme public peut refuser de communiquer des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat :

[traduction] 27(1) Le responsable de l’organisme public peut refuser de communiquer à l’auteur d’une demande :

(a) les renseignements qui sont protégés par tout type de privilège légal, notamment le secret professionnel de l’avocat et le privilège parlementaire,

Au paragraphe 27(1), le législateur reconnaît et protège le droit de l’organisme public au secret professionnel de l’avocat en utilisant l’expression « secret professionnel de l’avocat ». Cela démontre qu’il a considéré cet aspect précis et qu’il était conscient de son importance. S’il avait voulu que le par. 56(3) oblige un organisme public à produire, sur demande du commissaire, des documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué, il aurait pu employer des termes clairs, explicites et non équivoques en ce sens, comme il le fait au par. 27(1) de la même loi, où il reconnaît à l’organisme public le droit d’invoquer le secret professionnel de l’avocat à l’égard de renseignements. Lorsqu’il établit les pouvoirs du commissaire concernant la production de documents, le législateur n’emploie pas un libellé aussi précis qui écarterait le privilège vis‑à‑vis du commissaire ou qui lui permettrait d’y porter atteinte.

[53] De plus, l’emploi de l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » au par. 56(3), par opposition à celle de « privilège légal » au par. 27(1), est important, car le législateur est présumé utiliser une expression de façon uniforme dans un même texte de loi (R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), §8.36). Les termes différents employés dans un même texte législatif sont donc censés avoir des sens différents. Si tel n’était pas le cas, le législateur n’aurait employé qu’un seul de ces termes (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, par. 81; R. c. Barnier, [1980] 1 R.C.S. 1124, p. 1135‑1136). Si le législateur avait voulu permettre au commissaire d’exiger la production de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué, il aurait pu le faire au par. 56(3) en employant les mêmes termes qu’au par. 27(1) au lieu de l’expression « privilège que reconnaît le droit de la preuve ».

[54] Deuxièmement, il s’agit d’une interprétation cohérente. Dans le contexte de la FOIPP, « privilège légal » a une portée plus grande que « privilège que reconnaît le droit de la preuve ». Comme l’écrit la professeure Sullivan, [traduction] « [l]’énumération d’exemples après le mot “notamment” vise normalement à souligner la portée étendue d’un libellé général et à faire en sorte qu’il ne fasse pas l’objet à tort d’une interprétation atténuée de manière à exclure une chose que le législateur a voulu inclure » (§4.39). Au paragraphe 27(1), le libellé général [traduction] « tout type de privilège légal » est suivi des mots « notamment le secret professionnel de l’avocat et le privilège parlementaire » afin d’inclure ces deux immunités qui figurent parmi celles qui sont les mieux protégées. Cette disposition démontre clairement l’intention du législateur de protéger une vaste gamme de documents privilégiés contre leur communication forcée par un organisme public à l’auteur d’une demande.

[55] [traduction] « [T]out privilège que reconnaît le droit de la preuve » est une sous‑catégorie de « privilège légal ». Suivant le par. 56(3), un organisme public peut être tenu de produire à l’intention du commissaire des documents à l’égard desquels est invoqué un « privilège que reconnaît le droit de la preuve » afin que le commissaire se prononce sur l’existence de celui‑ci.

[56] Interprétés de pair, les par. 27(1) et 56(3) font en sorte qu’un organisme public peut refuser de communiquer un document qui fait l’objet d’un « privilège légal ». Le commissaire peut obtenir certains documents protégés en vue de leur examen, y compris ceux à l’égard desquels un [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » est invoqué, et il peut alors se prononcer sur le bien‑fondé de la revendication.

[57] Le secret professionnel de l’avocat constitue manifestement un « privilège légal » suivant le par. 27(1), mais non un [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » au sens du par. 56(3). Je le rappelle, l’expression « privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’est pas suffisamment précise pour traduire l’importance générale que revêt sur le fond le secret professionnel de l’avocat. Le responsable d’un organisme public peut donc refuser de communiquer des renseignements en vertu du par. 27(1), et le commissaire ne peut le contraindre à les communiquer pour examen en vertu du par. 56(3). Cela signifie simplement que le commissaire ne pourra examiner les documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. La nature du secret professionnel de l’avocat en tant que privilège bénéficiant d’une grande protection est ainsi respectée.

[58] Troisièmement, étant donné l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat, si le législateur avait voulu l’écarter, il aurait vraisemblablement établi certaines sauvegardes afin de faire en sorte que la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat n’intervienne pas de manière préjudiciable au droit substantiel. Qui plus est, aucune disposition de la FOIPP ne prévoit que la communication au commissaire d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat emporte renonciation au privilège. L’absence dans ce texte législatif de toute précision quant aux conditions auxquelles le privilège peut être écarté et à la mesure dans laquelle il peut l’être suggère que le législateur n’a pas voulu lever le secret professionnel de l’avocat.

[59] De façon générale, cela ne signifie pas que l’auteur d’une demande ne dispose pas d’autres moyens pour obtenir la communication de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. Il convient de signaler que, dans la présente affaire, l’auteure de la demande a eu la possibilité de demander au tribunal la communication de tels documents dans le cadre de l’action qu’elle a intentée contre l’Université, mais qu’elle ne s’en est pas prévalu.

[60] Je conviens avec mon collègue le juge Cromwell que la prise en compte de dispositions parallèles d’autres lois peut offrir une certaine assistance dans l’interprétation d’un libellé législatif spécifique. Mais ni les mots ni les énoncés ne peuvent être isolés de leur contexte législatif et transposés d’emblée dans une autre loi. L’examen attentif de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1996, c. 165, par. 44(3), au regard des dispositions visées en l’espèce révèle des différences majeures entre le cadre d’application de la loi albertaine et celui de la loi britanno‑colombienne, notamment au chapitre des pouvoirs du commissaire :

La loi albertaine

[traduction] Pouvoirs du commissaire en matière d’enquête

56(1) Lorsqu’il mène une enquête au titre de l’alinéa 53(1)(a) ou des articles 69 ou 74.5 ou qu’il donne des conseils ou fait des recommandations au titre de l’article 54, le commissaire est investi des mêmes pouvoirs, privilèges et immunités qu’un commissaire nommé en vertu de la Public Inquiries Act, ainsi que des pouvoirs énoncés au paragraphe (2) du présent article.

(2) Le commissaire peut exiger la production de tout document et peut examiner les renseignements qui y sont contenus, y compris les renseignements personnels, que le document soit visé ou non par les dispositions de la présente loi.

(3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés par le commissaire en vertu des paragraphes (1) ou (2).

La loi britanno‑colombienne

[traduction] Pouvoirs du commissaire en matière d’enquête et de vérification

44 (1) Pour les besoins d’une enquête ou d’une vérification entreprise sous le régime de l’article 42 ou d’une enquête fondée sur l’article 56, le commissaire peut rendre une ordonnance enjoignant à une personne de faire l’une ou l’autre des choses suivantes, ou les deux :

(a) se présenter personnellement ou par moyen électronique devant lui pour répondre à des questions sous serment ou sur la foi d’une déclaration solennelle, ou selon d’autres modalités;

(b) produire à son intention un document qu’elle a en sa possession, y compris un document renfermant des renseignements personnels.

(2) Le commissaire peut s’adresser à la cour suprême afin d’obtenir une ordonnance

(a) enjoignant à une personne de se conformer à une ordonnance rendue sur le fondement du paragraphe (1) ou

(b) enjoignant aux administrateurs et aux dirigeants d’une personne de faire en sorte que cette personne se conforme à une ordonnance rendue sur le fondement du paragraphe (1).

(2.1) Lorsqu’une personne communique au commissaire, à la demande de ce dernier ou en application du paragraphe (1), un document auquel s’applique le secret professionnel de l’avocat, le secret professionnel de l’avocat continue de protéger le document malgré la communication.

(3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés par le commissaire en vertu du paragraphe (1).

