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27/07/2017 | CANADA | N°2017CSC42

Canada | Canada, Cour suprême, 27 juillet 2017, 2017CSC42


Conseil d’arbitrage, Fédération des médecins spécialistes du Québec et Régie de l’assurance maladie du Québec
Intervenants

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Arbitrage — Disposition législative prévoyant qu’un différend qui résulte de l’interprétation et de l’application d’une entente conclue aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie est soumis

à un conseil d’arbitrage — Arbitre rejetant le différend soumis par un médecin spécialiste — Quelle est la norm...

Conseil d’arbitrage, Fédération des médecins spécialistes du Québec et Régie de l’assurance maladie du Québec
Intervenants

Présents : La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Arbitrage — Disposition législative prévoyant qu’un différend qui résulte de l’interprétation et de l’application d’une entente conclue aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie est soumis à un conseil d’arbitrage — Arbitre rejetant le différend soumis par un médecin spécialiste — Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concluant à l’absence de différend arbitrable et d’intérêt pour agir? — Le différend soulève t il une question touchant véritablement à la compétence de l’arbitre? — Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A 29, art. 19, 54.

Droit de la santé — Assurance maladie — Médecins spécialistes — Régime spécialisé de négociation collective — Arbitrage — Nature du différend — Intérêt pour agir — Entente prévoyant la reconnaissance et la désignation des laboratoires d’imagerie médicale admissibles au versement d’un honoraire de numérisation — Médecin spécialiste contestant le refus de déclarer certains laboratoires admissibles au versement de l’honoraire — Le recours formé par le médecin est il un différend arbitrable? — Le médecin a t il l’intérêt requis pour le former? — Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A 29, art. 19, 54.

La Loi sur l’assurance maladie (« Loi ») prévoit que la rémunération et les conditions de travail des professionnels de la santé sont établies par un mécanisme de négociation collective qui a abouti, en l’occurrence, à l’Accord cadre entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie (« Accord cadre »). La Fédération et le Ministère (collectivement, « parties négociantes ») ont créé un honoraire de numérisation afin d’encourager les radiologistes à moderniser leurs équipements. Cet honoraire est réservé aux laboratoires qui sont reconnus et désignés conjointement par les parties négociantes, selon le mécanisme et les critères qu’elles ont prévus dans le Protocole concernant la radiologie diagnostique (« Protocole »), l’une des annexes de l’Accord cadre. L’article 54 de la Loi dispose qu’un « différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application [de l’Accord cadre] est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile ». L’Accord cadre distingue le « différend en contestation d’honoraires », formé par un médecin, du « différend collectif » formé par la Fédération.

G, un radiologiste membre de la Fédération, demande aux parties négociantes de déclarer certaines cliniques admissibles à l’honoraire de numérisation. Sa demande est rejetée. G conteste cette décision en déposant un différend auprès du conseil d’arbitrage. L’arbitre, mandaté pour exercer seul les fonctions du conseil d’arbitrage, estime qu’il n’a pas la compétence requise pour accorder à G la déclaration recherchée et que ce dernier n’a de toute façon pas l’intérêt requis pour soumettre le différend. La juge de première instance accueille la requête en révision judiciaire de G, estimant que la décision de l’arbitre est déraisonnable. La majorité de la Cour d’appel confirme la décision de la juge de première instance.

Arrêt (la juge Côté est dissidente) : Le pourvoi est accueilli et la sentence du conseil d’arbitrage est rétablie.
La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner et Gascon : Les conclusions de l’arbitre étaient raisonnables. La norme de la décision raisonnable s’impose puisque l’arbitre était appelé à interpréter et à appliquer sa loi constitutive, l’Accord cadre et le Protocole, lesquels sont au cœur de son mandat et de son expertise. Les questions en litige ne touchent pas véritablement à la compétence du conseil d’arbitrage. D’une part, il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un arbitre doit déterminer, sur la base de l’interprétation et de l’application de sa loi constitutive et de documents connexes, si un recours peut faire l’objet d’un arbitrage. Appliquer la norme de la décision raisonnable à cette question ne mine ni la primauté du droit ni les autres fondements constitutionnels du contrôle judiciaire. Au contraire, appliquer la norme de la décision correcte saperait la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable reconnue et consacrée par une jurisprudence abondante et constante de la Cour. D’autre part, la question de l’intérêt pour agir de G relève elle aussi de l’interprétation par l’arbitre de sa loi habilitante et de l’Accord cadre et ne remet pas en cause sa faculté de connaître de la question qui lui est soumise. Enfin, la primauté du droit ne requiert pas d’appliquer ici la norme de la décision correcte. Le fait qu’une question puisse donner lieu à des interprétations contradictoires ne permet pas, à lui seul, de conclure à l’application de cette norme.

La décision de l’arbitre suivant laquelle il ne s’agissait pas d’un différend arbitrable est raisonnable. L’analyse du caractère arbitrable du différend ne peut se limiter à l’art. 54 de la Loi et doit tenir compte des termes pertinents du Protocole. Selon l’interprétation du Protocole adoptée par l’arbitre, les parties négociantes se sont réservé la décision de reconnaître ou non un laboratoire et l’ont par le fait même soustraite au processus d’arbitrage. Or, l’objet du recours de G était de déclarer les laboratoires reconnus pour la période visée par la demande, invitant l’arbitre à statuer sur cette question en lieu et place des parties négociantes. Il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que trancher le litige aurait eu pour effet de modifier le contenu négocié du Protocole en privant les parties négociantes de la discrétion que ce dernier leur octroie exclusivement.

Il était également raisonnable pour l’arbitre de conclure que G n’avait pas l’intérêt requis pour agir puisque, en vertu de l’Accord cadre et de la Loi, seule la Fédération peut faire trancher ce type de différend par le conseil d’arbitrage. La Loi confère à la Fédération un monopole de représentation de ses membres tant pour la négociation que pour l’application de l’Accord cadre, sauf s’il s’agit d’un différend en contestation d’honoraires, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’article 54 ne permet pas à G d’avoir recours à l’arbitrage directement. Cet article a pour principal objectif de définir la compétence exclusive du tribunal, et non de délimiter l’intérêt pour agir ou de déterminer l’identité de ceux qui peuvent former un différend. Le contexte global de la Loi confirme aussi cette interprétation. Les dispositions législatives prévoyant les situations spécifiques dans lesquelles un professionnel de la santé peut avoir recours au mécanisme d’arbitrage n’auraient aucun effet utile si l’art. 54 lui permettait de toute façon de soulever tout différend, quel qu’il soit. Une telle interprétation entraînerait également un accroissement intenable du recours à l’arbitrage. Les milliers de médecins spécialistes et autres professionnels de la santé ainsi que des établissements de santé, voire des tiers comme des entrepreneurs ou des patients, pourraient y avoir recours. L’on ne peut concevoir que telle ait été l’intention du législateur quant au but et à la portée de l’art. 54.

Le médecin qui s’estime lésé conserve un recours en droit commun de la responsabilité civile. Si G est en mesure d’établir que la Fédération a fait preuve de mauvaise foi, de discrimination, d’un comportement arbitraire ou de négligence grave, il peut intenter un recours contre elle devant les tribunaux de droit commun et être indemnisé du préjudice ainsi causé.

Les juges Brown et Rowe : La question du pouvoir de l’arbitre d’entendre la contestation de G en est une de compétence, non d’arbitrabilité, et elle emporte l’application de la norme de la décision correcte en cas de contrôle judiciaire. Le seul fait qu’aucune question de compétence n’a été relevée depuis Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, ou que la jurisprudence en la matière est contradictoire, ne signifie pas que ce genre de question a cessé d’exister. Dans la présente affaire, l’arbitre a considéré que son pouvoir de connaître de la contestation de G soulevait une question de compétence, ce dont ont convenu les juridictions inférieures. Une question n’est certes pas arbitrable devant un tribunal administratif dépourvu du pouvoir de statuer sur elle, mais il faut distinguer l’arbitrabilité de la compétence et de l’intérêt pour agir. Tenir à tort une question de compétence pour une question d’arbitrabilité risque de miner la cohérence du cadre analytique propre au droit administratif. L’arbitre a eu tort de conclure qu’il n’avait pas compétence pour entendre l’affaire. L’article 54 de la Loi investit le conseil d’arbitrage du pouvoir exclusif d’entendre tout « différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente ». Un différend sur l’application à l’établissement de G de l’entente liant la Fédération et le Ministre constituait un tel différend.

Même si la décision de l’arbitre sur l’intérêt pour agir de G était susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité et qu’elle était raisonnable, une question d’intérêt pour agir peut constituer une question de compétence. La cour de justice appelée à déterminer la norme de contrôle applicable à la décision d’un tribunal administratif sur l’intérêt pour agir doit examiner le libellé de la disposition habilitante. L’intérêt pour agir peut soulever une question de compétence lorsque le libellé de la disposition qui confère le pouvoir permet seulement au tribunal administratif de se saisir des plaintes d’une catégorie de personnes donnée. En l’espèce, la forme passive employée dans le texte de l’art. 54, la disposition habilitante, indique que le pouvoir d’un conseil d’arbitrage ne se limite pas à entendre les différends soumis par une catégorie de personnes en particulier. Qui plus est, nulle crainte d’un accroissement insoutenable du recours à l’arbitrage ne milite contre la reconnaissance de l’intérêt pour agir. Plus il y a de personnes dans la situation difficile où se trouve G, plus il est impérieux de permettre que les différends de G et de ces personnes soient soumis à un décideur impartial.

La juge Côté (dissidente) : La question de savoir si l’arbitre pouvait entendre l’affaire soulève une question véritable de compétence assujettie à la norme de la décision correcte et l’arbitre a erré en concluant qu’il n’avait pas la compétence requise pour entendre le différend logé par G.

L’arbitre a également erré en concluant que G n’avait pas l’intérêt pour agir. Cette question en est une de compétence puisque l’arbitre ne peut entendre un différend logé par un médecin spécialiste, sauf s’il s’agit d’un différend relatif à une contestation d’honoraires. Même en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, la décision de l’arbitre ne se justifie ni au regard des faits ni au regard du droit. La conclusion de l’arbitre est déraisonnable dans la mesure où elle se fonde sur une caractérisation erronée de la nature du différend et sur une interprétation erronée de l’art. 54 de la Loi.

En l’espèce, l’arbitre a conclu que l’objet du recours de G était de déclarer les laboratoires reconnus pour la période visée par la demande et que ce dernier a demandé que soient modifiées les règles que les parties à l’Accord cadre ont négociées. Or, il s’agit là d’une qualification erronée de la nature du litige qui fait complètement fi de l’avis de différend qui l’instituait. Au contraire, c’est l’interprétation et l’application des conditions de reconnaissance par la Fédération et la Régie de l’assurance maladie du Québec qui étaient contestées par G.

L’article 54 de la Loi est rédigé en des termes larges et clairs. L’arbitre a interprété celui ci restrictivement en se basant sur les termes de l’Accord cadre, ainsi faisant fi du principe fondamental de la hiérarchie des normes selon lequel c’est la portée de l’Accord cadre qui doit dépendre de la Loi et non l’inverse. De plus, le droit prévu à l’art. 54 de la Loi doit recevoir une interprétation large et libérale. Lorsque les parties négociantes déterminent et désignent les laboratoires de radiologie générale aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation, elles interprètent et appliquent l’entente au sens de l’art. 54. Le différend soumis à l’arbitre résulte alors d’une différence d’opinions entre les médecins spécialistes et les parties négociantes. Le monopole représentatif détenu par la Fédération ne s’étend pas jusque là. Les principes du droit du travail québécois, tel que celui du monopole de représentation accordé à un syndicat, ne devraient pas être importés dans le régime de négociation collective prévu par la Loi sans que celui ci ne le spécifie expressément.

Enfin, les tribunaux de droit commun n’auraient pas été un forum approprié pour G puisque ses allégations ne correspondent à aucun des types de conduites qui peuvent servir de fondement au recours contre la Fédération.

Jurisprudence
Citée par les juges Wagner et Gascon

Arrêts examinés : Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309; Pérès c. Québec (Commission de la fonction publique), 2000 CanLII 18759; arrêts mentionnés : Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3; Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] 1 R.C.S. 29; Nor Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616; Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; Société Radio Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 R.C.S. 219; Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678; Canon Canada Inc. c. Sylvestre, 2012 QCCS 1422; Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157; Ontario Refrigeration and Air Conditioning Contractors Assn. c. United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry of the United States and Canada Local 787, 2016 ONCA 460, 131 O.R. (3d) 665, autorisation d’appel refusée, no 37179, 10 mars 2017, [2017] Bull. C.S.C. 431; McLean c. Colombie Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161; Wilson c. Colombie Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300; Canadian Merchant Service Guild c. Teamsters, Local Union 847, 2012 CAF 210, 433 N.R. 200; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160; Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756; Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Syndicat des techniciens et techniciennes du cinéma et vidéo du Québec c. Mancone, [2002] R.J.Q. 2905; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330.

Citée par les juges Brown et Rowe
Arrêt appliqué : Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309; arrêt examiné : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; arrêt mentionné : Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

Citée par la juge Côté (dissidente)
Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309; Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, [2010] 2 R.C.S. 61; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207.

Lois et règlements cités
Accord sur le commerce intérieur, (1995) 129 Gaz. Can. I, 1323.
Code du travail, RLRQ, c. C 27, art. 47.5, 69.
Loi d’interprétation, RLRQ, c. I 16, art. 41.
Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A 29, art. 19, 21, 22.0.1, 22.2, 54, 104.1.
Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F 3.1.1.
Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R 5, art. 2.
Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, c. 47 (4e suppl.), art. 30.11(1).
Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93 602, art. 3(1).
Doctrine et autres documents cités
Brown, Donald J.M., and John M. Evans, with the assistance of David Fairlie. Judicial Review of Administrative Action in Canada, Toronto, Thomson Reuters, 2013 (loose leaf updated April 2017, release 1).
Côté, Pierre André, avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat. Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Thémis, 2009.
Driedger, Elmer A. Construction of Statutes, 2nd ed., Toronto, Butterworths, 1983.
Garant, Patrice, avec la collaboration de Philippe Garant et Jérôme Garant. Droit administratif, 6e éd., Cowansville (Qc), Yvon Blais, 2010.
Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, nouvelle éd., Paris, Le Robert, 2012, « différend ».
Reid, Hubert, avec la collaboration de Simon Reid. Dictionnaire de droit québécois et canadien avec table des abréviations et lexique anglais français, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, « différend ».

