La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/1993 | FRANCE | N°93-321

France | France, Conseil constitutionnel, 20 juillet 1993, 93-321


Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 25 juin 1993, par MM Claude Estier, Robert Laucournet, William Chervy, Paul Raoult, Jean-Pierre Masseret, Jean-Louis Carrère, Marcel Bony, Mmes Françoise Seligmann, Marie-Madeleine Dieulangard, Josette Durrieu, MM Jacques Bellanger, Jacques Bialski, Aubert Garcia, Roland Bernard, Guy Penne, Michel Dreyfus-Schmidt, Gérard Miquel, Fernand Tardy, Robert Castaing, Gérard Delfau, Pierre Biarnes, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM André Vezinhet, Louis Philibert, Michel Sergent, Germain Authié, Jean Besson, Jean-Pierre Demerliat, Paul Loridant, Mme Moniq

ue ben Guiga, MM Guy Allouche, Léon Fatous, Claude Fuzie...

Le Conseil constitutionnel a été saisi, le 25 juin 1993, par MM Claude Estier, Robert Laucournet, William Chervy, Paul Raoult, Jean-Pierre Masseret, Jean-Louis Carrère, Marcel Bony, Mmes Françoise Seligmann, Marie-Madeleine Dieulangard, Josette Durrieu, MM Jacques Bellanger, Jacques Bialski, Aubert Garcia, Roland Bernard, Guy Penne, Michel Dreyfus-Schmidt, Gérard Miquel, Fernand Tardy, Robert Castaing, Gérard Delfau, Pierre Biarnes, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM André Vezinhet, Louis Philibert, Michel Sergent, Germain Authié, Jean Besson, Jean-Pierre Demerliat, Paul Loridant, Mme Monique ben Guiga, MM Guy Allouche, Léon Fatous, Claude Fuzier, Claude Cornac, Gérard Roujas, François Louisy, Marc B uf, Francis Cavalier-Benezet, Jacques Carat, Jean Peyrafitte, René-Pierre Signe, Marcel Charmant, Claude Pradille, André Rouviere, Louis Perrein, Marcel Vidal, Franck Sérusclat, Jean-Luc Mélenchon, Charles Metzinger, René Régnault, François Autain, Michel Moreigne, Michel Charasse, Gérard Gaud, Pierre Mauroy, Roland Courteau, Claude Saunier, Bernard Dussaut, Albert Pen et Rodolphe Desiré, sénateurs et, le même jour, par MM Martin Malvy, Jean-Marc Ayrault, Jean-Pierre Balligand, Claude Bartolone, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Michel Berson, Jean-Claude Bois, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Jean-Pierre Braine, Laurent Cathala, Jean-Pierre Chevènement, Henri d'Attilio, Mme Martine David, MM Bernard Davoine, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Pierre Ducout, Dominique Dupilet, Jean-Paul Durieux, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, Jacques Floch, Pierre Garmendia, Jean Glavany, Jacques Guyard, Jean-Louis Idiart, Frédéric Jalton, Serge Janquin, Charles Josselin, Jean-Pierre Kucheida, André Labarrère, Jack Lang, Jean-Yves Le Déaut, Louis Le Pensec, Alain Le Vern, Marius Masse, Didier Mathus, Jacques Mellick, Louis Mexandeau, Jean-Pierre Michel, Didier Migaud, Mme Véronique Neiertz, MM Paul Quilès, Alain Rodet, Mme Ségolène Royal, MM Georges Sarre, Henri Sicre, Camille Darsières, Jean-Pierre Defontaine, Gilbert Annette, Roger-Gérard Schwartzenberg, Kamilio Gata, Didier Boulaud, Bernard Charles, Aloyse Warhouver, Gérard Saumade, Emile Zuccarelli, Bernard Tapie, François Asensi, Rémy Auchedé, Gilbert Biessy, Alain Bocquet, Patrick Braouezec, Jean-Pierre Brard, Jacques Brunhes, René Carpentier, Daniel Colliard, Jean-Claude Gayssot, André Gérin, Michel Grandpierre, Maxime Gremetz, Mme Janine Jambu, MM Georges Hage, Guy Hermier, Mme Muguette Jacquaint, MM Jean-Claude Lefort, Georges Marchais, Paul Mercieca, Louis Pierna, Jean Tardito, Ernest Moutoussamy, députés, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi tendant à réformer le code de la nationalité ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code de la nationalité ;
Vu le code du service national ;
Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'à la différence des sénateurs auteurs de la première saisine qui n'articulent aucun grief particulier à l'encontre de la loi déférée, les députés auteurs de la seconde saisine font valoir la méconnaissance de principes et règles de valeur constitutionnelle pour soutenir que les articles 9, alinéa 3, 11, 12, 44, 47 et 48 de ladite loi sont entachés d'inconstitutionnalité ;
-SUR L'ARTICLE 9 :
2. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine soutiennent que le législateur ne peut sans méconnaître le principe d'égalité subordonner à l'expiration d'un délai de deux années à compter du mariage d'un étranger ou apatride avec un conjoint de nationalité française l'acquisition de la nationalité française par déclaration alors qu'il dispense de ce délai le déclarant lorsqu'un enfant dont la filiation serait établie à l'égard des deux conjoints est né avant ou après le mariage ;
3. Considérant que le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'une loi établisse des règles différentes à l'égard de catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes dès lors que la différence de traitement qui en résulte est en rapport avec l'objet de la loi ;
4. Considérant que les étrangers parents d'un enfant de nationalité française ne sont pas dans la même situation que ceux qui ne peuvent se prévaloir de ce lien de nature à favoriser l'appartenance nationale ; que dès lors en opérant une telle distinction eu égard à l'objectif d'intégration à la communauté nationale qu'il se fixait, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité ;
-SUR L'ARTICLE 11 :
5. Considérant que les auteurs de la seconde saisine font valoir qu'en subordonnant à une manifestation de volonté l'acquisition de la nationalité française par de jeunes étrangers nés en France de parents étrangers, le législateur a méconnu un principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel la naissance en France assortie le cas échéant de conditions d'âge et de résidence doit ouvrir droit de manière automatique à cette nationalité ;
