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25/01/1977 | CANADA | N°[1977]_2_R.C.S._523

Canada | Sokoloski c. R., [1977] 2 R.C.S. 523 (25 janvier 1977)


Cour suprême du Canada

Sokoloski c. R., [1977] 2 R.C.S. 523

Date: 1977-01-25

Robert Joseph Sokoloski (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1976: le 18 novembre; 1977: le 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

Cour suprême du Canada

Sokoloski c. R., [1977] 2 R.C.S. 523

Date: 1977-01-25

Robert Joseph Sokoloski (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

1976: le 18 novembre; 1977: le 25 janvier.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Judson, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz et de Grandpré.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.


Synthèse
Référence neutre : [1977] 2 R.C.S. 523 ?
Date de la décision : 25/01/1977
Sens de l'arrêt : Le pourvoi doit être rejeté

Analyses

Droit criminel - Complot - Complot de faire le trafic d’une drogue contrôlée - Preuve établissant le complot - Faits constituant le complot de faire le trafic - Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27, par. 34(1) - Code criminel, art. 423(1)d).

En avril 1972 la police avait pris en filature une automobile conduite par un certain Davis. Pendant l’opération on remarqua que Davis passait une poudre blanche (méthamphétamine) à une personne qui l’accompagnait qui la jeta par la fenêtre. Après l’arrestation de Davis et de sa compagne, la police fit une perquisition au domicile de Davis et trouva des accessoires utilisés pour le trafic de drogues. Pendant la perquisition le téléphone sonna et un policier répondit. La personne qui appelait, Sokoloski, demanda au policier, qu’il croyait être Davis, si «la camelote était enfin arrivée?» L’agent de police répondit qu’elle était arrivée et fixa un rendezvous à l’appelant pour la lui livrer. Il fut convenu que l’appelant aurait un chèque de $1,100 pour acheter une livre de la substance. En première instance, la preuve révéla que la drogue avait une valeur de revente de $9,000. Le juge de première instance a acquitté l’appelant d’une accusation d’avoir comploté avec d’autres de faire le trafic d’une drogue contrôlée parce que le ministère public n’avait pas prouvé l’existence d’un accord entre l’appelant et Davis pour trafiquer. Toutefois, la Cour d’appel a infirmé le jugement d’acquittement et inscrit une déclaration de culpabilité.

Arrêt (le juge en chef Laskin et les juges Judson, Spence et Dickson étant dissidents): Le pourvoi doit être rejeté.

Les juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré: Décider que pour établir le complot dont fait mention l’acte d’accusation, il était nécessaire de prouver un accord entre les parties pour, conjointement, fabriquer, vendre, transporter ou livrer une drogue contrôlée, sans en avoir l’autorisation, constituait une erreur de droit. Il s’agissait d’un marché pour la vente de drogues ayant une valeur de revente de $9,000, non pas

[Page 524]

pour la consommation personnelle de l’appelant, mais dans le but de trafiquer et ceci constituait un complot pour faire le trafic de drogues.

Le juge en chef Laskin et les juges Judson, Spence et Dickson, dissidents: La question se posant dans ce pourvoi est de savoir si une personne qui achète une drogue contrôlée peut être déclarée coupable de complot avec le vendeur en vue de faire le trafic de cette drogue, pour le seul motif qu’elle convient d’acheter ou de se faire livrer la drogue par le vendeur. L’importance de cette question réside dans le fait que l’achat ou la possession d’une drogue contrôlée n’est pas une infraction. On ne pouvait alléguer le complot illégal qu’en se fondant sur la preuve d’un accord, ce que le juge de première instance a déclaré ne pas pouvoir conclure, entre l’appelant et Davis en vue de la revente de la drogue fournie par ce dernier.

POURVOI interjeté contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario infirmant un jugement d’acquittement en première instance et prononçant une déclaration de culpabilité pour avoir comploté avec d’autres de faire le trafic d’une drogue contrôlée, la méthamphétamine, contrairement aux dispositions du par. 34(1) de la Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27 et de l’art. 423(1)d) du Code criminel.

Charles Ryall, pour l’appelant.

