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12/06/2020 | CANADA | N°2020CSC13

Canada | Canada, Cour suprême, 12 juin 2020, Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13


COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13

Appel entendu : 26 septembre 2019
Jugement rendu : 12 juin 2020
Dossier : 38332


 
Entre :
 
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique, Annette Azar-Diehl, Stéphane Perron et Marie‑Nicole Dubois
Appelants
 
et
 
Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et ministre de l’Éducation de la Colomb

ie-Britannique
Intimés
 
- et -win
 
Procureur général de la Nouvelle-Écosse, procureur général de l’Île-du-Prince-Édou...

COUR SUPRÊME DU CANADA
 
Référence : Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2020 CSC 13

Appel entendu : 26 septembre 2019
Jugement rendu : 12 juin 2020
Dossier : 38332

 
Entre :
 
Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique, Annette Azar-Diehl, Stéphane Perron et Marie‑Nicole Dubois
Appelants
 
et
 
Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique
Intimés
 
- et -win
 
Procureur général de la Nouvelle-Écosse, procureur général de l’Île-du-Prince-Édouard, procureur général de la Saskatchewan, procureur général de l’Alberta, procureur général de Terre-Neuve-et-Labrador, procureur général des Territoires du Nord-Ouest, Commissaire aux langues officielles du Canada, Réseau des groupes communautaires du Québec, David Asper Centre for Constitutional Rights, Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick inc., Association des enseignantes et enseignants francophones du Nouveau-Brunswick inc., Fédération nationale des conseils scolaires francophones, Association des parents de l’école Rose-des-Vents, Association des parents de l’école des Colibris, Canadian Association for Progress in Justice, Société de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, Fédération des conseils d’éducation du Nouveau‑Brunswick, Assembly of Manitoba Chiefs, Commission nationale des parents francophones, Conseil scolaire francophone provincial de Terre-Neuve-et-Labrador et Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques
Intervenants
 
 
Traduction française officielle : Motifs des juges Brown et Rowe
 
Coram : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer
 
 
Motifs de jugement :
(par. 1 à 187)

 
Le juge en chef Wagner (avec l’accord des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Martin et Kasirer)

 

 

Motifs conjoints dissidents en partie :
(par. 188 à 348)

Les juges Brown et Rowe

 
 
Note : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts de la Cour suprême du Canada.
 

 

 

conseil scolaire francophone c. c.‑b.
Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique,
Fédération des parents francophones de Colombie‑Britannique,
Annette Azar‑Diehl,
Stéphane Perron et
Marie‑Nicole Dubois                                                                                      Appelants
c.
Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie‑Britannique et
ministre de l’Éducation de la Colombie‑Britannique                                    Intimés
et
Procureur général de la Nouvelle‑Écosse,
procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard,
procureur général de la Saskatchewan,
procureur général de l’Alberta,
procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador,
procureur général des Territoires du Nord‑Ouest,
Commissaire aux langues officielles du Canada,
Réseau des groupes communautaires du Québec,
David Asper Centre for Constitutional Rights,
Association des juristes d’expression française du
Nouveau‑Brunswick inc., Association des enseignantes
et enseignants francophones du Nouveau‑Brunswick inc.,
Fédération nationale des conseils scolaires francophones,
Association des parents de l’école Rose‑des‑Vents,
Association des parents de l’école des Colibris,
Canadian Association for Progress in Justice,
Société de l’Acadie du Nouveau‑Brunswick,
Fédération des conseils d’éducation du Nouveau‑Brunswick,
Assembly of Manitoba Chiefs,
Commission nationale des parents francophones,
Conseil scolaire francophone provincial de Terre‑Neuve‑et‑Labrador et
Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques            Intervenants
Répertorié : Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique
2020 CSC 13
No du greffe : 38332.
2019 : 26 septembre; 2020 : 12 juin.
Présents : Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Brown, Rowe, Martin et Kasirer.
en appel de la cour d’appel de la colombie‑britannique
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Droit à l’instruction dans la langue de la minorité — Financement du système d’éducation de la minorité linguistique par la province — Échelle variable — Équivalence réelle — Justification des violations — Démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable pour déterminer le niveau de services qui doit leur être offert — Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’expérience éducative offerte aux minorités linguistiques officielles varie‑t‑il selon le nombre d’élèves de la minorité? — Les violations de ce droit sont‑elles justifiées? –– Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 23.
                    Droit constitutionnel — Charte des droits — Réparation — Dommages‑intérêts — Décision de la juge de première instance portant que la province doit verser des dommages‑intérêts pour compenser un conseil scolaire du déficit qu’il a subi en raison du gel du financement du transport scolaire — L’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages‑intérêts s’applique‑t‑elle aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23 de la Charte?
                    Le Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique (« CSF ») est le seul conseil scolaire francophone de la province, avec un territoire qui couvre l’ensemble de la Colombie‑Britannique et regroupe 37 écoles. En juin 2010, le CSF, la Fédération des parents francophones de Colombie‑Britannique et trois parents titulaires de droit au sens de l’art. 23 de la Charte (les « représentants de la minorité linguistique ») ont déposé une demande introductive d’instance à l’encontre de la province, soutenant que plusieurs aspects du financement du système d’éducation pénalisent la minorité linguistique officielle et violent les droits qui lui sont reconnus par l’art. 23 de la Charte. Les violations reprochées se divisent en deux catégories : la première regroupe les demandes de nature systémique (notamment le non‑accès à une subvention annuelle pour l’entretien des édifices, la formule utilisée pour prioriser les projets d’immobilisation, le manque de financement du transport scolaire et le manque d’accès à des espaces pour des activités culturelles) et la deuxième se compose des demandes en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou des améliorations à des écoles existantes dans 17 communautés.
                    La juge de première instance élabore une démarche permettant de situer le nombre d’élèves d’une collectivité donnée sur l’échelle variable, qui sert à déterminer le niveau de service auquel ont droit les minorités linguistiques officielles et permet de décider si la minorité a droit à une école homogène, à des installations éducatives partagées avec la majorité ou à une autre solution appropriée. Appliquant le cadre analytique qu’elle a établi, la juge prononce des jugements déclaratoires portant sur le droit à des installations éducatives dans plusieurs collectivités. La juge précise ensuite le critère pour déterminer la qualité de l’expérience éducative qui doit être offerte aux minorités linguistiques officielles, et conclut que, dans plusieurs communautés, les enfants des ayants droit doivent bénéficier d’installations leur offrant une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité, alors que, dans d’autres communautés, le nombre d’enfants des ayants droit ne justifie pas l’accès à une expérience éducative réellement équivalente, mais plutôt à une expérience éducative proportionnellement équivalente à celle offerte à la majorité. Puis, se penchant sur les principes d’interprétation qui doivent guider l’analyse des violations de l’art. 23 au regard de l’article premier de la Charte, la juge conclut que plusieurs violations des droits linguistiques des ayants droit sont justifiées au regard de l’article premier. Finalement, la juge estime que l’octroi de dommages‑intérêts n’est pas justifié pour la plupart des demandes formulées par les représentants de la minorité linguistique, mais elle statue que le gel du financement du transport scolaire alors que le nombre d’élèves de la minorité augmentait constitue une violation de l’art. 23 et ordonne le versement de six millions de dollars en dommage‑intérêts au CSF. Elle refuse toutefois d’accorder des dommages‑intérêts au CSF pour l’indemniser du fait qu’il a été privé du facteur rural de la subvention annuelle aux installations.
                    Les représentants de la minorité linguistique interjettent appel du jugement de la juge de première instance, plaidant qu’elle a commis plusieurs erreurs de droit dans son analyse en vue d’identifier les violations alléguées de l’art. 23 de la Charte, notamment dans sa démarche pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable et dans le critère qu’elle a retenu pour évaluer la qualité de l’expérience éducative offerte aux minorités linguistiques officielles; dans son examen de la justification des violations au regard de l’article premier; et dans l’octroi des réparations demandées. La Cour d’appel rejette l’appel, mais accueille l’appel incident formé par la province et annule l’octroi de dommages‑intérêts pour le financement inadéquat du transport scolaire.
                    Arrêt (les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli en partie.
                    Le juge en chef Wagner et les juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Martin et Kasirer : Les juridictions inférieures ont adopté une interprétation démesurément restrictive de l’art. 23 de la Charte et de son rôle dans l’ordre constitutionnel canadien. Cet article a un objet réparateur, qui vise à favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques officielles et à modifier le statu quo. Donnant à cette disposition une interprétation qui tient pleinement compte de son objet réparateur, et s’appuyant sur les conclusions de faits tirées par la juge de première instance, il y a lieu d’accueillir l’appel en partie.
                    Dans l’arrêt Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, la Cour a expliqué que, pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable, l’analyse doit se concentrer sur (1) les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves visés; et (2) le coût des services envisagés. Cependant, la Cour n’a pas défini exhaustivement ces deux facteurs. La marche à suivre pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable doit donc être précisée.
                    L’analyse du premier facteur, celui des besoins pédagogiques, consiste à se demander si, compte tenu du nombre d’élèves concernés, le niveau de services proposé par la minorité permet de répondre à toutes les exigences du programme d’études, à savoir les différentes connaissances et compétences que doivent acquérir les élèves durant leur parcours scolaire. Le second facteur de l’analyse, celui des coûts, est moins important que le premier facteur. Il s’entend des dépenses associées à la construction d’une nouvelle école ou au lancement d’un programme, ainsi qu’aux coûts d’exploitation qui s’y rattachent. En règle générale, les considérations pédagogiques et celles liées aux coûts sont imbriquées et s’apprécient simultanément.
                    La démarche pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable s’appuie sur la prémisse selon laquelle une école homogène, c’est‑à‑dire un établissement distinct et contrôlé par la minorité linguistique officielle, est justifié lorsqu’un nombre comparable d’élèves de la majorité dispose d’une telle école. La première étape consiste à déterminer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé, en s’appuyant sur des projections à long terme. Ce nombre se situe entre la demande connue et le nombre total d’enfants d’ayants droit visés à l’art. 23. Le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs de la minorité linguistique officielle.
                    À la deuxième étape, le tribunal doit recourir à une méthode comparative pour déterminer si l’école envisagée par la minorité est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts. La démarche vise à déterminer si le nombre d’élèves concernés de la minorité linguistique officielle est comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité. Les demandeurs de la minorité linguistique officielle ont le fardeau d’identifier des écoles de comparaison. Il faut faire preuve de souplesse dans l’appréciation de ce qui constitue un nombre comparable. Un nombre comparable ne signifie pas un nombre identique. Dans les cas où le tribunal constate que le nombre d’élèves de la minorité est comparable, localement, à celui des élèves de la majorité, il ne fait aucun doute que le nombre des premiers se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et que la minorité a droit à une école homogène. Dans les autres cas, l’exercice comparatif doit se réaliser sur une base provinciale pour assurer un traitement équitable partout dans la province.
                    La présence d’écoles de la majorité qui desservent un nombre donné d’élèves, peu importe leur emplacement dans la province, permet de présumer que la province considère que leur maintien est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts et donc qu’il est approprié de créer une école homogène de taille comparable pour la minorité. La province peut réfuter cette présomption en démontrant selon la prépondérance des probabilités soit que les écoles de la majorité utilisées à titre de comparaison ne sont pas des éléments comparatifs appropriés ou que l’école projetée par la minorité n’est pas appropriée sur le plan pédagogique ou des coûts.
                    La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services qui doit être offert à la minorité linguistique officielle. Si, à la deuxième étape, le tribunal conclut que le nombre d’élèves est comparable, et que la présomption n’est pas renversée, ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et la minorité est alors en droit de faire instruire ses enfants dans une école homogène. Lorsque la comparaison à l’échelle provinciale ne révèle pas de nombre comparable, le nombre d’élèves de la minorité se situe alors en deçà de la limite supérieure de l’échelle variable, c’est‑à‑dire au bas ou au milieu de celle‑ci. Les niveaux inférieurs de l’échelle variable permettent à la minorité de bénéficier d’une gamme de services allant de quelques heures de cours dans sa langue jusqu’à l’utilisation et au contrôle de locaux dans une école partagée avec la majorité. Dans ces situations, le tribunal doit faire preuve de déférence envers le niveau de services proposé par le conseil scolaire de la minorité linguistique pour déterminer si ce niveau de services est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts.
                    Lorsque cette démarche est appliquée en l’espèce aux demandes formulées par les représentants de la minorité linguistique en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou l’agrandissement d’écoles existantes, ils ont le droit de bénéficier de huit écoles homogènes qui leur ont été refusées par les juridictions inférieures. Ces écoles sont justifiées par le nombre d’élèves de la minorité dans ces communautés. La juge de première instance a estimé qu’à long terme, le nombre d’élèves de la minorité dans les communautés d’Abbotsford (volet primaire destiné aux enfants d’ayants droit dans la communauté d’Abbotsford et volet secondaire destiné aux enfants d’ayants droit dans les communautés de la vallée centrale du Fraser), de Burnaby, de Vancouver Nord‑Est, de Victoria Est et de Victoria Ouest justifiera la création d’écoles homogènes. Considérant que ce sont les projections à long terme qui sont pertinentes, ces communautés ont donc le droit d’obtenir des écoles homogènes.
                    Pour les communautés de Victoria Nord, de Whistler, de Chilliwack et de Pemberton, la juge de première instance a retenu une base de comparaison locale alors que la comparaison devait prendre en considération des écoles situées partout en province. En appliquant la démarche comparative appropriée, le nombre d’élèves qui vont se prévaloir en définitive du service — 98 pour Victoria Nord, 85 pour Whistler, 60 pour Chilliwack et 55 pour Pemberton — doit être comparé au nombre des élèves fréquentant les écoles de petite taille situées partout en province qui ont été retenues par la juge de première instance et pour lesquelles le dossier ne contient aucune preuve permettant de repousser la présomption qu’il est approprié de créer une école de taille comparable pour la minorité. Les effectifs dans ces écoles de la majorité varient entre 66 et 73 élèves. Les nombres pertinents pour Victoria Nord, Whistler et Chilliwack sont comparables à ceux des élèves fréquentant ces écoles majoritaires de comparaison. Ces communautés ont donc le droit d’obtenir des écoles homogènes. En ce qui a trait à Pemberton, le nombre d’élèves concernées y est difficilement comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité qui sont situées ailleurs dans la province et qui ont été retenues par la juge de première instance. Considérant que la preuve disponible est limitée et que des observations supplémentaires pourraient être nécessaires, la question du niveau de services auquel donne droit ce nombre d’élèves doit donc être renvoyée au tribunal de première instance pour réexamen.
                    Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’expérience éducative offerte aux minorités linguistiques officielles ne varie pas selon le nombre d’élèves de la minorité. L’article 23 confère aux minorités linguistiques officielles le droit à une instruction de qualité équivalente à celle de la majorité. Ainsi, les enfants des titulaires de droits reconnus à l’art. 23 doivent bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité peu importe la taille de l’école ou du programme en question. L’essentiel de la démarche établie dans l’arrêt Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139, qui permet d’examiner de façon holistique la qualité de l’expérience éducative offerte à la minorité linguistique officielle, ne nécessite aucune adaptation dans le cas de petites écoles de la minorité linguistique officielle, à l’exception du fait que le parent raisonnable doit tenir compte des particularités inhérentes à la fréquentation d’une petite école. En conséquence, dans le contexte des écoles de la minorité dont la taille n’est pas comparable aux écoles avoisinantes de la majorité, il faut se demander si des parents raisonnables, conscients des particularités inhérentes d’une petite école, seraient dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique officielle parce que l’expérience éducative qui y est offerte est véritablement inférieure à celle des écoles de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire. Même lorsque le nombre d’élèves se situe à la limite inférieure de l’échelle variable, donnant droit à l’instruction uniquement, les considérations énumérées dans l’arrêt Rose‑des‑vents doivent être prises en compte pour apprécier la qualité de l’expérience éducative d’un programme d’instruction; le droit à l’instruction ne peut être totalement dissocié de l’expérience éducative globale. Dans le cas d’une école hétérogène ou d’un programme d’instruction, l’analyse basée sur le critère de l’équivalence réelle permet de déterminer si l’instruction que contrôle la minorité et les installations auxquelles celle‑ci a accès sont de qualité suffisante.
                    À la lumière de ces indications, l’approche adoptée par les juridictions inférieures en l’espèce lorsque le nombre d’élèves n’était pas comparable à celui de la majorité doit être écartée car cette approche se fondait sur un critère dit de proportionnalité plutôt que sur celui de l’équivalence réelle. Les conclusions de la juge de première instance sont donc modifiées pour tenir compte de la conclusion que l’ensemble des ayants droit dont les enfants fréquentent les écoles ou suivent les programmes du CSF ont droit à une expérience éducative réellement équivalente à celle des écoles avoisinantes de la majorité.
                    Pour les écoles situées dans les communautés de Nelson, de Chilliwack et de Mission, la qualité de l’expérience éducative offerte doit être évaluée du point de vue du parent raisonnable, conscient des particularités inhérentes d’une petite école. En appliquant le critère de l’équivalence réelle et la démarche appropriée pour l’école du CSF située à Nelson, il y a lieu de souscrire à la conclusion de la juge de première instance selon laquelle l’expérience éducative dont jouissent les élèves de la minorité est équivalente à celle offerte aux élèves de la majorité. Pour l’école du CSF à Chilliwack, la mise en balance des avantages et des inconvénients démontre que l’expérience éducative qui y est offerte est d’une qualité véritablement inférieure à celles des écoles de la majorité. Ainsi, à Chilliwack, les enfants des ayants droit ne reçoivent pas la qualité d’expérience éducative qui leur est garantie par l’art. 23 de la Charte. Pour l’école du CSF à Mission, la situation est préoccupante, mais la preuve soumise est insuffisante pour effectuer l’examen holistique que commande le critère du parent raisonnable et conscient des particularités inhérentes d’une petite école. Il est donc nécessaire de renvoyer la question de la qualité de l’expérience éducative et de l’impact de l’indice d’état des installations sur cette situation au tribunal de première instance.
                    L’exigence de la province qui oblige le CSF à prioriser les projets d’immobilisation qu’il soumet même lorsque ceux‑ci sont une solution à des violations de l’art. 23 ne porte pas atteinte au droit de gestion garanti par l’art. 23 de la Charte. Pour ce qui est de déterminer le délai dont dispose la province pour réparer les violations de l’art. 23, chaque réparation est un cas d’espèce, mais la réparation doit néanmoins être apportée dans un délai utile.
                    Lorsqu’une violation de l’art. 23 est établie, les tribunaux doivent suivre la démarche qui a été établie dans l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103, en appliquant une norme particulièrement sévère en matière de justification. Cette norme des plus sévères s’impose pour trois raisons. Premièrement, en adoptant l’art. 23, les rédacteurs de la Charte ont imposé des obligations positives aux gouvernements provinciaux et territoriaux qui doivent être satisfaites en temps utile pour prévenir les risques d’assimilation et de perte des droits. Deuxièmement, l’art. 23 n’est pas visé par la clause de dérogation prévue à l’art. 33 de la Charte, ce qui témoigne de l’importance accordée à ce droit et de l’intention des constituants d’encadrer de façon stricte les dérogations à celui‑ci. Troisièmement, l’art. 23 comporte une limite interne, la justification par le nombre, qui exige l’existence d’un nombre suffisant d’élèves, pour justifier l’exercice du droit qu’il accorde. En adoptant cette limite, les constituants ont voulu tenir compte de considérations d’ordre pratique — notamment des coûts et des besoins pédagogiques — liées au nombre d’élèves qui peuvent bénéficier du droit reconnu. Lorsque l’argument invoqué par les gouvernements pour justifier une violation de l’art. 23 est d’ordre financier, l’analyse fondée sur l’article premier fait alors double emploi à certains égards avec l’analyse de la justification par le nombre qui a déjà été réalisée. Pour qu’une violation de l’art. 23 puisse être justifiée au regard de l’article premier, la justification ne doit donc pas s’appuyer sur des considérations qui ont déjà été prises en compte à l’étape de la justification par le nombre.
                    En ce qui concerne la deuxième étape de la démarche établie dans l’arrêt Oakes, — la proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit et l’objectif désigné comme important —, il faut tenir pleinement compte de l’assimilation en tant qu’effet préjudiciable lorsqu’il est porté atteinte au droit reconnu par l’art. 23. L’article 23 vise non seulement à assurer la pérennité des communautés linguistiques au pays, mais également à permettre à ces communautés de s’épanouir présentement dans leur propre langue et leur propre culture. En ce sens, même si la preuve soumise démontre que l’existence de l’art. 23 n’a pas été en mesure de contrer ou de freiner le phénomène de l’assimilation, il n’en reste pas moins que les citoyens de langue officielle minoritaire sont toujours en droit de s’épanouir dans leur langue au quotidien. Ensuite, les tribunaux doivent garder à l’esprit que l’art. 23 a une dimension individuelle et que les écoles de la minorité ont un impact certain sur le risque d’assimilation des francophones qui les fréquentent. Finalement, les économies budgétaires liées à une violation de l’art. 23 ne peuvent pas être considérées comme un facteur pertinent à l’étape de la mise en balance des effets bénéfiques et des effets préjudiciables de la mesure attentatoire.
                    En l’espèce, les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue un objectif urgent et réel permettant de justifier des violations de l’art. 23 au sens de l’arrêt Oakes. L’affectation juste et rationnelle de fonds public limités constitue le travail quotidien d’un gouvernement. La mission de l’État consiste à gérer des ressources budgétaires limitées pour répondre à des besoins qui eux sont tout sauf limités. Il n’y a donc pas ici d’objectif urgent et réel qui permet de justifier une violation des droits et libertés. En conséquence, la justification des violations échoue dès la première étape de l’analyse. En l’absence d’un objectif valable, la province ne peut justifier les violations de l’art. 23.
                    Par conséquent, la violation de l’art. 23 à laquelle la juge de première instance a conclu par rapport au 1,1 million de dollars dont le CSF a été privé parce qu’il n’a pas eu accès au facteur rural de la subvention annuelle aux installations n’est pas justifiée et le CSF a droit à cette somme en dommages‑intérêts.
                    L’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages‑intérêts ne s’applique pas aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23. Alors que l’État peut être condamné à verser des dommages‑intérêts lorsque ceux‑ci constituent une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances, il peut cependant invoquer des considérations liées à l’efficacité gouvernementale pour éviter une telle condamnation, notamment lorsqu’une loi est déclarée invalide postérieurement à l’acte à l’origine de la violation. L’État ne jouit toutefois pas d’une immunité à l’égard des politiques gouvernementales qui portent atteinte aux droits fondamentaux. La possibilité que soient accordés des dommages‑intérêts à l’égard de politiques gouvernementales attentatoires dans un tel contexte ne risque pas de paralyser l’action gouvernementale et de nuire ainsi à son efficacité; au contraire, la possibilité que l’État soit condamné à verser des dommages‑intérêts permet de faire en sorte que l’action gouvernementale demeure respectueuse des droits fondamentaux. Alors qu’il est justifié d’accorder à l’État une immunité à l’égard d’un instrument bien défini comme une loi, il n’en est pas ainsi pour des instruments indéfinis et aux contours incertains comme les politiques gouvernementales.
                    En l’espèce, comme le gel du financement du transport scolaire est une politique gouvernementale, l’ordonnance de la juge de première instance accordant des dommages‑intérêts pour le financement inadéquat du transport scolaire est rétablie.
        Les juges Brown et Rowe (dissidents en partie) : Contrairement à la plupart des droits garantis par la Charte, l’art. 23, qui confère le droit à l’instruction dans la langue de la minorité, impose des obligations positives aux gouvernements, les obligeant à agir. Il est préventif, réparateur et unificateur, et on doit l’interpréter à la lumière de ces objectifs. Le fait que le droit prévu à l’art. 23 soit formulé comme un droit positif est particulièrement important. Le droit exprime sa propre limite interne, soit le critère de la « justification par le nombre », lequel témoigne d’un compromis constitutionnel soigneusement conclu entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Ce seuil numérique fait en sorte que les obligations positives des provinces demeurent raisonnables et réalistes, tout en fournissant le niveau de services approprié aux élèves de la minorité linguistique. Tant le libellé de l’art. 23 que son caractère singulier obligent les tribunaux à donner à la disposition l’effet approprié et voulu, dans le droit fil de la jurisprudence établie. Trouver le juste milieu, c’est reconnaître qu’il est possible d’insuffler la vie au droit garanti à l’art. 23, mais en le faisant avec prudence.
        L’analyse à appliquer aux demandes fondées sur l’art. 23 se divise en deux étapes principales. D’abord, le tribunal doit déterminer le niveau de services justifié par le nombre d’ayants droit dans une région donnée (l’analyse de la « justification par le nombre »). Pour ce faire, il doit établir le nombre pertinent d’ayants droit, puis situer ce nombre sur une échelle variable de droits afin de décider quel niveau de services est justifié.
        Le chiffre pertinent pour les besoins de cette analyse est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement envisagés. Ce nombre, qui constitue une estimation, se situera quelque part entre la demande connue relative au service et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service. Le but n’est pas d’établir combien d’élèves se prévaudront de l’établissement ou du programme au moment de son lancement, mais plutôt d’essayer de prévoir combien le feront dans le futur.
        Après avoir déterminé le nombre pertinent, le tribunal doit alors établir, à l’aide de l’échelle variable, quel niveau de services est justifié sur le plan pédagogique eu égard au nombre d’élèves de la minorité linguistique et au coût de ces services. Le droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti par l’art. 23 contient une limite interne et ne vise que les services qui peuvent être justifiés, sur les plans pédagogique et financier, par le nombre d’enfants d’ayants droit. Pour que s’applique l’obligation de financement public de l’instruction dans la langue de la minorité, le demandeur doit démontrer que cette limite est franchie. Le fardeau de prouver tous les éléments de la violation à l’art. 23 incombe à la personne qui l’allègue. Cela permet de veiller à ce que l’art. 23 soit assorti de réserves et d’une méthode d’évaluation qui lui sont propres. Le fonctionnement de l’échelle variable met en œuvre cette limite interne parce que le contenu du droit s’accroît à mesure que les nombres augmentent, garantissant ainsi que les ayants droit bénéficient du niveau de services approprié à leur nombre. Il est essentiel de bien situer le nombre sur l’échelle variable. Cela permet de faire en sorte que les gouvernements déploient les ressources nécessaires pour s’acquitter des obligations qui leur incombent au titre de l’art. 23, et que la limite interne de ces obligations soit prise en compte. En outre, tout comme le défaut de respecter les droits conférés par l’art. 23 peut nuire à l’épanouissement des langues minoritaires, un mauvais placement sur l’échelle peut aussi se révéler préjudiciable aux élèves de la minorité. Il ne servirait à rien, par exemple, d’avoir une école pour dix élèves seulement dans un centre urbain car les élèves seraient privés des nombreux avantages qui découlent d’études et de contacts avec un nombre plus considérable d’élèves.
        Pour déterminer le niveau de services justifié pour un groupe donné d’ayants droit, le demandeur doit d’abord démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le niveau de services revendiqué est approprié sur le plan pédagogique compte tenu du nombre d’enfants. Afin d’évaluer le caractère approprié d’un niveau donné de services du point de vue pédagogique, l’existence d’écoles ou de programmes de la majorité servant un nombre similaire d’élèves ailleurs dans la province peut être un indicateur pertinent qu’une école ou un programme homogène est pédagogiquement approprié au nombre d’enfants d’ayants droit. Toutefois, l’existence d’une petite école à quelque endroit que ce soit dans la province n’est pas déterminante. Les tribunaux doivent d’abord déterminer si l’école ou le programme en question constitue un élément de comparaison pertinent, compte tenu de facteurs tels que les questions de savoir si l’école se trouve en milieu rural ou urbain, si elle dessert une communauté éloignée ou isolée, si elle continue de fonctionner à la capacité pour laquelle elle a été bâtie et si elle fonctionne grâce à du financement privé supplémentaire. En règle générale, étant donné que l’art. 23 commande un enseignement dans la langue de la minorité financé sur les fonds publics, une école ou un programme de comparaison approprié devrait lui aussi être financé sur les fonds publics. Cette approche implique de considérer le contexte des écoles utilisées dans la comparaison pour veiller à ce que les circonstances soient pertinentes et comparables à celles de l’école ou du service proposé. L’évaluation de la pertinence d’une école ou d’un programme de comparaison doit tenir compte du fait qu’il n’est pas nécessaire que l’enseignement dans la langue de la minorité et dans celle de la majorité soit parfaitement correspondant pour être appropriés en termes pédagogiques. À cette étape de l’analyse, il n’existe aucune raison de principe justifiant de limiter la comparaison aux écoles locales, et le point de vue des conseils scolaires commande une certaine déférence à l’égard de services particuliers parmi la gamme de ceux susceptibles d’être offerts qui sont les plus appropriés sur le plan pédagogique sous l’extrémité supérieure de l’échelle variable, conformément au principe voulant que les groupes linguistiques minoritaires aient un contrôle sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent leur langue et leur culture.
        Si l’on arrive à démontrer que le niveau de services revendiqué est approprié sur le plan pédagogique, il y a alors présomption que le niveau de services est aussi approprié sur le plan financier. Le fardeau passe ensuite à la province ou au territoire, qui doit réfuter la présomption, ce qui est acceptable, puisque c’est la province ou le territoire qui est le mieux placé pour présenter les éléments de preuve nécessaires. Tout au long de ce processus, le fardeau de démontrer que le niveau de services est approprié sur le plan pédagogique incombe au demandeur, à qui il appartient d’établir l’existence d’une violation de la Charte. Cette approche cadre avec le fait que l’évaluation du caractère approprié des coûts est habituellement incluse dans l’évaluation des services appropriés sur le plan pédagogique. Il est particulièrement important de circonscrire le droit dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 23 vu l’application limitée de l’article premier dans les affaires mettant en cause une violation de l’art. 23. Les considérations pédagogiques et financières sont donc soigneusement prises en compte dans l’analyse fondée sur l’art. 23. Bien que le coût des services ne constitue pas normalement un facteur pris en compte pour déterminer si une personne se verra ou non accorder un droit prévu dans la Charte, dans le cas précis de l’art. 23, cette considération s’impose.
        Le fait d’appliquer une présomption légale à l’échelle de la province quant au caractère approprié du niveau de services du point de vue de la pédagogie et des coûts à l’étape de la « justification par le nombre », comme le suggère la majorité de la Cour, influe sur des éléments clés de l’analyse et entraîne une compression du milieu de l’échelle variable. Les considérations liées à la pédagogie et aux coûts sont effectivement écartées, peu importe le contexte particulier pouvant expliquer que la présence d’une école ailleurs dans la province demeure pertinente. Le droit à une école homogène — le droit situé à l’extrémité supérieure de l’échelle — est immédiatement présumé, ce qui a pour effet de déplacer le fardeau du demandeur vers la province, et ce, dès le départ. La façon dont une province pourrait parvenir à réfuter cette présomption n’est pas claire, celle‑ci devenant en fait une règle. Cette présomption sert de voie rapide pour atteindre l’extrémité supérieure de l’échelle variable, ce qui revient à éliminer le milieu de l’échelle. Une telle approche est incompatible avec le refus de la Cour dans le passé de considérer que l’art. 23 englobe seulement deux droits, soit l’un relatif à l’instruction et l’autre relatif aux établissements. Cette opinion a été rejetée par la Cour, qui lui a préféré l’approche fondée sur une échelle variable qui permet une augmentation progressive du droit à mesure que le nombre d’ayants droit augmente.
        À la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 23, le tribunal doit juger si la qualité des services offerts aux ayants droit est réellement équivalente à celle des services offerts aux élèves de la majorité linguistique de la région (l’analyse de l’« équivalence réelle »). Une interprétation téléologique de l’art. 23 exige que l’on applique la notion d’équivalence réelle aux différents seuils de l’échelle variable. Cette approche reconnaît que la qualité de l’instruction offerte dans la langue officielle de la minorité ne peut être véritablement inférieure à celle de l’instruction offerte à la majorité. Si l’on utilise une norme de la « proportionnalité » à cette étape de l’analyse de l’art. 23, cela signifierait que le poids relatif de la minorité par rapport à celui de la majorité est pris en compte non pas une fois mais deux, ce qui diminue chaque fois la qualité et le niveau des services dont doit bénéficier la minorité selon la Constitution. Cette norme doit donc être rejetée.
        Une interprétation téléologique de l’art. 23 met en évidence son véritable objectif, qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté. Une interprétation fondée sur l’objet de l’art. 23 ne peut être réalisée que par l’application de la norme de l’équivalence réelle à cette étape de l’analyse, indépendamment de l’endroit où se situe la communauté sur l’échelle variable. La raison d’être de l’utilisation de l’équivalence réelle est en outre fondée sur le principe plus général de la protection des droits des minorités, un principe fondamental sous‑jacent à la Constitution.
        L’étape de l’analyse de « l’équivalence réelle » en vertu de l’art. 23 vise à évaluer la qualité des services offerts aux ayants droit de la minorité. On circonscrit l’analyse en comparant la qualité du niveau de services qui est justifié pour les élèves de la minorité linguistique avec la qualité du même niveau de services offert dans les écoles avoisinantes. L’analyse doit demeurer globale et contextuelle, tout en tenant compte de l’impossibilité de dissocier l’instruction des installations dans lesquelles elle est offerte. De multiples facteurs peuvent être pris en considération, notamment la qualité de l’instruction, la compétence des enseignants, la qualité des installations matérielles, les résultats scolaires, les activités parascolaires et le temps de déplacement. Les facteurs pertinents, qui sont fonction des circonstances de l’affaire, sont examinés ensemble pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les ayants droit d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique. Ces considérations sont appliquées du point de vue du parent raisonnable, qui compare l’école de la minorité linguistique aux écoles locales de la majorité représentant une solution de rechange réaliste pour lui.
        L’effet que produit l’application de la présomption légale du caractère approprié sur les plans pédagogique et financier à la première étape de l’analyse fondée sur l’art. 23, comme le suggère la majorité de la Cour, et le recours à l’équivalence réelle comme norme comparative applicable à la deuxième étape, entraîne une application déformée de l’équivalence réelle. Cette combinaison donnera lieu à l’établissement de très petites écoles de la minorité linguistique qui seront comparées aux écoles locales de la majorité, lesquelles sont généralement plus grandes et dotées de services plus nombreux ou de meilleure qualité, ce qui permet aux groupes minoritaires locaux d’atteindre l’extrémité supérieure de l’échelle variable. Cette approche déroge à la notion d’une échelle variable de services justifiés qui augmentent graduellement en fonction du nombre d’enfants pouvant en bénéficier.
        L’analyse au regard de l’article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés énoncés dans la Charte ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Pour démontrer la justification d’une limite raisonnable, l’État doit prouver que l’objectif de la mesure projetée est urgent et réel, et que le moyen par lequel l’objectif est réalisé est proportionné. L’évaluation de l’objectif constitue une condition préalable, qui est analysée sans tenir compte de la portée de la limite, du moyen retenu ou des effets de la mesure. Il est satisfait au critère de la proportionnalité si le moyen a un lien rationnel avec l’objectif; la mesure constitue une atteinte minimale au droit en jeu; et les effets bénéfiques de la mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables.
        Le fait que l’art. 23 comporte une limite interne influe grandement sur la façon dont l’analyse de la justification doit être effectuée. Au lieu d’avoir une incidence sur la rigueur de l’analyse fondée sur l’article premier, comme le laisse entendre la majorité de la Cour, la limite interne de l’art. 23 fait en sorte qu’en pratique, il en restera moins à faire dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Si elle est effectuée correctement, l’analyse fondée sur l’art. 23 tiendra compte de plusieurs des considérations normalement soulevées dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Appliquer les considérations financières dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 23 ne veut pas dire que ces considérations ne sont jamais pertinentes pour l’application de l’article premier. Dans les rares cas où ils n’ont pas été pris en compte dans le contexte d’un droit garanti par l’art. 23 de la Charte, les coûts peuvent constituer un objectif urgent et réel pour l’application de l’article premier lorsqu’ils sont liés à d’autres considérations d’intérêt public. Cependant, une mesure dont le seul objectif est d’ordre financier et qui porte atteinte à des droits garantis par la Charte ne peut jamais être justifiée en vertu de l’article premier. Les décisions relatives à l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constituent le travail quotidien d’un gouvernement et ont un caractère purement financier. Elles ne constituent donc pas un objectif urgent et réel valide pour l’application de l’article premier.
        Le premier et le plus important des recours pour les violations de la Charte est la déclaration d’invalidité. Dans le contexte de l’art. 23, les tribunaux doivent porter une attention particulière à la question de savoir si un jugement déclaratoire constitue une réparation adéquate pour une violation. Un jugement déclaratoire établit souvent le juste équilibre entre assurer la défense des droits garantis par la Charte et accorder la souplesse aux gouvernements dont ils ont besoin pour leur permettre de respecter leurs obligations découlant de l’art. 23. Viennent s’y ajouter les dommages‑intérêts fondés sur la Charte, qui peuvent être accordés s’ils sont convenables et justes, mais leur octroi ne saurait se présumer. Le juge de première instance jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer quelle est la réparation convenable. Toutefois, ce pouvoir discrétionnaire n’est pas absolu, et ce qui est convenable et juste dépendra des circonstances. L’octroi de dommages‑intérêts doit s’avérer équitable non seulement envers la personne dont les droits ont été violés, mais aussi envers l’État qui versera les dommages‑intérêts. D’autres réparations peuvent aussi être mieux adaptées à une violation. Selon le cadre énoncé dans l’arrêt Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, la première étape à suivre pour apprécier les dommages‑intérêts fondés sur la Charte consiste à établir qu’il y a eu violation de la Charte. Deuxièmement, le demandeur doit démontrer pourquoi les dommages‑intérêts constituent une réparation convenable et juste qui remplit au moins une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause et la dissuasion contre toute nouvelle violation. Troisièmement, le gouvernement peut démontrer qu’il y a des facteurs faisant contrepoids en raison desquels les dommages‑intérêts ne seraient ni convenables, ni justes, comme l’existence d’autres réparations et les préoccupations relatives au bon gouvernement. Enfin, le tribunal fixe le montant des dommages‑intérêts.
                    Il a été reconnu que l’immunité contre une condamnation à des dommages‑intérêts en application de la Charte établie dans l’arrêt Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, répondait à une préoccupation relative au bon gouvernement. Selon le principe établi dans cet arrêt, en l’absence de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages‑intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle. Ce principe confère une immunité restreinte qui vise à établir l’équilibre entre la protection des droits constitutionnels et la nécessité d’avoir un gouvernement efficace. L’immunité énoncée dans l’arrêt Mackin s’applique aux politiques gouvernementales en sus des lois. La jurisprudence de la Cour a constamment formulé le principe en des termes suffisamment larges pour viser d’autres instruments. Par ailleurs, il n’y a aucune raison de principe justifiant de limiter l’application de l’immunité visée dans Mackin aux lois, comme le propose la majorité de la Cour. Il ne s’agit pas de savoir quel moyen d’action étatique a été utilisé, mais bien de savoir quel est l’objectif général de l’immunité et dans quelles circonstances l’État peut être tenu de verser des dommages‑intérêts.
                    Par contre, la raison d’être de l’immunité visée à l’arrêt Mackin — la capacité d’exécuter les fonctions du gouvernement sans craindre d’être tenu de verser des dommages‑intérêts — n’appuie pas son application dans le contexte de l’art. 23. Normalement, les gouvernements prennent des règlements et élaborent des politiques pour exercer leurs responsabilités courantes. Ce faisant, ils s’efforcent sans nul doute de ne pas porter atteinte aux droits garantis par la Charte. Pourtant, un gouvernement qui a violé l’art. 23 ne s’est pas acquitté des fonctions qui lui incombaient. Contrairement à la plupart des droits garantis par la Charte, l’art. 23 établit un droit qui requiert d’agir. Des lois doivent être édictées, des politiques doivent être établies et des fonds publics doivent être dépensés pour donner effet au droit concerné. Le droit conféré par l’art. 23 est particulièrement vulnérable à l’inaction, car tout retard dans sa mise en œuvre peut entraîner l’assimilation et gêner l’exercice du droit lui‑même. L’obstacle additionnel découlant de l’immunité contre les condamnations au paiement de dommages‑intérêts cadre mal avec la nature des demandes basées sur l’art. 23. Lorsque le tribunal aborde la question de la réparation à accorder, la violation de l’art. 23 a déjà été établie. Cela veut dire que le gouvernement n’a pas financé l’instruction dans la langue de la minorité adéquatement ou qu’il a indûment tardé à le faire. Par conséquent, il est justifié de reconnaître une exception portant que l’immunité ne s’applique pas dans le contexte de l’art. 23. Les dommages‑intérêts constitueront donc une réparation convenable seulement dans les cas où tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Ward sont réunis.
Jurisprudence
Citée par le juge en chef Wagner
                    Arrêts appliqués : Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342; Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; arrêts mentionnés : Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; Mackell c. Ottawa Separate School Trustees (1915), 1915 CanLII 493 (ON CA), 34 O.L.R. 335; The Board of Trustees of the Roman Catholic Separate Schools of the City of Ottawa c. Mackell, 1916 CanLII 418 (UK JCPC), [1917] A.C. 62; Assn. des Parents Francophones (Colombie‑Britannique) c. British Columbia (1996), 1996 CanLII 1455 (BC SC), 27 B.C.L.R. (3d) 83; Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721; Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201; Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282; Lavoie c. Nova Scotia (Attorney General) (1989), 1989 CanLII 9691 (NS CA), 91 N.S.R. (2d) 184; Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519; Terre‑Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381; Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie‑Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391.
Citée par les juges Brown et Rowe (dissidents en partie)
                    Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774; Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342; R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320; Gould c. Yukon Order of Pioneers, 1996 CanLII 231 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 571; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295; Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405; Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217; Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473; Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511; Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3; Arsenault‑Cameron c. Prince Edward Island (1997), 1997 CanLII 4606 (PE SCTD), 147 Nfld. & P.E.I.R. 308; Arsenault‑Cameron c. Prince Edward Island (1998), 1998 CanLII 6153 (PE SCAD), 162 Nfld. & P.E.I.R. 329; Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139; R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631; Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3; R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609; Renvoi relative à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839; R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768; Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201; Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208; R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103; Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567; Terre‑Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381; Renvoi relative à la rémunération des juges de la Cour provincial de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3; Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3; Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28; Henry c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2015 CSC 24, [2015] 2 R.C.S. 214; Wynberg c. Ontario (2006), 2006 CanLII 22919 (ON CA), 82 O.R. (3d) 561; Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331; S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99.
Lois et règlements cités
Act respecting the Board of Trustees of the Roman Catholic Separate Schools of the City of Ottawa, S.O. 1915, c. 45.
Act Respecting the Department of Education, S.M. 1890, c. 37.
Act to repeal so much of an Act of the Third and Fourth Years of Her present Majesty, to re‑unite the Provinces of Upper and Lower Canada, and for the Government of Canada, as relates to the Use of the English Language in Instruments relating to the Legislative Council and Legislative Assembly of the Province of Canada (R.‑U.), 1848, 11 & 12 Vict., c. 56.
Acte d’Union, 1840 (R.‑U.), 3 & 4 Vict., c. 35.
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 15, 23, 24, 33.
Common Schools Act 1871, S.N.B. 1871, c. 21, art. 60.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 93, 133.
Loi constitutionnelle de 1871 (R.‑U.), 34 & 35 Vict., c. 28, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 11, art. 4.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52(1).
Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, c. 28, art. 23(1)m).
Loi sur le Yukon, L.C. 2002, c. 7, art. 18(1)o).
Loi sur les Territoires du Nord‑Ouest, L.C. 2014, c. 2 [éd. par la Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord‑Ouest, L.C. 2014, c. 2, art. 2], art. 18(1)o).
Loi sur Terre‑Neuve (R.‑U.), 12, 13 & 14 Geo. 6, c. 22, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 32.Modification constitutionnelle de 1998 (Loi sur Terre‑Neuve), TR/98‑25.
Modification constitutionnelle de 2001 (Terre‑Neuve‑et‑Labrador), TR/2001‑117.
Of Public Instruction, R.S.N.S. 1864, c. 58.
Public Schools Act, 1896, S.O. 1896, c. 70, art. 76(2).
Public Schools Act, S.M. 1890, c. 38.
School Act, R.S.A. 1922, c. 51, art. 184.
School Act, R.S.B.C. 1996, c. 412, art. 106.3.
School Act, R.S.S. 1909, c. 100, art. 135.
School Ordinance, O.N.W.T. 1901, c. 29, art. 136.
Doctrine et autres documents cités
Behiels, Michael D. Canada’s Francophone Minority Communities : Constitutional Renewal and the Winning of School Governance, Montréal, McGill‑Queen’s University Press, 2004.
Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 3, 1re sess., 32e lég., 6 octobre 1980, p. 3286.
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                    POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (le juge en chef Bauman et les juges Tysoe et MacKenzie), 2018 BCCA 305, 14 B.C.L.R. (6th) 52, 416 C.R.R. (2d) 278, 425 D.L.R. (4th) 230, [2018] B.C.J. No. 2836 (QL), 2018 CarswellBC 1956 (WL Can.), qui a confirmé en partie la décision de la juge Russell, 2016 BCSC 1764, [2016] B.C.J. No. 2007 (QL), 2016 CarswellBC 2685 (WL Can.). Pourvoi accueilli en partie, les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie.
                    Robert W. Grant, c.r., Mark C. Power et Jennifer Klinck, pour les appelants.
                    Karrie A. Wolfe et Katherine Webber, pour les intimés.
                    Argumentation écrite seulement par Edward A. Gores, c.r., pour l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse.
                    Argumentation écrite seulement par Ruth M. DeMone et Mitchell M. O’Shea, pour l’intervenant le procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard.
                    Alan F. Jacobson, pour l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan.
                    Randy Steele, pour l’intervenant le procureur général de l’Alberta.
                    Argumentation écrite seulement par Barbara G. Barrowman, c.r., pour l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
                    Sarah A.E. Kay, pour l’intervenant le procureur général des Territoires du Nord‑Ouest.
                    Christine Ruest Norrena, pour l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada.
                    Marion Sandilands, pour l’intervenant le Réseau des groupes communautaires du Québec.
                    Kent Roach, pour l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights.
                    Érik Labelle Eastaugh, pour les intervenantes l’Association des juristes d’expression française du Nouveau‑Brunswick inc. et l’Association des enseignantes et enseignants francophones du Nouveau‑Brunswick inc.
                    Roger J. F. Lepage, pour l’intervenante la Fédération nationale des conseils scolaires francophones.
                    Sylvain Rouleau, pour les intervenantes l’Association des parents de l’école Rose‑des‑Vents et l’Association des parents de l’école des Colibris.
                    Audrey Boctor, pour l’intervenante Canadian Association for Progress in Justice.
                    Dominic Caron, pour les intervenantes la Société de l’Acadie du Nouveau‑Brunswick et la Fédération des conseils d’éducation du Nouveau‑Brunswick.
                    Christian Monnin, pour l’intervenante Assembly of Manitoba Chiefs.
                    Vincent Larochelle, pour l’intervenante la Commission nationale des parents francophones.
                    Andrew Carricato, pour l’intervenant le Conseil scolaire francophone provincial de Terre‑Neuve‑et‑Labrador.
                    François Larocque, pour l’intervenante la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques.
 