6. Considérant qu'il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que cependant l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ;
7. Considérant que la loi sur la nationalité du 26 juin 1889, confirmée par la loi sur la nationalité du 10 août 1927, a établi la règle selon laquelle est française à sa majorité sous certaines conditions de résidence toute personne née en France d'un étranger sans qu'aucune initiative de sa part ne soit requise ; que cette disposition a été instituée pour des motifs tenant notamment à la conscription ;
8. Considérant que la loi déférée dispose que l'acquisition de la nationalité française doit faire l'objet d'une manifestation de volonté de la part de l'intéressé ; que s'agissant d'une telle condition mise à l'acquisition de la nationalité française par l'effet de la naissance sur le territoire français, il était loisible au législateur de l'édicter sans porter atteinte à un principe de valeur constitutionnelle ; que, dès lors, le grief évoqué doit être écarté ;
-SUR L'ARTICLE 12 :
. En ce qui concerne le principe d'égalité :
9. Considérant que les auteurs de la seconde saisine soutiennent que l'article 12, en prévoyant la perte du droit à la nationalité française par l'effet de la naissance sur le sol français à raison du prononcé de certaines peines ou mesures de police administrative, a méconnu le principe d'égalité dès lors que ces peines ou mesures n'emportent pas la perte de la nationalité française à l'encontre de ceux qui la détiennent ;
10. Considérant qu'au regard des conditions d'acquisition de la nationalité française que le législateur a entendu déterminer, les personnes qui prétendent à cette acquisition ne peuvent être regardées comme étant dans la même situation que celles qui sont françaises ; que dès lors ce grief ne saurait qu'être écarté ;
. En ce qui concerne le principe de proportionnalité :
11. Considérant que les auteurs de la seconde saisine font valoir qu'en prévoyant que le prononcé de certaines peines ou mesures ferait obstacle à l'acquisition de la nationalité française selon les modalités prévues par l'article 11, le législateur aurait institué des sanctions manifestement disproportionnées, en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ;
12. Considérant que les principes énoncés par l'article 8 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ne concernent pas seulement les peines prononcées par l'autorité judiciaire mais aussi les incapacités qui y sont attachées du fait de la loi ; que ces principes sont également applicables lorsque le législateur fait découler de telles incapacités de décisions prises par une autorité administrative ;
13. Considérant que l'incapacité contestée consiste en la perte du droit d'acquérir par une simple manifestation de volonté, sous certaines conditions d'âge et de résidence, la nationalité française du fait de la naissance sur le sol français ; que le législateur a entendu instituer cette incapacité au motif que les peines ou mesures administratives prononcées à l'encontre des intéressés traduiraient de leur part un comportement inconciliable avec l'acquisition de la nationalité française ;
14. Considérant qu'eu égard à la nature des infractions concernées ainsi qu'à la nature et à la durée des peines qui doivent avoir été prononcées par la juridiction répressive, l'incapacité qu'elles entraînent n'est pas manifestement contraire à l'article 8 de la Déclaration de 1789 ; qu'il en est de même d'une interdiction du territoire français non entièrement exécutée dès lors qu'elle a été prononcée par l'autorité judiciaire ainsi que d'un arrêté d'expulsion dans la mesure où celui-ci ne saurait être pris que dans le cas d'une menace grave pour l'ordre public ;
15. Considérant en revanche qu'en application de la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, tout étranger majeur peut faire l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière soit sans délai soit à l'expiration d'un délai limité à un mois au seul motif qu'il réside irrégulièrement sur le territoire français ; qu'un tel arrêté prononcé par le représentant de l'État dans le département ou à Paris par le préfet de police ne peut être contesté que dans les vingt-quatre heures suivant sa notification ; qu'un arrêté d'assignation à résidence peut être pris par le ministre de l'intérieur à l'encontre d'un étranger qui n'a fait l'objet que d'une proposition d'expulsion susceptible de n'être pas suivie d'effet ; que dans ces conditions la perte du droit à l'acquisition de la nationalité française par l'effet de la naissance sur le sol français qui résulterait soit d'un arrêté de reconduite à la frontière soit d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé apparaît comme une sanction manifestement disproportionnée par rapport aux faits susceptibles de motiver de telles mesures en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ; qu'ainsi les mots "ou d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé, soit d'un arrêté de reconduite à la frontière" ne sont pas conformes à la Constitution ;
-SUR L'ARTICLE 44 :
. En ce qui concerne le deuxième alinéa :
16. Considérant que par cette disposition le législateur a entendu subordonner l'attribution de la nationalité française à l'enfant né en France lorsqu'un de ses parents au moins est né sur un territoire qui avait, au moment de la naissance de ce parent, le statut de colonie ou de territoire d'outre-mer de la République française, à la condition que l'enfant soit né avant le 1er janvier 1994 ;
- Quant au principe d'indivisibilité de la République :
