La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/10/1972 | CANADA | N°[1974]_R.C.S._1225

Canada | Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz – G.m.b.H., [1974] R.C.S. 1225 (18 octobre 1972)


Cour suprême du Canada

Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz — G.m.b.H., [1974] R.C.S. 1225

Date: 1972-10-18

Federal Commerce and Navigation Company Limited et Halifax Overseas Freighters Limited (Défenderesses) Appelantes;

et

Eisenerz — G.m.b.H. (Demanderesse) Intimée.

1972: les 16, 17 et 18 février; 1972: le 18 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Ritchie, Hall, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Noël siégeant en amirauté dans le district d’

amirauté de Québec[1]. Appel rejeté.

L.S. Reycraft, c.r. pour les appelantes.

P.R. D. MacKell, c.r., et B. Cleven, pou...

Cour suprême du Canada

Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz — G.m.b.H., [1974] R.C.S. 1225

Date: 1972-10-18

Federal Commerce and Navigation Company Limited et Halifax Overseas Freighters Limited (Défenderesses) Appelantes;

et

Eisenerz — G.m.b.H. (Demanderesse) Intimée.

1972: les 16, 17 et 18 février; 1972: le 18 octobre.

Présents: Les Juges Abbott, Ritchie, Hall, Pigeon et Laskin.

EN APPEL DE LA COUR DE L’ÉCHIQUIER DU CANADA

APPEL d’un jugement du Juge Noël siégeant en amirauté dans le district d’amirauté de Québec[1]. Appel rejeté.

L.S. Reycraft, c.r. pour les appelantes.

P.R. D. MacKell, c.r., et B. Cleven, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE RITCHIE — Il s’agit d’un appel interjeté à l’encontre d’un jugement de M. le Juge Noël, siégeant comme juge en amirauté dans le district d’amirauté de Québec, et par lequel jugement il était statué que l’intimée propriétaire de la cargaison avait le droit de recouvrer la somme de $107,621.26 plus les intérêts, des appelantes solidairement, relativement aux dommages subis par les cargaisons de fonte en gueuse appartenant à l’intimée et transportées à bord du S.S. «OAK HILL» lorsque ce navire

[Page 1228]

s’est échoué près de la cale sèche de Lauzon dans le fleuve Saint-Laurent. Par suite de l’échouement, il a été nécessaire de décharger la cargaison en attendant que le navire soit réparé et c’est en rechargeant les cargaisons de fonte en gueuse de l’intimée à Lévis (Québec) que les deux cargaisons ont été mélangées et, jusqu’à un certain point, perdues et détruites.

Les circonstances qui ont donné lieu à la présente action sont relatées en entier et, à mon avis, avec précision, dans les motifs de jugement de M. le Juge Noël qui sont maintenant publiés dans le recueil [1970] R.C.É., à la p. 192. (Les numéros de page cités ci-après relativement à ce jugement se rapportent à ce recueil.) Il n’est donc pas nécessaire que j’expose de nouveau les faits sauf lorsque je considère la chose nécessaire pour situer les questions de droit qu’ils soulèvent.

L’appelante, Halifax Overseas Freighters Limited, est propriétaire du «OAK HILL» qu’elle fréta à temps à l’appelante, Federal Commerce and Navigation Company Limited (ci-après appelée «Federal») qui le fréta à son tour à l’intimée en vertu d’un contrat d’affrètement au voyage. Federal délivra deux connaissements visant les cargaisons de fonte en gueuse de l’intimée qui reprennent les dispositions de la charte-partie au voyage et qui lient tous deux les propriétaires puisqu’ils sont signés par le capitaine.

Les cargaisons distinctes de fonte en gueuse de l’intimée, qui semblaient alors en bon ordre et état, ont été reçues et chargées à bord du «OAK HILL» à Sorel (Québec), le 24 août 1962, dans des cales séparées, et il convient de mentionner qu’un chargement distinct d’hématite appartenant à d’autres propriétaires avait été mis à bord et arrimé séparément avant le chargement effectué à Sorel.

Les différents types de fonte étaient tous de même taille, longueur, forme et poids, la seule différence étant leur qualité et la fin à laquelle ils étaient destinés. De toute évidence, il importait de conserver séparément ces deux cargaisons en tout temps et des dispositions à cet effet

[Page 1229]

existent aux par. 24 et 49 de la charte-partie mentionnés dans les motifs de jugement du savant juge de première instance qui fait aussi la remarque suivante à la p. 197:

Les parties s’accordent à dire qu’il était entendu, bien connu et convenu que la fonte en gueuse de différentes qualités doit être conservée séparément…

Après l’échouement, le navire se dirigea vers l’Anse-Au-Foulon, sur la rive du fleuve où se trouve Québec, où l’on déchargea une partie de la cargaison autre que la fonte en gueuse, et il traversa ensuite le fleuve jusqu’à Lévis (Québec) où l’on déchargea la plus grande partie de la fonte en gueuse. On répara le navire en cale sèche, on rechargea la cargaison à Lévis et le navire se dirigea enfin vers Gênes où l’on constata que les cargaisons de l’intimée avaient été mélangées dans les différentes cales du navire et que l’hématite, chargée avant la cargaison de fonte en gueuse de l’intimée, avait aussi été mélangée avec cette dernière. Les appelantes ont apparemment admis que toute perte, dommage ou mélange de la fonte en gueuse doit s’être produit au cours de la manutention de la cargaison à Lévis.

A ce sujet, le savant juge de première instance a signalé ce qui suit:

L’avocat de la défenderesse a même affirmé (ce que la preuve corrobore pleinement, à mon avis) que le mélange, la fragmentation excessive et la perte se sont produits au cours du déchargement forcé, de l’entreposage et du rechargement au Québec…

L’action de l’intimée est d’abord fondée sur la violation par les appelantes de leur obligation, attestée par les connaissements, de transporter, surveiller et livrer les cargaisons à Gênes en aussi bon ordre et état apparent qu’au moment de leur chargement à Sorel et, plus particulièrement, sur le fait qu’alors qu’elle se trouvait sous la surveillance des appelantes, la cargaison a été fragmentée, manutentionnée avec négligence, perdue et mélangée avec d’autres cargaisons et, ensuite, mal rechargée. On a aussi allégué qu’à son départ de Sorel le «OAK HILL» n’était pas en bon état de navigabilité, en raison de la surcharge, que la perte est directement attribuable à ce mauvais état de navigabilité et que les

[Page 1230]

appelantes n’ont pas exercé une diligence raisonnable pour que le navire soit en bon état de navigabilité.