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec (la juge en chef Duval Hesler et les juges Savard et Schrager), 2015 QCCA 1726, [2015] AZ 51223767, [2015] J.Q. no 10976 (QL), 2015 CarswellQue 9920 (WL Can.), qui a confirmé une décision de la juge Grenier, 2013 QCCS 6950, [2013] AZ 51046703, [2013] J.Q. no 19116 (QL), 2013 CarswellQue 14437 (WL Can.), accueillant la requête en révision judiciaire d’une décision du conseil d’arbitrage, no 12 DS 499, 29 janvier 2013. Pourvoi accueilli, la juge Côté est dissidente.

Patrice Claude et Isabelle Brunet, pour l’appelante.
René Piotte, Stéphanie Lalande et Pierre Alexandre Boucher, pour l’intimé.
Francis Meloche et Sylvain Bellavance, pour l’intervenante la Fédération des médecins spécialistes du Québec.
Personne n’a comparu pour les intervenants le Conseil d’arbitrage et la Régie de l’assurance maladie du Québec.

Le jugement de la juge en chef McLachlin et des juges Karakatsanis, Wagner et Gascon a été rendu par

LES JUGES WAGNER ET GASCON —

I. Aperçu

[1] Ce pourvoi traite du caractère raisonnable d’une sentence arbitrale rendue dans le cadre d’un régime spécialisé de négociation collective, en l’occurrence le régime instauré par la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29 (« Loi »), entre les médecins spécialistes et le gouvernement du Québec. Plus particulièrement, la sentence porte sur la notion même de différend et sur l’intérêt requis pour soumettre un tel différend à un conseil d’arbitrage en vertu de la Loi et de l’Accord-cadre entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie (« Accord-cadre »).

[2] Le Protocole concernant la radiologie diagnostique (« Protocole ») est l’une des nombreuses annexes négociées aux termes de l’Accord-cadre. Il prévoit les modalités de paiement d’un honoraire de numérisation, ainsi que le mécanisme et les critères permettant à un laboratoire d’imagerie médicale de devenir admissible à cet honoraire. L’intimé, le Dr Ronald Guérin, est médecin radiologiste. Il veut contester en arbitrage la décision conjointe du Ministère de la Santé et des Services sociaux (« Ministère ») et de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (« Fédération ») (collectivement, « parties négociantes ») de refuser de déclarer les laboratoires qu’il représente admissibles au versement de cet honoraire de 2009 à 2011.

[3] Le conseil d’arbitrage a jugé que la contestation du Dr Guérin ne pouvait donner lieu à un différend arbitrable au sens de la Loi et de l’Accord-cadre et que, de toute façon, seule la Fédération aurait eu l’intérêt requis pour le former. En révision judiciaire, la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel ont jugé cette décision déraisonnable et ont conclu que la Loi permettait au Dr Guérin de soumettre son différend au conseil d’arbitrage. La juge dissidente aurait pour sa part confirmé la décision du conseil, estimant que son analyse se justifiait eu égard aux dispositions de la Loi et de l’Accord-cadre.

[4] Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi et de rétablir la sentence du conseil d’arbitrage. Il était raisonnable pour celui-ci de conclure qu’aux termes de l’Accord-cadre, du Protocole et de la Loi, le recours du Dr Guérin ne soulevait pas de différend arbitrable, car la Fédération et le Ministère se sont réservé l’entière discrétion de désigner les laboratoires d’imagerie médicale admissibles au versement de l’honoraire de numérisation. Il lui était également raisonnable de conclure que, de toute façon, le Dr Guérin n’avait pas l’intérêt requis pour porter un tel différend en arbitrage puisqu’il s’agit d’un différend collectif que l’Accord-cadre réserve en toute légalité à la Fédération. Cela dit, contrairement à ce qu’a affirmé la majorité de la Cour d’appel, le médecin qui s’estime lésé n’est pas dépourvu de tout recours; le droit commun lui permet de poursuivre son organisme représentatif, si celui-ci a manqué à son devoir de juste représentation.

II. Contexte
A. Cadre législatif
[5] La Loi crée un régime universel de soins de santé dont l’État assume le coût. Elle prévoit que la rémunération et les conditions de travail des professionnels de la santé sont établies par un mécanisme de négociation collective. À cette fin, le Ministère peut « conclure avec les organismes représentatifs de toute catégorie de professionnels de la santé, toute entente pour l’application de la présente loi » (art. 19 de la Loi). Cette entente « oblige tous les professionnels de la santé qui sont membres de l’organisme qui l’a conclue » (art. 21). Dans le cas qui nous occupe, l’entente en cause correspond à l’Accord-cadre, un document fort complexe qui contient près de 45 annexes et qui a été modifié à plus de 50 reprises depuis sa conclusion. Sa négociation et son application se font par l’entremise de la Fédération, que le Ministère reconnaît depuis 1970 comme l’unique organisme représentant les médecins spécialistes du Québec (Accord-cadre, annexe 1, art. 3.1).
[6] La Loi dispose qu’« [u]n différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente [comme l’Accord-cadre] est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile » (art. 54). À cet égard, l’Accord-cadre contient une procédure d’arbitrage selon laquelle « [u]n différend est logé par un médecin spécialiste ou la Fédération, conformément [à celle-ci] » (Accord-cadre, annexe 1, art. 20.1). Cette procédure distingue le « différend en contestation d’honoraires », formé par un médecin relativement à une demande d’honoraires ou à son contrat de services avec un établissement de santé, du « différend collectif » formé par la Fédération pour régler tout autre désaccord au sujet de l’application de l’Accord-cadre (Accord-cadre, annexe 1, art. 20.2 et 20.5).
[7] Le 1er juin 2009, la Fédération et le Ministère ont créé un honoraire de numérisation afin d’encourager les radiologistes à moderniser leurs équipements. Cet honoraire est réservé aux laboratoires qui sont reconnus et désignés conjointement par les parties négociantes, selon le mécanisme et les critères qu’elles ont elles-mêmes prévus dans le Protocole (art. 4.1). En effet, au lieu d’établir d’entrée de jeu la liste des laboratoires admissibles et de l’intégrer au Protocole, les parties ont plutôt choisi de se doter d’un mécanisme de reconnaissance flexible qui leur permet de s’adapter au développement progressif des laboratoires d’imagerie médicale du Québec.
[8] Pour obtenir cette reconnaissance, un laboratoire doit satisfaire aux conditions énumérées dans le Protocole et un médecin doit présenter une demande aux parties négociantes (art. 4.2 et 4.3 du Protocole). Il faut entre autres que les équipements modernisés soient et demeurent la propriété de radiologistes (par. 4.2(iv) du Protocole). Cette demande est d’abord étudiée par un comité conjoint formé de représentants des parties négociantes, lequel recommande ou non la reconnaissance du laboratoire (art. 4.4 du Protocole). À la suite de cette recommandation, les parties négociantes déterminent et désignent les laboratoires qui sont reconnus aux fins de l’application de l’honoraire (art. 4.5 du Protocole). Enfin, la Régie de l’assurance maladie du Québec (« RAMQ ») met cette décision en œuvre (art. 4.6 du Protocole). Fort de la reconnaissance ainsi obtenue, le médecin peut alors facturer l’honoraire.
[9] En septembre 2009, suivant un arrangement intervenu avec le Ministère, la Fédération informe les radiologistes qu’il est exceptionnellement possible de reconnaître leurs laboratoires rétroactivement au 1er juin 2009 s’ils présentent une demande en ce sens avant le 1er novembre 2009.
[10] En octobre 2010, les parties négociantes modifient à nouveau le Protocole afin de préciser les conditions relatives à la propriété des équipements de radiologie. Cette modification s’applique à compter du 1er juin 2009, soit dès l’entrée en vigueur initiale de l’honoraire (Modification 54 à l’Accord-cadre, art. 2.3).

B. Cadre factuel
[11] Le Dr Guérin est un radiologiste membre de la Fédération. En l’espèce, il agit en qualité de médecin spécialiste et de directeur médical d’une clinique de radiologie, ainsi qu’à titre de mandataire de 35 médecins radiologistes qui exercent dans d’autres cliniques de la même entreprise.
[12] En octobre 2009, le Dr Guérin demande aux parties négociantes de déclarer ces cliniques admissibles à l’honoraire de numérisation. Sa demande est cependant rejetée au motif que les équipements de laboratoire ne sont pas la propriété directe ou indirecte de radiologistes en raison de la structure de l’entreprise concernée. Il est en désaccord avec cette interprétation du « critère de propriété », mais il tente tout de même de s’y conformer en apportant certains changements à la structure de l’entreprise. À cette fin, ses collègues et lui modifient le capital-actions de leur société et adoptent une nouvelle convention des actionnaires, si bien que, en juillet 2011, les parties négociantes l’avisent qu’elles reconnaissent les laboratoires avec effet rétroactif au 21 juin 2011, jour de la recommandation du comité conjoint.
[13] Satisfait de voir les laboratoires reconnus, le Dr Guérin estime toutefois que cette reconnaissance devrait rétroagir au jour de la création de l’honoraire ou, à tout le moins, au 8 avril 2010, date à laquelle la structure des laboratoires a été modifiée. Cette demande est rejetée.
[14] Vu l’impasse, il dépose un différend auprès du conseil d’arbitrage formé en vertu de l’art. 54 de la Loi. La Fédération et le Ministère font front commun contre lui et plaident à titre préliminaire que la reconnaissance d’un laboratoire par les parties négociantes pour l’application de l’honoraire de numérisation ne peut faire l’objet d’un différend arbitrable. Ils soutiennent par ailleurs que seule la Fédération, et non un médecin, pouvait former un tel différend.

III. Historique judiciaire
A. Sentence arbitrale (Me Marc Gravel), no 12-DS-499, 29 janvier 2013
[15] L’arbitre Gravel, mandaté pour exercer seul les fonctions du conseil d’arbitrage, estime qu’il n’a pas la compétence requise pour accorder au Dr Guérin la première conclusion qu’il recherche et reconnaître les laboratoires aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation. À son avis, l’Accord-cadre ne lui permet pas de se substituer aux parties négociantes pour prendre cette décision. Or, puisque cette reconnaissance est un « prérequis inévitable et nécessaire » à la réclamation de l’honoraire de numérisation, le médecin ne peut pas former de différend en contestation d’honoraires avant de l’avoir obtenue (sentence arbitrale, par. 33, reproduite au d.a., p. 25).
[16] L’arbitre conclut également que la Fédération a le monopole de la représentation de ses membres. Selon lui, il revient à la Fédération et au Ministère de négocier la reconnaissance des laboratoires. Sans texte clair en ce sens, un médecin ne peut s’immiscer dans cette négociation ou en contester le résultat en recourant à l’arbitrage. En conséquence, le Dr Guérin ne peut pas « demander à un conseil d’arbitrage de modifier, à son égard, les règles que les parties à l’Accord-cadre, et exclusivement elles, ont négocié[es] » (par. 57).

B. Cour supérieure du Québec (la juge Grenier), 2013 QCCS 6950
[17] La juge de première instance accueille la requête en révision judiciaire du Dr Guérin. Appliquant la norme de la décision raisonnable, elle conclut que la décision de l’arbitre est déraisonnable puisqu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (par. 26 (CanLII), citant Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47).
[18] À son avis, la seule question en litige consiste à déterminer si le conseil d’arbitrage a compétence pour se saisir du différend. À cet égard, elle affirme que l’arbitre « s’est mépris sur l’objet du litige qu’il avait à trancher ainsi que sur l’étendue de sa compétence » (par. 18). Puisque le litige porte selon elle principalement sur la question de l’intérêt pour agir du Dr Guérin, elle consacre son analyse essentiellement à l’interprétation de l’art. 54 de la Loi, et non à celle des dispositions du Protocole étudiées par l’arbitre.
[19] La juge de première instance soutient que le Dr Guérin n’a pas demandé à l’arbitre de reconnaître les laboratoires, mais plutôt de rectifier l’interprétation et l’application des conditions du Protocole et de déclarer que les laboratoires y satisfaisaient dès 2009. Ainsi, seules l’interprétation et l’application du Protocole — et non son contenu — seraient en jeu.
[20] La juge de première instance conclut que l’art. 54 de la Loi, qui est rédigé en termes larges, permet à un médecin de contester par voie d’arbitrage les décisions des parties négociantes. Ces dernières ne peuvent pas restreindre l’accès à l’arbitrage, puisque l’art. 54 de la Loi leur permet uniquement de décider de la composition du conseil d’arbitrage et de nommer des arbitres. La définition usuelle et courante de « différend » doit être retenue, de sorte que toute différence d’opinions, y compris celle qui existe en l’espèce, peut faire l’objet d’un différend.