17. Considérant que les auteurs de la seconde saisine soutiennent que la suppression, postérieurement à cette date, du droit à l'attribution de la nationalité française méconnaît le principe d'indivisibilité de la République dès lors qu'elle concernerait des enfants nés en France de personnes nées dans des territoires d'outre-mer ou des colonies, que ces territoires aient ou non depuis lors accédé à l'indépendance ; qu'il ressort toutefois de l'examen de la disposition contestée au regard de ses travaux préparatoires, que le législateur a entendu instituer la condition nouvelle qu'il prévoit dans le seul cas où les territoires où sont nés les parents des enfants concernés ont accédé ultérieurement à l'indépendance ; que sous cette réserve stricte d'interprétation, la disposition contestée ne méconnaît pas le principe d'indivisibilité de la République ;
- Quant à la méconnaissance alléguée d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République :
18. Considérant que si le législateur a posé en 1851 et réaffirmé à plusieurs reprises en 1874, 1889 et 1927 la règle selon laquelle est français tout individu né en France d'un étranger qui lui-même y est né, il n'a conféré un caractère absolu à cette règle qu'en 1889 pour répondre notamment aux exigences de la conscription ; qu'en mettant un terme à ce droit, dans les cas où les parents des enfants concernés seraient nés dans des territoires d'outre-mer ou des colonies ayant depuis lors accédé à l'indépendance, la loi déférée n'a méconnu aucun principe fondamental reconnu par les lois de la République ;
- Quant au principe d'égalité :
19. Considérant qu'eu égard à l'objectif que s'est fixé le législateur de prendre en compte par la naissance de parents étrangers et de leurs enfants sur le sol français une présomption d'intégration, les enfants nés de parents eux-mêmes nés sur un territoire demeuré français et ceux nés de parents nés sur un territoire ayant ultérieurement accédé à l'indépendance sont placés dans des situations différentes ; que dès lors le moyen tiré par les auteurs de la seconde saisine d'une méconnaissance du principe d'égalité doit être écarté ;
. En ce qui concerne le troisième alinéa :
- Quant au principe d'indivisibilité de la République :
20. Considérant que les auteurs de la seconde saisine soutiennent que la condition de résidence régulière de cinq années exigée des parents nés sur le territoire des anciens départements français d'Algérie avant le 3 juillet 1962 pour que leurs enfants nés en France après le 31 décembre 1993 se voient attribuer du fait de cette naissance la nationalité française méconnaît le principe d'indivisibilité de la République dès lors qu'elle ne concerne que certaines personnes en fonction de leurs attaches avec une partie déterminée de ce qui constituait avant le 3 juillet 1962 le territoire de la France ;
21. Considérant que la prise en compte par le législateur, pour la détermination de droits à l'acquisition de la nationalité française par des enfants nés en France, de l'accession à l'indépendance de territoires sur lesquels sont nés leurs parents, quand bien même ces territoires auraient eu jusqu'alors le statut de département, ne saurait être regardée en elle-même comme une atteinte à l'indivisibilité de la République ;
- Quant au principe d'égalité :
22. Considérant qu'eu égard à l'objectif d'intégration qu'il s'est fixé, le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité en distinguant, pour la détermination du droit à la nationalité française de leurs enfants, la situation de parents nés sur un territoire demeuré français de celle de parents nés sur un territoire ayant ultérieurement accédé à l'indépendance ;
- Quant à l'article 72 de la Constitution :
23. Considérant qu'il est soutenu que la disposition contestée tend à confondre les départements d'Algérie avec les territoires d'outre-mer ou les colonies de la République en méconnaissance de l'article 72 de la Constitution ;
24. Considérant que la modification opérée par le législateur des droits en matière de nationalité dont bénéficient les enfants nés en France de parents nés dans des départements d'Algérie ayant accédé à l'indépendance est sans aucune incidence sur le statut qui était celui de ces départements en application de l'article 72 de la Constitution ;
. En ce qui concerne le quatrième alinéa :
- Quant au principe d'indivisibilité de la République :
25. Considérant que la disposition contestée qui a pour objet d'ouvrir un droit à l'attribution de la nationalité française aux enfants nés à Mayotte et dans le territoire des îles Wallis et Futuna de parents nés sur un territoire ayant alors le statut de colonie ou de territoire d'outre-mer de la République française et demeuré depuis lors territoire de la République française abroge une restriction à l'exercice d'un droit liée à des attaches avec une partie déterminée du territoire de la France ; que le grief invoqué ne saurait dès lors qu'être écarté ;
- Quant au principe d'égalité :
26. Considérant que la disposition invoquée a, contrairement à ce qu'allèguent les requérants, pour objet de supprimer pour l'accès à la nationalité française une différence faite jusque là entre enfants nés à Mayotte et aux îles Wallis et Futuna, d'une part, et enfants nés sur le reste du territoire de la République, d'autre part ; qu'ainsi le moyen invoqué manque en fait ;
- Quant à l'article 74 de la Constitution :
27. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine font grief au législateur d'avoir méconnu par les dispositions contestées l'article 74 de la Constitution dès lors qu'il a, par amendement adopté en première lecture à l'Assemblée nationale, modifié la situation au regard du droit de la nationalité des enfants nés à Mayotte et aux îles Wallis et Futuna, sans que l'assemblée de chacun de ces territoires ait été préalablement consultée ;
