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31/05/1979 | CANADA | N°[1979]_2_R.C.S._881

Canada | Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881 (31 mai 1979)


COUR SUPRÊME DU CANADA

Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881

Date : 1979-05-31

Randy James Dunlop et Graham Stanley Sylvester Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 6 décembre; 1979: 31 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA

COUR SUPRÊME DU CANADA

Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881

Date : 1979-05-31

Randy James Dunlop et Graham Stanley Sylvester Appelants;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

1978: 6 décembre; 1979: 31 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Spence, Pigeon, Dickson, Beetz, Estey et Pratte.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU MANITOBA


Synthèse
Référence neutre : [1979] 2 R.C.S. 881 ?
Date de la décision : 31/05/1979
Sens de l'arrêt : (les juges martland, ritchie et pigeon étant dissidents)

Analyses

Droit criminel - Parties - Aide et encouragement - Viol collectif - La plaignante a identifié les accusés comme étant deux de ses agresseurs - Accusation niée - Aucune preuve que les accusés ont formé un projet commun avec d’autres pour commettre le viol - Y a-t-il une preuve que les accusés ont aidé et encouragé la perpétration de l’infraction? - Code criminel, par. 21(1) et (2).

Les appelants ont été deux fois jugés et déclarés coupables de viol. On leur reproche d’avoir eu des rapports sexuels avec la plaignante sans son consentement. On leur a imposé une peine de six ans d’incarcéra­tion. La Cour d’appel du Manitoba a jugé en appel de leur second procès que les directives du juge au jury contenaient des erreurs, mais par une majorité de trois contre deux, elle a maintenu la déclaration de culpabilité en appliquant le sous-al. 613(1)b)(iii) du Code. Pourvoi a été interjeté devant cette Cour à l’encontre de cet arrêt.

Le viol collectif de la plaignante a en lieu tard la nuit dans un endroit isolé, l’emplacement d’un ancien dépo­toir où des membres d’un club de motards s’étaient réunis pour fêter. Environ dix-huit hommes ont eu des rapports sexuels avec la plaignante pendant que deux autres membres du groupe la retenaient. Elle a identifié les accusés comme étant deux des hommes qui l’avaient agressée. Les accusés ont nié le tout. Ils ont témoigné qu’ils avaient assisté à une réunion du club au dépotoir tôt le soir en question, puis qu’ils s’étaient rendus dans un cabaret où se trouvaient la plaignante et une amie. Plus tard, les accusés ont livré une certaine quantité de bière au dépotoir. Dunlop a vu une personne de sexe féminin qui était en train d’avoir des rapports sexuels; il n’a pas pu dire avec qui mais il a cru que c’était un membre du club de motards. Trois minutes plus tard, lui et son co-accusé sont partis.

La question qui se posait au jury était fort simple: les deux accusés ont-ils eu des rapports sexuels avec la plaignante? Elle a déclaré que oui, eux l’ont nié. Le juge

[Page 882]

a cependant cru bon de donner des directives au jury sur la question des parties à une infraction en vertu de l’art. 21 du Code et c’est sur ce point que les déclarations de culpabilité ont été contestées.

Arrêt: (les juges Martland, Ritchie et Pigeon étant dissidents): Les pourvois doivent être accueillis.

Le juge en chef Laskin et les juges Spence, Dickson et Estey: Tous reconnaissent que le juge de première instance a commis une erreur en donnant des directives au jury quant au par. 21(2) du Code, le projet commun, vu qu’il n’y avait aucune preuve que les appelants avaient formé avec les participants au viol, le projet commun de violer la plaignante.