C. Cour d’appel du Québec, 2015 QCCA 1726
(1) Opinion majoritaire de la juge en chef Duval Hesler et du juge Schrager

[21] Les juges majoritaires de la Cour d’appel confirment la décision de la juge Grenier. Ils notent d’abord que les parties ne remettent pas en question l’applicabilité de la norme de la décision raisonnable. Ils tiennent cependant pour déraisonnable la décision de l’arbitre selon laquelle il n’avait pas compétence pour trancher la question dont il était saisi et que le Dr Guérin n’avait pas l’intérêt requis pour former ce différend.
[22] À l’instar de la juge de première instance, la majorité de la Cour d’appel consacre l’essentiel de ses motifs à la question de l’intérêt pour agir. Elle conclut qu’un médecin peut tout à fait recourir au processus d’arbitrage pour résoudre un problème d’interprétation de l’Accord-cadre ou d’application de celui-ci à sa situation particulière. L’art. 54 de la Loi est un texte clair qui permet qu’un différend relatif à l’interprétation et à l’application d’une entente conclue en vertu de la Loi soit soumis à l’arbitrage. L’Accord-cadre limite indûment la portée de cet article en réservant à la Fédération le recours à l’arbitrage pour tout différend autre que ceux que les médecins peuvent expressément soumettre à l’arbitrage. De surcroît, les dispositions prévoyant la procédure d’arbitrage sont rédigées de façon non-exhaustive.
[23] Enfin, la majorité de la Cour d’appel rejette toute analogie avec le régime instauré par le Code du travail, RLRQ, c. C-27, en raison notamment de l’absence, dans la Loi, d’un recours analogue à celui de l’art. 47.5 de ce Code, qui vise le défaut de représentation. Le Dr Guérin serait donc dépourvu de tout recours pour contester une interprétation de l’Accord-cadre qui lui causerait préjudice.

(2) Opinion dissidente de la juge Savard
[24] La juge dissidente aurait plutôt accueilli l’appel, étant d’avis que la décision de l’arbitre était raisonnable.
[25] Elle rappelle que selon l’arbitre, le différend porte sur la reconnaissance des laboratoires, une décision finale qui revient aux parties négociantes et sur laquelle il n’a aucun droit de regard. C’est pour cette raison qu’il n’examine pas la compatibilité entre le mécanisme de reconnaissance des laboratoires et le processus d’arbitrage prévu par la Loi et par l’Accord-cadre.
[26] La juge dissidente remarque que pour les juges majoritaires et la juge de première instance, le différend porte plutôt sur l’interprétation d’un des critères à satisfaire pour obtenir la reconnaissance recherchée, et non sur le mécanisme décisionnel menant à cette reconnaissance. Or, en application de la norme de la décision raisonnable, il faut se demander si l’analyse de l’arbitre concernant l’objet du litige se situe parmi les issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
[27] Selon la juge dissidente, l’arbitre pouvait raisonnablement conclure que la désignation des laboratoires est une décision qui revient aux parties négociantes et qui est à l’abri d’une contestation devant un conseil d’arbitrage. Le Dr Guérin et ses collègues médecins demeurent liés par l’entente intervenue entre les parties et ne peuvent remettre en question une telle désignation.
[28] La juge dissidente conclut enfin que l’art. 54 de la Loi n’empêche pas les parties négociantes de régler leurs différends autrement que par voie d’arbitrage. Les dispositions de l’Accord-cadre qui réservent à la Fédération la possibilité de porter un différend en arbitrage, sauf lorsqu’il s’agit d’une contestation d’honoraires, ne sont pas contraires à l’art. 54 de la Loi et sont compatibles avec le monopole de représentation de la Fédération, lequel s’apparente à celui qui existe en droit du travail.

IV. Questions en litige
[29] Puisque nous sommes en matière de révision judiciaire, il faut d’abord déterminer la norme de contrôle applicable avant de décider, sur le fond du litige, si le recours formé par le Dr Guérin est un différend au sens de la Loi et, le cas échéant, si ce dernier peut lui-même le déposer auprès du conseil d’arbitrage.

V. Analyse

A. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable
[30] Les instances inférieures ont unanimement conclu à l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable (motifs de première instance, par. 26; motifs de la C.A., par. 21, 45-46 et 71). Les parties ont d’ailleurs concédé ce point devant la Cour d’appel. Devant notre Cour, le Dr Guérin reconnaît que le droit actuel favorise l’application de cette norme tout en faisant valoir que la norme de la décision correcte devrait tout de même s’appliquer (m.i., par. 15-17; transcription, p. 58-59 et 80-81).
[31] C’est à bon droit que les cours inférieures ont retenu la norme de la décision raisonnable. Cette norme s’impose puisque le conseil d’arbitrage était appelé à interpréter et à appliquer sa loi constitutive, l’Accord-cadre et le Protocole, lesquels sont au cœur de son mandat et de son expertise (avis de différend (reproduit au par. 2 de la sentence arbitrale), préambule et par. 1-3; Dunsmuir, par. 54; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 39; Rogers Communications Inc. c. Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 11; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 46; Commission scolaire de Laval c. Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, [2016] 1 R.C.S. 29, par. 32).
[32] Les deux arguments sur lesquels se fonde le Dr Guérin pour faire valoir que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer sont mal fondés. D’abord, comme l’ont reconnu ici tant la juge de première instance (par. 26) que tous les juges en Cour d’appel (par. 21 et 85), il est erroné de soutenir que le présent pourvoi soulève une question touchant véritablement à la compétence du conseil d’arbitrage (Nor-Man Regional Health Authority Inc. c. Manitoba Association of Health Care Professionals, 2011 CSC 59, [2011] 3 R.C.S. 616, par. 35). Notre Cour a déjà rappelé que les tribunaux doivent « éviter de qualifier trop rapidement un point de question de compétence, et ainsi de l’assujettir à un examen judiciaire plus étendu, lorsqu’il existe un doute à cet égard » (Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, p. 233, cité dans Dunsmuir, par. 35). De la même manière, notre Cour a fréquemment souligné que, si elles existent, «

[l]es véritables questions de compétence ont une portée étroite et se présentent rarement » (Alberta Teachers, par. 39; voir aussi par. 34; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293, par. 26; Société Radio-Canada c. SODRAC 2003 Inc., 2015 CSC 57, [2015] 3 R.C.S. 615, par. 39; ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Utilities Commission), 2015 CSC 45, [2015] 3 R.C.S. 219, par. 27). Cette catégorie de questions doit s’entendre « au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question » (Dunsmuir, par. 59; voir aussi Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, par. 34; Canon Canada Inc. c. Sylvestre, 2012 QCCS 1422, par. 29 (CanLII)).

[33] Or, d’une part, il est clair que le conseil d’arbitrage a compétence pour interpréter et appliquer les ententes conclues en vertu de la Loi, tels l’Accord-cadre et ses annexes comme le Protocole. Il a de ce fait la faculté de connaître de la question et de déterminer si le recours du Dr Guérin soulève un différend arbitrable aux termes de la Loi et de l’Accord-cadre. D’ailleurs, il est bien établi que la norme de la décision raisonnable s’applique lorsqu’un arbitre doit déterminer, sur la base de l’interprétation et de l’application de sa loi constitutive et de documents connexes, si un recours peut faire l’objet d’un arbitrage (Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 R.C.S. 157, par. 16). Le seul fait que le recours puisse être jugé irrecevable par l’arbitre s’il ne constitue pas un différend arbitrable ne mène pas nécessairement à la conclusion qu’il s’agit d’une véritable question de compétence (voir p. ex. Ontario Refrigeration and Air Conditioning Contractors Assn. c. United Association of Journeymen and Apprentices of the Plumbing and Pipefitting Industry of the United States and Canada Local 787, 2016 ONCA 460, 131 O.R. (3d) 665, par. 55, autorisation d’appel refusée, no 37179, 10 mars 2017, [2017] Bull. C.S.C. 431).

[34] Lorsqu’un arbitre interprète sa loi constitutive afin de décider du caractère arbitrable d’un différend, appliquer la norme de la décision raisonnable ne mine ni la primauté du droit, ni les autres fondements constitutionnels du contrôle judiciaire. Au contraire, appliquer la norme de la décision correcte, en qualifiant à tort une telle question de véritable question de compétence, saperait la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable reconnue et consacrée par une jurisprudence abondante et constante de notre Cour depuis l’arrêt Alberta Teachers (par. 39; voir p. ex. Rogers, par. 11; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, par. 21; SODRAC 2003, par. 35; Tervita Corp. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 R.C.S. 161, par. 35; ATCO Gas and Pipelines, par. 28; Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 R.C.S. 300, par. 17; Saguenay, par. 46; Commission scolaire de Laval, par. 32; Capilano, par. 22).

[35] D’autre part, l’autre question en litige, relative à l’intérêt pour agir du Dr Guérin, n’est guère plus une question touchant véritablement à la compétence du conseil d’arbitrage. Dans Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309, la Cour a certes appliqué la norme de la décision correcte, d’avis qu’elle était « saisie d’une question de compétence » étant donné qu’il s’agissait de décider si le Tribunal canadien du commerce extérieur pouvait entendre une plainte présentée en vertu de l’Accord sur le commerce intérieur, (1995) 129 Gaz. Can. I, 1323, par un fournisseur non canadien (par. 10). Toutefois, comme l’a ensuite expliqué notre Cour dans Alberta Teachers, l’arrêt Northrop a conclu à « l’application de la norme de la décision correcte [. . .] en suivant une jurisprudence bien établie, antérieure à Dunsmuir, qui applique cette norme au type de décision en cause, et non en relevant une question qui touche véritablement à la compétence » (par. 33 (nous soulignons)). Cette interprétation, entérinée par une majorité de juges de notre Cour, fait là encore autorité.
[36] D’ailleurs, comme le notent les auteurs Brown et Evans, plusieurs tribunaux ont reconnu que la question de l’intérêt pour agir n’était pas une véritable question de compétence, et ce, même lorsque la loi habilitante en cause abordait cette question (D.J.M. Brown et J.M. Evans, avec le concours de David Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), rubrique 14:4331, note 369, référant à Canadian Merchant Service Guild c. Teamsters, Local Union 847, 2012 CAF 210, 433 N.R. 200, par. 19). En l’espèce, la question de l’intérêt pour agir du Dr Guérin relève elle aussi de l’interprétation par le conseil d’arbitrage de sa loi habilitante et de l’Accord-cadre. Elle ne remet pas en cause « la faculté du [conseil d’arbitrage] de connaître de la question » qui lui est soumise (Dunsmuir, par. 59; voir aussi Nolan, par. 34), mais vise plutôt à déterminer qui, du Dr Guérin ou de la Fédération, peut la soumettre. Cela se révèle bien loin de la portée étroite et limitée que notre Cour attribue aux véritables questions de compétence.
[37] Enfin, contrairement à ce que soutient aujourd’hui le Dr Guérin devant notre Cour, il ne s’agit pas non plus ici d’un cas où la primauté du droit requiert l’application de la norme de la décision correcte. Le seul fait qu’une question de droit puisse donner lieu à des interprétations contradictoires ne permet pas, à lui seul, de conclure à l’application de la norme de la décision correcte (Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, par. 17). Qui plus est, le Dr Guérin ne cite aucune sentence arbitrale ayant retenu une interprétation contraire à celle de l’arbitre en l’espèce. Ainsi, même si l’existence de courants jurisprudentiels divergents pouvait mener à l’application de la norme de la décision correcte, ce qui n’est pas en soi toujours le cas (Énergie Atomique, par. 17; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7, [2011] 1 R.C.S. 160, par. 38-39; voir aussi Domtar Inc. c. Québec (Commission d’appel en matière de lésions professionnelles), [1993] 2 R.C.S. 756, p. 784-801), telle n’est pas de toute façon la situation dans le cas qui nous occupe.

B. L’absence d’un différend arbitrable
[38] Le Dr Guérin demande la révision de la décision des parties négociantes de ne pas reconnaître les laboratoires qu’il représente aux fins du paiement de l’honoraire de numérisation de 2009 à 2011. Le conseil d’arbitrage a conclu qu’il n’avait pas le pouvoir d’accéder à sa demande, car il ne s’agissait pas d’un différend arbitrable au sens de la Loi et de l’Accord-cadre. À notre avis, cette décision était raisonnable.

(1) L’objet du litige
[39] Toute instance décisionnelle appelée à résoudre un litige doit d’abord en définir l’objet ou l’essence (Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, par. 52). En l’espèce, l’arbitre a conclu que l’objet du recours du Dr Guérin était de déclarer les laboratoires reconnus pour la période visée par la demande.
[40] Pour parvenir à cette conclusion, l’arbitre ne s’est pas limité à la façon dont le Dr Guérin décrit le litige dans son avis de différend, à savoir que celui-ci « porte sur l’interprétation et l’application de l’article 4.[2] iv) du Protocole » (avis de différend, par. 1). Il a également tenu compte des conclusions recherchées, surtout celles qui visaient à déclarer « qu’en date du 1er juin 2009, les laboratoires d’imagerie médicale [que le Dr Guérin représente] devaient être reconnus » et que les médecins y œuvrant avaient « en conséquence le droit à l’honoraire de numérisation » depuis ce jour (avis de différend, conclusions). C’est sur cette base que l’arbitre a constaté que le Dr Guérin voulait en fait qu’il statue sur la reconnaissance des laboratoires, en lieu et place des parties négociantes. Puisque l’objet du litige relevait ainsi de l’interprétation du mécanisme de reconnaissance établi par le Protocole, l’arbitre n’a pas eu à analyser les dispositions de l’Accord-cadre et de la Loi relatives au processus d’arbitrage, ni celles du Protocole fixant les critères d’admissibilité à l’honoraire de numérisation. Il s’est concentré sur les dispositions de l’Accord-cadre et du Protocole qui confèrent aux parties négociantes le pouvoir de décider de l’admissibilité à l’honoraire.
[41] En révision judiciaire, le rôle de la Cour supérieure et de la Cour d’appel se limitait à déterminer si la sentence arbitrale était raisonnable, y compris en ce qui touche l’objet du litige. Comme l’indique la juge dissidente en Cour d’appel, c’est à tort que la juge de première instance et la majorité de la Cour d’appel ont plutôt reformulé l’objet du litige pour le faire porter sur l’interprétation et l’application des conditions d’admissibilité à la reconnaissance et sur l’intérêt pour agir du Dr Guérin (motifs de première instance, par. 19-20; motifs de la C.A., par. 38-39). En faisant ainsi bifurquer le débat, elles n’ont pas accordé la déférence requise à la décision du conseil d’arbitrage.