28. Considérant qu'en vertu de l'article 74 de la Constitution, les modalités de l'organisation particulière des territoires d'outre-mer autres que leurs statuts sont définies et modifiées par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée ;
29. Considérant que ces dispositions ne sont pas applicables à Mayotte qui ne constitue pas un territoire d'outre-mer tel que défini par les articles 72 et 74 de la Constitution ; que dès lors la consultation du conseil général de ce territoire n'était pas requise par la Constitution ;
30. Considérant en revanche qu'en reconnaissant aux enfants nés aux îles Wallis et Futuna le droit à l'acquisition de la nationalité française dès lors que leurs parents sont eux-mêmes nés sur un territoire ayant eu à ce moment un statut de colonie ou de territoire d'outre-mer de la République française et demeuré depuis cette date territoire de la République française, le législateur a mis fin à un régime juridique spécifique attaché à l'organisation particulière de ce territoire ;
31. Considérant que si, en principe, les dispositions introduites par voie d'amendement dans des projets ou propositions de loi ayant déjà fait l'objet d'une consultation de l'Assemblée territoriale n'ont pas à être soumises à une nouvelle consultation de cette assemblée, il ne saurait en être de même lorsque le projet ou la proposition n'a pas fait l'objet d'une telle consultation ;
32. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les mots "et aux îles Wallis et Futuna" doivent être regardés comme contraires à la Constitution ;
-SUR L'ARTICLE 47 DE LA LOI EN TANT QU'IL ABROGE L'ARTICLE 161 DU CODE DE LA NATIONALITE FRANCAISE :
33. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine font valoir que l'article 47 de la loi est contraire à la Constitution en tant qu'il abroge dans les îles Wallis et Futuna, l'article 161 du code de la nationalité réservant aux personnes dont l'un des parents au moins avait la nationalité française le bénéfice des articles 23 et 24 du même code ;
34. Considérant que par cette abrogation le législateur a mis fin à un régime juridique spécifique attaché à l'organisation particulière du territoire des îles Wallis et Futuna ; que, dès lors, la consultation de l'assemblée territoriale ne pouvait être omise sans méconnaissance de l'article 74 de la Constitution ; qu'ainsi l'article 47 de la loi doit être regardé comme non conforme à la Constitution en tant qu'il abroge l'article 161 du code de la nationalité française dans les îles Wallis et Futuna ;
-SUR L'ARTICLE 48 DE LA LOI :
. En ce qui concerne l'article 55 de la Constitution et la règle Pacta sunt servanda :
35. Considérant que cet article édicte, par insertion dans le code du service national, une disposition selon laquelle lorsqu'un Français assujetti aux obligations du service national a simultanément la nationalité d'un autre État et qu'il réside habituellement sur le territoire français, il accomplit ces obligations en France ;
36. Considérant que les députés auteurs de la seconde saisine font grief à cette disposition de méconnaître la règle de supériorité des traités sur les lois posée par l'article 55 de la Constitution ainsi que la règle Pacta sunt servanda, résultant du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, dès lors que celle-ci est contraire à une convention franco-algérienne de 1983 ouvrant aux personnes ayant la qualité de national des deux pays le libre choix du pays où ils doivent s'acquitter de leurs obligations militaires ;
37. Considérant que le respect de la règle édictée par l'article 55 de la Constitution s'impose même dans le silence de la loi ; qu'il appartient aux divers organes de l'État de veiller dans le cadre de leurs compétences respectives à l'application des conventions internationales dès lors que celles-ci restent en vigueur ; que, contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, aucune dérogation n'avait ainsi à figurer dans la loi ; qu'il ne saurait donc résulter de la disposition contestée une méconnaissance du quatorzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;
. En ce qui concerne le principe d'égalité :
38. Considérant que la disposition législative contestée prévoit, s'agissant de l'accomplissement des obligations militaires, le même régime pour toutes les personnes de nationalité française qui ont la qualité de national d'un autre pays ; que dès lors le grief tiré par les auteurs de la seconde saisine de la violation du principe d'égalité ne saurait qu'être écarté ;
-SUR LES AUTRES DISPOSITIONS DE LA LOI :
. En ce qui concerne l'article 24 :
39. Considérant que par cette disposition le législateur a entendu priver de tout droit ou possibilité d'acquérir la nationalité française, sous réserve des dispositions prévues aux articles 21-7, 21-8 et 22-1 du code civil, tout étranger qui a fait l'objet soit d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé soit d'un arrêté de reconduite à la frontière ; qu'eu égard aux formes et conditions dans lesquelles, en application de la législation de l'entrée et du séjour des étrangers, ces mesures de police administrative peuvent légalement être prises, les incapacités ainsi édictées apparaissent comme des sanctions manifestement disproportionnées aux faits susceptibles de motiver de telles mesures, en méconnaissance de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ; qu'ainsi les mots "ou d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé, soit d'un arrêté de reconduite à la frontière" sont contraires à la Constitution ;
40. Considérant qu'en l'espèce il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever aucune question de conformité à la Constitution en ce qui concerne les autres dispositions de la loi soumise à son examen ;