Le jugement du juge en chef Wagner et des juges Abella, Moldaver, Karakatsanis, Côté, Martin et Kasirer a été rendu par
 
                    Le juge en chef —
                                             TABLE DES MATIÈRES
 

Paragraphe

I.      Aperçu

1

II.   Contexte

4

A.    Les principes qui doivent guider l’interprétation de l’art. 23

5

B.   Survol des concepts propres à l’art. 23 : l’échelle variable et l’équivalence réelle

21

C.   Les appelants et leur demande

27

III.   Historique judiciaire

30

A.   Cour suprême de la Colombie-Britannique (2016 BCSC 1764)

30

B.   Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2018 BCCA 305, 14 B.C.L.R. (6th) 52)

48

IV.   Questions en litige

50

V.   Analyse

51

A.   Quelle est la démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable?

51

(1)      La première étape : établir le nombre d’élèves concernés

58

(2)      La deuxième étape : recourir à une méthode comparative pour déterminer si l’école envisagée par la minorité est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts

61

(3)      La troisième étape : déterminer le niveau de services qui doit être offert

84

(4)      Résumé de la démarche applicable

90

(5)      Application des principes de l’échelle variable

94

B.   Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles varie-t-il selon le nombre d’élèves de la minorité?

104

C.   Le fait d’obliger un conseil scolaire à prioriser ses projets d’immobilisation constitue-t-il une violation de l’art. 23?

139

D.   Comment une violation de l’art. 23 s’apprécie-t-elle au regard de l’article premier?

143

E.   Est-ce que l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts s’applique aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23?

164

VI.   Dispositif

182

I.               Aperçu
[1]                             L’école est bien plus qu’un simple lieu de transmission de connaissances théoriques et pratiques. Elle constitue également un milieu de socialisation qui permet d’échanger et de s’épanouir dans sa langue et, à travers elle, de découvrir sa culture. C’est dans cet esprit que le droit à l’instruction dans une des langues officielles du Canada s’est vu conférer un statut constitutionnel par l’art. 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (« Charte »).
[2]                             Le présent pourvoi concerne la portée de l’art. 23 et l’interaction de celui-ci avec l’article premier et les dispositions réparatrices de la Constitution canadienne. Il est l’occasion de préciser la méthode permettant de déterminer le niveau de services qui est garanti aux parents ayants droit en fonction du nombre d’élèves en cause, de traiter du critère applicable pour juger si les enfants de ces ayants droit reçoivent une expérience éducative équivalente à celle offerte à la majorité, de discuter la justification des violations aux droits linguistiques au regard de l’article premier et de décider si des dommages-intérêts peuvent être octroyés comme réparation en semblable matière.
[3]                             Les juridictions inférieures se sont livrées à une analyse poussée et rigoureuse de certains de ces enjeux. À mon sens, toutefois, elles ont adopté une interprétation démesurément restrictive de l’art. 23 et de son rôle dans l’ordre constitutionnel canadien. Cet article a un objet réparateur, qui vise à favoriser l’épanouissement des minorités linguistiques officielles et à modifier le statu quo. Donnant à cette disposition une interprétation qui tient pleinement compte de son objet réparateur, et m’appuyant sur les conclusions de faits tirées par la juge de première instance, je suis d’avis qu’il y a lieu d’accueillir l’appel en partie.
II.            Contexte
[4]                             Il est bien établi que les droits conférés par la Charte doivent être interprétés de façon large et libérale en fonction de l’objectif visé (Hunter c. Southam Inc., 1984 CanLII 33 (CSC), [1984] 2 R.C.S. 145; R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295). De plus, il est essentiel de situer l’objet du droit en question dans ses contextes linguistique, philosophique et historique (Law Society of Upper Canada c. Skapinker, 1984 CanLII 3 (CSC), [1984] 1 R.C.S. 357; Big M Drug Mart Ltd., p. 344). Avant d’aborder les faits du présent pourvoi, j’estime nécessaire de rappeler le contexte de l’édiction de l’art. 23 et les principes qui doivent guider son interprétation.
A.           Les principes qui doivent guider l’interprétation de l’art. 23
[5]                             D’entrée de jeu, force est de reconnaître que la question linguistique est indissociable de l’histoire canadienne. Elle constitue un thème dominant, qui se reflète dans les différentes mesures législatives adoptées lors de périodes charnières de l’histoire du pays (voir M. Doucet, M. Bastarache et M. Rioux, « Les droits linguistiques : fondements et interprétation », dans M. Bastarache et M. Doucet, dir., Les droits linguistiques au Canada (3e éd. 2013), 1, p. 30-52). En matière linguistique, le pendule législatif a oscillé entre deux approches opposées, d’une part une approche basée sur des politiques d’assimilation et d’autre part une approche visant à assurer l’épanouissement et l’autonomie des communautés linguistiques officielles.
[6]                             Lors des discussions préalables à la création du Canada, les constituants souhaitent que les lois, les archives et les procès-verbaux du pays à naître soient obligatoirement publiés dans les deux langues maintenant officielles : le français et l’anglais (Loi constitutionnelle de 1867, art. 133). Les autorités impériales avaient auparavant imposé l’unilinguisme anglais dans l’Acte d’Union en 1840, puis abandonné cette politique en 1848, devant l’opposition des citoyens francophones (Acte d’Union, 1840 (R.-U.), 3 & 4 Vict., c. 35; An Act to repeal so much of an Act of the Third and Fourth Years of Her present Majesty, to re-unite the Provinces of Upper and Lower Canada, and for the Government of Canada, as relates to the Use of the English Language in Instruments relating to the Legislative Council and Legislative Assembly of the Province of Canada (R.-U.), 1848, 11 & 12 Vict., c. 56; Doucet, Bastarache et Rioux, p. 33).
[7]                             En adoptant la Loi constitutionnelle de 1867, les constituants font également un premier pas en faveur de la reconnaissance des droits linguistiques en matière d’éducation. À une époque où langue et religion allaient souvent de pair, les constituants adoptent l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 afin d’accorder aux provinces le pouvoir exclusif de légiférer sur l’éducation. Cette disposition visait indirectement à protéger la langue et la culture françaises, car elle permettait aux francophones du Québec, qui étaient minoritaires à l’échelle du pays mais majoritaires dans la province, de contrôler leur système d’éducation (Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 38). Par ailleurs, l’art. 93 prévoyait des dispositions maintenant les droits de la minorité catholique de l’Ontario et de la minorité protestante du Québec dans le domaine de l’éducation.
[8]                             La Loi constitutionnelle de 1867 ne met cependant pas fin à la tension existant entre les tenants d’un pays unilingue et les défenseurs d’un État bilingue. Cette tension s’explique notamment par le fait qu’à cette époque, plusieurs croyaient qu’un véritable État national devait avoir une identité commune et donc une seule langue commune, et l’éducation dans cette seule et même langue était considérée comme un outil de choix pour créer cette identité commune (voir, p. ex., R. Cook, « Language Policy and the Glossophagic State » dans D. Schneiderman, dir., Langue et État : droit, politique et identité (1991), 73, p. 75-78; A. Giudici et S. Grizelj, « National unity in cultural diversity : how national and linguistic identities affected Swiss language curricula (1914-1961) » (2017), 53 Paedagogica Historica 137). Ainsi, à partir de la fin du XIXe siècle, la plupart des provinces et territoires du Canada adoptent des mesures législatives qui ont pour effet d’interdire l’enseignement en langue française (voir Of Public Instruction, R.S.N.S. 1864, c. 58; voir aussi A. Martel,Les droits scolaires des minorités de langue officielle au Canada : de l’instruction à la gestion (1991), p. 173 et 180; An Act Respecting the Department of Education, S.M. 1890, c. 37; The Public Schools Act, S.M. 1890, c. 38; The Common Schools Act 1871, S.N.B. 1871, c. 21, art. 60; The Public Schools Act, 1896, S.O. 1896, c. 70, par. 76(2); Ontario, Ministère de l’Instruction Publique, Roman Catholic Separate Schools and English-French Public and Separate Schools, Circular of Instructions For the School Year September to June, 1912-1913: Instructions 17 (1912) et Ontario, Ministère de l’Instruction Publique, Écoles publiques et séparées anglo-françaises, Circulaire d’instructions (1913) (collectivement, « Règlement 17 »); An Act respecting the Board of Trustees of the Roman Catholic Separate Schools of the City of Ottawa, S.O. 1915, c. 45; The School Ordinance, O.N.W.T. 1901, c. 29,  art. 136; The School Act, R.S.S. 1909, c. 100, art. 135; The School Act, R.S.A. 1922, c. 51, art. 184).
[9]                             En Ontario, des parents et un conseil scolaire catholique, dont une importante partie des élèves étaient francophones, contestent la validité constitutionnelle du Règlement 17 qui interdit l’enseignement en langue française après les deux premières années du primaire. Ils soutiennent que ce règlement va à l’encontre de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. La Division d’appel de la Cour suprême de l’Ontario rejette cet argument. Dans ses motifs, s’appuyant notamment sur l’art. 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, le juge Garrow de la Division d’appel conclut que l’utilisation de toute autre langue que l’anglais n’est en fait qu’une concession et non un droit, et que l’utilisation du français ne bénéficie d’aucune protection :
[traduction] Il est parfaitement naturel que les personnes d’origine française aiment leur noble langue, et même qu’elles désirent passionnément en promouvoir, autant que cela est raisonnablement possible, la perpétuation dans notre pays. On respecterait même l’expression d’un sentiment analogue par les Allemands, les Italiens et les autres personnes qui se sont établies parmi nous et pour qui l’anglais est une langue étrangère. Mais il ne faut pas négliger ou oublier le fait que, bien que toutes les langues soient tolérées, la langue officielle de notre province, tout comme celle de l’Empire, est l’anglais, et que l’utilisation à des fins officielles de toute autre langue tient de la nature d’une concession et non d’un droit. Les dispositions de l’art. 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique illustrent bien, et du reste de manière déterminante à mon avis, le bien-fondé de cette conclusion . . .
 