(2) La reconnaissance des laboratoires relève exclusivement des parties négociantes
[42] L’arbitre a conclu qu’il n’avait pas la compétence requise pour statuer sur la reconnaissance des laboratoires. Selon son interprétation du Protocole, les parties négociantes se sont réservé la décision de reconnaître ou non un laboratoire et l’ont par le fait même soustraite au processus d’arbitrage. À son avis, statuer sur le différend reviendrait à substituer son opinion à celle des parties négociantes et à contourner le mécanisme décisionnel qu’elles ont négocié. En somme, l’arbitre juge que le recours ne soulève aucun différend arbitrable.
[43] La décision de l’arbitre à cet égard est raisonnable. Comme elle l’indique, le Protocole énonce clairement que les parties négociantes se sont réservé le droit et l’entière discrétion de décider de la reconnaissance des laboratoires. Non seulement les parties négociantes ont-elles unanimement défendu cette interprétation devant chacune des instances inférieures, mais celle-ci se justifie amplement eu égard aux termes du Protocole. En vertu de ce dernier, le rôle du comité conjoint se limite à formuler une recommandation, ce qui indique que son opinion ne lie pas nécessairement les parties négociantes :

4.4. Est créé un comité conjoint composé en parts égales de représentants de la Fédération et du ministère de la Santé et des Services sociaux auxquelles sont soumises les demandes de reconnaissance présentées en vertu de l’article 4.3 aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation.

Au terme de son analyse, le comité conjoint fait une recommandation aux parties négociantes. [Nous soulignons.]
En outre, l’art. 4.5 du Protocole prévoit sans ambiguïté que la décision finale de déterminer et désigner les laboratoires revient aux parties négociantes, et à personne d’autre, et ce, sans limiter les considérations qui peuvent orienter cette détermination :
4.5. Suite aux recommandations du comité conjoint, les parties négociantes déterminent et désignent les laboratoires de radiologie générale qui sont reconnus aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation ainsi que le secteur d’activités radiologiques visé. [Nous soulignons.]

[44] Les arguments du Dr Guérin sont insuffisants pour conclure que l’interprétation du Protocole par l’arbitre est déraisonnable. Sa thèse suppose que, même si le Ministère et la Fédération « se sont réservés la faculté d’interpréter et d’appliquer les dispositions prévues au Protocole », « l’interprétation correcte des textes normatifs applicables commandait qu’ils soient appliqués de manière à ce que » les laboratoires qu’il représente soient reconnus au 1er juin 2009 (avis de différend, par. 3 et 14). L’arbitre ne répond pas directement à l’argument, mais nous signalons que si le Protocole prévoit bel et bien que les laboratoires doivent répondre à tous les critères de l’art. 4.2 pour être reconnus, cette reconnaissance doit aussi faire l’objet d’une décision des parties négociantes, lesquelles ne sont pas contraintes d’appliquer ces critères de façon mécanique.

[45] En outre, le Dr Guérin ne conteste pas et n’a pas contesté devant le conseil d’arbitrage la validité du mécanisme décisionnel prévu au Protocole, mais s’il le faisait, nous sommes d’avis que cet argument devrait aussi échouer. Le Ministère et la Fédération pouvaient se réserver cette décision et établir au moyen de l’Accord-cadre le mécanisme décisionnel approprié, en vertu de l’art. 19 de la Loi. Personne ne conteste que les parties négociantes ont le pouvoir de créer un honoraire de numérisation en modifiant leur Accord-cadre comme elles l’ont fait. De même, elles ont le pouvoir de déterminer les modalités d’accès à ce nouvel honoraire. Ainsi, l’entente conclue entre les parties aurait pu inclure, par exemple, une liste de laboratoires reconnus, sans prévoir d’autres critères ou un mécanisme de reconnaissance. Les parties ont plutôt décidé — avec l’approbation du Conseil du trésor et comme il leur était loisible de le faire — de créer un mécanisme différent qui leur permettrait de s’adapter à la nature flexible de leur entente et à la situation évolutive des laboratoires d’imagerie médicale au Québec.

[46] C’est d’ailleurs pourquoi ce type de mécanisme décisionnel n’est pas inhabituel dans le réseau public de la santé. Bien que cet argument comparatif n’ait pas été soumis au conseil d’arbitrage, l’appelante, la Procureure générale du Québec, a indiqué devant notre Cour que les ententes conclues en vertu de la Loi établissent souvent plusieurs catégories d’honoraires et confient parfois aux parties négociantes, directement ou par l’entremise d’un comité paritaire, la tâche de s’entendre et de préciser les établissements ou les professionnels qui auront accès à ces honoraires, selon les besoins et l’évolution des situations. De même, il n’est pas rare qu’elles prévoient que les parties négociantes peuvent mettre fin à tout différend par une entente, même lorsqu’il s’agit d’un différend individuel (m.a., par. 44 et 57; voir par exemple l’art. 24.04 de l’Entente relative à l’assurance maladie et à l’assurance hospitalisation entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, d.a., p. 222; art. 24.04 de l’Entente relative à l’assurance maladie entre le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec et l’Association des chirurgiens dentistes du Québec, d.a., p. 232; art. 17.04 de l’Entente relative à l’assurance maladie entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et l’Association professionnelle des optométristes du Québec, d.a., p. 240; art. 7.05 de l’Entente relative à l’assurance maladie entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et le ministre de la Santé et des Services sociaux, d.a., p. 246; transcription, p. 42-44).
[47] Ainsi, il était raisonnable pour l’arbitre de conclure que trancher le litige aurait eu pour effet de modifier le contenu négocié du Protocole en privant les parties négociantes de la discrétion que ce dernier leur octroie exclusivement et en ramenant la reconnaissance des laboratoires à la seule application des critères prévus à l’art. 4.2, ce qui ne saurait être le cas. En d’autres termes, même si l’arbitre avait décidé de rectifier l’interprétation des conditions du par. 4.2(iv) du Protocole et leur application aux laboratoires que le Dr Guérin représente, il lui aurait tout de même été impossible d’accorder la reconnaissance en lieu et place des parties négociantes.
[48] Sous ce rapport, l’on ne peut bien sûr soutenir, avec égards pour l’opinion contraire, que la décision de l’arbitre sur cette question serait « incorrecte » au seul motif que le recours du Dr Guérin soulèverait « [u]n différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente », aux termes de l’art. 54 de la Loi. L’analyse du caractère arbitrable du différend ne peut se limiter à ce seul article. Même si le différend du Dr Guérin résulte de l’interprétation et de l’application de l’Accord-cadre, l’on ne peut occulter les termes du Protocole, qui stipulent que ce sont les parties négociantes qui déterminent et désignent les laboratoires qui sont reconnus aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation (art. 4.5).
[49] Au vu des enseignements de l’arrêt Dunsmuir, nous sommes donc d’avis que la solution retenue par l’arbitre appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). À ce chapitre, nous estimons que la juge de première instance et les juges majoritaires de la Cour d’appel ne se sont pas posé la bonne question avant de conclure au caractère déraisonnable de la sentence arbitrale.

C. Le Dr Guérin n’a pas l’intérêt requis pour agir
[50] Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas strictement nécessaire d’aborder la seconde question en litige, celle relative à l’intérêt pour agir. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’un élément déterminant de la sentence arbitrale. À l’inverse, c’est essentiellement sur cette question que la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel se sont fondées pour conclure que la sentence était déraisonnable. Avec égards, nous sommes d’avis qu’il était de toute façon raisonnable pour l’arbitre de conclure que le Dr Guérin n’avait pas l’intérêt requis pour agir puisque, en vertu de l’Accord-cadre et de la Loi, seule la Fédération peut faire trancher ce type de différend par le conseil d’arbitrage.

(1) Seule la Fédération a l’intérêt requis pour porter ce différend à l’arbitrage
[51] Sur ce point, l’arbitre souligne que la Loi confère à la Fédération un monopole de représentation qui lui permet de négocier le contenu du Protocole et de lier l’ensemble de ses membres, lesquels ne peuvent ensuite contester le résultat de cette négociation par voie d’arbitrage. À ses yeux, le Dr Guérin n’a donc pas l’intérêt requis pour former son différend. Nous sommes d’avis que la décision de l’arbitre sur ce point, quoiqu’elle soit brève et qu’elle confonde à certains égards cette question et celle du caractère arbitrable du différend, est également raisonnable.
[52] Comme l’indique l’arbitre, les médecins spécialistes sont liés par les dispositions de l’Accord-cadre, qui a été conclu légalement par les parties négociantes (art. 19 et 21 de la Loi; Accord-cadre, annexe 1, art. 3.1). Or, rien n’empêche que cette entente définisse les contours du recours à l’arbitrage prévu à la Loi. Les seules limites à cet égard sont celles des dispositions de la Loi qui prévoient spécifiquement les situations où un professionnel de la santé peut soumettre un avis de différend directement au conseil d’arbitrage. C’est le cas lorsqu’il s’agit de contester un refus de paiement ou une demande de remboursement de la RAMQ, ou encore de régler une mésentente relative à un contrat de services professionnels avec un établissement de santé (art. 22.0.1 et 22.2 de la Loi). Les parties négociantes ont repris ces deux situations dans leur procédure d’arbitrage, mais en ce qui a trait aux autres désaccords relatifs à l’application de l’Accord-cadre, elles ont prévu, comme il leur était loisible de le faire, que seule la Fédération peut former un différend collectif (Accord-cadre, annexe 1, art. 20.2 à 20.5).
[53] Ainsi, aux termes de l’Accord-cadre, la Fédération est « le seul organisme représentatif des médecins spécialistes », tant pour la négociation que pour l’application de toute entente conclue en vertu de l’art. 19 de la Loi (Accord-cadre, Annexe 1, art. 3.1). Elle exerce donc tous les recours des membres qu’elle représente, sauf ceux qui sont expressément réservés aux médecins spécialistes par la Loi ou par l’Accord-cadre (Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207, par. 41). Bref, sauf s’il s’agit d’un différend en contestation d’honoraires, un médecin spécialiste est représenté en tout temps par la Fédération pour les besoins d’un arbitrage.
[54] En l’espèce, comme l’arbitre l’a noté à juste titre, il ne peut y avoir de différend en contestation d’honoraires qui permette au Dr Guérin d’avoir recours à l’arbitrage en vertu de l’Accord-cadre et de la Loi. L’honoraire de numérisation ne peut être réclamé avant que les laboratoires soient reconnus puisque c’est la reconnaissance qui y donne droit. En outre, il n’existe aucun différend collectif entre les parties négociantes, car elles s’entendent toutes deux sur la désignation des laboratoires. Dès lors, que ce soit aux termes de l’Accord-cadre ou de la Loi, rien ne permet au médecin de soumettre directement un avis de différend de cette nature au conseil d’arbitrage.
[55] Le Dr Guérin affirme que malgré les dispositions de l’Accord-cadre, l’art. 54 de la Loi lui permet d’avoir recours à l’arbitrage directement, sans passer par la Fédération, pour tout différend résultant de l’application ou de l’interprétation de l’entente. Cet argument est repris par la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel, qui en font un élément central de leurs décisions. Bien que l’arbitre ne se soit pas prononcé sur l’interprétation de l’art. 54, nous sommes d’avis que cet article, rédigé en termes larges, a pour principal objectif de définir la compétence exclusive du tribunal, et non de délimiter l’intérêt pour agir ou de déterminer l’identité de ceux qui peuvent former un différend. Non seulement le libellé de l’article n’aborde aucunement la question de l’intérêt pour agir, mais le contexte global de la Loi confirme aussi cette interprétation. Le législateur a prévu les situations spécifiques dans lesquelles un professionnel de la santé peut avoir recours au mécanisme d’arbitrage (art. 22.0.1 et 22.2 de la Loi). Or, ces dispositions n’auraient aucun effet utile si l’art. 54 permettait de toute façon aux professionnels de la santé de soulever tout différend, quel qu’il soit. Interpréter l’art. 54 sans tenir compte de ces articles s’inscrirait en faux avec le principe moderne d’interprétation des lois suivant lequel « le sens des mots ne peut pas être déterminé en dissociation du contexte » (P.-A. Côté, avec la collaboration de S. Beaulac et M. Devinat, Interprétation des lois (4e éd. 2009), par. 158; voir aussi Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, par. 21, citant E. A. Driedger, Construction of Statutes (2e éd. 1983), p. 87). Partant, même si l’art. 54 est d’ordre public en vertu de l’art. 104.1 de la Loi, il ne permet pas de contourner les dispositions de l’Accord-cadre qui circonscrivent l’accès au recours à l’arbitrage.
[56] La conclusion de l’arbitre sur cette question est étayée par la décision Pérès c. Québec (Commission de la fonction publique), 2000 CanLII 18759 (C.S. Qc), rendue dans un cas similaire à la présente espèce. Dans cette affaire, plusieurs employés de la fonction publique fédérale avaient été transférés à la fonction publique provinciale. Un comité paritaire composé de représentants syndicaux et de représentants patronaux avait été créé afin de statuer sur le classement de chaque employé selon les niveaux d’emplois de la fonction publique provinciale (par. 17-19). Ce comité avait rendu une décision unanime, et certains employés avaient par la suite voulu la contester auprès de la Commission de la fonction publique (par. 22-24). La Commission a décliné compétence, étant d’avis qu’elle ne pouvait intervenir dans le processus de négociation qui avait été incorporé à la convention collective, conformément à la Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1 (par. 27-28). La Cour supérieure a confirmé la décision et conclu que les personnes représentées par leur syndicat étaient liées par l’entente et son processus de classement, et qu’elles ne pouvaient pas les contourner par voie de plainte auprès de la Commission (par. 37-38). Autrement dit, ces individus étaient « liés par cette entente en matière de classement au même titre qu’ils [auraient été] liés par une nouvelle convention collective » (par. 40). Il s’agit d’une situation similaire à celle considérée ici. Puisque les parties négociantes se sont entendues sur la désignation des laboratoires conformément à leur Accord-cadre et à la Loi, il n’est pas possible pour le médecin de remettre en question cette détermination devant un conseil d’arbitrage. Le médecin est lié par celle-ci de la même façon qu’il est lié par l’Accord-cadre intervenu entre les parties.
[57] Enfin, l’arbitre a affirmé, bien que de façon peut-être ambiguë, que le Dr Guérin « ne peut pas être admis à demander à un conseil d’arbitrage de modifier, à son égard, les règles que les parties à l’Accord-cadre, et exclusivement elles, ont négocié[es] » (par. 57). À notre avis, contrairement à ce qu’ont soutenu la Cour supérieure et la majorité de la Cour d’appel, et que reprend le Dr Guérin, l’arbitre ne laisse pas entendre par là que ce dernier tente de modifier les conditions énoncées à l’art. 4.2 du Protocole. Le Dr Guérin ne le fait d’ailleurs pas. Selon nous, au par. 57, l’arbitre signale simplement que la remise en question, par le conseil d’arbitrage, d’une décision de reconnaissance négociée conjointement par les parties modifierait la nature des règles qu’elles ont valablement établies. En ce sens, il a raison d’affirmer que le Dr Guérin tente bel et bien de changer les règles prévues à l’Accord-cadre. Conclure que l’arbitre aurait commis une erreur en qualifiant la question à trancher ou en se posant la mauvaise question, fait dire à la sentence arbitrale ce qu’elle ne dit pas.