Je préfère traiter d’abord de l’allégation d’innavigabilité et, à cet égard, je fais mien le critère énoncé dans Carver’s Carriage by Sea, 12e éd., p. 90 (par. 103), où il est dit:

[TRADUCTION] L’armateur est responsable de toute perte ou dommage subi par les marchandises, quelle qu’en soit la cause, si le navire n’était pas en bon état de navigabilité lorsqu’il a entrepris sa traversée et si la perte n’aurait pu se produire, sans cette innavigabilité. Pour engager la responsabilité de l’armateur, le propriétaire des marchandises doit établir l’existence de ces deux éléments, et ne peut recouvrer des dommages et intérêts pour le seul motif que le navire n’était pas en bon état de navigabilité; il doit également démontrer que la perte ou le dommage a été causé par l’innavigabilité.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’étudier les dispositions de la Loi sur le transport des marchandises par eau, S.R.C. 1952 c. 291 (maintenant S.R.C. 1970, c. C-15) ni les articles du Code civil du Québec concernant l’obligation du capitaine d’assurer le bon état de navigabilité du navire et d’exercer une diligence raisonable à cette fin, parce que la clause n° 2 de la charte-partie contient une garantie que le navire est «étanche, bien conditionné et solide, et prêt à tous égards pour la traversée» et que le chargement à Sorel n’excédera pas ce qu’il peut «raisonnablement arrimer et transporter», et je crois que cette garantie inclut un engagement d’exercer une diligence raisonnable pour que le navire soit en bon état de navigabilité.

S’il avait été démontré que l’échouement avait été causé par l’innavigabilité du navire en raison de la surcharge ou autrement, les propriétaires du navire auraient alors été responsables de tout dommage découlant directement de cette innavigabilité, mais, en l’espèce, le savant juge de première instance a formulé la conclusion expresse, à laquelle je souscris, que la seule cause de l’échouement est une grave erreur de navigation de la part du pilote de service à ce moment-là, et aucun lien de causalité n’a été établi entre un état d’innavigabilité et l’échoue-

[Page 1231]

ment. De plus, l’intimée prétend que le dommage n’était pas une conséquence directe de l’échouement, mais qu’il avait plutôt été causé par un acte distinct de négligence dans la manutention de la cargaison. A mon avis, il s’ensuit que, même s’il était reconnu que le navire était surchargé, le propriétaire n’encourrait aucune responsabilité pour la violation de la garantie précitée.

La conclusion de M. le Juge Noël sur la cause de l’échouement se trouve à la p. 211 du Recueil:

On doit, me semble-t-il, en conclure que, quelle que fut la personne qui dirigeait le navire sur la passerelle, elle avait commis une très grave erreur de navigation, pour avoir, pendant une nuit claire, aussi mal dirigé ce navire et le faire échouer du mauvais côté de la bouée, hors du chenal. Dans ces circonstances, on ne peut expliquer cet accident que par une grave erreur de navigation du pilote qui était alors responsable du navire. Le fait que le capitaine ait été, dans une certaine mesure, négligent de n’être pas resté sur la passerelle, quelque temps après que le nouveau pilote ait pris le navire en charge, me frappe également.

En vertu des dispositions de la Clause 20 de la charte-partie, l’armateur n’encourt pas de responsabilité par suite «de négligence… de la part du pilote dans l’administration du navire et (ou) la navigation»; cette disposition se lit comme suit:

[TRADUCTION] 20. …les dommages… [dus à] tout acte, négligence, manquement ou erreur de jugement de la part du pilote, du capitaine, de l’équipage ou de tout autre préposé de l’armateur dans l’administration du navire et (ou) la navigation, et tous autres dangers ou accidents propres aux mers, fleuves et canaux de quelque nature qu’ils soient, avant et pendant ledit voyage, demeurent exclus.

Cependant, la demande de l’intimée n’est pas fondée sur la négligence qui a causé l’échouement, mais plutôt sur l’allégation que la cargaison a été endommagée par suite de la négligence avec laquelle elle a été manutentionnée alors qu’elle se trouvait sous la garde et la surveillance des appelantes au cours des opérations de déchargement, de manutention et de rechargement à Lévis.

[Page 1232]

Quant à cette dernière allégation, les appelantes répondent que le déchargement de la cargaison à Lévis constituait un acte d’avarie commune fait dans l’intérêt et du navire et de la cargaison, que tout dommage subi au port de refuge s’est produit au cours de l’acte d’avarie commune et que toutes les parties intéressées devraient par conséquent y contribuer proportionnellement.

Puisque la thèse de la défense est de nature quelque peu technique et nécessite une interprétation des Règles d’York et d’Anvers de 1950, je crois qu’il est souhaitable de se reporter aux plaidoiries écrites. Après avoir mentionné le contrat attesté par les connaissements et la charte-partie, l’intimée a allégué ce qui suit:

[TRADUCTION] 4 — Notamment, qu’il était entendu, bien connu et convenu que la fonte en gueuse de différentes qualités doit être conservée séparément; d’ailleurs, la charte‑partie, aux paragraphes 28 et 49, le stipule précisément.

5 — Qu’en violation de contrat le 25 août 1962 ou vers cette date, à 22 heures 30, près de Québec (Québec), l’OAK HILL s’est échoué sur la rive sud du fleuve St-Laurent, (Québec), Canada, ladite cargaison a été déchargée du navire et a été fragmentée, manutentionnée avec négligence, perdue et mélangée avec une autre cargaison et elle a ensuite été rechargée en partie seulement et de façon inappropriée, le tout au préjudice de la demanderesse.

6 — Qu’à l’arrivée dudit navire à Gênes le 5 décembre 1962 ou vers cette date, on a constaté que ledit chargement était partiel, endommagé et mélangé avec d’autres cargaisons, les défenderesses ont noté, vérifié et évalué la perte et le dommage et un avis en bonne et due forme leur a été donné.