[61] Contrairement à la disposition en cause en l’espèce, l’art. 44 de la loi britanno‑colombienne n’investit pas le commissaire d’un grand pouvoir de contrainte lui permettant d’obtenir la production de documents. Fait important, le commissaire de l’autre province ne jouit pas des « mêmes pouvoirs, privilèges et immunités qu’un commissaire nommé en vertu de la Public Inquiries Act ». En fait, suivant le par. 44(2) de la loi britanno‑colombienne, ce pouvoir appartient en grande partie à une cour dotée d’une juridiction inhérente, l’arbitre traditionnel en matière de secret professionnel de l’avocat. Il est donc difficile d’imaginer une interprétation du par. 44(3) qui attribuerait au commissaire britanno‑colombien le pouvoir que la Commissaire appelante prétend détenir en l’espèce sans priver le par. 44(2) de tout effet.

[62] En outre, nulle part dans la loi britanno‑colombienne le législateur ne fait mention d’un « privilège légal » ou n’indique que le secret professionnel de l’avocat constitue un privilège légal. Le conflit d’interprétations qui est au cœur du présent pourvoi ne se présente donc pas dans le cas de la loi britanno‑colombienne.

[63] La méthode moderne d’interprétation des lois commande qu’un texte législatif soit considéré dans la totalité de son contexte. Le recours à d’autres textes de ressorts différents peut être utile dans la détermination de ce contexte global, mais la consultation de dispositions parallèles ne saurait supplanter les autres principes d’interprétation des lois. Elle ne supplante assurément pas celui, expliqué au par. 53 des présents motifs, selon lequel le législateur est présumé employer une expression de manière uniforme dans un même texte de loi. La professeure Sullivan écrit en effet : [traduction] « [d]e toute évidence, on ne peut considérer que les lois de différents ressorts forment un seul texte de loi » (§13.42).

[64] À mon sens, l’obligation de s’en remettre à une autre disposition de la loi britanno‑colombienne, soit le par. 44(2), pour clarifier la portée de l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » qui figure au par. 44(3), est plutôt de nature à réfuter qu’à étayer la thèse selon laquelle cet énoncé est suffisamment clair, explicite et non équivoque pour englober le secret professionnel de l’avocat. En effet, s’il était si clair, explicite et non équivoque, le par. 44(2.1) serait essentiellement inutile. De plus, le fait que l’autre disposition confère une grande partie du pouvoir d’exiger la production de documents à une cour de justice, plutôt qu’à un commissaire investi de pouvoirs équivalents à ceux issus de la Public Inquiries Act, d’une manière compatible avec le respect législatif des valeurs fondamentales, milite également contre l’interprétation que préconise en l’espèce la Commissaire appelante. En somme, les mêmes éléments contextuels jouent contre la thèse qu’elle défend : une autre disposition, le par. 27(1), autorise expressément l’organisme public à refuser de produire un document protégé par le secret professionnel de l’avocat en renvoyant à la notion distincte de « privilège légal », et le fait que le commissaire n’est jamais tenu de demander à une cour de justice de contraindre un organisme à produire un document est incompatible avec la présomption du respect législatif des valeurs fondamentales.

[65] Partant, à supposer, mais sans en décider, que même si l’expression [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » devait s’entendre entre autres du secret professionnel de l’avocat une fois pris en compte les éléments contextuels issus du cadre de la loi britanno‑colombienne, elle ne pourrait, ainsi « colorée », être transposée dans la loi albertaine et avoir l’effet équivalent.

[66] Je conclus sur le sujet en revenant sur l’interprétation stricte que préconise la Cour d’appel. Certes, l’approche s’apparente à la mienne mais, pour les motifs qui précèdent, je ne puis convenir que l’arrêt Blood Tribe écarte la méthode moderne d’interprétation des lois.

(4) À supposer même qu’il y ait eu intention claire et non équivoque de la part du législateur, l’affaire ne se prête pas à une ordonnance de communication

[67] Enfin, même si le par. 56(3) traduisait clairement l’intention du législateur d’écarter le secret professionnel de l’avocat, je conclurais qu’il ne s’agit pas d’une affaire qui se prête à une ordonnance de communication.

[68] La Commissaire dit être investie d’une fonction juridictionnelle qui s’apparente à celle d’une cour supérieure et qui lui permet de décider si un organisme public invoque à bon droit le secret professionnel de l’avocat. Cependant, comme le conclut la Cour dans l’arrêt Blood Tribe, même une cour de justice n’acceptera d’examiner un document protégé par le secret professionnel de l’avocat pour se prononcer en toute justice sur l’existence du privilège que si la nécessité de le faire est démontrée (par. 17, citant Ansell Canada Inc. c. Ions World Corp. (1998), 28 C.P.C. (4th) 60 (C. Ont. (Div. gén.)), par. 20).

[69] Parce que, selon lui, l’Université n’a pas présenté d’éléments établissant l’application du secret professionnel de l’avocat comme l’exige le Protocole, le délégué conclut qu’il doit examiner les documents. Toutefois, le Protocole ne constitue pas une règle de droit, car il n’émane pas du législateur. Il s’agit plutôt d’un guide conçu par le Commissariat à l’intention des décideurs et des organismes publics.

[70] Au moment de la demande de communication de la Commissaire, le courant dominant dans les instances civiles albertaines permettait à une partie de regrouper les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat et de les identifier au moyen de numéros, comme l’a fait l’Université (voir Dorchak c. Krupka, 1997 ABCA 89, 1996 A.R. 81). Aucun élément de preuve ni aucun argument selon lequel l’Université a invoqué sans droit le secret professionnel de l’avocat n’a été présenté. Dans ces circonstances, le délégué a eu tort de conclure qu’il lui fallait examiner les documents pour se prononcer en toute justice sur l’existence du privilège.

VII. Conclusion

[71] Sous réserve du respect de la Constitution, le législateur peut, dans une disposition législative, lever le secret professionnel de l’avocat, mais il doit le faire au moyen d’un libellé explicite traduisant son intention claire et non équivoque de le faire. En l’espèce, il n’y a pas un tel libellé. Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter le pourvoi et d’adjuger au Conseil des gouverneurs de l’Université ses dépens devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

Le juge Cromwell —

I. Introduction

[72] Je conviens avec ma collègue la juge Côté que le pourvoi doit être rejeté. J’estime cependant que la Freedom of Information and Protection of Privacy Act de l’Alberta, R.S.A. 2000, c. F‑25 (« FOIPP »), autorise bel et bien la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée (« Commissaire ») à exiger la production, en vue de leur examen, de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. La Commissaire est investie du pouvoir d’ordonner à un organisme public de produire en vue de son examen tout document dont elle fait la demande [traduction] « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » (par. 56(3)). Il s’agit à mon sens d’une attribution législative explicite de pouvoir qui doit être respectée, non éludée.

[73] Quels que soient les autres principes et présomptions qui entrent en jeu en la matière, l’interprétation d’une loi doit se fonder sur les termes choisis par le législateur, compte tenu de leur contexte en entier. À mon humble avis, la conclusion de ma collègue la juge Côté selon laquelle, pour l’application de la FOIPP, le secret professionnel de l’avocat constitue un [traduction] « privilège légal », mais non un « privilège que reconnaît le droit de la preuve », n’est justifiée ni par le texte ou le contexte de la loi, ni par le principe d’interprétation voulant que le législateur doive employer des termes clairs pour autoriser toute suppression du secret professionnel de l’avocat. Interprété dans son contexte, le libellé de la disposition législative traduit au contraire l’intention claire d’autoriser la Commissaire, sous réserve d’un contrôle judiciaire, à ordonner la production, en vue de leur examen, de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué. Toute conclusion contraire s’écarte de la méthode moderne d’interprétation des lois à laquelle la Cour a maintes fois souscrit et compromet sous couvert d’interprétation « restrictive » les choix de politique législative qui s’offrent aux législateurs sous réserve des exigences constitutionnelles.