La présence au moment de la perpétration d’une infraction peut constituer une preuve d’aide et d’encou­ragement si elle est accompagnée d’autres facteurs, comme la connaissance préalable de l’intention de l’au­teur de perpétrer l’infraction ou si elle a pour but l’incitation. En l’espèce, il n’y a aucune preuve qu’au cours de la perpétration de l’acte criminel, l’un ou l’autre des accusés ait fourni une aide, une assistance ou une incitation au viol de la plaignante. Il n’y a aucune preuve de quelque acte positif ou omission pour faciliter le dessein illicite. Il est possible de déduire que les deux accusés savaient qu’une fête allait avoir lieu et que leur présence au dépotoir n’était pas accidentelle ou qu’ils n’étaient pas des promeneurs occasionnels, mais cela ne suffit pas. Une personne ne peut être, à bon droit, déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé l’accomplis­sement d’actes répréhensibles alors qu’elle ne savait pas qu’on avait ou pouvait avoir l’intention de les commet­tre. On doit pouvoir déduire que les accusés avaient la connaissance préalable qu’une infraction du type de celle commise était projetée, c.-à-d. que leur présence s’accompagnait d’une connaissance du viol projeté.

La preuve ne révèle aucun fait, par opposition à des suppositions ou à des soupçons, qui permettrait à un jury de conclure au-delà de tout doute raisonnable que les accusés avaient joué un rôle qu’on pourrait qualifier d’aide ou d’encouragement aux termes du par. 21(1) du Code.

Dans ces circonstances, le juge de première instance a fait erreur en donnant au jury des directives sur l’alter­native: (i) auteur principal et (ii) complice par aide et encouragement.

Malheureusement, l’erreur a été aggravée lorsque le jury, qui s’était retiré pour délibérer à 15 h 15 est revenu à 17 h 40 pour poser la question suivante: [TRADUC­TION] «Si les accusés savaient qu’un viol avait lieu en leur présence et n’ont rien fait pour empêcher cet acte ou en amener l’auteur à y renoncer, sont-ils considérés

[Page 883]

comme complices en vertu de la loi?» La réponse à cette question tenait en un seul mot: «non». Cependant, le juge, qui avait d’abord eu l’intention de répondre «non» à la question, a été entraîné à adopter un autre point de vue, proposé pour la première fois par le ministère public, savoir, que les accusés pourraient être coupables à titre de parties à l’infraction aux termes de l’art. 21 du Code.

Les nouvelles directives étaient erronées à trois points de vue: (i) elles ne répondaient pas à la question posée; (ii) vu les faits de la cause, elles pouvaient laisser au jury l’impression que les accusés pouvaient être parties à l’infraction s’ils savaient qu’une infraction était en train d’être commise et s’ils ont omis de faire quelque chose pour l’empêcher ou l’arrêter; et (iii) le jury n’a reçu aucune aide pour appliquer la directive; on n’a identifié aucun acte ou omission qui aurait pu étayer dans les faits l’application de l’art. 21.

La difficulté que rencontre cette Cour est qu’elle ne sait pas et ne saura jamais si le jury a reconnu les appelants coupables parce qu’ils avaient eu des rapports sexuels avec la plaignante ou en raison de l’application des par. (1) ou (2) de l’art. 21 du Code. Mais elle sait par la question du jury et le moment où elle a été posée, qu’après deux heures et vingt-cinq minutes de délibéra­tions, le jury n’avait pas accepté le témoignage de la plaignante quant à la participation directe des appelants. Quinze minutes après la reprise des délibérations, à la suite des nouvelles directives, le verdict de culpabilité a été rendu.

Ce n’est pas un cas approprié d’application du sous-al. 613(1)b)(iii). On ne peut affirmer que le verdict aurait été le même s’il n’y avait pas eu d’erreur. Dans les circonstances, plutôt que de faire subir aux appelants un troisième procès, il faut ordonner un verdict d’acquitte­ment.

Les juges Beetz et Pratte: Pour ce qui est du par. 21(2), la Cour d’appel a été unanime pour dire que le juge de première instance avait fait erreur en donnant des directives au jury sur ce point, et cette conclusion n’a pas été contestée devant cette Cour. La divergence d’opinions en Cour d’appel portait seulement sur l’appli­cation du sous-al. 613(1)b)(iii) à cette erreur. Cela ne constitue pas une dissidence sur une question de droit.

