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20/12/1971 | CANADA | N°[1972]_R.C.S._387

Canada | Méthot c. Commission de Transport de Montréal, [1972] R.C.S. 387 (20 décembre 1971)


Cour Suprême du Canada

Méthot c. Commission de Transport de Montréal, [1972] R.C.S. 387

Date: 1971-12-20

René Méthot (Demandeur) Appelant;

et

Commission de Transport de Montréal (Défenderesse) Intimée.

1971: le 28 janvier; 1971: le 20 décembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Judson, Hall et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement du Juge Bertrand. Appel accueilli.

J.P. Ste-Marie, c.r., pour le demandeur, appelant.

Gaëtan Raymond, pour la défenderesse, intimée.

Les Juges Abbott et J...

Cour Suprême du Canada

Méthot c. Commission de Transport de Montréal, [1972] R.C.S. 387

Date: 1971-12-20

René Méthot (Demandeur) Appelant;

et

Commission de Transport de Montréal (Défenderesse) Intimée.

1971: le 28 janvier; 1971: le 20 décembre.

Présents: Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott, Judson, Hall et Pigeon.

EN APPEL DE LA COUR DU BANC DE LA REINE, PROVINCE DE QUÉBEC

APPEL d’un jugement de la Cour du banc de la reine, province de Québec[1], infirmant un jugement du Juge Bertrand. Appel accueilli.

J.P. Ste-Marie, c.r., pour le demandeur, appelant.

Gaëtan Raymond, pour la défenderesse, intimée.

Les Juges Abbott et Judson souscrivent au jugement rendu par

LE JUGE EN CHEF — Le 16 avril 1956, Michel Méthot, alors âgé de sept ans, fut frappé par un autobus de la Commission de Transport de Montréal. Le 19 avril 1956, avis de cet accident fut donné à la Commission, ainsi que requis par 14-15 Geo. VI, c. 124, art. 4, qui, en pareil cas, assujettit les recours en justice contre la Commission aux dispositions des articles 536, 536a et 537 de la Charte de la Cité de Montréal, mutatis mutandis. Le 18 octobre 1956, René Méthot, père et tuteur de Michel Méthot, intenta une action contre la Commission pour lui réclamer, à titre de dommages-intérêts, $16,946.94 personnellement et $81,000 en sa qualité de tuteur à son fils mineur.

La Commission contesta cette action au fond et plaida notamment qu’en regard des dispositions des articles précités de la Charte de la Cité de Montréal, l’action était prescrite.

[Page 389]

La Cour supérieure rejeta la défense et condamna la Commission à payer au demandeur $4,536.94 personnellement et $16,200 en sa qualité de tuteur à son fils Michel.

En Cour d’appel1, on jugea que le plaidoyer de prescription était bien fondé et, ceci étant décisif de l’appel et de la cause, la Cour n’eut pas à se prononcer sur la question de responsabilité. L’appel fut accueilli et l’action rejetée avec dépens.

De là le pourvoi à cette Cour.

Ainsi donc, la seule question que nous avons à décider est de savoir si, en regard des articles ci-dessus de la Charte de la Cité de Montréal, l’action contre la Commission était prescrite lorsque intentée le 18 octobre 1956.

Il convient de citer et de mettre en regard la version française et la version anglaise de ces articles.

536. Nonobstant toute loi à ce contraire, nul droit d’action n’existe contre la cité pour dommages-intérêts résultant de blessures corporelles infligées par suite d’un accident ou pour dommages à la propriété mobilière ou immobilière, à moins que, dans les trente jours de tel accident ou de tels dommages, et, dans les cas d’accident et de dommages résultant d’une chute sur un trottoir ou sur la chaussée, à moins que, dans les dix jours de tel accident un avis écrit n’ait été reçu par la cité, mentionnant en détail les dommages soufferts indiquant les nom, prénoms, occupation et adresse de la personne qui les a subis, donnant la cause de ces dommages, et précisant la date et l’endroit où ils sont arrivés.

536. Notwithstanding any law to the contrary, no right of action shall exist against the city for damages resulting from bodily injury, caused by an accident, or for damages to movable or immovable property, unless within thirty days from the date of such accident or damages, and, in the case of accident and of damages caused by a fall on the sidewalk or the roadway, unless, within the ten days from the date of such accident, a written notice has been received by the city, containing the particulars of the damages sustained, indicating the surname, Christian names, occupation and address of the person who has suffered the same, giving the cause of such damages, and specifying the date and the place where the same occurred.

[Page 390]

Aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité ne peut être intentée contre la cité, avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis ci-dessus.

No action for damages or for compensation shall be instituted against the city before the expiration of thirty days from the date of the receipt of the above notice.

Le défaut d’avis ci-dessus ne prive pas cependant les victimes d’accidents de leur droit d’action, si elles prouvent qu’elles ont été empêchées de donner cet avis par force majeure ou pour d’autres raisons analogues jugées valables par le juge, ou le tribunal, mais aucune raison ne peut être déclarée telle, si ladite victime a pu communiquer avec quelque parent, ami ou connaissance au cours des dix jours ci‑dessus mentionnés ou si, dans le même délai, elle a signé un écrit en faveur des tiers par lequel elle leur transporte une partie de sa réclamation.

Failure to give the above notice shall not, however, deprive the victims of an accident of their right of action, if they prove that they have been hindered from giving such notice by irresistible force, or for any other similar reason deemed valid by the judge or the court, but no reason may be declared to be such, if the said victim has been able to communicate with some relation, friend or acquaintance during the course of the ten days above mentioned, or if, within the same delay, he has signed a document in favour of third parties by which he transfers to them a part of his claim.

536a. Aucune action en dommages‑intérêts ou en indemnité n’est recevable contre la cité si elle n’est intentée dans les six mois du jour où le droit d’action a pris naissance.

536a. No action against the city for damages or for compensation shall be admissible unless the same be instituted within six months from the date when the right of action originated.

537. Toute action, poursuite ou réclamation contre la cité ou l’un de ses officiers ou employés, pour dommages résultant de délits ou quasi-délits ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant

537. All actions, suits or claims against the city, or any of its officers or employees, for damages resulting from offences or quasi-offences, or illegalities, are prescribed by six months from the day on which the cause of action originated, any article or provision of

[Page 391]

tout article ou disposition de la loi à ce contraire.

the law to the contrary notwithstanding.