(2) Donner raison au Dr Guérin entraînerait un accroissement intenable du recours à l’arbitrage
[58] Non seulement la thèse du Dr Guérin ne se justifie pas au regard de l’Accord-cadre et de la Loi, mais nous estimons qu’y faire droit aurait aussi des conséquences que les parties n’ont ni envisagées, ni voulues. Bien que l’arbitre n’ait pas soulevé ce point dans sa sentence, nous notons que, si comme le Dr Guérin le suggère, l’art. 54 de la Loi était interprété de façon à autoriser tout médecin touché par une décision découlant de l’interprétation ou de l’application de l’Accord-cadre ou d’une entente similaire à contester individuellement cette décision devant un conseil d’arbitrage, rien n’empêcherait une autre personne touchée par une décision de même nature de se prévaloir elle aussi du recours. Ainsi, les milliers de médecins spécialistes et autres professionnels de la santé qui sont soumis au régime de la Loi pourraient alors avoir recours au mécanisme d’arbitrage.
[59] En outre, des établissements de santé, voire des tiers comme des entrepreneurs ou des patients, pourraient aussi avoir recours à l’arbitrage lorsqu’une décision résultant de l’interprétation ou de l’application d’une entente les toucherait directement. Il en résulterait un accroissement insoutenable du recours à l’arbitrage prévu à l’art. 54 de la Loi. Nous ne pouvons concevoir que telle ait été l’intention du législateur quant au but et à la portée de cet article.
D. Le médecin qui s’estime lésé conserve un recours en droit commun
[60] Enfin, contrairement à ce qu’affirme la majorité de la Cour d’appel (au par. 35 de ses motifs), le Dr Guérin n’est pas dépourvu de tout recours. Les tribunaux de droit commun conservent leur compétence dans l’éventualité où il estimerait que la Fédération ne s’est pas bien acquittée de son obligation de représentation.
[61] Suivant le droit commun de la responsabilité civile, une association qui dispose, comme la Fédération, d’un pouvoir exclusif de représentation a aussi « une obligation d’exécuter correctement sa fonction représentative » (Noël, par. 46; Syndicat des techniciens et techniciennes du cinéma et vidéo du Québec c. Mancone, [2002] R.J.Q 2905 (C.A.)). Ce devoir de représentation « interdit quatre types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave » (Noël, par. 47-48; Centre hospitalier Régina Ltée c. Tribunal du travail, [1990] 1 R.C.S. 1330, p. 1344-1347). Il découle du droit commun, et non uniquement du Code du travail comme semble l’affirmer la majorité de la Cour d’appel (par. 35). Si le Dr Guérin est en mesure d’établir que la Fédération a adopté l’une de ces conduites à son endroit, il lui est dès lors loisible d’intenter un recours contre elle devant les tribunaux de droit commun et d’être indemnisé du préjudice ainsi causé.

VI. Conclusion
[62] En résumé, vu le choix des parties négociantes de se réserver l’entière discrétion de déterminer et de désigner les laboratoires admissibles au versement de l’honoraire de numérisation, la sentence de l’arbitre selon laquelle il ne s’agit pas d’un différend arbitrable au sens de la Loi est raisonnable.
[63] Il lui était également raisonnable de conclure que le Dr Guérin n’avait pas l’intérêt requis pour soumettre cet avis de différend au conseil d’arbitrage. Sa décision se justifie au regard du monopole de représentation de la Fédération. Elle est également justifiée par le fait qu’aucune disposition de l’Accord-cadre ou de la Loi ne permet à un médecin spécialiste de soumettre un différend directement au conseil d’arbitrage, sauf pour refus de paiement de la RAMQ ou relativement à un contrat de services professionnels conclu avec un établissement de santé.
[64] En conséquence, les cours inférieures sont intervenues à tort pour renverser la sentence arbitrale. Nous sommes d’avis d’accueillir l’appel et de rétablir la décision du conseil d’arbitrage, avec dépens en faveur de l’appelante devant toutes les cours.