Décide :

Article premier :

Ne sont pas conformes à la Constitution les dispositions suivantes de la loi tendant à réformer le droit de la nationalité :

- dans le texte de l'article 12, les mots " ou d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé, soit d'un arrêté de reconduite à la frontière " ;

- dans le texte de l'article 24, les mots " ou d'un arrêté d'assignation à résidence non expressément rapporté ou abrogé, soit d'un arrêté de reconduite à la frontière " ;

- dans le texte de l'article 44, au quatrième alinéa, les mots " et aux îles Wallis et Futuna " ;

- l'article 47 en tant qu'il abroge l'article 161 du code de la nationalité en ce qui concerne les îles Wallis et Futuna.

Article 2 :

La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.


Synthèse
Numéro de décision : 93-321
Date de la décision : 20/07/1993
Loi réformant le code de la nationalité
Sens de l'arrêt : Non conformité partielle
Type d'affaire : Contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires, lois organiques, des traités, des règlements des Assemblées

Saisine

SAISINE SENATEURS Les sénateurs soussignés à Monsieur le président et Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi réformant le code de la nationalité telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement.

Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, madame et messieurs les conseillers, l'expression de notre considération distinguée.

Les sénateurs soussignés saisissent le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, aux fins d'apprécier la conformité à celle-ci de l'ensemble des articles de la loi réformant le code de la nationalité, adoptée définitivement par le Sénat le 17 juin 1993 et par l'Assemblée nationale le 24 juin 1993.

SAISINE DEPUTES Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi tendant à réformer le droit de la nationalité telle qu'elle a été adoptée par le Parlement, et tout particulièrement ses articles 9, alinéa 3, 11, 12, 44, 47 et 48.

La loi déférée méconnaît les principes constitutionnels d'automaticité d'acquisition de la nationalité par le jeu du droit du sol, d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi, de légalité des délits et des peines, ainsi que la règle " pacta sunt servanda " et les articles 55, 72 et 74 de la Constitution.