Disons immédiatement que la validité et la réception de l’avis par la Commission dans le délai prescrit au premier paragraphe de l’art. 536, aussi bien que l’observance des prescriptions du second paragraphe de cet article, ne sont pas en question.

Le seul point en litige est de savoir si la prescription de six mois, édictée aux art. 536a et 537, court à partir de la date de l’accident — auquel cas l’action est prescrite — ou de la date de la réception de l’avis par la Commission — auquel cas elle ne l’est pas.

Je ne sache pas que cette question controversée ait déjà, de façon identique, été soumise à cette Cour. Il faut cependant impérativement référer à notre décision dans La Cité de Québec c. Baribeau[2], où il s’agissait de savoir si l’intimé s’était conformé à l’art. 535 de la Loi refondant la Charte de la Cité de Québec (19 Geo. V, c. 95). Cet article 535 et les art. 536 et 538 de cette loi visant les poursuites contre la Cité de Québec, correspondent respectivement aux art. 536, 536a et 537 de la Charte de la Cité de Montréal et sont textuellement identiques, sauf quelques minimes variantes n’ayant de pertinence dans la considération du cas qui nous occupe.

Dans l’affaire Baribeau, la Cour suprême jugea nécessaire d’interpréter l’art. 535 de la Charte de la Cité de Québec, de préciser le caractère véritable de l’avis exigé, de déterminer, en somme, si cet avis constitue une simple mesure de procédure ou s’il fait partie de la formation même du droit d’action contre la Cité. Telle est, au fond, l’inévitable et l’essentielle question à laquelle il nous faut répondre dans le cas qui nous occupe. Parlant au nom de la Cour, M. le juge Rinfret, subséquemment juge en chef, s’exprima ainsi sur la question:

En effet, l’avis qui est exigé ne constitue pas une simple mesure de procédure. Il fait partie de la formation même du droit d’action contre la cité. La législature, comme elle en avait le droit, a envisagé l’avis comme élément additionnel du droit d’action

[Page 392]

lui-même, et elle l’a exigé «nonobstant toute loi à ce contraire». Dès 1907, la Cour du Banc du Roi, dans la cause de Montreal Street Railway v. Patenaude (1907) Q.R. 16 K.B. 541, à 543, pouvait affirmer:

Il est maintenant de jurisprudence que l’action ne peut être portée que si l’avis a été donné au préalable, tel que prescrit, et que sans cet avis le droit de réclamer en justice n’existe pas.

Cet avis est une condition préalable et essentielle à l’existence du droit d’action. Il n’y a pas là une question de prescription. La prescription du droit d’action contre la cité est couverte par les articles 536 et 538 de la charte, qui la fixent à six mois à compter du jour où le droit d’action a pris naissance, «nonobstant tout article ou disposition de la loi à ce contraire». En vertu de l’article 535, ce n’est pas le droit d’action qui se perd par prescription, si l’avis requis n’est pas donné dans les quinze ou les trente jours (suivant le cas) fixés par l’article; c’est le droit d’action qui ne prend pas naissance, à moins que l’avis ne soit donné, sauf dans les cas d’exception qui y sont prévus. Le droit d’action n’est pas perdu par défaut d’agir; au contraire, il ne prend pas naissance à moins que la victime n’agisse; il n’existe pas si l’avis n’est pas donné au préalable, tel que prescrit.

Ainsi donc, et alors que sous le droit commun le droit d’action prend naissance à l’instant même où le quasi-délit est commis, dans le présent cas, régi par les dispositions précitées et selon l’interprétation qu’en a donnée cette Cour, le droit d’action a pris naissance non pas le jour de l’accident du 16 avril 1956, mais après que l’avis en a été donné à la Commission le 19 avril 1956. Il s’ensuit que, selon les prescriptions de l’art. 537 de la Charte de la Cité de Montréal, ce n’est qu’à partir du jour où la Commission a effectivement reçu l’avis du 19 avril que la prescription a commencé à courir. Dès lors, faut-il conclure que l’action contre la Commission n’était pas prescrite lorsqu’elle fut intentée le 18 octobre 1956.

Dans Ville de Mont-Royal v. Dame Leibovitch et vir[3], cause jugée subséquemment à celle qui nous occupe, la Cour d’appel, composée d’un banc différent, cita et adopta l’extrait ci-dessus des motifs de jugement de cette Cour dans Baribeau pour tenir comme fatal le retard de l’inti-

[Page 393]

mée à donner à l’appelante l’avis prescrit par les dispositions suivantes de la Loi des Cités et Villes:

Si une personne prétend s’être infligé, par suite d’un accident, des blessures corporelles, pour lesquelles elle se propose de réclamer de la municipalité des dommages-intérêts, elle doit, dans les quinze jours de la date de tel accident, donner ou faire donner un avis écrit au greffier de la municipalité de son intention d’intenter une poursuite, en indiquant en même temps les détails de sa réclamation et l’endroit où elle demeure, faute de quoi la municipalité n’est pas tenue à des dommages-intérêts à raison de tel accident, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.

Avec le plus grand respect, je ne puis partager l’opinion que les dispositions du troisième alinéa de l’art. 536 fassent échec à l’interprétation ci-dessus du premier alinéa de cet article. Faisant exception à la règle posée par le premier alinéa, les dispositions du troisième alinéa ne sauraient servir de base à l’interprétation du premier sans virtuellement ramener la règle au niveau de l’exception.

De plus, à la vérité, si les raisons invoquées pour justifier le défaut d’avis sont jugées valables par le juge au procès, celui-ci reconnaîtra par jugement que le défaut d’avis n’a pas privé la victime d’accident du droit d’action que lui reconnaît le droit commun, sujet cependant à la prescription exceptionnelle de six mois.

La conclusion à laquelle j’en arrive n’est pas modifiée du fait du conflit qui existe entre les versions anglaise et française de l’art. 537 et du conflit dans les versions anglaises des art. 537 et 536a. De tels conflits dans des dispositions exorbitantes du droit commun ne sauraient justifier la perte d’un droit qui existe sous ce droit.