Version française des motifs rendus par

LES JUGES BROWN ET ROWE —
[65] Nous avons pris connaissance des motifs des juges Wagner et Gascon. Bien que nous souscrivions au résultat auquel arrivent nos collègues, nous abordons différemment la question de la compétence du conseil d’arbitrage et celle de l’intérêt pour agir du Dr Guérin devant ce dernier.
[66] Nous estimons en somme que le pouvoir de l’arbitre d’entendre ou non la contestation du Dr Guérin soulève une question de compétence, et non d’arbitrabilité. Suivant la norme de la décision correcte, nous sommes d’avis que l’arbitre a eu tort de conclure qu’il n’avait pas compétence pour entendre l’affaire. En ce qui concerne l’intérêt pour agir du Dr Guérin, nous convenons avec nos collègues les juges Wagner et Gascon que la décision de l’arbitre est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité et qu’elle est raisonnable, mais le point de départ de notre détermination de la norme de contrôle applicable diffère. À notre sens, une question relative à l’intérêt pour agir constitue une question de compétence lorsque, suivant le libellé de sa loi habilitante, le tribunal administratif a seulement le pouvoir de se saisir de demandes de plaignants d’une catégorie donnée. Comme ce n’est pas le cas en l’espèce, un contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’impose.
[67] Nous convenons également avec nos collègues que, comme le dit la Cour dans Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au par. 59, la compétence s’entend « au sens strict de la faculté du tribunal administratif de connaître de la question ». Décider à partir de la jurisprudence de la Cour qu’une question donnée en est une de compétence ou non est assez simple : il y a question de compétence lorsque « le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question » (Dunsmuir, par. 59).
[68] Nous reconnaissons que la Cour dit par ailleurs, dans une remarque incidente, que « [d]epuis Dunsmuir, [elle] n’[a] relevé aucune [véritable question de compétence] » ou qu’« aucune ne s’est présentée » (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, par. 33 et 34). La raison en est peut être que la compétence d’un tribunal administratif (la décision s’y rapportant étant assujettie à la norme de la décision correcte) est établie et circonscrite par sa loi habilitante (ou « constitutive ») (dont l’interprétation est présumée emporter l’application de la norme de la décision raisonnable). Comme nous l’indiquons clairement ci après, nous n’avons pas la prétention, dans les présents motifs, de trancher ce nœud gordien. Nous estimons cependant que le seul fait que la Cour n’a relevé aucune question de compétence depuis Dunsmuir ne signifie pas que ce genre de question a cessé d’exister ni que nous devons faire fi d’une telle question lorsqu’elle se présente clairement. L’omission de reconnaître l’existence d’une question de compétence est en effet lourde de conséquences : « suivant le droit constitutionnel ou l’intention du législateur, la décision du tribunal administratif sur certaines questions doit être correcte, et ce sont les cours de justice qui décident en dernier ressort quelle est la décision “correcte” » (Alberta Teachers’ Association, par. 94, le juge Cromwell, motifs concordants). Ce « princip[e] fondamenta[l] » du contrôle judiciaire est énoncé par la Cour dans Dunsmuir :
Les décideurs administratifs exercent leurs pouvoirs dans le cadre de régimes législatifs qui sont eux mêmes délimités. Ils ne peuvent exercer de pouvoirs qui ne leur sont pas expressément conférés. S’ils agissent sans autorisation légale, ils portent atteinte au principe de la primauté du droit. C’est pourquoi lorsque la cour de révision se penche sur l’étendue d’un pouvoir décisionnel ou de la compétence accordée par la loi, l’analyse relative à la norme de contrôle vise à déterminer quel pouvoir le législateur a voulu donner à l’organisme en la matière. Elle le fait dans le contexte de son obligation constitutionnelle de veiller à la légalité de l’action administrative [. . .] [par. 29]
[69] En l’espèce, l’arbitre a considéré que son pouvoir de connaître de la contestation du Dr Guérin soulevait précisément une question de compétence (sentence arbitrale, par. 31 et 34, reproduits dans le d.a., p. 25). Le juge Grenier de la Cour supérieure (2013 QCCS 6950, par. 17 19 (CanLII)), les juges majoritaires de la Cour d’appel (2015 QCCA 1726, par. 27 et 42 (CanLII)) et la juge dissidente de la Cour d’appel (par. 85) opinent dans le même sens. Il est difficile d’y voir un autre type de question étant donné qu’il s’agit, pour reprendre les termes employés dans Dunsmuir, de « [. . .] déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur [a] investi [le tribunal administratif] l’autoris[ai]ent à trancher une question » (par. 59).
[70] Or, selon nos collègues les juges Wagner et Gascon, la compétence ne serait pas en cause dans la présente affaire; il s’agirait plutôt d’une question d’arbitrabilité. Une question n’est certes pas arbitrable devant un tribunal administratif dépourvu du pouvoir de statuer sur elle. Cela dit, il faut distinguer l’arbitrabilité de la compétence et de l’intérêt pour agir. La compétence s’intéresse à qui peut trancher quoi. L’intérêt pour agir s’intéresse à qui peut prendre part à une instance. L’arbitrabilité, elle, s’apparente à la justiciabilité en ce qu’il s’agit de savoir si une question peut ou non faire l’objet d’un examen au regard du droit et être tranchée (en l’espèce, par l’arbitre) par application de principes et de techniques juridiques. À notre humble avis, les juges majoritaires risquent de miner la cohérence du cadre analytique propre au droit administratif en tenant à tort une question de compétence ou d’intérêt pour agir pour une question d’arbitrabilité. Selon nous et suivant la jurisprudence de la Cour, la question de savoir si l’arbitre avait le pouvoir d’entendre la contestation du Dr Guérin constitue nettement une question de compétence.
[71] L’arbitre devait donc statuer correctement sur cette question (Dunsmuir, par. 59; D. J. M. Brown et J. M. Evans, avec l’appui de D. Fairlie, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), sujets 14:4331 et 14:4521). Or, selon nous, en refusant d’entendre la contestation du Dr Guérin, il n’a pas statué correctement. Par l’adoption de l’art. 54 de la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A 29, l’Assemblée nationale du Québec a investi le conseil d’arbitrage du pouvoir exclusif d’entendre tout « différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente ». La contestation du Dr Guérin, qui découle d’un différend sur l’application à son établissement de l’entente liant la Fédération des médecins spécialistes du Québec (« Fédération ») et le ministre de la Santé et des Services sociaux (« Ministre »), constitue manifestement un « différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente ».
[72] Mais qui peut soumettre un tel différend à l’arbitrage? Si le différend opposait le Ministre à la Fédération, tous deux auraient intérêt pour agir. Le Dr Guérin a t il, lui, intérêt pour soumettre à l’arbitrage un « différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente »? De l’avis de nos collègues les juges Wagner et Gascon, la décision de l’arbitre selon laquelle le Dr Guérin n’a pas intérêt pour agir est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité et elle est raisonnable. Nous sommes d’accord. Nous estimons toutefois que leurs motifs font abstraction de deux éléments importants. Premièrement, une question relative à l’intérêt pour agir peut constituer une question de compétence (auquel cas la décision devient susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte). Deuxièmement, et par conséquent, il convient d’étoffer les raisons pour lesquelles la décision de l’arbitre quant à l’intérêt pour agir est en l’espèce susceptible de contrôle au regard de la norme de la raisonnabilité.
[73] Le premier élément est assez simple. On dit souvent de l’intérêt pour agir qu’il soulève une question de compétence :
[TRADUCTION] Un tribunal administratif doit se conformer à sa loi habilitante. Il peut arriver qu’il doive décider explicitement si celle-ci confère ou non le pouvoir de statuer sur une question en particulier. Dans ce cas, comme lorsque, par exemple, deux régimes administratifs se chevauchent ou lorsque la question est de savoir si un demandeur a intérêt pour engager une instance, qu’il y ait prescription ou non, la décision rendue est alors habituellement susceptible de contrôle par une cour de justice selon la norme de la « décision correcte ». [Notes en bas de page omises; nous soulignons.]
(Brown et Evans, sujet 14:4331.)
[74] De même, dans Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309, au par. 10, la Cour dit de l’intérêt pour agir qu’il relève de la « compétence ». Citant le par. 33 d’Alberta Teachers’ Association, nos collègues les juges Wagner et Gascon affirment que, dans Northrop Grumman, la Cour tire sa conclusion « en suivant une jurisprudence [. . .] antérieure à Dunsmuir, qui applique cette norme au type de décision en cause, et non en relevant une question qui touche véritablement à la compétence » (par. 35). Soit dit en tout respect, cette explication ne prend pas du tout appui sur une interprétation défendable de Northrop Grumman. Dans cette affaire, la Cour a certes considéré la jurisprudence antérieure à Dunsmuir, mais sa conclusion selon laquelle une question de compétence était soulevée ne s’appuyait que sur la nature de la question en cause : « En l’espèce, la Cour est saisie d’une question de compétence étant donné qu’il s’agit de décider si le [Tribunal canadien du commerce extérieur] peut entendre une plainte présentée en vertu de l’[Accord sur le commerce intérieur] par un fournisseur non canadien. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte » (par. 10 (nous soulignons)).
[75] À l’instar de nos collègues qui le font observer en se référant à un arrêt de la Cour d’appel fédérale, nous reconnaissons également que la jurisprudence invoquée par les auteurs Brown et Evans pour affirmer que l’intérêt pour agir relève de la compétence est contradictoire. Ce n’est guère étonnant, car la jurisprudence est effectivement contradictoire et a semé la confusion en ce qui concerne la définition même d’une question de compétence. (Il suffit de comparer l’énoncé du par. 59 de Dunsmuir (« une véritable question de compétence se pose lorsque le tribunal administratif doit déterminer expressément si les pouvoirs dont le législateur l’a investi l’autorisent à trancher une question ») à celui du par. 42 d’Alberta Teachers’ Association (« je ne peux offrir de définition quant à ce qui peut constituer une question touchant véritablement à la compétence »).)
[76] Mais là encore, on ne peut en conclure que les questions de compétence ont cessé d’exister. Nos collègues ne disent pas le contraire, mais leurs motifs ne précisent pas en quoi l’intérêt pour agir du Dr Guérin n’est pas une question de compétence ou, de manière encore plus circonscrite, en quoi la présomption établie par les juges majoritaires dans Alberta Teachers’ Association et voulant qu’il ne s’agisse pas d’une question de compétence, mais bien d’une question d’interprétation législative, n’est pas réfutée. Ils omettent aussi d’expliquer ce qu’il aurait fallu pour la réfuter. Telle est évidemment la difficulté même que relève le juge Cromwell dans Alberta Teachers’ Association (motifs concordants):
Mon collègue laisse entendre qu’il arrive si rarement qu’un tribunal administratif appelé à interpréter sa loi constitutive soit saisi d’une question touchant véritablement à la compétence qu’il est permis de se demander si « la catégorie des véritables questions de compétence existe », et il ajoute qu’« il convient de présumer que l’interprétation par un tribunal administratif de “sa propre loi constitutive ou [d’]une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie” est une question d’interprétation législative commandant la déférence en cas de contrôle judiciaire » (par. 34). Nulle précision n’est donnée quant à la manière dont cette présomption peut être réfutée, si toutefois elle peut l’être. Je vois là deux difficultés.
La première tient à ce qu’on élève au rang de présomption pour ainsi dire irréfutable l’énoncé général voulant que l’interprétation par un tribunal administratif de sa loi constitutive soulève rarement une question de compétence. C’est aller beaucoup plus loin que ne le fait notre Cour lorsqu’elle affirme (dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 54) que « la déférence est habituellement de mise » à cet égard ou (dans Nolan c. Kerry (Canada) Inc., 2009 CSC 39, [2009] 2 R.C.S. 678, par. 34) que « la déférence est habituellement de mise lorsque le tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive et [qu’]il convient d’appliquer la norme de la décision correcte uniquement dans des cas exceptionnels, c’est‑à‑dire lorsque l’interprétation de cette loi soulève la question générale de la compétence du tribunal ». . . . Soit dit en tout respect, la création d’une présomption sans précision de la manière dont on peut déterminer si elle est réfutée ou non n’aide en rien les cours siégeant en révision. En deuxième lieu, je ne peux convenir que les questions de compétence pourraient en fait ne pas exister du tout. Avec tout le respect que je dois à mon collègue, ces propos minent l’assise du contrôle judiciaire des actes de l’Administration. [Nous soulignons; par. 91 et 92.]
[77] Nous ne mettons pas en doute l’autorité de l’arrêt Alberta Teachers’ Association. Nous constatons plutôt que son application est entravée sur les plans logique et pratique par le problème non résolu — l’incohérence d’ordre analytique en fait — que le juge Cromwell y relève et qui se présente manifestement en l’espèce. Rappelons que nous n’avons pas la prétention de trancher ce nœud gordien en l’espèce, et nos collègues non plus. Cependant, au vu de ce qui précède, en particulier les énoncés de la Cour dans les arrêts Dunsmuir et Northrop Grumman, et de la doctrine sur le sujet, nous croyons qu’il faut étoffer les motifs pour lesquels nos collègues estiment que l’intérêt pour agir du Dr Guérin ne constitue pas une question de compétence. Soit dit encore en tout respect, ce n’est pas seulement une affaire de loi habilitante, d’expertise présumée et de déférence, car sinon contrôler la décision de l’arbitre concernant l’intérêt pour agir du Dr Guérin selon la norme de la raisonnabilité irait manifestement à l’encontre de l’opinion de la Cour dans Northrop Grumman. Les deux doivent être conciliés.
[78] Dans Dunsmuir, la Cour signale que « la norme de contrôle applicable [est déterminée] en fonction de l’intention du législateur » (par. 30). La cour de justice appelée à déterminer la norme de contrôle applicable à la décision d’un tribunal administratif sur l’intérêt pour agir doit donc examiner le libellé de la disposition habilitante. Dans Northrop Grumman, par exemple, la question qui se posait sur le plan de l’intérêt pour agir était celle de savoir si un fournisseur non canadien pouvait, sous le régime de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, L.R.C. 1985, c. 47 (4e suppl.), présenter une plainte concernant un marché public de produits militaires. Pour trancher, la Cour examine d’abord le par. 30.11(1), qui dispose que « [t]out fournisseur potentiel peut [. . .] déposer une plainte auprès du Tribunal concernant la procédure des marchés publics suivie relativement à un contrat spécifique et lui demander d’enquêter sur cette plainte ». Elle relève ensuite que suivant le par. 3(1) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93 602, un « contrat spécifique » est un contrat visé par certains accords commerciaux, dont l’Accord sur le commerce intérieur, (1995) 129 Gaz. Can. I, 1323, lequel exige que, dans un « contrat spécifique », le fournisseur soit un « fournisseur canadien ».
[79] Ce qu’il faut retenir de ce qui précède est que la disposition qui conférait au tribunal administratif son pouvoir dans Northrop Grumman, de pair avec le règlement et l’Accord sur le commerce intérieur incorporé par renvoi par ce règlement, restreignait expressément la catégorie des fournisseurs admis à présenter une plainte. C’est pourquoi, dans cette affaire, l’intérêt pour agir soulevait une question de compétence : le libellé de la disposition qui lui conférait son pouvoir permettait seulement au tribunal administratif de se saisir des plaintes d’une catégorie de personnes donnée. S’il avait entendu la plainte de qui que ce soit d’autre, il aurait outrepassé son pouvoir, ce qui aurait constitué une erreur touchant à la compétence.
[80] Cela nous amène à la raison pour laquelle l’intérêt pour agir du Dr Guérin vis à vis du conseil d’arbitrage ne soulève pas en l’espèce une question de compétence. Il faut se souvenir que l’arbitre tire son pouvoir de l’art. 54 de la Loi sur l’assurance maladie, dont voici le passage pertinent :
Un différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile.
[81] La forme passive — « est soumis » (en anglais, « is submitted ») — est employée sans précision de l’identité de la partie qui « soumet » le différend, contrairement à ce qui est le cas dans la disposition en cause dans Northrop Grumman (un « fournisseur canadien »). Ainsi, la décision de l’arbitre concernant l’intérêt pour agir du Dr Guérin est, comme l’affirment nos collègues les juges Wagner et Gascon dans leurs motifs, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, mais elle l’est principalement parce que, aux termes de l’art. 54, le pouvoir d’un conseil d’arbitrage ne se limite pas à entendre les différends soumis par une catégorie de personnes en particulier.
[82] Une dernière remarque s’impose. Bien que nous convenions avec nos collègues du caractère raisonnable de la décision de l’arbitre sur l’intérêt pour agir du Dr Guérin, nous ne partageons pas leur crainte d’un accroissement insoutenable du recours à l’arbitrage (par. 58 59) advenant que le Dr Guérin se voie reconnaître l’intérêt pour agir. Cette éventualité milite selon eux contre la reconnaissance de l’intérêt pour agir alors que, selon nous, elle milite en sa faveur. En effet, plus il y a de personnes dans la situation difficile où se trouve le Dr Guérin, plus il est impérieux de permettre que leurs différends soient soumis à un décideur impartial.

Les motifs suivants ont été rendus par

LA JUGE CÔTÉ —
[83] Je ne saurais mieux dire que mes collègues les juges Brown et Rowe en ce qui a trait à la détermination de la norme de contrôle applicable à la question de la compétence de l’arbitre. Je souscris donc à leurs motifs quant à cette question. En d’autres mots, je suis d’avis que la question de savoir si l’arbitre pouvait entendre l’affaire de l’intimé, le Dr Ronald Guérin, soulève une question véritable de compétence, et que c’est la norme de la décision correcte qui s’y applique. Comme les juges Brown et Rowe, je suis d’avis que l’arbitre a erré en concluant qu’il n’avait pas la compétence pour entendre l’affaire dont il était saisi.
[84] J’ai également pris connaissance de la discussion par mes collègues les juges Brown et Rowe portant sur la détermination de la norme de contrôle applicable à la question de l’intérêt de l’intimé pour agir, sauf qu’à mon avis, sur la base de leur raisonnement, ils auraient dû conclure que la norme applicable en l’espèce à la question de l’intérêt pour agir est celle de la décision correcte. En effet, la question de l’intérêt pour agir peut parfois en être une de compétence, auquel cas la norme de révision applicable est celle de la décision correcte (Northrop Grumman Overseas Services Corp. c. Canada (Procureur général), 2009 CSC 50, [2009] 3 R.C.S. 309, par. 10). En l’espèce, je suis d’avis que la question de l’intérêt pour agir en est une de compétence puisqu’ici, selon l’interprétation que fait l’arbitre de la Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29 (« LAM ») et de l’Accord-cadre entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie (« Accord-cadre »), il ne peut entendre un différend logé par un médecin spécialiste, sauf s’il s’agit d’un différend relatif à une contestation d’honoraires.
[85] Toutefois, toujours sur cette question, même en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable, je suis d’avis que l’arbitre a erré en concluant que l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir en l’espèce. Le seul point de discorde avec les juges Brown et Rowe qui mérite d’être discuté plus longuement porte donc sur le contrôle de la décision de l’arbitre au sujet de l’intérêt pour agir de l’intimé.

A. La décision de l’arbitre est déraisonnable
[86] Sous la norme de contrôle de la décision raisonnable, cette Cour doit déterminer si la décision de l’arbitre est justifiée, transparente et intelligible, ainsi que si elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). À mon avis, il faut répondre par la négative à cette question : la décision de l’arbitre ne se justifie ni au regard des faits ni au regard du droit.
[87] Plus précisément, la conclusion de l’arbitre selon laquelle l’intimé n’avait pas l’intérêt pour loger son différend est déraisonnable dans la mesure où elle se fonde (1) sur une caractérisation erronée de la nature du différend et (2) sur une interprétation erronée de l’art. 54 de la LAM.

(1) La conclusion de l’arbitre est fondée sur une caractérisation erronée de la nature du différend
[88] Selon mes collègues les juges Wagner et Gascon, « l’arbitre a conclu que l’objet du recours du Dr Guérin était de déclarer les laboratoires reconnus pour la période visée par la demande » et « [e]n révision judiciaire, le rôle de la Cour supérieure et de la Cour d’appel se limitait à déterminer si la sentence arbitrale était raisonnable, y compris en ce qui touche l’objet du litige » (par. 39 et 41). Ils semblent ainsi suggérer que la détermination de l’objet d’un litige lie les tribunaux et qu’une telle détermination n’est pas sujette à révision judiciaire. Or, il est évident que l’identification erronée de l’objet d’un litige par un décideur administratif peut être matière à révision judiciaire. Une conclusion d’un décideur administratif pourrait être déraisonnable parce qu’elle est fondée sur une mauvaise caractérisation du litige dont il est saisi. À mon avis, c’est exactement ce qui s’est produit en l’espèce.
[89] L’arbitre notait qu’ « [u]n membre ou un regroupement de membres de la [Fédération des médecins spécialistes du Québec] ne peut faire le chemin inverse et par voie d’arbitrage faire critiquer et modifier la recommandation du comité conjoint avalisée par la Fédération des médecins spécialistes » (sentence arbitrale, par. 52, reproduite au d.a., p. 29). Il a donc conclu que l’intimé ne pouvait « pas être admis à demander à un conseil d’arbitrage de modifier, à son égard, les règles que les parties à l’Accord-cadre, et exclusivement elles, ont négocié » (par. 57).
[90] Or, il s’agit là d’une qualification erronée de la nature du litige. L’intimé n’a jamais demandé que soient modifiées les règles que les parties à l’Accord-cadre ont négociées. Au contraire, c’est l’interprétation et l’application des conditions de reconnaissance par la Fédération des médecins spécialistes du Québec et la Régie de l’assurance maladie du Québec qui étaient contestées par l’intimé. C’est ainsi qu’il a qualifié l’objet du différend dans son avis de différend :
1. Le différend porte sur l’interprétation et l’application de l’article 4. 1 iv) du Protocole concernant la radiologie diagnostique de l’Accord-cadre entre le Ministre de la santé et des services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur L’assurance maladie, introduit par la Modification 49 puis remplacé par la Modification 54 de cet accord;