I : Sur les violations du principe d'automaticité d'acquisition de la nationalité (principe fondamental reconnu par les lois de la République) :

Ce principe joue un rôle fondamental en droit français (caractérisé par le jeu complémentaire de l'automaticité de l'application du droit du sang qui apparaît dès 1576 et de celle du droit du sol qui apparaît dès 1515), comme par exemple en droit allemand (reposant essentiellement sur l'automaticité de l'application du droit du sang). A la vérité, aucun Etat ne peut laisser la nationalité de ses ressortissants dépendre principalement de choix personnels et non de critères sûrs et objectifs : l'automaticité est en la matière une exigence de stabilité des fondements de la communauté nationale.

Le principe d'automaticité n'est certes pas absolu : il n'exclut pas l'intervention de manifestations de volonté (demandes de naturalisation, de répudiation, de réintégration) mais celles-ci ne jouent qu'un rôle secondaire et ne déterminent la nationalité que dans un nombre de cas statistiquement marginal. De ce point de vue, le droit français repose sur la combinaison de trois critères : le sang, le sol et la volonté, mais cette combinaison s'opère dans un ordre hiérarchique décroissant qui privilégie très fortement les deux premiers critères en raison de leur caractère sûr et objectif.

Plus précisément, l'ordre juridique français a historiquement adopté une conception très extensive de la nationalité qui s'acquiert d'abord par filiation (jus sanguinis), mais aussi par naissance sur le territoire national lorsque la filiation ne permet pas de déterminer une nationalité autre que la française (jus soli) et enfin par la combinaison de la naissance et de la résidence : alors même que la filiation a conféré une nationalité étrangère : pour reconnaître et parfaire l'intégration de facto à la communauté nationale (jus soli) appliqué à leur majorité aux enfants d'étrangers nés en France).

En d'autres termes, dans tous ces cas, le droit français se borne à constater l'existence des liens (de sang, de naissance, de résidence) qui rattachent un individu à la communauté nationale, et ce constat intervient automatiquement, sans qu'il soit besoin d'une manifestation subjective de volonté, afin d'assurer clarté et stabilité à la définition de cette communauté nationale.

Cette tradition républicaine n'a été méconnue que par les " actes dits lois " du gouvernement de fait dit " Etat français " expulsant de la communauté nationale des Français, souvent de confession israélite ou présumés tels, qui avaient été naturalisés sur la base du constat de leur intégration à cette communauté nationale. La parenthèse vichyssoise ne fut pas seulement une remise en cause odieuse des droits les plus élémentaires de ces Français naturalisés mais aussi, d'un même mouvement, une rupture avec la définition républicaine de la nation et de la nationalité.

Car sous l'empire d'une Constitution républicaine on ne peut pas plus priver un citoyen de sa nationalité que de son nom, la première participant autant que le second de l'identité de la personne. De ce point de vue, il est certain que les dispositions des articles 96 et 97 du code de la nationalité, qui autorisent le Gouvernement à " déclarer " qu'un citoyen français a perdu sa nationalité, sont contraires à la Constitution et n'auraient pu être promulguées si elles avaient été en leur temps soumises au contrôle du juge constitutionnel.

Il n'appartient en effet ni au Gouvernement ni même au Parlement de méconnaître l'appartenance objective d'une personne à la communauté nationale qui résulte soit de sa naissance de parents français, soit de sa naissance sur le sol français et de son intégration au fil des années de résidence sur le territoire (et, s'agissant d'enfants d'étrangers nés en France et élevés sur le sol français, de l'éducation reçue dans l'école de la République).

L'identité résultant de cette intégration doit être constitutionnellement protégée.

Il convient donc de reconnaître l'existence des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (en l'occurrence, sous la IIe République, par la loi du 7 février 1851 et, sous la IIIe République, par les lois des 26 juin 1889 et 10 août 1927) qui prévoient :

: la transmission automatique de la nationalité par filiation de Français à Français ;

: l'acquisition automatique de la nationalité par naissance sur le sol français, dès la naissance en l'absence d'autre nationalité déterminée par le jus sanguinis ou différée à la date de la majorité au cas contraire.

Il existe ainsi, en particulier, un principe fondamental reconnu par les lois de la République qui garantit aux enfants de la " deuxième génération " l'acquisition automatique de la nationalité française sur la base du jus soli.

Or, ce principe est violé :

1. Par l'article 11 de la loi déférée (modifiant l'article 44 du code) qui supprime cette acquisition automatique, à la majorité, de la nationalité française par les enfants d'étrangers nés et élevés en France, c'est-à-dire fait disparaître l'automaticité du jus soli " simple " (et différé) pour les " immigrés de la deuxième génération " ;

2. Par l'article 44 de la loi déférée (modifiant l'article 23 de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973) qui supprime à compter du 1er janvier 1994 le double jus soli pour les enfants nés en France de personnes nées dans les TOM ou colonies françaises et même de personnes nées avant le 3 juillet 1962 dans les départements français d'Algérie lorsque ces personnes n'ont pas résidé continuellement en France pendant les cinq années précédant la naissance de l'enfant.