Je maintiendrais donc l’appel avec dépens, déclarerais non prescrite l’action instituée contre l’intimée et retournerais le dossier à la Cour d’appel pour qu’il soit adjugé sur toute autre question touchant le fond du litige.

Les Juges Judson et Pigeon souscrivent au jugement rendu par

LE JUGE HALL — Le présent pourvoi découle d’un accident dans lequel le fils mineur de l’appelant, alors âgé de huit ans, a été renversé et blessé par un des autobus de l’intimée, le 16 avril

[Page 394]

1956, sur le boulevard Saint-Laurent, au nord de la rue Crémazie, à Montréal.

L’action a été intentée le 18 octobre 1956 et la cause a été entendue par le Juge Bertrand. Celui-ci a conclu à la responsabilité entière de l’intimée et accordé $20,736.94 de dommages avec intérêts et dépens contre cette dernière.

La seule question en litige devant cette Cour est celle de savoir si l’action intentée au nom de l’enfant à la suite dudit accident était prescrite en vertu des dispositions de la charte de la ville de Montréal portant sur la prescription du droit d’action, applicables à l’intimée en vertu de 14‑15 Geo. VI, c. 124.

Le Juge Bertrand a conclu que l’action a été intentée dans les délais légalement prescrits, mais, en appel, la Cour d’appel[4] a jugé que l’action n’a pas été intentée dans les délais autorisés et a, pour ce motif, accueilli l’appel et rejeté l’action.

Les dispositions sur la prescription — art. 536, 536a et 537 de la charte de la ville de Montréal — se lisent comme suit:

536. Nonobstant toute loi à ce contraire, nul droit d’action n’existe contre la cité pour dommages-intérêts résultant de blessures corporelles infligées par suite d’un accident ou pour dommages à la propriété mobilière ou immobilière, à moins que, dans les trente jours de tel accident ou de tels dommages, et, dans les cas d’accident et de dommages résultant d’une chute sur un trottoir ou sur la chaussée, à moins que, dans les dix jours de tel accident, un avis écrit n’ait été reçu par la cité, mentionnant en détail les dommages soufferts, indiquant les nom, prénoms, occupation et adresse de la personne qui les a subis, donnant la cause de ces dommages, et précisant la date et l’endroit où ils sont arrivés.

Aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité ne peut être intentée contre la cité, avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis ci-dessus.

Le défaut d’avis ci-dessus ne prive pas cependant les victimes d’accident de leur droit d’action, si elles prouvent qu’elles ont été empêchées de donner cet avis par force majeure ou pour d’autres raisons analogues jugées valables par le juge, ou le tribunal, mais aucune raison ne peut être déclarée telle, si ladite victime a pu communiquer avec quelque pa-

[Page 395]

rent, ami ou connaissance au cours des dix jours ci-dessus mentionnés ou si, dans la même délai, elle a signé un écrit en faveur des tiers par lequel elle leur transporte une partie de sa réclamation.

536a. Aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité n’est recevable contre la cité si elle n’est intentée dans les six mois du jour où le droit d’action a pris naissance.

537. Toute action, poursuite ou réclamation contre la cité ou l’un de ses officiers ou employés, pour dommages résultant de délits ou quasi-délits ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant tout article ou disposition de la loi à ce contraire.

Dans ses motifs, le Juge Bertrand a conclu que le délai de prescription de six mois a commencé à courir depuis la date où l’avis a été donné conformément à l’art. 536, soit depuis le 19 avril 1956, et non depuis la date où l’enfant a été blessé. Il s’est appuyé sur l’affaire La Cité de Québec c. Baribeau[5], où le Juge Rinfret, (alors juge puîné), dit:

La loi particulière qui s’applique à la cité de Québec exige un avis spécial avant d’intenter certaines poursuites contre la cité. A l’époque de l’accident, cette loi (c. 95 du statut de Québec, 19 Geo. V., 1929) se lisait comme suit:

535. Nonobstant toute loi à ce contraire, nul droit d’action n’existe contre la cité pour dommages-intérêts résultant de blessures corporelles infligées par suite d’un accident, ou pour dommages à la propriété mobilière ou immobilière, à moins que, dans les trente jours de tel accident ou de tels dommages et, dans le cas d’accident et de dommages provenant d’une chute sur un trottoir ou sur la chaussée, à moins que, dans les quinze jours de tel accident et de tels dommages, un avis écrit n’ait été reçu par la cité, mentionnant en détail les dommages soufferts, indiquant les nom, prénoms, occupation et adresse de la personne qui les a subis, donnant la cause de ces dommages et précisant l’endroit où ils sont arrivés.

Aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité ne peut être intentée contre la cité, avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis ci‑dessus.

Le défaut d’avis ci-dessus ne prive pas, cependant, les victimes d’accidents de leur droit d’action, si elles prouvent qu’elles ont été empê-

[Page 396]

chées de donner cet avis par force majeure ou pour d’autres raisons analogues jugées valables par le juge ou le tribunal.

Il s’agit de savoir si l’intimé s’est conformé à cet article avant d’intenter son action contre la cité de Québec.

En effet, l’avis qui est exigé ne constitue pas une simple mesure de procédure. Il fait partie de la formation même du droit d’action contre la cité. La législature, comme elle en avait le droit, a envisagé l’avis comme élément additionnel de droit d’action lui-même, et elle l’a exigé «nonobstant toute loi à ce contraire». Dès 1907, la Cour du Banc du Roi, dans la cause de Montreal Street Railway v. Patenaude, (1907) Q.R. 16 K.B. 541, à la p. 543, pouvait affirmer:

Il est maintenant de jurisprudence que l’action ne peut être portée que si l’avis a été donné au préalable, tel que prescrit, et que sans cet avis le droit de réclamer en justice n’existe pas.