2. Le différend résulte de décisions des défendeurs par lesquelles ils reconnaissent les laboratoires d’imagerie médicale (LIM) au sein desquels exercent le demandeur et ses mandants aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation prévu au Protocole concernant la radiologie diagnostique, avec prise d’effet le 21 juin 2011;

3. Le demandeur soumet que l’interprétation correcte des textes normatifs applicables commandait qu’ils soient appliqués de manière à ce que les décisions des défendeurs de reconnaitre les LIM concernés permettent au demandeur et à ses mandants de réclamer auprès de la Régie de l’assurance maladie du Québec les honoraires de numérisation prévus au Protocole depuis le 1er juin 2009; [reproduit au par. 2 de la sentence arbitrale.]
[91] L’intimé concède d’ailleurs qu’il n’aurait pas l’intérêt pour agir en contestation des critères d’une entente dûment conclue en vertu de l’art. 19 de la LAM. Plutôt, l’intimé prétendait devant l’arbitre que les conditions de reconnaissance d’un laboratoire aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation prévu par l’entente avaient été erronément interprétées et appliquées, et que les laboratoires en cause auraient conséquemment dû être reconnus aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation pour la période en question.
[92] C’est exactement ce qu’il demandait à l’arbitre dans son avis de différend :

LE CONSEIL D’ARBITRAGE est prié de faire droit aux conclusions qui suivent :

DÉCLARER qu’en date du 1er juin 2009, les laboratoires d’imagerie médicale dont les noms suivent devaient être reconnus aux fins de l’article 4 du Protocole concernant la radiologie diagnostique de l'Accord-cadre entre le Ministre de la santé et des services sociaux et la Fédération de médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie, introduit par la Modification 49 de cet accord; [Je souligne ; sentence arbitrale, par. 2.]
[93] Je suis d’accord avec le juge Schrager qui s’exprime pour la majorité de la Cour d’appel lorsqu’il dit que le « médecin conteste l’application à sa situation particulière des conditions existantes et prévues à l’article 4. Or, ce que demande l’intimé n’équivaut pas à demander la (re)-négociation de l’article 4 quand il est question de l’interprétation et l’application de l’article proposé par la Fédération » (2015 QCCA 1726, par. 39 (CanLII)).
[94] La façon dont l’arbitre a caractérisé la nature du différend en l’espèce fait donc complètement fi de l’avis de différend qui l’instituait.
[95] À mon avis, dans la mesure où elle se fonde sur une caractérisation erronée de la nature du différend, on ne peut dire que la conclusion voulant que l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir est raisonnable, puisque celle-ci n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard » de la procédure instituant le différend et eu égard à la déclaration que l’intimé demandait à l’arbitre d’émettre (Dunsmuir, par. 47). Je ne suggère pas que l’arbitre était nécessairement lié par la caractérisation du différend proposé par l’intimé. Ma position, plutôt, est que pour que sa décision soit jugée justifiée, transparente et intelligible, nous devons au moins être en mesure de comprendre pourquoi l’arbitre a décidé comme il l’a fait. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

(2) La conclusion de l’arbitre est fondée sur une interprétation erronée de l’art. 54 de la LAM
[96] Pour en arriver à la conclusion que l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir, l’arbitre a interprété l’art. 54 de la LAM restrictivement, faisant ainsi fi des principes d’interprétations applicables, au point d’ignorer l’existence de cette disposition. Par exemple, il note ce qui suit aux par. 48 et 49 :
Pour que le conseil d’arbitrage puisse intervenir en semblable matière, il aurait fallu qu’il existât soit dans la Loi, ce qui n’est pas le cas, soit à l’Accord-cadre un texte clair donnant à un médecin spécialiste ou un regroupement de tels médecins, le pouvoir soit de négocier l’accès à la reconnaissance, soit de contester en arbitrage la recommandation jugée insatisfaisante faite par le comité conjoint [à] l’article 4.4 [du Protocole concernant la radiologie diagnostique].

Les parties négociantes n’ont pas voulu donner au conseil d’arbitrage un droit de regard en cette matière, pas plus qu’elles n’ont permis la contestation individuelle ou collective d’une recommandation du comité conjoint ou de sa mise en application par la Régie de laquelle c’est l’autorité de donner « suite aux avis transmis par les parties négociantes et comportant l’information nécessaire à l’application ou à la cessation de l’application de l’honoraire de numérisation dans un laboratoire et un secteur d’activités radiologiques désignées (article 4.6 [du Protocole concernant la radiologie diagnostique]). »
Au par. 52, il renchérit comme suit :
Un membre ou un regroupement de membres de la [Fédération] ne peut faire le chemin inverse et par voie d’arbitrage faire critiquer et modifier la recommandation du comité conjoint avalisée par la Fédération des médecins spécialistes. Nulle part dans la [LAM] ni dans l’Accord-cadre ne trouvera-t-on un texte permettant au conseil d'arbitrage de substituer son opinion à celle du comité conjoint et à la détermination que font à la suite du dépôt de son rapport, les parties négociantes. Si les parties négociantes avaient voulu qu’un membre de la [Fédération] ou un groupe de ceux-ci puisse contester une recommandation du comité conjoint, devant un conseil d’arbitrage, il aurait fallu qu’elles s’en expriment clairement à l'effet que le travail et les conclusions du comité conjoint pouvaient par voie de différend être remis en question et modifiés.

[97] À mon avis, le fondement juridique dont l’arbitre questionne l’existence se trouve justement dans l’art. 54 de la LAM, qui prévoit ce qui suit:
54. Un différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile.

La composition du conseil d’arbitrage et la nomination de ses membres peuvent être déterminées dans une entente. À défaut, elles sont déterminées par le ministre du Travail après consultation des organismes représentatifs des professionnels de la santé.
[98] Je partage l’avis de la majorité de la Cour d’appel lorsqu’elle dit que « l’article 54 de la [LAM] est un “texte clair” dans le sens où il est rédigé en termes larges qui ne permettent pas d’ajouter implicitement ou contextuellement une interprétation qui limite à la Fédération et au Ministère, l’intérêt requis pour demander l’arbitrage » (par. 34 (note de bas de page omise)).
[99] J’abonde aussi dans le même sens que la majorité de la Cour d’appel lorsqu’elle conclut que « l’arbitre a limité l’application de l’art. 54 [de la LAM] en se basant en partie sur les articles 20.2 et 20.5 de l’Annexe 1 de l’Accord-cadre » et que « [c]eci est une erreur de droit et l’interprétation de l’arbitre qui en résulte n’est ni rationnelle ni une issue possible au débat » (par. 29). Je rappelle que l’art. 20.2 de l’annexe 1 de l’Accord-cadre prévoit les modalités d’un recours en contestation des honoraires, et que l’art. 20.5 de la même annexe prévoit que la Fédération peut former un différend collectif contre le Ministre, la Régie ou un établissement.
[100] L’arbitre, en accueillant les objections préliminaires dont il était saisi, a complétement ignoré le principe fondamental de la hiérarchie des normes, qu’on peut résumer ainsi :
Dans tout système juridique, il existe une hiérarchie des normes juridiques ; à la base il y a la Constitution, sur laquelle se fondent les lois ordinaires, puis il y a les règlements et enfin les actes administratifs particuliers et les actes matériels d’exécution. Les principes de la supériorité de la Constitution et de la suprématie du Parlement sont ce qu’on pourrait appeler la base constitutionnelle de notre droit administratif. De là découle la règle fondamentale qui veut que tout pouvoir de l’Administration est nécessairement un pouvoir délégué, que tout acte de l’Administration tire sa seule force d’une loi du Parlement ou de la législature. C’est ce que la Cour suprême affirmait en 1943 : « Tout arrêté en conseil, tout règlement, tout ordre, émanant directement du gouvernement en conseil ou de quelque autre agent, tire sa force d’une loi du Parlement » . . .

. . .

Ce principe s’applique aux actes réglementaires, considérés comme étant de la « législation déléguée », comme aux décisions particulières et aux contrats.

(P. Garant, avec la collaboration de P. Garant et J. Garant, Droit administratif (6e éd. 2010), p. 200)
[101] Il découle de ce principe que c’est la portée de l’annexe 1 de l’Accord-cadre qui doit dépendre de la LAM et non l’inverse. Interpréter la portée d’une loi en référant à la législation déléguée et aux contrats qu’elle autorise (l’Accord-cadre en l’occurrence) fait violence à la structure de l’ordre juridique mis en place par la LAM. Un tel raisonnement est aussi erroné que celui qui tenterait de circonscrire la portée et le contenu d’un droit garanti par la Charte canadienne des droits et libertés en s’inspirant de la façon dont il a été mis en œuvre par le législateur.
[102] Les art. 20.2 et 20.5 de l’annexe 1 de l’Accord-cadre ne peuvent donc avoir préséance sur l’art. 54 de la LAM et limiter sa portée en l’absence d’une disposition législative expresse à cet effet. La LAM est une loi d’ordre public (art. 104.1) qui ne saurait être rendue inapplicable par une entente. Son caractère d’ordre public empêche les parties de conclure une entente qui priverait l’art. 54 d’effet à l’égard de l’intimé (Syndicat de la fonction publique du Québec c. Québec (Procureur général), 2010 CSC 28, [2010] 2 R.C.S. 61, par. 41). À mon avis, on ne peut dire d’une interprétation qui suggère autrement qu’elle est raisonnable.
[103] De plus, l’art. 41 de la Loi d’interprétation, RLRQ, c. I-16 prévoit que « toute disposition d’une loi est réputée avoir pour objet de reconnaître des droits, d’imposer des obligations ou de favoriser l’exercice des droits, ou encore de remédier à quelque abus ou de procurer quelque avantage » et qu’« [u]ne telle loi reçoit une interprétation large, libérale, qui assure l’accomplissement de son objet et l’exécution de ses prescriptions suivant leurs véritables sens, esprit et fin. » Il s’ensuit que le droit, prévu à l’art. 54 de la LAM, de soumettre à un conseil d’arbitrage tout différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente doit recevoir une interprétation large et libérale.
[104] L’article 54 de la LAM est rédigé en des termes larges et clairs. C’est « [u]n différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente [qui] est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile. » Sa portée ne peut être restreinte par une entente puisque la LAM ne prévoit pas de restriction possible.
[105] Comme la juge de première instance le remarque, le terme « différend » à l’art. 54 de la LAM n’est pas défini dans celle-ci et puisqu’il est ainsi, il faut s’en remettre aux définitions usuelles et courantes. Elle cite la définition du Petit Robert, selon laquelle un différend constitue un « [d]ésaccord résultant d’une différence d’opinions, d’une opposition d’intérêts entre deux ou plusieurs personnes » (2013 QCCS 6950, par. 24 (CanLII), voir aussi Le Petit Robert (nouv. éd. 2012), p. 736). La majorité de la Cour d’appel abonde en ce sens et ajoute une autre définition, celle du Dictionnaire de droit québécois et canadien, selon laquelle un différend constitue un « désaccord entre deux ou plusieurs personnes » (par. 24 citant H. Reid, avec la collaboration de S. Reid, Dictionnaire de droit québécois et canadien (4e éd. 2010), p. 202).
[106] À mon avis, lorsque les parties négociantes « déterminent et désignent les laboratoires de radiologie générale qui sont reconnus aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation » en application de l’art. 4.5 du Protocole concernant la radiologie diagnostique, elles interprètent et appliquent l’entente au sens de l’art. 54 de la LAM. Le différend soumis à l’arbitre résulte alors d’une différence d’opinions entre les médecins spécialistes et les parties négociantes. Il n’y a pas lieu de limiter la portée de l’art. 54 de la LAM, particulièrement son concept de « différend », aux désaccords entre la Fédération et le Ministre comme l’a fait l’arbitre.
[107] On ne peut dire non plus que le monopole représentatif détenu par la Fédération s’étend également à l’interprétation et à l’application de l’entente comme le suggèrent mes collègues les juges Wagner et Gascon. Certes, la Fédération détient un monopole, reconnu par le ministre, et que l’intimé ne conteste pas d’ailleurs, afin de négocier une entente en vertu de l’art. 19 de la LAM. Toutefois, l’étendue du monopole de la Fédération se termine avec la conclusion d’une telle entente. La position voulant que le monopole de la Fédération s’étende également à l’application de l’entente se réconcilie difficilement avec le fait que, généralement, « [l]a Régie a pour fonction d’administrer et d’appliquer les programmes du régime d’assurance maladie institué par la [LAM] ainsi que tout autre programme que la loi ou le gouvernement lui confie » (Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec, RLRQ, c. R-5, art. 2). C’est pourquoi la LAM permet à un médecin spécialiste de porter en arbitrage une question d’interprétation ou d’application de l’Accord-cadre conformément aux art. 22.0.1 et 22.2 de la LAM, lorsque la Régie refuse de lui verser un honoraire ou en réclame le remboursement. Cela dit, l’existence de ces recours spécifiques, lesquels opposent le médecin spécialiste et la Régie, ne réduisent aucunement l’existence et la portée du recours plus large prévu par l’art. 54 de la LAM pour tout autre différend résultant de l’interprétation ou de l’application d’une entente, lequel pourrait notamment opposer le médecin spécialiste et la Fédération.
[108] Je note également que la position de mes collègues quant à la portée du monopole de la Fédération repose sur des principes du droit du travail québécois (Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207, par. 41). Or, le régime de la LAM ne comprend pas de disposition spécifique permettant à la Fédération d’exercer tous les recours que l’Accord-cadre accorde aux médecins spécialistes, comme c’est le cas pour le régime du droit du travail mis en place par le Code du travail, RLRQ, c. C-27, art. 69. Il n’est pas sage, à mon avis, d’importer des principes du droit du travail, tel que celui du monopole de représentation accordé à un syndicat, dans le régime de la LAM sans que celui-ci ne le spécifie expressément.
[109] Selon les juges Wagner et Gascon, l’interprétation de l’art. 54 de la LAM que je propose entraînerait un accroissement inacceptable ou inapproprié du recours à l’arbitrage. À cet égard, je fais mien l’argument de mes collègues les juges Brown et Rowe voulant qu’au contraire, « plus il y a de personnes dans la situation difficile où se trouve le Dr Guérin, plus il est impérieux de permettre que leurs différends soient soumis à un décideur impartial » (par. 82). Cela milite certainement en faveur de la position qu’il était déraisonnable pour l’arbitre de conclure que l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir, empêchant ainsi l’intimé d’avoir accès au forum prévu par le législateur pour soumettre un différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente.
[110] Sur ce dernier point, les juges Wagner et Gascon sont d’avis que l’arbitre n’a pas retiré à l’intimé tous ses recours, car « [l]es tribunaux de droit commun conservent leur compétence dans l’éventualité où il estimerait que la Fédération ne s’est pas bien acquittée de son obligation de représentation » (par. 60). Or, il est illusoire de prétendre que les tribunaux de droit commun auraient été un forum approprié pour l’intimé puisque, comme mes collègues le reconnaissent pourtant, le devoir de représentation de la Fédération se limite à certains types de conduite : la mauvaise foi, la discrimination, le comportement arbitraire et la négligence grave (Noël, par. 46). En l’espèce, l’intimé allègue que la Fédération a mal interprété et appliqué les conditions de reconnaissances de son laboratoire aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation prévu par l’entente, ce qui ne correspond à aucun des types de conduites auxquels mes collègues font allusion.
[111] En somme, en plus de faire fi du principe fondamental de la hiérarchie des normes en limitant la portée de la LAM en prenant appui sur l’entente qu’elle autorise, l’arbitre a également omis d’appliquer les principes d’interprétation pertinents et codifiés par le législateur. La conclusion de l’arbitre selon laquelle l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir repose sur une interprétation erronément restrictive de la LAM et n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des principes d’interprétation applicables (Dunsmuir, par. 47). Elle est donc déraisonnable.