(Mackell c. Ottawa Separate School Trustees (1915), 1915 CanLII 493 (ON CA), 34 O.L.R. 335, p. 343)
[10]                        Le Comité judiciaire du Conseil privé confirme le jugement de la Division d’appel et affirme que l’art. 93 ne protège pas l’enseignement en français (The Board of Trustees of the Roman Catholic Separate Schools of the City of Ottawa c. Mackell, 1916 CanLII 418 (UK JCPC), [1917] A.C. 62, p. 70-72).
[11]                        Soixante-dix ans après l’adoption du Règlement 17, dans le cadre de l’élaboration de la Charte, les constituants édictent l’art. 23, lequel constitutionnalise le droit des citoyens appartenant aux minorités linguistiques francophones et anglophones du pays de faire instruire leurs enfants dans leur langue lorsque le nombre d’enfants concernés le justifie. Par l’édiction de cet article, les constituants cherchent « à garantir que des groupes minoritaires vulnérables bénéficient des institutions et des droits nécessaires pour préserver et promouvoir leur identité propre face aux tendances assimilatrices de la majorité » (Renvoi relatif à la sécession du Québec, par. 74). Ce faisant, ils ferment définitivement la porte aux politiques linguistiques qui empêchent l’enseignement dans la langue de la minorité, et ils choisissent une approche qui favorise la promotion et l’épanouissement des communautés linguistiques minoritaires partout au pays.
[12]                        Le contexte historique et social à l’origine de la reconnaissance des droits linguistiques en matière d’éducation permet d’apprécier le rôle unique joué par l’art. 23 dans le paysage constitutionnel canadien. Dans un passage fréquemment cité, le juge en chef Dickson décrit l’importance de cette disposition en affirmant qu’elle est la « clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme » (Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, p. 350). Plus récemment, dans Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139 (« Rose-des-vents »), la juge Karakatsanis rappelle que le biculturalisme constitue un élément fondateur du Canada et que l’engagement du Canada envers le bilinguisme le distingue des autres pays (par. 25, citant Assn. des Parents Francophones (Colombie-Britannique) c. British Columbia (1996), 1996 CanLII 1455 (BC SC), 27 B.C.L.R. (3d) 83 (C.S.), par. 24).
[13]                        L’importance de l’art. 23 ne s’explique toutefois pas uniquement par son rôle dans la formation de l’identité du Canada en tant que pays. Son importance s’explique également par le rôle qu’il joue sur l’identité des Canadiens et des Canadiennes en tant qu’individus et en tant que collectivité linguistique. L’article 23 vise à préserver la culture et la langue, deux éléments qui sont au cœur des notions d’identité et de bien-être d’une personne et d’une communauté (W. Kymlicka, Multicultural Citizenship : A Liberal Theory of Minority Rights (1995), p. 89).
[14]                        Dès le début de son analyse dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, 1985 CanLII 33 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 721, notre Cour souligne « le rôle essentiel que joue la langue dans l’existence, le développement et la dignité de l’être humain » et son importance en tant que « pont entre l’isolement et la collectivité » (p. 744). Dans l’arrêt Mahe, elle met en lumière l’interaction entre la langue et la culture, affirmant que « toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu’un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l’identité et de la culture du peuple qui la parle » (p. 362). Dans l’arrêt Rose‑des‑vents au par. 26, la Cour fait siens les propos suivants de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme : « . . . “langue et culture ne sont pas synonymes, mais le dynamisme de la première est indispensable à la préservation intégrale de la seconde” » (Rapport de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, Livre II, L’éducation (1968), p. 8).
[15]                        J’ajoute que, dans l’analyse requise pour l’application de l’art. 23, les tribunaux doivent garder à l’esprit le triple objet de cet article, c’est-à-dire son caractère à la fois préventif, réparateur et unificateur. En effet, cette disposition a non seulement pour objet de prévenir l’érosion des communautés linguistiques officielles, mais aussi de remédier aux injustices passées et de favoriser leur épanouissement (Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201, par. 3; Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, par. 27). Le juge en chef Dickson a expliqué cet objet réparateur en reprenant les propos du juge Kerans, qui avait affirmé que [traduction] « l’existence même de l’article laisse supposer l’insuffisance du système actuel » (Mahe, p. 363). Vu cette « insuffisance du système actuel », l’art. 23 vise donc à modifier le statu quo. Finalement, il a en outre un objet unificateur dans la mesure où il favorise la liberté de circulation et d’établissement en permettant aux citoyens de se déplacer partout au pays, sans crainte de devoir abandonner leur langue et leur culture (Solski, par. 30; Débats de la Chambre des communes, vol. 3, 1ere sess., 32e lég., 6 octobre 1980, p. 3286). 
[16]                        Pour réaliser pleinement son objectif réparateur, l’art. 23 doit cependant être mis en œuvre avec vigilance. Comme l’a souligné notre Cour, le risque d’assimilation et d’érosion culturelle croît à mesure que passent les années scolaires sans que rien ne soit fait à cet égard. Il en résulte que l’efficacité concrète de l’art. 23 est particulièrement vulnérable à l’inaction des gouvernements (Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l'Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, par. 29; Rose-des-vents, par. 28). Cette particularité confère un rôle crucial aux tribunaux, à qui les constituants ont confié la responsabilité de veiller à la mise en œuvre et à la protection des droits garantis par la Charte.
[17]                        Je souligne également que, contrairement à d’autres dispositions génératrices de droits, les droits reconnus par l’art. 23 s’apprécient non seulement sur le plan individuel, mais également sur le plan collectif. En effet, l’art. 23 confère des droits individuels, mais dont la portée est collective. Comme l’a affirmé notre Cour dans l’arrêt Solski, il en résulte que les tribunaux appelés à interpréter l’art. 23 doivent considérer le contexte social, démographique et historique qui est propre à chaque groupe linguistique. Ainsi, les tribunaux ont la tâche délicate de concilier les préoccupations parfois divergentes de la minorité francophone hors Québec, pour qui l’exercice des droits linguistiques a été chèrement acquis, avec la réalité particulière de la minorité anglophone du Québec et la perception que les francophones du Québec –majoritaires dans cette province, mais dont leur langue est minoritaire à l’échelle du pays – ont de leur avenir au sein du Canada (Solski, par. 5).
[18]                        Enfin, je rappelle que l’origine de l’art. 23 en tant que résultat d’un compromis politique ne saurait justifier, pour cette seule raison, une interprétation restrictive des droits prévus par cette disposition. Si notre Cour a déjà effectué une distinction entre les droits linguistiques issus d’un compromis politique et les autres droits garantis par la Charte, cette époque est révolue. Ce constat a été clairement exprimé par notre Cour dans l’arrêt R. c. Beaulac, 1999 CanLII 684 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 768, au par. 24 :
Même si les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique, ceci n’est pas une caractéristique qui s’applique uniquement à ces droits.  A. Riddell, dans «À la recherche du temps perdu: la Cour suprême et l’interprétation des droits linguistiques constitutionnels dans les années 80» (1988), 29 C. de D. 829, à la p. 846, souligne que l’adoption des art. 7 et 15 de la Charte résulte aussi d’un compromis politique et soutient, à la p. 848, que l’histoire constitutionnelle du Canada ne fournit aucune raison de penser qu’un tel compromis politique exige une interprétation restrictive des garanties constitutionnelles.  Je conviens que l’existence d’un compromis politique n’a aucune incidence sur l’étendue des droits linguistiques. [Je souligne.]
Notre Cour a confirmé la justesse de ce constat — à savoir que le compromis politique dont découlent les droits linguistiques n’a aucune incidence sur leur portée — dans le contexte de l’art. 23 (Arsenault-Cameron, par. 27; Doucet-Boudreau, par. 27). Il en résulte que les arrêts qui ont été rendus alors que la Cour assimilait les droits linguistiques à un compromis politique, ce qui inclut l’arrêt Mahe, doivent être examinés à la lumière de la jurisprudence subséquente de la Cour qui favorise une interprétation libérale, qui est compatible avec l’épanouissement des communautés linguistiques officielles.
[19]                        Restreindre la portée des droits linguistiques pour la simple raison qu’ils découlent d’un compromis politique constituerait un dangereux retour en arrière. Plusieurs droits accordés aux minorités au Canada ont été chèrement acquis au fil des ans et il revient aux tribunaux de leur donner plein effet, de façon claire et transparente.
[20]                        Je fais ici une pause pour souligner que, dans le présent appel, bien que mes collègues fassent droit à plusieurs des demandes de réparation des appelants, ils évitent systématiquement de fournir des précisions sur la façon dont l’art. 23 devrait être appliqué pour améliorer la protection des droits linguistiques au pays. Il ne faut pas, dans la présente affaire, se limiter à ce que des écoles soient mises à la disposition des appelants, comme s’il s’agissait d’un simple cas d’espèce, encore faut-il s’assurer que de futurs demandeurs ne seront pas contraints d’entamer d’interminables procédures judiciaires pour que leurs droits soient protégés, reconnus et mis en œuvre. Faire abstraction des problèmes soulevés par une interprétation et une application erronées de l’art. 23, notamment l’immanquable judiciarisation et les longs délais qui caractérisent l’exercice des droits linguistiques, mine l’accès à la justice et risque de freiner la progression historique du Canada vers l’idéal visé par l’art. 23, c’est-à-dire de « faire des deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation » (Arsenault-Cameron, par. 26).
B.            Survol des concepts propres à l’art. 23 : l’échelle variable et l’équivalence réelle
[21]                         J’estime également utile d’expliquer brièvement deux concepts jurisprudentiels propres à l’interprétation de l’art. 23, soit l’échelle variable et l’équivalence réelle. Ces deux concepts ont été créés pour suppléer au silence de l’art. 23 sur le niveau de services et la qualité d’instruction qu’il garantit aux minorités linguistiques officielles.
[22]                        Aux termes de l’art. 23, la mise en œuvre des droits des minorités linguistiques officielles est tributaire de la présence d’un nombre suffisant d’enfants. Toutefois, cet article est muet sur ce qui constitue un nombre justifiant le droit à l’instruction et à des établissements d’enseignement. De fait, l’al. (3)a) énonce que le droit à l’instruction dans la langue de la minorité « s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant ». Cette disposition est complétée par l’al. (3)b), lequel édicte que le droit à cette instruction comprend celui de la recevoir dans des établissements de la minorité financés par l’État « lorsque le nombre de ces enfants le justifie ».
[23]                        Dans l’arrêt Mahe, notre Cour a rejeté l’approche dite des « droits distincts », laquelle suppose que l’art. 23 vise seulement deux droits : le droit à des établissements d’enseignement s’il existe un nombre spécifique d’élèves, et uniquement le droit à l’instruction en présence d’un nombre plus petit d’élèves. Notre Cour a plutôt retenu que l’art. 23 doit être considéré « comme établissant une exigence “variable” » (p. 366).
[24]                        En vertu de ce concept, désormais appelé « échelle variable », l’art. 23 donne ouverture à une gamme de services éducatifs. La limite inférieure de cette échelle variable correspond au seul droit à l’instruction prévu à l’al. (3)a), alors que la limite supérieure correspond au « niveau supérieur de gestion et de contrôle » que fixe l’al. (3)b) (Mahe, p. 370). En d’autres mots, à la limite inférieure, les bénéficiaires de l’art. 23 ont le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité linguistique officielle. Toutefois, le niveau de contrôle qu’exerce la minorité sur la prestation de l’instruction augmente en fonction du nombre d’enfants d’ayants droit. À la limite inférieure de l’échelle, la minorité n’a droit qu’à l’instruction dans sa langue. Au milieu, elle pourrait contrôler une ou plusieurs salles de classe dans une école de la majorité ou encore une portion d’une école partagée avec la majorité. Elle pourrait également contrôler l’embauche du personnel enseignant ainsi que certaines dépenses. À la limite supérieure, la minorité contrôle un établissement d’enseignement distinct, c’est-à-dire une école homogène. Le nombre d’enfants d’ayants droit peut en outre donner droit à la gestion et au contrôle d’un conseil scolaire distinct. Bref, une fois que le seuil minimal de l’al. (3)a) a été franchi, l’échelle variable permet de déterminer le niveau de services qui correspond au degré de contrôle qu’exercera la minorité sur la prestation des services éducatifs.
[25]                        Ainsi, la jurisprudence de notre Cour reconnaît que l’art. 23 comporte une limite interne, c’est-à-dire le critère du nombre justificatif. Le concept de l’échelle variable a été développé par les tribunaux pour donner corps à cette limite interne. L’article 23 n’impose en effet aucune obligation constitutionnelle aux gouvernements lorsque le nombre d’élèves concernés est insuffisant pour justifier la création d’un programme d’instruction dans la langue de la minorité (Mahe, p. 367). Le droit à un tel programme d’instruction correspond à la limite inférieure de l’échelle variable, limite sous laquelle aucune obligation n’est due en vertu de l’art. 23. Les tribunaux reconnaissent par là que les fonds publics sont limités et qu’on ne peut obliger les gouvernements à mettre en place des installations éducatives pour un tout petit nombre d’élèves. Cependant, lorsque le nombre d’élèves concernés atteint le seuil justificatif requis, il faut alors situer ce nombre sur l’échelle variable afin de déterminer l’étendue des droits que garantit l’art. 23 aux ayants droit. Le présent pourvoi est l’occasion de clarifier la méthode qui permet de situer un nombre donné d’élèves sur cette échelle variable.
[26]                        L’article 23 est également muet sur la qualité de l’instruction qui doit être offerte à la minorité linguistique officielle. Dans l’arrêt Rose‑des‑vents, la Cour a confirmé que les minorités linguistiques officielles sont en droit d’obtenir une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité. Elle a indiqué qu’une instruction n’est pas réellement équivalente lorsqu’un parent raisonnable est découragé d’exercer ses droits linguistiques parce que l’école de la minorité est véritablement inférieure à celle de la majorité (Rose-des-vents, par. 35). Il s’ensuit que, pour mesurer la qualité de l’instruction, les tribunaux doivent se livrer à un processus de comparaison entre l’école de la minorité et les écoles de la majorité qui constituent une solution de rechange réaliste. L’arrêt Rose-des-vents portait cependant sur une situation où le nombre d’élèves inscrits à l’école de la minorité était comparable au nombre d’élèves inscrits dans les écoles avoisinantes de la majorité. Le présent pourvoi permet de déterminer si le critère d’équivalence réelle décrit dans l’arrêt Rose-des-vents s’applique sans égard au nombre d’élèves de la minorité en question ou si l’appréciation de l’équivalence doit varier en fonction du nombre d’élèves de cette minorité.
C.            Les appelants et leur demande
[27]                        Les appelants sont le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique (« CSF »), la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique, ainsi que trois parents titulaires de droits au sens de l’art. 23 de la Charte. Le CSF est le seul conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique. Il a commencé à exercer ses pouvoirs en 1997 à la suite de recours judiciaires fondés sur l’art. 23. À la date du dépôt des procédures devant notre Cour, le territoire du CSF couvrait l’ensemble de la province et regroupait 37 écoles réparties dans 17 régions.
[28]                        En juin 2010, les appelants ont déposé une demande introductive d’instance à l’encontre de Sa Majesté la Reine du chef de la province de la Colombie-Britannique et du ministre de l’Éducation de la Colombie-Britannique (collectivement, la « Province ») auprès de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, soutenant que plusieurs aspects du financement du système d’éducation pénalisent la minorité linguistique officielle et violent les droits qui lui sont reconnus par l’art. 23. Les violations reprochées sont nombreuses et peuvent être divisées en deux catégories. La première catégorie regroupe les demandes de nature systémique. Ces demandes concernent notamment le non-accès à une subvention annuelle pour l’entretien des édifices, la formule utilisée pour prioriser les projets d’immobilisation, le manque de financement du transport scolaire et le manque d’accès à des espaces pour des activités culturelles. La deuxième catégorie se compose de demandes présentées par les appelants en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou des améliorations à des écoles existantes dans 17 communautés.
[29]                        Les appelants ont eu partiellement gain de cause en première instance. Ils ont fait appel devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. Leur appel a été rejeté tandis que l’appel incident déposé entre-temps par la Province a été accueilli.
III.         Historique judiciaire
A.           Cour suprême de la Colombie-Britannique (2016 BCSC 1764)
[30]                        Dans un jugement très étoffé — qui est le fruit d’un travail colossal dont la qualité doit être soulignée —, la juge Russell accueille en partie la demande du CSF et de ses co-appelants. Pour faciliter la compréhension des motifs de la juge de première instance, ceux-ci peuvent être divisés en quatre sections : (1) la démarche pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable; (2) le critère pour évaluer la qualité de l’expérience éducative offerte aux minorités linguistiques officielles; (3) les facteurs pertinents pour l’analyse fondée sur l’article premier; (4) le droit à l’octroi de dommages-intérêts. Ce résumé de l’historique judiciaire ne traite que de ces aspects des jugements des juridictions inférieures portés en appel devant notre Cour.
[31]                        Premièrement, la juge de première instance élabore une démarche permettant de situer le nombre d’élèves d’une communauté donnée sur l’échelle variable. Elle souligne que deux facteurs doivent guider l’analyse basée sur l’échelle variable prescrite par l’arrêt Mahe : les services qui sont appropriés du point de vue pédagogique et le coût des services envisagés.
[32]                        Selon la juge, l’analyse prescrite par l’arrêt Mahe présente un caractère pratique, ce qui justifie le recours à une approche comparative. À son avis, tant la mise en balance des considérations pédagogiques et financières que l’application des enseignements plus larges de cet arrêt appuient cette conclusion. La juge déduit donc que [traduction] « [p]our déterminer ce qui est réaliste pour les gouvernements de fournir du point de vue de la pédagogie et des coûts, il est logique de considérer ce qu’ils fourniraient à un nombre similaire d’élèves de la majorité dans la même communauté » (motifs de première instance, par. 791 (CanLII)). À partir de cette comparaison avec les écoles avoisinantes, la juge détermine les différents seuils de l’échelle variable. Elle conclut que la limite supérieure de l’échelle est atteinte lorsque le nombre d’élèves de la minorité est comparable à celui des écoles avoisinantes de la majorité. Elle conclut également que le nombre d’élèves se situe au milieu de l’échelle variable lorsqu’il est suffisamment élevé pour former une classe, mais insuffisant pour justifier une école de taille comparable à celles de la majorité. En ce qui concerne le niveau inférieur de l’échelle, elle juge qu’une analyse comparative n’est pas nécessaire et que le droit à l’instruction existe dès que le CSF estime que le nombre d’élèves le justifie.
[33]                        La juge souligne aussi que les droits reconnus aux citoyens canadiens par l’art. 23 varient dans le temps en fonction du nombre d’élèves. En effet, il est possible que le nombre d’élèves concernés se situe à la limite inférieure de l’échelle variable lorsqu’un nouveau programme voit le jour. Si le programme prend de l’expansion, ses effectifs pourraient devenir comparables à ceux des écoles de la majorité, auquel cas cela pourrait justifier la mise en place d’installations homogènes.
[34]                        La juge applique ensuite le cadre analytique qu’elle a établi et tire des conclusions pour chacune des communautés où les appelants reprochent des violations de leurs droits relativement à des écoles existantes ou à des écoles dont on projette la construction. Elle prononce des jugements déclaratoires portant sur le droit à des installations éducatives dans plusieurs communautés. Il est inutile d’énumérer ici tous les projets d’écoles qui ont été approuvés par la juge de première instance, car le CSF et ses co-appelants ne font pas appel de ces conclusions. Le CSF et ses co-appelants portent toutefois en appel des conclusions sur neuf projets de création d’écoles ou d’amélioration d’écoles existantes qui ont été refusés par la juge de première instance parce que le nombre d’élèves ne justifie pas leur réalisation. Ces projets sont situés à Abbotsford, Burnaby, Chilliwack, Pemberton, Vancouver Nord-Est, Victoria Est, Victoria Ouest, Victoria Nord et Whistler.
[35]                        Les jugements déclaratoires qui reconnaissent aux appelants le droit à de nouvelles écoles ou à l’agrandissement d’écoles existantes n’obligent pas la Province à financer immédiatement les projets d’immobilisation réclamés par les appelants. La juge souligne que le coût de ces projets est estimé à plus de 300 millions de dollars et conclut que le fait d’exiger du CSF qu’il priorise ses projets immobiliers — y compris ceux qui sont nécessaires pour remédier à une violation de l’art. 23 — ne porte pas atteinte au droit de contrôle et de gestion dont dispose cet organisme. L’exigence requérant la priorisation des projets constitue plutôt une mesure qui à la fois respecte le droit de contrôle et de gestion dont jouit la minorité linguistique officielle et tient compte de l’impossibilité de réaliser tous les projets immobiliers simultanément.
[36]                        Deuxièmement, la juge précise le critère pour déterminer la qualité de l’expérience éducative qui doit être offerte aux minorités linguistiques officielles. Elle fait une distinction entre les écoles de la minorité qui sont d’une taille comparable à celles de la majorité et celles qui sont de taille plus petite. Elle conclut que, lorsque les nombres sont comparables, les ayants droit doivent bénéficier d’installations distinctes et de qualité équivalente à celles de la majorité. Toutefois, d’un point de vue pratique, on ne peut s’attendre à ce que les écoles de la minorité dont le nombre d’élèves n’est pas comparable à celui de la majorité offrent des services éducatifs équivalents à ceux des écoles de la majorité. Elle estime que, dans de telles circonstances, [traduction] « la minorité n’a pas droit à des programmes, aménagements et services pleinement équivalents » (motifs de première instance, par. 860) et qu’il faut plutôt privilégier une approche proportionnelle. Les installations et les programmes pertinents doivent être proportionnels aux installations et programmes des écoles avoisinantes de la majorité. Dans les cas où le nombre d’élèves des écoles de la minorité n’est pas comparable à celui des écoles de la majorité, il faut se demander [traduction] « si, de l’avis d’un ayant droit raisonnable, il y a disproportion significative entre l’école de la minorité et les installations offertes à la majorité, sur la base d’une comparaison à l’échelle locale de l’expérience éducative globale » (par. 853).
[37]                        La juge conclut que, dans plusieurs communautés, les ayants droit doivent bénéficier d’installations offrant une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité. Le CSF et ses co-appelants ne font pas appel de ces conclusions.  Toutefois, la juge arrive à la conclusion que le nombre d’enfants des ayants droit à Abbotsford, Burnaby, Chilliwack, Kelowna, Nanaimo, Nelson, Penticton, Sechelt, Squamish, Vancouver Nord-Est, Victoria Est, Victoria Ouest, Victoria Nord et Whistler ne justifie pas l’accès à une expérience éducative réellement équivalente, mais plutôt à une expérience éducative proportionnellement équivalente à celle offerte à la majorité.
[38]                        La juge se penche sur la qualité de l’expérience éducative dans plusieurs communautés où les appelants affirment ne pas bénéficier de l’expérience à laquelle ils ont droit. Les appelants portent en appel ses conclusions concernant trois d’entre elles. Il s’agit des communautés de Nelson, Chilliwack et Mission. À Nelson, la juge conclut que l’expérience éducative dont profite la minorité est comparable à celle offerte à la majorité. Pour ce qui est de Chilliwack, la juge conclut que l’expérience éducative qui y est offerte est supérieure à celle à laquelle la communauté a droit. Dans le cas de Mission, la juge se dit persuadée que les cours d’éducation physique qui y sont offerts sont inférieurs à ceux offerts aux élèves des écoles de la majorité. La juge tient pour acquis, sans toutefois trancher la question, que ces cours d’éducation physique inférieurs suffisent pour établir l’existence d’une violation des droits linguistiques. Elle conclut que cette violation résulte d’un aspect du mécanisme de financement mis en place par la Province, soit le « Facility Condition Driver » (que j’appellerai « l’indice d’état des installations ») qui est utilisé pour prioriser les projets d’immobilisation. Cet indice ne considère que l’état des immeubles et non la capacité des écoles d’assurer leur fonction pédagogique.
[39]                        Troisièmement, la juge de première instance rappelle les principes d’interprétation qui doivent guider l’analyse des violations de l’art. 23 au regard de l’article premier, ainsi que leur application en l’espèce. D’abord, le tribunal doit tenir compte du contexte, ce qui inclut les objectifs économiques et budgétaires de la Province. Pour cette raison, la prétention des appelants selon laquelle l’analyse du contexte doit plutôt se limiter à la nécessité de protéger et de promouvoir la minorité franco-colombienne est rejetée.
[40]                        Ensuite, la juge se penche sur le degré de déférence dont doit jouir la Province et conclut que la présente affaire justifie d’accorder un degré de déférence moyen. Elle refuse de conclure que les violations de l’art. 23 doivent être analysées selon une norme sévère, comme c’est le cas pour les violations des arts. 7 et 15 de la Charte, car l’art. 23 ne met pas en jeu les mêmes considérations fondamentales.
[41]                        La juge se prononce aussi sur l’incidence de la question des coûts dans la justification d’une violation en vertu de l’article premier. Elle conclut que, lorsque liés à d’autres considérations qui ne sont pas de nature financière, les coûts peuvent constituer un objectif valable pour l’application de l’article premier. En l’espèce, la juge accepte que [traduction] « l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » (motifs de première instance, par. 1065) constitue un objectif urgent et réel.
[42]                        La juge se prononce également sur l’analyse de la proportionnalité prescrite dans l’arrêt R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103. Elle précise que, pour statuer sur la proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit et l’objectif désigné comme important, il faut prendre en compte dans l’analyse à la fois les effets à l’échelle locale et les effets à l’échelle systémique. Selon la juge, une analyse qui se borne aux effets bénéfiques sur le plan local risque d’occulter le fait que, malgré l’existence d’installations de qualité inférieure à la moyenne dans une communauté particulière, le CSF gère un système de qualité égale, voire supérieure à celui des autres conseils scolaires.
[43]                        Les effets bénéfiques sur le plan local comprennent ce que le système de financement fournit aux ayants droit d’une communauté donnée. À l’échelle systémique, les effets bénéfiques incluent ce que celui-ci fournit aux ayants droit dans l’ensemble de la province. En revanche, sont considérés parmi les effets préjudiciables, à l’échelle locale, le fait que les enfants des titulaires de droit ne reçoivent pas l’expérience éducative à laquelle ils ont droit, et, à l’échelle systémique, le risque d’assimilation. La juge estime toutefois que la présence d’écoles de la minorité linguistique n’aura pas d’effet significatif sur le fort taux d’assimilation linguistique de cette minorité en Colombie-Britannique, et que le risque d’assimilation accrue ne constitue donc pas un effet préjudiciable particulièrement important.
[44]                        À la lumière de ce cadre d’analyse, elle conclut que plusieurs violations des droits linguistiques des appelants sont justifiées au regard de l’article premier. Ainsi, le manque d’accès à des installations de base à Pemberton, la surpopulation étudiante projetée à l’école Victor-Brodeur à Victoria et ses deux annexes, la qualité inférieure du gymnase à Mission due à l’indice d’état des installations utilisé par la Colombie-Britannique et le fait que le CSF a été privé de l’enveloppe destinée à l’entretien des immeubles en milieu rural (« Annual Facilities Grant Rural Factor » que j’appellerai le « facteur rural de la subvention annuelle aux installations »)  sont, selon la juge de première instance, des violations qui sont justifiées dans le cadre d’une société libre et démocratique.
[45]                        Quatrièmement, la juge se prononce sur l’octroi de dommages-intérêts. Elle estime qu’une telle réparation n’est pas justifiée pour la plupart des demandes formulées par les appelants. Les enseignements des arrêts Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, et Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, représentent, à son avis, une fin de non-recevoir à l’octroi de dommages-intérêts.
[46]                        Aux yeux de la juge de première instance, l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en vertu de l’arrêt Mackin est un premier obstacle à l’octroi de dommages-intérêts. Elle conclut que l’État jouit de l’immunité à l’égard de décisions découlant d’une loi subséquemment jugée inconstitutionnelle, ce qui est le cas en l’espèce, puisque le fondement de plusieurs reproches repose sur l’application d’une loi régissant le financement des projets d’immobilisation. De plus, à la lumière des enseignements de l’arrêt Ward, elle juge que la possibilité de rendre un jugement déclaratoire et la nécessité que l’État puisse légiférer sans être éventuellement condamné à verser des dommages-intérêts sont autant de facteurs qui militent contre l’octroi d’une réparation pécuniaire.
[47]                         La juge statue que le gel du financement du transport scolaire alors que le nombre d’élèves de la minorité augmentait constitue une violation de l’art. 23, et elle ordonne en conséquence le versement de six millions de dollars en dommages-intérêts au CSF pour compenser une partie du déficit qu’il a subi. Elle estime qu’une telle ordonnance n’a pas d’effet paralysant sur les politiques gouvernementales de la Province. Elle refuse toutefois d’accorder des dommages-intérêts de 1,1 million de dollars au CSF pour l’indemniser du fait qu’il a été privé du facteur rural de la  subvention annuelle aux installations, considérant que cette situation était justifiée au regard de l’article premier.
B.            Cour d’appel de la Colombie-Britannique (2018 BCCA 305, 14 B.C.L.R. (6th) 52)
[48]                        Les appelants interjettent appel du jugement de la juge de première instance, plaidant qu’elle a commis plusieurs erreurs de droit dans son analyse en vue d’identifier les violations alléguées de l’art. 23 de la Charte, dans son examen de la justification des violations au regard de l’article premier et dans l’octroi des réparations demandées. La Cour d’appel rejette l’appel et conclut que la Charte n’oblige pas la Province à octroyer des fonds publics pour financer les écoles qui sont réclamées. Elle s’appuie sur la nécessité de faire preuve de pragmatisme lorsque les tribunaux interprètent les obligations imposées par l’art. 23 aux gouvernements. La Cour d’appel décide que la juge de première instance n’a pas commis d’erreur dans son analyse en vue de déterminer s’il y avait eu violation de l’art. 23, ni dans son examen des violations au regard de l’article premier.
[49]                        Dans le cadre de l’appel incident, la Province reproche à la juge de première instance de l’avoir erronément condamnée à verser des dommages-intérêts en vertu de la Charte, au motif qu’elle n’aurait pas financé adéquatement les frais de transport. La Cour d’appel accueille l’appel incident, estimant que la juge n’a pas reconnu et appliqué l’immunité dont bénéficie l’État, en vertu de l’arrêt Mackin, contre les condamnations au paiement de dommages-intérêts. Elle annule l’octroi de dommages-intérêts pour le financement inadéquat du transport scolaire.
IV.         Questions en litige
[50]                        Le pourvoi soulève les questions suivantes :
1.                                 Quelle est la démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable?
2.                                 Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles varie-t-il selon le nombre d’élèves de la minorité?
3.                                 Le fait d’obliger un conseil scolaire à prioriser ses projets d’immobilisation constitue-t-il une violation de l’art. 23?
4.                                 Comment une violation de l’art. 23 s’apprécie-t-elle au regard de l’article premier?
5.                                 Est-ce que l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts s’applique aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23?
V.           Analyse
A.           Quelle est la démarche permettant de situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable?
[51]                        Le présent pourvoi permet à la Cour de clarifier la marche à suivre pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable. Cette échelle, qui sert à déterminer le niveau de services auquel ont droit les minorités linguistiques officielles, permet de décider si la minorité a droit à une école homogène, à des installations éducatives partagées avec la majorité ou à une autre solution appropriée. Elle permet également de décider si la minorité a droit à un conseil scolaire distinct. Notre Cour a énoncé les principes qui doivent guider les tribunaux dans cette opération, mais elle n’a jamais précisé la démarche qu’il convient d’appliquer.
[52]                        Dans l’arrêt Mahe, notre Cour explique que, pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable, l’analyse doit se concentrer sur « (1) les services appropriés, en termes pédagogiques, compte tenu du nombre d’élèves visés; et (2) le coût des services envisagés » (p. 384). Il va de soi cependant qu’en raison du caractère réparateur de l’art. 23, les besoins pédagogiques pèsent plus lourd dans la balance que les coûts (p. 385). L’arrêt Mahe n’a pas défini exhaustivement ces deux facteurs, mais un examen jurisprudentiel et sémantique permet d’en cerner les contours.
[53]                        D’abord, la « pédagogie » est définie comme étant « l’ensemble des méthodes utilisées pour éduquer les enfants et les adolescents » (Le Dictionnaire Larousse (en ligne)). Le mot anglais « pedagogy » est défini similairement comme suit : [traduction] « théorie ou principe en matière d’éducation; méthode d’enseignement basée sur une telle théorie » (Oxford English Dictionary (en ligne)). Dans l’arrêt Mahe, s’exprimant sous la plume du juge en chef Dickson, la Cour souligne « l’existence d’un seuil numérique minimal pour assurer le fonctionnement efficace de certains programmes et établissements » (p. 385). Par ailleurs, dans une affaire où elle était appelée à se prononcer sur le facteur des besoins pédagogiques, la Cour a déjà évoqué la capacité d’une école projetée de « répondre à toutes les exigences du programme d’études » (Arsenault-Cameron, par. 39).
[54]                        Tant la définition de « pédagogie » que les préoccupations exprimées dans la jurisprudence démontrent que ce facteur s’intéresse à la viabilité pédagogique du projet proposé par la minorité linguistique officielle. Ce facteur vise en fait à répondre à la question suivante : Compte tenu du nombre d’élèves concernés, le niveau de services proposé par la minorité permet-il de répondre à toutes les exigences du programme d’études, à savoir les différentes connaissances et compétences que doivent acquérir les élèves durant leur parcours scolaire?
[55]                        Le second facteur, c’est-à-dire les coûts, est une contrainte particulière à l’art. 23, puisqu’« il n’est financièrement pas possible d’accorder à chaque groupe d’élèves appartenant à la minorité linguistique, si petit soit-il, les mêmes services que ceux donnés à un groupe important d’élèves visés par l’art. 23 » (Mahe, p. 385). Les considérations financières s’entendent des coûts associés à la construction d’une nouvelle école ou au lancement d’un programme, ainsi qu’aux coûts d’exploitation qui s’y rattachent. Le facteur des coûts prend en compte le fait que les fonds publics sont limités et qu’ils doivent en conséquence être utilisés judicieusement. Une fois déterminés les coûts associés au projet envisagé, le tribunal doit alors se demander, conformément au cadre développé dans l’arrêt Mahe, si ces coûts sont justifiés au regard du nombre d’élèves concernés. Il est bien établi que les coûts sont un facteur moins important que les besoins pédagogiques de la minorité linguistique officielle.
[56]                        Plusieurs intervenants représentant les minorités linguistiques officielles ou les appuyant ont souligné le besoin de clarifier le cadre élaboré dans l’arrêt Mahe. En effet, force est de constater qu’en raison de l’interprétation que donnent les cours inférieures de l’arrêt Mahe et des interminables recours judiciaires qui doivent être exercés pour faire valoir des droits linguistiques, l’exercice de ces droits s’en trouve par trop souvent retardé, sinon diminué. La présente instance en est un exemple patent. Plus de dix années se sont écoulées entre le dépôt des procédures judiciaires et le jugement de notre Cour. Comme l’a signalé l’intervenante Canadian Association for Progress in Justice, [traduction] « dix années de litige pour statuer sur l’existence de droits n’est tout simplement pas une façon de faire soutenable » (mémoire de l’intervenante, par. 2). Près de deux générations d’élèves du niveau primaire ont ainsi été privées de leurs droits linguistiques, situation qui a contribué à l’érosion de la communauté linguistique franco-colombienne. En outre, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones a pour sa part expliqué pourquoi il est nécessaire d’alléger le fardeau dont une partie demanderesse doit s’acquitter pour démontrer la pertinence d’une école homogène. La présente affaire illustre bien pourquoi la prétention selon laquelle l’arrêt Mahe fournit déjà des lignes directrices suffisantes pour l’application du cadre de l’art. 23 ne peut être retenue. Je suis d’avis qu’il importe de préciser comment les tribunaux doivent appliquer les grands principes de l’arrêt Mahe pour situer sur l’échelle variable le nombre d’élèves concernés dans une affaire donnée. En conséquence, j’estime que le temps est venu d’énoncer une démarche simple et prévisible, qui pourrait même permettre d’éviter, dans la mesure du possible, le recours aux tribunaux.
[57]                        Afin de tenir compte des considérations pédagogiques et des considérations financières énoncées dans l’arrêt Mahe, voici la démarche que je propose pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable. Cette démarche vise à reconnaître le caractère réparateur de l’art. 23 « de manière à faire des deux groupes linguistiques officiels du Canada des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation » (Rose-des-vents, par. 27 (je souligne), se référant à Arsenault-Cameron, par. 26, Mahe, p. 364). Elle s’appuie sur la prémisse selon laquelle une école homogène, c’est-à-dire un établissement distinct et contrôlé par la minorité linguistique officielle, est justifiée lorsqu’un nombre comparable d’élèves de la majorité dispose d’une telle école.
(1)         La première étape : établir le nombre d’élèves concernés
[58]                        Pour situer le nombre d’élèves concernés sur l’échelle variable, la première étape consiste à déterminer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service envisagé. Elle marque le point de départ de l’analyse du « nombre justificatif ».  Le fardeau de la preuve relativement au nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service incombe aux demandeurs de la minorité linguistique officielle. Pour s’acquitter de ce fardeau, ceux-ci doivent présenter au tribunal une preuve propre à lui permettre de statuer sur ce point. Cette preuve peut notamment s’appuyer sur des témoignages d’experts, sur différents outils statistiques tel le recensement et sur des modèles statistiques qui tiennent compte de la démographie de la communauté en question, de sa situation géographique et de tout autre facteur susceptible d’influer sur le nombre d’élèves concernés.
[59]                        Il faut s’appuyer sur des projections à long terme. Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Mahe, « le chiffre pertinent aux fins de l’art. 23 est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement envisagés » (p. 384). Une approche qui tient compte de projections à court terme plutôt que du nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service va à l’encontre de l’art. 23 et de la jurisprudence de notre Cour. Une telle approche, qu’on pourrait qualifier de « temporelle », a pour effet d’imposer à la minorité le fardeau de réclamer au gouvernement une amélioration des services qui lui sont offerts chaque fois que le nombre d’élèves franchit un nouvel échelon de l’échelle variable et, si nécessaire, de s’adresser aux tribunaux afin de revendiquer ses droits à cet égard. Un tel résultat n’est pas souhaitable. Une approche qui tient compte des effectifs à long terme permet de réduire la fréquence de telles démarches.
[60]                        Le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service se situe entre la demande connue et le nombre total d’enfants d’ayants droit visés à l’art. 23 (Mahe, p. 384). Je considère qu’il n’est pas nécessaire en l’instance de fixer avec précision le nombre d’années qui constitue une projection à long terme. D’une part, ces projections doivent prendre en compte le fait que les projets de construction ou d’agrandissements d’écoles se planifient sur le long terme. D’autre part, elles ne doivent pas porter sur un futur si éloigné qu’elles ne sauraient permettre d’obtenir un nombre fiable.
(2)         La deuxième étape : recourir à une méthode comparative pour déterminer si l’école envisagée par la minorité est appropriée au regard de la pédagogie et des coûts
[61]                        À la deuxième étape, le tribunal doit déterminer si l’école ou le programme proposé par la minorité est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts pour le nombre d’élèves concernés. Je privilégie une méthode simple, soit une méthode comparative, qui présente également l’avantage de réduire la nécessité de recourir aux tribunaux.
[62]                        Notre Cour a d’ailleurs souvent utilisé des méthodes comparatives dans le contexte d’affaires portant sur l’art. 23. À titre d’exemple, dans l’arrêt Mahe, elle a comparé le nombre d’élèves de la minorité à Edmonton au nombre d’élèves des conseils scolaires de l’Alberta pour déterminer si la minorité avait droit à un conseil scolaire distinct. Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, la Cour a analysé la viabilité pédagogique d’un projet d’école en comparant le nombre d’élèves de la minorité au nombre d’élèves de plusieurs petites écoles de la majorité. Elle a également examiné la qualité de l’expérience éducative en comparant les installations scolaires de la minorité à celles de la majorité dans l’arrêt Rose-des-vents.
[63]                        Il convient de recourir à une méthode comparative dans le contexte de l’application de l’échelle variable, car il est difficile d’associer un nombre donné d’élèves à des normes pédagogiques. C’est souvent l’expérience et la pratique qui déterminent si un nombre donné d’élèves est suffisant pour permettre à une école de fonctionner efficacement au regard du programme d’études de la province. En ce sens, l’existence d’écoles de la majorité présentant une taille similaire constitue le meilleur indicateur, et surtout le critère le plus simple à utiliser, pour déterminer si un nombre donné d’élèves permet d’atteindre les objectifs du programme d’études. En effet, pour démontrer qu’une école peut répondre aux normes pédagogiques, il est difficile de trouver un argument plus convaincant que l’existence ou le maintien d’écoles de la majorité de taille similaire.
[64]                        Les caractéristiques particulières d’une communauté de langue minoritaire ne sont pas utiles pour évaluer la viabilité pédagogique d’un projet d’école. À titre d’exemple, il n’est pas pertinent d’établir une distinction entre les communautés qui ont une forte présence historique et les communautés plus récemment établies, car toutes ont les mêmes besoins pédagogiques. La viabilité pédagogique d’un projet d’école, c’est-à-dire la capacité de cette école à atteindre les objectifs fixés par le programme d’études, ne varie pas en fonction du caractère historique d’une communauté. Le fait qu’une communauté soit une communauté de longue date n’a pas lui non plus d’incidence sur les coûts d’un projet scolaire. De plus, une distinction qui tendrait à suggérer que les communautés linguistiques officielles établies depuis longtemps sont plus légitimes que celles établies récemment irait à l’encontre non seulement de la lettre mais également de l’esprit de la Charte. L’article 23 garantit des droits aux « citoyens canadiens » des minorités linguistiques officielles au sens de la Charte et appelle un traitement égal pour tous.
[65]                        Afin de situer le nombre d’élèves sur l’échelle variable, je suis d’avis que l’analyse comparative doit se réaliser sur une base provinciale. Au Canada, les lois en matière d’éducation sont déterminées sur une base provinciale en vertu de l’art. 93 de la Loi constitutionnelle de 1867[1]. L’alinéa 23(3)a) reconnaît ce fait en affirmant que le droit constitutionnel qu’il crée « s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité ». Il s’agit d’un premier indice en faveur d’une base de comparaison provinciale.
[66]                        Devant notre Cour, la Province a soutenu qu’une comparaison à l’échelle de la province n’est pas appropriée, car les petites écoles rurales ne constituent pas des éléments de comparaison valables. Selon la Province, ces écoles rurales existent en raison de l’isolement géographique des élèves concernés. À mon avis, ce constat ne permet pas de retirer systématiquement les écoles rurales de l’équation. L’isolement culturel des minorités visées par l’art. 23 est une situation qui, quoique différente à certains égards, est similaire sur le plan sociolinguistique à l’éloignement géographique de certaines communautés issues de la majorité. Je reconnais que l’analogie n’est pas parfaite. Une petite école rurale demeure souvent la seule solution pour instruire une population éloignée tandis que, dans le contexte des minorités linguistiques, une école homogène est certes une solution mais pas la seule. Il est parfois possible d’instruire de petits groupes soit au sein d’une école hétérogène soit dans le cadre d’un programme d’instruction. Par ailleurs, les considérations financières ne sont pas les mêmes en zone urbaine et en zone rurale. Les coûts d’acquisition d’un terrain peuvent être moins élevés dans un village que dans une métropole. Il n’en demeure pas moins que les écoles des minorités linguistiques officielles, tout comme les écoles rurales, servent à répondre aux besoins essentiels en matière d’éducation de populations isolées, besoins qui présentent un caractère particuliers, d’un point de vue géographique ou sociolinguistique. On ne peut donc prétendre que les petites écoles rurales doivent être systématiquement exclues des comparaisons à l’échelle provinciale. Il convient plutôt d’écarter, au cas par cas, les situations exceptionnelles.
[67]                        De plus, j’ai des réserves à l’égard d’une démarche qui limiterait les éléments de comparaison aux seules écoles locales. Une telle situation aurait pour effet de lier la reconnaissance des droits de la minorité aux choix effectués par la majorité pour ses élèves. Si la Cour adoptait cette méthode, il serait plus facile pour une minorité d’obtenir des écoles homogènes dans une ville donnée où la majorité a choisi de se doter de petites écoles que dans une autre ville où la majorité a choisi d’exploiter de plus grandes écoles. Je suis d’avis que l’utilisation des données à l’échelle provinciale assure un traitement équitable partout dans la province.
[68]                         Lorsqu’une province exploite de petites écoles avec un nombre réduit d’élèves dans certaines régions de son territoire, elle estime forcément qu’elles répondent aux besoins pédagogiques des élèves qui y sont inscrits et qu’elles se justifient au regard des principes de saine utilisation des fonds publics. Dans l’arrêt Arsenault-Cameron, notre Cour a tiré une inférence positive du fait qu’il existait plusieurs écoles anglaises de moins de 100 élèves dans la province et que le ministre de l’Éducation « n’était disposé à fermer aucune de celles‑ci ni à affirmer qu’elles ne satisfaisaient pas aux normes pédagogiques du ministère » (par. 40).
[69]                        En conséquence, j’estime que la présence d’écoles de la majorité qui desservent un nombre donné d’élèves, peu importe leur emplacement dans la province, permet de présumer qu’il est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts de créer une école de taille comparable pour la minorité. La province peut cependant réfuter cette présomption en démontrant selon la prépondérance des probabilités que les écoles de la majorité utilisées aux fins de comparaison ne sont pas des éléments comparatifs appropriés ou que l’école projetée par la minorité n’est pas appropriée sur le plan de la pédagogie ou des coûts. Je précise également que les demandeurs, qui ont la tâche d’identifier les écoles de comparaison, doivent s’efforcer de soumettre au tribunal un nombre raisonnable d’écoles qui, au meilleur de leurs connaissances, constituent des éléments de comparaison appropriés à la lumière des enseignements de la présente décision. Une telle approche favorise l’économie des ressources judiciaires en évitant notamment que les tribunaux et les parties aient à analyser en détail des centaines d’écoles.
[70]                        Cette démarche a l’avantage d’être simple et conforme aux enseignements de notre Cour. Elle reconnaît que les considérations pédagogiques et celles liées aux coûts sont imbriquées et s’apprécient simultanément. Comme l’a expliqué le juge en chef Dickson, « dans la plupart des cas, les exigences pédagogiques permettront d’éviter l’imposition à l’État de charges pécuniaires irréalistes » (Mahe, p. 385). Les considérations pédagogiques englobent donc habituellement celles reliées aux coûts. Pour les cas d’exception, lesquels seront assurément rares, la province est tout de même habilitée à démontrer qu’un projet d’école n’est pas approprié, soit en invoquant les besoins pédagogiques des élèves, soit en se basant sur les coûts. La présomption que je viens d’identifier est ainsi conforme à la limite interne de l’art. 23, puisqu’elle peut être réfutée au motif que l’une ou l’autre des considérations énoncées dans l’arrêt Mahe — la pédagogie et les coûts — n’est pas respectée.
[71]                        Cette présomption tient compte du fait que la minorité a le fardeau d’établir le nombre d’élèves concernés et d’identifier des écoles de comparaison. Une fois qu’il a été satisfait à ce fardeau, en l’absence de preuve contraire apportée par la province, la présence d’écoles de la majorité de taille similaire à l’école projetée par la minorité suffit pour établir la viabilité de cette école sur le plan pédagogique. Cette interprétation est conforme à la jurisprudence de notre Cour. En effet, dans l’arrêt Arsenault-Cameron, notre Cour a jugé que « rien dans la preuve ne permettait de conclure que les considérations pédagogiques ne pourraient pas être respectées ou qu’une petite école serait synonyme d’enseignement inférieur à la norme » (par. 39). La Cour a ainsi reconnu que les provinces sont les mieux placées pour formuler des observations au sujet de la qualité pédagogique des écoles de la majorité qu’elles exploitent et qui pourraient être utilisées à des fins de comparaison.
[72]                        En outre, cette présomption est conforme à la jurisprudence qui énonce que les provinces sont également mieux placées que les demandeurs pour fournir des prévisions par rapport aux coûts d’immobilisation et aux dépenses par élève. En effet, on ne peut attendre de la minorité qu’elle soit en mesure d’évaluer avec précision les coûts liés à l’éducation (Lavoie c. Nova Scotia (Attorney General) (1989), 1989 CanLII 9691 (NS CA), 91 N.S.R. (2d) 184, par. 48).
[73]                        La démarche comparative que je viens de décrire vise à déterminer si le nombre d’élèves de la minorité linguistique officielle est comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité. Je précise qu’un nombre comparable ne signifie pas un nombre identique. Une approche formaliste qui exigerait que le nombre des élèves de la minorité soit absolument égal ou supérieur à celui des élèves des écoles de la majorité pour que les premiers aient accès à des établissements distincts et équivalents aurait pour effet de renforcer le statu quo et irait à l’encontre de l’objet réparateur de l’art. 23. Il y a donc lieu de faire preuve de souplesse dans l’appréciation de ce qui constitue un nombre comparable.
[74]                        Cette souplesse reconnaît l’importance des écoles homogènes comme îlots linguistiques en milieu minoritaire. En effet, dans un tel contexte, l’école homogène est souvent le seul endroit où l’ensemble des activités d’une personne se déroulent dans sa langue. De surcroît, cette école sert de milieu de rassemblement pour la communauté étendue. Le partage de locaux ne peut remplir pleinement ces fonctions, car il rend plus difficile l’atteinte des objectifs ciblés par l’art. 23.
[75]                        Il existe deux voies que peut emprunter la province pour renverser cette présomption.  Elle peut, à son choix, faire valoir (1) que les écoles de comparaison identifiées par les demandeurs ne sont pas des éléments de comparaison appropriés du point de vue de la pédagogie ou des coûts, ou (2) que l’école envisagée par la minorité ne satisfait pas aux exigences du point de vue de la pédagogie ou de coûts. Je vais préciser ces différentes possibilités.
[76]                        Premièrement, la province peut démontrer que l’école de comparaison n’est pas un élément comparatif approprié. Pour ce faire, elle peut établir que l’école de comparaison ne satisfait pas aux exigences du programme d’études provincial. Voici quelques exemples. Une école qui sert une population étudiante aux besoins très particuliers — élèves ayant un handicap ou élèves étudiant dans le cadre d’un programme arts-études — représente un cas de figure où les objectifs d’apprentissage peuvent justifier qu’on y trouve un petit nombre d’élèves. En effet, de telles écoles ont un projet éducatif très particulier qui explique pourquoi elles dérogent aux normes habituelles de la province. 
[77]                        La province peut aussi faire la preuve que le nombre d’élèves d’une école a diminué de façon si importante à la suite d’un phénomène d’attrition que cette école ne répond plus aux exigences du programme d’études provincial. La province doit toutefois démontrer clairement que l’école en question ne répond plus à ces exigences. Cet exemple repose sur la même prémisse que celle qui a guidé la Cour dans l’arrêt Arsenault-Cameron, à savoir que si la province maintient cette petite école, c’est qu’elle estime que celle-ci continue de répondre aux exigences pédagogiques. Si ce n’est pas le cas, la province doit l’affirmer clairement.
[78]                        Il peut également arriver qu’une école de comparaison soit écartée sur la base de considérations financières. C’est le cas d’une école dont le fonctionnement dépend d’un important financement privé. Une telle école ne constitue pas un élément comparatif valable, puisqu’elle ne reflète pas ce que la province considère comme des dépenses appropriées en matière d’éducation. Il ne suffit pas ici de démontrer que l’école a reçu quelques dons. Il doit s’agir d’une école de la majorité dont la viabilité ne serait pas possible sans financement privé. De plus, une école qui dessert un milieu particulièrement isolé, par exemple un milieu accessible uniquement par transport maritime ou aérien ou encore une école qui dessert un milieu isolé qui est séparé du reste de la province par une route qui nécessite un trajet de plusieurs heures, peut justifier que des dépenses exceptionnelles y soient engagées pour un très petit nombre d’élèves lorsque c’est la seule façon d’assurer des services d’éducation à cette population isolée.
[79]                        Je tiens à préciser que ceci ne doit pas être interprété comme une invitation à conclure que toutes les petites écoles de la majorité sont des exceptions et qu’elles ne peuvent être utilisées comme éléments de comparaison. L’objectif est d’écarter les écoles de la majorité qui constituent des situations véritablement exceptionnelles.
[80]                        Deuxièmement, la province peut démontrer que l’école envisagée par la minorité n’est pas appropriée.  Pour ce faire, la province peut établir que le service envisagé ne permet pas d’atteindre les exigences du programme d’études provincial. Cette démonstration peut se faire à l’aide de témoignages d’experts ou de toute autre preuve que la province estime pertinente. À titre d’exemple, si la province veut démontrer que le trop petit nombre d’élèves de la minorité linguistique officielle ne permet pas d’atteindre les objectifs de socialisation du programme d’études provincial, elle doit expliquer précisément les objectifs de son programme et en quoi le nombre d’élèves concernés ne permet pas d’atteindre ces objectifs. La province est la mieux placée pour faire cette démonstration, car ce sont les experts du ministère de l’Éducation qui élaborent les normes du programme d’études. De plus, ce sont les ministères de l’Éducation des provinces qui délivrent les diplômes et qui s’assurent que les écoles répondent aux normes pédagogiques. Il est donc tout à fait approprié qu’il leur revient de démontrer en quoi le service envisagé, même s’il sert un nombre d’élèves comparable à celui d’écoles majoritaires, ne permet pas de répondre aux normes pédagogiques.
[81]                        La province peut également démontrer que les coûts du service envisagé par la minorité linguistique officielle représenteraient des charges pécuniaires irréalistes (voir Mahe, p. 385). Je rappelle qu’il est tout à fait normal que les coûts par élève des écoles de la minorité linguistique officielle soient plus élevés que ceux des écoles de la majorité en raison de la petite taille des établissements de la minorité. Toutefois, la province peut démontrer que le projet envisagé représente des charges pécuniaires irréalistes si les coûts de ce projet présentent un écart significatif par rapport au coût moyen des écoles de la majorité de taille comparable. À titre d’exemple, la construction d’une toute petite école au centre-ville d’une métropole où les coûts d’acquisition d’un terrain seraient prohibitifs pourrait représenter des charges pécuniaires irréalistes.
[82]                        Je précise que les coûts initiaux doivent être considérés avec prudence. La création d’une école requiert nécessairement d’importants coûts initiaux, mais ces coûts sont par la suite amortis, c’est-à-dire étalés sur la durée de vie d’utilisation de l’immeuble. L’exercice des droits linguistiques requiert, par définition, des dépenses initiales de la part de l’État. Comme l’a reconnu le juge Bastarache dans l’arrêt Beaulac, « [l]es droits linguistiques [. . .] ne peuvent être exercés que si les moyens en sont fournis » (par. 20).
[83]                        Encore une fois, ce qui précède n’est pas une invitation à tenter de démontrer que tous les projets scolaires de la minorité constituent des charges pécuniaires irréalistes. Cette notion de charges pécuniaires irréalistes vise à éviter des situations qui se traduiraient par des dépenses véritablement démesurées par rapport aux dépenses moyennes observées dans des écoles de la majorité de taille comparable. Écarter un projet scolaire de la minorité linguistique officielle sur la base des coûts est une décision qui doit être décidée avec prudence, car les considérations financières pèsent moins lourd que les considérations pédagogiques dans l’opération qui vise à situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable.
(3)         La troisième étape : déterminer le niveau de services qui doit être offert
[84]                        La troisième étape consiste à déterminer le niveau de services qui doit être offert à la minorité linguistique officielle. Si, à la deuxième étape, le tribunal conclut que le nombre d’élèves est comparable, et que la présomption n’est pas renversée, ce nombre se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et la minorité est alors en droit de faire instruire ses enfants dans une école homogène.
[85]                        Par contre, si le tribunal conclut à cette étape que le nombre d’élèves de la minorité n’est pas comparable, ce nombre se situe alors en deçà de la limite supérieure et une école homogène n’est en conséquence pas exigée. Dans ces circonstances, il existe une gamme de services qui peuvent être offerts à la minorité. Ces services vont de l’offre de certains cours dans la langue de la minorité au contrôle d’une portion d’une école partagée avec la majorité. Ces différents niveaux de services représentent une gamme de possibilités.
[86]                        Une telle offre de services éducatifs restreints est une réalité particulière de la minorité. En effet, le fait de devoir partager des locaux ou de ne pouvoir offrir que quelques cours dans sa langue sont des réalités étrangères aux gestionnaires d’écoles majoritaires, lesquelles sont toujours homogènes. Il en résulte que les conseils scolaires de la minorité linguistique officielle possèdent une expertise particulière en matière de services qui peuvent être offerts à un nombre d’élèves limité. Les conseils scolaires sont en effet des vecteurs privilégiés des préoccupations des minorités linguistiques officielles. Comme l’a affirmé le juge en chef Dickson dans l’arrêt Mahe, bien qu’elle n’agisse pas par malveillance, « on ne peut attendre de la majorité qu’elle comprenne et évalue les diverses façons dont les méthodes d’instruction peuvent influer sur la langue et la culture de la minorité » (p. 372). Ce constat justifie de reconnaître que, lorsque le nombre d’élèves se situe dans les niveaux inférieurs de l’échelle variable, les gouvernements et, en cas de litige, les tribunaux doivent faire preuve de déférence envers l’expertise du conseil scolaire en ce qui concerne le niveau de services approprié. Il est parfaitement logique, et même souhaitable, que les tribunaux se réfèrent à l’expertise des conseils scolaires sur ces questions, étant donné que les tribunaux reconnaissent depuis longtemps l’importance de ces institutions afin que soient exprimés adéquatement les « besoins spéciaux de la minorité en matière d’éducation » (Mahe, p. 373). C’est d’ailleurs à la suite d’un recours judiciaire qu’a été créé le CSF (Assn. des Parents Francophones). Si aucun conseil scolaire n’existe pour représenter les intérêts de la minorité linguistique officielle, les gouvernements et les tribunaux devraient s’appuyer sur les groupes, associations ou témoins qui sont en mesure d’exprimer les besoins spéciaux de la minorité en matière d’éducation.  
[87]                        Dans les niveaux inférieurs sur l’échelle variable, il n’est évidemment pas possible de recourir à la démarche comparative que j’ai expliquée précédemment pour déterminer ce qui est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts. Je rappelle qu’à cette étape, il a été établi que le nombre d’élèves concernés de la minorité n’est pas comparable à celui des écoles de la majorité, même les plus petites d’entre elles. Considérant que les parties n’ont pas proposé de marche à suivre spécifique à cet égard et que l’issue du présent litige n’en dépend pas, il est prématuré de se prononcer sur cette question.
[88]                        Je vais me contenter d’affirmer que, dans un tel contexte, les gouvernements doivent faire preuve de déférence à l’égard des propositions du conseil scolaire, et que leurs décisions doivent être guidées par les considérations pédagogiques et financières, telles qu’elles ont été définies précédemment. Il sera toutefois rare que l’enjeu des coûts soit décisif, étant donné que le partage de locaux entraîne naturellement des économies d’échelle. La question doit être axée sur la capacité du service envisagé à répondre aux exigences pédagogiques fixées par la province dans un cadre respectueux de la langue et de la culture de la minorité. Cette dernière considération, soit la nécessité « de considérer la valeur de l’enseignement dans la langue de la minorité comme un élément de la détermination des services appropriés pour le nombre d’élèves » (Arsenault-Cameron, par. 38), revêt une importance particulière dans les cas où le nombre d’élèves concernés se situe dans les niveaux inférieurs de l’échelle variable. Lorsqu’un nombre d’élèves se situe à la limite supérieure de l’échelle et a en conséquence droit à un établissement distinct, il va de soi que le cadre d’enseignement sera respectueux de la langue et de la culture de la minorité.
[89]                        Ainsi, lorsque le nombre d’élèves concernés se situe dans les niveaux inférieurs de l’échelle variable, il faut déterminer le niveau de service qui correspond au degré de contrôle propre à permettre à la minorité de promouvoir sa langue et sa culture, tout en se conformant aux exigences pédagogiques de la province. Plus le degré de contrôle exercé par la minorité dans une école est élevé, plus les élèves de la minorité seront isolés de ceux de la majorité. Plus la minorité est isolée dans l’ensemble de l’école, plus le nombre d’élèves de celle-ci doit être élevé pour qu’elle soit à même de répondre aux exigences pédagogiques. À titre d’exemple, il se peut que, lorsque le nombre de la minorité se situe légèrement en deçà de la limite supérieure, la minorité ait droit au contrôle d’une portion séparée de l’école — ce qui lui permettrait d’annoncer et d’afficher dans sa langue — mais qu’elle soit néanmoins contrainte de partager le gymnase et la bibliothèque. Elle pourrait aussi posséder sa propre direction scolaire et remettre ses propres bulletins. En revanche, lorsque le nombre d’élèves se situe plus bas, il se pourrait que, malgré l’importance de la valeur de l’enseignement dans la langue de la minorité en tant que facteur à considérer, l’atteinte des exigences pédagogiques fasse en sorte que le niveau de service approprié soit limité à l’offre de certains cours dans un établissement partagé et entièrement géré par la majorité.
(4)         Résumé de la démarche applicable
[90]                        En résumé, lorsqu’un tribunal est appelé à situer un nombre donné d’élèves sur l’échelle variable, il doit procéder de la façon suivante. La première étape consiste à déterminer le nombre pertinent d’élèves visés. Pour ce faire, il faut considérer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du service. À la deuxième étape, le tribunal doit comparer le nombre d’élèves à celui des écoles majoritaires à travers la province pour déterminer ce qui est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts. La présence d’écoles de la majorité de taille comparable, peu importe où elles se trouvent dans la province, permet de présumer que la province considère que le maintien de ces plus petites écoles est approprié du point de vue de la pédagogie et des coûts. La province peut réfuter cette présomption en démontrant que les écoles de comparaison de la majorité identifiées par les demandeurs ne sont pas des éléments comparatifs appropriés ou que l’école projetée par la minorité n’est pas appropriée sur les plans pédagogiques ou financiers.
[91]                        Toutefois, je tiens à préciser que, dans les cas où le tribunal constate d’entrée de jeu que le nombre d’élèves de la minorité est comparable à celui des élèves fréquentant les écoles de la majorité à l’échelle locale, il n’a pas à effectuer de comparaison à l’échelle de la province. Cela permet d’éviter que les tribunaux ne se lancent dans une analyse inutilement poussée et complexe. Lorsque le nombre d’élèves de la minorité est comparable, localement, à celui des élèves de la majorité, il ne fait aucun doute que le nombre des premiers se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et que la minorité a alors droit à une école homogène.