8 — Que les défenderesses ont ainsi violé leur obligation légale et contractuelle de conserver lesdites cargaisons de fonte en gueuse séparément dans des cales différentes et en bon état depuis leur réception à Sorel jusqu’à leur livraison à Gênes.

D’après les différentes admissions des parties, il est clair que les points suivants ne sont pas sérieusement contestés:

(1) Qu’à Sorel, la cargaison a été bien chargée et qu’elle était, semble-t-il, en bon ordre et état.

[Page 1233]

(2) Qu’il était entendu et convenu que la fonte en gueuse de différentes qualités devait être conservée séparément.

(3) Qu’au moment du déchargement à Gênes, la cargaison était partielle, incomplète et fragmentée et qu’à cet égard, la perte et (ou) le dommage subi par la cargaison de l’intimée visée par les connaissements Sorel-Gênes numéros 1 et 2 était, tel que déterminé à Gênes, de $107,621.26.

(4) Que le dommage causé à la cargaison s’est produit au cours du déchargement forcé, de l’entreposage et du rechargement à Lévis.

A mon avis, ces circonstances établissent une preuve prima facie qu’il y a eu violation de l’obligation fondamentale, attestée par les connaissements et la charte-partie, de livrer la cargaison à Gênes en aussi bon ordre et état qu’au moment de son chargement à Sorel, et si ce n’était des allégations contenues dans le paragraphe 8 de l’exposé de la défense des appelantes, je crois que l’intimée pourrait avoir gain de cause dans la présente action pour ce motif. Reste à décider, cependant, la question soulevée au par. 8 de l’exposé de la défense des appelantes, qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] 8. Que si ladite fonte en gueuse a subi des pertes ou dommages, ou a été mélangée, alors qu’elle se trouvait sous la garde et surveillance des défenderesses, ce qui est nié, ces pertes, dommages et mélange sont attribuables en tout ou en partie aux opérations de manutention, déchargement, entreposage, rechargement et arrimage de ladite fonte en gueuse à la suite de l’échouement susmentionné, opérations qui n’ont pas été entreprises par les défenderesses, mais par le dispacheur d’avarie commune et (ou) ses agents nommés pour le compte de l’armateur, du propriétaire de la cargaison et de toutes les parties intéressées, ou sur les instructions du dispacheur et (ou) de ses agents, des actes desquels les défenderesses déclarent ne pas être responsables, et les défenderesses invoquent le paragraphe 13 de la charte-partie susmentionnée, datée du 17 juillet 1962 à Hambourg, qui prévoit le règlement des avaries communes selon les Règles d’York et d’Anvers de 1950, et en particulier la règle XII de ces dernières.

[Page 1234]

Le par. 13 de la charte-partie se lit comme suit:

[TRADUCTION] 13. Toute avarie visée par la présente charte sera réglée suivant les Règles d’York et d’Anvers.

En réponse à ce moyen de défense, l’intimée affirme, entre autres:

[TRADUCTION] 7. Le paragraphe huit est nié et, en particulier, la demanderesse allègue que les défenderesses ne peuvent pas plaider l’avarie commune en l’espèce;…

L’inclusion du par. 13 de la charte-partie a introduit dans le contrat de transport une condition selon laquelle, dans le cas d’une perte ou d’un dommage d’avarie commune, les Règles d’York et d’Anvers font partie du contrat aux fins du règlement de «l’avarie».

Le par. 7 de la réponse de l’intimée à la défense a mis directement en litige la question de savoir si la perte ou le dommage qu’on allègue avoir été causé par «violation de contrat, négligence ou délit» était effectivement une perte d’avarie commune devant être supportée tant par les armateurs que par les propriétaires de la cargaison.

L’expression «avarie commune» désigne la procédure à suivre lorsque le navire et toute sa cargaison sont tous deux en danger par suite de quelque péril de mer. Dans des cas semblables, si le capitaine prend délibérement et raisonnablement dans l’intérêt de tous les intéressés des mesures qui ont pour conséquence directe d’endommager le navire ou la cargaison, la perte devient une «perte d’avarie commune» et elle est répartie entre toutes les parties à l’aventure maritime.

À ce sujet, l’exemple le plus frappant et peut-être le plus ancien dans les recueils est celui où une mer déchaînée rend nécessaire l’allégement du navire et où une partie de la cargaison est jetée à la mer pour sauver le navire et le reste de la cargaison. Par contre, l’avarie commune peut s’appliquer à tout sacrifice fait ou à toute dépense encourue intentionnellement et raisonnablement dans l’intérêt commun face à une urgence. Lowndes and Rudolf on General Aver-

[Page 1235]

age (9e éd. — British Shipping Laws — Vol. 7) qui est depuis longtemps considéré comme un ouvrage classique, considère que l’ancienne définition de l’avarie commune contenue dans le jugement rendu par le Juge Lawrence dans Birkley v. Presgrave[2], a été tellement appliquée par les Cours d’Angleterre qu’elle est presque devenue une maxime. Le Juge Lawrence y disait ceci:

[TRADUCTION] Toute perte subie par suite d’un sacrifice extraordinaire ou de dépenses extraordinaires, en vue de sauver le navire et la cargaison, est admissible en avarie commune et doit être supportée par tous les intéressés suivant une contribution proportionnelle.

En l’espèce, l’échouement à Lauzon est l’événement qui a rendu nécessaire le déchargement de la cargaison du «OAK HILL» et son entrée en cale sèche. Cette décision a été prise par le capitaine et il n’a pas été allégué que cette décision était déraisonnable. Elle a été prise tant dans l’intérêt du navire que de celui de la cargaison et peut donc être désignée à bon droit comme un «acte d’avarie commune» qui a été causé par une négligence dans la navigation, dont les armateurs ne sont pas responsables en vertu de la charte-partie. Quoique la décision de décharger fût un acte d’avarie commune, il ne s’ensuit pas nécessairement que la perte et le dommage causés à la cargaison de l’intimée ont été une «perte d’avarie commune» relevant des Règles d’York et d’Anvers.