Cet avis est une condition préalable et essentielle à l’existence du droit d’action. Il n’y a pas là une question de prescription. La prescription du droit d’action contre la cité est couverte par les articles 536 et 538 de la charte, qui la fixent à six mois à compter du jour où le droit d’action a pris naissance, «nonobstant tout article ou disposition de la loi à ce contraire». En vertu de l’article 535, ce n’est pas le droit d’action qui se perd par prescription, si l’avis requis n’est pas donné dans les quinze ou les trente jours (suivant le cas) fixés par l’article; c’est le droit d’action qui ne prend pas naissance, à moins que l’avis ne soit donné, sauf dans les cas d’exception qui y sont prévus. Le droit d’action n’est pas perdu par défaut d’agir; au contraire, il ne prend pas naissance à moins que la victime n’agisse; il n’existe pas si l’avis n’est pas donné au préalable, tel que prescrit. (Les italiques sont de moi)

L’article 535 ajoute que le droit d’action n’existe pas «à moins qu’un avis écrit n’ait été reçu par la cité». Cet avis doit contenir certains détails et fournir certaines précisions sur l’accident. Il n’y a pas lieu de s’y arrêter en l’espèce, car ici la cité ne se plaint pas de la suffisance de l’avis. Mais ce sur quoi il faut insister, c’est que la cité a droit de recevoir «un avis écrit»; et cet avis doit lui être communiqué régulièrement, de la même façon que tout autre avis officiel est communiqué à la corporation. Il ne s’agit pas, en effet, d’une simple formalité sans importance, dont le réclamant peut être dispensé ou que l’on peut remplacer par une autre formalité quelconque que le tribunal jugerait suffisante pour en tenir lieu.

[Page 397]

L’article 535 cité par le Juge Rinfret est identique à l’art. 536 de la charte de la ville de Montréal. Le Juge Bertrand, dans ses motifs, dit notamment:

Et puis, la charte de Montréal entend s’appliquer nonobstant toute disposition ou loi à ce contraire, un langage qui ne manque pas de se faire absolu.

Les avocats de la défenderesse invitent à mesurer s’il n’y aurait pas lieu de tenir que, une fois l’avis expédié et reçu, le droit d’action ne rétroagirait pas au jour où le fait générateur de responsabilité s’est produit, selon la loi commune, donc ici au jour de l’accident.

Pour adopter cette interprétation, il faudrait une direction claire ayant cet effet, et elle manque totalement; en outre, quand l’auteur de la loi entend imposer la rétroactivité, qui est une mesure plutôt insolite, affectant un passé régi différemment jusque-là, il l’exprime en termes nets, dépourvus d’ambiguïté.

En présence des considérations auxquelles la Cour suprême s’est livrée sur le point, en accordant au texte commenté le sens qu’il dégage par ses termes mêmes, il est impossible de raisonner de manière à ce qu’un droit commence à se prescrire, à un moment où il n’a pas encore commencé d’exister légalement: ce serait attribuer une activité juridique à ce qui ne possède pas l’entité.

C’est un principe de droit bien établi que les règles de la prescription s’interprètent de façon restrictive. Le Juge Sir Louis Davies, dans Canadian Northern Railway Company c. Thomas D. Robinson et W.E. Robinson[6] dit (pp. 397 et 398):

[TRADUCTION] Je conviens que, pour priver les demandeurs de leur droit d’action, les termes de la disposition établissant la prescription doivent être si nets et si dépourvus d’ambiguïté qu’ils s’étendent manifestement à la cause d’action qu’on cherche à y englober.

Dans Steeves v. Dufferin Rural Municipality[7], le Juge d’appel Robson déclare (p. 210):

[TRADUCTION] Inutile de dire qu’avant d’appliquer une loi restreignant certains droits d’action il

[Page 398]

doit être clair que les termes de la loi qui établit la prescription s’appliquent au droit d’action revendiqué.

et le Juge Egbert dans Shorb v. Public Trustee[8] dit:

[TRADUCTION] La prescription imposée est statutaire et, puisque son effet est d’abolir des droits acquis, il faut l’interpréter de façon restrictive. Pour démontrer son droit à en bénéficier, un défendeur doit clairement établir les faits qui la rendent applicable à sa cause.

Je suis d’avis qu’un droit d’action ne prend naissance qu’au moment où un demandeur a un droit immédiat d’intenter et de poursuivre son action. En l’espèce, l’appelant (le demandeur) doit alléguer et prouver: 1) qu’il a subi des dommages, 2) que les dommages subis résultent de la faute de l’intimée, 3) qu’il a donné l’avis prescrit par l’art. 536 précité et finalement 4) que l’action a été intentée après l’expiration des trente jours suivant l’avis. On ne peut admettre le droit d’action de l’appelant à moins de conclure en sa faveur sur tous ces points. Un droit d’action prend naissance à un moment (ou jour) précis. Quelqu’un a un droit d’action ou il ne l’a pas le jour où il intente son action. Avant l’avis prescrit par l’art. 536 et l’expiration des trente jours qui le suivent, il n’y a pas de droit d’action. L’article 536 dit expressément… «nul droit d’action n’existe contre la cité pour dommages-intérêts… à moins que, dans les trente jours de tel accident… un avis écrit n’ait été reçu par la cité…» et «aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité ne peut être intentée contre la cité, avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis ci-dessus». Il est donc clair que le droit d’action ne peut avoir «pris naissance» avant l’expiration du délai de trente jours. (Les italiques sont de moi).

Avant l’expiration du délai de trente jours, le droit de l’appelant est au plus un droit en puissance ou imparfait; il ne devient pas un droit incontestable de poursuivre avant l’expiration du délai de trente jours. Ce n’est qu’après ces trente jours que le droit d’action peut avoir «pris naissance» selon les termes de la version française

[Page 399]

des art. 536a et 537, ou «originated» selon le terme de leur version anglaise. Pour confirmer l’arrêt de la Cour d’appel, il faudrait conclure que le droit d’action «a pris naissance» avant d’exister, puisque l’art. 536 dit: «…nul droit d’action n’existe» et «aucune action en dommages-intérêts ou en indemnité ne peut être intentée…».