[92]                        Une fois que le tribunal a effectué une comparaison à l’échelle provinciale, lorsqu’une telle comparaison est requise, il passe à la troisième étape, laquelle consiste à déterminer le niveau de services approprié. Lorsque le nombre d’élèves concernés de la minorité est comparable à celui des élèves fréquentant des écoles de la majorité, peu importe où se trouvent ces écoles dans la province (pourvu évidemment que le gouvernement n’ait pas démontré que le choix des écoles ayant servi à la comparaison ou le service projeté est inapproprié sur le plan de la pédagogie ou des coûts), le nombre d’élèves de la minorité se situe à la limite supérieure de l’échelle variable et justifie le droit à une école homogène.
[93]                        Lorsque la comparaison à l’échelle provinciale ne révèle pas de nombre comparable, le nombre d’élèves de la minorité se situe alors en deçà de la limite supérieure de l’échelle variable, c’est-à-dire au bas ou au milieu de celle-ci. Les niveaux inférieurs de l’échelle variable permettent à la minorité de bénéficier d’une gamme de services allant de quelques heures de cours dans sa langue jusqu’à l’utilisation et au contrôle de locaux dans une école partagée avec la majorité. Ces exemples ne sont évidemment pas exhaustifs. Dans ces situations, le tribunal doit faire preuve de déférence envers le niveau de services proposé par le conseil scolaire. Le tribunal doit s’appuyer sur l’expertise du conseil scolaire afin de déterminer si le niveau de services proposé est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts. Le tribunal doit considérer l’importance de recevoir l’instruction dans la langue de la minorité dans un contexte qui est respectueux des besoins culturels de cette minorité. Toutefois, la démarche exacte pour situer le nombre d’élèves concernés dans les niveaux inférieurs de l’échelle variable devra être déterminée lorsque cet enjeu spécifique sera soulevé.
(5)         Application des principes de l’échelle variable
[94]                        En l’espèce, lorsque cette démarche est appliquée aux demandes formulées par le CSF en vue d’obtenir de nouvelles écoles ou l’agrandissement d’écoles existantes, je suis d’avis que les appelants ont le droit de bénéficier de huit écoles homogènes qui leur ont été refusées par les juridictions inférieures. Ces écoles sont justifiées par le nombre d’élèves de la minorité dans ces communautés.
[95]                        Le refus de reconnaître le droit à ces huit écoles résulte de deux catégories d’erreurs. La première catégorie concerne l’appréciation de ce qui constitue le nombre justificatif pertinent pour l’application de l’art. 23. Dans son analyse, la juge de première instance effectue des projections à court terme (3 ans) et à long terme (10 ans). Ce sont les projections à court terme qu’elle retient pour déterminer le niveau de services auquel la minorité linguistique officielle a présentement droit. Les projections à long terme, lorsqu’appliquées, ne sont utilisées que pour déterminer les droits futurs de la minorité. Avec égards, il s’agit là d’une erreur. Le nombre justificatif pertinent pour l’application de l’art. 23 est le nombre d’élèves qui se prévaudront du service en définitive. Cette erreur a un impact sur cinq projets d’écoles demandés par les appelants, soit ceux des communautés d’Abbotsford (volet primaire destiné aux enfants d’ayants droit dans la communauté d’Abbotsford et volet secondaire destiné aux enfants d’ayants droit dans les communautés de la vallée centrale du Fraser), de Burnaby, de Vancouver Nord-Est, de Victoria Est et de Victoria Ouest.
[96]                        La juge de première instance est arrivée à la conclusion qu’à court terme, le nombre d’élèves de la minorité dans chacune de ces communautés ne se situe pas à la limite supérieure de l’échelle variable. En conséquence, ces communautés n’ont pas présentement droit à des écoles homogènes. Elle estime toutefois qu’à long terme le nombre d’élèves dans chacune de ces communautés justifiera la création d’écoles homogènes (voir motifs de première instance, par. 5064 et 5067 (Abbotsford); par. 5221 (Burnaby); par. 3805 (Vancouver Nord-Est); par. 4068 (Victoria Est); et par. 4068 (Victoria Ouest)). Considérant que ce sont les projections à long terme de la juge de première instance qui sont pertinentes pour situer le nombre d’élèves de la minorité sur l’échelle variable, je conclus que ces communautés se situent à la limite supérieure de l’échelle variable et qu’elles ont le droit d’obtenir des écoles homogènes.
[97]                        La deuxième catégorie d’erreurs concerne la base de comparaison utilisée pour situer le nombre d’élèves de la minorité sur l’échelle variable. La juge de première instance a retenu une base de comparaison locale. Contrairement aux juridictions inférieures, j’ai conclu que la comparaison devait prendre en considération des écoles situées partout en province. Je vais appliquer la démarche comparative appropriée aux communautés de Victoria Nord, de Whistler, de Chilliwack et de Pemberton, où les appelants estiment être en droit d’obtenir les écoles homogènes qui leur ont été refusées par les juridictions inférieures en raison de la base de comparaison utilisée par ces dernières.
[98]                        Comme je l’ai expliqué plus tôt, la première étape de la démarche permettant de situer le nombre d’élèves sur l’échelle variable consiste à déterminer le nombre pertinent d’élèves, c’est-à-dire le nombre d’élèves qui vont se prévaloir en définitive du service. En l’espèce, la juge de première instance a estimé que ce nombre est 98 pour Victoria Nord, 85 pour Whistler[2], 60 pour Chilliwack et 55 pour Pemberton.
[99]                        La deuxième étape consiste à comparer ces nombres à ceux des élèves fréquentant des écoles situées partout en province afin de déterminer ce qui est approprié sur le plan de la pédagogie et des coûts. La preuve soumise fait état de 250 écoles de la majorité comptant moins de 100 élèves. De ce nombre, la juge de première instance a retenu 11 écoles de 100 élèves ou moins en Colombie-Britannique. À titre d’exemples, mentionnons que l’école Madeira Park Elementary compte 72 élèves, l’école Deroche Elementary 66 et l’école Dewdney Elementary 73 (motifs de première instance, par. 2693). L’existence de ces écoles fait naître la présomption qu’il est approprié, du point de vue de la pédagogie et des coûts, de créer une école de taille comparable pour la minorité.
[100]                     J’ai mentionné précédemment qu’il est possible pour la province de renverser cette présomption en démontrant que les écoles choisies comme éléments de comparaison ne sont pas appropriées à cette fin. À cet effet, la juge de première instance a conclu que l’école créée pour la station de ski Big White ainsi que l’école Port Clements, qui dessert une communauté insulaire particulièrement isolée, n’étaient pas des éléments de comparaison appropriés. Je suis d’accord. Une école créée pour une station de ski ou pour une communauté qui n’est accessible que par transport aérien ou maritime constituent deux situations véritablement exceptionnelles qui permettent d’écarter ces écoles et de ne pas les considérer comme éléments de comparaison.
[101]                     Le dossier ne contient toutefois aucune preuve permettant de repousser la présomption à l’égard des autres écoles de petite taille dont j’ai fait état plus tôt et où les effectifs varient entre 66 et 73 élèves. Qui plus est, chacune de ces écoles de comparaison, tout comme les projets d’école demandés, sont des établissements d’enseignement primaire. Il convient donc de comparer le nombre d’élèves pertinent pour Victoria Nord, Whistler, Chilliwack et Pemberton à celui de ces écoles. Je rappelle qu’il faut faire preuve de souplesse et qu’un nombre comparable ne signifie pas un nombre identique. Je suis d’avis que les nombres pertinents pour Victoria Nord, Whistler et Chilliwack sont comparables à ceux des élèves fréquentant les écoles majoritaires de comparaison en Colombie-Britannique. En conséquence, ces nombres se situent à la limite supérieure de l’échelle variable, et il est approprié, sur le plan de la pédagogie et des coûts, d’instruire ces élèves dans des écoles homogènes.
[102]                     En ce qui a trait à Pemberton, je suis d’avis que le nombre d’élèves concernés y est difficilement comparable au nombre d’élèves des écoles de la majorité qui sont situées ailleurs dans la province et qui ont été retenues par la juge de première instance. En effet, parmi les 11 écoles de moins de 100 élèves retenues par cette dernière, aucune ne compte une cinquantaine d’élèves. Malgré ce constat, j’estime qu’il est préférable de renvoyer cette question au tribunal de première instance pour réexamen, et ce, pour deux raisons. D’abord, la preuve disponible est limitée. En retenant l’existence de 11 écoles de 100 élèves ou moins en Colombie-Britannique, la juge de première instance n’a pas examiné l’ensemble des petites écoles de la province. Le dossier des appelants contient une liste de plus de 250 écoles de moins de 100 élèves en Colombie-Britannique (d.a., vol. XIX, p. 678-684). Il n’est pas fait mention de la vaste majorité de ces écoles dans le jugement de première instance. Cette omission résulte du fait que la juge de première instance s’est principalement livrée à une comparaison à l’échelle de comparaison locale. Considérant que l’existence de ces petites écoles est un élément crucial en vue de la détermination des droits des ayants droit à Pemberton, il est donc souhaitable qu’une preuve complète puisse être examinée à la lumière des enseignements du présent arrêt. De plus, si le tribunal devait constater que le nombre d’élèves concernés se situe en deçà de la limite supérieure de l’échelle variable, des observations supplémentaires seraient alors nécessaires. Comme je l’ai précisé précédemment, lorsque le nombre d’élèves se situe au milieu ou au bas de l’échelle variable, il y a alors lieu de faire preuve de déférence envers le niveau de services envisagé par le conseil scolaire. Les appelants n’ont pas eu la possibilité de soumettre de telles observations en l’espèce.
[103]                     C’est donc avec réticence que je conclus que la question du niveau de services auquel le nombre d’élèves à Pemberton donne droit doit être renvoyée au tribunal de première instance pour réexamen. J’ai bon espoir que les parties s’inspireront des clarifications fournies dans les présents motifs afin de résoudre promptement cette question. Bien entendu, si les appelants estiment, à la lumière de ces clarifications, que le nombre d’élèves concernés est situé au bon endroit sur l’échelle variable et que le fait d’occuper un établissement hétérogène correspond au niveau de service auquel les bénéficiaires de l’art. 23 ont droit en conséquence, ils pourront mettre un terme à leur recours.
B.            Le critère utilisé pour évaluer la qualité de l’instruction offerte aux minorités linguistiques officielles varie-t-il selon le nombre d’élèves de la minorité?
[104]                     L’article 23 confère aux minorités linguistiques officielles le droit à une expérience éducative de qualité équivalente à celle de la majorité. Dans l’arrêt Rose‑des‑vents, notre Cour s’est prononcée sur la marche à suivre pour déterminer ce qui constitue une instruction de qualité équivalente dans une affaire où le nombre d’élèves de la minorité était comparable à celui des écoles locales de la majorité.
[105]                     La Cour a affirmé que l’accent doit être mis sur l’équivalence réelle plutôt que sur l’équivalence formelle. Autrement dit, il ne suffit pas que les dépenses publiques par élève soient les mêmes entre la minorité et la majorité, il faut que l’expérience éducative globale soit de qualité réellement semblable à celle dont jouit la majorité. Il a été déterminé que, pour évaluer l’équivalence réelle, il faut se placer dans la situation d’un parent de la minorité qui doit choisir entre l’école de la minorité et celle de la majorité. Les tribunaux doivent se demander si des parents raisonnables seraient dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique officielle parce que cette école est véritablement inférieure à une école de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire (Rose-des-vents, par. 35).
[106]                     Dans la présente affaire, la situation factuelle de certaines communautés est toutefois différente de la communauté de Vancouver Ouest dont l’école était en cause dans l’arrêt Rose-des-vents. Dans cet arrêt, l’école de la minorité comptait 344 élèves et était surpeuplée. Il ne s’agissait pas d’une petite école. En l’espèce, dans certaines des communautés concernées, le nombre d’élèves de la minorité est bien inférieur à celui des élèves fréquentant les écoles locales de la majorité. La Cour doit donc déterminer si la démarche élaborée dans l’arrêt Rose-des-vents est applicable dans le contexte de petites écoles de la minorité dont la taille n’est pas comparable aux écoles de la majorité.
[107]                     À mon avis, les enfants des titulaires de droits reconnus à l’art. 23 doivent bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité, et ce, peu importe la taille de l’école ou du programme en question. Le critère de l’équivalence réelle s’applique partout sur l’échelle variable. La démarche énoncée dans l’arrêt Rose-des-vents doit cependant être appliquée à la lumière du contexte particulier des écoles de la minorité linguistique officielle dont la taille n’est pas comparable aux écoles avoisinantes de la majorité. J’estime donc nécessaire de donner des indications sur la façon d’évaluer la qualité de l’expérience éducative offerte à la minorité dans le contexte de petites écoles. Pour ce faire, je vais d’abord dégager les éléments clés de la démarche de l’arrêt Rose-des-vents qui s’appliquent, puis préciser les adaptations nécessaires.
[108]                     La démarche établie dans l’arrêt Rose-des-vents comporte trois éléments clés. Premièrement, le point de vue pertinent est celui du parent raisonnable qui doit choisir entre l’école de la minorité linguistique officielle et les écoles de la majorité. Comme l’a souligné la Cour, ce parent raisonnable ne peut pas s’attendre « à ce que tous les aspects de l’expérience éducative soient les “meilleurs possible” » (par. 40). Un parent raisonnable tient compte d’une multitude de facteurs avant d’arrêter son choix sur une école, par exemple la qualité de l’instruction et des installations matérielles (Rose-des-vents, par. 39-40).  Deuxièmement, l’expérience éducative ne satisfait pas à l’exigence d’équivalence si elle est véritablement inférieure. Cette démarche admet donc certaines variations entre les écoles de la minorité et de la majorité. Troisièmement, il faut comparer les écoles de la minorité avec les écoles de la majorité qui constituent une solution de rechange réaliste pour le parent. La comparaison s’effectue de façon holistique et contextuelle, en appréciant l’ensemble des facteurs que prend en compte un parent dans le choix d’une école. Je rappelle que cette démarche a été élaborée dans un contexte où l’école en question était de taille comparable à celles de la majorité. Qu’en est-il lorsque le contexte est différent en raison de la petite taille des écoles de la minorité?
[109]                     Je suis d’avis que l’essentiel de la démarche ne nécessite aucune adaptation dans le cas de petites écoles de la minorité linguistique officielle, à l’exception du fait que le parent raisonnable doit tenir compte des particularités inhérentes à la fréquentation d’une petite école. Je m’explique.
[110]                     Tout d’abord, la notion d’école « véritablement inférieure » adoptée dans l’arrêt Rose-des-vents (par. 35) ne requiert aucune adaptation. Les minorités linguistiques officielles sont en droit d’obtenir pour leurs enfants, partout sur le territoire canadien, une expérience éducative réellement équivalente à celle dont jouissent les enfants de la majorité. Cette affirmation s’appuie sur le principe d’égalité des chances. On ne peut sous-estimer l’importance d’offrir une formation de qualité à chaque enfant, lesquels représentent « la ressource la plus importante de notre pays, son avenir » (Willick c. Willick, 1994 CanLII 28 (CSC), [1994] 3 R.C.S. 670, p. 718). L’article 23 permet à tous les enfants, peu importe la langue officielle dans laquelle ils étudient, d’avoir les mêmes possibilités d’avancement dans la société.
[111]                     J’arrive à la même conclusion en ce qui concerne l’étendue géographique de la comparaison. Le critère d’équivalence doit être interprété d’une manière propre à appuyer les parents dans l’exercice de leurs droits. Peu importe la taille de l’école en question, les parents faisant partie des minorités linguistiques seront toujours appelés à choisir entre l’école de la minorité et les écoles de la majorité. Il faut donc comparer l’école de la minorité, même si celle-ci est de petite taille, avec les écoles avoisinantes de la majorité pour déterminer si l’expérience éducative qui y est offerte est véritablement inférieure. Devant notre Cour, la Province a insisté sur le fait qu’il n’était pas possible de comparer une petite école avec une grande école de la majorité. Je suis en désaccord. Dans le contexte d’une école dont la taille n’est pas comparable à celles de la majorité, un parent raisonnable doit être conscient des particularités inhérentes aux petites écoles. En ayant à l’esprit ces particularités, il est tout à fait possible de comparer une petite école avec une école de plus grande taille.
[112]                     Un parent raisonnable, conscient des particularités inhérentes d’une petite école, tient compte des mêmes facteurs que ceux énumérés dans l’arrêt Rose-des-vents pour évaluer la qualité d’une école. Ces facteurs incluent la qualité de l’instruction, les résultats scolaires, la qualité des bâtiments, les activités parascolaires offertes, le temps de déplacement, la compétence des enseignants et les occasions culturelles offertes à la minorité linguistique officielle (Rose-des-vents, par. 39-40). Ces facteurs s’apprécient de façon globale pour déterminer si l’expérience éducative dans cette école est inférieure à celle offerte dans les écoles de la majorité.
[113]                     Il faut, dans la mesure du possible, éviter de se lancer dans une analyse qui ne tient compte que d’une partie de l’école ou d’une pièce de celle-ci, ou encore d’un seul élément de l’expérience éducative. Même le droit à l’instruction uniquement, qui correspond à la limite inférieure de l’échelle variable, ne peut être totalement dissocié de l’expérience éducative globale. L’instruction, comme on le rappelle dans l’arrêt Mahe, « doit avoir lieu quelque part et il s’ensuit que le droit à “l’instruction” comprend un droit implicite d’être instruit dans des établissements » (p. 369-370). En conséquence, lorsque le nombre d’élèves concernés n’est pas comparable à celui des écoles de la majorité — y compris si le nombre d’élèves se situe à la limite inférieure de l’échelle variable — les considérations énumérées dans l’arrêt Rose-des-vents doivent être prises en compte. Pour apprécier la qualité de l’expérience éducative d’un programme d’instruction, par exemple, le tribunal ne doit pas se limiter à une appréciation de la qualité de l’instruction et des résultats scolaires. La qualité du bâtiment dans lequel le programme est offert ainsi que le temps de déplacement sont également pertinents. Un parent ne compare pas chaque pièce de l’école ou chaque aspect de l’expérience éducative individuellement, il apprécie l’école dans son ensemble.
[114]                     Les caractéristiques inhérentes à une petite école constituent des éléments neutres dans la mise en balance des facteurs qui servent à évaluer l’expérience éducative. Elles ne doivent pas être prises en compte dans l’équation. L’existence de ces caractéristiques implique notamment qu’un parent ne peut s’attendre à bénéficier du même nombre d’enseignants spécialisés ou de la même gamme d’installations que dans une grande école. De plus, la petite taille d’une école oblige parfois celle-ci à créer des classes qui combinent les cycles d’études pour atteindre un niveau d’élèves suffisant. Ce sont des éléments qu’un parent raisonnable est prêt à accepter lorsque son enfant fréquente une petite école.  
[115]                     Je souligne que dans un pays comme le Canada, où le système d’éducation est financé de façon adéquate, les parents sont en droit de s’attendre à une expérience éducative de qualité, et ce, peu importe la taille de l’école que leurs enfants fréquentent. À titre d’exemple, une école dont les enseignants ne sont pas adéquatement formés ne peut offrir une expérience éducative réellement équivalente. Il en est de même pour une petite école dont le bâtiment est dans un état d’entretien nettement inférieur à ceux de la majorité. Il est également très difficile d’imaginer comment une école qui n’a pas de gymnase ou encore d’espace pour permettre aux élèves de jouer à l’extérieur — alors que les écoles de la majorité disposent d’installations ou aménagements de cette nature — peut offrir une expérience éducative réellement équivalente. Ces éléments constituent selon moi des normes minimales en deçà desquelles une expérience éducative ne peut être qualifiée de réellement équivalente.
[116]                     Bref, la démarche établie dans l’arrêt Rose-des-vents continue de s’appliquer lorsque le nombre d’élèves d’une école de la minorité est comparable au nombre d’élèves fréquentant les écoles avoisinantes de la majorité. Dans le contexte des écoles de la minorité dont la taille n’est pas comparable aux écoles avoisinantes de la majorité, les juges doivent se demander si des parents raisonnables, conscients des particularités inhérentes d’une petite école, seraient dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique officielle parce que l’expérience éducative qui y est offerte est véritablement inférieure à celle des écoles de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire.
[117]                     À la lumière de ces indications, l’approche proposée par la Province et adoptée par les juridictions inférieures doit être écartée. En se fondant sur un critère dit de proportionnalité plutôt que sur celui de l’équivalence réelle, la juge de première instance a conclu que, pour évaluer si l’expérience éducative est équivalente lorsque le nombre d’élèves de la minorité n’est pas comparable à celui de la majorité, il faut se demander [traduction] « si, de l’avis d’un titulaire de droit raisonnable, l’école de la minorité est de qualité disproportionnellement inférieure aux installations dont dispose la majorité, sur la base d’une comparaison à l’échelle locale de l’expérience éducative globale » (motifs de première instance, par. 853 (je souligne)).
[118]                      L’application de ce critère de proportionnalité a pour effet de cautionner une expérience éducative de qualité inférieure pour les minorités linguistiques officielles, le niveau d’infériorité étant déterminé par la taille de l’école de la minorité par rapport à celle de la majorité. Un tel résultat va à l’encontre de l’objectif réparateur de l’art. 23. Comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Arsenault-Cameron, l’interprétation de l’art. 23 doit s’appuyer sur « le véritable objectif de cet article qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté » (par. 27 (je souligne)). Je suis conscient que la juge de première instance n’entendait pas réduire l’évaluation de l’équivalence à une simple opération mathématique où, par exemple, 100 élèves fréquentant une école de la minorité auraient droit à une expérience éducative dont la qualité serait inférieure de moitié à celle offerte aux 200 élèves d’une école de la majorité. Toutefois, je ne vois pas comment ce critère pourrait être appliqué sans effectivement devenir une simple opération mathématique. Je suis particulièrement préoccupé par le signal qu’enverrait le recours à un tel critère relativement à la qualité de l’expérience éducative qui doit être offerte aux minorités linguistiques officielles.
[119]                     De plus, le concept de proportionnalité s’appuie sur la prémisse selon laquelle la qualité d’une école est principalement tributaire de la taille de sa population étudiante. Je ne peux souscrire à cette prémisse. Il existe une foule de petites écoles de la majorité à travers le pays et elles n’offrent pas nécessairement une expérience éducative de qualité proportionnellement inférieure à celle offerte par les écoles de taille plus grande. Partout sur leur territoire respectif, les gouvernements provinciaux et territoriaux veillent à ce que tous les élèves qui sont sous leur responsabilité aient accès à une expérience éducative réellement équivalente, peu importe la taille de l’école qu’ils fréquentent.
[120]                     En l’espèce, je suis d’avis que l’ensemble des enfants d’ayants droit qui fréquentent les écoles ou suivent les programmes du CSF ont droit à une expérience éducative réellement équivalente à celle de la majorité. En conséquence, toutes les communautés desservies par le CSF sont en droit d’obtenir des écoles ou des programmes d’instruction offrant une expérience éducative réellement équivalente à celle des écoles avoisinantes de la majorité, et les conclusions de la juge de première instance doivent être modifiées pour en tenir compte.
[121]                     Avant d’appliquer aux faits de la présente espèce les principes et clarifications exposés précédemment, je tiens à préciser la relation entre la position d’un nombre donné d’élèves sur l’échelle variable et l’évaluation de la qualité de l’expérience éducative en vertu du critère de l’équivalence réelle. Je précise que l’évaluation de la qualité de l’expérience éducative ne permet pas de modifier la position d’un nombre donné d’élèves sur l’échelle variable afin de hausser ou de réduire le niveau de services auquel ce nombre donne droit. Il s’agit de deux étapes différentes qu’il importe de bien distinguer.
[122]                     Dans un premier temps, l’application du concept de l’échelle variable permet d’établir le niveau de services requis, c’est-à-dire la gamme de services allant du simple programme d’instruction à l’école homogène. Le niveau de services reflète le degré de contrôle sur la prestation de l’instruction auquel la minorité a droit. Cette notion de contrôle permet de bien illustrer la différence entre les niveaux de l’échelle variable. Que ce soit dans une école homogène ou une école hétérogène, l’instruction est offerte dans un bâtiment qui contient, dans une plus ou moins grande mesure, des installations spécialisées. À la limite supérieure de l’échelle variable, où la minorité linguistique officielle a droit à une école homogène, cette minorité linguistique contrôle tous les aspects de l’établissement et de la prestation de l’instruction. Au milieu de l’échelle, à titre d’exemple dans un établissement hétérogène, la minorité contrôle la prestation de l’instruction, mais elle ne contrôle que certains aspects du bâtiment et doit négocier avec la majorité l’accès à certaines installations telles que le gymnase.
[123]                     Dans un deuxième temps, l’analyse basée sur le critère de l’équivalence réelle permet d’examiner de façon holistique la qualité de l’expérience éducative offerte à la minorité linguistique officielle. Cette analyse ne permet pas de déplacer vers le haut ou vers le bas la position d’un nombre donné d’élèves sur l’échelle variable. Elle vise plutôt à déterminer si un parent raisonnable serait dissuadé d’exercer ses droits linguistiques, parce que l’expérience éducative offerte à la minorité serait véritablement inférieure à celle dont jouit la majorité. Dans le cas d’une école homogène, elle permet de déterminer si l’instruction et les installations que contrôle la minorité sont d’une qualité suffisante. Dans le cas d’une école hétérogène ou d’un programme d’instruction, elle permet de déterminer si l’instruction que contrôle la minorité et les installations auxquelles celle-ci a accès sont de qualité suffisante.
[124]                     Je vais maintenant traiter plus particulièrement de trois écoles à l’égard desquelles, soutiennent les appelants, la juge de première instance a fait erreur dans son appréciation de ce qui constitue une expérience éducative équivalente à celle de la majorité. Il s’agit des écoles situées dans les communautés de Nelson, de Chilliwack et de Mission. Je souligne qu’il s’agit de petites écoles par comparaison aux écoles majoritaires avoisinantes. La qualité de l’expérience éducative offerte dans ces écoles doit être évaluée du point de vue du parent raisonnable et conscient des particularités inhérentes d’une petite école, comme il a été précisé précédemment. Je vais également traiter de l’impact qu’a sur la capacité du CSF à offrir des services éducatifs de qualité l’indice d’état des installations utilisé par la Province pour prioriser ses projets d’immobilisation.
[125]                     Les appelants mentionnent que l’école située à Nelson (école des Sentiers-alpins) ne dispose pas des installations nécessaires pour offrir un programme d’éducation intermédiaire enrichie. Elle n’a qu’un espace spécialisé à sa disposition, soit une salle d’art. Une des écoles ayant servi à la comparaison, dont les effectifs sont toutefois nettement supérieurs, possède des ateliers de menuiserie et de couture ainsi qu’une cuisine. L’autre école utilisée pour la comparaison ne possède aucun espace spécialisé et n’a même pas de gymnase ou de bibliothèque. La juge de première instance a conclu que, comme les installations à l’école de la minorité à Nelson sont supérieures à celles d’une des deux écoles de comparaison, l’expérience éducative dont jouissent les élèves de la minorité est équivalente à celle offerte aux élèves de la majorité.
[126]                     Je souscris à cette conclusion. Les critiques des appelants se fondent sur l’absence de certains ateliers pour les élèves du cycle intermédiaire. Même en appliquant le critère de l’équivalence réelle et la démarche appropriée que j’ai décrite plus tôt, je suis d’avis qu’un parent raisonnable, conscient des particularités inhérentes à une petite école, conclurait que l’absence d’un atelier de menuiserie et de couture, ainsi que le fait qu’il n’y a pas de cuisine ne rendent pas l’expérience éducative véritablement inférieure à celle des écoles de la majorité. Le nombre limité d’ateliers spécialisés est une caractéristique inhérente d’une petite école. Cette limitation serait considérée comme un facteur neutre par un parent raisonnable dans la mise en balance à laquelle il se livre pour déterminer si l’éducation est véritablement équivalente à la majorité. Il est vrai qu’une école avoisinante de la majorité possède de telles installations, mais cette école est beaucoup plus grande que l’école de la minorité en question. De plus, une école de la majorité de taille comparable ne dispose pratiquement d’aucune installation spécialisée. En l’absence d’arguments autres que l’inexistence de certains ateliers spécialisés, un parent raisonnable ne pourrait pas conclure que la minorité reçoit des services éducatifs inférieurs à ceux de la majorité et être ainsi dissuadé d’exercer les droits que lui reconnaît l’art. 23 de la Charte.
[127]                     Les appelants plaident en outre qu’à l’école située à Chilliwack (école La Vérendrye), l’expérience éducative est véritablement inférieure à celle des écoles avoisinantes de la majorité. Premièrement, l’école francophone ne dispose pas d’un gymnase adéquat, mais elle en loue plutôt un situé dans une salle communautaire. La logistique nécessaire pour s’y rendre est complexe et comporte plusieurs étapes. De surcroît, le gymnase en question est trop petit pour des sports comme le basketball, et la température ambiante dans celui-ci est telle qu’il est parfois nécessaire d’y porter un manteau. Les élèves n’utilisent pas le gymnase en début de semaine, car cela exigerait qu’ils composent avec des lieux en désordre et une odeur d’alcool en raison des activités communautaires qui s’y sont déroulées durant la fin de semaine.
[128]                     La situation est tout autre dans les écoles locales de la majorité. En effet, toutes les écoles locales ayant servi à la comparaison disposent d’un gymnase qui est la propriété du conseil scolaire anglophone. Dans pratiquement tous les cas, le gymnase se trouve dans l’immeuble abritant l’école, à l’exception d’une école dont le gymnase est situé dans un immeuble séparé, mais auquel on peut accéder par un passage couvert. De plus, les gymnases des écoles locales de la majorité sont plus grands. Ils mesurent en moyenne 390 mètres carrés, alors que celui utilisé par les élèves de l’école francophone a une superficie de 280 mètres carrés.
[129]                     Deuxièmement, les appelants se plaignent de la qualité de la bibliothèque. L’école francophone de Chilliwack ne dispose pas d’une véritable bibliothèque, les livres sont plutôt entreposés dans une salle de classe mobile. Les déplacements entre les salles de cours et la bibliothèque sont difficiles. De plus, en raison du manque d’espace, une partie de la bibliothèque est utilisée pour entreposer des équipements sportifs. La comparaison entre cette bibliothèque et celles des écoles locales de la majorité montre que ces dernières sont plus grandes, sauf deux qui sont plus petites.
[130]                     L’emplacement de l’école, le manque d’espace ainsi que la qualité des infrastructures posent également problème. L’école se trouve en périphérie de Chilliwack, en milieu rural. Elle est située le long d’une route industrielle achalandée, où circulent de nombreux poids lourds bruyants, en plus d’être entourée de terres agricoles dont les activités génèrent de fortes odeurs désagréables. Comme l’a reconnu la juge de première instance, le fait que l’école n’est pas située dans le centre de la communauté fait en sorte qu’elle n’est pas facile d’accès pour tous les élèves de la région, en plus de limiter sa capacité de servir comme centre de rencontre pour la communauté francophone.
[131]                     En outre, la qualité de l’immeuble est bien inférieure à celle des écoles avoisinantes en raison de son âge et de son état de vétusté. La juge a également noté que la quasi-totalité des élèves utilisent le transport scolaire et que la durée du trajet est en moyenne deux fois plus longue que celle des élèves qui fréquentent les écoles de comparaison. Malgré la forte proportion d’élèves de la minorité qui dépendent du transport scolaire, les autobus ne peuvent utiliser le stationnement de l’école en raison de sa taille restreinte.
[132]                     La juge de première instance a soupesé ces inconvénients et les avantages de cette école, notant qu’elle offre des services en français de grande qualité et que le nombre d’élèves par classe est inférieur à celui observé dans les écoles auxquelles elle a été comparée. À titre d’exemple, la classe de maternelle compte en moyenne 14 élèves, alors que celles des écoles de la majorité en compte 20. Elle a également souligné que cette école offre un environnement technologique de qualité supérieure.
[133]                     Après avoir mis en balance l’ensemble de ces facteurs, la juge a conclu que les ayants droit reçoivent plus que ce à quoi ils ont droit étant donné le nombre d’élèves concernés. À mon sens, ce résultat illustre les failles d’un raisonnement fondé sur une approche proportionnelle. À titre d’exemple, la juge note que, si on évalue la superficie du stationnement de l’école de la minorité en proportion du nombre de ses élèves, on constate que cette école dispose de plus d’espaces de stationnement que toutes les écoles de la majorité servant d’éléments de comparaison. Avec égards, cette conclusion laisse perplexe puisque cette proportion par ailleurs favorable ne change rien au fait que les autobus, que doivent utiliser presque tous les élèves de la minorité pour se rendre à l’école, ne peuvent accéder au stationnement. De même, la juge conclut que le gymnase et la bibliothèque sont d’une superficie supérieure à la plupart des installations correspondantes des écoles de la majorité si on les analyse de façon proportionnelle. L’application de cette approche proportionnelle a pour effet de faire d’un gymnase où il n’est pas possible de pratiquer la plupart des sports et d’une bibliothèque aménagée dans une salle de classe mobile exiguë des installations jugées de qualité suffisante.
[134]                     Je suis plutôt d’avis que la mise en balance des avantages et des inconvénients de l’école francophone de Chilliwack démontre que l’expérience éducative qui y est offerte est d’une qualité véritablement inférieure à celles des écoles de la majorité. Un parent raisonnable, même conscient des particularités inhérentes aux petites écoles, serait vraisemblablement dissuadé d’inscrire son enfant dans cette école. À Chilliwack, les enfants des ayants droit ne reçoivent pas la qualité d’expérience éducative qui est garantie à ces derniers par l’art. 23 de la Charte.
[135]                     Les appelants estiment également que l’école située à Mission (école des Deux-rives) offre une expérience éducative inférieure à celles des écoles de la majorité. Le problème qui requiert notre intervention pour ce qui est de l’école de Mission est différent de celui concernant l’école de Chilliwack. Selon les conclusions de la juge de première instance, le gymnase qu’utilisent les élèves de l’école des Deux-rives présente de nombreuses lacunes. Celui-ci est deux fois plus petit que les gymnases des écoles avoisinantes de la majorité. Sa superficie est de 166 mètres carrés alors que celle des gymnases des écoles de comparaison est de 373 mètres carrés. Même en tenant compte de la taille réduite des groupes à l’école des Deux-rives, le gymnase de cette école [traduction] « est inférieur à celui de toutes les écoles de la majorité », ce qui « rend difficile la prestation de services d’éducation physique de base », particulièrement dans le cas des élèves plus âgés (motifs de première instance, par. 4957-4958). En raison de l’exiguïté du gymnase, les élèves d’une même classe sont contraints de se partager la période d’éducation physique. De plus, lorsqu’ils ont accès au gymnase, les élèves doivent limiter leurs mouvements pour des raisons de sécurité, situation qui limite l’atteinte des objectifs d’apprentissage.
[136]                     La juge n’a toutefois pas tranché la question de savoir si cela constituait une violation de l’art. 23. Elle a noté qu’il faut plutôt évaluer l’éducation offerte de façon globale, et non analyser un seul aspect de cette expérience éducative. La juge de première instance a [traduction] « suppos[é], sans en décider, qu’une expérience de qualité inférieure en éducation physique suffit pour établir une violation de l’art. 23 » (par. 4963). Elle a également affirmé qu’un facteur qui a contribué de façon appréciable à la violation de l’art. 23 en ce qui concerne l’école de la minorité à Mission — violation qui a toutefois été jugée justifiée au regard de l’article premier — est l’indice d’état des installations utilisé par la Province pour prioriser le financement de projets d’immobilisation, car il ne prend pas en compte les besoins pédagogiques des élèves (motifs de première instance, par. 4990 et 5003; motifs de la C.A., par. 246 et 253). Ce mécanisme ne tient compte que du cycle de vie des immeubles. Il ne tient pas compte de la capacité des immeubles à répondre aux besoins pédagogiques des élèves. Les appelants soutiennent que cet indice ne leur permet pas d’offrir une éducation réellement équivalente à Mission.
[137]                     La Cour d’appel a confirmé cette décision et ajouté qu’il n’y avait pas de violation de l’art. 23, puisque les appelants n’avaient pas fourni une preuve suffisante pour permettre à la juge de première instance d’évaluer l’expérience éducative globale. La Cour d’appel a également conclu que la preuve concernant l’indice d’état des installations était insuffisante pour conclure à une violation.
[138]                     La situation à Mission est préoccupante. L’éducation physique qui est offerte à l’école des Deux-rives est loin d’être idéale. Malheureusement, comme l’a souligné la Cour d’appel, la preuve soumise est insuffisante pour effectuer l’examen holistique que commande le critère du parent raisonnable et conscient des particularités inhérentes d’une petite école que j’ai décrit précédemment. Je note en outre que la preuve présentée au sujet de l’impact de l’indice d’état des installations est limitée. C’est donc une fois de plus avec réticence, au vu des délais déjà occasionnés dans toute cette affaire, que j’estime nécessaire de renvoyer la question de la qualité de l’expérience éducative à Mission et de l’impact de l’indice d’état des installations sur cette situation au tribunal de première instance pour qu’il la réexamine à la lumière des enseignements du présent arrêt.
C.            Le fait d’obliger un conseil scolaire à prioriser ses projets d’immobilisation constitue-t-il une violation de l’art. 23?
[139]                     Les appelants estiment que la Province ne peut, comme solution à des violations claires de l’art. 23 de la Charte, obliger le CSF à prioriser les projets d’immobilisation qu’il soumet. Cette priorisation force le CSF à accepter que certaines violations de l’art. 23 durent plus longtemps que d’autres. La Province répond que le gouvernement dispose de ressources budgétaires limitées et que c’est non pas à elle mais bien plutôt au CSF, dans l’exercice de son droit de gestion, qu’il revient de prioriser les projets. Dans la situation actuelle, la Province serait en quelque sorte appelée à agir en devin à l’égard des projets du CSF. J’estime que la Province a raison sur ce point.
[140]                     Je suis d’avis que la priorisation exigée par la Province ne porte pas atteinte au droit de gestion garanti par l’art. 23 de la Charte. Au contraire, la Province favorise l’exercice de ce droit de gestion en demandant au CSF d’indiquer où doivent être investis les fonds de façon prioritaire.
[141]                     La véritable question a plutôt trait au délai de réparation. En d’autres mots, les appelants demandent ceci : Quel est le délai dont dispose la Province pour réparer les violations de l’art. 23? Chaque réparation est un cas d’espèce. La capacité de payer de la Province et celle du CSF de gérer de multiples projets devront être prises en compte.
[142]                     La réparation doit néanmoins être apportée dans un délai utile. Cette exigence va de pair avec le caractère unique et distinct de l’art. 23. Les droits énoncés à cet article sont particulièrement vulnérables aux tergiversations des autorités publiques en raison de la « justification par le nombre » qu’exige la disposition. Confronté à la puissance de l’assimilation, le nombre d’enfants d’ayants droit nécessaire pour justifier la prestation de services dans une communauté minoritaire risque de s’éroder irrémédiablement pendant que les autorités tardent à s’acquitter de leurs obligations constitutionnelles (Doucet-Boudreau, par. 29). Comme l’a récemment souligné notre Cour, « il est essentiel de veiller à mettre en œuvre avec vigilance les droits reconnus par l’art. 23 et de remédier à temps aux violations » (Rose-des-vents, par. 28).
D.           Comment une violation de l’art. 23 s’apprécie-t-elle au regard de l’article premier?
[143]                     Notre Cour a statué qu’il est possible de justifier une limitation des droits linguistiques garantis par l’art. 23 en vertu de l’article premier de la Charte (Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208, par. 37; Rose‑des‑vents, par. 49; Ford c. Québec (Procureur général), 1988 CanLII 19 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 712, p. 772-773). En conséquence, lorsqu’une violation de l’art. 23 est établie, les tribunaux doivent suivre la démarche qui a été établie dans l’arrêt Oakes pour déterminer si la violation d’un droit garanti par la Charte peut se justifier dans une société libre et démocratique. Jusqu’à maintenant, la Cour n’a jamais jugé qu’une violation de l’art. 23 était justifiée au regard de l’article premier.
[144]                     En l’espèce, la Cour suprême de la Colombie-Britannique, dont le jugement a été confirmé par la Cour d’appel, a considéré que l’affectation juste et rationnelle des fonds publics constitue un objectif urgent et réel permettant de justifier une violation de l’art. 23 au sens de l’arrêt Oakes. De plus, les deux juridictions inférieures ont statué que l’assimilation ne constitue pas un effet préjudiciable important de la mesure attentatoire, car les écoles de la minorité ne peuvent que ralentir l’inexorable phénomène d’assimilation en Colombie-Britannique. Elles ont également conclu que les économies résultant d’une violation de l’art. 23 peuvent être considérées comme un effet bénéfique de la mesure attentatoire. Ce cadre d’analyse a été appliqué à l’ensemble des violations de l’art. 23 alléguées par les appelants et il a servi à justifier plusieurs de ces violations. Il est donc nécessaire d’apporter des précisions sur le cadre applicable pour décider si une violation de l’art. 23 est justifiée, ainsi que sur le rôle des considérations financières et du phénomène de l’assimilation linguistique dans ce cadre d’analyse.
[145]                     Il n’est pas inutile ici de rappeler les critères énoncés dans l’arrêt Oakes avant de les appliquer dans le contexte spécifique de l’art. 23. Conformément à cet arrêt, il faut satisfaire à deux critères pour justifier une mesure attentatoire. Premièrement, l’objectif visé par cette mesure doit être important. De façon plus précise, il faut que l’objectif « se rapporte à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, pour qu’on puisse le qualifier de suffisamment important » (p. 139). Notre Cour a précisé qu’une telle norme doit être sévère pour « que les objectifs peu importants ou contraires aux principes qui constituent l’essence même d’une société libre et démocratique ne bénéficient pas de la protection de l’article premier » (p. 138-139).
[146]                     Deuxièmement, une fois l’importance de l’objectif établie, la partie qui entend justifier la mesure attentatoire doit démontrer que les moyens choisis pour réaliser l’objectif sont raisonnables. Cette deuxième étape implique l’application d’un critère de proportionnalité. Ce critère comporte trois éléments : (1) la mesure doit avoir un lien rationnel avec l’objectif visé; (2) le moyen choisi doit porter atteinte le moins possible au droit ou à la liberté en question; (3) il doit y avoir proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit ou la liberté et l’objectif désigné comme important.
[147]                     À mon avis, trois facteurs militent en faveur de l’application d’une norme particulièrement sévère en matière de justification d’une violation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité. Premièrement, en adoptant l’art. 23, les rédacteurs de la Charte ont imposé des obligations positives aux gouvernements provinciaux et territoriaux. En vertu de l’art. 23, les gouvernements doivent financer l’instruction dans la langue de la minorité sur le Trésor public lorsque le nombre d’enfants le justifie. Ils doivent satisfaire à ces obligations en temps utile pour prévenir les risques d’assimilation et de perte des droits (Doucet-Boudreau, par. 29; Rose-des-vents, par. 28). L’adoption d’une approche souple relativement à la justification d’une violation de l’art. 23 risque de mettre en péril l’objectif réparateur de cet article, dont l’importance a été expliquée précédemment.
[148]                     Deuxièmement, l’art. 23 n’est pas visé par la clause de dérogation prévue à l’art. 33 de la Charte. Cette décision témoigne de l’importance accordée à ce droit par les rédacteurs de la Charte et de leur intention d’encadrer de façon stricte les dérogations à celui-ci. Dans l’arrêt Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, qui portait sur le droit de vote des Canadiens et des Canadiennes résidant à l’étranger, j’ai réitéré les propos formulés par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), 2002 CSC 68, [2002] 3 R.C.S. 519, selon lesquels en excluant le droit de vote du champ d’application de la clause de dérogation, les constituants ont souligné l’importance privilégiée de ce droit. J’ai ajouté qu’en raison de cette exclusion, toute dérogation à ce droit doit être examinée en fonction d’une norme sévère en matière de justification (Frank, par. 25; Sauvé, par. 11 et 14). Ces propos s’appliquent également dans le contexte de l’art. 23.
[149]                     Effectivement, l’art. 23 protège les minorités linguistiques officielles contre les effets des décisions de la majorité en matière d’éducation en leur permettant de jouir d’une certaine autonomie sur leur système d’éducation. L’historique des relations entre la majorité et la minorité en matière d’éducation démontre que les intérêts de la minorité ne sont pas bien servis lorsque celle-ci n’exerce pas un certain degré de contrôle sur la gestion de ses écoles et de leur financement. En écartant l’art. 23 du champ d’application de la clause de dérogation, les rédacteurs de la Charte ont voulu éviter que la majorité puisse se soustraire à ses obligations constitutionnelles et que renaisse ainsi l’époque où la minorité ne pouvait s’épanouir dans sa langue et sa culture.
[150]                     Troisièmement, l’art. 23 comporte une limite interne, la justification par le nombre, qui exige l’existence d’un nombre suffisant d’enfants, c’est-à-dire d’élèves, pour justifier l’exercice du droit qu’il accorde. En adoptant cette limite, les constituants ont voulu tenir compte de considérations d’ordre pratique — notamment des coûts et des besoins pédagogiques — liées au nombre d’élèves qui peuvent bénéficier du droit reconnu. Lorsqu’une violation de l’art. 23 est constatée, l’argument invoqué par les gouvernements pour la justifier est souvent d’ordre financier. Dans de tels cas, l’analyse fondée sur l’article premier fait alors double emploi à certains égards avec l’analyse de la justification par le nombre qu’a déjà réalisée le tribunal. En effet, si dans un cas donné le nombre d’élèves atteint le seuil justificatif, les considérations liées aux coûts et aux besoins pédagogiques ont déjà été mises en balance dans la première analyse. Les mettre à nouveau en balance dans l’analyse fondée sur l’article premier devrait normalement mener au même résultat. Il serait illogique que des considérations qui justifient dans un premier temps l’exercice du droit puissent dans un second temps justifier la violation de celui-ci. Pour qu’une violation de l’art. 23 puisse être justifiée au regard de l’article premier, la justification ne doit donc pas s’appuyer sur des considérations qui ont été prises en compte à l’étape de la justification par le nombre.
[151]                     Pour les raisons qui précèdent, je suis d’avis que l’art. 23 fait partie des dispositions de la Charte dont la violation est particulièrement difficile à justifier. Je conclus que toute dérogation à l’art. 23 doit donc être analysée et justifiée en vertu d’une norme des plus sévère.
[152]                     Cela dit, la Cour doit décider si l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités peut constituer un objectif urgent et réel dans le contexte de l’art. 23. Les juridictions inférieures se sont principalement appuyées sur l’arrêt Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381, pour confirmer le caractère urgent et réel de cet objectif. Comme l’a souligné notre Cour, « [d]ans la mesure où l’objectif de la loi est de réduire les coûts, cet objectif demeure sujet à caution en tant qu’objectif urgent et réel selon N.A.P.E. » (Health Services and Support — Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, [2007] 2 R.C.S. 391, par. 147). Ainsi, dans un tel contexte, les tribunaux doivent faire preuve d’un grand scepticisme dans l’examen de la justification du caractère urgent et réel de l’objectif (Health Services, par. 147, citant N.A.P.E., par. 72).
[153]                     À mon avis, les juridictions inférieures ont commis une erreur en statuant que [traduction] « l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » constitue en l’espèce un objectif urgent et réel. Par définition, les fonds publics sont limités. Tout gouvernement affecte ses fonds entre ses divers programmes, et ce, selon certains barèmes et de la façon la plus équitable possible. Si le simple fait d’accoler les mots « juste et rationnelle » au mot « affectation » permettait de faire de l’affectation de fonds publics un objectif urgent et réel, il serait alors loisible à tout gouvernement de déroger aux droits fondamentaux avec une aisance déconcertante. Je ne peux accepter un tel résultat.  L’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités constitue le travail quotidien d’un gouvernement. La mission de l’État consiste à gérer des ressources budgétaires limitées pour répondre à des besoins qui eux sont tout sauf limités. Nous ne sommes pas en présence ici d’un objectif urgent et réel qui permet de justifier une violation des droits et libertés. Assimiler ce rôle à un tel objectif entraînerait la société sur une pente glissante et risquerait d’atténuer la portée de la Charte. J’ajouterais que, d’un point de vue pratique, la justesse d’un tel objectif serait presque impossible à vérifier.
[154]                     Vu mes conclusions sur l’existence d’un objectif urgent et réel, il n’est pas nécessaire de traiter de l’étape du critère de proportionnalité, notamment des éléments du lien rationnel et de l’atteinte minimale. Je propose toutefois quelques commentaires sur la proportionnalité entre les effets de la mesure restreignant le droit et l’objectif désigné comme important.
[155]                     À l’étape de la proportionnalité, la juge de première instance n’a pas considéré le fort taux d’assimilation des élèves francophones comme étant un facteur particulièrement préjudiciable. Elle a justifié cette conclusion en affirmant que la preuve soumise démontre que le taux d’assimilation des francophones est élevé dans la province et que le nombre d’écoles de la minorité linguistique officielle n’a pas d’effet appréciable sur ce phénomène.
[156]                     Il est pourtant clairement reconnu que l’un des objectifs de l’art. 23 est de contrer l’assimilation des communautés linguistiques minoritaires officielles. À la lumière de cet objectif, il est illogique de prétendre que le fort taux d’assimilation des francophones en Colombie-Britannique constitue un effet préjudiciable qui n’est pas particulièrement important. Au contraire, je suis d’avis qu’une telle preuve témoigne de la fragilité linguistique de cette communauté, de sa vulnérabilité. Il faut donc redoubler de prudence dans l’examen de toute violation de l’art. 23 et tenir pleinement compte de l’assimilation en tant qu’effet préjudiciable lorsqu’il est porté atteinte au droit reconnu par cet article.
[157]                     En conséquence, j’estime que l’art. 23 vise non seulement à assurer la pérennité des communautés linguistiques au pays, c’est-à-dire une préoccupation tournée vers l’avenir, mais également à permettre à ces communautés de s’épanouir dans leur propre langue et leur propre culture, c’est-à-dire une préoccupation axée sur le présent. En ce sens, même si la preuve soumise au tribunal de première instance démontre que l’existence de l’art. 23 n’a pas été en mesure de contrer, ni même de freiner le phénomène de l’assimilation en Colombie-Britannique, il n’en reste pas moins que les citoyens francophones de cette province sont en droit de s’épanouir dans leur langue au quotidien. Même si le droit à l’instruction dans la langue de la minorité s’exerce dans un contexte difficile dans cette province, ce constat ne doit sous aucune considération nuire à l’exercice de ce droit.
[158]                     J’ajoute que, dans l’analyse de la justification d’une violation du droit reconnu par l’art. 23 de la Charte, les tribunaux doivent garder à l’esprit que même si cette disposition a certes une dimension collective, elle a également une dimension individuelle, puisque les titulaires du droit en question sont d’abord et avant tout des individus. Il est difficile d’évaluer l’incidence des écoles de la minorité sur le phénomène de l’assimilation à l’échelle collective. Toutefois, ces écoles ont un impact certain, à l’échelle individuelle, sur la trajectoire de vie et sur le risque d’assimilation des francophones qui fréquentent ces écoles. En effet, considérée à l’échelle de l’individu, une violation de l’art. 23 a pour résultat d’augmenter le risque d’assimilation des personnes qui n’ont pu fréquenter une école de la minorité linguistique officielle.
[159]                      La juge de première instance a conclu, à l’étape de la proportionnalité, que les économies résultant des violations de l’art. 23 constituaient un effet bénéfique au sens de l’arrêt Oakes. Je ne puis souscrire à cette conclusion. Les économies découlant d’une violation de l’art. 23 ne sauraient servir à justifier cette violation. Un tel raisonnement a pour effet d’occulter l’objet même de l’art. 23, à savoir protéger la minorité contre les effets préjudiciables à son endroit des décisions budgétaires de la majorité. Les économies budgétaires liées à une violation de l’art. 23 ne peuvent pas être considérées comme un facteur pertinent à l’étape de la mise en balance des effets bénéfiques et des effets préjudiciables de la mesure attentatoire.
[160]                     Si j’applique ces principes à la présente instance, j’arrive à la conclusion que les violations de l’art. 23 subies par les appelants ne sont pas justifiées.
[161]                     J’ai conclu précédemment que la Province a violé les droits des appelants à Abbotsford (volet primaire destiné aux enfants d’ayants droit dans la communauté d’Abbotsford et volet secondaire destiné aux enfants d’ayants droit dans les communautés de la vallée centrale du Fraser), à Burnaby, à Chilliwack, à Vancouver Nord-Est, à Victoria Est, à Victoria Ouest, à Victoria Nord et à Whistler. Ces violations découlent du manque de services éducatifs appropriés et d’une carence dans la qualité de l’expérience éducative à laquelle les appelants ont droit en vertu de l’art. 23.
[162]                     Dans ses motifs, la juge de première instance a conclu à l’existence d’une violation de l’art. 23 dans les communautés de Pemberton et de Victoria. Ces violations découlent, à Pemberton, d’un accès inadéquat aux installations de base requises pour offrir un programme d’enseignement et, à Victoria, de la surpopulation étudiante projetée à l’école Victor-Brodeur. La juge a également conclu à l’existence d’une violation des droits fondamentaux des appelants, parce que la Province a privé le CSF d’une somme destinée à l’entretien des immeubles, le facteur rural de la subvention annuelle aux installations. Les juridictions inférieures ont toutefois jugé que toutes ces violations étaient justifiées au regard de l’article premier. Je suis d’avis qu’elles ont tort.
[163]                     J’estime que tant les violations de l’art. 23 auxquelles je conclus dans les présents motifs que celles auxquelles ont conclu les juridictions inférieures ne peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique. Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’analyse de la justification d’une violation de l’art. 23 débute par la détermination de l’objectif urgent et réel poursuivi par le législateur concerné. En l’espèce, les juridictions inférieures ont statué que, dans le cas de chacune de ces violations, l’objectif visé était l’affectation juste et rationnelle de fonds publics. Pour ma part, je suis arrivé à la conclusion qu’un tel objectif ne peut constituer un objectif urgent et réel au sens de l’arrêt Oakes. En conséquence, la justification des violations échoue dès la première étape de l’analyse. En l’absence d’un objectif valable, la Province ne peut justifier de telles violations de l’art. 23 de la Charte.
E.            Est-ce que l’immunité restreinte dont bénéficie l’État en matière de dommages-intérêts s’applique aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales qui sont déclarées contraires à l’art. 23?
[164]                     L’État bénéficie d’une immunité restreinte contre les condamnations au paiement de dommages-intérêts en cas de violations de la Charte. Cette immunité ne s’applique pas en cas de comportement « clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir » (Ward, par. 39, citant Mackin, par. 78). En l’espèce, nul ne prétend que la Province a agi de mauvaise foi. La question en litige est plutôt de savoir si cette immunité s’applique aux décisions prises en vertu de politiques gouvernementales.
[165]                     L’immunité restreinte dont bénéficie l’État est opposable lorsque des considérations font contrepoids au versement de dommages-intérêts. Ces considérations incluent notamment l’existence d’autres recours et les préoccupations relatives au bon gouvernement (Ward, par. 33). Dans la présente affaire, la Cour est appelée à décider si cette immunité restreinte s’applique lorsque la violation résulte de décisions prises en vertu de politiques gouvernementales.
[166]                     En première instance, le tribunal a accordé des dommages-intérêts au CSF à titre de réparation pour la violation de l’art. 23 résultant du financement inadéquat du transport scolaire. S’appuyant sur les arrêts Ward et Mackin, la Cour d’appel a renversé la décision du premier tribunal et invoqué l’immunité restreinte dont bénéficie l’État à cet égard. Selon la Cour d’appel, il est justifié, pour des considérations de bon gouvernement, d’accorder une telle immunité à l’État pour les décisions prises en vertu de toute forme de politiques gouvernementales qui sont subséquemment déclarées attentatoires. J’estime qu’il s’agit d’une erreur et que l’État ne bénéficie pas d’une immunité pour des décisions prises en vertu de politiques gouvernementales.
[167]                     Dans l’arrêt Ward, notre Cour a précisé la démarche à appliquer pour déterminer si l’octroi de dommages-intérêts constitue une réparation convenable à la suite d’une violation de la Charte. Un survol de cette démarche permet de situer contextuellement l’immunité restreinte dont jouit l’État. En vertu de cet arrêt, la première étape consiste à prouver une violation de la Charte. La deuxième étape vise à déterminer si les dommages-intérêts servent une fonction ou un but utile. Les fonctions d’indemnisation, de défense du droit et de dissuasion satisfont à cette condition. À la troisième étape, l’État peut, en vertu de l’immunité restreinte dont il jouit, s’opposer à la condamnation au paiement de dommages-intérêts en invoquant des considérations telles que l’existence d’autres recours et des préoccupations liées au bon gouvernement. Ces considérations ne sont pas exhaustives et d’autres pourraient s’ajouter au fil du temps. La quatrième étape consiste à fixer le montant des dommages-intérêts.
[168]                     Notre Cour a précisé que, dans certaines situations, les préoccupations relatives au bon gouvernement justifient d’exiger un seuil minimal de gravité pour que des dommages-intérêts soient octroyés (Ward, par. 39). C’était le cas dans l’arrêt Mackin dans lequel un demandeur a entrepris un recours en dommages-intérêts contre l’État pour des actes accomplis en vertu d’une loi dûment promulguée, mais subséquemment déclarée contraire à la Charte. Dans ce contexte, notre Cour a conclu que le risque d’être condamnés à verser des dommages-intérêts pourrait paralyser le travail de ceux qui font les lois et de ceux qui les appliquent parce qu’ils craindraient d’engager leur responsabilité. Un tel résultat est inacceptable, car le législateur et les responsables de l’application des lois doivent pouvoir exercer leurs fonctions sans crainte de représailles. Il s’ensuit qu’il faut exiger un seuil minimal de gravité et qu’en l’absence de comportement « clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir », des dommages-intérêts ne peuvent être octroyés en vertu du par. 24(1) pour des actes accomplis en application d’une loi qui est subséquemment déclarée invalide et rendue inopérante par l’effet du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Ward, par. 39, citant Mackin, par. 78).
[169]                     La Province prétend que l’arrêt Ward a élargi le champ d’application de l’immunité de l’État aux décisions prises par l’État en vertu d’une politique gouvernementale. Au paragraphe 40 de cet arrêt, notre Cour a affirmé que « l’État doit pouvoir jouir d’une certaine immunité qui écarte sa responsabilité pour les dommages résultant de certaines fonctions qu’il est seul à pouvoir exercer. Les fonctions législatives et l’élaboration de politiques sont un exemple de telles activités étatiques. L’immunité est justifiée, car le droit ne saurait paralyser l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’élaboration de politiques ». Replacée dans son contexte, la notion d’élaboration de politiques vise les politiques gouvernementales qui tirent leur source de la loi. L’argument de la Province à cet égard doit être rejeté. L’arrêt Ward ne reconnaît qu’une seule situation donnant ouverture à la reconnaissance de l’immunité restreinte, soit les cas de décisions gouvernementales prises en vertu de lois dûment promulguées, puis subséquemment déclarées invalides.
[170]                     Notre Cour n’a cependant pas exclu la possibilité que d’autres situations puissent éventuellement justifier la reconnaissance d’une immunité restreinte au nom du bon gouvernement (Ward, par. 42). Il faut donc se demander si la possibilité que soient accordés des dommages-intérêts par suite de décisions prises par l’État en vertu d’une politique gouvernementale pourrait nuire au bon gouvernement. J’estime que l’octroi d’une réparation de cette nature dans un tel contexte ne risque pas de paralyser l’action gouvernementale et de nuire ainsi à son efficacité.
[171]                     Au contraire, la possibilité que soient accordés des dommages-intérêts à l’égard de politiques gouvernementales attentatoires permet de faire en sorte que l’action gouvernementale demeure respectueuse des droits fondamentaux.
[172]                     Appliquer trop largement l’immunité restreinte dont jouit l’État risquerait en effet de produire des effets indésirables. Il suffirait alors aux gouvernements de démontrer que leurs actions illégales sont autorisées par une politique gouvernementale pour éviter d’avoir à verser des dommages-intérêts.
[173]                     Cette crainte est accentuée par le fait que les politiques gouvernementales ne sont habituellement pas le résultat d’un processus public et que la notion de « politique gouvernementale » n’est pas définie. S’agit-il de toute forme de directives ou de lignes directrices émanant de l’État? Si c’est le cas, l’immunité qu’on demande à la Cour de reconnaître aurait une très large portée. Par contre, une loi est un instrument facilement identifiable. Elle est le résultat du vote d’un corps législatif. L’élaboration d’une loi est un processus public et transparent, qui se situe au cœur du processus démocratique. Il est en conséquence justifié d’accorder à l’État, à l’égard d’un instrument bien défini comme une loi, une immunité qu’il n’est toutefois pas souhaitable de lui reconnaître pour des instruments indéfinis et aux contours incertains comme les politiques gouvernementales. Une telle approche réduirait la possibilité pour les justiciables dont les droits ont été violés d’avoir accès à la justice et d’obtenir une réparation convenable et juste. Élargir de la sorte le champ d’application de l’immunité de l’État rendrait illusoire l’exercice d’un recours en réparation par suite d’une violation de la Charte. 
[174]                     Dans l’arrêt Ward, par. 38, la juge en chef McLachlin a d’ailleurs formulé la mise en garde suivante à l’encontre d’une interprétation trop large des considérations relatives au bon gouvernement qui aurait pour résultat d’empêcher toute forme de réparation :
Les préoccupations relatives au bon gouvernement peuvent revêtir diverses formes. À l’extrême, on pourrait prétendre que l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) aura toujours un effet paralysant sur la conduite de l’État, ce qui nuira au bon gouvernement. Logiquement, cet argument mène à la conclusion que les dommages‑intérêts fondés sur le par. 24(1) ne seront jamais convenables. De toute évidence, ce n’est pas là l’intention exprimée dans la Constitution. En outre, lorsque les dommages‑intérêts accordés en vertu du par. 24(1) découragent les violations de la Charte, ils contribuent au bon gouvernement. Le respect des normes établies dans la Charte constitue un principe fondamental de bon gouvernement.
[175]                     L’application de l’immunité de l’État à toutes les décisions prises en vertu de politiques gouvernementales revient à adopter la forme « extrême » de considérations relatives au bon gouvernement explicitement rejetée dans l’arrêt Ward.
[176]                     De plus, l’immunité dont jouit l’État pour des actes qui découlent de lois dûment promulguées se justifie en raison de l’importance du processus législatif. Dans l’arrêt Mackin, au par. 78, le juge Gonthier a fait siens les propos des auteurs Dussault et Borgeat sur la responsabilité de l’État en matière civile et a souligné que ces propos étaient applicables dans le contexte de la Charte :
Dans notre régime parlementaire, il est impensable que le Parlement puisse être déclaré responsable civilement en raison de l’exercice de son pouvoir législatif. La loi est la source des devoirs, tant des citoyens que de l’Administration, et son inobservation, si elle est fautive et préjudiciable, peut pour quiconque faire naître une responsabilité. Il est difficilement imaginable cependant que le législateur en tant que tel soit tenu responsable du préjudice causé à quelqu’un par suite de l’adoption d’une loi. [Notes en bas de page omises.] 
 