Quant au par. 21(1), pour les motifs qu’expose le juge Dickson, la réponse du juge de première instance à la question du jury n’était pas juste et constituait une directive erronée en droit. On ne peut dire, à la lumière de la preuve, que cette erreur du juge de première instance n’a causé aux appelants aucun tort important

[Page 884]

ou erreur judiciaire grave. Il ne faut donc pas appliquer le sous-al. 613(1)b)(iii) à cette erreur.

Les juges Martland, Ritchie et Pigeon, dissidents: Le troisième motif de dissidence de la Cour d’appel ne constitue pas une dissidence sur une question de droit. Le sous-al. (iii) de l’al. 613(1)b) donne à une cour d’appel le pouvoir discrétionnaire de rejeter un appel d’une déclaration de culpabilité même lorsqu’un juge de première instance a rendu une décision erronée sur une question de droit s’il ne résulte de cette erreur aucun tort important ou erreur judiciaire grave. Le désaccord qu’exprime un juge dissident quant à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne constitue pas une dissidence sur une question de droit.

Le premier motif de dissidence est qu’il n’y avait aucune preuve permettant de conclure que les appelants étaient parties à l’infraction aux termes du par. 21(2) du Code. Le juge Matas, qui a exprimé les principaux motifs de la majorité, et dont le juge en chef Freedman a partagé l’opinion, était d’accord sur ce point avec les motifs donnés par le juge Hall qui a rédigé l’opinion de la minorité. Comme l’a dit le juge Matas, en ce qui concerne les moyens d’appel concernant le projet commun, l’argument que ces observations n’étaient pas justes compte tenu des circonstances de l’affaire, est bien fondé. Mais il ressort clairement de la question du juré que les membres du jury n’éprouvaient aucune difficulté quant à la notion de projet commun. Quoi qu’il en soit, il ne s’est produit aucun tort important ou erreur judiciaire grave.

Quant au deuxième motif de dissidence, il est à signaler qu’alors que le premier motif se rapporte à «l’absence de preuve», ce qui constitue une question de droit, le deuxième motif a trait à «l’insuffisance en droit de la preuve» pour rendre les appelants parties à l’infrac­tion. La suffisance de preuve est une question qui relève du jury. La dissidence sur ce point n’est pas une dissi­dence sur une question de droit.

Cependant, comme cet argument a été exhaustivement débattu, il y a lieu de l’examiner. L’essence des motifs du juge Hall se trouve dans son affirmation que la présence des accusés au dépotoir et leur observation passive d’une jeune fille en train d’avoir des rapports sexuels ne suffisent pas en droit à les rendre parties à une infraction en vertu du par. 21(1) du Code. Mais l’affirmation que les appelants étaient simplement pré­sents au dépotoir et de simples témoins passifs des rapports sexuels doit être fondée sur le témoignage des appelants. Il appartenait au jury de décider s’il devait accepter ces témoignages. L’affirmation ignore tout à fait les autres éléments de preuve qui permettaient au jury de conclure que les appelants avaient aidé et encouragé

[Page 885]

la perpétration de l’infraction. Le jury a reçu des directives appropriées sur ce qui était nécessaire pour établir l’aide et l’encouragement. La suffisance de ces deux éléments de preuve relevait exclusivement de l’ap­préciation du jury et ne devait pas faire l’objet d’une décision de la Cour d’appel.

Quant aux critiques adressées au juge de première instance pour sa réponse à la question posée par le jury, on a adopté les motifs du juge Matas suivant lesquels le ministère public s’était acquitté de l’obligation de démontrer que le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur ni dans ses directives ni dans la réponse à la question quant i l’application du par. 21(1).

[Jurisprudence: La Reine c. Warner, [1961] R.C.S. 144; The Queen v. Coney (1882), 8 Q.B. 534; Preston c. R., [1949] R.C.S. 156; R. v. Dick (1947), 2 C.R. 417; R. v. Hoggan (1965), 47 C.R. 256; R. v. Salajko, [1970] 1 C.C.C. 352; R. v. Black (1970), 10 C.R.N.S. 17; R. v. Clarkson, [1971] 3 All E.R. 344; D.P.P. v. Maxwell, [1978] 3 All E.R. 1140]

POURVOIS à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Manitoba[1], qui rejetait un appel des accusés formé contre leur déclaration de culpabi­lité de viol par suite d’un second procès. Pourvois accueillis, les juges Martland, Ritchie et Pigeon étant dissidents.