S.M. Froomkin, c.r., et A. Fradkin, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Judson, Spence et Dickson a été rendu par

LE JUGE EN CHEF (dissident) — La brève et importante question qui se pose dans ce pourvoi est de savoir si une personne qui achète une drogue contrôlée, par exemple de la méthamphétamine, peut être déclarée coupable de complot avec le vendeur en vue de faire le trafic de cette drogue, pour le seul motif qu’elle convient d’acheter ou de se faire livrer la drogue par le vendeur. L’importance de cette question réside dans le fait que l’achat ou la possession d’une drogue contrôlée n’est pas une infraction. L’infraction, c’est d’en avoir en sa possession dans le but d’en faire le trafic. Dans ce pourvoi, le substitut du procureur général a clairement indiqué qu’il ne soutenait pas que le prétendu complot résultait d’un accord entre le vendeur et le prévenu (l’acheteur) de se procurer

[Page 525]

la drogue dans le but de la revendre. Pour la première fois apparemment — puisqu’on nous dit qu’aucun cas similaire n’a été publié — nous sommes saisis d’une affaire où l’on a recours à une accusation de complot contre un acheteur qui ne peut pas être accusé d’achat illégal ni de possession illégale, parce que ni l’un ni l’autre ne constitue une infraction.

Le prévenu a été acquitté en première instance et je reviendrai plus tard sur les conclusions du juge du procès sur les faits. Elles sont importantes parce qu’un appel du ministère public, contre un acquittement, est limité à des questions de droit (voir Code criminel, art. 605(1)a)). Il va sans dire qu’un pourvoi ultérieur devant cette Cour ne peut être interjeté que sur une question de droit, qu’il s’agisse d’un pourvoi du ministère public ou du prévenu (voir art. 618 et 621). En l’espèce, le ministère public a interjeté appel de l’acquittement et la Cour d’appel de l’Ontario, dont les motifs ont été rédigés par le juge Dubin, a infirmé l’acquittement et inscrit une déclaration de culpabilité. En conséquence, selon l’opinion exprimée par la Cour d’appel de l’Ontario et la plaidoirie du ministère public devant cette Cour, n’importe quel acheteur d’une drogue contrôlée, fût-il un écolier, serait partie à un complot de faire le trafic de cette drogue, quelle que soit la quantité vendue, et, en cas de poursuite par voie de mise en accusation, il serait passible d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à dix ans: voir Code criminel, art. 423(1)d), et Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27, art. 34(3). Je répète qu’il ne peut pas être poursuivi pour le simple achat ou la simple possession. L’accusation de complot dans de telles circonstances me paraît être un abus sinon une déformation de la notion de complot dans notre droit.

On dit toutefois que ce résultat découle inexorablement de la définition de «trafiquer» ou «faire le trafic» à l’art. 33 de la Loi des aliments et drogues, définitions que l’on trouve à la Partie III de la Loi, intitulée «Drogues contrôlées». La définition est la suivante:

«trafiquer» ou «faire le trafic» signifie le fait de fabriquer, vendre, exporter du Canada ou importer au Canada, transporter ou livrer, autrement que sous l’autorité de la présente Partie ou des règlements.

[Page 526]

Cette définition doit être complétée par celle du verbe «vendre» à l’art. 2 de la Loi, qui comprend:

vendre, offrir en vente, exposer en vente, avoir en possession pour la vente et distribuer.

Si l’on s’en tient à l’interprétation résultant de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et de la plaidoirie du ministère public devant cette Cour, le seul fait d’accepter une offre de vendre une drogue contrôlée rend l’acceptant passible d’une condamnation pour complot de faire le trafic de cette drogue.

Le juge de première instance a tiré certaines conclusions de fait et je cite ses motifs:

[TRADUCTION] En acceptant d’acheter cette drogue, le prévenu Sokoloski n’a pas commis un acte illégal en ce qui le concerne; je ne peux conclure qu’il y avait un accord entre les prévenus Davis et Sokoloski pour transporter ou livrer la méthamphétamine ou pour la vendre. Le prévenu Sokoloski se rendait certainement compte que le prévenu Davis aurait à transporter et livrer la drogue pour exécuter leur accord et, en acceptant d’acheter cette drogue, il a bien pu favoriser le transport et la livraison mais, à mon avis, ces actes constituent, tout au plus, une aide ou un encouragement. Je ne peux pas déduire de ces actes que les deux prévenus devant cette Cour avaient conclu un accord pour transporter et livrer la drogue.