(R. Dussault et L. Borgeat, Traité de droit administratif (2e éd. 1989), t. III, p. 959)
[177]                     Dans cet extrait, l’immunité restreinte reconnue à l’État est justifiée par le fait que la loi est la « source » des devoirs de l’Administration. L’adoption de lois est le rôle fondamental des législateurs et les tribunaux ne doivent pas paralyser l’action de ceux-ci à cet égard. En adoptant une loi, l’organe législatif confère des pouvoirs à l’exécutif. Par contre, les décisions d’un ministre en matière de transport scolaire ne constituent pas une « source » des devoirs de l’Administration au même titre que les lois. En adoptant une politique gouvernementale, l’exécutif se donne lui-même des pouvoirs. Gardant cette distinction à l’esprit, il est justifié de ne pas appliquer aux politiques gouvernementales l’immunité restreinte de l’État.
[178]                     J’estime qu’il n’est pas nécessaire en l’instance de répertorier tous les actes que l’on pourrait considérer comme étant des actes qui découlent de lois. À titre d’exemple, le présent pourvoi ne soulève pas la question de savoir si l’État jouit d’une immunité restreinte à l’égard de décrets ou de règlements pris en vertu de lois dûment promulguées, et je ne me prononce pas sur cette question.
[179]                     En résumé, la règle générale demeure. L’État peut être condamné à verser des dommages-intérêts lorsque ceux-ci constituent une réparation convenable et juste eu égard aux circonstances. L’État peut cependant invoquer des considérations liées à l’efficacité gouvernementale pour éviter une telle condamnation. Une loi déclarée invalide postérieurement à l’acte à l’origine de la violation est un cas d’espèce où l’État peut s’opposer au versement de dommages-intérêts, mais ce dernier ne jouit toutefois pas d’une immunité à l’égard des politiques gouvernementales qui portent atteinte aux droits fondamentaux.
[180]                     En l’espèce, le tribunal de première instance a accordé des dommages-intérêts de six millions de dollars en raison du sous-financement chronique qu’a connu le CSF au titre du transport scolaire entre 2002 à 2003 et 2011 à 2012. Durant cette période, la Province a imposé un gel du financement du transport scolaire. Or, cette période de gel a coïncidé avec une forte augmentation des effectifs du CSF, ce qui a engendré un déficit de 6 à 14 millions de dollars. La Cour d’appel a cependant infirmé la décision d’octroyer des dommages-intérêts, en se fondant sur l’immunité restreinte dont bénéficie l’État et sur le fait que, en l’absence de comportement fautif, des dommages-intérêts ne sont pas une réparation convenable. Comme j’ai conclu que l’immunité restreinte dont jouit l’État ne s’applique pas dans le cas des politiques gouvernementales, et comme le gel du financement du transport scolaire est une politique gouvernementale, je suis d’avis d’infirmer la conclusion de la Cour d’appel et de rétablir l’ordonnance de la juge de première instance accordant des dommages-intérêts pour le financement inadéquat du transport scolaire.
[181]                     La juge de première instance a également conclu que le CSF a été privé de 1,1 million de dollars, parce qu’il n’a pas eu accès au facteur rural de la subvention annuelle aux installations. Elle a statué qu’il s’agissait d’une violation de l’art. 23, mais que celle-ci était justifiée au regard de l’article premier. Comme je suis arrivé précédemment à la conclusion que cette violation n’est pas justifiée, les appelants ont donc droit à des dommages-intérêts de 1,1 million de dollars en raison du financement insuffisant accordé aux écoles rurales de la minorité. Le montant des dommages-intérêts fixé par la juge de première instance n’étant pas remis en question par les parties, il n’y a pas lieu de l’écarter.
VI.              Dispositif
[182]                     Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi en partie et d’annuler le jugement de la Cour d’appel.
[183]                     Je prononcerais les jugements déclaratoires qui suivent en faveur des ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans les communautés énumérées ci-après; ces jugements déclaratoires ont pour effet de remplacer les déclarations correspondantes prononcées par la juge de première instance ou de s’ajouter aux déclarations de celle-ci.
a)      Les ayants droit de la région d’Abbotsford sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 85 élèves de niveau primaire (ou tout autre nombre convenu entre les parties) et qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité (cette déclaration remplace la déclaration 13 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 m))). L’absence à Abbotsford d’installations scolaires destinées aux élèves de la minorité linguistique empêche le CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles primaires avoisinantes de la majorité (cette déclaration et la déclaration correspondante pour les enfants d’âge secondaire remplacent la déclaration 14 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 n))).
b)      Les ayants droit de la région de la vallée centrale du Fraser (Abbotsford, Mission et Chilliwack) sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge secondaire dans une école homogène de la minorité combinant les cycles d’études primaire et secondaire, pouvant accueillir 120 élèves d’âge secondaire (ou tout autre nombre convenu entre les parties) et qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité (cette déclaration remplace la déclaration 12 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 l))). L’absence dans la vallée centrale du Fraser d’installations scolaires destinées aux élèves d’âge secondaire de la minorité linguistique empêche le CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles secondaire avoisinantes de la majorité linguistique (cette déclaration et la déclaration correspondante pour les enfants d’âge primaire remplacent la déclaration 14 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 n))).
c)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation proposé de Burnaby sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 175 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité (cette déclaration remplace la déclaration 15 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 o))).
d)      Les ayants droit de la région de Chilliwack sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 60 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité. Les installations scolaires présentement mises à la disposition de l’école La Vérendrye ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative réellement équivalente.
e)      Les enfants des ayants droit de la région de Kelowna sont en droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité.
f)      Les enfants des ayants droit de la région de Mission sont en droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité.
g)      Les enfants des ayants droit de la région de Nanaimo sont en droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité.
h)      Les enfants des ayants droit de la région de Pemberton sont en droit de bénéficier d’une expérience éducative réellement équivalente à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité. Les installations scolaires présentement mises à la disposition de l’école La Vallée située à Pemberton ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative réellement équivalente.
i)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation de l’école Entre-lacs située à Penticton sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire et intermédiaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 175 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité. Les installations scolaires présentement mises à la disposition de l’école Entre-lacs ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative réellement équivalente (cette déclaration remplace les déclarations 7 et 8 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 g) et h))).
j)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation de l’école du Pacifique située à Sechelt sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 90 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité. Les installations scolaires présentement mises à la disposition de l’école du Pacifique ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative réellement équivalente (cette déclaration remplace les déclarations 5 et 6 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 e) et f)))
k)      Les ayants droit de la région de Squamish sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 135 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité (cette déclaration remplace les déclarations 2 et 3 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 b) et c))).
l)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation proposé du projet d’école primaire de Vancouver Nord-Est sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 270 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité (cette déclaration remplace la déclaration 11 de la juge de première instance (voir motifs de première instance, sous-par. 6834 k))).
m)   Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation proposé de Victoria Est sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 275 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité.
n)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation proposé de Victoria Nord sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 98 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité.
o)      Les ayants droit qui habitent dans le secteur de fréquentation proposé de Victoria Ouest sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 299 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité.
p)      Les ayants droit de la région de Whistler sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 85 élèves (ou tout autre nombre convenu entre les parties) qui offre une expérience éducative réellement équivalente aux écoles avoisinantes de la majorité.
[184]                     Je suis d’avis de renvoyer les questions suivantes au tribunal de première instance pour réexamen :
a)      La question de l’expérience éducative à l’école des Deux-rives située à Mission et de l’impact de l’indice d’état des installations sur la capacité du CSF à offrir une éducation réellement équivalente.
b)      La question du niveau de services auquel a droit le nombre d’élèves de la région de Pemberton.
[185]                     Je suis également d’avis de rétablir l’ordonnance de la juge de première instance concernant le transport scolaire et j’ordonne aux intimés de payer au CSF six millions de dollars en dommages-intérêts en vertu de la Charte sur une période de 10 ans à l’égard du financement inadéquat du transport scolaire de 2002-2003 à 2011-2012.
[186]                     J’ordonne aussi aux intimés de payer 1,1 million de dollars en dommages-intérêts au CSF pour l’indemniser de la somme dont il a été privé au titre du facteur rural de la subvention annuelle aux installations.
[187]                     Le tout avec dépens en faveur des appelants devant toutes les cours.
 