À mon avis, il serait faux de supposer qu’en ce qui concerne la procédure d’avarie commune, les Règles d’York et d’Anvers doivent être considérées comme un code régissant les droits des parties intéressées, à l’exclusion des autres droits et obligations créés par le contrat de transport. À mon avis, le par. 13 de la charte-partie a simplement pour effet d’inclure les Règles comme partie du contrat et bien que le capitaine ait agi dans l’intérêt de tous les intéressés dans l’acte d’avarie commune, il représente l’armateur et à ce titre, son obligation première de veiller sur la cargaison est toujours prépondérante et la perte ou le dommage causé

[Page 1236]

à la cargaison par suite d’une violation de cette obligation n’est pas à mon avis «une perte d’avarie commune» à laquelle les Règles s’appliquent.

À mon avis, les Règles d’York et d’Anvers ne contiennent aucune disposition de nature à libérer le capitaine de sa responsabilité de voir à ce que la cargaison soit convenablement manutentionnée et surveillée au cours de l’exécution de la procédure d’avarie commune. À cet égard, dans Carver’s Carriage By Sea, 12e éd., vol. 2, on trouve l’énoncé suivant à la p. 752 en ce qui concerne le rôle du capitaine quand il agit au nom des armateurs dans les cas de nécessité:

[TRADUCTION] Mais bien que ces actes soient faits par le capitaine pour le compte du propriétaire des marchandises et avec son autorisation tacite de manière à le lier, ils sont toujours faits par le capitaine en tant que préposé et mandataire de l’armateur et l’armateur est responsable s’il exerce mal cette autorité.

Au soutien de cette proposition, un des précédents cités par Carver est l’ancienne affaire Notara v. Henderson[3], une action intentée contre les armateurs par les chargeurs d’une cargaison de haricots et dans laquelle on prétendit que les armateurs étaient responsables de la négligence du capitaine qui avait omis de prendre un soin raisonnable des haricots, disait‑on, du fait qu’il ne les avait pas fait sécher au port de Liverpool, où le navire avait été conduit pour être réparé par suite d’un accident maritime résultant d’une collision en mer «pour les conséquences immédiates et nécessaires de laquelle» l’armateur était exempt de toute responsabilité en vertu du connaissement. Dans cette dernière affaire, le jugement est relativement long, mais son effet me paraît être résumé d’une façon précise dans le premier alinéa du commentaire qui se lit comme suit:

[TRADUCTION] Il incombe au capitaine d’un navire, en tant que représentant de l’armateur, de prendre un soin raisonnable des marchandises qui lui sont confiées, non seulement en faisant le nécessaire pour les protéger à bord du navire au cours des incidents ordinaires du voyage, mais aussi en prenant des mesures positives qu’il est raisonnablement possible

[Page 1237]

de prendre compte tenu de toutes les circonstances aux fins de contenir et d’arrêter la perte ou la détérioration résultant d’accidents pour les conséquences immédiates et nécessaires desquels l’armateur est exempt de toute responsabilité en raison d’une exception contenue dans le connaissement. Et l’armateur répond au chargeur de la négligence du capitaine à l’égard de ce devoir.

Avant d’examiner si les appelantes peuvent à bon droit invoquer les Règles d’York et d’Anvers en l’espèce, il me semble souhaitable d’examiner la disposition des Règles. Les Règles portent les lettres A à G et les numéros I à XII et sont précédées d’une règle d’interprétation qui se lit comme suit:

Dans le règlement d’avaries communes, les Règles suivantes précédées de lettres et de numéros doivent s’appliquer à l’exclusion de toute loi et pratique incompatibles avec elles.

À l’exception de ce qui est prévu par les Règles numérotées, l’avarie commune doit être réglée conformément aux Règles précédées de lettres.

En commentant cette Règle, Lowndes and Rudolf dans l’ouvrage déjà cité, font la remarque suivante, p. 548, par. 546:

[TRADUCTION] La première phrase des Règles prévoit que les Règles ne doivent pas être interprétées comme une simple codification de quelque loi nationale ou de quelque pratique nationale ou internationale. Ainsi, elles ont le même effet qu’un contrat entre les parties et doivent être interprétées comme tout autre contrat. Cependant, elles ne constituent pas un code complet ou autonome et il est nécessaire d’en combler les lacunes par les prescriptions du droit commun qui s’appliquent au contrat.

Le par. 8 de l’exposé de la défense invoque expressément la Règle XII qui se lit comme suit:

RÈGLE XII

Le dommage ou la perte subis par la cargaison, le combustible ou les approvisionnements dans les opérations de manutention, déchargement, emmagasinage, rechargement et arrimage sera admis en avarie commune lorsque le coût respectif de ces opérations sera admis en avarie commune et dans ce cas seulement.

Les appelantes ont prétendu que les dispositions de la Règle XII doivent s’interpréter

[Page 1238]

comme signifiant que tout dommage ou toute perte subis par la cargaison au cours de la procédure d’avarie commune doivent être admis en avarie commune.

À ce sujet, le savant juge de première instance a invoqué les dispositions de la Règle D des Règles qui se lit comme suit:

RÈGLE D

Lorsque l’événement qui a donné lieu au sacrifice ou à la dépense aura été la conséquence d’une faute commise par l’une des parties engagées dans l’aventure, il n’y en aura pas moins lieu à contribution, mais sans préjudice des recours pouvant être ouverts contre cette partie à raison d’une telle faute.

M. le Juge Noël a interprété cette disposition comme signifiant que:

…la procédure d’avarie commune n’a aucun rapport avec le droit d’une partie d’exercer quelque recours qu’elle puisse avoir contre une des parties à une avarie commune, en raison d’une faute commise et qui lui a causé un dommage; elle ne le modifie en rien.

et le savant juge de première instance a poursuivi en ces fermes:

Telle serait en fait la situation de la demanderesse en l’espèce, si on pouvait établir qu’elle a un recours contre les défenderesses pour les dommages subis par sa cargaison au cours des opérations de rechargement menées à Québec après l’échouement du navire, que l’on puisse ou non exercer un recours en avarie générale contre toutes les parties à l’aventure commune.