J. J. Gindin, pour les appelants.

J. G. Dangerfield, pour l’intimée.

Le jugement du juge en chef Laskin et des juges Spence, Dickson et Estey a été rendu par

LE JUGE DICKSON — Les appelants ont été deux fois jugés et déclarés coupables de viol. L’acte d’accusation leur reproche d’avoir, le 26 juin 1975, eu des rapports sexuels avec Brenda Ross sans le consentement de cette dernière. On leur a imposé une peine de six ans d’incarcération. La Cour d’appel du Manitoba a jugé en appel de leur second procès que les directives du juge au jury contenaient des erreurs, mais par une majo­rité de trois contre deux, elle a maintenu la décla­ration de culpabilité en appliquant le sous-al. 613(1)b)(iii) du Code. Le pourvoi est interjeté à l’encontre de cet arrêt.

[Page 886]

Les faits

Pour bien comprendre les questions en litige, il est nécessaire de relater les faits en détail. En juin 1975, Brenda Ross était âgée de seize ans. Durant la soirée où a eu lieu l’infraction reprochée, elle s’est rendue à l’hôtel Waldorf à Winnipeg avec une amie, Anne McGibney, pour y écouter un ensem­ble de musiciens et y boire de la bière.

Un certain nombre de membres d’un club de motards appelé les «Spartans» se trouvaient à l’hô­tel. Deux membres du club, un nommé Hawryluk et l’appelant Dunlop ainsi qu’un aspirant membre, un nommé Douglas, se sont joints aux deux jeunes filles à leur table. Durant la soirée, la plaignante a bu cinq ou six verres de bière. Vers 23h30, la plaignante, sur la motocyclette de Douglas, et Anne McGibney sur celle de Hawryluk, se sont rendues brièvement à l’hôtel Balmoral. Quittant l’hôtel, le groupe s’est dirigé en motocyclette vers un endroit isolé, l’emplacement d’un ancien dépo­toir situé à Elmwood dans les environs de Winni­peg. Les motocyclistes se rencontraient souvent sur ce terrain vallonné. Les quatre se sont assis sur l’herbe et ont causé pendant environ cinq minutes après quoi McGibney et Hawryluk sont allés se promener. La plaignante et Douglas sont demeurés trois ou quatre minutes de plus, puis Douglas est allé réparer sa motocyclette, laissant la plaignante seule.

Se sentant seule, la plaignante partit à la recher­che de McGibney et Hawryluk. A cet instant, quatre hommes en vestes de cuir noir portant l’emblème des «Spartans» sont arrivés en motocy­clette. Ils ont abordé la plaignante, l’ont soulevée par les bras et les jambes, transportée vers un endroit non loin de là près d’un ruisseau et jetée par terre. Sur les entrefaites, plusieurs autres hommes vêtus de la même façon étaient arrivés. On a arraché les vêtements de la plaignante et chacun des hommes, au nombre d’environ dix-huit, a eu des rapports sexuels avec elle pendant que deux d’entre eux la retenaient. Dans son interroga­toire principal, le substitut du procureur général a demandé à la plaignante si elle pouvait reconnaître certains des hommes qui avaient eu des rapports sexuels avec elle et elle a répondu [TRADUCTION]: «Oui ces deux-là, là-bas» en désignant des yeux les appelants Dunlop et Sylvester. La nuit était très

[Page 887]

noire mais la plaignante a expliqué qu’après que les hommes l’eurent couchée par terre, on avait allumé un feu de camp et qu’elle pouvait voir à la lueur du feu. A un moment donné, on l’a menacée avec un couteau. Il y a bien d’autres détails désa­gréables mais il n’est pas nécessaire de les relater.