II. Questions en litige

[74] Les trois questions suivantes doivent être tranchées :

1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

2. La FOIPP supprime‑t‑elle le secret professionnel de l’avocat?

3. Le délégué de la Commissaire a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production?

III. Analyse

A. Quelle est la norme de contrôle applicable?

[75] Pour les besoins des présents motifs, je tiens pour acquis (sans statuer en ce sens) que la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la Commissaire peut ordonner la production d’un document afin de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à son égard.

B. La FOIPP supprime‑t‑elle le secret professionnel de l’avocat?

(1) Introduction

[76] Dans l’arrêt Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, 2008 CSC 44, [2008] 2 R.C.S. 574, la Cour conclut que « les dispositions législatives susceptibles (si elles sont interprétées de façon large) d’autoriser des atteintes au privilège du secret professionnel de l’avocat doivent être interprétées de manière restrictive » (par. 11). Le secret professionnel de l’avocat ne peut être « supprimé par inférence » et « [o]n considérera ainsi qu’une disposition d’acception large régissant la production de documents ne vise pas les documents protégés par le secret professionnel de l’avocat » (par. 11 (en italique dans l’original); voir également Canada (Revenu national) c. Thompson, 2016 CSC 21, [2016] 1 R.C.S. 381, par. 23‑25).

[77] Blood Tribe constitue certes un arrêt important, mais la question qui y est tranchée n’a presque rien à voir avec celle que soulève le présent pourvoi. Dans cette affaire, on faisait valoir que, en vertu d’une disposition générale permettant d’exiger la production de documents, la Commissaire à la protection de la vie privée jouissait automatiquement d’un droit d’accès aux documents protégés même lorsque le privilège était invoqué à bon droit (par 16‑17). C’est dans ce contexte que la Cour statue qu’une disposition générale doit être interprétée de manière restrictive et que la disposition d’acception large conférant un pouvoir en matière de production ne doit pas être interprétée comme si elle permettait d’exiger la production de documents protégés. La Cour fait expressément droit à la prétention du procureur général du Canada selon laquelle, dans cette affaire, le sens ordinaire et grammatical des termes, compte tenu de tout le contexte qui leur est propre, n’appuie pas la thèse de la Commissaire à la protection de la vie privée (par. 26). Elle souligne en outre que, contrairement aux pouvoirs conférés à la Commissaire à la protection de la vie privée par la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, c. 5 (« LPRPDE ») — ceux alors en cause — les pouvoirs accordés par la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, c. P‑21 , le sont par une « disposition explicite permettant l’accès aux renseignements confidentiels » (par. 28). La disposition de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui, pour l’essentiel, est identique à la disposition de la loi albertaine visée en l’espèce, autorisait la Commissaire à la protection de la vie privée à examiner tout renseignement « [n]onobstant [. . .] toute immunité reconnue par le droit de la preuve » (par. 34(2) ).

[78] Appliquer une présomption d’intention législative n’est pas abandonner la méthode moderne d’interprétation des lois à laquelle la Cour adhère depuis si longtemps et avec tant de constance. Par conséquent, pour savoir si le législateur exprime de manière suffisamment claire son intention d’écarter une présomption d’intention législative, il faut appliquer la méthode moderne d’interprétation des lois. Axer ainsi l’analyse sur cette méthode élargit le champ de l’examen, lequel ne s’attache plus au sens ordinaire des mots, mais tient compte de la totalité du contexte dans lequel ils figurent. Conformément à l’arrêt Blood Tribe, la disposition générale qui permet d’exiger la production de documents est interprétée restrictivement de manière à exclure toute suppression par inférence. Toutefois, la méthode « moderne » permet de décider si le texte de loi, au vu de son contexte en entier, traduit avec la clarté requise l’intention de supprimer le privilège.

[79] À mon avis, au par. 56(3) de la FOIPP, le législateur prévoit expressément la suppression du secret professionnel de l’avocat lorsqu’il autorise la Commissaire à ordonner la production d’un document afin de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à son égard. C’est ce qui ressort du sens ordinaire et grammatical des mots [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ». Cette interprétation est également étayée par les éléments contextuels qui doivent être pris en compte pour interpréter une disposition législative suivant l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. Soit dit en tout respect, il s’agit d’une interprétation parfaitement compatible avec l’arrêt Blood Tribe, le privilège n’étant pas supprimé par inférence, mais de façon indubitablement claire au moyen d’un énoncé législatif exprès.

(2) Sens ordinaire et grammatical de l’expression [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve »

[80] Le paragraphe 56(3) est rédigé comme suit :

[traduction] (3) Malgré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés par le commissaire en vertu des paragraphes (1) ou (2).

[81] L’intimé soutient que les mots [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » ne visent pas le secret professionnel de l’avocat, car ce dernier ne tient pas seulement à la preuve, mais aussi au droit substantiel. Je conviens certes que le secret professionnel de l’avocat constitue désormais un principe de fond, voire un principe constitutionnel, mais il demeure également un privilège en matière de preuve que vise le libellé législatif en l’espèce. De plus, comme je l’explique plus loin, c’est le volet du secret professionnel de l’avocat touchant à la preuve qui est en cause en l’espèce.

[82] La Cour a conclu que le secret professionnel de l’avocat constitue à la fois un privilège en matière de preuve et un principe de fond. Dans l’arrêt Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), 2002 CSC 61, [2002] 3 R.C.S. 209, la juge Arbour explique que « [l]e secret professionnel de l’avocat constitue une règle de preuve » (par. 49). De même, dans l’arrêt Société d’énergie Foster Wheeler ltée c. Société intermunicipale de gestion et d’élimination des déchets (SIGED) inc., 2004 CSC 18, [2004] 1 R.C.S. 456, la Cour fait observer que la jurisprudence « consacr[e] clairement l’importance fondamentale du secret professionnel de l’avocat, à la fois règle de preuve, droit civil important et principe de justice fondamentale » (par. 34 (je souligne)). Dans l’arrêt Descôteaux c. Mierzwinski, [1982] 1 R.C.S. 860, le juge Lamer qualifie le secret professionnel de l’avocat de « règle de preuve » qui a « aussi depuis donné naissance à une règle de fond » (p. 872 et 875). Le secret professionnel de l’avocat constitue donc à la fois une règle de preuve et une règle de fond.

[83] D’autres tribunaux d’appel arrivent à la même conclusion relativement au libellé apparenté d’autres lois.

[84] Par exemple, dans Newfoundland and Labrador (Attorney General) c. Information and Privacy Commissioner (Nfld. and Lab.), 2011 NLCA 69, 314 Nfld. & P.E.I.R. 305, la Cour d’appel de Terre‑Neuve‑et‑Labrador conclut que les termes « a privilege under the law of evidence » ([traduction] « un privilège reconnu par le droit de la preuve ») employés à l’art. 52 de l’Access to Information and Protection of Privacy Act, S.N.L. 2002, c. A‑1.1, sont [traduction] « suffisamment clairs pour supprimer le secret professionnel de l’avocat, car il s’agit d’un privilège que prévoit le droit de la preuve » (par. 45). Dans l’arrêt Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15247, la Cour d’appel fédérale conclut que le renvoi à « toute immunité reconnue par le droit de la preuve [. . .] [l’]habilite clairement [. . .] à rompre la confidentialité fondée sur le secret des communications entre avocat et client » (par. 11 (soulignement omis)).

[85] Mon interprétation du par. 56(3) de la FOIPP trouve également appui dans la doctrine. Le professeur A. M. Dodek, par exemple, voit dans le secret professionnel de l’avocat [traduction] « un membre de la famille des privilèges en matière de preuve » (Solicitor-Client Privilege (2014), p. 26). Il fait observer ce qui suit :

[traduction] Il serait absurde d’affirmer qu’un tel libellé [tout privilège reconnu par le droit de la preuve] ne vise pas le secret professionnel de l’avocat au motif que celui‑ci ne confère plus seulement un privilège reconnu par le droit de la preuve. Conformément à la méthode moderne d’interprétation des lois, l’énoncé « privilège reconnu par le droit de la preuve » commande une approche uniforme dans toutes les lois. Sauf indication contraire, l’énoncé doit être interprété comme englobant le secret professionnel de l’avocat. [Notes en bas de page omises; p. 379.]