Comme le dernier alinéa de l’art. 536 décrète: «Le défaut d’avis ci-dessus ne prive pas cependant les victimes d’accident de leur droit d’action…» dans certaines circonstances déterminées, on a allégué que cette réserve indique que le droit d’action a pris naissance le jour de l’accident. Il est cependant clair que nul droit d’action n’existe avant l’expiration des trente jours de la date de l’accident. Si l’avis prescrit par l’art. 536 n’est pas donné, il n’existe aucun droit d’action à moins que la réserve ne s’applique; et on ne peut invoquer la réserve que si 1) l’avis n’a pas été donné et 2) la victime satisfait aux conditions de la réserve. D’autre part, si la victime n’a pas été empêchée de donner l’avis, elle ne peut nullement intenter une action, puisque la première phrase de l’art. 536 dit: «Nul droit d’action n’existe…». La victime a un délai de trente jours pour donner l’avis et si elle ne le fait que le dernier jour, nul droit d’action ne peut exister avant l’expiration d’un autre délai de trente jours; il est donc évident que dans n’importe quelles circonstances, le droit d’action ne peut naître qu’une fois écoulés les trente jours après l’accident. Cette argumentation est pleinement étayée par les observations du Juge Rinfret (alors juge puîné) dans La Cité de Québec c. Baribeau (précitée) où il dit: (pages 624 et 625):

Cet avis est une condition préalable et essentielle à l’existence du droit d’action. Il n’y a pas là une question de prescription. La prescription du droit d’action contre la cité est couverte par les articles 536 et 538 de la charte, qui la fixent à six mois à compter du jour où le droit d’action a pris naissance, «nonobstant tout article ou disposition de la loi à ce contraire». En vertu de l’article 535, ce n’est pas le droit d’action qui se perd par prescription, si l’avis requis n’est pas donné dans les quinze ou les trente jours (suivant le cas) fixés par l’article; c’est le droit d’action qui ne prend pas naissance, à moins que l’avis ne soit donné, sauf dans les cas d’exception qui y sont prévus. Le droit d’action n’est

[Page 400]

pas perdu par défaut d’agir; au contraire, il ne prend pas naissance à moins que la victime n’agisse; il n’existe pas si l’avis n’est pas donné au préalable, tel que prescrit.

Il y a un jugement non publié de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire de La Cité de Québec c. Dame Magna Vézina Bérubé qui étaye fortement la position de l’appelant et qui me paraît être très pertinent dans le présent pourvoi. Ni le jugement a quo ni les factums des parties n’en font mention. Il s’agit d’un jugement rendu le 11 juin 1948, noté à [1948] B.R. 571, dans une action intentée par certains propriétaires contre la ville de Québec pour les dommages qu’ils avaient subis du fait de la négligence de la ville lors d’une émeute d’étudiants qui avait eu lieu le 28 février 1946.

L’appel mettait surtout en jeu la responsabilité de la ville pour les dommages subis; sur ce point de la cause, il a été jugé que la ville avait été négligente et était donc responsable, sauf si le droit d’action s’était éteint par prescription, l’action n’ayant pas été intentée dans le délai de prescription spécial de six mois qui était prévu dans la charte de la ville.

En réponse à l’allégation que le droit d’action était éteint parce que l’action n’avait pas été intentée dans le délai de six mois, les demandeurs ont soutenu que bien que les dommages aient été subis le 28 février 1946, leur droit d’action n’était né que six mois plus tard. L’appel a été entendu par le Juge en chef Létourneau et par les Juges d’appel Marchand, Bissonnette, E. McDougall et Gagné. La prétention que l’action était prescrite parce qu’elle n’avait pas été intentée dans les six mois qui ont suivi l’émeute a été rejetée par la Cour, (le Juge en chef Létourneau étant dissident). Le Juge d’appel McDougall s’est prononcé comme suit sur la question de la prescription:

[TRADUCTION] Quant à l’appel interjeté par la Cité de Québec, étant donné les faits, je suis d’avis, pour les raisons données par le Juge Bissonnette dans ses motifs, et sous réserve de la modification proposée, que la preuve justifie entièrement une condamnation. Nous retrouvons tous les éléments de la négligence dans l’omission de la ville de prendre les mesures appropriées en vue d’empêcher les actes imminents de violence dont elle avait été avertie.

[Page 401]

Le fait que l’on ait ajouté foi à la seule assurance d’un particulier, Lizotte, qu’aucun acte illégal n’était projeté ou n’avait été projeté, ne constitue pas une excuse. Lizotte a éventuellement été l’un des principaux participants aux événements qui ont suivi.

Toutefois, en cette Cour, il nous a été soutenu de façon toute particulière que le droit d’action des demandeurs contre la présente défenderesse s’était éteint par prescription, puisque l’action avait été intentée après l’expiration du délai de prescription spécial de six mois prévu par la charte de la ville. Il m’est impossible d’agréer cette prétention. C’est uniquement à partir de ce point de vue que je me prononcerai sur l’appel.

Étant donné les dispositions spéciales de la charte de la ville de Québec, je suis d’avis qu’en ce qui concerne l’action délictuelle, la prescription n’a commencé à courir contre les demandeurs qu’à partir de l’expiration du délai de six mois durant lequel la ville pouvait effectuer un règlement de la réclamation en conformité de la disposition législative particulière s’appliquant en pareil cas. La ville n’ayant pas exercé ce droit spécial, les délais de prescription s’appliquant au droit d’action ex delicto ont été suspendus au cours de la période accordée pour considérer et exercer le droit facultatif offert. (Voir l’énoncé du Juge Mignault, dans Québec c. United Typewriter Co., 62 R.C.S., pp. 251 et 252).

Il est certain que dans l’action telle qu’elle est libellée, c’est la nature délictuelle du droit qui est envisagée. C’est ce qui ressort nettement des allégations de la déclaration. Dans son factum, l’appelante reconnaît que l’action des demandeurs invoque aussi les dispositions particulières de la loi et se fonde également sur celles-ci, (factum, p. 2) mais elle affirme que les deux droits s’excluent mutuellement et qu’il est impossible de les faire valoir dans une seule action. Je ne puis voir sur quoi l’on peut fonder la prétention que ces deux droits d’action sont incompatibles.

Il faut donc se demander quand la prescription fixée pour les actions délictuelles (6 mois, selon la charte de la ville) a commencé à courir; en d’autres termes, à quel moment le droit d’action est-il né? Est-ce à compter de la commission de l’acte dommageable, ou à compter du moment où est devenu périmé le droit qu’avait la ville, en vertu de sa charte (art. 336, par. 155), d’opter en faveur d’un règlement par arbitrage, indépendamment de tout élément de négligence?