Version française des motifs rendus par
 
                    Les juges Brown et Rowe —
I.               Introduction
[188]                     L’importance fondamentale du bilinguisme pour la société canadienne a été confirmée par notre Cour dans l’arrêt Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2013 CSC 42, [2013] 2 R.C.S. 774, par. 106. De même, dans l’arrêt Mahe c. Alberta, 1990 CanLII 133 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 342, le juge en chef Dickson a décrit le « rôle primordial que joue l’instruction dans le maintien et le développement de la vitalité linguistique et culturelle » comme étant la « clef de voûte » de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme : p. 350. La promotion et la préservation du bilinguisme par l’instruction connotent aussi un engagement envers les droits des minorités linguistiques officielles. Pour reprendre les éloquentes métaphores employées par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Lifchus, le bilinguisme et les droits des minorités linguistiques sont « pour toujours intimement liés l’un à l’autre, comme Roméo et Juliette ou Oberon et Titania, et ils doivent être présentés comme formant un tout » : R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320, par. 27.
[189]                     Comme notre collègue le mentionne, il est impossible de dissocier l’histoire du Canada de celle de ses langues officielles : par. 5‑12. En effet, la langue et la culture sont intrinsèquement liées à l’identité du Canada. C’est l’une des raisons pour lesquelles le bilinguisme et la protection des minorités linguistiques officielles préoccupent profondément bon nombre de Canadiens depuis longtemps. L’intégration de ces deux concepts dans la Constitution en dit long sur leur importance.
[190]                     Contrairement à la plupart des droits garantis par la Charte, l’art. 23 impose des obligations positives aux gouvernements, les obligeant à agir. Le fait que le droit prévu à cet article soit formulé comme un droit positif est particulièrement important. Comme le souligne le juge en chef, l’objectif de l’art. 23 est triple. Il est à la fois préventif, réparateur et unificateur : par. 15. Afin de donner plein effet à l’art. 23, les tribunaux doivent l’interpréter à la lumière de cet objectif. Mais, ce faisant, ils ne doivent pas oublier comment l’art. 23 est formulé. En particulier, ils doivent reconnaître qu’il exprime sa propre limite interne, soit le critère de la « justification par le nombre ». Ce critère est le produit d’un compromis constitutionnel soigneusement conclu, qui demande expressément aux tribunaux (et est interprété comme tel) de tenir compte de considérations liées à la pédagogie et aux coûts. Par conséquent, l’art. 23 exige une analyse rigoureuse des limites internes de cette disposition, ce qui laisse normalement moins de place à une analyse au regard de l’article premier de la Charte.
[191]                     À l’instar du juge en chef, nous sommes d’avis qu’une interprétation téléologique de l’art. 23 exige que l’on applique la notion d’équivalence réelle aux différents seuils de l’échelle variable afin de reconnaître que la qualité de l’instruction offerte dans la langue officielle de la minorité ne peut être véritablement inférieure à celle de l’instruction offerte à la majorité. Nous rejetons donc la conclusion des juridictions inférieures selon laquelle la « proportionnalité » est la norme applicable au milieu ou au bas de l’échelle variable. Nous reconnaissons que les juridictions inférieures n’avaient pas l’intention de diminuer l’importance de l’art. 23 en appliquant la norme de la « proportionnalité », mais à notre avis, l’utilisation d’une telle norme risque de priver les ayants droit de ce à quoi ils ont légitimement droit en vertu de l’art. 23.
[192]                     Nous convenons également avec le juge en chef que l’obligation de prioriser les projets n’entraîne pas de violation de l’art. 23 : par. 139‑140.
[193]                     Malgré notre large adhésion à l’analyse du juge en chef, il convient de noter que ce domaine du droit est truffé de questions à l’égard desquelles des divergences d’opinions raisonnables peuvent survenir et surviendront. Nous tenons à souligner que nos positions respectives ne sont pas très différentes. Si nous sommes en accord avec lui pour ce qui est des objectifs, nous sommes en désaccord sur le meilleur moyen de les réaliser. À notre avis, il existe des raisons importantes de maintenir une approche plus conventionnelle, dans le droit fil de la jurisprudence établie. Comme nous l’expliquerons ci‑dessous, nos divergences découlent principalement du fait que dans l’analyse de la « justification par le nombre », le juge en chef applique, sur la base d’une comparaison effectuée à l’échelle de la province, une présomption quant au caractère approprié du niveau de services du point de vue de la pédagogie et des coûts. Cette présomption influe sur des éléments clés de l’analyse requise pour l’appréciation de l’art. 23, ce qui entraîne une compression du milieu de l’échelle et une application déformée du critère de l’équivalence réelle. De fait, l’approche de notre collègue s’écarte de la conception établie de l’échelle variable sur laquelle repose l’art. 23 depuis l’arrêt Mahe. La nouvelle présomption entraîne une application de l’exigence de la « justification par le nombre » qui, selon nous, ne donne pas plein effet à l’importante limite interne de l’art. 23. Bien que notre collègue reconnaisse cette limite interne, il ne lui donne pas le même effet que la jurisprudence de notre Cour lui a donné à ce jour. Nous ne sommes pas convaincus qu’une telle entorse à la jurisprudence antérieure soit justifiée.
[194]                     Nous sommes entièrement d’accord avec le juge en chef sur le besoin de donner aux droits garantis par la Charte une interprétation large, libérale et téléologique. Mais pour ce faire, il faut donner l’effet voulu à un élément clé de l’art. 23, plus précisément l’exigence de la « justification par le nombre ». On doit prendre soin de n’accorder à l’art. 23, comme à tout autre droit, que la portée et la teneur qu’autorise son libellé: Gould c. Yukon Order of Pioneers, 1996 CanLII 231 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 571, par. 13, 49 et 50. Comme l’a mentionné notre Cour, « la Charte n’a pas été adoptée en l’absence de tout contexte », et il y a lieu de situer ses garanties dans leurs « contextes linguistique, philosophique et historique appropriés » de manière à ne pas « aller au‑delà de l’objet véritable du droit ou de la liberté en question » : R. c. Big M Drug Mart Ltd., 1985 CanLII 69 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 295, p. 344.
[195]                     En ce qui concerne l’analyse au regard de l’article premier de la Charte, nous sommes d’accord avec le juge en chef pour dire, quoique pour des raisons légèrement différentes, que les juridictions inférieures ont commis une erreur en acceptant que l’« affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » était un objectif urgent et réel valable. Nous convenons aussi que les juridictions inférieures ont eu tort d’écarter les graves conséquences de l’assimilation en disant que l’assimilation accrue n’était pas particulièrement préjudiciable. Au contraire, l’art. 23 doit servir de rempart contre l’assimilation.
[196]                     Le juge en chef conclut également que l’immunité contre une condamnation à des dommages‑intérêts en application de la Charte établie dans l’arrêt Mackin c. Nouveau‑Brunswick (Ministre des Finances), 2002 CSC 13, [2002] 1 R.C.S. 405, ne s’étend pas aux politiques du gouvernement. Là encore, avec égards, nous ne pouvons partager son avis. La jurisprudence de notre Cour a constamment formulé le principe en des termes suffisamment larges pour viser les politiques, et il n’y a aucune raison de principe de distinguer les lois des autres instruments, notamment les règlements et les politiques. En effet, ces règlements et politiques ne peuvent être établis que s’ils sont autorisés par une loi. La distinction entre les instruments est donc artificielle. Cependant, une exception à cette immunité générale se justifie dans le cas de l’art. 23, lequel confère un droit positif qui nécessite la dépense de fonds publics et qui est particulièrement vulnérable à l’inaction de l’État. Par conséquent, nous sommes d’accord avec notre collègue pour dire que les dommages‑intérêts fondés sur la Charte sont adjugés à bon droit dans les circonstances de la présente affaire, mais nous ne pouvons adhérer à l’énoncé général du droit sur l’octroi de tels dommages‑intérêts dans d’autres contextes.
[197]                     Enfin, pour motiver le réexamen de l’arrêt Mahe, le juge en chef exprime des inquiétudes au sujet de l’accès à la justice et des longs délais : par. 20 et 56. Or, le délai en l’espèce est imputable non pas au manque de clarté du droit, mais plutôt à la portée et à l’ampleur de la réclamation. Comme nous le soulignons ci‑dessous (par. 200), les appelants ont effectivement contesté la façon dont l’instruction dans la langue de la minorité est fournie partout dans la province de Colombie‑Britannique. Malgré ce qui ne peut être décrit que comme de remarquables efforts de la part de la juge de première instance, l’instruction d’une pareille réclamation prendrait inévitablement beaucoup de temps. Plus fondamentalement, toutefois, le présent pourvoi porte non pas sur l’accès à la justice, mais sur la teneur de cette justice. Nous demeurons d’avis que, s’il a été démontré que des mesures réparatrices d’envergure se justifiaient en Colombie‑Britannique, ce n’est pas une raison valable de modifier les règles qui s’appliqueront dorénavant non seulement dans cette province, mais aussi dans les neuf autres provinces et les trois territoires. Nous ne sommes pas convaincus que des circonstances nécessitant des réparations précises en Colombie‑Britannique constituent un fondement suffisant pour recadrer l’application générale de l’art. 23 dans chaque ressort du pays. Donc, comme nous le verrons plus loin, nos divergences portent rarement sur ce qui s’impose au vu des faits de l’espèce mais généralement sur la question de savoir s’il est nécessaire de procéder à une reformulation générale des règles.
II.            Faits et décisions des juridictions inférieures
[198]                     À l’instar du juge en chef, nous soulignons que le présent pourvoi porte sur l’interaction de l’art. 23 avec les autres dispositions de la Constitution : par. 2. La principale question en l’espèce est toutefois plus précise et concerne la façon dont l’analyse fondée sur l’art. 23 s’applique lorsque le nombre d’élèves se situe au milieu ou au bas de l’échelle variable. En effet, les juridictions inférieures, les parties au présent pourvoi et plusieurs intervenants ont dit que la question consistait à se demander de quelle manière s’effectue l’analyse fondée sur l’art. 23 lorsque les nombres ne se situent pas à l’extrémité supérieure de l’échelle. Plus particulièrement, nous devons nous demander si l’équivalence réelle s’applique lorsque le nombre d’enfants d’ayants droit ne justifie pas la création d’une école homogène.
[199]                     Cette question est quelque peu obscurcie dans l’analyse du juge en chef, car la nouvelle façon d’aborder l’art. 23 tend à faire disparaître le milieu de l’échelle variable. Bien qu’il formule la question comme étant celle de savoir quelle est la démarche à suivre pour situer un nombre d’élèves donné sur l’échelle variable, notre jurisprudence (notamment l’arrêt Mahe) établit déjà les principes généraux qui régissent cette question et nous orientent quant à la façon de nous en inspirer. Certaines améliorations pourraient être de mise. Cela se produit souvent lorsqu’on est appelé à appliquer des principes établis dans des cas particuliers. Mais, à notre humble avis, notre collègue va au‑delà du raffinement de l’application de principes établis et y substitute plutôt de nouveaux principes, notamment sous la forme d’une présomption que le niveau de service est approprié en termes de pédagogie et de coûts à l’échelle de la province.
[200]                     Bien que nous souscrivions au compte rendu des faits présenté par le juge en chef, nous voulons mettre en évidence certains faits qui démontrent la complexité exceptionnelle de l’affaire. Le procès a duré 238 jours (sur une période d’environ 3 ans) et a mené à l’une des plus longues décisions de première instance dans l’histoire du Canada, sinon la plus longue (2016 BCSC 1764). La juge de première instance a entendu plus de 40 témoins ordinaires et 13 témoins experts. Plus de 1 600 pièces et mille pages d’arguments écrits lui ont été présentées. Deux catégories de demandes ont été déposées : (1) des demandes de nature systémique ou globale; et (2) des demandes visant certaines communautés. Dans toutes les demandes portant sur une communauté, sauf une, les appelants ont demandé qu’on leur accorde le niveau de droit le plus élevé, soit la construction d’une nouvelle école homogène. Enfin, l’appelant le Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique (« CSF ») a estimé que le coût total de la mise en œuvre de cette demande serait de plus de 300 M$, sans inclure le coût d’acquisition des sites. Comme la juge de première instance l’a mentionné, le CSF a demandé 350 M$ en fonds d’immobilisations en 2013, ce qui équivalait approximativement à la totalité des fonds d’immobilisations distribués à tous les districts scolaires de la Colombie‑Britannique cette année‑là. Nous pouvons aisément convenir que la totalité de l’instance a duré beaucoup trop longtemps, mais il en est ainsi notamment parce que les appelants ont mis pratiquement tout sur la table et ont adopté des positions maximalistes sur chaque point. C’est leur droit, mais le fait que l’instance a pris énormément de temps est, dans une large mesure fonction de l’ampleur considérable de ce qui est réclamé.
III.         Analyse
A.           Pertinence historique de l’article 23
[201]                     Aux paragraphes 5 à 12 de ses motifs, le juge en chef fait un survol historique des droits linguistiques en matière d’éducation au Canada afin d’apprécier pleinement le rôle que jouent ces droits dans l’orientation de l’analyse fondée sur l’art. 23. Ce survol historique illustre que l’art. 23, en particulier le critère restrictif de la « justification par le nombre », témoigne d’un compromis conclu entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Ce compromis est pertinent parce que, comme nous le verrons, il se reflète dans la limite que renferme le texte de l’art. 23. Il ne s’agit donc pas de savoir si l’art. 23 doit, comme le suggère le juge en chef (par. 18‑19), recevoir une interprétation large ou une interprétation restrictive, mais de donner à l’art. 23 l’effet approprié et souhaité.
[202]                     Les droits à l’instruction dans la langue de la minorité sont depuis longtemps considérés comme étant dignes d’être protégés par la Constitution. Dans un livre blanc datant de 1969, le premier ministre Trudeau a proposé d’élargir les garanties linguistiques et de les inclure dans une charte. Ce livre proposait précisément ce qui suit :
4.  La Charte devrait aussi reconnaître et garantir, en ce qui concerne la langue anglaise et la langue française
        . . .
e)   le droit de l’individu à être éduqué en anglais ou en français, dans les écoles publiques, dans les régions où la langue d’enseignement de son choix est aussi la langue d’enseignement choisie par un nombre suffisant de personnes pour justifier l’établissement des institutions nécessaires. [Nous soulignons.]
        (P.E. Trudeau, La Constitution Canadienne et le Citoyen (1969), p. 54 et 58)
[203]                     Étant donné la réticence générale des provinces à l’égard de la proposition d’édicter une charte et puisque les droits linguistiques touchant l’éducation relevaient du pouvoir législatif des provinces, les premières propositions concernant l’éducation des minorités ont été expressément omises de la Charte de Victoria de 1971 : M. D. Behiels, Canada’s Francophone Minority Communities : Constitutional Renewal and the Winning of School Governance (2004), p. 23. Bien qu’un comité mixte du Sénat et de la Chambre des communes créé après l’échec de la Charte de Victoria ait recommandé la constitutionnalisation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité, le gouvernement fédéral a choisi de se concentrer sur une politique linguistique dans des domaines de compétence fédérale — par exemple au sein de sa fonction publique : Behiels, p. 23‑24 et 33.
[204]                     Un virage est survenu un peu plus tard. Dans un énoncé de politique de 1977, le gouvernement fédéral a annoncé une politique linguistique plus ambitieuse et plus générale. Reconnaissant que le rôle « est dévolu aux provinces en ces domaines » (« Préface » par P. E. Trudeau dans Les langues officielles du Canada, Un choix national : exposé du Gouvernement du Canada sur une politique linguistique nationale, (1977), p. 12), le gouvernement fédéral cherchait à obtenir [traduction] « le soutien actif des provinces, qui contrôlaient des domaines essentiels comme l’éducation, les tribunaux, les services sociaux et de santé et la culture » : Behiels, p. 33.
[205]                     Cette année‑là, à la suite de la 18e Conférence annuelle des premiers ministres tenue à St. Andrews, au Nouveau‑Brunswick, les premiers ministres ont publié une déclaration sur la langue, acceptant de « f[aire] tout leur possible pour offrir l’enseignement en français et en anglais sous réserve que le nombre le justifie » : « Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, 18e Conférence annuelle des premiers ministres », Déclaration sur la langue, Doc. 850‑8/027 (St. Andrews (Nouveau‑Brunswick) : 18‑19 août 1977) (nous soulignons). On avait également demandé au Conseil des ministres de l’Éducation de présenter un rapport sur l’état de l’éducation dans la langue de la minorité dans les provinces. Ce rapport a été ratifié lors d’une conférence spéciale à Montréal en février 1978, durant laquelle les premiers ministres ont décidé que « [c]haque enfant de la minorité francophone ou anglophone dans chacune des provinces a le droit de recevoir l’enseignement dans sa langue dans les écoles primaires ou secondaires, partout où le nombre le justifie » : « Secrétariat des conférences intergouvernementales canadiennes, Conférence des premiers ministres », Communiqué de la Conférence, Doc. 850‑9/007 (Montréal, le 23 février 1978) (nous soulignons); Behiels, p. 41.
[206]                     La version préliminaire de ce qui est finalement devenu l’art. 23 a fait l’objet d’un examen minutieux et d’un débat devant le Comité spécial mixte du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada. Dans un échange digne de mention, le ministre de la Justice et procureur général du Canada à l’époque, Jean Chrétien, a répondu ainsi aux inquiétudes du député du Nouveau‑Brunswick Eymard Corbin concernant l’expression « lorsque le nombre le justifie » citée dans les ententes des premiers ministres :
     M. Chrétien : La raison, monsieur Corbin, pourquoi nous les gardons, vous l’avez énoncée très clairement. Ce sont les termes employés par les premiers ministres des provinces lors de l’accord de 1978, à Montréal.
        . . .
     On aurait peut‑être pu ne pas les mettre et les cours auraient pris les mêmes décisions, mais nous avons cru qu’il était approprié de ne pas aller au‑delà des termes choisis par les premiers ministres des provinces, là‑dessus.
     M. Corbin : Ce qui me chagrine le plus dans tout ça. . .
     M. Chrétien : D’ailleurs, le plus drôle et le plus surprenant c’est que votre premier ministre au Nouveau‑Brunswick, monsieur Hatfield, n’aime pas le terme « lorsque le nombre le justifie », mais il était partie à l’accord de Montréal.
     M. Corbin : Oui, et d’autant plus que le premier accord s’est fait à St. Andrews.
     M. Chrétien : À St. Andrews, au Nouveau‑Brunswick.
        (Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, fascicule nº 38, 32e lég., 1ère sess., 15 janvier 1981, p. 36 et 37)
[207]                     Étant donné que la Charte nécessitait le soutien des provinces — et encore plus l’art. 23, puisqu’il s’agissait d’une disposition rédigée par le gouvernement fédéral qui imposait des obligations positives aux provinces dans un domaine à l’égard duquel elles avaient une compétence législative exclusive —, il est logique que le libellé choisi reflète les préoccupations de ces dernières. En effet, cela n’est pas surprenant. Après tout, la Charte constate une entente politique dont le contenu est l’expression d’une négociation et d’un compromis qui étaient nécessaires pour garantir le soutien de tous en vue de l’inclure dans la Constitution.
[208]                     En l’espèce, l’expression « lorsque le nombre le justifie » reflète un compromis et constate ce que les provinces ont accepté. Elle impose un seuil numérique et fait en sorte que les obligations des provinces demeurent raisonnables et réalistes. Cette limite est exprimée dans le libellé même de l’art. 23. Notre Cour a confirmé la primauté du texte écrit de la Constitution à plusieurs reprises : voir, p. ex., Renvoi relatif à la sécession du Québec, 1998 CanLII 793 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 217, par. 53 (« Renvoi relatif à la sécession »); Colombie‑Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée., 2005 CSC 49, [2005] 2 R.C.S. 473, par. 65; Caron c. Alberta, 2015 CSC 56, [2015] 3 R.C.S. 511, par. 36.
[209]                     Notre Cour a tenu compte du libellé de l’art. 23 et de son caractère singulier. Dans l’arrêt Mahe, elle a trouvé un juste milieu en reconnaissant qu’il est possible d’« insuffler la vie » au droit garanti à l’art. 23, mais en le faisant avec prudence : p. 365.
B.            Le cadre analytique de l’article 23 de la Charte
[210]                     L’analyse à appliquer aux demandes fondées sur l’art. 23 se divise en deux étapes principales. D’abord, le tribunal doit déterminer le niveau de services justifié par le nombre d’ayants droit dans une région donnée (l’analyse de la « justification par le nombre »). Pour ce faire, il doit établir le nombre « pertinent » d’ayants droit, puis situer ce nombre sur une échelle variable de droits afin de décider quel niveau de services est justifié. Ensuite, il doit juger si la qualité des services offerts aux ayants droit est réellement équivalente à celle des services offerts aux élèves de la majorité linguistique de la région (l’analyse de l’« équivalence réelle »).
(1)         L’analyse de la « justification par le nombre »
[211]                     L’analyse débute donc par la détermination du nombre pertinent. Dans l’arrêt Mahe, notre Cour a affirmé que « [l]e chiffre pertinent aux fins de l’art. 23 est le nombre de personnes qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement envisagés » : p. 384 (nous soulignons). Elle a ajouté que ce nombre, qui constitue une estimation, se situera quelque part entre « la demande connue relative au service et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service » : ibid. Nous appellerons ces deux paramètres la « demande connue » et la « demande potentielle ».
[212]                     Cette approche simple et fondée sur des estimations a depuis été confirmée par notre Cour. Dans l’arrêt Arsenault‑Cameron c. Île‑du‑Prince‑Édouard, 2000 CSC 1, [2000] 1 R.C.S. 3, le juge du procès a accepté la preuve selon laquelle environ 155 enfants d’ayants droit de l’art. 23 vivaient dans la région concernée (la demande potentielle) et que ce nombre pourrait passer à 306 dans plusieurs années. Il a également tenu compte d’un sondage indiquant que les parents de 49 enfants désiraient certainement envoyer leurs enfants à une école française à Summerside et que ce nombre pourrait passer à 64 au cours des trois années suivantes (la demande connue) : Arsenault‑Cameron c. Prince Edward Island (1997), 1997 CanLII 4606 (PE SCTD), 147 Nfld. & P.E.I.R. 308 (C.S. Î.‑P.‑É. (1re inst.)), par. 52; Arsenault‑Cameron c. Prince Edward Island (1998), 1998 CanLII 6153 (PE SCAD), 162 Nfld. & P.E.I.R. 329 (C.S. Î.‑P.‑É. (Div. d’appel)), par. 58. La Division d’appel a infirmé la décision de la Division de première instance, estimant que seule la demande connue pour les trois premières années du programme devrait encadrer l’analyse du nombre : ibid. Notre Cour a accueilli l’appel, confirmant non seulement la méthode que nous avons décrite, mais ordonnant qu’elle soit appliquée à l’aide des estimations contemporaines, tant pour la demande connue que pour la demande potentielle. Se fondant sur la preuve acceptée par le juge du procès, la Cour a conclu que le nombre pertinent se situait « entre 49 et 155 » : par. 59.
[213]                     Cependant, cela ne signifie pas qu’un tribunal ne peut pas se fonder sur des méthodes plus avancées pour compléter cette approche de base. Par exemple, des éléments de preuve statistiques ou actuariels fiables prévoyant ce que seront la demande connue et la demande potentielle dans le futur peuvent être présentés au juge du procès, ce qui pourrait aider à déterminer avec plus de précision la fourchette numérique dans laquelle le nombre pertinent devrait se situer. En effet, l’arrêt Mahe (p. 384) tend à indiquer que de tels éléments de preuve peuvent être pris en considération, tout comme l’affirmation de notre Cour dans l’arrêt Arsenault‑Cameron portant que « [l]a demande éventuelle de services pouvait être déterminée en postulant que la demande établie augmenterait une fois les services offerts » : par. 59.
[214]                     Quel que soit le degré de précision de la preuve, ce qui importe, c’est que l’objectif de cette évaluation est d’estimer le nombre d’élèves qui se prévaudront en définitive du programme ou de l’établissement proposé. Et qu’il s’agit d’une estimation. Le but n’est pas d’établir combien d’élèves se prévaudront de l’établissement ou du programme au moment de son lancement, mais plutôt d’essayer de prévoir combien le feront dans le futur. Nous sommes donc d’accord avec le juge en chef lorsqu’il affirme « qu’il n’est pas nécessaire en l’instance de fixer avec précision le nombre d’années qui constitue une projection à long terme » : par. 60. Nous convenons également que la projection devrait tenir compte de la planification à long terme de tels projets, ainsi que de la nécessité d’utiliser des estimations qui demeurent fiables. L’évaluation de la période visée par la projection devrait également se faire au cas par cas et elle dépendra de la qualité et de la fiabilité des éléments de preuve présentés au juge du procès.
[215]                     Après avoir déterminé le nombre pertinent, le tribunal doit alors établir, à l’aide de l’échelle variable, quel niveau de services est justifié sur le plan pédagogique eu égard au nombre d’élèves de la minorité linguistique et au coût de ces services : Mahe, p. 384. En l’espèce, notre collègue propose que l’on adopte une présomption légale selon laquelle il est approprié sur les plans pédagogique et financier de créer une école chaque fois qu’il existe une école de taille comparable ailleurs dans la province : par. 65, 68 et 69. Il s’agit d’une innovation à l’égard de laquelle aucun fondement adéquat n’a, à notre avis, été démontré.
[216]                     Comme le reconnaît notre collègue, le droit à l’instruction dans la langue de la minorité garanti par l’art. 23, selon les termes exprès de cette disposition et la jurisprudence de notre Cour, contient une limite interne et ne vise que les services qui peuvent être justifiés, sur les plans pédagogique et financier, par le nombre d’enfants d’ayants droit : par. 25 et 150. Pour que s’applique l’obligation de financement public de l’éducation dans la langue de la minorité, le demandeur doit démontrer que cette limite est franchie. Comme le prévoit la règle générale, [traduction] « le fardeau de prouver tous les éléments de l’atteinte à un droit garanti par la Charte incombe à la personne qui allègue l’atteinte » : P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd. suppl. (feuilles mobiles)), vol. 2, p. 38‑7. Cela permet de veiller à ce que l’art. 23 soit « assorti de réserves et d’une méthode d’évaluation qui lui sont propres » : Mahe, p. 369. Le fonctionnement de l’échelle variable met en œuvre cette limite interne : le contenu du droit s’accroît à mesure que les nombres augmentent, garantissant ainsi que les ayants droit bénéficient du niveau de services approprié à leur nombre : Mahe, p. 366. Fait à souligner, cette limite tient aussi compte de certains facteurs contextuels, comme la question de savoir s’il s’agit d’un programme ou d’un établissement en milieu local ou urbain : Mahe, p. 385; Association des parents de l’école Rose‑des‑vents c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2015 CSC 21, [2015] 2 R.C.S. 139, par. 47. Selon nous, ceci n’est pas entièrement reconnu par notre collègue (par. 64).
[217]                     Il est essentiel de bien situer le nombre sur l’échelle variable pour plusieurs raisons. Premièrement, le fait de s’assurer que le niveau de services offerts aux groupes de la minorité linguistique est justifié par le nombre permet de faire en sorte que non seulement les gouvernements déploient les ressources nécessaires pour s’acquitter des obligations qui leur incombent au titre de l’art. 23, mais aussi que la limite interne de ces obligations soit prise en compte. L’article 23 prescrit donc que les gouvernements « doivent faire ce qui est pratiquement faisable dans les circonstances pour maintenir et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité » : Mahe, p. 367 (italiques ajoutés). Notre Cour a reconnu, par exemple, qu’on ne peut exiger grand‑chose d’un gouvernement « dans le cas d’un seul et unique élève de la minorité linguistique » : ibid.
[218]                     La deuxième raison pour laquelle il est essentiel de bien situer le nombre sur l’échelle variable est liée au premier point : tout comme le défaut de respecter les droits conférés par l’art. 23 peut nuire à l’épanouissement des langues minoritaires, un mauvais placement sur l’échelle — c’est‑à‑dire, qui ne respecte pas la limite interne de l’art. 23 — peut aussi se révéler préjudiciable aux élèves de la minorité. Comme l’a expliqué le juge en chef Dickson dans l’arrêt Mahe, une telle situation ne serait pas seulement irréaliste, elle minerait aussi l’expérience éducative des ayants droit de la minorité :
        Il ne servirait à rien par exemple d’avoir une école pour dix élèves seulement dans un centre urbain car les élèves seraient privés des nombreux avantages qui découlent d’études et de contacts avec un nombre plus considérable d’élèves. [Nous soulignons; p. 385.]
Bref, déterminer adéquatement les droits en tenant compte de la limite interne de l’art. 23 est un moyen de préserver cette limite, tout en fournissant le niveau de services approprié aux élèves de la minorité linguistique.
[219]                     La présomption légale proposée par le juge en chef a toutefois pour effet d’écarter l’analyse fondée sur la « justification par le nombre ». Les considérations liées à la pédagogie et aux coûts sont effectivement écartées dès lors qu’il y a une école de taille comparable ailleurs dans la province, peu importe le contexte particulier pouvant expliquer l’existence d’une telle école. Le droit à une école homogène — le droit situé à l’extrémité supérieure de l’échelle — est immédiatement présumé, ce qui a pour effet de déplacer le fardeau du demandeur vers la province, et ce, dès le départ. La façon dont une province pourrait parvenir à réfuter cette présomption n’est pas claire. D’après notre collègue, les écoles de la minorité linguistique s’apparentent dans une certaine mesure à celles de la majorité linguistique qui desservent des communautés géographiquement isolées. Sa présomption ne semble être réfutée que dans les situations « véritablement exceptionnelles » comme celle où l’école n’est accessible que par avion ou par traversier ou lorsqu’il faut parcourir un très long trajet pour s’y rendre (par. 78-79). Ainsi, la présomption constitue effectivement une règle : il y aura toujours une école homogène plutôt qu’une école qui partage des locaux. De surcroît, cette présomption s’appliquera peu importe la raison pour laquelle on conserve une petite école de la majorité linguistique — y compris le fait qu’elle représente peut‑être le seul moyen d’instruire les élèves, voire le seul moyen d’assurer la survie de la communauté. Bien que nous ne soyons pas en mesure de faire des calculs, on peut présumer sans trop de risques que les répercussions financières seront considérables dans les dix provinces et trois territoires.
[220]                     Comme l’a souligné le juge en chef, cette façon d’établir le niveau de services est simple et prévisible : par. 56. Mais la simplicité et la prévisibilité ne sont pas nécessairement des vertus lorsqu’elles se réalisent au détriment d’autres considérations importantes. En l’espèce, le demandeur n’a qu’à démontrer qu’il existe quelque part dans la province ou le territoire en question une école de la majorité linguistique de taille comparable; il existerait par conséquent un droit (présumé) à une école de la minorité linguistique de même taille, sans égard à d’autres variables. La prévisibilité peut donc se réaliser, mais aux dépens de la prise en compte du contexte pertinent et important; en effet, notre Cour a affirmé qu’« il faut [. . .] tenir compte de plusieurs facteurs subtils et complexes qui dépassent le simple calcul du nombre des élèves » au moment d’effectuer cette analyse : Mahe, p. 386 (italiques ajoutés).
[221]                     Avec égards, nous soutenons aussi que la simplicité de la nouvelle approche est plus apparente que réelle. Bien qu’il soit facile pour les demandeurs d’identifier de petites écoles dans différentes régions d’une province ou d’un territoire, il reviendra alors au gouvernement de ce ressort de produire des éléments de preuve à l’égard de chacune d’elles afin de réfuter la présomption ⸺ une entreprise forcément longue et fastidieuse. À cet égard, la tentative du juge en chef de circonscrire le nombre d’écoles de la majorité citées à titre d’éléments de comparaison par rapport à celles qui sont véritablement comparables ne permet pas d’atteindre son objectif par ailleurs louable. Il écrit ceci au par. 69 : « les demandeurs, qui ont la tâche d’identifier les écoles de comparaison, doivent faire des efforts pour soumettre au tribunal un nombre raisonnable d’écoles qui, au meilleur de leurs connaissances, sont des éléments de comparaison appropriés à la lumière des enseignements de la présente décision » (nous soulignons). Avec égards, comme le juge en chef soutient tout au long de ses motifs que la présomption ne peut être réfutée que dans des situations « véritablement exceptionnelles », nous doutons que les demandeurs s’abstiendront d’invoquer, dans le but de maximiser les gains, un grand nombre de très petites écoles de la majorité partout dans la province, peu importe si celles‑ci constituent des éléments de comparaison appropriés avec la situation à laquelle se trouve confrontée la minorité linguistique.
[222]                     Ce qu’il advient lorsque la Province parvient à réfuter la présomption n’est pas non plus évident (voir le par. 90 des motifs de notre collègue). Peut‑être a‑t‑on encore recours au type d’analyse contextuelle décrite dans l’arrêt Mahe, mais ce n’est pas clair.
[223]                     Dans la même veine, étant donné que le nouveau critère a pour effet concret de déplacer le fardeau de preuve, l’on peut s’inquiéter grandement pour l’équité du procès dans l’application de ce critère. Le juge en chef dit que « [l]e dossier ne contient toutefois aucune preuve permettant de repousser la présomption à l’égard des autres écoles de petite taille dont j’ai fait état plus tôt et où les effectifs varient entre 66 et 73 élèves » : par. 101. Cela pourrait fort bien s’avérer exact, mais, comme la Province ignorait au procès qu’elle devait réfuter une présomption, elle n’a pas eu, dans les faits, la possibilité de chercher à s’acquitter de son (nouveau) fardeau de preuve. Cela pose d’autant plus problème dans le cas de Pemberton, où « [l]es appelants n’ont pas eu la possibilité de soumettre de telles observations en l’espèce » : par. 102. S’il faut donner aux appelants la possibilité d’ajouter à leurs observations, ne faut‑il pas accorder cette même possibilité à la Province? Et pourquoi seulement à l’égard de Pemberton et non des autres communautés? Nous comprenons le désir de trancher ces questions de manière définitive, mais il ne faut pas perdre de vue l’équité dans cette quête.
[224]                     La présomption légale sert de voie rapide pour atteindre l’extrémité supérieure de l’échelle variable. Il est permis de se demander si la nouvelle approche remplace l’échelle variable par un ascenseur express. Celle‑ci nous semble incompatible avec le refus de notre Cour de considérer que l’art. 23 englobe seulement deux droits (l’un relatif à l’instruction et l’autre relatif aux établissements) — une approche que notre Cour a rejetée, lui préférant l’approche fondée sur une échelle variable qui permet une augmentation progressive du droit à mesure que le nombre d’ayants droit augmente : Mahe, p. 366.
[225]                     Le juge en chef affirme que, suivant son approche, il reste encore de l’espace pour le milieu de l’échelle. Nous ne partageons pas son avis. La présomption légale proposée entre en jeu dès que l’on trouve, n’importe où dans la province, une école accueillant un nombre semblable d’élèves, indépendamment du contexte, en plus de contribuer à conférer le plus haut niveau de droit dans un tel cas. Cela revient essentiellement à éliminer le milieu de l’échelle.
[226]                     Pour s’écarter considérablement d’un précédent de notre Cour, il doit exister des raisons impérieuses de le faire : R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 45, citant Ontario (Procureur général) c. Fraser, 2011 CSC 20, [2011] 2 R.C.S. 3, par. 56, et R. c. Henry, 2005 CSC 76, [2005] 3 R.C.S. 609, par. 44. Avec égards, notre collègue s’écarte effectivement des précédents; nous divergeons d’opinion sur ce point (par. 71 et 72). Nous avons déjà signalé l’extraordinaire complexité de la présente affaire. Il n’y a aucune raison de conclure que les affaires soulevant l’art. 23 se règlent habituellement dans des délais anormaux, qu’il existe une culture de complaisance vis‑à‑vis les droits reconnus à l’art. 23 ou que le critère élaboré par notre Cour dans Mahe et d’autres arrêts est mal adapté à la situation des demandeurs; là encore, nous nous dissocions de notre collègue (par. 20 et 56).
[227]                     Comment alors un tribunal peut‑il déterminer le niveau de services justifié pour un groupe donné d’ayants droit? Nous suggérons une approche en deux étapes, fondée en grande partie sur la jurisprudence de notre Cour, allant d’aussi loin que l’arrêt Mahe jusqu’à l’arrêt récent Rose‑des‑vents. Premièrement, le demandeur doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le niveau de services revendiqué est approprié sur le plan pédagogique compte tenu du nombre d’enfants. S’il arrive à le faire, il y a alors présomption que le niveau de services est aussi approprié sur le plan financier. Le fardeau passe ensuite à la province ou au territoire, qui doit réfuter la présomption relative au caractère approprié du niveau de services du point de vue des coûts. Il s’agit d’un fardeau acceptable, puisque c’est la province ou le territoire qui est le mieux placé pour présenter les éléments de preuve nécessaires. Cependant, tout au long de ce processus, le fardeau de démontrer que le niveau de services est approprié sur le plan pédagogique incombe au demandeur. Car, après tout, c’est à lui qu’il appartient d’établir l’existence d’une violation de la Charte.
[228]                     Afin d’évaluer si un niveau donné de services est approprié du point de vue pédagogique, l’existence d’écoles ou de programmes de la majorité servant un nombre similaire d’élèves ailleurs dans la province peut être un indicateur pertinent qu’une école homogène ou un programme est pédagogiquement approprié au nombre d’enfants d’ayants droit. En effet, nous sommes d’accord pour dire que l’existence d’une école ou d’un programme de taille similaire est un indicateur utile que ce niveau de services convient sur le plan pédagogique au nombre d’élèves en cause, pourvu que l’école ou le programme en question existe dans un contexte pertinent et dans une certaine mesure comparable. Nous reconnaissons également que, si le nombre d’élèves de la minorité se compare à celui des élèves de la majorité à cet endroit, la minorité se trouvera nécessairement à l’extrémité supérieure de l’échelle, car ils vivent dans le même contexte et il ne sera donc pas nécessaire d’examiner l’ensemble de la province (par. 91).
[229]                     Toutefois, nous ne considérons pas que l’existence d’une petite école à quelque endroit que ce soit dans la province est pour ainsi dire déterminante. Au lieu de présumer qu’une école ou un programme ailleurs dans la province démontre le caractère approprié d’un niveau de services donné sur le plan pédagogique, le tribunal doit d’abord déterminer si l’école ou le programme en question constitue un élément de comparaison pertinent, compte tenu de facteurs tels que les questions de savoir si l’école se trouve en milieu rural ou urbain, si elle dessert une communauté éloignée ou isolée, si elle continue de fonctionner à la capacité pour laquelle elle a été bâtie (y compris la question de savoir si elle risque d’être graduellement abandonnée en raison de la baisse des inscriptions) et si elle fonctionne grâce à du financement privé supplémentaire.
[230]                     Dans la prise en considération de facteurs comme le contexte rural d’une école de la majorité en milieu rural, nous ne proposons pas que ces écoles soient « systématiquement exclues », comme le suggère le juge en chef (par. 66). Notre approche implique plutôt de considérer le contexte des écoles utilisées dans la comparaison pour veiller à ce que les circonstances soient pertinentes et comparables à celles de l’école ou du service proposé. Qui plus est, en règle générale, étant donné que l’art. 23 commande un enseignement dans la langue de la minorité financé par les fonds publics, une école ou un programme de comparaison approprié devrait lui aussi être financé par les fonds publics. Parallèlement, l’évaluation des éléments de comparaison pertinents doit tenir compte du fait qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait correspondance parfaite entre l’enseignement dans la langue de la minorité et dans celle de la majorité soit parfaitement correspondant pour que le niveau de services soit approprié sur le plan pédagogique : « il est important de considérer la valeur de l’enseignement dans la langue de la minorité comme un élément de la détermination des services appropriés pour le nombre d’élèves [et de veiller à ce que les] exigences pédagogiques établies pour répondre aux besoins des élèves de la majorité linguistique [ne servent pas à] mettre en échec les considérations culturelles et linguistiques applicables aux élèves de la minorité linguistique » : Arsenault‑Cameron, par. 38; Rose‑des‑vents, par. 31. D’autres facteurs pourraient donc s’avérer pertinents lorsqu’il s’agit d’évaluer la comparabilité selon les circonstances de chaque cas, y compris la situation précise de la communauté minoritaire. Par exemple, il serait inapproprié et irréaliste de se fonder sur des écoles comme l’école élémentaire/secondaire Crawford Bay, un [traduction] « établissement à la fine pointe de la technologie », qui offre des services à une communauté isolée que l’on ne peut atteindre que par traversier, pour lequel la communauté de Crawford Bay a amassé des fonds et auquel elle a apporté une contribution financière appréciable : motifs de première instance, par. 2890‑2892 (CanLII).
[231]                     Nous ne sommes toujours pas convaincus par l’opinion du juge en chef selon laquelle le fait que 250 écoles de Colombie‑Britannique comptent moins de 100 élèves suffit pour conclure au caractère approprié du niveau des services sur le plan pédagogique d’un établissement homogène et autonome pour un nombre semblable d’ayants droit : par. 99. Il ressort d’un examen attentif de la preuve que certaines de ces « écoles » ne correspondent pas à ce que l’on considère habituellement comme une école : plusieurs d’entre elles sont des programmes d’enseignement virtuel ou en ligne (p. ex., Kootenay‑Columbia Virtual School; On‑Line Learning Centre; YouLearn.ca‑CE; YouLearn.ca‑DL; YouLearn.ca‑ALT); d’autres sont des programmes de formation permanente (p. ex. Continuing Ed SD 28; SD 33 Continuing Ed; Continuing Ed SD 36 et Continuing Ed SD 38), et d’autres sont des programmes d’enseignement alternatif (p. ex., Kootenay‑Columbia Learning Centre; Open Doors Alternate Education et Crossroads Alternate School). Il est tout aussi irréaliste d’invoquer pareilles « écoles » pour étayer la présomption que les ayants droit ont droit à des établissements autonomes. Pour qu’une comparaison se révèle utile dans le contexte de l’art. 23, il faut considérer des réalités raisonnablement comparables. Voilà pourquoi il est primordial de contextualiser dès le départ la comparaison, au lieu de le faire dans le cadre de la réfutation d’une présomption.
[232]                     Nous soulignons qu’à cette étape de l’analyse, il n’existe aucune raison de principe justifiant de limiter la comparaison aux écoles locales. À la deuxième étape de l’analyse, où l’on évalue l’équivalence, on se fonde sur les écoles avoisinantes où les parents pourraient de manière réaliste envoyer leurs enfants s’ils étaient dissuadés de les inscrire à l’école de la minorité linguistique : Rose‑des‑vents, par. 35. Toutefois, cette logique ne tient pas eu égard au caractère approprié du niveau de services sur les plans de la pédagogie et des coûts à la première étape. Par conséquent, bien que nous soyons en désaccord avec la création et l’application à cet égard d’une présomption qui serait basée sur une comparaison à l’échelle de la province, nous partageons l’opinion du juge en chef selon laquelle, lorsqu’il devient utile d’effectuer une comparaison pour évaluer le niveau de services approprié auquel une communauté a droit, le tribunal peut légitimement considérer les écoles et les programmes ailleurs dans la province. Nous tenons à ajouter que le fait de reconnaître l’utilité de la comparaison n’empêche pas les plaideurs d’invoquer d’autres moyens d’évaluer le caractère approprié du niveau de services d’un point de vue pédagogique.
[233]                     Pour clore sur la question du caractère approprié du niveau de services sur le plan pédagogique, nous convenons avec le juge en chef que, dans le cas des communautés qui se trouvent en dessous de l’extrémité supérieure de l’échelle variable, une certaine déférence doit être accordée au point de vue des conseils scolaires en ce qui concerne quels services particuliers parmi la gamme de ceux susceptibles d’être offerts qui sont les plus appropriés sur le plan pédagogique (par. 86). En effet, le fait de manifester de la déférence dans ce contexte est conforme au raisonnement adopté par notre Cour dans l’arrêt Mahe et repose sur celui-ci, la Cour ayant affirmé que « pour [réaliser l’objectif de l’art. 23], le groupe linguistique minoritaire [devrait avoir] un contrôle sur les aspects de l’éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture » : p. 375. Ajoutons que, tout en faisant montre de déférence, les tribunaux doivent garder à l’esprit que « [p]our le bien des élèves, et donc indirectement pour les fins de l’art. 23, on ne devrait pas exiger des programmes et des établissements qui ne sont pas appropriés pour le nombre d’élèves concernés » : Mahe, p. 385 (nous soulignons).
[234]                     Nous passons maintenant aux considérations financières. À notre avis, conclure que le niveau de services est approprié sur le plan pédagogique pour le nombre d’enfants concernés devrait entraîner une présomption que le niveau de services est également approprié sur le plan des coûts. La province ou le territoire peut réfuter cette présomption en démontrant qu’il n’est pas financièrement réaliste d’accorder ce niveau de services aux ayants droit de la minorité.
[235]                     Cette approche est conforme et puise à la directive donnée par notre Cour dans l’arrêt Mahe, puis réitérée dans l’arrêt Rose‑des‑vents, selon laquelle l’évaluation du caractère approprié des coûts est habituellement incluse dans l’évaluation des services appropriés sur le plan pédagogique. Comme l’a dit la Cour, « dans la plupart des cas, les exigences pédagogiques permettront d’éviter l’imposition à l’État de charges pécuniaires irréalistes » (Mahe, p. 385) et « les coûts sont habituellement subordonnés aux besoins pédagogiques lorsque vient le temps de déterminer le niveau de services que justifie le nombre d’élèves » (Rose‑des‑vents, par. 47). Cette approche est également conforme à la réalité concrète selon laquelle les provinces et les territoires sont les mieux placés pour présenter des éléments de preuve concernant la possibilité d’offrir un niveau de services particulier sur les fonds publics.
[236]                     Arrêtons‑nous ici pour souligner l’importance de bien circonscrire le droit dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 23, une approche qui est compatible tant avec le libellé de cette disposition qu’avec la jurisprudence de notre Cour. Il est particulièrement important de le faire vu l’application limitée de l’article premier, comme nous l’expliquerons plus loin, dans les affaires mettant en cause une violation de l’art. 23. Il s’ensuit que les considérations pédagogiques et financières sont soigneusement prises en compte dans l’analyse fondée sur l’art. 23. Comme la Cour l’a mentionné dans l’arrêt Mahe, « [l]e second facteur, soit le coût des services, n’est pas explicitement pris en compte normalement pour déterminer si une personne se verra ou non accorder un droit prévu dans la Charte. Dans le cas de l’art. 23, cependant, cette considération s’impose » : p. 385 (nous soulignons). Lorsque les coûts sont inclus dans un examen sérieux des considérations pédagogiques, ils sont pris en compte efficacement, comme l’exige la Constitution.
(2)         L’analyse de l’« équivalence réelle »
[237]                     Le présent pourvoi soulève la question de savoir si l’équivalence réelle est la norme qui doit être appliquée à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 23, à tous les niveaux de l’échelle variable, ou si une norme différente doit être adoptée chaque fois qu’une communauté se situe au milieu ou à la limite inférieure de celle‑ci. Les juridictions inférieures ont affirmé que la « proportionnalité » devrait régir l’analyse dans ces deux cas. Nous ne sommes pas d’accord.
[238]                     Comme nous l’avons vu précédemment, à l’instar de nombreuses autres dispositions de la Charte, l’art. 23 résulte d’un compromis prudent qui vise à reconnaître l’historique et pérenne diversité de notre pays au chapitre des langues officielles. Comme l’a indiqué notre Cour dans l’arrêt Arsenault‑Cameron, pour que l’art. 23 puisse « faire des deux groupes linguistiques officiels des partenaires égaux dans le domaine de l’éducation », les tribunaux doivent lui donner une « interprétation fondée sur l’objet » qui met en évidence son « véritable objectif [. . .] qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté » : par. 26 et 27, citant le Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), art. 79(3), (4) et (7), 1993 CanLII 119 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 839, p. 849 (« Renvoi relatif au Manitoba »), et R. c. Beaulac, [1991] 1 R.C.S. 768, par. 25.
[239]                     Comme l’a confirmé la Cour, cette interprétation fondée sur l’objet suppose l’application de deux principes généraux. Premièrement, les réponses aux questions examinées dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 23 « devraient idéalement être formulées en fonction de ce qui favorisera le mieux l’épanouissement et la préservation de la minorité linguistique francophone dans la province ». Deuxièmement, le droit conféré « devrait être interprété d’une façon réparatrice, compte tenu des injustices passées qui n’ont pas été redressées et qui ont nécessité l’enchâssement de la protection des droits linguistiques de la minorité » : Renvoi relatif au Manitoba, p. 850; voir également Rose‑des‑vents, par. 32; Beaulac, par. 25; Renvoi relatif à la sécession, par. 80; Arsenault‑Cameron, par. 27.
[240]                     Compte tenu de ces deux principes généraux, et gardant à l’esprit que la deuxième étape de l’analyse porte sur la qualité des services d’enseignement, nous sommes d’avis qu’une interprétation fondée sur l’objet de l’art. 23 ne peut être réalisée que par l’application de la norme de l’équivalence réelle à cette étape de l’analyse, indépendamment de l’endroit où se situe la communauté sur l’échelle variable. En effet, comme l’a souligné notre Cour dans l’arrêt Beaulac :
        L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique. [. . .] Notre Cour a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien [et que]
        . . .
        [l]es droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada . . . [Nous soulignons le premier passage ; second passage souligné dans l’original; par. 22 et 25.]
[241]                     Ce raisonnement est en outre fondé sur le principe plus général de la protection des droits des minorités, un principe fondamental sous‑jacent à la Constitution, qui est doté d’une force normative puissante et qui lie à la fois les tribunaux et les gouvernements : Renvoi relatif à la sécession, par. 32, 54 et 79‑82. Dans l’arrêt Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 14, [2005] 1 R.C.S. 201, notre Cour a souligné « les difficultés graves engendrées par le taux d’assimilation des minorités francophones hors Québec, pour lesquelles les droits linguistiques actuels représentent des acquis récents, chèrement et difficilement obtenus » et a mentionné que les tribunaux doivent « ménager l’avenir de chaque communauté linguistique » lorsqu’ils interprètent les droits linguistiques des minorités : par. 5. Compte tenu de ce qui précède, l’équivalence réelle est forcément la norme qui doit s’appliquer pour répondre aux besoins des minorités linguistiques vu les injustices qu’elles ont subies.
[242]                     Bien que notre conclusion sur ces points s’accorde avec celle du juge en chef (par. 107), nous estimons que, prise dans son ensemble, son approche ne respecte pas l’analyse fondée sur l’art. 23 qui a été énoncée dans la jurisprudence. Comme nous l’avons mentionné plus tôt, suivant l’approche qu’il adopte à la première étape (l’analyse de la « justification par le nombre »), une minorité linguistique est présumée avoir droit à une école homogène chaque fois qu’il existe, n’importe où dans la province, une école de la majorité comptant un nombre d’élèves comparable. Les problèmes qui découlent de ce raisonnement deviennent évidents lorsque les deux étapes ⸺ l’analyse de la « justification par le nombre » et l’analyse de l’« équivalence réelle » ⸺ sont examinées ensemble.
[243]                     Comme nous l’avons expliqué, l’étape de l’analyse de « l’équivalence réelle »  en vertu de l’art. 23 vise à déterminer la qualité des services offerts aux ayants droit de la minorité : Rose‑des‑vents, par. 30, 33, 38 et 40; Mahe, p. 378. De multiples facteurs peuvent être pris en considération, notamment la qualité de l’instruction, la compétence des enseignants, la qualité des installations matérielles, les résultats scolaires, les activités parascolaires et le temps de déplacement : Rose‑des‑vents, par. 38-40. Comme l’a expliqué la Cour, « [o]n examine ensemble les facteurs pertinents pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les ayants droit d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique », et « la mesure dans laquelle un facteur donné constitue une question en litige dans l’appréciation de l’équivalence est fonction des circonstances de l’affaire » : Rose‑des‑vents, par. 39. Ces considérations doivent être appliquées du point de vue du parent raisonnable, qui compare l’école de la minorité linguistique aux écoles locales de la majorité représentant une solution de rechange réaliste pour lui : Rose‑des‑vents, par. 35‑37. À cette étape, la comparaison se fait à l’échelle locale, étant donné que la seule solution de rechange réaliste pour le parent est d’envoyer son enfant dans une école avoisinante de la majorité linguistique.
[244]                     C’est ici que ressort de façon évidente le problème que pose le raisonnement du juge en chef. Son recours à une présomption s’appliquant à l’échelle de la province à la première étape de l’analyse donnera lieu à l’établissement de très petites écoles de la minorité linguistique qui, à la deuxième étape de l’analyse, seront comparées aux écoles locales de la majorité. Ces dernières seront généralement plus grandes et dotées de services plus nombreux ou de meilleure qualité (notamment les installations) que les petites écoles de la majorité situées ailleurs dans la province qui auront été utilisées comme éléments de comparaison à la première étape de l’analyse. Lorsque l’on examine les deux étapes ensemble, on constate donc que l’approche de notre collègue mène inévitablement au résultat qu’une petite population étudiante aura soudainement droit à des services essentiellement identiques à ceux offerts dans une école locale de la majorité, beaucoup plus grande, malgré sa taille relativement petite, alors que les élèves d’écoles plus petites de la majorité reçoivent des services relativement inférieurs. Ce phénomène de l’« ascenseur express », qui permet au niveau de services auquel a droit une minorité locale d’être soulevé à l’extrémité supérieure de l’échelle, constitue une dérogation importante et, à notre humble avis, malavisée à la jurisprudence établie par notre Cour à l’égard de l’art. 23. Elle déroge effectivement à la notion d’une gamme de services justifiés qui augmente graduellement en fonction du nombre d’enfants pouvant en bénéficier. Comme nous l’avons mentionné, nous convenons avec notre collègue que l’équivalence réelle est la norme comparative qui s’applique à tous les niveaux de l’échelle variable. La source de notre divergence d’opinion porte sur l’effet que produit l’application de la présomption qu’il propose à la première étape (à laquelle nous ne souscrivons pas) et le recours à l’équivalence réelle comme norme comparative applicable à la deuxième étape (auquel nous souscrivons).
[245]                     Lorsque vient le temps d’évaluer l’équivalence réelle des services fournis, on circonscrit l’analyse en comparant la qualité du niveau de services qui est justifié pour les élèves de la minorité linguistique avec la qualité du même niveau de services offert dans les écoles avoisinantes. En d’autres termes, lorsque seule l’instruction est justifiée, l’analyse de l’« équivalence réelle » vise à déterminer si la qualité de l’instruction offerte à la minorité est comparable à la qualité de l’instruction offerte à la majorité, compte tenu de la nature et de la qualité des installations nécessaires pour offrir l’instruction. De même, lorsque certaines installations sont justifiées selon le niveau de services auquel ont droit les ayants droit, la qualité de ces installations et la qualité des installations semblables offertes à la majorité localement sont prises en considération pour évaluer l’équivalence réelle de l’expérience éducative globale qui leur est offerte. En revanche, lorsqu’un service donné n’est pas justifié (par ex., installations non essentielles), la qualité de ce service n’est pas prise en compte dans l’analyse de l’ « équivalence réelle ». Il est particulièrement important de garder cela à l’esprit lorsque l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire sont offerts dans le même établissement homogène. En effet, il ne faut pas perdre de vue l’endroit où se situe chaque groupe d’ayants droit sur l’échelle variable. Si les élèves du primaire se situent à la limite supérieure de l’échelle et ont droit à un établissement homogène, mais que les élèves du secondaire se situent au milieu de l’échelle et n’ont droit qu’à une instruction avec accès à des installations de base, le fait que l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire soient dispensés dans le même établissement homogène ne confère pas plus de droits aux élèves du secondaire (p. ex., les élèves du primaire et ceux du secondaire auront droit à un gymnase, mais il se peut que les élèves du secondaire ne disposent pas d’un terrain de football). La qualité des services que reçoivent les élèves du secondaire dans ce scénario doit refléter leur position sur l’échelle variable. Lorsqu’ils procèdent à leur analyse, les tribunaux doivent se garder d’adopter une approche formaliste, et ils doivent examiner globalement la qualité du niveau de services : Rose‑des‑vents, par. 35.
[246]                     Pour résumer, l’analyse de l’« équivalence réelle » est délimitée par le niveau de services auquel a droit la communauté, mais cela ne donne pas lieu à une évaluation à la pièce des services et des établissements; l’analyse doit demeurer globale et contextuelle, tout en tenant compte de l’impossibilité de dissocier l’instruction des installations dans lesquelles elle est offerte: Rose‑des‑vents, par. 39; Mahe, p. 369‑370.
[247]                     Cette approche permet à la norme de l’équivalence réelle de s’appliquer à n’importe quel niveau de l’échelle. En effet, même lorsque le niveau de services auquel a droit la minorité se situe au bas ou au milieu de l’échelle variable, il demeure possible d’évaluer l’équivalence réelle de ce niveau de services par comparaison avec les écoles avoisinantes. Par exemple, lorsque le nombre d’ayants droit confère à ceux-ci non pas le droit à une école homogène, mais le droit à une instruction avec accès à des installations de base, la qualité de cette instruction et de ces installations doit être réellement équivalente à celle dont bénéficie la majorité.
[248]                     Il importe également de se rappeler que des parents raisonnables seront conscients des particularités d’une école ou d’un programme de plus petite taille. Nous souscrivons à la déclaration du juge en chef selon laquelle « les juges doivent se demander si des parents raisonnables, conscients des particularités inhérentes d’une petite école, seraient dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique officielle parce que l’expérience éducative qui y est offerte est véritablement inférieure à celle des écoles de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire » : par. 116 (en italique dans l’original). Nous sommes toutefois d’avis d’élargir à la taille du programme l’importance qu’il accorde à la taille de l’école, une nuance nécessaire pour tenir compte des cas où le niveau de services dont doivent bénéficier les ayants droit se situe au milieu de l’échelle, c’est‑à‑dire lorsque ce niveau de services ne donnerait pas droit à une école homogène. En effet, il n’est que raisonnable que les parents tiennent compte de toutes les caractéristiques particulières d’une école de la minorité linguistique pour déterminer si l’expérience est véritablement inférieure à celle offerte dans une école de la majorité où ils peuvent inscrire leurs enfants. Il convient de souligner que l’équivalence réelle (le caractère « réel ») ne s’articule pas de manière formaliste. Comme l’a affirmé la Cour dans l’arrêt Rose‑des‑vents, « il n’est pas nécessaire que l’enseignement offert [aux communautés de la minorité linguistique et à celles de la majorité linguistique] soit identique » : par. 31.
[249]                     En terminant, nous tenons à souligner que nous ne souscrivons pas à la norme de la « proportionnalité » utilisée par les juridictions inférieures pour évaluer la qualité de l’enseignement dans la langue de la minorité par rapport à celui offert aux communautés de la majorité. À notre avis, le maintien d’une considération de proportionnalité à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 23 signifie que le poids relatif de la minorité par rapport à celui de la majorité est pris en compte non pas une fois mais deux, ce qui diminue chaque fois la qualité et le niveau des services dont doit bénéficier la minorité selon la Constitution. Cela ne veut pas dire que l’application de l’équivalence réelle doit se traduire, pour les communautés minoritaires, par des établissements scolaires de la même taille que ceux de la majorité ou par le même nombre de programmes. (En effet, les préoccupations relatives au niveau de services ont déjà été prises en compte dans le cadre de l’analyse de la « justification par le nombre »). L’équivalence réelle signifie plutôt que, une fois qu’il a été établi que les ayants droit doivent bénéficier d’un certain niveau de services, la qualité de ces services doit être réellement équivalente à celle des services offerts à la majorité dans la même localité.
C.            Article premier
[250]                     Bien que la Cour n’ait pas encore reconnu de cas où l’article premier de la Charte pourrait avoir pour effet de sauvegarder la validité d’une mesure qui contreviendrait par ailleurs à l’art. 23, elle a toutefois reconnu que cela était possible : Québec (Éducation, Loisir et Sport) c. Nguyen, 2009 CSC 47, [2009] 3 R.C.S. 208, par. 37.
[251]                     L’analyse requise en vertu de l’article premier est bien connue. L’article premier prévoit que les droits et libertés énoncés dans la Charte ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Pour démontrer la justification d’une limite raisonnable, l’État doit satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt Oakes : l’objectif de la mesure projetée doit être urgent et réel, et le moyen par lequel l’objectif est réalisé doit être proportionné : R. c. Oakes, 1986 CanLII 46 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 103. L’évaluation de l’objectif constitue une condition préalable, qui est analysé sans tenir compte de la portée de la limite, du moyen retenu ou des effets de la mesure : Frank c. Canada (Procureur général), 2019 CSC 1, [2019] 1 R.C.S. 3, par. 38. Il est satisfait au critère de la proportionnalité si les conditions suivantes sont réunies : (i) le moyen a un lien rationnel avec l’objectif, (ii) la mesure constitue une atteinte minimale au droit en jeu, et (iii) les effets bénéfiques de la mesure l’emportent sur ses effets préjudiciables : Oakes, p. 138‑140; Alberta c. Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37, [2009] 2 R.C.S. 567, par. 76‑77.
[252]                     S’exprimant au nom de notre Cour dans l’arrêt Mahe, le juge en chef Dickson a clairement indiqué que l’art. 23 a un objet réparateur et est « destiné à remédier, à l’échelle nationale, à l’érosion progressive des minorités parlant l’une ou l’autre langue officielle » : p. 364. C’est pourquoi il a affirmé que cet article doit recevoir une interprétation large, propre à permettre aux tribunaux d’« insuffler la vie » à l’objet exprimé par cette disposition. Soulignant toutefois le caractère inhabituel du droit — c’est‑à‑dire qu’il confère un droit qui impose aux gouvernements provinciaux ou territoriaux des obligations positives de « changer ou de créer d’importantes structures institutionnelles » — le juge en chef Dickson a rappelé qu’il y a également lieu d’être prudent dans l’interprétation de l’art. 23 : p. 365.
[253]                     Une façon de donner effet à une interprétation large tout en restant prudent consiste à ne pas faire abstraction de la limite interne qui restreint le contenu du droit, telle qu’elle est énoncée à l’art. 23 lui‑même — la limite de la « justification par le nombre ». Le fait que l’art. 23 comporte une limite interne influe grandement sur la façon dont l’analyse de la justification doit être effectuée. En effet, les rédacteurs ont reconnu que cette limite interne remplissait une fonction analogue à celle de l’article premier. Comme l’a expliqué à l’époque le ministre de la Justice, le ministre Chrétien :
     M. Corbin
     . . .
     C’est pour cela que je trouve offensif les mots « là où le nombre le justifie ».
     M. Chrétien : La raison, monsieur Corbin, pourquoi nous les gardons, vous l’avez énoncée très clairement. Ce sont les termes employés par les premiers ministres des provinces lors de l’accord de 1978, à Montréal.
     Vous savez jusqu’à quel point il est délicat. Pourquoi ont‑ils mis ces mots‑là? Pour en faire un critère de raisonnabilité et vous dites vous‑même qu’en toutes circonstances les Francophones ont été plus que raisonnables.
     Alors, ils se retrouvent aussi au début de la charte dans l’article 1. Il y en a qui ne voulaient pas qu’on y mette des restrictions. La restriction qui s’y trouve, c’est un critère de raisonnabilité. Alors, certains peuvent argumenter — et moi je suis porté à le faire aussi — que les termes « lorsque le nombre le justifie », c’est un terme de raisonnabilité, tout simplement, et ils pourraient ne pas y être que la situation serait juridiquement la même. [Nous soulignons.]
        (Procès‑verbaux et témoignages du Comité mixte spécial du Sénat et de la Chambre des communes sur la Constitution du Canada, p. 36 et 37)
[254]                     Comme on peut le constater, l’art. 23 ne crée pas, et n’était pas censé créer, un droit absolu. Son libellé ne se prête pas non plus à une interprétation tellement large que son contenu deviendrait sans bornes, de sorte que tout le travail pour délimiter sa portée resterait à faire dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Au contraire, l’art. 23 comporte une limite interne qui doit être appliquée, et non pas abordée uniquement dans l’analyse fondée sur l’article premier.
[255]                     Le juge en chef considère les choses différemment. À son avis, cette limite interne a une incidence sur la rigueur avec laquelle le critère énoncé dans l’arrêt Oakes est appliqué dans l’analyse fondée sur l’article premier, soulignant qu’il s’agit d’un facteur qui milite en faveur d’une « norme particulièrement sévère en matière de justification d’une violation du droit à l’instruction dans la langue de la minorité » : par. 147. À notre avis, au lieu d’avoir une incidence sur la rigueur de l’analyse fondée sur l’article premier, la nature de l’art. 23 et l’analyse qu’il commande font simplement en sorte qu’en pratique, il en restera moins à faire dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier. Si elle est effectuée correctement, l’analyse approfondie que commande l’art. 23 tiendra compte de plusieurs des considérations normalement soulevées dans le cadre de l’analyse fondée sur l’article premier.
[256]                     Nous partageons donc l’avis du juge en chef que les considérations financières sont principalement prises en compte par l’art. 23 lui‑même : « l’analyse fondée sur l’article premier fait alors double emploi à certains égards avec l’analyse de la justification par le nombre qu’a déjà réalisée le tribunal. En effet, si dans un cas donné le nombre d’élèves atteint le seuil justificatif, les considérations liées aux coûts et aux besoins pédagogiques ont déjà été mises en balance dans la première analyse » : par. 150.
[257]                     En appliquant les considérations financières dans le cadre de l’analyse fondée sur l’art. 23, nous ne voulons pas dire que ces considérations ne sont jamais pertinentes pour l’application de l’article premier. Dans les rares cas où elles n’ont pas été prises en compte dans l’analyse fondée sur l’art. 23, elles peuvent très bien l’être dans celle requise par l’article premier si elles sont liées à d’autres considérations. Cette règle a été établie dans l’arrêt Terre‑Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., 2004 CSC 66, [2004] 3 R.C.S. 381. Bien que le juge en chef cite l’arrêt N.A.P.E. (par. 152), il vaut la peine, selon nous, d’étudier cet arrêt de manière plus détaillée, étant donné qu’il est une source de désaccord entre les parties.
[258]                     Dans l’arrêt N.A.P.E., notre Cour s’est penchée sur le rôle des coûts dans l’analyse fondée sur l’article premier, plus précisément sur la question de savoir si des considérations financières peuvent constituer un objectif « urgent et réel ». Le juge Binnie, qui a rédigé le jugement de la Cour, a examiné en détail la jurisprudence sur les considérations financières au regard de l’article premier : par. 63‑71. Plus particulièrement, il a souligné la conclusion tirée dans Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provincial de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, 1997 CanLII 317 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Î.‑P.‑É. »), suivant laquelle « une mesure dont le seul objectif est d’ordre financier et qui porte atteinte à des droits garantis par la Charte ne peut jamais être justifiée en vertu de l’article premier » : N.A.P.E., par. 63, citant le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Î.‑P.‑É., par. 284. À l’inverse, la jurisprudence a établi que des « considérations financières liées à d’autres considérations d’intérêt public pouvaient être qualifiées d’objectifs suffisamment importants au regard de l’article premier » : N.A.P.E., par. 66‑69 (en italique dans l’original). Bref, le « critère du “seul objectif” » exigeait que l’on se demande si une mesure était seulement d’ordre financier ou si elle était liée à d’autres considérations : par. 71. Le juge Binnie a conclu ainsi:
        Il s’ensuit, me semble‑t‑il, que les tribunaux continueront de faire montre d’un grand scepticisme à l’égard des tentatives de justifier, par des restrictions budgétaires, des atteintes à des droits garantis par la Charte. Agir autrement aurait pour effet de déprécier la Charte étant donné qu’il y a toujours des restrictions budgétaires et que le gouvernement a toujours d’autres priorités urgentes. Cependant, les tribunaux ne peuvent pas fermer les yeux sur les crises financières périodiques qui, pour être surmontées, forcent le gouvernement à prendre des mesures pour gérer ses priorités. (par. 72, en italique dans l’original)
[259]                     Par conséquent, bien que nous partagions l’avis du juge en chef que les tribunaux doivent considérer avec scepticisme les objectifs qui visent à réduire les coûts (par. 152), nous soulignons que l’arrêt N.A.P.E. en dit plus : il établit que les coûts peuvent constituer un objectif urgent et réel lorsqu’ils sont liés à d’autres considérations d’intérêt public.
[260]                     Quoi qu’il en soit, au vu des faits de l’espèce, nous souscrivons à la conclusion du juge en chef selon laquelle « l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités » ne constitue pas un objectif urgent et réel ainsi que l’exige l’arrêt N.A.P.E. : par. 153. Comme il l’explique, les décisions relatives à l’affectation des fonds constituent le travail quotidien d’un gouvernement et ont un caractère purement financier. De plus, l’ajout des mots « juste et équitable » ne confère pas à cet objectif un caractère urgent et réel : ibid. Par conséquent, la Province n’a pas été en mesure d’établir l’existence d’un objectif urgent et réel valable en l’espèce. Les juridictions inférieures ont eu tort de tirer la conclusion contraire. Il s’agit d’un objectif d’ordre financier seulement, qui ne satisfait donc pas au critère de l’objectif urgent et réel.
[261]                     Même si l’omission de la province d’établir un objectif urgent et réel pour justifier sa violation de l’art. 23 suffit pour mettre fin à l’analyse fondée sur l’article premier, nous tenons à ajouter les commentaires suivants au sujet de l’approche adoptée par les juridictions inférieures à la dernière étape du critère énoncé dans l’arrêt Oakes, celle de la proportionnalité.
[262]                     Plus particulièrement, nous notons que la juge de première instance s’est fondée sur le témoignage d’experts qui s’accordaient pour dire que le taux d’assimilation des francophones en Colombie‑Britannique est élevé, se situant à environ 70 %. Et, tout en reconnaissant l’objet réparateur de l’art. 23 et le rôle qu’il joue dans la lutte contre l’assimilation, la juge de première instance a néanmoins tenu compte de ce taux élevé d’assimilation dans son analyse de la proportionnalité. Tant pour les demandes de nature systémique que pour les demandes particulières des communautés, elle a estimé que le fait que l’assimilation soit presque inéluctable et que le fait de fournir à la minorité l’instruction ou des établissements dans sa langue ne faisaient que retarder l’inévitable et ne constituaient [traduction] « pas un effet préjudiciable particulièrement important » : par. 2148.
[263]                     À notre humble avis, cette preuve n’a pas été prise en considération comme il se doit. En guise de comparaison, dans l’affaire Big M Drug Mart, le gouvernement cherchait à justifier une disposition de la Loi sur le dimanche, L.R.C. 1970, c. L.‑13, qui, prétendait‑on, violait l’al. 2a) de la Charte. Il faisait valoir que « le choix d’un jour de repos qui est celui de la majorité chrétienne est le plus pratique »: p. 352. La Cour a jugé que cet argument « ne saurait en aucun cas être retenu » (p. 352), parce que la justification allait fondamentalement à l’encontre de ce que l’al. 2a) vise à protéger: la liberté de religion. À notre avis, la même logique s’applique, que ce soit à l’étape de l’examen de l’objectif ou à celle des moyens: on ne saurait en aucun cas invoquer un critère de justification qui est antithétique au droit lui‑même. En l’espèce, il était contraire à l’objet de l’art. 23 d’affirmer que, parce que l’assimilation était inévitable, l’assimilation accrue n’était pas particulièrement préjudiciable.
[264]                     En fait, le taux accru d’assimilation en Colombie‑Britannique aurait dû mener à la conclusion inverse. La preuve d’un taux élevé d’assimilation devrait pousser à agir. Comme l’a expliqué la Cour dans l’arrêt Doucet‑Boudreau c. Nouvelle‑Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62, [2003] 3 R.C.S. 3, à mesure qu’augmente l’assimilation, augmente aussi le « risque que le nombre cesse de “justifier” [la prestation des services] », causant ainsi l’érosion culturelle que l’art. 23 vise à empêcher;  si elle est tolérée, cette situation permet aux gouvernements de se soustraire aux obligations que leur impose l’art. 23 : par. 29. Par conséquent, le taux élevé d’assimilation que subissent les francophones en Colombie‑Britannique s’avère plutôt être gravement préjudiciable.
D.           Dommages‑intérêts fondés sur la Charte
[265]                     À l’instar de notre collègue, nous concluons que la possibilité d’accorder des dommages‑intérêts fondés sur la Charte n’est pas exclue en l’espèce. Cependant, nous arrivons à cette conclusion pour des raisons différentes. À notre avis, l’immunité énoncée dans l’arrêt Mackin s’applique de façon générale aux politiques gouvernementales. À cet égard, notre opinion diffère de celle de notre collègue, car celui‑ci est d’avis de limiter l’immunité aux lois, mais il ajoute qu’il n’est pas nécessaire de se demander si elle s’applique à des instruments comme les décrets ou les règlements : par. 178.
[266]                     Le fait de présenter l’analyse de telle sorte que le tribunal doive décider si l’application de l’immunité à d’autres instruments aura un effet paralysant sur l’efficacité gouvernementale (par. 170) assimile erronément la raison d’être de l’immunité visée dans l’arrêt Mackin à une condition préalable à l’application de cette immunité. Il s’agit de deux choses différentes, qu’il ne faut pas confondre. La raison pour laquelle il doit y avoir un seuil élevé de gravité pour que des dommages‑intérêts soient accordés est que l’on veut éviter de paralyser le bon gouvernement, situation qui exige que « les représentants de l’État exercent leurs fonctions en vertu des lois valides sans peur d’engager leur responsabilité si jamais la loi était invalidée » (Vancouver (Ville) c. Ward, 2010 CSC 27, [2010] 2 R.C.S. 28, par. 41). Par contre, l’immunité visée dans l’arrêt Mackin n’exige pas, pour son application, qu’il soit démontré, dans chaque cas particulier, que l’octroi de dommages‑intérêts aura un effet paralysant sur le gouvernement.
[267]                     Nous estimons que les raisons qui justifient l’octroi de l’immunité lorsqu’une loi est subséquemment déclarée inconstitutionnelle s’appliquent également aux politiques ou autres mesures qui sont ultérieurement déclarées inconstitutionnelles. Il ne s’agit pas de savoir quel moyen d’action étatique a été utilisé, mais bien de savoir dans quelles circonstances l’État peut être tenu de verser des dommages‑intérêts.
[268]                     Cela dit, et bien que l’immunité visée dans l’arrêt Mackin s’applique généralement aux règlements et aux politiques, une exception est justifiée pour l’art. 23 étant donné la nature particulière du droit qui y est garanti. Néanmoins, avant d’accorder des dommages‑intérêts fondés sur la Charte pour une violation de l’art. 23, le tribunal doit procéder soigneusement à l’analyse exigée par l’arrêt Ward et porter une attention particulière à l’existence et à l’efficacité des autres réparations disponibles.
(1)         Qualité pour agir
[269]                     Des dommages‑intérêts peuvent être accordés en vertu de la Charte s’ils « permet[tent] de défendre utilement les droits et libertés du demandeur » : Ward, par. 20 (nous soulignons). En l’espèce, les appelants se composent à la fois d’ayants droit au titre de l’art. 23 (c’est‑à‑dire des parents) et du CSF. Cela soulève la question de savoir si le CSF est un « demandeur » légitime aux fins d’octroi de dommages‑intérêts. Étant donné que cette question n’a pas été débattue devant la Cour, nous n’avons pas l’intention de l’examiner en détail. Nous tenons toutefois à souligner que la question a bel et bien été soulevée devant les juridictions inférieures. La juge de première instance ayant supposé, sans en décider, que les appelants avaient qualité pour agir (par. 1131), et la Cour d’appel ayant refusé de trancher la question, car elle n’a pas été soulevée au procès ou en appel : 2018 BCCA 305, 14 B.C.L.R. (6th) 52, par. 306. Puisque les intimés n’ont pas contesté la qualité pour agir et que rien n’indique que les ayants droit s’opposent à ce que le CSF agisse en leur nom, nous tiendrons nous aussi pour acquis (sans en décider) que le CSF a qualité pour agir aux fins d’octroi de dommages‑intérêts fondés sur la Charte.
(2)         Le cadre d’analyse applicable aux dommages‑intérêts fondés sur la Charte