[86] Dans The Law of Privilege in Canada (feuilles mobiles), R. W. Hubbard, S. Magotiaux et S. M. Duncan signalent que [traduction] « le secret professionnel de l’avocat a vu sa portée s’accroître et est devenu un droit substantiel » (p. 11‑4.1 (je souligne)). Les auteurs ajoutent qu’« un privilège comme le secret professionnel de l’avocat ne constitue pas seulement une règle en matière de preuve faisant obstacle à l’admissibilité; il s’agit également d’un droit substantiel » (p. 1‑3 (je souligne)). Aussi, dans The Law of Evidence in Canada (4e éd. 2014), S. N. Lederman, A. W. Bryant et M. K. Fuerst expliquent que [traduction] « le secret professionnel de l’avocat a longtemps été assimilé à un privilège testimonial du fait qu’on ne pouvait le faire valoir qu’au procès » (p. 952). Toutefois, des décisions ultérieures « ont étendu la période pendant laquelle le privilège peut être invoqué », ce qui « s’inscrit dans le courant de l’élargissement du secret professionnel de l’avocat sur le plan conceptuel » (p. 952‑953 (je souligne)).

[87] Qui plus est, et contrairement à ce que soutient ma collègue la juge Côté, c’est le privilège en matière de preuve qui est en cause en l’espèce. L’intimé demande qu’on le soustraie à l’obligation de produire les documents exigés par la Commissaire en vertu de ses pouvoirs légaux. Nous sommes donc saisis d’une demande de protection contre une communication requise par la loi, ce qui relève nettement du privilège en matière de preuve à laquelle renvoie expressément la disposition législative (Dodek, p. 16; Lavallee, par. 13‑14).

[88] L’intimé fait valoir que l’al. 27(1)(a) de la loi renvoie précisément au [traduction] « secret professionnel de l’avocat » et que le par. 56(3) ne l’emporte pas sur cet alinéa, mais le reconnaît implicitement. Le fait que les mots « secret professionnel de l’avocat » sont employés ailleurs dans la loi n’affaiblit en rien l’interprétation du par. 56(3) que je préconise. L’alinéa 27(1)(a) dispose ce qui suit :

[traduction] 27(1) Le responsable de l’organisme public peut refuser de communiquer à l’auteur d’une demande :

(a) les renseignements qui sont protégés par tout type de privilège légal, notamment le secret professionnel de l’avocat et le privilège parlementaire,

[89] L’alinéa 27(1)(a) et le par. 56(3) de la loi remplissent des fonctions différentes. Par conséquent, le fait que l’al. 27(1)(a) renvoie expressément au secret professionnel de l’avocat ne permet pas de conclure que le par. 56(3) empêche la Commissaire d’ordonner la production de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat. Quoi qu’il en soit, l’art. 27 fait expressément en sorte que l’expression [traduction] « tout type de privilège légal » englobe le secret professionnel de l’avocat.

[90] L’alinéa 27(1)(a) figure dans la section de la loi intitulée [traduction] « Exceptions à la communication » et a pour intertitre « Renseignements protégés ». Le paragraphe 27(1) énumère un certain nombre de motifs pour lesquels un organisme public peut refuser la communication. Il n’empêche cependant pas le commissaire d’examiner la prétention d’un organisme public voulant que l’un de ces motifs d’exception à la communication s’applique à bon droit. Le paragraphe 27(1) fournit plutôt aux organismes publics des balises explicites quant aux motifs pour lesquels ils peuvent s’opposer à la communication.

[91] L’article 56 figure pour sa part dans la section [traduction] « Fonctions et pouvoirs du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée » et a pour intertitre « Pouvoirs du commissaire en matière d’enquête ». Il précise ce que le commissaire peut faire et ce qu’il ne peut pas faire dans le cadre d’une enquête. Aucun des éléments de cette disposition ou du par. 27(1) ne permet de conclure qu’il ne peut ordonner la production de documents qui seraient protégés par le secret professionnel de l’avocat lorsqu’il s’agit de résoudre les questions de droit et de fait qui se posent dans le cadre d’une enquête.

[92] On ne doit donc pas conclure que le secret professionnel de l’avocat constitue un type de privilège légal (comme l’indique clairement le par. 27), mais pas un [traduction] « privilège que reconnaît le droit de la preuve » (le libellé figurant au par. 56(3)). Toutes les sources confirment que le secret professionnel de l’avocat est un « privilège que reconnaît le droit de la preuve » et que tous les privilèges de ce genre constituent des « privilège[s] léga[ux] ».

[93] En résumé, suivant leur sens ordinaire et grammatical, les mots [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » englobent le secret professionnel de l’avocat. Conformément à l’arrêt Blood Tribe, le législateur emploie le libellé qui convient pour exprimer clairement son intention : le secret professionnel de l’avocat est supprimé lorsqu’il s’agit de permettre au commissaire d’examiner les documents auxquels il s’appliquerait et de se prononcer sur son application.

[94] Cette conclusion est également étayée par un certain nombre d’éléments contextuels que j’examine ci‑après.

(3) Éléments contextuels

a) Le contexte législatif sous le régime de la FOIPP

[95] Comme nous le verrons, le régime issu de la FOIPP établit une procédure détaillée et autonome de communication à une personne des renseignements qu’elle demande. Ce régime législatif investit le commissaire de pouvoirs d’examen étendus, vigoureux et simplifiés pour décider si un organisme public est tenu de communiquer un document. Sans le pouvoir de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat, le commissaire ne serait pas en mesure de s’acquitter de ce mandat légal. Fait important, ses décisions sont susceptibles de contrôle judiciaire.

[96] La FOIPP a pour objet l’octroi d’un droit général d’accès à l’information et elle fait du commissaire, sous réserve du contrôle judiciaire, l’autorité qui décide si l’accès est accordé ou non.

[97] Ce droit général d’accès à l’information comporte certaines exceptions précises. Par exemple, l’al. 27(1)(a), invoqué en l’espèce, prévoit que le responsable d’un organisme public peut refuser de communiquer à l’auteur d’une demande [traduction] « les renseignements qui sont protégés par tout type de privilège légal, notamment le secret professionnel de l’avocat et le privilège parlementaire ».

[98] La FOIPP délimite également les pouvoirs du commissaire en matière d’enquête. Le paragraphe 56(1) l’investit [traduction] « des mêmes pouvoirs, privilèges et immunités qu’un commissaire nommé en vertu de la Public Inquiries Act », R.S.A. 2000, c. P‑39, ainsi que des pouvoirs énoncés au par. 56(2). Suivant celui‑ci, le commissaire peut « exiger la production de tout document [. . .] que le document soit visé ou non par les dispositions de la présente loi ». Rappelons que le par. 56(3) prévoit en outre que l’organisme public « produit [. . .] les documents exigés par le commissaire » en vertu des par. 56(1) ou (2) « [m]algré toute autre loi ou tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ».

[99] La FOIPP protège les renseignements qui font l’objet d’un privilège. Suivant l’art. 58, [traduction] « [l]es paroles que prononce une personne, les renseignements qu’elle fournit et les documents qu’elle produit dans le cadre d’une enquête menée par [le commissaire] bénéficient du privilège que confère une instance judiciaire ». De plus, le par. 59(1) prévoit que le commissaire et ses délégués « s’abstiennent de communiquer les renseignements obtenus dans l’exercice des attributions que leur confère la présente loi », sauf certains cas précis.