Certains précédents étayent l’opinion que le droit d’action prend naissance au moment où la ville refuse ou néglige d’exercer la faculté qui lui est ac-

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cordée. (Voir Jarvis Vs. Surrey Company, 1925, 1 K.B., p. 554). De par son texte même, le paragraphe 155 b) de l’article 336 de la charte de la ville prévoit le cas de dommages causés et décrète qu’à défaut de paiement, dans les six mois, de l’indemnité accordée par des arbitres, la municipalité peut être poursuivie en recouvrement du montant des «dommages causés». Y a-t-il une meilleure façon d’indiquer que durant le délai de six mois la prescription ne court pas en ce qui concerne les dommages? Rien dans cet article n’est incompatible avec les articles 536 et 538 de la même loi, qui fixent uniquement le moment à compter duquel la prescription commence à courir, c’est-à-dire le «jour où le droit d’action a pris naissance (originated)».

Il serait bien illusoire de déclarer que durant six mois les demandeurs ne pourraient engager aucune procédure contre la défenderesse, si l’on allait en même temps les priver de leur droit d’action à moins que celle-ci ne soit intentée au cours de cette période. Comme l’a signalé Lord Atkinson dans Wertheim Vs. Chicoutimi Pulp, 1911 A.C., p. 307:

[TRADUCTION] «Il est impossible de ne pas s’apercevoir que tout raisonnement entraînant des conséquences si injustes et anormales doit être fallacieux». La loi favorise l’exercice d’un droit et non sa suppression. «Comme l’a dit un éminent Juge, la loi ne favorise pas la déchéance d’un droit». (J.C. Vs. Society, etc. A.C. 1908, p. 199):

Essentiellement, la loi dit à la ville: il se peut que vous soyez obligée de payer des dommages-intérêts à l’égard de la perte causée (pour un délit par exemple) mais nous vous donnons l’occasion, lorsque vous avez reconnu votre responsabilité et en vue de vous épargner les dépenses considérables qu’une action vous ferait subir, de faire fixer le montant par arbitrage et de payer la somme ainsi établie. Mais si vous ne reconnaissez pas votre responsabilité dans le délai prescrit, le demandeur conservera intégralement son droit d’action. (1053 C.C.): Mais la ville pourrait-elle dire en même temps: votre action est prescrite parce que vous n’avez pas procédé alors que nous étions en train de nous demander si nous devions exercer la faculté qui nous est accordée?

En conclusion, je cite les deux dernières phrases de l’extrait des motifs de M. le Juge Mignault dans l’affaire United Typewriter (précitée) que M. le Juge Bissonnette a inséré dans ses propres motifs:

«Si l’appelante a raison, la naissance du droit d’action coïnciderait avec l’expiration de la pé-

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riode de la prescription, et le droit d’action serait mort-né. Cela suffit pour disposer du plaidoyer de prescription».

Ceci dit, et souscrivant aux motifs avancés par le Juge Bissonnette, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens, sous réserve toutefois de la correction qu’il a proposé de faire quant au montant alloué.

Le Juge d’appel Bissonnette a traité de la même question. Il a dit:

Il y a lieu maintenant d’étudier sommairement le moyen tiré de la prescription qu’invoque l’appelante.

Celle-ci fait le raisonnement suivant: si l’action est fondée sur un recours délictuel, elle devait être intentée sous un délai de six mois de la date de l’émeute, soit le 8 février. Comme elle n’aurait été signifiée qu’après le 16 septembre, ce recours fondé sur l’art. 1053 C.C. était donc prescrit. Quant à l’obligation légale ou statutaire, la cité l’avait répudiée, de sorte que si sa défense de prescription était recevable, elle devait, dans l’opinion de son avocat, triompher sur le tout.

J’estime, et je le dis avec respect, que cette proposition de l’appelante est fallacieuse. Dans l’affaire United Typewriter, M. le Juge Mignault écrivait ceci:

«Il serait absurde d’appliquer à une action comme celle de l’intimée une prescription de six mois à compter du jour où s’est produit le fait dommageable, car le droit d’action ne prend naissance que lorsque six mois se sont écoulés depuis le fait dommageable sans que la cité de Québec ait pourvu par une cotisation spéciale à défrayer les dépenses nécessaires pour indemniser le propriétaire. Si l’appelante a raison, la naissance du droit d’action coïnciderait avec l’expiration de la période de la prescription, et le droit d’action serait mort-né. Cela suffit pour disposer du plaidoyer de prescription (p. 251).»

De son côté, M. le Juge Marchand, dans l’affaire Péloquin précitée, s’exprimait en ces termes:

Je crois que pour bien comprendre les droits que donne l’article à la victime, d’une part, à la corporation, d’autre part, il faut lire ensemble les premier et dernier alinéas et on y trouve le sens très clair que la corporation, pour indemniser des dommages d’une émeute peut provoquer un arbitrage qui les fixera: à défaut d’agir ainsi et de payer dans les six mois ce que dira la sentence

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arbitrale, la victime peut exercer le droit dont elle jouissait, mais dont l’exercice était suspendu, de recourir à la justice. Le deuxième alinéa, lui, règle les droit de la corporation envers les contribuables généralement et non envers le créancier de l’indemnité (p. 338).

Ces deux éminents juristes ont donc soutenu, à mon entière approbation, que le droit d’action était suspendu pendant cette période de six mois et qu’il ne pouvait être exercé qu’à l’expiration d’icelle.

Mais à cette doctrine, l’avocat de l’appelante oppose l’art. 538 de la charte de la cité dont le texte est le suivant:

538. Toute action, poursuite ou réclamation contre la cité ou l’un de ses officiers ou employés, pour dommages résultant de délits ou quasi-délits ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant tout article ou disposition de la loi à ce contraire.

A cette objection, on peut faire plusieurs réponses péremptoires.