[270]                     Dans l’arrêt Ward, la Cour a établi le cadre d’analyse servant à décider si des dommages‑intérêts peuvent être accordés en vertu de la Charte. Plus précisément, la juge en chef McLachlin a expliqué que le « premier et le plus important [des] recours » pour les violations de la Charte est la déclaration d’invalidité fondée sur le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982; vient « s’y ajouter » l’art. 24 de la Charte : par. 1. Des dommages‑intérêts fondés sur la Charte peuvent être accordés en vertu du par. 24(1) s’ils constituent « une réparation convenable et juste » : par. 4. Le juge de première instance jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour déterminer quelle est la réparation convenable au sens du par. 24(1); toutefois, ce pouvoir discrétionnaire — quoique large — n’est pas pour autant absolu, et ce qui est « convenable et juste » dépend des circonstances : par. 17‑19. L’octroi de dommages‑intérêts doit « s’avérer équitable non seulement envers la personne dont les droits ont été violés, mais aussi envers l’État qui versera les dommages‑intérêts » : par. 21. D’autres réparations peuvent aussi être mieux adaptées à une violation : ibid.
[271]                     La juge en chef McLachlin a ensuite énoncé un cadre d’analyse en quatre étapes pour apprécier les dommages‑intérêts fondés sur la Charte : par. 4. À la première étape, on doit évidemment établir qu’il y a eu violation de la Charte. À la deuxième, le demandeur doit démontrer pourquoi les dommages‑intérêts constituent une réparation convenable et juste qui remplit au moins une des fonctions interreliées suivantes : l’indemnisation, la défense du droit en cause et la dissuasion contre toute nouvelle violation. À la troisième, le gouvernement peut démontrer que « des facteurs faisant contrepoids l’emportent sur les considérations fonctionnelles favorables à l’octroi de dommages‑intérêts, de sorte que ces derniers ne seraient ni convenables, ni justes » : par. 4. À la dernière étape, le tribunal fixe le montant des dommages‑intérêts.
[272]                     Dans le contexte de l’art. 23, la première étape, qui consiste à établir la violation, est réalisée dans le cadre de l’analyse que nous énonçons ci‑dessus. Les trois autres étapes, que nous allons maintenant examiner, doivent être abordées en tenant compte des particularités de l’art. 23.
(a)           Déterminer si les dommages‑intérêts constituent une réparation convenable et juste
[273]                     À cette étape, le tribunal se demande si l’octroi de dommages‑intérêts remplira les objectifs d’indemnisation, de défense du droit ou de dissuasion : Ward, par. 25. L’objectif d’indemnisation, « généralement l[e] plus importan[t] », « reconnaît que l’atteinte à un droit garanti par la Charte peut causer une perte personnelle qui exige réparation » : ibid. Cet objectif revêtira vraisemblablement une importance particulière dans le contexte de l’art. 23, étant donné que le respect du droit reconnu par cette disposition requiert la dépense de fonds publics; si cela ne se fait pas, les ayants droit devraient être indemnisés dans les circonstances qui s’y prêtent. Les objectifs de défense du droit et de dissuasion peuvent également prendre une importance particulière si le gouvernement avait intérêt à sous‑financer l’enseignement dans la langue de la minorité ou à en retarder le financement adéquat.
(b)         Déterminer s’il existe des « facteurs faisant contrepoids » à l’octroi de dommages‑intérêts
[274]                     À cette étape, le gouvernement peut faire valoir des considérations qui font de l’octroi de dommages‑intérêts une réparation ni convenable, ni juste : Ward, par. 33. Parmi la catégorie des facteurs qui font contrepoids, et dont la liste n’est pas exhaustive, mentionnons les suivants : (1) l’existence d’autres réparations; et (2) les « préoccupations relatives au bon gouvernement » : ibid. Les arguments présentés en l’espèce ont surtout porté sur l’immunité visée dans l’arrêt Mackin, que notre Cour, dans l’arrêt Ward, a reconnue comme étant une préoccupation relative au bon gouvernement : par. 39. Il n’en reste pas moins que l’existence d’autres réparations et l’immunité visée dans l’arrêt Mackin font intervenir toutes deux des considérations pertinentes dans le contexte de l’art. 23.
(i)           Existence d’autres réparations
[275]                     Ce facteur reconnaît que l’objectif visé par l’octroi de dommages‑intérêts peut souvent être réalisé au moyen d’autres réparations, y compris des jugements déclaratoires : Ward, par. 34 et 37. Il vaut la peine de répéter que notre Cour considère la réparation accordée en vertu du paragraphe 52(1) comme étant « [le] premier et le plus important [des] recours » pour les violations de la Charte, auquel viennent « s’ajouter » les réparations prévues à l’art. 24 : Ward, au par. 1. À partir de là, il s’ensuit que les tribunaux doivent dûment tenir compte de la question de savoir si un jugement déclaratoire pourrait constituer une réparation adéquate. En effet, les jugements déclaratoires constituent une réparation courante dans le contexte de l’art. 23, car « la tradition au Canada veut que les représentants de l’État prennent au sérieux les jugements déclaratoires fondés sur la Charte » : Rose‑des‑vents, par. 65. Reconnaissant l’importance et la force de cette réparation, notre Cour a conclu dans les arrêts Mahe et Rose‑des‑vents qu’un jugement déclaratoire était une réparation convenable: Mahe, p. 392‑393; Rose‑des‑vents, par. 82.
[276]                     Cela ne veut pas dire qu’un demandeur doit avoir épuisé toutes les autres voies de recours avant de demander des dommages‑intérêts fondés sur la Charte. Le point à retenir est que le gouvernement doit démontrer que d’autres recours possibles offriraient une réparation suffisante pour remédier à la violation : Ward, par. 35.
[277]                     Dans le contexte de l’art. 23, les tribunaux doivent porter une attention particulière à la question de savoir si un jugement déclaratoire constitue une réparation adéquate pour une violation. Un tel jugement établit souvent le juste équilibre entre deux objectifs, à savoir assurer la défense des droits garantis par la Charte et accorder aux gouvernements la souplesse dont ils ont besoin pour leur permettre de respecter leurs obligations découlant de l’art. 23. Comme l’a souligné notre Cour dès l’arrêt Mahe, il existe de nombreuses façons dont les gouvernements peuvent s’acquitter des obligations qui leur incombent en vertu de l’art. 23. Ils doivent pouvoir procéder par tâtonnements :
     Il n’est pas possible de décrire exactement ce qui est nécessaire dans chaque cas pour assurer que le groupe linguistique minoritaire exerce un contrôle sur les aspects de l’enseignement dans sa langue qui concernent ou touchent sa langue et sa culture. Il serait irréaliste et vain d’imposer une forme précise de système d’éducation à une multitude de situations différentes qui existent dans tout le Canada. [. . .] Il appartient aux pouvoirs publics de répondre à ces exigences générales. Lorsqu’il y a diverses façons de répondre aux exigences, les pouvoirs publics peuvent choisir le moyen de remplir leurs obligations.
         . . .
        Comme l’a observé le procureur général de l’Ontario, le gouvernement devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l’art. 23. Les tribunaux devraient se garder d’intervenir et d’imposer des normes qui seraient au mieux dignes de Procuste, sauf dans les cas où le pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé du tout, ou l’est de façon à nier un droit constitutionnel. [. . .] (p. 376 et 393, nous soulignons)
[278]                     La Cour est revenue sur cette idée dans le Renvoi relatif au Manitoba, mentionnant que « [t]outefois, notre Cour devrait se garder de décrire précisément le genre de texte législatif que le gouvernement du Manitoba doit adopter pour satisfaire à ses obligations constitutionnelles » : p. 860 (soulignement supprimé). Par conséquent, un jugement déclaratoire constituera souvent une réparation convenable, car il indiquera qu’il y a eu violation d’un droit et déterminera le niveau d’admissibilité à une réparation sans dicter les modalités particulières de celle‑ci.
(ii)         Préoccupations relatives au bon gouvernement
[279]                     Les préoccupations relatives au bon gouvernement peuvent également être des facteurs faisant contrepoids à l’octroi de dommages‑intérêts dans le contexte de l’art. 23. Comme l’a mentionné le juge Moldaver au nom de la Cour dans l’arrêt Henry c. Colombie‑Britannique (Procureur général), 2015 CSC 24, [2015] 2 R.C.S. 214, l’arrêt Ward ne définit pas l’expression « préoccupations relatives au bon gouvernement ». Selon lui, cette expression « sert de formule succincte pour désigner les facteurs de principe justifiant que l’on restreigne les possibilités de recours en responsabilité civile contre l’État » : par. 39.
[280]                     Comme nous l’avons mentionné, il a été reconnu que l’immunité visée dans l’arrêt Mackin répondait à une « préoccupation relative au bon gouvernement » : Ward, par. 38‑39. Les arguments qui nous ont été présentés sont axés sur l’application de cette immunité aux politiques. Nous aborderons cette question sous peu, mais d’abord, nous nous penchons sur le dernier facteur de l’arrêt Ward, tel qu’il s’applique à l’art. 23 — c’est‑à‑dire le montant des dommages‑intérêts.
(c)           Montant des dommages‑intérêts
[281]                     Le montant des dommages‑intérêts est fixé en fonction des mêmes objectifs qui sous‑tendent les dommages‑intérêts fondés sur la Charte (indemnisation, défense des droits et dissuasion) : Ward, par. 47. L’octroi de dommages‑intérêts doit répondre réellement à la gravité de l’atteinte et à l’objectif de dissuasion : par. 54. Le tribunal doit garder à l’esprit que la violation est un « préjudice distinct justifiant en soi une indemnisation » : par. 55.
[282]                     Cependant, l’octroi de dommages‑intérêts fondés sur la Charte doit être juste tant pour le demandeur que pour l’État : Ward, par. 53. Le tribunal doit prendre en considération « l’intérêt public au bon gouvernement, le risque de dissuader les gouvernements d’élaborer des programmes et politiques bénéfiques et la nécessité d’éviter que de gros montants soient prélevés sur le budget des programmes publics pour être consacrés à des intérêts privés » : ibid.
[283]                     La réparation choisie par le juge de première instance et son évaluation du montant des dommages‑intérêts commandent la déférence : Doucet‑Boudreau, par. 87; Ward, par. 73.
(3)         L’immunité visée dans l’arrêt Mackin s’applique aux politiques
[284]                     L’application de l’immunité visée dans l’arrêt Mackin aux politiques gouvernementales est une question à trancher en l’espèce. Selon le principe établi dans cet arrêt, « en l’absence de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages‑intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle » : Mackin, par. 78. Ce principe confère une « immunité restreinte » qui vise à établir l’équilibre entre la protection des droits constitutionnels et la nécessité d’avoir un gouvernement efficace. Autrement dit, il permet de déterminer si une réparation est convenable et juste eu égard aux circonstances, et de veiller à ce que « l’effectivité et l’efficacité de l’action gouvernementale [ne soient pas] exagérément contraintes » : Mackin, par. 79. Comme l’a réitéré notre Cour dans l’arrêt Ward, le principe en question reconnaît que « l’État doit pouvoir jouir d’une certaine immunité qui écarte sa responsabilité pour les dommages résultant de certaines fonctions qu’il est seul à pouvoir exercer » : par. 40. La justification qui sous‑tend l’immunité est que, comme « les lois dûment promulguées [doivent être] appliquées tant qu’elles ne sont pas frappées d’invalidité », l’existence d’une conduite de l’État atteignant « un seuil minimal de gravité » est nécessaire pour justifier une interférence avec le bon gouvernement : Ward, par. 39.
[285]                     Les appelants ont fait valoir devant notre Cour que l’immunité visée dans l’arrêt Mackin s’applique seulement aux lois et non aux politiques. Le juge en chef souscrit à cette opinion. Avec égards, nous ne sommes pas d’accord. Selon nous, l’immunité s’applique généralement aux politiques. En effet, alors que notre collègue considère que cette question n’a jamais été examinée auparavant (par. 169), la jurisprudence de notre Cour a constamment défini ce principe en termes généraux qui englobent les politiques. En outre, la même justification est utilisée, peu importe le moyen d’action gouvernementale. Nous sommes respectueusement d’avis que cette jurisprudence doit être considérée comme tranchant la question générale de savoir si l’arrêt Mackin s’applique aux politiques. Toutefois, comme nous le verrons plus loin, une exception s’impose dans le cas de l’art. 23.
[286]                     Dans l’arrêt Mackin lui‑même, notre Cour a défini l’immunité en des termes indéniablement larges :
     Selon un principe général de droit public, en l’absence de comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir, les tribunaux n’accorderont pas de dommages‑intérêts pour le préjudice subi à cause de la simple adoption ou application d’une loi subséquemment déclarée inconstitutionnelle [. . .] Autrement dit, [traduction] « l’invalidité n’est pas le critère de la faute et ne devrait pas être le critère de la responsabilité » [. . .]. Ainsi, au sens juridique, tant les fonctionnaires que les institutions législatives bénéficient d’une immunité restreinte vis‑à‑vis des actions en responsabilité civile dont le fondement serait l’invalidité d’un texte législatif. [Nous soulignons; soulignement dans l’original supprimé; références omises; par. 78.]
[287]                     Cette formulation englobe plus que les simples lois. En particulier, les mentions « application d’une loi », « l’invalidité [d’une action gouvernementale] » et « texte législatif » tendent à indiquer que le principe s’applique aux autres mesures gouvernementales qui sont prises pour appuyer l’application des lois — ce qui implique habituellement l’élaboration, l’adoption et la mise en œuvre de politiques. Nous attirons également l’attention sur le passage « tant les fonctionnaires que les institutions législatives », qui englobe clairement les actes des assemblées législatives et des autres fonctionnaires de l’État. De fait, il s’agit là d’une conclusion importante de cet arrêt : W. H. Charles, Understanding Charter Damages: The Judicial Evolution of a Charter Remedy (2016), p. 61.
[288]                     Tout doute restant sur ce point a été dissipé dans l’arrêt Ward, qui a résumé comme suit le principe établi dans l’arrêt Mackin :
        Suivant l’arrêt Mackin, l’État doit pouvoir jouir d’une certaine immunité qui écarte sa responsabilité pour les dommages résultant de certaines fonctions qu’il est seul à pouvoir exercer. Les fonctions législatives et l’élaboration de politiques sont un exemple de telles activités étatiques. L’immunité est justifiée, car le droit ne saurait paralyser l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’élaboration de politiques. [Nous soulignons; par. 40.]
Il faut souligner que l’arrêt Ward inclut expressément l’élaboration de politiques comme un élément distinct de l’adoption de lois parmi les « fonctions » pour lesquelles « l’État doit pouvoir jouir d’une certaine immunité qui écarte sa responsabilité pour les dommages ».
[289]                     La juge en chef McLachlin a poursuivi en affirmant au nom de la Cour que l’immunité peut s’appliquer dans d’autres situations que celles où « l’État [accomplit un acte] en vertu d’une loi valide », employant les termes plus larges « agents [faisant] ce qui est nécessaire pour un gouvernement efficace » :
     Il se peut que ce ne soit pas là la seule situation dans laquelle l’État voudra peut‑être démontrer que l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) dissuaderait ses agents de faire ce qui est nécessaire pour un gouvernement efficace, [. . .]. Il n’est pas impossible que soient éventuellement reconnues d’autres situations dans lesquelles des préoccupations relatives à l’efficacité gouvernementale empêcheraient l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) de constituer une réparation convenable.
     De telles préoccupations pourront, au fil de l’évolution du droit dans ce domaine, prendre la forme de divers moyens de défense aux demandes fondées sur le par. 24(1). L’arrêt Mackin a établi une défense d’immunité de l’État pour les actes accomplis en vertu d’une loi invalidée plus tard, sauf en cas de « comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d'abus de pouvoir » de la part de l’État (par. 78). D’autres préoccupations relatives à l’efficacité gouvernementale pourraient se dégager et fonder des moyens de défense de droit public semblables. Par analogie avec l’arrêt Mackin et le droit privé, dans les cas où l’État démontre que l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) suscite des préoccupations relatives au bon gouvernement, il pourrait être opportun d’établir un seuil minimal, par exemple une insouciance manifeste à l’égard des droits garantis au demandeur par la Charte. Différentes situations appelleront sans doute différents seuils, comme c’est le cas en droit privé. [Nous soulignons; par. 42‑43.]
[290]                     L’explication de la juge en chef McLachlin selon laquelle différents seuils peuvent s’appliquer à différentes situations est cruciale. L’applicabilité de l’immunité visée dans l’arrêt Mackin n’est pas à proprement parler déterminée à l’aide de règles absolues. L’immunité peut s’appliquer dans de nombreux contextes, mais cela ne veut pas dire qu’elle s’appliquera nécessairement avec la même force.
[291]                     L’arrêt Henry (2015) concorde avec notre opinion sur ce point. Dans cette affaire, notre Cour a affirmé que le principe établi dans l’arrêt Mackin s’applique à une « mesure prise par l’État conformément à une loi »; autrement dit, il s’applique aux « mesures prises de bonne foi en vertu d’une loi que [les agents de l’État] croyai[en]t valide » : par. 42 (nous soulignons). Ces descriptions, elles aussi, envisagent clairement la possibilité d’une immunité contre les condamnations à des dommages‑intérêts fondés sur la Charte pour d’autres mesures que des lois.
[292]                     Enfin, la Cour d’appel de l’Ontario a abordé directement la question dans l’arrêt Wynberg c. Ontario (2006), 2006 CanLII 22919 (ON CA), 82 O.R. (3d) 561 (C.A.). Elle n’a reconnu [traduction] « aucune raison de principe » justifiant de limiter l’application de l’arrêt Mackin aux lois, mentionnant que l’arrêt Mackin en soi utilisait des termes généraux tels que « exercice des pouvoirs » et « action gouvernementale » : par. 194. La cour a conclu que l’une des fonctions principales des gouvernements est de faire progresser la société en élaborant de nouvelles politiques et en créant de nouveaux programmes, et que [traduction] « la possibilité d’être tenu responsable de dommages risque de nuire à une bonne gouvernance en dissuadant les gouvernements de créer de nouvelles politiques et de nouveaux programmes » : par. 196.
[293]                     De toute évidence, la jurisprudence appuie donc l’application de l’immunité visée dans l’arrêt Mackin aux politiques gouvernementales. Effectivement, nous sommes en accord avec l’intimé pour dire qu’ [traduction] « il n’existe aucune raison de principe justifiant de protéger le gouvernement contre les actions en responsabilité seulement lorsqu’il adopte une loi qui est subséquemment jugée inconstitutionnelle, mais non lorsqu’il met en œuvre une politique qui sert les mêmes fonctions normatives » : m.i., par. 166. En fin de compte, le débat sur la portée de l’immunité visée dans l’arrêt Mackin confond le moyen d’action gouvernementale avec sa substance. Parfois, il faut adopter une loi pour donner effet à une décision politique et d’autres fois, une loi peut déjà prévoir une délégation de pouvoirs qui permet d’établir des règlements ou des politiques permettant d’atteindre le même but. L’immunité visée dans l’arrêt Mackin ne s’attache non pas au moyen d’action utilisé par le gouvernement, mais plutôt à la gouvernance efficace. La question consiste à déterminer dans quels cas les gouvernements engagent-ils leur responsabilité lorsqu’ils s’acquittent de leurs fonctions.
[294]                     Nous prenons note du fait que le juge en chef n’a pas tenu compte de ce courant jurisprudentiel, sauf pour commenter l’énoncé suivant de l’arrêt Ward concernant les « fonctions législatives et l’élaboration de politiques » :
        Replacée dans son contexte, la notion d’élaboration de politiques vise les politiques gouvernementales qui tirent leur source de la loi [. . .] L’arrêt Ward ne reconnaît qu’une seule situation donnant ouverture à la reconnaissance de l’immunité restreinte, soit les cas de décisions gouvernementales prises en vertu de lois dûment promulguées, puis subséquemment déclarées invalides. (par. 169)
En toute déférence, nous ne sommes pas convaincus par cette explication. Comme le démontre notre examen de la jurisprudence relative à l’immunité visée dans l’arrêt Mackin, notre Cour a toujours défini l’immunité de manière suffisamment large pour englober les politiques. En outre, si, comme l’affirme notre collègue, l’application de l’immunité aux politiques aurait pour effet indésirable qu’« [i]l suffirait alors aux gouvernements de démontrer que leurs actions illégales sont autorisées par une politique gouvernementale pour éviter d’avoir à verser des dommages‑intérêts » (par. 172), on peut dire la même chose de la façon dont il voit l’immunité : pour éviter d’avoir à payer des dommages‑intérêts fondés sur la Charte, l’État n’a qu’à formaliser la politique qu’il privilégie dans une loi. Cependant, cette façon de voir les choses fait primer la forme, sur le fond, et ce, en modifiant simplement l’analyse et en mettant l’accent sur la façon dont l’État peut prendre une mesure donnée, plutôt que sur la façon de l’empêcher de prendre cette mesure. Encore une fois, l’accent ne devrait pas être mis sur le moyen utilisé par l’État, mais sur l’objectif de l’immunité. Que l’État agisse au moyen d’une loi, d’un règlement ou d’une politique, la justification à la base de l’immunité est que l’État doit être en mesure d’exercer ses fonctions sans craindre d’être tenu de verser des dommages‑intérêts, tant qu’un certain seuil d’inconduite n’est pas atteint. L’élaboration de politiques est clairement une fonction clé de l’État.
[295]                     Nous prenons également note de la préoccupation du juge en chef selon laquelle il est difficile de définir ce qu’est une politique, alors qu’il est bien plus facile d’identifier une loi : par. 173. À notre avis, il n’est pas nécessaire de définir de manière exhaustive ce qu’est une « politique » : comme nous l’avons rappelé, l’immunité ne porte pas tant sur le moyen utilisé par le gouvernement que sur l’objectif de l’immunité. Bien que nous arrivions ci‑dessous à la conclusion qu’une exception à l’immunité visée par l’arrêt Mackin soit justifiée pour l’art. 23, nous signalons que les politiques en cause sont clairement d’une nature qui entraînerait normalement l’application de l’immunité (voir l’analyse de la violation relative au transport et du facteur rural de la subvention annuelle aux installations (« AFG ») plus loin, aux par. 330‑339). Les deux politiques s’appliquent dans l’ensemble de la province et offrent des suppléments de financement à certains conseils; il s’agit du genre d’instrument utilisé par la province pour s’acquitter de ses obligations découlant, entre autres, de l’art. 106.3 de la loi intitulée School Act, R.S.B.C. 1996, c. 412. Elles soulèvent donc des préoccupations en matière de bonne gouvernance, car elles sont incontestablement un moyen de financer l’instruction dans l’ensemble de la province et de respecter les obligations prévues par la loi.
[296]                     Enfin, le juge en chef estime que le fait de reconnaître que l’immunité s’applique aux politiques irait à l’encontre de la déclaration suivante, faite par la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Ward :
        L’autre considération en raison de laquelle l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) peut ne pas être une réparation convenable est le souci de l’efficacité gouvernementale. Les préoccupations relatives au bon gouvernement peuvent revêtir diverses formes. À l’extrême, on pourrait prétendre que l’octroi de dommages‑intérêts en vertu du par. 24(1) aura toujours un effet paralysant sur la conduite de l’État, ce qui nuira au bon gouvernement. Logiquement, cet argument mène à la conclusion que les dommages‑intérêts fondés sur le par. 24(1) ne seront jamais convenables. De toute évidence, ce n’est pas là l’intention exprimée dans la Constitution. En outre, lorsque les dommages‑intérêts accordés en vertu du par. 24(1) découragent les violations de la Charte, ils contribuent au bon gouvernement. Le respect des normes établies dans la Charte constitue un principe fondamental de bon gouvernement. (par. 38, nous soulignons)
Selon notre interprétation, la juge en chef McLachlin a précisé cette observation au paragraphe suivant de l’arrêt Ward, où elle a décrit l’immunité visée à l’arrêt Mackin : voir aussi Charles, p. 88. Après tout, cette immunité n’est pas absolue : elle ne s’applique pas en présence d’un « seuil minimal de gravité », c’est‑à‑dire lorsqu’il y a un « comportement clairement fautif, de [la] mauvaise foi ou [un] abus de pouvoir ». Autrement dit, le par. 38 de l’arrêt Ward (cité par notre collègue au par. 174) rejette l’opinion extrême selon laquelle l’attribution de dommages‑intérêts aura toujours un effet paralysant sur la gouvernance, alors que le par. 39 explique que l’attribution de dommages‑intérêts dans les cas d’une conduite atteignant un seuil minimal de gravité n’aura pas d’effet paralysant. Le fait de reconnaître que l’immunité visée à l’arrêt Mackin s’applique aux politiques n’écarte pas l’exception prévue à l’égard des situations impliquant une conduite présentant un seuil minimal de gravité; par conséquent, cette constatation est compatible avec l’idée voulant que les dommages‑intérêts n’aient pas toujours un effet paralysant.
iv)   Exception justifiée dans le cas de l’article 23
[297]                     Nous avons conclu que l’immunité visée à l’arrêt Mackin s’applique aux politiques. Cependant, la raison d’être de cette immunité, y compris l’application de celle-ci aux politiques, ne cadre pas très bien dans le contexte de l’art. 23. À notre avis, il est justifié de reconnaître une exception portant que l’immunité ne s’applique pas dans le contexte de l’art. 23.
[298]                     Jusqu’à maintenant, le principe établi dans l’arrêt Mackin et les « préoccupations relatives au bon gouvernement » en général n’ont pas été examinés dans le contexte d’un droit positif. Normalement, les gouvernements prennent des règlements et élaborent d’importantes politiques pour exercer leurs responsabilités courantes; ce faisant, ils s’efforcent vraisemblablement de ne pas porter atteinte aux droits garantis par la Charte. La raison pour laquelle l’immunité visée dans l’arrêt Mackin s’applique à ces activités courantes est que les gouvernements devraient être en mesure d’accomplir leurs fonctions avec l’assurance qu’ils ne seront pas tenus responsables, en l’absence d’inconduite atteignant un certain seuil de gravité.
[299]                     À l’opposé, l’art. 23 établit un droit qui requiert d’agir: contrairement aux autres droits garantis par la Charte, qui obligent l’État de s’abstenir d’agir d’une certaine manière, l’art. 23 requiert, de par son libellé, que l’État agisse. Des lois doivent être édictées, des politiques doivent être établies et des fonds publics doivent être dépensés pour donner effet au droit concerné. Il en est ainsi parce que le droit reconnu à l’art. 23 est un type particulier de droit garanti par la Charte : il impose « au gouvernement des obligations positives de changer ou de créer d’importantes structures institutionnelles » : Mahe, p. 365. L’article 23 est également une disposition réparatrice « [c]onçu[e] pour régler un problème qui se posait au Canada, [elle] visait donc à changer le statu quo » : p. 363. Les tribunaux ne doivent pas avoir peur d’« insuffler la vie » à cette disposition ni « se garder d’accorder les réparations, nouvelles peut‑être, nécessaires à la réalisation de cet objet » : p. 365; voir aussi Doucet‑Boudreau, par. 87. En outre, comme l’art. 23 exige la dépense de fonds publics, il est particulièrement vulnérable à l’inaction :
        L’un des traits distinctifs de l’art. 23 est qu’il est particulièrement vulnérable à l’inaction ou aux atermoiements des gouvernements. Le fait de tarder à mettre en œuvre le droit accordé par cet article ou de remédier aux violations de celui‑ci peut entraîner l’assimilation et gêner l’exercice du droit lui‑même. Comme la Cour l’a déjà indiqué, le risque d’assimilation et d’érosion culturelle augmente avec les années scolaires qui s’écoulent sans que les gouvernements respectent les obligations que leur impose l’art. 23 (Doucet‑Boudreau, par. 29). Laissé à lui‑même, le droit à l’enseignement dans la langue de la minorité risque de disparaître entièrement dans une collectivité donnée. Par conséquent, il est essentiel de veiller à mettre en œuvre avec vigilance les droits reconnus par l’art. 23 et de remédier à temps aux violations. [Nous soulignons.]
        (Rose‑des‑vents, par. 28)
[300]                     Lorsque le tribunal aborde la question de la réparation à accorder, la violation de l’art. 23 a déjà été établie. Cela veut dire que le gouvernement n’a pas financé l’instruction dans la langue de la minorité adéquatement ou qu’il a indûment tardé à le faire. Une telle conclusion peut ne pas aller de pair avec un droit qui requiert la dépense de fonds et risque de faire en sorte que le droit devienne creux ou vide de sens si le gouvernement prend trop de temps à agir. En conséquence, l’obstacle additionnel découlant de l’immunité contre les condamnations au paiement de dommages‑intérêts cadre mal avec la nature des demandes basées sur l’art. 23 dont le bien‑fondé a été établi. De fait, la raison d’être de l’immunité visée à l’arrêt Mackin — la capacité d’exécuter les fonctions du gouvernement sans craindre d’être tenu de verser des dommages‑intérêts — n’appuie pas l’application de cette immunité en l’espèce, car un gouvernement qui a violé l’art. 23 ne s’est pas acquitté des fonctions qui lui incombaient en vertu de cette disposition.
[301]                     Nous nous empressons d’ajouter qu’une analyse rigoureuse de tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Ward est essentielle avant d’accorder des dommages‑intérêts. L’octroi de cette réparation ne saurait se présumer : tel que discuté, le tribunal doit s’assurer que l’octroi de dommages‑intérêts permet de satisfaire aux objectifs que sont l’indemnisation, la défense du droit ou la dissuasion. Compte tenu de la souplesse dont les gouvernements ont besoin pour s’acquitter de leurs obligations découlant de l’art. 23, l’octroi de dommages‑intérêts ne satisfera pas nécessairement à l’une ou l’autre de ces fonctions dans tous les cas. Le tribunal doit aussi porter une attention particulière à la question de savoir si une autre réparation adéquate permettrait de remédier à la violation. Il vaut de répéter que les jugements déclaratoires rendus en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 sont « [l]e premier et le plus important des recours » à l’égard des violations de la Charte (Ward, par. 1) et que la jurisprudence de notre Cour concernant l’art. 23 confirme qu’un jugement déclaratoire est habituellement suffisant dans ce contexte (Mahe, p. 392‑393; Rose‑des‑vents, par. 82). Le tribunal doit également quantifier adéquatement les dommages‑intérêts, tout en gardant à l’esprit que l’octroi d’une telle réparation doit être juste tant pour le demandeur que pour l’État : Ward, par. 20. Les dommages‑intérêts constitueront une réparation convenable seulement dans les cas où tous les facteurs énoncés dans l’arrêt Ward sont réunis.
E.            Application à l’espèce
[302]                     Après avoir exposé la marche à suivre pour procéder à l’analyse requise par l’art. 23, l’analyse appropriée pour l’application de l’article premier et le cadre d’analyse applicable pour l’octroi de dommages‑intérêts en vertu de la Charte, nous passons maintenant à leur application aux faits de l’espèce. Dans certains cas, nous arrivons à une conclusion similaire à celle du juge en chef, mais pour des raisons différentes. Entre‑temps, quelques-unes des conclusions de notre collègue illustrent les problèmes que pose, selon nous, son approche.
(1)         Analyse fondée sur l’article 23
(a)         L’analyse de la « justification par le nombre »
[303]                     Dans l’affaire qui nous occupe, la juge de première instance a, à notre humble avis, commis une erreur en évaluant le nombre pertinent d’élèves dans plusieurs secteurs de fréquentation. Dans ces secteurs, la juge a réduit le nombre pertinent sur la base de ses conclusions portant que [traduction] « dans les cas où le CSF établit une nouvelle école pour diviser un secteur de fréquentation, le programme tend à prendre graduellement de l’ampleur, ajoutant des années et des cohortes de plus en plus nombreuses au fil du temps » et que « le nombre d’enfants justifiera différentes installations et différents équipements à mesure que le [projet] prend de l’ampleur » : par. 3795. Elle a en conséquence accordé une trop grande importance à la demande actuelle ainsi qu’un poids prédominant au nombre de personnes qui pourraient actuellement se prévaloir de l’installation ou du programme envisagés, plutôt qu’au nombre de personnes qui s’en prévaudraient en définitive.
[304]                     Cette erreur ressort d’un survol de ses conclusions de fait. Par exemple, dans le secteur de fréquentation de Vancouver Nord‑Est, la juge de première instance a établi la demande connue à 194 élèves d’âge primaire (par. 3779) et la demande potentielle à 320 (par. 3773), avant d’établir que le nombre pertinent d’élèves pour l’analyse de « la justification par le nombre » devrait se situer approximativement entre 25 et 45 (par. 3797 et 3806), même si elle a reconnu qu’environ 270 élèves se prévaudraient en définitive de l’établissement proposé. Cette faible fourchette témoigne de l’importance qu’accorde la juge aux estimations à court terme, et se situe par conséquent bien en deça des deux paramètres qui auraient dû délimiter son analyse : la demande connue et la demande potentielle. Globalement, cette erreur a influé sur son analyse dans sept secteurs de fréquentation : le secteur de fréquentation proposé d’Abbotsford (élémentaire)[3], le secteur de fréquentation proposé de la Vallée du Fraser[4], le secteur de fréquentation proposé de Burnaby[5], le secteur de fréquentation de Vancouver Nord‑Est[6], le secteur de fréquentation de Victoria Est[7], le secteur de fréquentation de Victoria Nord[8] et le secteur de fréquentation de Victoria Ouest[9]. Cette erreur l’a également amenée à mal situer ces communautés sur l’échelle variable des droits, comme nous le verrons plus loin.
[305]                     Bien que la juge de première instance ait employé le mauvais chiffre pour les besoins de l’art. 23 dans ces secteurs, elle a aussi estimé le nombre d’élèves qui se prévaudraient en définitive du programme dans chaque cas. C’est ce nombre qui aurait dû être utilisé pour bien situer ces communautés sur l’échelle variable.
[306]                     En ce qui concerne le secteur de fréquentation proposé de Burnaby, le secteur de fréquentation de Vancouver Nord‑Est (élémentaire), le secteur de fréquentation de Victoria Est et le secteur de fréquentation de Victoria Ouest, la juge de première instance a reconnu qu’en s’appuyant sur le nombre d’enfants qui se prévaudraient en définitive des établissements et du programme envisagés, ces communautés se situeraient toutes à la limite supérieure de l’échelle variable et auraient droit à des établissements homogènes distincts qui offrent une expérience éducative globale équivalente à celle offerte dans les petites écoles de la majorité dans la collectivité où habitent les ayants droit : par. 3805, 4068 et 5221. Il s’agit effectivement du niveau de services auquel ces communautés ont droit en vertu de l’art. 23 de la Charte.
[307]                     En ce qui concerne le secteur de fréquentation proposé d’Abbotsford (élémentaire) et le secteur de fréquentation proposé de la vallée du Fraser (secondaire), le CSF proposait de construire à Abbotsford une école élémentaire/secondaire homogène qui desservirait les enfants provenant de ces deux secteurs de fréquentation. La juge de première instance a reconnu que, même si elle s’était appuyée sur le nombre d’enfants qui se prévaudraient en définitive des installations et du programme envisagés, elle aurait néanmoins conclu que le nombre de ces divers groupes était insuffisant pour justifier des écoles homogènes distinctes pour chacun de ceux‑ci, et les situait à un échelon entre le milieu et la limite supérieure de l’échelle variable : par. 5064, 5066 et 5067. Elle a souligné qu’il fallait faire preuve de déférence envers la décision du CSF quant à ce qui est pédagogiquement approprié et qu’il existait d’autres écoles élémentaires/secondaires plus petites à travers la province; à la lumière de ces considérations, elle a conclu que les nombres d’enfants d’âge primaire à Abbotsford et d’enfants d’âge secondaire dans le secteur de fréquentation proposé de la Vallée du Fraser qui se prévaudraient en définitive des installations proposées pouvaient ensemble justifier une école homogène disposant d’installations de base proportionnelles à celles des écoles de la majorité, eu égard à la taille de l’école proposée : par. 5064 et 5066.
[308]                     Dans ce cas particulier, nous ne voyons aucune raison de remettre en question la conclusion de la juge de première instance selon laquelle il fallait faire preuve de déférence envers l’avis du CSF affirmant qu’il est pédagogiquement approprié que ces enfants partagent une école avec d’autres enfants d’ayants droit, plutôt qu’avec des enfants de la majorité linguistique. Cette conclusion cadre parfaitement avec l’énoncé, dans l’arrêt Mahe, selon lequel « le groupe linguistique minoritaire [doit avoir] un contrôle sur les aspects de l'éducation qui concernent ou qui touchent sa langue et sa culture » : p. 375. Il s’ensuit que les ayants droit qui ont des enfants d’âge primaire à Abbotsford et d’enfants d’âge secondaire dans le secteur de fréquentation proposé de la Vallée du Fraser ont droit à Abbotsford à une école homogène élémentaire/secondaire offrant une expérience éducative globale équivalente à celle offerte dans les petites écoles de la majorité dans la collectivité où ils habitent. Il ne fait pas de doute que ces deux groupes, considérés individuellement, se situent chacun à un échelon entre le milieu et la limite supérieure de l’échelle variable, et qu’ils n’ont pas droit chacun à une école homogène; toutefois, vu la conclusion de la juge de première instance selon laquelle il faut faire preuve de déférence envers le CSF, ils peuvent, ensemble, avoir droit à une école élémentaire/secondaire homogène distincte.
[309]                     Pour ce qui est du secteur de fréquentation de Victoria Nord, la juge de première instance a reconnu qu’en s’appuyant sur le nombre d’enfants qui se prévaudraient en définitive des établissements et du programme envisagés, ces communautés se situeraient au milieu de l’échelle variable et auraient droit à l’instruction dans une série de salles de classe disposant d’un accès à des installations proportionnelles à celles offertes à la majorité : par. 4263. Pour tirer cette conclusion, elle s’appuie surtout sur la taille des écoles locales de la majorité, lesquelles ont été construites pour accueillir un nombre beaucoup plus grand d’élèves : par. 4070. Toutefois, comme nous l’avons expliqué, il n’existe aucune raison de principe de limiter la comparaison aux écoles locales dans l’examen de la question de savoir si un niveau de services est pédagogiquement approprié, pour le nombre d’enfants concernés. L’existence d’autres écoles ailleurs dans la province comptant un nombre semblable d’élèves peut être un facteur pertinent pour déterminer où se situe un groupe sur l’échelle variable.
[310]                     À notre avis, si la juge de première instance avait pris en compte comme il se doit des écoles de la majorité comparables situées ailleurs dans la province dans son appréciation de la demande relative à Victoria Nord, elle aurait conclu que cette communauté se situe à la limite supérieure de l’échelle variable, ce qui justifie un établissement homogène offrant aux élèves une expérience éducative globale réellement équivalente à la situation des écoles locales de la majorité. Un certain nombre de facteurs nous amènent à tirer cette conclusion. Parmi ces facteurs, mentionnons l’existence d’une école de la majorité qui a été construite pour accueillir, et qui accueille, un nombre similaire d’élèves dans un milieu urbain similaire, l’école Connaught Heights Elementary[10], dont la juge de première instance a tenu compte dans son analyse de la demande relative à Burnaby : par. 5168, 5218 et 5219. Soulignons également que la juge de première instance a estimé que des établissements homogènes étaient pédagogiquement appropriés pour un nombre similaire d’élèves dans des communautés comme Nelson et Sechelt : par. 2697, 2901, 2902 et 2903. À notre avis, il est pédagogiquement approprié que les enfants d’âge primaire du secteur de fréquentation proposé de Victoria Nord reçoivent l’instruction dans la langue de la minorité dans des établissements homogènes distincts offrant une expérience réellement équivalente à celle offerte dans les écoles locales de la majorité.
[311]                     Une deuxième erreur invoquée par les appelants a trait au positionnement sur l’échelle variable des communautés dans le secteur de fréquentation de Whistler (élémentaire), le secteur de fréquentation de Pemberton et le secteur de fréquentation de l’école élémentaire La Vérendrye (« Chilliwack (élémentaire) »). Les appelants soutiennent que la juge de première instance n’a pas adéquatement pris en compte la preuve selon laquelle un certain nombre de petites écoles de la majorité linguistique existent ailleurs dans la province : m.a., par. 41. Pour ce qui est de ces trois communautés, la juge de première instance a conclu que le nombre d’enfants d’ayants droit — 85 à Whistler (élémentaire), 60 à Chilliwack (élémentaire), et 55 à Pemberton — ne justifiait pas la construction de nouvelles écoles homogènes et a statué qu’il se situait plutôt au milieu de l’échelle variable, justifiant la prestation de l’instruction avec un accès à des installations de base : par. 2208, 2344 et 4766. Nous sommes du même avis. Bien que la juge de première instance ait pris en compte les écoles locales de la majorité comme éléments de comparaison à cette étape de l’analyse, elle a également considéré des écoles plus petites ailleurs dans la province, mais a conclu que celles-ci ne pouvaient pas servir d’éléments de comparaison adéquats à l’égard de Whistler (élémentaire), de Pemberton et de Chilliwack (élémentaire). De fait, elle a affirmé que [traduction] « [l]a Province construit rarement des écoles pouvant accueillir ce nombre d’élèves. Dans les cas où elle l’a fait, l’école a été construite pour desservir une communauté isolée et éloignée; une nouvelle école était la seule façon pratique d’assurer l’instruction à ces enfants » : par. 2206 et 2342; voir aussi par. 4764.
[312]                     Ainsi que nous l’avons expliqué, l’existence d’écoles ou de programmes de la majorité servant un nombre similaire d’élèves ailleurs dans la province peut constituer un facteur pertinent à prendre en compte, mais elle ne saurait être déterminante pour trancher la question de savoir si le programme ou l’établissement envisagé est pédagogiquement approprié eu égard au nombre d’élèves concernés. La juge de première instance a, à juste titre, exclu des écoles de la majorité comptant un nombre similaire d’élèves, puisque le contexte de ces écoles était différent et n’était pas comparable à la situation ayant cours dans ces trois secteurs de fréquentation. Elle a en outre conclu que, dans le contexte de ces communautés, la prestation de l’instruction dans la langue de la minorité dans des écoles homogènes [traduction] « priverait [les enfants] de l’avantage pédagogique d’interagir avec de grandes populations et ne serait pas économique eu égard à la taille de l’école de comparaison » : par. 2207; voir aussi par. 2343 et 4765. Nous ne voyons aucune raison de modifier sa conclusion à cet égard.
(b)     L’analyse de l’« équivalence réelle »
[313]                     Nous passons maintenant à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’art. 23. Comme nous l’avons souligné plus tôt, l’interprétation téléologique de l’art. 23 requiert l’application de la norme de l’équivalence réelle tout au long de l’échelle variable. Par conséquent, les juridictions inférieures ont eu tort d’appliquer une norme de « proportionnalité ». Après avoir soigneusement examiné cet aspect, nous sommes d’avis que l’utilisation de cette norme par la juge de première instance a eu une incidence sur ses conclusions relatives aux secteurs de fréquentation suivants : le secteur de fréquentation de Squamish (élémentaire), le secteur de fréquentation de Sechelt, le secteur de fréquentation de Penticton, le secteur de fréquentation de Pemberton, le secteur de fréquentation de Whistler (élémentaire), le secteur de fréquentation actuel de l’école de l’Anse‑au‑sable (« Kelowna (secondaire) »), le secteur de fréquentation de Nanaimo (secondaire) et Chilliwack (élémentaire). Toutefois, en ce qui concerne ses analyses portant sur le secteur de fréquentation de Nelson (élémentaire) et le secteur de fréquentation de Nanaimo (élémentaire), nous sommes convaincus que la juge de première instance a appliqué, comme elle se devait de le faire, la norme de l’équivalence réelle.
[314]                     Comme nous l’avons indiqué précédemment, la juge de première instance a commis une erreur en appliquant la norme de la « proportionnalité » à l’égard des secteurs de fréquentation de Squamish (élémentaire), Sechelt, Penticton et Pemberton. Remédier à cette erreur s’avère simple dans le cas de ces communautés. Après avoir examiné l’analyse de la juge de première instance relativement à ces communautés, nous sommes convaincus qu’elle a eu raison de conclure que les ayants droit de Squamish (élémentaire), Sechelt et Penticton avaient droit à des établissements homogènes, et que les ayants droit de Pemberton étaient en droit d’avoir accès à des installations de base. Par conséquent, ses conclusions portant qu’il y a eu violation de l’art. 23 dans ces communautés demeurent valides et il nous suffit de les modifier pour préciser que les ayants droit ont droit à une expérience réellement équivalente, plutôt que « proportionnelle ».
[315]                     La question est légèrement plus complexe en ce qui concerne les secteurs de fréquentation de Whistler (élémentaire), Kelowna (secondaire), Nanaimo (secondaire) et Chilliwack (élémentaire). Dans ces cas, la juge de première instance a conclu qu’il n’y avait aucune violation de l’art. 23. Elle a tiré cette conclusion en se fondant sur la norme de la « proportionnalité ».
[316]                     Pour ce qui est de Whistler (élémentaire), la juge de première instance a conclu que l’expérience offerte à l’école élémentaire La Passerelle était « proportionnelle » à celle offerte dans les écoles avoisinantes de la majorité. Ainsi que nous l’avons expliqué plus tôt, elle a fait erreur en considérant que la proportionnalité était la norme appropriée et en l’appliquant. La juge de première instance a identifié deux écoles de comparaison : Spring Creek Elementary et Myrtle Philip Elementary. Bien qu’elle se soit considérablement attachée à la première de ces écoles dans son analyse comparative, son raisonnement démontre néanmoins qu’elle a tenu compte de ces deux écoles dans sa comparaison. À notre avis, les constatations de fait tirées par la juge de première instance permettent de conclure que les élèves du primaire qui fréquentent l’école élémentaire La Passerelle vivent une expérience éducative globale véritablement équivalente à celle des élèves de la majorité[11].
[317]                     En ce qui a trait à Kelowna (secondaire), la juge de première instance a conclu qu’un [traduction] « parent ayant droit raisonnable estimerait que l’expérience éducative globale offerte aux élèves du secondaire est proportionnelle au nombre d’élèves dont on peut s’attendre à ce qu’ils s’inscrivent dans un programme » : par. 4506. Ici encore, il était erroné de s’appuyer sur la proportionnalité comme norme d’évaluation de la qualité. Toutefois, nous sommes une fois de plus d’avis que, dans ce cas, les constatations de fait tirées par la juge de première instance permettent de conclure que les élèves francophones inscrits au programme d’études secondaires à Kelowna vivent une expérience éducative globale réellement équivalente à celle des élèves de la majorité. Par conséquent, nous concluons à l’absence de violation[12].
[318]                     Quant à Nanaimo (secondaire), la juge de première instance s’est également trompée en appliquant la norme de la « proportionnalité ». Bien qu’elle n’ait pas effectué d’analyse comparative de l’expérience éducative globale des élèves inscrits au programme d’études secondaires francophone de Nanaimo et de celle des élèves fréquentant les écoles locales de comparaison de la majorité, nous disposons de suffisamment de faits pour conclure que les élèves du secondaire de Nanaimo ne reçoivent manifestement pas le niveau de services auquel ils ont droit. Comme l’a mentionné la juge de première instance, il y a actuellement un seul enseignant pour le programme d’études secondaire, même si ce programme compte 50 élèves inscrits, qui sont répartis sur les cinq niveaux. Nous soulignons que la juge de première instance a établi le nombre pertinent à 70 élèves, ce qui les place au milieu de l’échelle. Les élèves du programme d’études secondaires francophone de Nanaimo ne suivent que deux cours en français et peuvent suivre les cours de mathématiques et de sciences offerts aux élèves en immersion française, mais seulement si ces cours ne sont pas déjà pleins; autrement dit, la priorité est accordée aux élèves de la majorité pour ces cours. Par conséquent, non seulement les ayants droit au titre de l’art. 23 ne bénéficient pas de la majeure partie de leur instruction dans la langue de la minorité, mais ils sont placés dans une situation où la préférence accordée aux élèves de la majorité peut nuire à leur expérience francophone. Étant donné que le nombre d’élèves du secondaire à Nanaimo se situe au milieu de l’échelle variable et qu’ils ont le droit de recevoir une éducation dans la langue de la minorité et d’avoir accès aux installations de base offrant une expérience réellement équivalente, nous concluons que l’expérience globale actuelle, indépendamment des autres facteurs normalement évalués, est inférieure à la normale.
[319]                     En ce qui concerne la question de Chilliwack (élémentaire), la juge de première instance s’est encore une fois trompée en appliquant la norme de la « proportionnalité ». Bien qu’elle ait correctement comparé le niveau de services à celui offert dans les écoles de la majorité, elle ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si la qualité des services offerts à Chilliwack était réellement équivalente. Même si elle a souligné que les installations étaient loin d’être idéales, elle a conclu que [traduction] « les ayants droit de Chilliwack reçoivent davantage que ce que leur nombre justifie de leur accorder » : par. 4842. Il en est ainsi parce que les ayants droit de Chilliwack ont actuellement accès à une école homogène alors que leur nombre ne justifie que le droit à [traduction] « l’instruction assortie de l’accès aux installations de base nécessaires à la prestation de l’instruction dans la langue de la minorité » : par. 4766. Étant donné que le nombre d’élèves à Chilliwack se situe entre le milieu et la limite inférieure de l’échelle variable, nous estimons que les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte ont droit à ce que leurs enfants d’âge primaire reçoivent l’instruction dans la langue de la minorité et aient accès à des installations de base permettant d’offrir une expérience qui est réellement équivalente à celle offerte dans les écoles locales de la majorité. L’existence d’une école homogène à Chilliwack ne saurait dicter notre analyse de ce que justifie le nombre d’enfants ni être utilisée pour obtenir par voie judiciaire davantage que ce qu’accorde l’art. 23. Bien que les titulaires de droits à Chilliwack reçoivent un niveau de services plus élevé que ce que leur nombre justifie, nous devons quand même déterminer si la qualité des services auxquels ils ont droit (c’est‑à‑dire l’instruction assortie de l’accès à des installations de base) est réellement équivalente à celle des services de même niveau offerts dans les écoles locales de la majorité. Quoique la juge de première instance se soit abstenue de tirer des conclusions sur ce point, nous sommes d’avis que la preuve au dossier permet de conclure que l’expérience globale à l’école élémentaire La Vérendrye est véritablement inférieure à celle offerte dans les écoles locales de la majorité, notamment en raison du manque d’accès aux installations de base pour l’éducation physique[13].
[320]                     La situation qui existe dans le secteur de fréquentation proposé de Mission exige un examen plus poussé. La seule déficience plaidée à l’égard de l’école élémentaire des Deux‑rives était le caractère inadéquat du gymnase. Il ressort clairement des conclusions de la juge de première instance que le gymnase était effectivement inadéquat : il est environ deux fois plus petit qu’un terrain de basket‑ball; il mesure166 m2, alors que ceux des écoles avoisinantes mesurent en moyenne 373 m2. Même en tenant compte de la petite taille des classes, le gymnase [traduction] « est inférieur à celui de toutes les écoles de la majorité », il « rend difficile la prestation de services d’éducation physique de base », surtout pour les élèves plus âgés, en plus de susciter des inquiétudes en matière de sécurité et d’atteinte des objectifs d’apprentissage (par. 4957-4958). La juge de première instance ne savait pas avec certitude si une seule lacune suffisait pour qu’il y ait violation, affirmant que la question consiste à se demander si l’expérience éducative globale, et non un seul aspect de l’expérience, répondait à la norme appropriée. Elle a présumé, sans trancher la question, qu’une seule lacune suffisait. Elle a statué que s’il y avait violation, elle était causée par l’indice de détérioration des immeubles (« Building Construction Driver » ou « BCD »), dont il sera question ci‑dessous, mais que cette violation était justifiée au regard de l’article premier. La Cour d’appel a confirmé cette conclusion et a ajouté, subsidiairement, qu’il n’existait aucune violation à l’art. 23, puisque les appelants n’avaient pas fourni assez d’éléments de preuve pour permettre à la juge de première instance de conclure que l’expérience globale était inférieure.
[321]                     Comme le souligne le juge en chef, la difficulté dans le cas de Mission découle du fait que les demandeurs doivent produire une preuve suffisante pour évaluer l’expérience éducative globale : par. 138. Comme l’a expliqué notre Cour dans Rose‑des‑vents :
     . . . aucune école n’est susceptible d’être considérée par tous les parents comme étant égale ou supérieure, à tous égards, aux écoles voisines. Dans l’exercice de comparaison, il faut être conscient des divers facteurs dont les parents raisonnables tiennent compte pour évaluer l’équivalence. Le fait qu’une école laisse à désirer dans un domaine ne signifie pas qu’elle n’est pas équivalente de façon générale. Plus particulièrement, la qualité de l’instruction et celle des établissements peuvent être des éléments de comparaison importants.
        . . .
        Par conséquent, la comparaison est de nature contextuelle et holistique, tenant compte non seulement des installations matérielles, mais aussi de plusieurs autres facteurs, y compris la qualité de l’instruction, les résultats scolaires, les activités parascolaires et le temps de déplacement. [Nous soulignons; par. 38‑39.]
La Cour a toutefois fait remarquer ce qui suit à propos du traitement de chaque facteur :
        Bien entendu, la mesure dans laquelle un facteur donné constitue une question en litige dans l’appréciation de l’équivalence est fonction des circonstances de l’affaire. On examine ensemble les facteurs pertinents pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les titulaires de droits d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique. [Nous soulignons; par. 39.]
Ainsi, bien que le tribunal doive tenir compte de l’expérience globale vécue à une école, certains facteurs pourraient revêtir une importance particulière, selon les circonstances de l’affaire en cause. En d’autres termes, un aspect de l’expérience éducative pourrait laisser à désirer à un point tel qu’un ayant droit raisonnable, même conscient des particularités d’une petite école, pourrait considérer que l’expérience éducative globale est véritablement inférieure. Nous nous empressons d’ajouter que cette évaluation est nécessairement tributaire des faits. Différentes considérations entreraient en jeu, par exemple, quand une installation donnée est nécessaire pour répondre aux exigences pédagogiques.
[322]                     Le problème ici est que la preuve des appelants portait uniquement sur le gymnase, comme ils le reconnaissent. Nous sommes en désaccord avec leur argument suivant lequel il revenait à la Province de présenter des éléments de preuve établissant les points forts de l’école; il incombait aux appelants de démontrer que l’expérience globale à l’école élémentaire des Deux‑rives n’était pas réellement équivalente.
[323]                     En revanche, nous partageons la préoccupation du juge en chef que l’instance a duré plus de dix ans. En outre, les conclusions de la juge de première instance démontrent que le gymnase est en mauvais état au point de susciter des inquiétudes pour la sécurité. Étant donné ces circonstances particulières, nous nous contentons d’étudier la situation comme si des éléments de preuve avaient été présentés sur l’expérience éducative dans son ensemble. Cette approche est conforme à celle de l’arrêt Rose‑des‑vents, laquelle met l’accent sur l’expérience éducative globale. En toute justice pour la Province, nous tiendrons pour acquis que tous les autres aspects de l’expérience éducative sont réellement équivalents. Il faut donc se demander si un ayant droit raisonnable considérerait que l’expérience éducative globale à l’école élémentaire des Deux‑rives est véritablement inférieure, à supposer que tous les aspects sauf le gymnase soient réellement équivalents.
[324]                     À notre avis, un ayant droit raisonnable jugerait l’expérience globale véritablement inférieure. Un parent s’attend à ce qu’une école de la minorité linguistique offre à tout le moins des cours d’éducation physique qui se déroulent dans un environnement sûr et qui satisfont aux exigences du programme. Cela ne veut pas dire que l’ayant droit s’attendrait aux meilleurs cours d’éducation physique ou à la présence d’une variété d’équipes sportives. Soulignons également que les écoles ne possèdent pas nécessairement toutes de gymnase; il se peut, par exemple, que le gymnase auquel les élèves ont accès se trouve dans une autre école ou dans un centre communautaire. Le fait est que la qualité des installations d’éducation physique doit au moins permettre aux écoles de donner des cours d’éducation physique en toute sécurité et de manière à atteindre les objectifs visés d’apprentissage. La preuve établit clairement que le gymnase de l’école élémentaire des Deux‑rives est à ce point inférieur que les enseignants ont de la difficulté à satisfaire même à ces exigences de base. Cela permet, selon nous, de conclure à une violation de l’art. 23.
[325]                     Quant au BCD, cependant, nous convenons avec le juge en chef (par. 138) que le dossier et les arguments sur ce point sont malheureusement insuffisants pour nous permettre de décider s’il y a violation. Si le juge en chef est d’avis de renvoyer l’affaire à la juge de première instance, nous estimons plutôt que l’insuffisance du dossier et des arguments des appelants est déterminante.
[326]                     Le BCD est un « indice d’immobilisation » utilisé par le ministère de l’Éducation pour prioriser les projets d’immobilisation. Il mesure la vie économique résiduelle des immeubles, mais ne tient pas compte de la capacité d’un espace de répondre aux besoins pédagogiques de l’école. Les appelants soutiennent que le BCD porte atteinte à l’art. 23, étant donné qu’il ne prend pas en compte la fonctionnalité des immeubles. Ils donnent Mission en exemple des problèmes que pose le BCD.
[327]                     Les arguments présentés par les appelants sur ce point sont brefs : m.a., par. 112. De fait, la Cour d’appel a souligné que les arguments des appelants relativement au BCD n’étaient pas clairs, même après qu’ils aient été invités à fournir un tableau indiquant les réparations demandées: par. 243. Elle a par conséquent limité son analyse à Mission : ibid. Nous ne sommes pas disposés à conclure à une violation de l’art. 23 sur un fondement aussi imprécis et dénué d’explications.
[328]                     Enfin, il reste le secteur de fréquentation de Victoria Centre, qui doit être examinée à la lumière de la proposition du CSF de diviser le secteur de fréquentation actuel de l’école Victor‑Brodeur en quatre nouveaux secteurs de fréquentation, qui seraient désignés respectivement Victoria Est, Victoria Ouest, Victoria Centre et Victoria Nord. Comme les erreurs que nous avons décrites ci‑dessus l’ont amenée à conclure que des écoles homogènes n’étaient pas justifiées dans un avenir rapproché dans Victoria Est, Ouest et Nord, la juge de première instance a porté son attention sur la situation actuelle à l’école Victor‑Brodeur, une situation qui, selon elle, persisterait, jusqu’à ce que les nombres d’élèves finissent par justifier des écoles homogènes. Toutefois, vu nos conclusions selon lesquelles les ayants droit ont droit à des écoles homogènes dans ces trois secteurs de fréquentation, il s’ensuit que la situation à l’école Victor‑Brodeur doit être examinée dans le contexte de cette nouvelle division. En conséquence, la conclusion de la juge de première instance selon laquelle le nombre d’élèves à l’école Victor‑Brodeur finira par dépasser sa capacité n’est plus vraie, puisque les élèves qui fréquentent actuellement cette école fréquenteront les autres écoles dans Victoria Est, Ouest et Nord. Qui plus est, le problème des longs délais de transport sera réglé pour les élèves qui prennent actuellement l’autobus à partir de ces secteurs. Par conséquent, sa conclusion portant qu’il y eu violation de l’art. 23 en ce qui concerne l’école Victor‑Brodeur ne tient plus. Qui plus est, les conclusions de la juge de première instance quant à la situation actuelle à l’école Victor‑Brodeur démontrent l’absence de violation présentement à cette école : le problème de surpeuplement a été réglé, l’expérience est réellement équivalente et l’école possède ce qu’il faut pour répondre à ses besoins d’espace actuels et raisonnablement prévisibles.
(2)         Analyse fondée sur l’article premier
[329]                     Nous nous penchons maintenant sur les violations que la juge de première instance a estimé justifiées au regard de l’article premier. Comme nous l’avons expliqué, des considérations relatives aux coûts peuvent jouer un rôle dans l’analyse fondée sur l’article premier, pourvu qu’elles soient liées à d’autres considérations. En l’espèce, toutefois, l’objectif urgent et réel qui a été identifié — l’affectation juste et rationnelle de fonds publics limités — n’est pas un objectif valable au regard de l’article premier. L’absence d’objectif urgent et réel valide est déterminante dans le cadre des analyses fondées sur l’article premier. Il s’ensuit qu’aucune des violations identifiées n’est justifiée.
[330]                     Nous concluons en outre qu’il y a eu violation injustifiée de l’art. 23 en ce qui concerne le facteur rural de l’AFG. Ce crédit, qui est utilisé pour aider les écoles rurales en finançant l’amélioration des installations, ne s’appliquait pas au CSF à l’origine. Le ministère avait envisagé de l’appliquer au CSF en 2009, mais il ne l’a fait qu’en 2012‑2013. En conséquence, le CSF a accusé un manque à gagner d’environ un million de dollars. La juge de première instance a statué que le délai était attribuable à des circonstances économiques et aux conséquences d’ordre politique qu’entraîne la réaffectation de fonds précédemment destinés à la majorité. Elle a conclu à l’existence d’une violation de l’art. 23, mais jugé que cette violation était justifiée. Pour ce faire, elle s’est appuyée sur un objectif urgent et réel invalide. Devant notre Cour, seule l’analyse fondée sur l’article premier de la juge de première instance est contestée; sa conclusion portant qu’il y a eu violation ne l’est pas. Il n’y a aucune raison de réexaminer son analyse fondée sur l’art. 23. Quant à l’article premier, le fait qu’elle s’est appuyée sur un objectif réel et urgent invalide est déterminant. En conséquence, la violation n’est pas justifiée.
(3)         Réparation
[331]                     Comme nous l’avons expliqué, la plupart des violations que nous avons identifiées peuvent être réparées par voie de jugements déclaratoires. Cependant, la réparation sous forme de dommages‑intérêts accordés en vertu de la Charte a été évoquée en ce qui concerne le facteur rural de l’AFG, dont nous venons de parler, et la violation relative au financement du transport.
[332]                     La violation relative au financement du transport a résulté de changements apportés au système de financement du transport du ministère. Ce dernier offrait des fonds supplémentaires à certains conseils scolaires pour tenir compte de leurs situations particulières. Le CSF recevait le supplément au transport et aux locaux. Le ministère a gelé ce supplément entre 2001 et 2012, sous réserve d’une augmentation en 2010‑2011. Il est à souligner que le ministère a gelé le supplément du CSF aux niveaux de 1999, même s’il savait, dès 1999, que ce système ne répondait pas aux besoins du CSF en matière de transport. Pendant le gel, le CSF a connu une croissance du nombre d’inscriptions, et ses frais réels de transport dépassaient le supplément. En 2006, le ministère a mis en œuvre un supplément francophone de 15 %. Bien que ce supplément se soit révélé utile, le CSF a néanmoins enregistré un déficit de 6 à 14 millions de dollars.
[333]                     S’appuyant sur l’arrêt Arsenault‑Cameron, la juge de première instance a reconnu que le financement du transport était essentiel dans le contexte de l’art. 23, puisque les longs déplacements peuvent avoir un effet dissuasif sur les inscriptions dans les écoles de la minorité linguistique. Elle a également fait observer que le droit de déterminer les temps de déplacement appropriés relevait principalement du conseil scolaire de la minorité. Elle a statué que le gel du financement du transport avait entraîné une violation de l’art. 23, parce qu’il empêchait le CSF d’exercer adéquatement son mandat. Cette violation n’était pas justifiée.
[334]                     Appliquant le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Ward en prenant dûment en considération le contexte de l’art. 23, nous concluons que l’octroi de dommages‑intérêts est une réparation convenable à la fois à l’égard du facteur rural de l’AFG et de la violation au chapitre du transport.
[335]                     À la première étape de l’analyse fondée sur l’arrêt Ward, il faut établir une violation de l’art. 23. Nous avons conclu que la violation relative facteur rural de l’AFG n’était pas justifiée. Qui plus est, la Province ne conteste pas la violation au chapitre du transport en tant que telle, s’attachant plutôt à l’immunité fondée sur l’arrêt Mackin. Nous ne voyons aucune raison de réexaminer la conclusion de la juge de première instance portant qu’il y eu violation injustifiée. La première étape de l’analyse est donc franchie dans les deux cas.
[336]                     La deuxième étape de l’analyse fondée sur Ward consiste à se demander si l’octroi de dommages‑intérêts répond aux objectifs d’indemnisation, de défense du droit ou de dissuasion. Cette étape est elle aussi franchie. L’octroi de dommages‑intérêts répondrait à l’objectif d’indemnisation dans les deux cas, puisque le CSF a subi des pertes financières quantifiables. Il dissuaderait en outre les gouvernements de retarder indûment le financement de l’instruction dans la langue de la minorité; en l’espèce, le retard dans l’application du facteur rural de l’AFG au CSF (quelque 10 ans) et la mise en place du supplément francophone (environ 7 ans) était tout simplement déraisonnable. Bien qu’un certain délai soit justifiable, les raisons mentionnées en l’espèce étaient purement d’ordre financier et politique. Au même titre que des considérations purement financières ne sauraient justifier une violation de l’art. 23 au regard de l’article premier, de telles considérations ne peuvent pas être invoquées pour éviter l’octroi de dommages‑intérêts lorsqu’une violation a été constatée. Pareillement, les gouvernements ne peuvent pas éviter d’être condamnés à des dommages‑intérêts sur le fondement de préoccupations quant aux conséquences d’ordre politique, ce qui semble avoir été le cas pour ce qui est du facteur rural de l’AFG. Il importe de dissuader les gouvernements d’invoquer de telles raisons pour justifier une violation ou un retard dans le financement. Il convient de répéter que la constitutionnalisation des droits de la minorité vise à faire en sorte que les minorités ne soient pas soumises aux caprices de la majorité (Renvoi relatif à la sécession, par. 74). Admettre qu’un gouvernement peut tarder à agir par crainte de conséquences d’ordre politique négatives contredirait l’objet même de l’art. 23.
[337]                     La troisième étape de l’analyse fondée sur l’arrêt Ward consiste à examiner les facteurs qui font contrepoids. Puisque l’immunité visée dans l’arrêt Mackin ne s’applique pas dans le contexte de l’art. 23, point n’est besoin d’en étudier l’application ici. Cependant, le tribunal est tenu d’examiner comme il se doit la question de savoir s’il existe une autre réparation adéquate — particulièrement en se demandant si le prononcé d’un jugement déclaratoire suffirait. La Province soutient qu’un jugement déclaratoire serait suffisant dans le cas de la violation au chapitre du transport, puisqu’il fournirait des balises juridiques et pratiques. Nous ne sommes pas convaincus qu’un jugement déclaratoire soit suffisant dans l’un ou l’autre de ces cas. Le facteur rural de l’AFG s’applique maintenant au CSF, et le supplément aux établissements francophones répond aux besoins actuels du CSF en matière de transport. Par ailleurs, le supplément au transport et aux locaux n’existe plus. Dans ces circonstances, un jugement déclaratoire ne fournirait aucune balise pratique, puisque les politiques pertinentes qui ont entraîné les violations de l’art. 23 ne sont plus en place et que le ministère a rectifié les deux situations. Qui plus est, un jugement déclaratoire ne comblerait pas les pertes financières que le CSF a subies en raison de ces deux violations de l’art. 23.
[338]                     La dernière étape de l’analyse fondée sur Ward consiste à fixer le montant des dommages‑intérêts. En l’espèce, il faut faire preuve de déférence envers l’évaluation de ce montant par la juge de première instance : Ward, par. 17 et 73. Le montant des dommages‑intérêts doit être équitable à la fois envers le demandeur et envers l’État : Ward, par. 20. La juge de première instance a fait remarquer que, si elle avait conclu à une violation de l’art. 23 en lien avec le facteur rural de l’AFG, elle aurait octroyé des dommages‑intérêts de 1,1 million de dollars. Ce chiffre était fondé sur sa conclusion selon laquelle le CSF avait accusé un manque à gagner d’environ un million de dollars. Quant à la violation au chapitre du transport, la juge de première instance a conclu que le déficit du CSF se situait entre 6 et 14 millions de dollars; ce déficit était cependant en partie imputable aux pratiques non efficientes du CSF. Elle a par conséquent octroyé des dommages‑intérêts de 6 millions de dollars, statuant que la Province ne devait pas être tenue responsable de tout le déficit. L’évaluation du montant des dommages‑intérêts par la juge de première instance dans les deux cas était raisonnable et conforme à la directive donnée dans l’arrêt Ward selon laquelle le montant des dommages‑intérêts doit être équitable à la fois envers le demandeur et envers l’État. Nous ne voyons aucune raison de modifier son évaluation dans l’un ou l’autre de ces cas.
[339]                     Nous concluons donc, sur la base d’un examen approfondi des facteurs énoncés dans l’arrêt Ward, qu’il convient d’octroyer des dommages‑intérêts à la fois pour la violation relative au facteur rural de l’AFG et pour celle relative au transport.
F.            Dépens spéciaux
[340]                     Devant les juridictions inférieures, les parties ont assumé leurs propres dépens. Devant notre Cour, les appelants réclament des dépens spéciaux ou, s’ils n’ont pas gain de cause, leurs dépens devant toutes les cours. Les intimés soutiennent que les appelants n’ont pas satisfait au critère d’octroi de dépens spéciaux et demandent que chaque partie assume ses propres dépens. Le juge en chef octroie aux appelants les dépens devant toutes les cours, mais il n’a pas abordé la question des dépens spéciaux.
[341]                     Nous sommes d’accord avec les intimés pour dire que les appelants n’ont pas satisfait au critère d’octroi de dommages spéciaux. Comme notre Cour l’a expliqué dans Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, [2015] 1 R.C.S. 331, un test à deux étapes s’applique relativement aux dépens spéciaux :
        Premièrement, l’affaire doit porter sur des questions d’intérêt public véritablement exceptionnelles. Il ne suffit pas que les questions soulevées n’aient pas encore été tranchées ou qu’elles dépassent le cadre des intérêts du plaideur qui a gain de cause : elles doivent aussi avoir une incidence importante et généralisée sur la société. Deuxièmement, en plus de démontrer qu’ils n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique, les demandeurs doivent démontrer qu’il n’aurait pas été possible de poursuivre l’instance en question avec une aide financière privée. Dans ces rares cas, il est contraire à l’intérêt de la justice de demander aux plaideurs individuels (ou, ce qui est plus probable, aux avocats bénévoles) de supporter la majeure partie du fardeau financier associé à la poursuite de la demande. [Nous soulignons; par. 140.]
[342]                     La Cour a ajouté que « seuls les frais dont on établit le caractère raisonnable et prudent seront couverts par les dépens spéciaux » : par. 142.
[343]                     À la première étape de l’analyse décrite dans l’arrêt Carter, nous convenons avec les appelants que la présente affaire soulève des questions d’importance pour le public. Cependant, ils n’ont pas satisfait au deuxième volet, qui les oblige à démontrer qu’ils « n’ont dans le litige aucun intérêt personnel, propriétal ou pécuniaire qui justifierait l’instance pour des raisons d’ordre économique » : Carter, par. 140. Nous sommes d’accord avec les intimés pour dire que les appelants ont un intérêt pécuniaire dans le litige, puisqu’ils réclament des dommages‑intérêts en vertu de la Charte : S.A. c. Metro Vancouver Housing Corp., 2019 CSC 4, [2019] 1 R.C.S. 99, par. 70. Qui plus est, ils n’ont pas démontré qu’ils auraient été incapables de financer la présente instance sans aide financière privée; de fait, ils n’abordent même pas cette question dans leurs observations.
[344]                     Nous convenons également avec les intimés qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’arrêt Rose‑des‑vents. Premièrement, la réparation sollicitée en l’espèce est beaucoup plus large vu les divers jugements déclaratoires et demandes de dommages‑intérêts en vertu de la Charte. À l’opposé, dans l’arrêt Rose‑des‑vents, les parents ont demandé « un simple jugement déclarant qu’il n’y avait pas équivalence au sens de l’art. 23, sans chercher à obtenir au départ une réparation concrète » : par. 88. En outre, dans cet arrêt, le juge de première instance avait octroyé des dépens spéciaux, alors qu’en l’espèce, la juge de première instance a refusé de le faire. Vu la nature hautement discrétionnaire des dépens, une cour d’appel devrait, sauf en présence d’une erreur manifeste, hésiter à intervenir.
IV.         Conclusion
[345]                     Nous sommes d’avis d’accueillir le pourvoi en partie et d’annuler le jugement de la Cour d’appel pour les motifs exposés précédemment. Nous prononcerions les jugements déclaratoires suivants :
a)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation proposé de Burnaby sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 175 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
b)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Vancouver Nord‑Est sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 270 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
c)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Victoria Est sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 275 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
d)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Victoria Ouest sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 299 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
e)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation proposé d’Abbotsford (élémentaire), en ce qui concerne les enfants d’âge primaire, et dans le secteur proposé de fréquentation de la vallée du Fraser (secondaire), en ce qui concerne les enfants d’âge secondaire, sont en droit de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité à une école élémentaire/secondaire homogène à Abbotsford pouvant accueillir 85 élèves du primaire et 120 élèves du secondaire (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires et secondaires avoisinantes de la majorité, respectivement, pour le niveau de services auquel ils ont droit;
f)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Victoria Nord sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 98 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
g)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Squamish sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 135 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
h)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Sechelt sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 90 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
i)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Penticton sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire et d’âge intermédiaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir 175 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires et intermédiaires avoisinantes de la majorité;
j)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Pemberton sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans la langue de la minorité et d’avoir accès à des installations de base pouvant accueillir 55 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
k)      les services actuellement fournis aux ayants droit qui vivent dans le secteur de fréquentation de Pemberton ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
l)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Whistler sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans la langue de la minorité et d’avoir accès à des installations de base pouvant accueillir 85 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
m)   les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation actuel de l’école de l’Anse‑au‑sable (Kelowna) sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge secondaire dans la langue de la minorité et d’avoir accès à des installations de base pouvant accueillir 80 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles secondaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
n)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de Nanaimo sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge secondaire dans la langue de la minorité et d’avoir accès à des installations de base pouvant accueillir 70 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles secondaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
o)      les services actuellement fournis aux ayants droit qui vivent dans le secteur de fréquentation de Nanaimo ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles secondaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
p)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation de l’école élémentaire La Vérendrye (Chilliwack) sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans la langue de la minorité et d’avoir accès à des installations de base pouvant accueillir 60 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
q)      les services actuellement fournis aux ayants droit qui vivent dans le secteur de fréquentation de l’école élémentaire La Vérendrye (Chilliwack) ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité pour ce même niveau de services;
r)      les ayants droit au titre de l’art. 23 de la Charte qui vivent dans le secteur de fréquentation proposé de Mission sont en droit de faire instruire leurs enfants d’âge primaire dans une école homogène de la minorité pouvant accueillir de 65 à 100 élèves (ou tout autre nombre dont conviennent les parties) et qui fournit à ces derniers une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité;
s)      les installations d’éducation physique fournies aux ayants droit qui vivent dans le secteur de fréquentation proposé de Mission ne permettent pas au CSF d’offrir une expérience éducative globale réellement équivalente à celle offerte dans les écoles élémentaires avoisinantes de la majorité.
[346]                     Les dommages‑intérêts accordés par la juge de première instance pour la violation relative au financement du transport sont rétablis et la Cour ordonne aux intimés de payer six millions de dollars en dommages‑intérêts au CSF sur une période de dix ans pour l’indemniser du sous‑financement chronique du système de transport entre 2002‑2003 et 2011‑2012.
[347]                     Nous ordonnerions en outre aux intimés de payer 1,1 million de dollars en dommages‑intérêts pour la violation de l’art. 23 découlant de l’application, par la Province, du facteur rural de l’AFG.
[348]                     Les appelants ont droit à leurs dépens devant notre Cour et devant les juridictions inférieures.
 