À mon avis, la Règle D a pour effet de prévoir que l’avarie commune doit être réglée indépendamment de la question de savoir qui a commis la faute ayant entraîné l’acte d’avarie commune, mais que les recours contre la partie responsable de cette faute demeurent néanmoins. Soit dit avec le plus grand respect pour les vues du savant juge de première instance, je ne puis conclure que la dernière partie de la Règle D a pour effet de conserver les recours pouvant être ouverts contre une des parties en raison «d’une faute… qui peut avoir causé le dommage» et je ne crois pas qu’il faut l’interpréter comme limitant la portée de la Règle XII dans la mesure où cette règle prévoit que «le dommage ou la perte subis par la cargaison… dans les opéra-

[Page 1239]

tions de manutention… sera admis en avarie commune lorsque le coût de ces opérations sera admis en avarie commune et dans ce cas seulement.»

En concluant que la Règle D a pour effet de conserver le droit de toute partie à tous recours qu’elle peut avoir contre une des parties à une avarie commune en raison d’une faute quelconque qui a causé le dommage, M. le Juge Noël s’est appuyé sur un jugement rendu par le Juge Pearson dans Goulandris Bros. v. B. Goldman & Sons Ltd.[4], où il a dit à la p. 92:

[TRADUCTION] Je comprends donc que l’élaboration d’un règlement d’avarie commune, dans une affaire compliquée, puisse prendre des années. Pour des raisons pratiques, il est donc très souhaitable, presque indispensable, de ne pas accroître et compliquer cette tâche encore davantage en soulevant la question de savoir si l’accident a été causé par la faute ou les fautes d’une ou plusieurs parties. En outre, une telle question ne serait tranchée que par les tribunaux ou par arbitrage, puisqu’elle dépasse le cadre de l’avarie commune et peut toucher d’autres problèmes. Les dispacheurs d’avaries devraient être en mesure de fournir des chiffres qui, du moins en ce qui les concerne, seraient des chiffres définitifs. Une fois qu’ils ont produits ces chiffres, se pose la question de l’exécution; c’est alors qu’entre en jeu la seconde partie de la règle D. La dispache d’avarie peut révéler que X doit £100. à Y; mais cela sans préjudice des recours dont X pourrait disposer au cas où la faute d’Y aurait causé l’accident. (J’ai mis des mots en italique).

Il est vrai que, dans le même alinéa de ses motifs de jugement, le Juge Pearson a étudié la Règle D de la manière suivante:

[TRADUCTION] La première partie se rapporte aux droits de réclamer la contribution à l’avarie commune, tels qu’ils sont précisés par la dispache d’avarie; c’est à juste titre qu’on parle de «droits», puisque leur titulaire peut exiger paiement. Mais la seconde partie de la règle stipule que la première ne préjuge pas les recours éventuels pour fautes. Ceci implique que, dans certains cas, les recours mentionnés par la seconde partie de la règle prendront le pas sur les droits mentionnés dans la première; en d’autres termes, la seconde partie a l’effet d’une condition, d’une réserve, d’une disposition prépondérante, limi-

[Page 1240]

tative ou dérogatoire, par rapport à la première. Les droits peuvent être annulés, écartés, restreints ou modifiés de toute autre manière par l’existence de ces recours. En ce sens, les droits mentionnés dans la première partie de la règle sont des droits prima facie, puisqu’ils n’existent que sous réserve des recours.

Je crois que c’est ce dernier passage, et surtout l’énoncé «que la première ne préjuge pas les recours éventuels pour fautes», qui a motivé M. le Juge Noël à conclure que la seconde partie de la Règle D se rapportait à toute faute commise par une des parties à l’avarie commune. À mon avis, lorsque les motifs de jugement du Juge Pearson sont lus dans leur ensemble, il est clair que les fautes visées sont celles qui ont causé l’accident qui a ensuite donné lieu au sacrifice d’avarie commune. L’expression «telle faute» qui se trouve à la dernière ligne de la Règle D doit, à mon avis, être interprétée comme se rapportant aux mots «une faute» dans la première partie de la règle, et les recours conservés sont donc ceux qui sont opposables à la partie dont la faute a causé l’événement qui a donné lieu au sacrifice d’avarie commune.

Bien que je sois d’avis que la Règle D n’a pour effet que de préserver les recours qui peuvent être ouverts contre une des parties dont la faute a donné lieu au sacrifice, il ne s’ensuit pas que tout dommage ou perte «subis par la cargaison… dans les opérations de manutention, déchargement, rechargement et arrimage» doivent être admis en avarie commune, car il faut remarquer qu’en vertu des dispositions de la Règle XII, ceci s’applique «lorsque le coût respectif de ces opérations sera admis en avarie commune et dans ce cas seulement.»

Les seules pertes ou les seuls dommages susceptibles d’être admis en avarie commune sont ceux mentionnés dans la Règle C qui se lit comme suit:

RÈGLE C

Seuls les dommages, pertes ou dépenses qui sont la conséquence directe de l’acte d’avarie commune, seront admis en avarie commune.

Comme nous l’avons signalé, le déchargement de la cargaison à Lévis a constitué l’acte d’avarie commune et la manutention et le recharge-

[Page 1241]

ment à ce port faisaient tous partie de la procédure d’avaire commune, mais l’intimée prétend que le dommage causé aux cargaisons de fonte en gueuse n’était pas une «conséquence directe de l’acte d’avarie commune» puisqu’il a été causé par la négligence du capitaine et de ceux qu’il avait employés pour exécuter cette procédure.

En exécutant la procédure d’avarie commune, le capitaine agit au nom et dans l’intérêt à la fois du navire et des propriétaires de la cargaison; en l’espèce, le capitaine a confié le déchargement et le rechargement de la cargaison à Hayes, Stuart and Company, qui sont ici les experts d’avarie commune, mais je suis d’accord avec M. le Juge Noël que le capitaine n’a pas été par là libéré de la responsabilité ultime d’exécuter correctement la procédure d’avarie.