[100] La FOIPP fait également état de la procédure applicable en matière de révision et de plaintes. Le paragraphe 65(1) prévoit que la personne qui présente une demande de communication à un organisme public peut demander au commissaire de réviser [traduction] « toute décision, action ou omission du responsable liée à la demande ». Suivant le par. 69(1), sauf refus de sa part fondé sur l’art. 70, « le commissaire doit mener une enquête et peut trancher toute question de fait ou de droit alors soulevée ». Aux termes du par. 72(1), au moment de conclure son enquête, le commissaire « statue sur les questions soulevées au moyen d’une ordonnance rendue en application du présent article ». L’alinéa 72(2)(a) dispose qu’il peut « obliger le responsable à communiquer tout ou partie du document à l’auteur de la demande [s’il] estime que le responsable n’est ni autorisé à refuser la communication, ni tenu de la refuser ». Enfin, l’art. 73 rend la décision du commissaire définitive, bien qu’elle demeure susceptible de contrôle judiciaire.

[101] L’intimé fait valoir un argument d’ordre contextuel fondé sur le par. 59(4) de la FOIPP, dont le libellé était le suivant au moment considéré :

[traduction] (4) Le commissaire peut communiquer au ministre de la Justice et au procureur général des renseignements relatifs à une infraction à une loi de l’Alberta ou du Canada s’il estime qu’il existe une preuve de sa perpétration.

[102] Il soutient que si le par. 56(3) habilite le commissaire à ordonner la production de documents à l’égard desquels le secret professionnel de l’avocat est invoqué, le par. 59(4) lui permet dès lors de communiquer de tels renseignements protégés au ministre de la Justice et au procureur général lorsqu’il estime qu’ils renferment des éléments qui établissent la perpétration d’une infraction.

[103] Cet argument doit être rejeté, car il contredit, au lieu de l’étayer, la thèse de l’intimé concernant l’interprétation du par. 56(3). L’intimé prétend en effet que le libellé du par. 56(3) n’est pas suffisamment clair pour supprimer le privilège, car il ne renvoie qu’à ceux que reconnaît le droit de la preuve. Il ajoute par contre que le par. 59(4), qui ne fait mention d’aucun privilège, permet au commissaire de communiquer des renseignements protégés qui établissent la perpétration d’une infraction. Son interprétation va à l’encontre du principe fondamental et incontesté voulant qu’un libellé clair soit nécessaire pour supprimer le privilège. Nul élément du libellé général du par. 59(4) ou du contexte législatif dans lequel il s’inscrit n’étaye une interprétation permettant la suppression du secret professionnel de l’avocat par la communication de renseignements au ministre de la Justice ou au procureur général. Le paragraphe 59(4) ne contribue en rien à la détermination de la portée du par. 56(3).

[104] Le régime législatif appuie donc sans équivoque la thèse selon laquelle le législateur a voulu conférer au commissaire les pouvoirs nécessaires pour décider si des documents doivent ou non être produits par un organisme public, notamment celui de statuer sur l’existence d’un privilège, sous réserve du contrôle judiciaire de l’exercice de ces pouvoirs.

b) Le régime législatif en cause dans l’arrêt Blood Tribe

[105] J’ai déjà mentionné brièvement en quoi, lorsqu’il s’agit de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat, la FOIPP diffère sensiblement de la loi considérée dans l’arrêt Blood Tribe. Il me paraît utile d’y revenir plus en détail.

[106] Dans cet arrêt, la Cour relève un certain nombre de difficultés propres au régime législatif établi par la LPRPDE pour conclure que celle‑ci ne supprime pas le secret professionnel de l’avocat, à savoir :

• Le pouvoir d’une cour de justice de statuer sur le privilège allégué mais contesté découle de son pouvoir « de statuer sur des demandes portant sur des droits », un pouvoir que ne possède pas la Commissaire à la protection de la vie privée (par. 22).

• Contrairement à une cour de justice, la Commissaire à la protection de la vie privée peut « avoir des intérêts opposés à ceux de l’organisation qui possède les documents auxquels [elle] veut obtenir l’accès ». La Commissaire à la protection de la vie privée peut traduire en justice l’organisation récalcitrante et, également, décider de communiquer les renseignements obtenus sous la contrainte aux autorités chargées des poursuites (par. 23).

• Le libellé conférant le pouvoir est général et c’est « le caractère général du texte [. . .], où il n’est fait aucune mention des questions que soulève le [. . .] secret professionnel de l’avocat », qui montre l’importance du principe selon lequel celui‑ci ne saurait être supprimé par inférence (par. 26 (italiques omis)).

[107] Ces difficultés ne sont pas en cause dans le cas du régime législatif considéré en l’espèce.

[108] Premièrement, la FOIPP confère un pouvoir juridictionnel au commissaire. Le paragraphe 69(1) prévoit que le commissaire [traduction] « doit mener une enquête et peut trancher toute question de fait ou de droit alors soulevée ». Si on le dépouille du pouvoir d’ordonner la production de documents afin qu’il puisse se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard, le commissaire ne peut manifestement pas « trancher toute question de fait ou de droit ». L’historique de la loi, analysé ci‑après, étaye également la conclusion voulant que le législateur ait investi le commissaire d’un pouvoir juridictionnel

[109] Comme le fait observer le professeur Dodek, au vu de l’arrêt Blood Tribe, l’attribution d’un pouvoir juridictionnel se révèle décisive pour conclure qu’une loi permet la suppression du secret professionnel de l’avocat (p. 368). À son avis, [traduction] « l’arrêt Blood Tribe laisse lui‑même entendre qu’un commissaire à la protection de la vie privée ou à l’information qui exerce une fonction juridictionnelle peut obtenir l’accès à un document pour se prononcer sur l’application du privilège invoqué à son égard » (p. 377). Il ajoute qu’il « faut considérer que l’organisme juridictionnel peut, dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, se prononcer sur l’existence d’un privilège » (p. 369). Il donne l’exemple de la Cour fédérale, un tribunal d’origine législative, qui n’est pourtant pas investie du pouvoir exprès de statuer sur l’application du secret professionnel de l’avocat. Selon lui, ce pouvoir « est inhérent au pouvoir juridictionnel » (p. 369).

[110] Deuxièmement, la Commissaire ne peut avoir d’intérêts opposés à ceux d’une organisation au sens où la Cour l’entend dans l’arrêt Blood Tribe. L’article 15 de la LPRPDE disposait que la Commissaire à la protection de la vie privée pouvait se présenter en Cour fédérale au nom d’un plaignant. La loi visée en l’espèce ne renferme aucune disposition équivalente. La Commissaire peut certes être constituée partie au contrôle judiciaire, mais elle ne comparaît pas alors au nom du plaignant.

[111] Troisièmement, le texte du par. 56(3) ne saurait constituer une « disposition d’acception large régissant la production de documents » comme celui de la disposition en cause dans Blood Tribe (par. 11). Au contraire, le par. 56(3) prévoit expressément que le pouvoir d’ordonner la production s’applique malgré tout privilège que reconnaît le droit de la preuve. De plus, dans la mesure où le secret professionnel de l’avocat constitue à la fois un privilège légal et un principe de fond, le libellé [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » englobe le secret professionnel de l’avocat malgré l’emploi des mots « secret professionnel de l’avocat » au par. 27(1). Le texte de la disposition indique plutôt que l’expression générale « tout type de privilège légal » englobe le secret professionnel de l’avocat.

[112] En conclusion, il appert du contexte législatif que le législateur a voulu supprimer le secret professionnel de l’avocat. Aucun des éléments qui, suivant l’arrêt Blood Tribe, militent contre la suppression législative du secret professionnel de l’avocat n’est présent en l’espèce.

c) L’historique législatif de la FOIPP

[113] Même si l’historique législatif en dit peu sur l’intention précise du législateur quant à savoir si le commissaire peut, en vertu du par. 56(3), ordonner la production de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, les débats qui ont précédé l’adoption de la première ébauche de la loi montrent que le législateur a voulu doter le commissaire de vigoureux pouvoirs juridictionnels[1] et simplifier le processus juridictionnel de manière à assurer l’accessibilité et à réduire les délais[2], ce qui étaye plus avant l’interprétation voulant que le par. 56(3) supprime le secret professionnel de l’avocat.

d) Dispositions apparentées

[114] Les dispositions apparentées d’autres ressorts, que l’on qualifie parfois de « parallèles », peuvent utilement être intégrées au contexte législatif (voir p. ex. R. Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes (6e éd. 2014), §13.41 à 13.51; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, [2011] 3 R.C.S. 471, par. 57‑60). Par exemple, il est généralement souhaitable d’interpréter uniformément le libellé semblable des dispositions législatives adoptées sur un même sujet dans les différents ressorts canadiens (voir p. ex. Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, par. 195). Dans la présente affaire, les dispositions apparentées de la Colombie‑Britannique apportent un certain éclairage sur le plan de l’interprétation.