Tout d’abord, le par. 155 de l’art. 336 est une loi particulière qui déroge à toutes les autres causes d’action prévues par la charte. C’est donc de cette loi que le créancier, victime d’émeute, devait se réclamer. Et au rouage que cette loi détermine, il était assujetti et il ne pouvait pas ne pas s’y soumettre. Aussi, toute action qu’il aurait intentée dans les six mois du jour de l’émeute aurait été prématurée et la cité aurait pu faire valoir cette exception. D’autre part, s’il fondait son action sur les circonstances de l’émeute, mais en alléguant une négligence de la part de la cité, cette action ne perdait nullement son caractère fondamental. En d’autres termes, si l’appelante avait raison, le créancier serait placé dans le dilemne absurde suivant: s’il fonde son action sur un délit, il ne peut pas poursuivre avant les six mois, dans le cas d’émeute, puisqu’il est assujetti à cette loi particulière. Intentant son action à l’expiration des six mois, elle serait éteinte parce qu’elle serait prescrite, suivant l’appelante, en vertu de l’art. 538. Par contre, s’il intente son action pendant les six mois, celle-ci serait non recevable, parce qu’elle serait prématurée. Il s’ensuit que le recours de droit commun lui serait refusé. Jamais le législateur n’a voulu cela.

Autre réponse, l’Art. 155 ne contient aucune distinction selon que le recours s’est exercé, soit sur l’obligation légale, soit sur le délit. Où la loi ne dis-

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tingue pas, il n’y a pas lieu de le faire, de suppléer au texte. En outre, rien ne répugne à l’exercice de la dualité de recours. L’un n’exclut pas nécessairement l’autre. La Cour suprême du Canada dans l’affaire United Typewriter a implicitement statué que l’art. 538 (c’était alors 561), n’était pas opposable au recours exercé sous l’autorité de l’art. 336, al. 155. Je soumets qu’on ne peut déroger à ce précédent.

Dans ce passage de ses motifs, le Juge d’appel Bissonnette cite en l’approuvant le jugement rendu par cette Cour dans l’affaire La Cité de Québec c. United Typewriter Company[9]. Dans cette cause-là, le Juge Duff (alors Juge puîné) dit, pp. 242-243:

[TRADUCTION] La décision à rendre sur le présent appel dépend de deux questions:

1) La loi 16 Vict., ch. 233 a-t-elle été abrogée par le par. 16 de l’art. 29 de la loi 29, Vict., ch. 57? Pour répondre à cette question, il faut se demander si le par. 3 de l’art. 39 est «incompatible» avec les dispositions de l’ancienne loi. Il semble établi sans conteste que la disposition nouvelle peut s’appliquer et s’harmoniser avec la première loi sans qu’il y ait d’incompatibilité. Il faut donner à cette question une réponse négative.

2) La loi actuelle est-elle visée par l’art. 11 de la loi 6, Geo. V, ch. 43, dont voici le texte:

11. L’article 8 de la loi 55-56 Victoria, chapitre 50, tel que remplacé par l’article 45 de la loi 7 Edouard VII, chapitre 62, est de nouveau remplacé par le suivant:

8. Toute action contre la cité, pour dommages, est prescrite par six mois à compter du jour où s’est produit le fait dommageable, nonobstant tout article ou disposition du Code civil à ce contraire. Mais nulle telle action, poursuite ou réclamation, ne pourra être intentée à moins qu’un avis, contenant les particularités de telle réclamation, et l’adresse du domicile du réclamant, ne soit donné à la cité dans les trente jours à compter de celui où le fait dommageable est arrivé, et telle action ne pourra être prise avant l’expiration des trente jours à compter dudit avis.

Le défaut d’avis ne privera pas cependant les réclamants de leur droit d’action, si ils prouvent qu’ils ont été empêchés de donner cet avis par

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force majeure, ou pour d’autres raisons jugées valables par le juge ou le tribunal sujet à la loi 29 Victoria, chapitre 57, article 36, paragraphe 35.

Il semble improbable que la législature ait voulu exiger un avis de l’institution d’une action avant que la cause d’action ait pris naissance; le passage de la disposition législative qui a trait à l’avis de réclamation ne semble devoir s’appliquer que lorsque la cause d’action prend naissance au moment où se produit le «fait dommageable». Cela est d’autant plus probable que, dans la version française, l’expression «fait dommageable» employée dans la première phrase est de toute évidence considérée comme l’équivalent de «right of action».

Je conclus que le droit d’action prévu dans la loi particulière sur laquelle se fonde la demanderesse en l’espèce ne tombe pas dans la catégorie de cas visée par cet article.

Le Juge Anglin (alors Juge puîné) dit, pp. 243-244:

[TRADUCTION] Après avoir étudié soigneusement la présente cause, j’aboutis à la conclusion que ni la disposition relative à la prescription ni la disposition relative à l’avis de l’art. 561 de la Charte de la Cité de Québec (6 Geo. V, c. 43, art. 11) ne s’appliquent lorsque le droit du demandeur de réclamer des dommages-intérêts à la ville ne prend naissance que six mois après la commission de l’acte dommageable dont les conséquences ont mené à l’action en dommages-intérêts.

Lorsqu’elle a été édictée pour la première fois dans la loi 55-56 V., c. 50, art. 8, cette disposition ne visait probablement pas les actions intentées pour dommages causés par des émeutiers. Le texte actuel de la disposition relative à la prescription ne peut pas s’interpréter comme s’appliquant à une cause d’action ne prenant naissance qu’à l’expiration du délai de prescription. La disposition relative à l’avis, parce qu’elle se trouve au même article et parce qu’elle commence par les termes: «nulle telle action» ne s’applique sans doute qu’aux actions sujettes à la prescription. Il est peu probable que la législature ait voulu exiger que soit donné un avis renfermant les détails d’une réclamation à l’égard de laquelle il n’y aurait peut-être jamais de cause d’action, cette dernière, de toute façon, ne pouvant prendre naissance que cinq mois après l’expiration du délai dans lequel l’avis doit être donné. Je crois que l’article 561 de la charte ne doit s’appliquer que dans les cas où le droit de faire une réclamation ou d’intenter une poursuite pour des dommages naît aussi-

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tôt que ces derniers sont subis. Je ne vois rien dans cette disposition qui soit incompatible ou inconciliable avec la disposition de la loi 29 Vict., c. 57(3), en vertu de laquelle le droit d’action initialement accordé par la loi 16 Vict., c. 233 dans des circonstances semblables à celles de l’espèce, semble être confirmé.

L’appel doit être rejeté avec dépens.

Les Juges d’appel Bissonnette et McDougall ont tous deux cité en les approuvant des passages des motifs du Juge Mignault dans l’affaire United Typewriter, pp. 251 et 252 dudit recueil.