Le sens à donner à l’expression «conséquence directe» dans la Règle C a fait l’objet d’un jugement minutieusement motivé de Lord Denning dans Australian Coastal Shipping Commission v. Green et al[5], où il passe en revue un grand nombre de précédents et conclut que:

[TRADUCTION] Les conséquences directes sont les conséquences qui découlent de l’acte d’une façon ininterrompue tandis que les “conséquences indirectes” sont celles qui interviennent quand la séquence est interrompue par une cause distincte et extérieure.

et le savant juge ajoute ceci:

[TRADUCTION] Je me rends bien compte que cette explication n’est pas très utile parce que la métaphore “briser la chaîne” de causalité signifie une chose pour un et autre chose pour un autre; mais enfin, il nous faut en tirer le meilleur parti possible.

Lord Denning exprime son propre avis dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Si le capitaine, en faisant un “acte d’avarie commune”, devait raisonnablement prévoir qu’un accident subséquent du genre pouvait survenir, ou même était nettement possible, alors, l’accident subséquent ne brise pas le lien de causalité. La perte ou le dommage est la conséquence directe de l’acte d’avarie commune initial.

[Page 1242]

Il me semble que même si l’avis de Lord Denning est retenu, cela ne doit pas signifier que le capitaine doit être libéré de la responsabilité découlant de sa propre négligence en faisant valoir que l’accident ultérieur était “raisonnablement prévisible”. À mon avis, s’il est établi que la perte ou le dommage a été causé par suite de la négligence du capitaine dans l’exécution de la procédure d’avarie commune, on ne peut plus affirmer qu’il s’agit d’une conséquence directe de l’acte d’avarie commune. Le lien de causalité se trouve brisé par la survenance d’une nouvelle cause et, à mon avis, le comité qui a adopté les Règles d’York et d’Anvers n’avait pas en vue que le capitaine puisse réclamer une perte d’avarie commune pour la raison qu’il a pu prévoir la possibilité qu’il serait négligent.

La question de fait sur laquelle repose le sort du présent appel est de savoir si le dommage a été causé à la cargaison par suite d’une négligence dont les appelantes sont responsables. Malgré l’obligation de garder séparées les cargaisons, stipulée à la charge des appelantes, il est clairement démontré que ni le capitaine, ni les experts et dispacheurs employés par les appelantes n’ont pris de mesures pour empêcher le mélange de la fonte en gueuse à Lévis.

Le témoignage du capitaine démontre clairement qu’il a confié les opérations de déchargement, de manutention et de rechargement de la cargaison aux experts et que non seulement il n’a exercé aucune surveillance mais semble ne pas s’être considéré obligé de participer à la procédure. Sur ce point, sa déposition est la suivante:

[TRADUCTION] Q. Eh bien, qu’avez-vous fait? Avez-vous gardé la haute main sur tout? Étiezvous responsable ou étaient-ils responsables?

R. Ils étaient responsables de ce qui concernait le déchargement et le chargement de la cargaison.

Q. De la surveillance de la cargaison…?

R. Elle leur incombait.

Q. Vous avez abandonné la surveillance, n’est-ce-pas?

R. Eh bien, oui.

[Page 1243]

Le rôle de l’expert ou dispacheur d’avarie commune dans l’exécution de la procédure d’avarie commune est décrit dans le témoignage de M. George Hayes, le président de Hayes, Stuart & Company Limited, compagnie dont les appelantes ont retenu les services en cette qualité au cours du déchargement et du rechargement du “OAK HILL” à Lévis. M. Hayes a témoigné sur citation de l’intimée; au cours de l’interrogatoire principal du témoin, on a abordé le sujet des fonctions de l’expert:

[TRADUCTION] Q. Est-il un surveillant?

R. Non, il n’est pas un surveillant.

Q. Qui emploie le surveillant?

R. Habituellement les hommes sont employés par l’entremise des mandataires du navire, le surveillant, et les arrimeurs et cetera. C’est habituellement le mandataire.

Q. Avez-vous employé les arrimeurs, votre firme?

R. Non, pas nous.

Q. Avez-vous employé le surveillant?

R. Non, nous ne l’avons pas employé.

Q. Vous dites qu’ils sont employés par les mandataires du navire?

R. Habituellement par les mandataires du navire au nom du capitaine. Il est le préposé du capitaine aux fins de charger le nécessaire.

Et plus loin:

[TRADUCTION] Q. Et qui prend les décisions, par exemple, vous avez déjà dit que l’employé des affréteurs et le surveillant et cetera n’est pas engagé par vous, qui donne les directives — vous avez déjà dit que vous n’engagez pas les arrimeurs ni le surveillant, qui donne les directives à ces arrimeurs et à ces surveillants?

R. En fait, le surveillant et les arrimeurs sont les préposés du capitaine du navire. Bien que vous ayez des discussions avec le capitaine et les arrimeurs et vous-même et que vous teniez des réunions afin de régler les problèmes et trouver la meilleure solution si la cargaison est mouillée ou sous l’eau, la meilleure façon de la manutentionner, mais habituellement, c’est là une réunion groupant toutes les parties intéressées et c’est convenu en conséquence.

Q. Mais alors, le capitaine exécute toutes les décisions qu’il veut et le reste?

[Page 1244]

R. Oui, en théorie, le capitaine a le dernier mot.

Enfin, interrogé en contre-interrogatoire par l’avocat des appelantes, M. Hayes a dit ceci au sujet du dispacheur d’avarie commune:

[TRADUCTION] — R. Habituellement, un bon dispacheur d’avarie commune discute de chaque manœuvre avec le capitaine du navire ou l’officier supérieur.

Il n’y a aucune preuve qu’une surveillance a été exercée par l’expert à Lévis et, en fait, les appelantes n’ont convoqué aucun témoin pour expliquer ce qui s’est produit relativement à la manutention de la cargaison et leur seule réponse à l’allégation de négligence était que les installations du Port de Lévis étaient si mauvaises pour la réception de la fonte en gueuse qu’elle aurait été mélangée et fragmentée sans qu’intervienne la négligence de personne.