Le lendemain, la plaignante a désigné Dunlop dans une parade d’identification comme étant un des hommes qui l’avaient agressée. Sylvester a été identifié dans une seconde parade plus tard le même jour. Interrogée par le substitut du procu­reur général quant aux caractéristiques physiques des accusés qui lui avaient permis de les reconnaî­tre, la plaignante a répondu: [TRADUCTION] «Eh bien, il n’y en avait vraiment pas beaucoup mais j’ai vu leur visage alors qu’ils étaient sur moi.» Plus tard, elle a déclaré dans son témoignage qu’elle se souvenait très clairement des deux accusés et qu’elle était certaine de son identification. En con­tre-interrogatoire, elle a admis que ni l’un ni l’au­tre des deux accusés n’était parmi les quatre hommes qui l’avaient d’abord abordée et que ni l’un ni l’autre ne l’avait immobilisée par les bras ou menacée d’un couteau. La seule partie de son témoignage impliquant les deux accusés était que chacun d’entre eux avait eu avec elle des rapports sexuels pendant L’agression. Voilà ce que le minis­tère public a présenté comme preuve à charge.

Chacun des accusés a témoigné en défense. Dunlop a déclaré qu’il avait assisté à une réunion du Spartan Motorcycle Club au dépotoir d’Elm­wood tôt le soir en question et qu’à ce moment-là, on avait présenté Douglas comme aspirant membre. Plus tard, d’après son témoignage, Dunlop est allé à l’hôtel Waldorf, s’est joint aux deux jeunes filles à une table pendant quelque temps, puis a joué au billard jusqu’à son départ de l’hôtel à 1 h du matin. II a expliqué qu’on avait demandé à Sylvester d’apporter de la bière au dépotoir pour fêter. Il (Dunlop) a accompagné Sylvester dans la voiture de ce dernier jusqu’à la discothèque «Vibrations» où ils sont demeurés envi­ron une demi-heure pour prendre le chemin du dépotoir ou ils sont arrivés à 2 h 15. En arrivant dit-il, Sylvester et lui [TRADUCTION] «ont pris les quatre caisses de bière», se sont dirigés jusqu’au sommet d’une colline et y ont déposé la bière.

[Page 888]

Douglas qui était là a dit à Sylvester que tout le monde était furieux parce que la bière n’arrivait pas. Dunlop est allé de l’autre côté de la colline et a vu quelques personnes près du lit du ruisseau à environ vingt-cinq verges de là. Certaines d’entre elles ont manifesté leur aigreur à l’endroit de Dunlop et de Sylvester à cause du retard à livrer la bière. Dunlop a vu une personne de sexe féminin qui était en train d’avoir des rapports sexuels; il n’a pu dire avec qui mais croit que c’était un «Spartan». Trois minutes plus tard, Sylvester et lui sont partis. Dunlop a nié avoir eu des rapports sexuels avec Brenda Ross ou avoir de quelque façon aidé quelqu’un d’autre à avoir des rapports sexuels avec elle. Le témoignage de Sylvester allait dans le même sens que celui de Dunlop.

La question qui se posait au jury était fort simple: les deux accusés ont-ils eu des rapports sexuels avec Brenda Ross? Elle a déclaré que oui, eux l’ont nié. La question a été bien formulée par le juge de première instance juste avant la fin de son adresse au jury:

[TRADUCTION] Si vous acceptez le témoignage de Brenda Ross et si, après avoir pesé toute la preuve, vous êtes convaincus au-delà de tout doute raisonnable que les deux accusés ont réellement eu des rapports sexuels avec Brenda Ross sans son consentement, vous pouvez les déclarer tous deux coupables de l’accusation portée.

Si, par contre, vous avez un doute raisonnable que l’un des accusés ait participé de cette manière, vous devez alors donner à cet accusé le bénéfice du doute raisonnable et l’acquitter.

C’était là la seule question soulevée. Le juge a cependant cru bon de donner des directives au jury sur la question des parties à une infraction en vertu de l’art. 21 du Code et c’est sur ce point que les déclarations de culpabilité sont contestées. L’arti­cle 21 rend également coupables (i) la personne qui commet réellement l’infraction, (ii) toute personne qui aide ou encourage quelqu’un à commet­tre l’infraction et (iii) les personnes qui forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale conduisant à la perpétration de l’infraction.