Je suis prêt à conclure que le prévenu Sokoloski a convenu d’acheter la méthamphétamine et qu’il l’a fait dans le but de la revendre, vu la quantité importante qu’il a achetée qui, comme la preuve l’indique, suffirait à faire au moins quatre cents petits sachets; selon la preuve, je conclus que ces sachets représentent l’unité de revente. Je ne puis cependant conclure que le prévenu Davis a consenti à cette revente de la drogue quoiqu’il ait bien pu savoir que c’était là, en toute probabilité, la raison de l’achat.

Cet extrait des motifs du juge de première instance reflète bien, quoique plus brièvement, ce que je viens de dire. Ses conclusions portent sur les faits et je crois qu’il n’y a aucune raison de dire qu’il a commis des erreurs de droit à cause des déductions qu’il en a tirées: voir Sunbeam Corp. (Canada)

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Ltd. c. La Reine[1]; Lampard c. La Reine[2]. L’affaire Ciglen c. La Reine[3] n’est pas applicable en l’espèce.

A mon avis, le savant juge d’appel a, dans ses motifs, fondé l’inculpation de complot sur la simple exécution d’un contrat de vente et d’achat d’une drogue contrôlée, sans faire ressortir que cet achat, en soi, n’est pas illégal et, qu’en conséquence, la convention d’achat n’est pas illégale non plus. Les parties pertinentes de ses motifs sont les suivantes:

[TRADUCTION] Selon la preuve admise par le juge du procès, Sokoloski a accepté que Davis, à la demande de Sokoloski, agisse en contravention des dispositions de la Loi des aliments et drogues. Par conséquent, le savant juge de première instance a erré en décidant que Sokoloski n’avait pas participé à un acte illégal. Le juge de première instance a conclu que l’accusé Davis avait accepté de vendre et que l’accusé Sokoloski avait accepté d’acheter une drogue prohibée, mais a jugé que le ministère public n’avait pas prouvé qu’ils s’étaient entendus entre eux pour que Davis transporte et livre la drogue à Sokoloski. Avec égards envers le savant juge de première instance, il est clair que c’est exactement l’accord que la preuve a établi. Il semble avoir considéré, après avoir conclu que Sokoloski achetait la drogue dans le but de la revendre, qu’il incombait au ministère public de prouver la prétendue infraction, savoir, le fait que Davis avait convenu avec Sokoloski que ce dernier revendrait effectivement la drogue. Bien que dans les circonstances de l’espèce cette déduction semble irrésistible, il n’était pas nécessaire pour le ministère public de prouver ce fait en vue d’établir la culpabilité du prévenu.

Je ne doute pas qu’une personne qui vend ou offre de vendre une drogue contrôlée soit coupable de l’infraction de trafic en vertu de l’art. 34(1) qui dit clairement que «nul ne peut faire le trafic d’une drogue contrôlée ou d’une substance quelconque qu’il prétend être ou estime une drogue contrôlée». Je ne vois pas comment un vendeur et un acheteur peuvent être coupables d’un complot, du seul fait que l’un d’eux est prêt à vendre et l’autre prêt à acheter, quand acheter n’est; pas une infraction et que, par conséquent, ce n’est pas une infraction de consentir à acheter. En l’espèce, il n’y a pas d’accord entre eux qui justifie une accusation de com-

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plot, bien qu’on puisse être trompé par le langage courant, savoir qu’un vendeur accepte de vendre et un acheteur accepte d’acheter. Cela indique simplement l’existence d’un contrat. Ce serait fausser la notion de complot que de dire qu’il y a un accord entre vendeur et acheteur pour vendre afin de justifier une accusation de complot en vue de trafiquer. L’accord entre eux reflète simplement des promesses différentes dans un contrat bilatéral; ils ne sont pas partie à la même promesse.

Je suis d’avis que la situation est la même en ce qui concerne la question du transport ou de la livraison qui sont les deux seuls autres éléments de la définition de «trafiquer» qui soient vaguement applicables en l’espèce. A nouveau, j’estime erronée la thèse du ministère public, selon laquelle le prévenu et le vendeur ont comploté de trafiquer parce qu’ils se sont «entendus» pour le transport ou la livraison de la drogue. Je trouve très bizarre l’introduction, en l’espèce, d’expressions propres aux contrats, à l’appui d’une accusation aussi grave que le complot. Toutefois, il va de soi que toute vente de marchandises implique la livraison en exécution de ce contrat et si, comme je le pense, une offre d’achat ne constitue pas une participation à un complot illégal de vendre ou d’accepter de vendre, il n’y a pas non plus de complot illégal dans la livraison des marchandises par le vendeur à l’acheteur. La livraison par le vendeur est un élément normal de la vente. Si l’acheteur lui-même prenait livraison des marchandises, c’est-à-dire de la drogue, chez le vendeur, il serait certainement absurde d’alléguer que cela équivaut à un complot de trafiquer, même si les parties s’étaient entendues pour que l’acheteur aille lui-même chercher la marchandise.