La permission d’interjeter appel à cette Cour lui ayant été accordée par la Cour d’appel en vertu de l’art. 41 de la Loi sur la Cour suprême alors en vigueur, la ville de Québec a déposé le cautionnement exigé par l’art. 70 de la Loi sur la Cour suprême alors en vigueur, mais elle a par la suite abandonné l’appel à cette Cour.

Il semble que la Cour d’appel a oublié de tenir compte du jugement qu’elle avait rendu dans l’affaire de La Cité de Québec c. Bérubé et du jugement de cette Cour dans l’affaire United Typewriter. Aucun des deux arrêts n’a été mentionné dans le jugement de la Cour ou dans les factums.

Je suis également d’avis qu’il y a une ambiguïté entre l’art. 536 et les art. 536a et 537. Elle provient des dispositions de l’art. 536: «…nul droit d’action n’existe… à moins que, dans les trente jours de tel accident… un avis écrit n’ait été reçu…» et «aucune action en dommages‑intérêts… ne peut être intentée… avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis ci-dessus»; de celles de l’art. 536a: «aucune action… n’est recevable… si elle n’est intentée dans les six mois du jour où le droit d’action a pris naissance»; et de celles de l’art. 537: «Toute action… pour dommages… est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance…». Cette ambiguïté est aggravée par la différence de termes entre les versions française et anglaise des art. 536a et 537. Dans la version anglaise, on emploie le mot «originated» qui peut être interprété comme se rapportant à l’accident ou à l’événement en cause, tandis que, dans la version française, on emploie «a pris naissance», qui se rapporte clairement

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au moment où est né le droit d’intenter l’action. Étant donné cette ambiguïté, les dispositions relatives à la prescription doivent s’interpréter en faveur de l’appelant dont le droit d’action est, prétend-on, prescrit en vertu des articles 536a et 537.

En conséquence, je suis d’avis que l’action intentée le 18 octobre 1956 l’a été dans le délai de six mois prévu par les art. 536a et 537, et qu’il y a lieu d’accueillir le pourvoi avec dépens. Étant donné que la Cour d’appel a fondé sa décision sur le motif que l’action était prescrite, elle n’a pas traité, et cette Cour non plus, des questions de responsabilité et de dommages‑intérêts. Par conséquent, l’affaire sera renvoyée à la Cour d’appel pour être jugée sur le fond en prenant comme point de départ que l’action a été intentée dans le délai accordé par la loi.

Appel accueilli avec dépens.

Procureur du demandeur, appelant: Ste Marie, LaHaye & Giroux, Montréal.

Procureurs de la défenderesse, intimée: Létourneau, Quinlan, Forest, Raymond, Létourneau & Roy, Montréal.

[1] [1966] B.R. 144.

[2] [1934] R.C.S. 622, [1934] 4 D.L.R. 426.

[3] [1970] C.A. 522.

[4] [1966] B.R. 144.

[5] [1934] R.C.S. 622, [1934] 4 D.L.R. 426.

[6] (1910), 43 R.C.S. 387, 11 C.R.C. 304.

[7] [1935] 1 D.L.R. 203, [1934] 3 W.W.R. 549, 42 Man. R. 489.

[8] (1953), 8 W.W.R. (N.S.) 657.

[9] (1921), 62 R.C.S. 241, 68 D.L.R. 280.


Synthèse
Référence neutre : [1972] R.C.S. 387 ?
Date de la décision : 20/12/1971
Sens de l'arrêt : L’appel doit être accueilli

Analyses

Corporation municipale - Enfant heurté par un autobus - Avis à la Commission de Transport de Montréal - Droit d’action - Prescription - Action doit être intentée dans les six mois - Point de départ de la prescription, date de l’accident ou de l’avis - Charte de la Cité de Montréal, art. 536, 536a, 537.

Le 16 avril 1956, le fils mineur du demandeur fut frappé par un autobus de la commission défenderesse. Le 19 avril, avis de cet accident fut donné à la défenderesse. Le 18 octobre, le demandeur, personnellement et en sa qualité de tuteur à son fils, intenta une action contre la défenderesse pour lui réclamer des dommages-intérêts. Celle-ci plaida qu’en regard des dispositions des art. 536 et suivants de la Charte de la Cité de Montréal, l’action était prescrite. En vertu de l’art. 536, l’avis doit être donné dans les trente jours de l’accident mais l’action ne peut être intentée avant l’expiration de trente jours de la date de la réception de l’avis. En vertu de l’art. 536a, l’action doit être intentée dans les six mois du jour où le droit d’action a pris naissance. La Cour supérieure rejeta la défense. En Cour d’appel, on jugea que le plaidoyer de prescription était bien fondé et, pour ce motif, l’action fut rejetée. Le demandeur a appelé à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être accueilli.

Le Juge en Chef Fauteux et les Juges Abbott et Judson: Alors que sous le droit commun le droit d’action prend naissance à l’instant même où le quasi-délit est commis, dans le présent cas, régi par les art. 536, 536a et 537 et selon l’interprétation qu’en a donnée cette Cour dans La Cité de Québec c. Baribeau, [1934] R.C.S. 622, le droit d’action a pris naissance non pas le jour de l’accident mais après que l’avis en a été donné à la Commission. Il s’ensuit que, selon les prescriptions de l’art. 537 de la Charte, ce n’est qu’à partir du jour où la Com-

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mission a effectivement reçu l’avis que la prescription a commencé à courir. Il faut donc conclure que l’action contre la Commission n’était pas prescrite lorsqu’elle fut intentée.

Les Juges Judson, Hall et Pigeon: Un droit d’action ne prend naissance qu’au moment où un demandeur a un droit immédiat d’intenter et de poursuivre son action. Avant l’avis prescrit par l’art. 536 et l’expiration des trente jours qui le suivent, il n’y a pas de droit d’action. Il est donc clair que le droit d’action ne peut avoir «pris naissance» avant l’expiration du délai de trente jours et que par conséquent l’action n’était pas prescrite.


Parties
Demandeurs : Méthot
Défendeurs : Commission de Transport de Montréal
Proposition de citation de la décision: Méthot c. Commission de Transport de Montréal, [1972] R.C.S. 387 (20 décembre 1971)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1971-12-20;.1972..r.c.s..387 ?
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