La preuve de négligence a été apportée par les deux experts qui ont examiné la cargaison à Gênes et qui ont témoigné sur citation des appelantes. Un de ces témoins, Alfonso Oliva, après. avoir reconnu qu’il était incontestable que la plus grande partie du mélange et de la fragmentation s’était produit au moment du déchargement forcé à Lévis, a été contre‑interrogé relativement au mélange et il a donné les réponses suivantes:

[TRADUCTION] — Q. L’annexe numéro 2 indique que, par exemple, dans la cale numéro 5, au lieu de mille deux cent cinquante-six (1256) tonnes fortes, il y en avait mille deux cent quatre-vingt-quinze (1295), et il y est inscrit: «mélangé avec le reste de la cargaison»; c’est un mélange et un chargement très bâclé, il y a négligence ou bâclage, n’est-ce-pas M. Oliva?

R. Oui.

Q. Je vous exhibe l’annexe numéro 1 qui indique qu’il y avait dans la cale numéro 4, avant l’échouement, mille huit cent cinquante (1850) tonnes d’hématite, et dans l’annexe numéro 2, il n’y a que mille sept cent neuf (1709) tonnes d’hématite et elle est mélangée avec le reste de la cargaison. Qu’en pensez-vous? S’agit-il de négligence?

R. Oui, il s’agit indubitablement de négligence.

[Page 1245]

L’autre expert, le capitaine Baldi, reconnaît d’une manière générale que la cargaison [TRADUCTION] «avait été mal manutentionnée» à Lévis.

Ces témoignages reflètent l’opinion d’experts hautement qualifiés qui ont déposé sur citation des appelantes; ils n’ont pas été contredits et, à mon avis, ils corroborent la conclusion de M. le Juge Noël selon laquelle:

…les dommages en l’espèce ont été causés en fait par les actes conjoints de négligence des experts, du capitaine, des officiers et de l’équipage dans l’organisation de la cargaison à un moment où le navire ne naviguait pas mais se trouvait à l’ancre dans un bassin, où il est resté pendant toutes les opérations de déchargement et de rechargement.

Je crois qu’il est important de signaler le fait que la demande de l’intimée est une demande en dommages-intérêts pour négligence dans l’exécution d’un contrat de transport et non une demande en avarie commune. Les appelantes sont les seules parties qui réclament l’avarie commune et puisqu’on nie expressément leur droit de la réclamer, il incombe aux appelantes, vu les plaidoiries écrites échangées, de prouver que la perte subie est une perte d’avarie commune. Cette position est appuyée par les dispositions de la Règle E des Règles d’York et d’Anvers qui se lit comme suit:

RÈGLE E

La preuve qu’une perte ou une dépense doit effectivement être admise en avarie commune incombe à celui qui réclame cette admission.

À mon avis, on ne peut se décharger de ce fardeau de la preuve sans prouver que la perte et le dommage allégués étaient «la conséquence directe de l’acte d’avarie commune».

Lorsqu’il procède à l’acte d’avarie commune et fait toutes les dépenses raisonnables et nécessaires s’y rapportant, il faut présumer que le capitaine agit en vertu d’une autorisation implicite des propriétaires de la cargaison et également des armateurs, mais cette autorisation ne vas pas jusqu’à considérer les propriétaires de la cargaison comme ne faisant qu’un avec la négligence du capitaine ou de ceux qu’il emploie

[Page 1246]

dans l’exécution de la procédure d’avarie commune, ou jusqu’à constituer une dérogation à sa responsabilité première de veiller sur la cargaison en sa qualité de préposé de l’armateur.

À mon avis, les dépenses subies dans la manutention de la cargaison à Lévis étaient une conséquence directe de l’acte d’avarie commune, mais la négligence conjointe du capitaine et des experts et arrimeurs qui agissaient à titre de préposés du capitaine, laquelle est la cause du dommage, n’était pas attribuable à l’acte d’avarie commune; elle a été une cause distincte et indépendante que l’on ne peut qualifier de prévisible que si l’on considère que le capitaine devrait prévoir la possibilité de sa propre négligence et de celle de ses préposés. Comme je l’ai signalé, je ne puis souscrire à cette proposition et il s’ensuit qu’à mon avis, les appelantes n’ont pas établi que le dommage allégué était «la conséquence directe de l’acte d’avarie commune».

Comme nous le verrons, je souscris à l’appréciation qu’a faite le savant juge de première instance de la négligence qui, selon lui, a été établie en l’espèce et dont il dit ceci:

Ces actes de négligence, même s’ils ont été commis pendant la procédure d’avarie commune, ne peuvent être considérés, me semble-t-il, comme des actes de la demanderesse, de façon à l’empêcher de recouvrer des dommages et intérêts pour sa cargaison.

Le montant de $107,621.26, qui représente la perte ou le dommage causé à la cargaison tel que déterminé au moment du déchargement à Gênes, ne semble pas tenir compte des légers dommages que toute cargaison semblable aurait pu subir au cours du chargement et du déchargement forcés à Lévis même en l’absence de toute négligence, mais puisque les appelantes n’ont présenté aucune preuve pour indiquer l’étendue d’un tel dommage incident, si dommage il y a, et puisque la question du montant ne semble pas en litige, je ne crois pas qu’il appartienne à cette Cour de modifier l’indemnité accordée par le savant juge de première instance.

[Page 1247]

Au cours de ces motifs, j’ai fait mention à l’occasion de la responsabilité des «armateurs» et je devrais peut-être ajouter que cette responsabilité est partagée par les affréteurs à temps et que les deux appelantes sont solidairement responsables.

Pour ces motifs, je suis d’avis de rejeter l’appel avec dépens.

Appel rejeté avec dépens.

Procureurs des défenderesses, appelantes: Brisset, Reycraft, Bishop & Davidson, Montréal.

Procureurs du demandeur, intimé: Martineau, Walker, Allison, Beaulieu, Phelan & MacKell, Montréal.

[1] [1970] R.C.É. 192.

[2] [1800-1] 1 East 220.

[3] (1872), L.R. 7 Q.B. 225.

[4] [1958] 1 Q.B.D. 74.

[5] [1971] 1 Lloyds R. 16.