Il s’agit en l’espèce d’un de ces problèmes soulevés par le droit régissant le complot criminel: par exemple, lorsque l’exécution du projet prétendument illégal ne constitue pas une infraction connue (cf. R. v. Chow Sik Wah et Quon Hong[4]) ou lorsque les circonstances qui l’entourent indiquent que le projet ne pouvait pas être mis à exécution, ceci n’étant toutefois pas une défense probable

[Page 529]

(voir R. v. Northern Electric Co.[5] à la p. 263); voir notes explicatives, Criminal Conspiracy (1959), 72 Harv. L. Rev. 920, à la p. 944; Goode, Criminal Conspiracy in Canada (1975), aux pp. 41 à 46. Le problème immédiat est d’ordre différent; il ne vise pas la situation de toutes les parties à l’égard d’un prétendu complot, mais celle de l’une d’elles qui ne pourrait pas être déclarée coupable d’une infraction existante pour sa participation à l’opération sur laquelle l’accusation de complot est fondée.

Le cadre législatif de la présente affaire suggère fortement que le législateur, ayant clairement déterminé la responsabilité du vendeur d’une drogue contrôlée, s’est contenté de limiter celle de l’acheteur aux situations dans lesquelles son achat — et ici la quantité serait pertinente — est effectué en vue de la revente et ainsi de punir la possession seulement dans ce cas. Accuser de complot un acheteur sur la seule base de la culpabilité du vendeur constitue, à mon avis, un élargissement abusif de cette notion par les tribunaux, ce qui est indésirable en droit pénal.

Il ne semble pas y avoir de décision canadienne traitant directement de cette question, mais on trouve aux États-Unis des jugements contradictoires sur ce point. L’arrêt Nigro v. United States[6] offre des similitudes avec l’espèce présente. Dans cette affaire-là, une accusation portée contre un médecin pour avoir comploté avec un toxicomane, auquel il avait donné de nombreuses prescriptions de drogues, fut rejetée parce qu’en vertu de l’Anti-Narcotic Act, qui interdit la vente ou la remise de drogues, sauf dans des situations déterminées, l’acheteur n’est coupable d’une infraction que dans des circonstances absentes en l’espèce. Le tribunal avait, en conséquence, jugé que puisque l’intention du législateur est de laisser l’acheteur impuni, le médecin qui avait prescrit la drogue ne pouvait pas être coupable de complot avec lui-même. Les résultats sont différents dans les arrêts Vanatta v. United States[7] et May v. United States[8], qui ont décidé que la personne non coupable en vertu de la

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Loi (dans l’affaire Vanatta, l’acheteur de boisson alcoolique dont la vente était illégale et dans l’affaire May, la personne donnant un pot-de-vin à un membre du Congrès pour lequel c’était une infraction criminelle de le recevoir) pouvait néanmoins être poursuivie pour complot.

La question est traitée par Williams, Criminal Law (2e éd. 1961) aux pp. 356 et 357, dans les termes suivants que j’approuve:

[TRADUCTION] Quand une loi vise une transaction bilatérale et en fait une infraction pour l’une des parties (par exemple, le vendeur), les tribunaux concluent immédiatement que l’autre partie peut être accusée de complicité. Généralement, ils n’interprètent pas cette loi comme excluant tacitement la culpabilité de l’autre partie. Donc, si une loi considère que c’est une infraction pour une personne de faire du proxénétisme ou de recevoir un pot-de-vin, la personne qui se livre à la prostitution ou celle qui donne un pot-de-vin, selon le cas, est déclarée coupable en tant que partie à l’infraction, sans que cela soit expressément prescrit par la loi. Ainsi, les deux peuvent également être déclarées coupables d’avoir comploté de commettre l’acte défendu. En matière de bigamie, l’autre partie dans le mariage du bigame est complice.