[115] En effet, elles disposent au moyen d’un libellé quasi identique à celui du par. 56(3) de la loi albertaine que [traduction] « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve, l’organisme public produit dans les dix jours l’original ou une copie des documents exigés [. . .] en vertu du paragraphe (1) » (Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.B.C. 1996, c. 165, par. 44(3)). L’alinéa 44(1)(b) autorise le commissaire à « rendre une ordonnance enjoignant à une personne de [. . .] produire à son intention un document qu’elle a en sa possession ». L’alinéa 44(2)(a) dispose qu’il peut s’adresser à la cour suprême de la Colombie-Britannique afin d’obtenir une ordonnance « enjoignant à une personne de se conformer à une ordonnance rendue sur le fondement du paragraphe (1) ». Je signale que le pouvoir conféré à la cour par l’al. 44(2)(a) se limite à « enjoin[dre] à une personne de se conformer à une ordonnance rendue sur le fondement du paragraphe (1) [c.‑à‑d. une ordonnance du commissaire] ». C’est donc l’ordonnance du commissaire que la cour est autorisée à faire respecter au par. 44(2).

[116] La loi a été modifiée en 2003 de manière à prévoir (au par. 44(2.1)) que lorsqu’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat est produit à l’intention du commissaire, à sa demande ou « en application du paragraphe (1) », le secret professionnel de l’avocat continue de protéger le document malgré la communication (Freedom of Information and Protection of Privacy Amendment Act, 2003, S.B.C. 2003, c. 5, art. 15; voir aussi la Public Inquiry Act, S.B.C. 2007, c. 9, art. 76, qui modifie l’art. 44 de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, mais pas de manière pertinente en ce qui nous concerne). Rappelons que l’ordonnance rendue sur le fondement du par. 44(1) est celle du commissaire qui enjoint à une personne de produire un document. Autrement dit, la modification fait en sorte que la production d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat conformément à une ordonnance du commissaire n’emporte pas renonciation au privilège.

[117] La modification a pour postulat — et c’est là le point important — que le document protégé par le secret professionnel de l’avocat fait partie de ceux dont le commissaire peut, en vertu des par. 44(1) et (3), ordonner la production malgré [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ». S’il en allait autrement, la modification relative à la renonciation au secret professionnel de l’avocat n’aurait aucun sens dans le cas des documents dont la production est ordonnée par le commissaire en vertu du par. 44(1). La disposition issue de la modification (le par. 44(2.1)) renvoie expressément au document protégé par le secret professionnel de l’avocat qu’une personne « communique [. . .] à la demande [du commissaire] ou en application du paragraphe (1) ». Le législateur doit avoir tenu pour acquis que le par. 44(1) autorisait le commissaire à exiger la production d’un document protégé par le secret professionnel de l’avocat. Sinon, il ne pourrait y avoir de document protégé par le secret professionnel de l’avocat communiqué au commissaire par application du par. 44(1) auquel pourrait renvoyer la nouvelle disposition.

[118] Il est donc clair, au vu de cette modification, que lorsque le législateur de la Colombie‑Britannique prévoit au par. 44(3) l’obligation de produire un document à l’intention du commissaire malgré [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve », il tient pour acquis que ce dernier énoncé vise le secret professionnel de l’avocat. Cela me paraît répondre à la prétention de la juge Côté selon laquelle l’expression « privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’est pas suffisamment « claire, explicite et non équivoque » pour viser le secret professionnel de l’avocat (par. 44).

[119] L’appelante fait valoir que, dans la FOIPP, l’énoncé [traduction] « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » n’englobe pas le secret professionnel de l’avocat. Or, le fait que la même expression employée dans une disposition apparentée de la Colombie‑Britannique vise clairement le secret professionnel de l’avocat vient appuyer la prétention selon laquelle, dans les deux lois, l’énoncé renvoie notamment au secret professionnel de l’avocat. Et il nous faut y réfléchir à deux fois avant de décider, comme le ferait la juge Côté, que le libellé identique de deux textes de loi portant sur le même sujet renvoie ou non au secret professionnel de l’avocat en fonction de nuances rédactionnelles qui ne traduisent aucune différence de fond.

(4) Conclusion

[120] Le sens ordinaire et grammatical des termes employés au par. 56(3) de la loi, le contexte législatif et l’historique législatif étayent tous la conclusion selon laquelle le législateur a exprimé l’intention claire de permettre au commissaire et à ses délégués d’ordonner la production de documents dans le cadre d’une enquête afin de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard.

C. Le délégué de la Commissaire a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production?

[121] Après avoir conclu que le par. 56(3) de la FOIPP permet à la Commissaire de lever le secret professionnel de l’avocat, nous devons décider si le délégué de la Commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production de documents dont on alléguait qu’ils étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat. La jurisprudence de notre Cour commande que l’on ne puisse lever le secret professionnel de l’avocat que lorsque cela est absolument nécessaire à la réalisation des objectifs de la loi habilitante. Comme le signale le juge Binnie dans l’arrêt Blood Tribe, « [m]ême les tribunaux refusent d’examiner des documents protégés par le secret professionnel de l’avocat pour statuer sur l’existence du privilège, à moins que des éléments de preuve ou des arguments démontrent la nécessité de le faire pour trancher la question en toute justice » (par. 17).

[122] En août 2010, l’Université a déposé un affidavit dans lequel la Commissaire déclarait sous serment que les services juridiques de l’Université et un avocat externe avaient conseillé divers représentants de l’Université sur les états de service de l’auteure de la demande au sein de l’Université. Elle déclarait que l’avocat général de l’Université l’avait informée — et qu’elle croyait — que le secret professionnel de l’avocat avait été invoqué à l’égard des échanges avec les avocats de l’Université dans ce dossier. Une pièce était jointe à la déclaration sous serment, à savoir un tableau indiquant le numéro des pages pour lesquelles le secret professionnel de l’avocat était invoqué. Seuls les numéros de page des documents en cause étaient indiqués.

[123] Le lendemain, l’intimé a déposé des observations écrites auprès de la Commissaire. L’Université invoquait le secret professionnel de l’avocat à l’égard des documents qui concernaient l’avocat général de l’Université et l’avocat externe de celle‑ci. Elle reproduisait le tableau indiquant le numéro des pages protégées par le secret professionnel de l’avocat pour faire valoir qu’il s’agissait de communications avec un avocat dont la production était refusée en raison du secret professionnel de l’avocat.

[124] En septembre 2010, le délégué de la Commissaire a transmis à l’intimé une lettre lui demandant un complément d’information sur le privilège invoqué et quelque élément établissant l’existence de celui‑ci. Il l’a invité à remplir le formulaire requis pour chacun des documents ou à fournir les renseignements demandés dans le formulaire par quelque autre moyen. En réponse à la demande, le vice‑recteur à l’enseignement et à la recherche de l’Université a transmis à la Commissaire une lettre dans laquelle il expliquait que l’auteure de la demande avait intenté contre l’Université une poursuite de plusieurs millions de dollars qui était vigoureusement contestée. Il indiquait que [traduction] « les communications entre l’Université de Calgary et ses avocats » étaient « protégées par le secret professionnel de l’avocat que reconnaît la common law depuis des siècles, la Cour suprême du Canada depuis l’arrêt Blood Indian Tribe [. . .] de même que l’art. 27 de la [FOIPP] ». Il affirmait également que l’Université n’entendait pas renoncer au secret des documents auxquels la Commissaire renvoyait dans son affidavit.