Synthèse
Référence neutre : [1974] R.C.S. 1225 ?
Date de la décision : 18/10/1972
Sens de l'arrêt : L’appel doit être rejeté

Analyses

Navigation - Amirauté - Navire échoué - Déchargement et rechargement de la cargaison - Dommages - Négligence conjointe du capitaine et de ses préposés - Responsabilité des armateurs non partagée par propriétaire de la cargaison - Responsabilité du capitaine en tant que préposé de l’armateur - Clause de la charte-partie relative au règlement d’avarie commune - Règles d’York et d’Anvers - Règles C.D.E. - Sens des expressions «acte d’avarie commune» et «perte d’avarie commune» - Dommages ne découlant pas de l’acte d’avarie commune - Absence de lien de causalité entre état d’innavigabilité et échouement.

L’appelante, Halifax Overseas Freighters Limited, est propriétaire d’un navire qu’elle frêta à temps à l’appelante, Federal Commerce and Navigation Company Limited, ci-après appelée «Federal», qui le frêta à son tour à l’intimée en vertu d’un contrat d’affrètement de voyage. Federal délivra deux connaissements visant les cargaisons de fonte en gueuse de l’intimée qui reprenaient les dispositions de la charte-partie au voyage et qui liaient tous deux les propriétaires puisqu’ils étaient signés par le capitaine. En vertu de la charte-partie, les deux cargaisons furent chargées à bord du navire, dans des cales séparées, étant donné que les deux types de fonte, qui étaient de même taille, longueur, forme et poids, étaient de qualités différentes et destinés à des fins différentes. Les appelantes devaient transporter, surveiller et livrer les cargaisons à Gênes en aussi bon ordre et état apparent qu’au moment de leur chargement à Sorel.

Le navire échoua près de Lauzon et il fut nécessaire de décharger la cargaison en attendant qu’il fut réparé à Lévis. En rechargeant les cargaisons de fonte en gueuse de l’intimée à Lévis, celles-ci furent mélangées dans les différentes cales du navire et l’hématite, chargée avant les cargaisons de fonte en gueuse, fut aussi mélangée avec ces dernières à un

[Page 1226]

point qu’elles furent perdues et détruites. Les appelantes furent condamnées solidairement relativement aux dommages subis par l’intimée par le juge en amirauté dans le district d’amirauté de Québec. D’où le pourvoi à cette Cour.

Arrêt: L’appel doit être rejeté.

Pour ce qui est d’abord de l’allégation d’innavigabilité soulevée par l’intimée, la garantie d’étanchéité et de bonne condition, mentionnée dans la charte-partie, inclut un engagement d’exercer une diligence raisonnable pour que le navire soit en bon état de navigabilité. Or la seule cause de l’échouement est une grave erreur de navigation de la part du pilote de service à ce moment-là, et aucun lien de causalité n’a été établi entre un état d’innavigabilité et l’échouement.

L’inclusion du par. 13 de la charte-partie a introduit dans le contrat de transport une condition selon laquelle, dans le cas d’une perte ou d’un dommage d’avarie commune, les Règles d’York et d’Anvers font partie du contrat aux fins du règlement de «l’avarie». L’échouement est l’évènement qui a rendu nécessaire le déchargement de la cargaison. Cette décision a été prise par le capitaine tant dans l’intérêt du navire que de celui de la cargaison et peut donc être désignée à bon droit comme un «acte d’avarie commune» qui a été causé par une négligence dans la navigation, dont les armateurs ne sont pas responsables en vertu de la charte-partie. Mais il ne s’ensuit pas nécessairement que la perte et le dommage causés à la cargaison de l’intimée ont été une «perte d’avarie commune» relevant des Règles d’York et d’Anvers.

La Règle D a pour effet de prévoir que l’avarie commune doit être réglée indépendamment de la question de savoir qui a commis la faute ayant entraîné l’acte d’avarie commune, mais que les recours contre la partie responsable de cette faute demeurent néanmoins. Il faut cependant remarquer qu’en vertu des dispositions de la Règle C, seuls les dommages, pertes ou dépenses qui sont la conséquence directe de l’acte d’avarie commune, seront admis en avarie commune.

Lorsqu’il procède à l’acte d’avarie commune et fait toutes les dépenses raisonnables et nécessaires s’y rapportant, il faut présumer que le capitaine agit en vertu d’une autorisation implicite des propriétaires de la cargaison et également des armateurs, mais cette autorisation ne va pas jusqu’à considérer les propriétaires de la cargaison comme ne faisant qu’un avec la négligence du capitaine ou de ceux qu’il emploie dans l’exécution de la procédure d’avarie commune, ou

[Page 1227]

jusqu’à constituer une dérogation à sa responsabilité première de veiller sur la cargaison en sa qualité de préposé de l’armateur. Les dépenses subies dans la manutention de la cargaison étaient une conséquence directe de l’acte d’avarie commune, mais la négligence conjointe du capitaine et des experts et arrimeurs qui agissaient à titre de préposés du capitaine, laquelle est la cause du dommage, n’était pas attribuable à l’acte d’avarie commune; elle a été une cause distincte et indépendante que l’on ne peut qualifier de prévisible que si l’on considère que le capitaine devrait prévoir la possibilité de sa propre négligence et de celle de ses préposés. Les appelantes n’ont pas établi que le dommage allégué était la conséquence directe de l’acte d’avarie commune comme il leur incombait en vertu de la Règle E.

De fait la demande de l’intimée est une demande en dommages-intérêts pour négligence dans l’exécution d’un contrat de transport et non une demande en avarie commune. Les appelantes sont les seules parties à réclamer l’avarie commune. Les actes de négligence du capitaine, même s’ils ont été commis pendant la procédure d’avarie commune, ne peuvent être considérés comme des actes de l’intimée de façon à l’empêcher de recouvrer des dommages et intérêts pour sa cargaison. La responsabilité des «armateurs» est partagée par les affréteurs à temps et les deux appelantes sont solidairement responsables.


Parties
Demandeurs : Federal Commerce and Navigation Co. Ltd.
Défendeurs : Eisenerz – G.m.b.H.
Proposition de citation de la décision: Federal Commerce and Navigation Co. Ltd. c. Eisenerz – G.m.b.H., [1974] R.C.S. 1225 (18 octobre 1972)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1972-10-18;.1974..r.c.s..1225 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award