On peut penser que cette règle n’est pas réellement fondée. D’abord, quand le législateur a spécifié qu’une transaction bilatérale précise constitue une infraction pour une partie seulement, il y a de bonnes raisons de croire qu’il a voulu considérer l’autre quitte. L’accord des deux parties devait être présent à l’esprit du législateur et la mention expresse de l’un devrait entraîner l’exclusion sous-entendue de l’autre. Par ailleurs, augmenter le nombre de complices complique l’inculpation de l’auteur principal de l’infraction car, a) ses complices hésiteront à témoigner, b) en général, on ne pourra pas les obliger à témoigner, c) s’ils témoignent il faudra bien avertir le jury que la déposition provient d’un complice. Pour ces raisons sérieuses, l’American Law Institute’s Model Penal Code propose que dans le cas de tels actes bilatéraux seulement la partie ou les parties nommées par la loi soient tenues responsables de l’infraction.

Le code pénal modèle de l’American Law Institute, approuvé en 1962, prévoit à l’art. 2.06(6)b) que [TRADUCTION] «sauf disposition contraire du Code ou de la loi qui définit l’infraction, une personne n’est pas complice d’une infraction commise par une autre si l’infraction est définie de telle façon que sa conduite est inévitablement

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accessoire à la perpétration». De plus, il dispose à l’art. 5.04, traitant d’«incapacité, irresponsabilité, ou immunité d’une partie à l’incitation ou au complot», ce qui suit:

[TRADUCTION] 5.04. . . .

(1) Sauf dans les cas prescrits au par. (2) de cet article, on ne peut faire valoir, au regard de la responsabilité de la personne qui incite une autre à commettre une infraction ou complote avec elle de commettre une infraction:

a) qu’elle-même ou la personne qu’elle incite ou avec laquelle elle complote n’est pas dans une situation particulière qui soit un élément de cette infraction, si elle croit que l’une des deux la possède; ou

b) que la personne qu’elle incite ou avec laquelle elle complote est irresponsable ou jouit d’une immunité de poursuites ou de condamnation pour la perpétration de l’infraction.

(2) On peut invoquer pour se défendre d’une accusation d’incitation à commettre une infraction criminelle ou de complot dans ce but, le fait que, si le but criminel était atteint, l’auteur ne serait pas coupable d’infraction criminelle en vertu de la loi définissant l’infraction ou de complicité en vertu des articles 2.06(5) ou 2.06(6)a) ou b).

La mention de l’art. 2.06(6)b) au par. (2) précité est du même type que la situation en l’espèce.

Pour moi, il est clair qu’on ne pouvait alléguer le complot illégal qu’en établissant la preuve d’un accord entre le vendeur Davis et l’accusé en vue de la revente de la drogue fournie par le premier. Le juge de première instance a conclu qu’il n’y avait aucun accord de ce genre et, de plus, l’avocat du ministère public a expressément déclaré que dans sa plaidoirie il ne se fondait pas sur l’existence d’un tel accord — il ne le pouvait d’ailleurs pas en raison de la conclusion contraire du juge de première instance. Puisqu’il n’y a pas d’infraction dans le fait d’acheter une drogue contrôlée, mais que c’est une infraction d’en vendre, le complot pourrait, au mieux, être imputé au vendeur et non à l’acheteur: cf. R. c. Duguid[9]. Il ne s’agit pas d’un cas où l’acte sur lequel on fonde le complot constitue en soi une infraction criminelle qui, si elle était exécutée, pourrait entraîner la condamnation de

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chacune des parties au complot, abstraction faite du complot lui-même dans cette hypothèse, cette Cour a jugé qu’aucune partie à un prétendu complot ne peut être déclarée coupable de l’infraction criminelle si l’une n’a pas l’intention délictueuse qui constitue un élément de l’infraction: R. c. O’Brien[10]. Même si le bien-fondé de cette décision a été critiqué (voir Williams, Criminal Law (2e éd. 1961), pp. 672 et 673), il n’y a pas lieu de la réexaminer ici.

Dans ses motifs, la Cour d’appel de l’Ontario s’est référée à Poitras c. La Reine[11]. Il s’agissait d’une affaire de trafic de drogues, qui n’avait pas entraîné d’accusation de complot et je considère qu’elle n’a aucune influence en l’espèce.

Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario et de rétablir le jugement d’acquittement.