[125] L’avocat externe de l’Université a également transmis à la Commissaire une lettre dans laquelle il indiquait que [traduction] « l’Université doit se défendre contre les multiples instances judiciaires engagées par [l’auteure de la demande] et, ce faisant, elle doit invoquer le secret professionnel de l’avocat afin que les communications intervenues avec son avocat général et son avocat externe, aux fins de la conseiller et de lui expliquer les enjeux juridiques, demeurent confidentielles ».

[126] Le délégué de la Commissaire a ordonné à l’Université de produire les documents à l’égard desquels était invoqué le secret professionnel de l’avocat. Il a dit exiger leur production parce que l’Université n’avait pas dûment établi l’application du secret professionnel de l’avocat.

[127] À l’audience devant notre Cour, l’appelante a reconnu que l’allégation du privilège par l’Université respectait les règles de pratique qui valaient alors en matière civile en Alberta, lesquelles obéissaient à l’arrêt Dorchak c. Krupka, 1997 ABCA 89, 196 A.R. 81. Ces règles ont certes évolué à la lumière de l’arrêt subséquent Canadian Natural Resources Ltd. c. ShawCor Ltd., 2014 ABCA 289, 580 A.R. 265, de la Cour d’appel de l’Alberta. J’estime cependant que le délégué de la Commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en soumettant l’Université à une norme plus stricte que celle applicable dans un litige civil devant une cour de justice pour établir l’existence du privilège invoqué. Cette conclusion est étayée par le fait que la preuve présentée à la Commissaire répondait au critère à trois volets énoncé dans l’arrêt Solosky c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 821. La preuve — plus particulièrement la lettre de l’avocat externe de l’Université — indique clairement que les documents constituent des communications entre un avocat (l’avocat externe de l’Université) et son client (l’avocat général de l’Université, au nom de l’Université), qu’elles visent à obtenir un avis juridique ou à en donner un et que les parties ont voulu qu’elles demeurent confidentielles.

IV. Dispositif

[128] Il appert du libellé exprès du par. 56(3) de la FOIPP et de la totalité du contexte dans lequel il s’inscrit que le législateur a voulu supprimer le secret professionnel de l’avocat pour permettre à la Commissaire d’ordonner la production de documents lorsque cette mesure est nécessaire pour se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat invoqué à leur égard. Toutefois, la Commissaire a commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production des documents malgré la preuve offerte à l’appui de l’existence du privilège.

[129] Je suis d’avis de rejeter le pourvoi, avec dépens en faveur de l’Université devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

[130] La juge Abella — La plupart des décisions d’ordre juridique que rendent les tribunaux administratifs touchent d’importantes questions de droit, telles que le délai de prescription (McLean c. Colombie‑Britannique (Securities Commission), [2013] 3 R.C.S. 895) ou la préclusion (Nor‑Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, [2011] 3 R.C.S. 616). On estime néanmoins que, suivant l’arrêt Dunsmuir, elles commandent l’application de la norme de la décision raisonnable lorsque le décideur met son expertise à contribution pour interpréter son propre mandat spécialisé. Or, avant d’être saisis de la présente affaire, nous n’avons pas extirpé la notion de droit de son contexte législatif de manière à lui attribuer l’envergure particulière qui, selon Dunsmuir, appelle la norme de la décision correcte.

[131] Dans six pourvois récents, la Cour statue sur la décision d’un commissaire à l’information et à la protection de la vie privée d’ordonner ou non une communication. Dans deux d’entre eux — Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 401, [2013] 3 R.C.S. 733, et Canada (Commissaire à la protection de la vie privée) c. Blood Tribe Department of Health, [2008] 2 R.C.S. 574 — elle ne fait pas mention de la norme de contrôle applicable. Dans les quatre autres — Ontario (Sécurité communautaire et Services correctionnels) c. Ontario (Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée), [2014] 1 R.C.S. 674; Untel c. Ontario (Finances), [2014] 2 R.C.S. 3; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654, et Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association, [2010] 1 R.C.S. 815 — elle applique la norme de la décision raisonnable. Dans l’arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers’ Association rendu en 2010, la décision d’un commissaire est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable même si le litige porte sur la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat.

[132] Dans chacune de ces affaires, un commissaire interprétait sa loi habilitante. L’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, et ceux rendus dans sa foulée veulent qu’en pareil cas la norme de la décision raisonnable s’applique, sauf lorsque la question soulevée appartient à l’une ou l’autre des catégories qui commandent l’application de la norme de la décision correcte, telles les questions d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble qui sont étrangères au domaine d’expertise du tribunal.

[133] Malgré ce cheminement clair, on nous demande aujourd’hui de rompre avec la démarche établie lorsqu’un commissaire à l’information et à la protection de la vie privée met à contribution ses connaissances spécialisées pour interpréter sa loi habilitante, y compris dans un dossier où le secret professionnel de l’avocat est en cause, et de nous engager dans une voie nouvelle sans motif discernable.

[134] Le secret professionnel de l’avocat n’est ni plus ni moins important aujourd’hui qu’il ne l’était lorsque nous avons statué dans chacun des pourvois antérieurs au regard de la norme de la décision raisonnable. C’était la bonne norme car, comme en l’espèce, la question, même si elle était importante, relevait bel et bien du mandat légal dans le cadre duquel le commissaire exerçait ses fonctions au quotidien. En d’autres mots, elle relevait de son domaine d’expertise.

[135] La Commissaire a pour mandat de surveiller l’application de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act, R.S.A. 2000, c. F‑25, et de veiller à la réalisation de ses objectifs. La Loi confère aux citoyens un droit d’accès à certains types de renseignements que détiennent les organismes publics, sous réserve d’exceptions précises. L’une de ces exceptions correspond au secret professionnel de l’avocat et elle est prévue à l’al. 27(1)(a), dont voici le libellé :

[traduction] 27(1) Le responsable de l’organisme public peut refuser de communiquer à l’auteur d’une demande :

(a) les renseignements qui sont protégés par tout type de privilège légal, notamment le secret professionnel de l’avocat et le privilège parlementaire,

Il me paraît logiquement discutable de conclure que même si le législateur confie à la Commissaire le mandat exprès de se prononcer sur l’application du secret professionnel de l’avocat, cette fonction est néanmoins réputée échapper à son domaine d’expertise. Pareille approche supprime de manière inexplicable la conjonction « et » dans la formulation du critère de l’arrêt Dunsmuir, à savoir que la question doit à la fois revêtir une importance capitale pour le système juridique et être étrangère au domaine d’expertise du tribunal. Elle risque aussi de se révéler problématique en privant de sens la présomption selon laquelle la déférence s’impose à l’endroit du décideur qui interprète ou qui applique sa loi habilitante.

[136] Qui plus est, dans la présente affaire, on ne demande pas à la Commissaire de se prononcer sur la teneur du secret professionnel de l’avocat pour ce qui concerne le système juridique dans son ensemble, mais bien de l’appliquer pour les besoins d’une disposition de sa loi habilitante, le par. 56(3) de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act. Il s’agit du territoire classique de la « raisonnabilité ».

[137] À mon sens, la décision d’ordonner la communication est cependant déraisonnable en ce que la Commissaire ne tient pas suffisamment compte de la manière dont s’applique le secret professionnel de l’avocat ou des raisons pour lesquelles il s’applique (voir Pritchard c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2004] 1 R.C.S. 809; Canada (Revenu national) c. Thompson, [2016] 1 R.C.S. 381, et Blood Tribe). Comme le signalent les juges Côté et Cromwell, à supposer même que le par. 56(3) autorise la Commissaire à ordonner la communication de documents protégés par le secret professionnel de l’avocat, l’Université de Calgary a suffisamment justifié le respect de ce privilège au vu, tout particulièrement, des règles de droit et de pratique qui avaient cours en matière civile en Alberta. La Commissaire n’aurait dû exercer son pouvoir discrétionnaire de manière attentatoire au secret professionnel de l’avocat que si cela était absolument nécessaire à la réalisation des objectifs de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act.