B. Conclusion
[112] À mon avis, l’arbitre a erré en concluant qu’il n’avait pas la compétence requise pour entendre le différend logé par l’intimé. Il a également erré en concluant que l’intimé n’avait pas l’intérêt pour agir. Je rejetterais donc l’appel.

ANNEXE
(Dispositions législatives et contractuelles pertinentes)

Loi sur l’assurance maladie, RLRQ, c. A-29

22.0.1 Lorsque la Régie est d’avis qu’un professionnel de la santé ou un tiers a exigé paiement d’une personne assurée à l’encontre de la présente loi, alors que rien dans les règlements ne le permet ou a exigé plus que le montant qui aurait été payé par la Régie à un professionnel soumis à l’application d’une entente pour les services assurés fournis à une personne assurée qui n’a pas présenté sa carte d’assurance maladie, son carnet de réclamation ou sa carte d’admissibilité, elle rembourse à la personne assurée la somme ainsi versée et en avise par écrit le professionnel de la santé ou le tiers. La Régie effectue un tel remboursement uniquement lorsque la personne assurée lui en fait la demande écrite dans l’année suivant la date du paiement.

Une somme ainsi remboursée et les frais d’administration prescrits constituent une dette envers la Régie et peuvent être recouvrés de ce professionnel de la santé ou de ce tiers par compensation ou autrement, à l’expiration d’un délai de 30 jours à compter de la date de cet avis.

Dans les six mois de la compensation, le professionnel de la santé peut se pourvoir à l’encontre de la décision de la Régie devant la Cour supérieure ou la Cour du Québec, selon leur compétence respective ou, lorsqu’il s’agit d’une question d’interprétation ou d’application d’une entente, devant un conseil d’arbitrage créé en vertu de l’article 54. Il incombe au professionnel de la santé de prouver que la décision de la Régie est mal fondée.

. . .

22.2 Lorsque la Régie est d’avis que des services dont le paiement est réclamé par un professionnel de la santé ou pour lesquels il a obtenu paiement au cours des 36 mois précédents, étaient des services fournis non conformément à l’entente, elle peut refuser le paiement de ces services ou procéder à leur remboursement par compensation ou autrement, selon le cas. Les différends résultant du présent alinéa sont tranchés par le conseil d’arbitrage institué par l’article 54.

Lorsque la Régie, suite à une enquête, est d’avis que des services dont le paiement est réclamé par un professionnel de la santé ou pour lesquels il a obtenu paiement au cours des 36 mois précédents, étaient des services qui n’ont pas été fournis, qu’il n’a pas fournis lui-même ou qu’il a faussement décrits, ou des services non assurés, des services non considérés comme assurés par règlement ou des services non déterminés comme services assurés par règlement, elle peut refuser le paiement de ces services ou procéder à leur remboursement par compensation ou autrement, selon le cas.

Lorsque la Régie décide de refuser le paiement de services ou de procéder à compensation, elle doit informer le professionnel de la santé des motifs de sa décision.

Dans les cas prévus au présent article, il appartient au professionnel de la santé de prouver que la décision de la Régie est non fondée.

Le professionnel de la santé qui veut se pourvoir d’une décision de la Régie devant la Cour supérieure ou la Cour du Québec, selon leur compétence respective, doit le faire dans les six mois de la réception de cette décision.

Pour l’application de la présente loi dans le cadre du régime général d’assurance médicaments, les deuxième, troisième, quatrième et cinquième alinéas s’appliquent à un établissement en y faisant les adaptations nécessaires.

. . .

54. Un différend qui résulte de l’interprétation ou de l’application d’une entente est soumis à un conseil d’arbitrage, exclusivement à tout tribunal de juridiction civile.

La composition du conseil d’arbitrage et la nomination de ses membres peuvent être déterminées dans une entente. À défaut, elles sont déterminées par le ministre du Travail après consultation des organismes représentatifs des professionnels de la santé.

Accord-cadre entre le ministre de la Santé et des Services sociaux et la Fédération des médecins spécialistes du Québec aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie

ANNEXE 1

. . .

TITRE 1.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES

. . .

ARTICLE 3.
REPRÉSENTATION

3.1 La Ministre reconnaît la Fédération comme le seul organisme représentatif des médecins spécialistes pour la négociation et l’application de toute entente relative aux services médicaux ainsi qu’aux fonctions médico-administratives exercées en centre hospitalier.

Cette reconnaissance engage la Régie et tout établissement.

. . .

TITRE V.
PROCÉDURE D’ARBITRAGE

ARTICLE 20.
DIFFÉREND

20.1 Un différend est logé par un médecin spécialiste ou la Fédération, conformément au présent titre.

On distingue le différend en contestation d’honoraires et le différend collectif.

1. DIFFÉREND EN CONTESTATION D’HONORAIRES
20.2 Un médecin spécialiste auquel la Régie oppose un refus de paiement ou demande un remboursement, peut former un différend.

Pour le médecin qui n’a pas présenté de demande de révision, ce différend doit être logé dans les six mois de la réception de la décision de la Régie concernant un refus de paiement ou une demande de remboursement.

Pour le médecin qui a présenté une demande de révision, ce différend doit être logé dans les six mois de la réception de la décision de la Régie qui fait suite au processus de représentations prévu à l’article 15.

La production d’un avis de différend met fin au processus de représentations.

La Fédération peut, dans les mêmes circonstances, agir pour le compte d’un ou plusieurs médecins spécialistes.

20.3 Il n’y a pas ouverture au différend en contestation d’honoraires, si le litige est de la compétence exclusive de la Commission des Affaires sociales.

20.4 Un médecin spécialiste peut former un différend contre un établissement, s’il y a litige au sujet de l’application de son contrat de services professionnels.

2. DIFFÉREND COLLECTIF
20.5 La Fédération peut former un différend collectif contre la Ministre, la Régie ou un établissement.

Elle peut ainsi soulever tout désaccord au sujet de l’application de cette entente.

Elle peut, de même, attaquer tout instrument administratif — tels une directive, une circulaire, un contrat d’affiliation ou un plan d’organisation — qu’elle prétend être en contravention de cette entente.

ANNEXE 5
TARIF DE LA MÉDECINE DE LABORATOIRE

. . .

PROTOCOLE CONCERNANT LA RADIOLOGIE DIAGNOSTIQUE

. . .

ARTICLE 4
HONORAIRE DE NUMÉRISATION : RECONNAISSANCE DES LABORATOIRES

4.1 Afin de favoriser la numérisation des équipements radiologiques dans les laboratoires de radiologie générale, un honoraire de numérisation (R=9) est applicable dans les laboratoires reconnus par les parties négociantes et pour les secteurs d’activités radiologiques désignés.

À cette fin, on reconnaît trois secteurs d’activités distincts, soit la radiologie générale, la mammographie et la fluoroscopie.

4.2 Afin d’être reconnu, un laboratoire de radiologie générale identifié au répertoire prévu à l’article 1 doit satisfaire aux conditions suivantes :

i) L’ensemble des équipements du laboratoire qui sont utilisés dans le secteur d’activités radiologiques pour lequel l’honoraire de numérisation est demandé doivent être numérisés ;

ii) Pour l’honoraire de numérisation applicable dans les secteurs d’activités de la mammographie ou de la fluoroscopie, l’ensemble des équipements utilisés dans le secteur d’activités de la radiologie générale doivent également être numérisés ;

iii) Le laboratoire doit disposer d’un PACS compatible aux normes exigées pour l’archivage des images dans le dépôt régional d’imagerie diagnostique et, via un lien réseau auquel on lui donne accès, alimenter ce dépôt régional selon ses capacités d’archivage.

Les frais du lien réseau sont à la charge du laboratoire, jusqu’à concurrence du coût du marché pour une ligne commerciale standard, tous frais excédentaires étant à la charge du ministère de la Santé et des Services sociaux ou d’un autre organisme qu’il désigne.

iv) L’ensemble de l’équipement radiologique et le PACS utilisés dans le laboratoire de radiologie générale pour lequel un honoraire de numérisation est demandé (ci-après désignés les « équipements radiologiques ») doivent appartenir et profiter majoritairement à des médecins spécialistes en radiologie qui exercent dans le cadre du régime d’assurance maladie (ci-après désignés les “médecins radiologistes”).

. . .

4.3 Le médecin spécialiste en radiologie qui souhaite obtenir la reconnaissance d’un laboratoire de radiologie générale aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation doit présenter une demande à cet effet aux parties négociantes.

Il doit indiquer le secteur d’activités radiologiques pour lequel l’honoraire de numérisation est demandé et fournir toute l’information et la documentation nécessaire à l’analyse de sa demande et permettant de constater que les conditions mentionnées à l’article 4.2 sont rencontrées.

4.4 Est créé un comité conjoint composé en parts égales de représentants de la Fédération et du ministère de la Santé et des Services sociaux auxquelles sont soumises les demandes de reconnaissance présentées en vertu de l’article 4.3 aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation.

Au terme de son analyse, le comité conjoint fait une recommandation aux parties négociantes.

4.5 Suite aux recommandations du comité conjoint, les parties négociantes déterminent et désignent les laboratoires de radiologie générale qui sont reconnus aux fins de l’application de l’honoraire de numérisation ainsi que le secteur d’activités radiologiques visé.

4.6 La Régie donne suite aux avis transmis par les parties négociantes et comportant l’information nécessaire à l’application ou à la cessation d’application de l’honoraire de numérisation dans un laboratoire et un secteur d’activités radiologiques désignés.

Pourvoi accueilli avec dépens devant toutes les cours, la juge CÔTÉ est dissidente.
Procureur de l’appelante : Bernard, Roy (Justice Québec), Montréal.
Procureurs de l’intimé : Bélanger Sauvé, Montréal.
Procureurs de l’intervenante la Fédération des médecins spécialistes du Québec : Municonseil avocats inc., Montréal.

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE : Motifs des juges Brown et Rowe

CORAM : La juge en chef McLachlin et les juges Karakatsanis, Wagner, Gascon, Côté, Brown et Rowe

MOTIFS CONJOINTS DE JUGEMENT :Les juges Wagner et Gascon (avec l’accord de la juge en chef McLachlin et la juge Karakatsanis)
MOTIFS CONJOINTS CONCORDANTS QUANT AU RÉSULTAT : Les juges Brown et Rowe
MOTIFS DISSIDENTS : La juge Côté

APPEL ENTENDU : 11 janvier 2017
JUGEMENT RENDU : 27 juillet 2017
DOSSIER : 36775

NOTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.


Synthèse
Référence neutre : 2017CSC42 ?
Date de la décision : 27/07/2017

Analyses

Droit administratif — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Arbitrage — Disposition législative prévoyant qu’un différend qui résulte de l’interprétation et de l’application d’une entente conclue aux fins de l’application de la Loi sur l’assurance maladie est soumis à un conseil d’arbitrage — Arbitre rejetant le différend soumis par un médecin spécialiste ; Droit de la santé — Assurance maladie — Médecins spécialistes — Régime spécialisé de négociation collective — Arbitrage — Nature du différend — Intérêt pour agir — Entente prévoyant la reconnaissance et la désignation des laboratoires d’imagerie médicale admissibles au versement d’un honoraire de numérisation — Médecin spécialiste contestant le refus de déclarer certains laboratoires admissibles au versement de l’honoraire

Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concluant à l’absence de différend arbitrable et d’intérêt pour agir? — Le différend soulève t il une question touchant véritablement à la compétence de l’arbitre? - Le recours formé par le médecin est il un différend arbitrable? — Le médecin a t il l’intérêt requis pour le former?


Parties
Demandeurs : Procureure générale du Québec
Défendeurs : Ronald Guérin
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 27 juillet 2017, 2017CSC42


Origine de la décision
Date de l'import : 13/02/2018
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2017-07-27;2017csc42 ?
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