Le jugement des juges Martland, Ritchie, Pigeon, Beetz et de Grandpré a été rendu par

LE JUGE MARTLAND — Ce pourvoi attaque un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a infirmé la décision du juge de première instance acquittant l’appelant d’une accusation d’avoir comploté avec d’autres de faire le trafic d’une drogue contrôlée, la méthamphétamine, contrairement aux dispositions de l’art. 34(1) de la Loi des aliments et drogues, S.R.C. 1970, c. F-27 et de l’art. 423(1)d) du Code criminel.

Les faits, qui sont exposés dans les motifs de l’arrêt de la Cour d’appel rendu par le juge Dubin, sont les suivants:

[TRADUCTION] Le 17 avril 1972, ou vers cette date, des membres de la Gendarmerie Royale et de la police de Hamilton prenaient en filature une automobile conduite par le prévenu Davis, qui était accompagné de ladite Irene Bojkiwskij. Pendant l’opération, on remarqua que Davis passait une poudre blanche, de la méthamphétamine, à Mlle Bojkiwskij qui la jeta par la fenêtre. Davis et Bojkiwskij furent arrêtés et la police se rendit au domicile de Davis. Pendant la perquisition, l’on trouva des accessoires utilisés pour le trafic de drogues. Pendant que la police se trouvait chez Davis, le téléphone sonna: l’appel provenait de l’accusé Sokoloski.

[Page 533]

Le policier imita la voix de Davis et, pendant la conversation téléphonique qui s’ensuivit, Sokoloski demanda à la personne qu’il croyait être Davis: «Est-ce que la camelote est enfin arrivée?» L’agent de police répondit qu’elle était arrivée et fixa un rendez-vous à Sokoloski pour la lui livrer. Il fut convenu que Sokoloski aurait un chèque de $1100 pour acheter une livre de la substance. Sokoloski se rendit au lieu convenu et fut appréhendé. On trouva en sa possession un chèque de $1100, à l’ordre du prévenu Davis. Sokoloski fut alors arrêté, amené en prison et placé dans une cellule séparée par une autre cellule de celle où se trouvait Davis. L’agent de police que l’on avait placé dans la cellule du milieu entendit les conversations entre Sokoloski et Davis, au cours desquelles ce dernier mentionna qu’il s’était rendu à Toronto pour acheter la substance pour Sokoloski.

Par la suite, la preuve révéla que la drogue avait une valeur de revente de $9,000.

Les dispositions pertinentes de la Loi des aliments et drogues sont les suivantes:

2. Dans la présente loi

«vendre» comprend vendre, offrir en vente, exposer en vente, avoir en possession pour la vente et distribuer.

33. Dans la présente Partie

«drogue contrôlée» désigne toute drogue ou autre substance mentionnée à l’annexe G;

«trafiquer» ou «faire le trafic» signifie le fait de fabriquer, vendre, exporter du Canada ou importer au Canada, transporter ou livrer, autrement que sous l’autorité de la présente Partie ou des règlements.

34. (1) Nul ne peut faire le trafic d’une drogue contrôlée ou d’une substance quelconque qu’il prétend être ou estime une drogue contrôlée.

(2) Nul ne peut avoir en sa possession une drogue contrôlée aux fins d’en faire le trafic.

Annexe G

Méthamphétamine et ses sels.

L’article 423(1)d) du Code criminel édicte:

423. (1) Sauf dans les cas où la loi y pourvoit expressément de façon différente, les dispositions suivantes s’appliquent à l’égard des complots savoir:

d) Quiconque complote avec quelqu’un de commettre un acte criminel que ne vise pas l’alinéa a), b) ou c) est coupable d’un acte criminel et passible de la même

[Page 534]

peine que celle dont serait passible, sur déclaration de culpabilité, un prévenu coupable de cette infraction.

(Les alinéas a), b) et c) ne s’appliquent pas.)

Dans ses motifs, le juge de première instance a accepté le témoignage de l’agent de police sur la conversation téléphonique avec l’appelant, de même que celui de l’agent de police qui a entendu, dans la cellule, la conversation entre l’appelant et Davis.

Il a conclu qu’il y avait un accord aux termes duquel Davis convenait de vendre la méthamphétamine à l’appelant et ce dernier de la lui acheter.

Il a aussi déclaré:

[TRADUCTION] Je suis prêt à conclure que le prévenu Sokoloski a convenu d’acheter la méthamphétamine et qu’il l’a fait dans le but de la revendre, vu la quantité importante qu’il a achetée qui, comme la preuve l’indique, suffirait à faire au moins quatre cents petits sachets; selon la preuve, je conclus que ces sachets représentent l’unité de revente. Je ne puis cependant conclure que le prévenu Davis a consenti à cette revente de la drogue, quoiqu’il ait bien pu savoir que c’était là, en toute probabilité, la raison de l’achat.