[138] L’importance et la portée du privilège auraient dû orienter l’interprétation du par. 56(3) par la Commissaire de sorte qu’il n’y ait pas communication. Puisque tel n’a pas été le cas, je conviens qu’il y a lieu d’annuler la décision.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l’appelante : Jensen Shawa Solomon Duguid Hawkes, Calgary.

Procureurs de l’intimé : DLA Piper (Canada), Calgary.

Procureurs de l’intervenante Law Society of Alberta : de Villars Jones, Edmonton.

Procureurs de l’intervenante British Columbia Freedom of Information and Privacy Association : McCarthy Tétrault, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario : Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, Toronto.

Procureurs de l’intervenant Information and Privacy Commissioner for British Columbia : Miller Thomson, Calgary.

Procureurs de l’intervenant Information and Privacy Commissioner for the Province of Newfoundland and Labrador : Lewis, Sinnott, Shortall, St. John’s.

Procureurs de l’intervenante Advocates’ Society : Peacock Linder Halt & Mack, Calgary.

Procureurs de l’intervenante la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada : Osler, Hoskin & Harcourt, Toronto.

Procureurs de l’intervenante l’Association du Barreau canadien : Dunphy Best Blocksom, Calgary; McLennan Ross, Calgary.

Procureurs des intervenants le commissaire à l’information du Canada, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, l’Ombudsman du Manitoba, le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée des Territoires du Nord‑Ouest, Nova Scotia Information and Privacy Commissioner [Review Officer], le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée du Nunavut, Saskatchewan Information and Privacy Commissioner et le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée et ombudsman du Yukon : Goldblatt Partners, Toronto; Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Gatineau; Commissariat à l’information du Canada, Gatineau.

Procureurs de l’intervenante Criminal Lawyers’ Association : Stockwoods, Toronto.

[1] Le 11 avril 1994, le premier ministre de l’Alberta d’alors, M. Klein, faisait observer que [traduction] « le commissaire aura une autorité absolue. Si un député ou le responsable d’un ministère ou un fonctionnaire refuse de communiquer des renseignements et qu’un appel est ensuite interjeté auprès du commissaire et que ce dernier dit “Vous devez les communiquer”, alors il faut obtempérer » (Alberta Hansard, 2e sess., 23e lég., p. 1052). M. Rostad en a convenu et a ajouté : « Le premier ministre a tout à fait raison de dire que le commissaire est investi de pouvoirs juridictionnels, qu’il peut imposer une décision et qu’il y a appel devant la Cour d’appel ou la Cour du Banc de la Reine seulement lorsqu’il se trouve que le commissaire est le responsable du ministère ou de la division de l’information et de la protection de la vie privée » (p. 1052 (je souligne)).

[2] Le 18 avril 1994, le Dr Massey indiquait que selon le comité composé de représentants de tous les partis qui avait présenté des recommandations à l’assemblée législative, [traduction] « il ne devrait pas y avoir de droit général d’en appeler d’une décision du commissaire, mais seulement le droit de solliciter un contrôle judiciaire s’il était allégué que le commissaire avait outrepassé sa compétence » (Alberta Hansard, 2e sess., 23e lég., p. 1239). Le Dr Massey se disait inquiet de ce qu’une disposition du projet de loi créait un droit d’appel devant un juge de la Cour du Banc de la Reine. Il y voyait un problème parce que « le gouvernement pouvait ainsi différer le moment de se conformer à une ordonnance de communication, comme cela avait été le cas du commissaire à l’information fédéral » (p. 1239). Dans le même ordre d’idée, M. Kirkland faisait valoir le même jour qu’un droit d’appel devant la Cour du Banc de la Reine posait deux problèmes : « Il permet de retarder la communication des renseignements, ce qui est inacceptable, car leur communication en temps opportun est très importante, et les mesures dilatoires ne devaient pas être permises. En deuxième lieu, l’existence d’un droit d’appel fait généralement grimper le coût d’obtention des renseignements. Le citoyen qui doit contester à ses frais l’appel interjeté par le gouvernement qui refuse de communiquer des renseignements doit dès lors engager des dépenses considérables, ce qui est de nature à le dissuader de contester l’appel » (p. 1240). Le 5 mai 1994, M. Dickson a analysé les modifications proposées à l’égard du projet de loi. Il a relevé que le comité composé de représentants de tous les partis avait clairement recommandé au gouvernement « qu’il n’y ait pas de droit d’en appeler de la décision de la commission parce que, là où un tel droit d’appel existe, il y a eu abus et retards, et les coûts sont devenus un obstacle important à l’accessibilité des renseignements pour les Albertains » (p. 1752). En réponse à la proposition de modification qui, selon lui, règle la question du droit d’appel, il ajoute : « Si jamais on doit revenir sur ce point et que quelqu’un consulte le Hansard, on verra que l’intention était clairement la suivante : qu’il n’y ait un droit de révision que lorsque la plainte ou la préoccupation se rapporte à quelque chose que le commissaire fait dans son propre petit bureau ou ministère. C’est le seul contexte dans lequel un tel droit existera » (p. 1752).


Synthèse
Référence neutre : 2016CSC53 ?
Date de la décision : 25/11/2016
Type d'affaire : Arrêt

Analyses

Protection des renseignements personnels — Examen des plaintes — Pouvoirs du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée — Production de documents — Secret professionnel de l’avocat — Commissaire saisie de la plainte d’une employée congédiée et de sa demande d’accès à ses données personnelles d’emploi — Secret professionnel de l’avocat invoqué par l’employeur à l’égard de certains documents — La disposition législative qui oblige un organisme public à produire des documents à l’intention du commissaire « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » permet‑elle à ce dernier d’examiner les documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat? — Dans l’affirmative, la Commissaire a‑t‑elle commis une erreur susceptible de contrôle en ordonnant la production de documents? — Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée — Norme de contrôle applicable à la décision de la Commissaire d’ordonner la production de documents à l’égard desquels est invoqué le secret professionnel de l’avocat

Dans le contexte d’une allégation de congédiement déguisé, un délégué de la Commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Alberta a ordonné la production de documents à l’égard desquels l’Université de Calgary avait invoqué le secret professionnel de l’avocat. Le délégué s’autorisait du « Protocole décisionnel applicable à l’égard du secret professionnel de l’avocat » du Commissariat qui exigeait la remise d’une copie « des documents en cause » ou de deux copies « d’un affidavit ou d’une simple déclaration confirmant que le secret professionnel de l’avocat s’applique aux documents » à l’appui de l’allégation du secret professionnel de l’avocat. Conformément au droit et à la pratique qui avaient alors cours en Alberta pour identifier un document protégé par le secret professionnel de l’avocat dans une instance civile, l’Université a remis une liste de documents identifiés par le numéro des pages en cause, ainsi qu’un affidavit selon lequel le secret professionnel de l’avocat était invoqué relativement à ces documents. Après une nouvelle demande d’étayer l’allégation du privilège, le délégué a donné un avis de production de documents fondé sur le par. 56(3) de la Freedom of Information and Protection of Privacy Act (« FOIPP »). Suivant cette disposition, un organisme public est tenu de produire les documents exigés par le commissaire « [m]algré [. . .] tout privilège que reconnaît le droit de la preuve ». L’Université a demandé le contrôle judiciaire de la décision du délégué de donner l’avis, mais elle n’a pas eu gain de cause. Toutefois, en appel, il a été décidé que l’expression « tout privilège que reconnaît le droit de la preuve » employée au par. 56(3) n’englobait pas le secret professionnel de l’avocat.


Parties
Demandeurs : Information and Privacy Commissioner of Alberta, Appelante
Défendeurs : Board of Governors of the University of Calgary, Intimé
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 25 novembre 2016, 2016CSC53


Origine de la décision
Date de l'import : 10/12/2018
Fonds documentaire ?: Jugements de la Cour supreme
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2016-11-25;2016csc53 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award