II. : Sur les violations du principe d'indivisibilité de la République (art 2 de la Constitution) :

Ce principe, consacré par les décisions n°s 84-177 DC et 84-178 DC rendues par le Conseil constitutionnel le 30 août 1984 (Rec. P 66 et 69) ainsi que par sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991 (Rec.

p 50), est violé par l'article 44 de la loi déférée :

1. En ce qu'il supprime (en son alinéa 2) le double jus soli à compter du 1er janvier 1994 pour les enfants nés en France de personnes nées dans des TOM ou colonies que ces territoires aient ou non depuis lors accédé à l'indépendance ;

2. En ce qu'il supprime ce même jus soli pour les enfants nés en France de personnes nées en Algérie avant le 3 juillet 1962 lorsque ces personnes n'ont pas résidé continuellement en France pendant les cinq années précédant la naissance ;

3. En ce qu'il institue un régime spécial pour les enfants nés à Mayotte et à Wallis-et-Futuna consistant en le maintien du double jus soli après le 1er janvier 1994 pour les enfants de personnes nées dans les TOM ou dans des colonies qui n'ont pas depuis lors accédé à l'indépendance.

L'applicabilité de l'article 23 de la loi du 9 janvier 1973 (prévoyant le double jus soli), lequel n'exige que la naissance en France du parent de l'enfant lui-même né en France, ne saurait varier selon que le parent est né dans telle ou telle portion du territoire français sans porter une atteinte inconstitutionnelle à l'indivisibilité de la République, alors surtout qu'il s'agit d'une question aussi grave que la nationalité, c'est-à-dire que le rattachement des habitants d'un territoire de la République à la communauté nationale.

III. : Sur les violations du principe d'égalité devant la loi (art 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) :

Ce principe est violé :

1. Par l'article 9, alinéa 3, de la loi déférée en ce qu'il distingue parmi les étrangers conjoints de Français ceux qui ont eu un enfant dont la filiation est établie à l'égard des deux parents de ceux qui n'en ont pas eu, les premiers pouvant se voir reconnaître immédiatement la nationalité française alors que les seconds doivent attendre deux années après leur mariage, alors que le fait de ne pouvoir avoir d'enfant ne prouve évidemment en rien que le mariage soit " de complaisance " si bien que cette différence de situation n'est pas justificative de la différence de régime.

2. Par l'article 12 de la loi déférée qui prévoit que le prononcé de certaines peines fait obstacle à l'acquisition automatique de la nationalité française alors que le prononcé de ces mêmes peines n'entraîne pas la perte de la nationalité française pour celui qui en est titulaire : il y a rupture de l'égalité devant l'incompatibilité (prétendue) entre la condamnation et la détention de la nationalité française.

3. Par l'article 44 de la loi déférée :

a) En ce que son alinéa 2 distingue, pour déterminer l'applicabilité du double jus soli, entre enfants de parents nés dans un ex-TOM ou une ex-colonie et enfants de parents nés en métropole ;

b) En ce que son alinéa 3 distingue, pour le même objet, entre enfants de parents nés dans les départements français d'Algérie avant le 3 juillet 1962 et enfants de parents nés dans le reste de la France ;

c) En ce que son alinéa 4 distingue, afin de maintenir le double jus soli au-delà du 1er janvier 1994 mais seulement pour les enfants de parents nés dans un ex-TOM ou une ex-colonie n'ayant pas depuis lors accédé à l'indépendance, entre enfants nés à Mayotte et à Wallis-et-Futuna et enfants nés dans le reste du territoire de la République, alors que c'est à la date de la naissance des parents que doit s'apprécier le caractère justificatif ou non justificatif de la différence de situation que constitue la différence des lieux de naissance de ces mêmes parents et qu'à cette date l'ensemble des parents concernés par ces différentes hypothèses sont nés en France, si bien que le double jus soli ne saurait s'appliquer différemment aux uns et aux autres, et que de même peu importe que l'enfant considéré soit né à Mayotte, à Wallis-et-Futuna ou en un autre point du territoire de la République dès lors que dans tous ces cas il est né " en France " au sens de l'article 23 de la loi du 9 janvier 1973.

A l'évidence, l'article 44 de la loi déférée méconnaît le principe d'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine (Conseil constitutionnel, n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Rec. p 50).

4. Par l'article 48 de la loi déférée qui impose aux binationaux de s'acquitter en France de leurs obligations militaires alors que la convention franco-algérienne de 1983 laisse aux binationaux franco-algériens le libre choix du lieu où ils s'en acquitteront, introduisant ainsi dans le droit positif une inégalité entre jeunes franco-algériens et autres jeunes binationaux devant le lieu et les modalités d'accomplissement du service national.