Il a décidé que l’existence d’un complot entre l’appelant et Davis n’a pas été prouvée. Pour ce faire, il aurait fallu, à son avis, que le ministère public établisse qu’ils avaient conclu un accord pour faire conjointement le trafic de la drogue contrôlée. Ceci ressort clairement du passage suivant de ses motifs:

[TRADUCTION] Je ne peux pas conclure que les prévenus Davis et Sokoloski avaient convenu qu’ils transporteraient ou livreraient la méthamphétamine ou qu’ils la vendraient.

[C’est moi qui souligne.]

De même, dans le passage précité relatif à la conclusion que l’appelant avait acheté la drogue en vue de sa revente, il dit:

[TRADUCTION] Je ne puis cependant conclure que le prévenu Davis a consenti à cette revente de la drogue, quoiqu’il ait bien pu savoir que c’était là, en toute probabilité, la raison de l’achat.

A mon sens, décider que pour établir le complot dont fait mention l’acte d’accusation, il était néces-

[Page 535]

saire de prouver un accord entre les parties pour, conjointement, fabriquer, vendre, transporter ou livrer une drogue contrôlée, sans en avoir l’autorisation, constitue une erreur de droit. La preuve établit que Davis a convenu avec l’appelant, à la demande de ce dernier, de lui procurer, de transporter et de livrer une quantité importante de drogues prohibées. l’appelant a accepté de rémunérer Davis pour ces services.

Il s’agit d’un marché pour la vente de drogues ayant une valeur de revente de $9,000. L’appelant n’a pas acheté la drogue pour sa consommation personnelle mais, comme l’a conclu le premier juge, dans le but de la revendre, c.-à-d. pour trafiquer. Si le marché avait été consommé et si l’appelant avait reçu la drogue, ce dernier, selon les conclusions du juge du procès, aurait violé l’art. 34(2) de la Loi des aliments et drogues en étant en possesion de drogues prohibées dans le but d’en faire le trafic. Dans ces circonstances, Davis et l’appelant se préparaient donc à faire le trafic de drogues au sens de la Loi des aliments et drogues.

A mon avis, cet accord constitue un complot pour trafiquer.

Je souscris à la conclusion formulée par le juge Dubin en Cour d’appel:

[TRADUCTION] A mon avis, il est clair, vu la preuve acceptée par le juge de première instance et ses conclusions sur les faits, que le ministère public a prouvé, à l’égard des deux accusés, l’existence de tous les éléments essentiels d’un complot pour faire le trafic d’une drogue contrôlée, au sens de la Loi des aliments et drogues.

Avec égards pour les membres de cette Cour qui ont adopté un point de vue opposé, je ne considère pas que l’opinion exprimée par la Cour d’appel dans cette affaire implique que tout acheteur d’une drogue contrôlée, fût-il un écolier, est partie à un complot de faire le trafic de cette drogue, quelle que soit la quantité vendue. La conclusion de la Cour d’appel et celle que j’ai exprimée précédemment quant à l’existence d’un complot sont fondées sur les faits de l’espèce.

Pour ces motifs et pour ceux énoncés par la Cour d’appel je suis d’avis de rejeter l’appel.

Pourvoi rejeté, le juge en chef LASKIN et les juges JUDSON, SPENCE et DICKSON étant dissidents.

Procureur de l’appelant: Charles Ryall, Niagara Falls.

Procureur de l’intimée: Le procureur général du Canada, Ottawa.

[1] [1969] R.C.S. 221.

[2] [1969] R.C.S. 373.

[3] [1970] R.C.S. 804.

[4] [1964] 1 C.C.C. 313.

[5] (1955), 111 C.C.C. 241.

[6] (1941), 117 F. 2d 624.

[7] (1923), 289 F. 424.

[8] (1949), 175 F. 2d 994.

[9] (1906), 75 L.J.K.B. 470.

[10] [1954] R.C.S. 666.

[11] [1974] R.C.S. 649.


Parties
Demandeurs : Sokoloski
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Sokoloski c. R., [1977] 2 R.C.S. 523 (25 janvier 1977)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1977-01-25;.1977..2.r.c.s..523 ?
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