                    Pourvoi accueilli en partie avec dépens, les juges Brown et Rowe sont dissidents en partie.
                    Procureurs des appelants : Gall Legge Grant Zwack, Vancouver; Juristes Power, Vancouver.
                    Procureur des intimés : Ministère du procureur général Direction des services juridiques, Victoria.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse : Procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Île‑du‑Prince‑Édouard : Département de la Justice et de la Sécurité publique, Charlottetown.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de la Saskatchewan : Procureur général de la Saskatchewan, Regina.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de l’Alberta : Procureur général de l’Alberta, Edmonton.
                    Procureur de l’intervenant le procureur général de Terre‑Neuve‑et‑Labrador : Department of Justice and Public Safety, St. John’s.

                    Procureur de l’intervenant le procureur général des Territoires du Nord‑Ouest : Department of Justice, Yellowknife.
                    Procureur de l’intervenant le Commissaire aux langues officielles du Canada : Commissariat aux langues officielles du Canada, Gatineau.
                    Procureurs de l’intervenant le Réseau des groupes communautaires du Québec : Conway Baxter Wilson, Ottawa.
                    Procureur de l’intervenant David Asper Centre for Constitutional Rights : University of Toronto, Toronto.
                    Procureur des intervenantes l’Association des juristes d’expression française du Nouveau‑Brunswick inc. et l’Association des enseignantes et enseignants francophones du Nouveau‑Brunswick inc. : Université de Moncton, Moncton.
                    Procureurs de l’intervenante la Fédération nationale des conseils scolaires francophones : Miller Thomson, Regina.
                    Procureurs des intervenantes l’Association des parents de l’école Rose‑des‑Vents et l’Association des parents de l’école des Colibris : Nicolas M. Rouleau société professionnelle, Toronto.
                    Procureurs de l’intervenante Canadian Association for Progress in Justice : IMK, Montréal.

                    Procureurs des intervenantes la Société de l’Acadie du Nouveau‑Brunswick et la Fédération des conseils d’éducation du Nouveau‑Brunswick : Pink Larkin, Fredericton.
                    Procureur de l’intervenante Assembly of Manitoba Chiefs : Public Interest Law Centre, Winnipeg.
                    Procureur de l’intervenante la Commission nationale des parents francophones : Larochelle Law, Whitehorse.
                    Procureurs de l’intervenant le Conseil scolaire francophone provincial de Terre‑Neuve‑et‑Labrador : Lidstone & Company, Vancouver.
                    Procureur de l’intervenante la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques : Université d’Ottawa, Ottawa.

[1] La Cour a expliqué la portée de l’application de l’art. 93 dans Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 R.C.S. 282, par. 68, note 2
 
            L’article 93 s’applique directement à l’Ontario, à la Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, à la Colombie-Britannique et à l’Île-du-Prince-Édouard. L’article 93 s’applique également au Québec, mais pas les par. 93(1) à 93(4) : Modification constitutionnelle de 1997 (Québec), TR/97-141, art. 1; art. 93A de la Loi constitutionnelle de 1867. Les versions modifiées de l’art. 93 s’appliquent dans les autres provinces et les territoires : Loi de 1870 sur le Manitoba, S.C. 1870, c. 3, art. 22; Loi sur la Saskatchewan, S.C. 1905, c. 42, art. 17; Loi sur l’Alberta, S.C. 1905, c. 3, art. 17 . . .
 
   À Terre-Neuve-et-Labrador, l’art. 93 est remplacé par la version modifiée de la clause 17 des Conditions de l’union de Terre-Neuve au Canada (Loi sur Terre-Neuve (R.-U.), 12, 13 & 14 Geo. 6, c. 22, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 32); Modification constitutionnelle de 1998 (Loi sur Terre-Neuve), TR/98-25; Modification constitutionnelle de 2001 (Terre-Neuve-et-Labrador), TR/2001-117; voir aussi Ministère de la Justice, Codification administrative des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 (2012), p. 81-83, note en fin d’ouvrage 4. Dans les territoires, la compétence en matière d’éducation provient de la compétence plénière du Parlement concernant les territoires. Cette compétence est déléguée par les lois constitutives des territoires (Loi constitutionnelle de 1871 (R.-U.), 34 & 35 Vict., c. 28, reproduite dans L.R.C. 1985, app. II, no 11, art. 4; Loi sur les Territoires du Nord-Ouest, L.C. 2014, c. 2 [éd. par la Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest, L.C. 2014, c. 2, art. 2], al. 18(1)o); Loi sur le Yukon, L.C. 2002, c. 7, al. 18(1)o); Loi sur le Nunavut, L.C. 1993, c. 28, al. 23(1)m)).
[2] Les appelants soutiennent que la juge de première instance a fait erreur en situant comme elle l’a fait les 85 élèves d’âge primaire sur l’échelle variable. Ils ne remettent pas en question sa conclusion que les 30 élèves d’âge secondaire donnent droit à un programme d’instruction.
[3]  En ce qui concerne le secteur proposé d’Abbotsford (élémentaire), la juge de première instance a établi la demande connue à 25 élèves d’âge primaire (par. 5031) et la demande potentielle à 288 (par. 5024), mais elle a conclu que le nombre pertinent d’élèves se situait entre 10 et 30 (par. 5041 et 5063). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 85 (par. 5041).
[4]  Pour ce qui est du secteur de fréquentation proposé de la Vallée du Fraser (secondaire), la juge de première instance a établi la demande connue à 34 élèves d’âge secondaire (par. 5031) et la demande potentielle à 495 élèves (par. 5024), mais elle a conclu que le nombre pertinent d’élèves se situait entre 20 et 40 (par. 5050 et 5066). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge secondaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 120 (par. 5051).
[5]  En ce qui concerne le secteur de fréquentation proposé de Burnaby, la juge de première instance a établi la demande connue à 91 élèves d’âge primaire (par. 5189) et la demande potentielle à 500 élèves (par. 5179), mais elle a conclu que le nombre pertinent d’élèves se situait entre 15 et 40 (par. 5197 et 5220). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 175 (par. 5221).
[6]  En ce qui concerne le secteur de fréquentation de Vancouver Nord‑Est, la juge de première instance a établi la demande connue à 194 élèves d’âge primaire (par. 3779) et la demande potentielle à 320 élèves (par. 3773), mais elle a conclu que le nombre pertinent d’élèves se situait entre 25 et 45 (par. 3797 et 3806). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 270 (par. 3797).
[7]  En ce qui a trait au secteur de fréquentation de Victoria Est, la juge de première instance a établi la demande connue à 147 élèves d’âge primaire (par. 4038) et la demande potentielle à 424 élèves (par. 4032), mais elle a conclu que le chiffre pertinent d’élèves se situait entre 30 et 50 (par. 4054 et 4068). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 275 (par. 4068).
[8]  En ce qui concerne le secteur de fréquentation de Victoria Nord, la juge de première instance a établi la demande connue à 17 élèves d’âge primaire (par. 4038) et la demande potentielle à 149 élèves (par. 4032), mais elle a conclu que le chiffre pertinent d’élèves se situait entre 10 et 15 (par. 4054, 4070). Elle a reconnu que, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 98 (par. 4070).
[9]  En ce qui concerne le secteur de fréquentation de Victoria Ouest, la juge de première instance a établi la demande connue à 135 élèves d’âge primaire (par. 4038) et la demande connue à 460 élèves (par. 4032), mais elle a conclu que le nombre pertinent d’élèves se situait entre 30 et 50 (par. 4054 et 4068). Elle a reconnu qu, dans le futur, le nombre d’enfants d’âge primaire qui se prévaudront vraisemblablement du programme ou des installations pourrait être estimé à 299 (par. 4068).
[10]  D’après le rapport conjoint établissant les faits, que la juge de première instance a qualifié de « source de preuve très fiable » (par. 2163), l’école Connaught Heights Elementary a été construite en 1963, elle peut accueillir 88 élèves, et le nombre d’inscriptions a varié entre 117 et 139 de 2008 à 2012 : d.a., vol. XXIII, p. 286 et 293.
[11]  La juge de première instance a examiné et soupesé une variété de facteurs et a conclu que l’expérience éducative globale des élèves de l’école élémentaire La Passerelle était équivalente à celle offerte dans les écoles de la majorité (par. 2242). Elle a conclu que l’école avait des salles de classe plus petites et que l’accès à une bibliothèque et à un gymnase y était inférieur à la norme (par. 2231 et 2240). Cependant, sauf pour les problèmes d’accessibilité, les installations étaient comparables à celles des écoles de la majorité (par. 2242). Il a été jugé que les élèves relevant du CSF bénéficiaient de meilleurs ratios élèves‑enseignants, de classes plus petites et d’un programme technologique supérieur (par. 2231, 2232 et 2241). Elle a également conclu que l’expérience francophone était excellente et que, même si l’école se trouvait dans une installation hétérogène, le fait que ses classes soient près les unes des autres facilitait le développement d’une identité francophone (par. 2215 et 2238). À notre avis, ces constatations permettent de conclure que l’expérience est réellement équivalente, même si la juge de première instance a utilisé la norme de la « proportionnalité ».
[12]  En ce qui concerne l’expérience éducative des élèves du secondaire à Kelowna dont le programme est offert à l’école de l’Anse-au-sable, la juge de première instance a examiné et soupesé un certain nombre de facteurs et a conclu qu’elle était équivalente à celle des élèves de la majorité. Par contre, elle a conclu que les terrains de sports présentaient des lacunes (bien que l’accès à une installation située à proximité améliorait la situation à cet égard) (par. 4395). De plus, les salles de classe et la bibliothèque étaient comparativement plus petites que celles de la majorité (par. 4396 et 4397). Néanmoins, ces lacunes étaient compensées par l’excellent programme francophone et le sentiment d’identité francophone (par. 4399). En outre, l’intégration de la technologie dans le programme et la capacité du CSF d’offrir des ordinateurs surpassaient les écoles de la majorité à ces égards (par. 4401). La petite taille des classes du CSF et les avantageux ratios élèves-enseignants permettaient d’accorder aux premiers une attention plus individualisée (par. 4400). Parmi les autres avantages, notons l’offre d’une variété d’options, un camp de bienvenue, une ligue de sport et des sorties éducatives (par. 4407). Par conséquent, bien que la juge de première instance ait appliqué la norme de la « proportionnalité », ses constatations permettent également de conclure que l’expérience éducative des élèves était réellement équivalente.
[13] Un examen minutieux de la preuve concernant Chilliwack démontre que même si l’école présente de nombreux avantages pour les parents titulaires de droits, notamment en ce qui concerne l’expérience francophone (par. 4812), le nombre d’élèves par classe (par. 4813‑4815), les ratios élèves‑enseignants (par. 4816) et la technologie (par. 4818), l’école élémentaire La Vérendrye présente aussi des lacunes importantes. Par exemple, l’école est considérablement plus vieille (105 ans) que l’école de comparaison moyenne (31 ans) (par. 4811) et la durée du transport est considérablement plus longue (69 minutes en moyenne) que pour les autres écoles locales de la majorité (34 minutes). Enfin, l’école élémentaire La Vérendrye ne possède pas de gymnase. Toutes les écoles de comparaison ont des gymnases qui appartiennent au district scolaire SD33‑Chilliwack et qui sont tous situés dans l’école de comparaison, à l’exception d’un. Par contre, le CSF loue le Atchelitz Hall, une salle communautaire adjacente, pour les cours d’éducation physique. Comme l’a noté la juge de première instance, il n’est pas pratique sur le plan logistique d’enseigner l’éducation physique dans cette salle. En effet, les élèves doivent se changer avant de se rendre dans la salle avec le matériel d’éducation physique dont ils ont besoin pour le cours (le matériel n’est pas rangé dans la salle Atchelitz) et ils n’ont pas le droit d’utiliser les toilettes situées dans cette salle (par. 4792‑4794). Par ailleurs, la salle est vieille et considérablement plus petite que les gymnases typiques du primaire (280 m2 comparativement à une moyenne de 390 m2), ce qui, on le suppose, empêche les élèves de pratiquer certains sports (par. 4790 et 4798). Enfin, l’immeuble est froid et les élèves et le personnel portent parfois des blousons à l’intérieur (par. 4790). Dans l’ensemble, nous sommes d’avis qu’un parent titulaire de droits raisonnable jugerait que l’expérience globale  est véritablement  inférieure à Chilliwack.


Synthèse
Référence neutre : 2020CSC13 ?
Date de la décision : 12/06/2020

Analyses

première instance ; provinces ; échelle variable ; écoles ; élèves ; violations ; tribunaux ; charte ; appelants ; niveau de services ; coûts ; enfants ; ayants droit ; application ; minorités linguistiques officielles ; expérience éducative


Parties
Demandeurs : Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique
Défendeurs : Colombie‑Britannique
Proposition de citation de la décision: Canada, Cour suprême, 12 juin 2020, Conseil scolaire francophone de la Colombie‑Britannique c. Colombie‑Britannique, 2020 CSC 13


Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2022
Fonds documentaire ?: CAIJ
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;2020-06-12;2020csc13 ?

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