IV. : Sur la violation du principe de la légalité des délits et des peines (art 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) :

Le principe selon lequel " la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ", posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ne s'applique pas seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d'une punition alors même que le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité non judiciaire (Conseil constitutionnel, n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Rec. p 63).

L'article 12 de la loi déférée prévoit que le prononcé de certaines peines fait obstacle à l'acquisition automatique de la nationalité française. Il s'agit là d'une " seconde peine " sanctionnant les infractions déjà punies des peines en cause. Or, cette sanction n'est ni " strictement " ni " évidemment " nécessaire au sens de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : ces infractions, commises par un Français, n'entraînent nullement la déchéance de la nationalité française. L'exclusion définitive de l'accès automatique à la nationalité française, c'est-à-dire la privation à perpétuité du bénéfice du jus soli différé, constitue une sanction manifestement disproportionnée et qui n'est en rien nécessaire à la protection de l'ordre public dès lors que la peine prononcée par le juge répressif a été subie.

V : Sur la violation de l'article 55 de la Constitution et du principe Pacta sunt servanda :

Comme l'a expressément reconnu le rapporteur de la commission des lois à l'Assemblée nationale, l'article 48 précité de la loi déférée (créant un article L 3 bis dans le code du service national) est contraire à la convention franco-algérienne de 1983 ouvrant aux binationaux le libre choix du lieu où ils s'acquitteront de leurs obligations militaires. Il méconnaît du même coup la règle de supériorité des traités sur les lois posée à l'article 55 de la Constitution.

Certes, conformément à la jurisprudence définie en 1975 par le Conseil constitutionnel (décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Rec. p 19), cette violation de l'article 55 de la Constitution pourrait être sanctionnée moyennant des recours aux juridictions administratives et judiciaires, mais cette sanction interviendrait très tard et très inégalement selon le degré d'informations dont disposeraient les justiciables. Une telle inégalité de traitement serait particulièrement choquante dans une matière qui touche d'aussi près l'exercice de droits fondamentaux du citoyen.

Mais l'article 48 de la loi déférée méconnaît tout aussi manifestement la règle pacta sunt servanda, dont le Conseil constitutionnel a jugé qu'elle était au nombre des règles de droit international public auxquelles la République française doit se conformer selon le quatorzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qu'elle avait rang constitutionnel et qu'elle impliquait que tout traité en vigueur liait les parties et devait être exécuté par elles de bonne foi.

Dès lors, l'article 48 de la loi déférée ne pourra qu'être considéré comme inconstitutionnel en ce qu'il n'a pas subordonné son entrée en vigueur à une renégociation (préalable) de la convention franco-algérienne aboutissant à la suppression des stipulations en cause.

VI. : Sur les violations des articles 72 et 74 de la Constitution :

Ces articles sont méconnus :

1. Par l'article 44, alinéa 3, de la loi déférée qui, comme en témoigne l'adverbe " toutefois " placé en tête de cet alinéa, confond les départements d'Algérie (avant le 3 juillet 1962) avec les TOM et les colonies, alors qu'il s'agissait de départements métropolitains ;

2. Par l'article 44, alinéa 4, de la loi déférée qui définit le régime du double jus soli applicable aux enfants nés à Mayotte et à Wallis-et-Futuna sans que l'Assemblée territoriale ait été préalablement consultée à ce sujet ;

3. Par l'article 47 de la loi déférée qui abroge l'article 161 du code de la nationalité, lequel excluait l'application du double jus soli à Wallis-et-Futuna, sans que l'Assemblée territoriale ait été préalablement consultée à ce sujet, alors que, dans l'un comme dans l'autre des deux derniers cas, les dispositions en cause, qui touchent au fondement même du rapport entre habitants et territoire qu'est la nationalité, intéressent " l'organisation particulière du territoire " au sens de l'article 74 de la Constitution.

C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci l'ensemble de la loi qui vous est déférée, et tout particulièrement ses articles 9, alinéa 3, 11, 12, 44, 47 et 48.

Nous vous prions d'agréer, monsieur le président, madame et messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.


Références :

DC du 20 juillet 1993 sur le site internet du Conseil constitutionnel
DC du 20 juillet 1993 sur le site internet Légifrance

Texte attaqué : Loi réformant le droit de la nationalité (Nature : Loi ordinaire, Loi organique, Traité ou Réglement des Assemblées)


Publications
Proposition de citation : Cons. Const., décision n°93-321 DC du 20 juillet 1993
Origine de la décision
Date de l'import : 02/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CC:1993:93.321.DC
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award