Le pararaphe 21(2) du Code criminel

Suivant le premier moyen d’appel, le juge de première instance a commis une erreur en donnant des directives au jury quant au par. 21(2) du Code,

[Page 889]

le projet commun, vu qu’il n’y avait aucune preuve que les appelants Dunlop et Sylvester avaient formé avec les participants au viol, le projet commun de violer Brenda Ross. Tous reconnaissent l’erreur du juge de première instance sur ce point, y compris le substitut du procureur général. Il n’y avait aucune preuve de la participation des appelants à un projet ou à un dessein en vue d’attirer la plaignante au dépotoir pour participer au rite d’initiation. En Cour d’appel du Manitoba, le juge Matas, s’exprimant au nom de la majorité, était d’avis que: [TRADUCTION] «l’argument des appelants, selon lequel ces commentaires n’étaient pas appropriés dans les circonstances était fondé.» Le juge Hall, rédigeant l’opinion de la minorité, a dit:

[TRADUCTION] Avec égards, j’estime qu’il n’y a aucune preuve qui aurait permis à un jury ayant reçu des directives appropriées, de conclure ou de déduire que les accusés étaient parties à l’infraction visée à ce paragraphe. A mon avis, cela constituait purement et simplement une invitation au jury à avoir recours à des suppo­sitions et à des conjectures plutôt qu’à un raisonnement juridiquement correct, ce contre quoi la partie générale des directives les mettait en garde.

Le paragraphe 21(1) du Code criminel

Le second moyen d’appel reprend la partie suivante du jugement formel de la Cour d’appel:

[TRADUCTION] 2. Que le savant juge de première instance a commis une erreur en donnant au jury des directives concernant le par. 21(1) du Code criminel, puisque la preuve n’était pas suffisante en droit pour conclure que l’appelant ... était partie à l’infraction.

Si le jugement formel ne permet pas de dégager le véritable motif d’une dissidence, cette Cour peut le chercher dans les motifs écrits des juges dissidents; Roy c. Le Roi[2], à la p. 43, motifs du juge Crocket, et Savard et Lizotte c. Le Roi[3], à la p. 23, motifs du juge Taschereau.

Dans ses motifs de dissidence, le juge Hall a clairement laissé entendre que la «preuve insuffi­sante en droit» dont il parlait était insuffisante en ce que le juge de première instance aurait dû s’abstenir de toute mention du par. 21(1) dans son adresse au jury:

[Page 890]

[TRADUCTION] La présence des accusés au dépotoir et leur observation passive d’une jeune fille en train d’avoir des rapports sexuels ne suffisent pas en droit à les rendre parties à une infraction en vertu du par. 21(1) du Code.

Le sort de l’accusation aurait dû porter uniquement sur la question de savoir si le ministère public avait prouvé au-delà de tout doute raisonnable que les accusés étaient deux des «Spartans» qui avaient eu des rapports sexuels avec Ross contre son consentement ... Les directives du juge auraient dû s’arrêter là.

A mon avis, rien dans ce passage ne laisse entendre que la preuve était insuffisante pour fonder une déclaration de culpabilité, ce qui est une question de fait ou, tout au plus, une question mixte de fait et de droit. C’est la situation qui se présentait dans La Reine c. Warner[4]. L’erreur relevée dans la dissidence en l’espèce est que la preuve n’était pas suffisante pour qu’on soumette la question au jury au sens du par. 21(1), et non qu’elle était insuffi­sante pour justifier le verdict du jury. La question de savoir si la preuve est suffisante pour qu’on la soumette au jury, c’est-à-dire s’il existe quelque preuve qui permette à un jury ayant reçu des directives appropriées de déclarer les appelants coupables parce que parties à l’infraction au sens du par. 21(1), est une question de droit qui peut faire l’objet d’un pourvoi devant cette Cour en vertu de l’al. 618(1)a): Le Roi c. Décary[5], a la p. 83, et Calder c. La Reine[6], aux pp. 896 et 897, motifs du juge Cartwright.

Le jury a reçu les directives suivantes concer­nant le par. 21(1) du Code:

[TRADUCTION] Deuxièmement, je dois également vous parler du droit relatif aux parties à une infraction. Le paragraphe 21(1) du Code criminel se lit comme suit:

Est partie à une infraction quiconque:

a) la commet réellement,

b) accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vu d’aider quelqu’un à la commettre, ou

c) encourage quelqu’un à la commettre.

Encourage, ce mot veut dire inciter, appuyer, soutenir. C’est une autre façon d’exprimer qu’on fournit assistance à celui qui commet l’infraction. Quiconque aide ou incite une personne à commettre une infraction est aussi coupable que la personne qui commet l’acte criminel.

[Page 891]

Pour conclure que l’accusé est coupable d’avoir aidé ou encouragé la perpétration d’une infraction par une autre personne, il suffit de démontrer qu’il comprenait ce que l’on faisait et que, par quelque acte de sa part, il a fourni une assistance ou une incitation propres à la réalisation de cette infraction.

La simple présence sur les lieux d’un crime n’est pas suffisante pour conclure à la culpabilité. Il faut faire quelque chose de plus: encourager l’auteur initial; faciliter la perpétration de l’infraction, comme monter la garde ou attirer la victime, ou accomplir un acte qui tend à faire disparaître les obstacles à la perpétration de l’acte criminel, comme par exemple empêcher la victime de s’échapper ou encore se tenir prêt à aider l’auteur principal. Ainsi, dans un ouvrage ancien, Foster’s Crown Law, à la p. 350, on peut lire:

[TRADUCTION] ... pour qu’une personne soit complice et coauteur d’une félonie, il faut qu’elle aide et encou­rage au moment du fait, ou soit prête à fournir une assistance si nécessaire; il s’ensuit donc que si A, par exemple, est témoin d’un meurtre sans toutefois y pren­dre part ni tenter de l’empêcher ou d’arrêter le meurtrier par la force ou des cris, ce comportement étrange, bien que hautement criminel, ne suffit pas en soi à faire de cette personne un complice.

L’arrêt qui fait autorité, R. v. Coney[7] a établi qu’une présence non accidentelle sur les lieux du crime n’équivaut pas à aide et encouragement. Les accusés assistaient à un combat rémunéré (alors interdit par la loi) sans avoir participé à son organisation. Rien ne démontrait que les accusés aient dit ou fait quoi que ce soit. Dans ces directi­ves, le président des quarter sessions a dit au jury que les combats rémunérés étant interdits par la loi, tous ceux qui s’y rendaient pour voir les com­battants et qui étaient présents au cours de l’enga­gement, étaient coupables de voies de fait à moins de se trouver sur les lieux de façon fortuite et passagère. S’ils demeuraient sur les lieux, ils encourageaient la perpétration de l’infraction par leur présence, même s’ils ne faisaient ou ne disaient rien. Parmi les onze juges qui ont décidé la question réservée dans cette cause, huit étaient d’avis que la directive était irrégulière. Deux passages des motifs du juge Cave, à la p. 539, méri­tent d’être répétés:

[Page 892]

[TRADUCTION] Or, la règle générale applicable aux complices est qu’il doit y avoir participation à l’acte et que le témoin d’une félonie, s’il ne prend aucune part à sa perpétration et n’agit pas de concert avec son auteur, n’est pas complice pour la seule raison qu’il n’a pas tenté d’en empêcher la perpétration ou d’arrêter le félon.

et:

... Lorsque la présence est tout à fait accidentelle, elle n’est pas un élément de preuve susceptible d’établir l’aide et l’encouragement. Lorsque, prima facie, la pré­sence n’est pas accidentelle, elle constitue pour le jury un élément de preuve et rien de plus.

Le juge Hawkins, dans un passage bien connu, dit à la p. 557:

[TRADUCTION] Selon moi, pour qu’il y ait aide ou encouragement, il faut une démarche active, par des mots ou des actes, ainsi qu’une intention de pousser l’auteur ou les coauteurs à faire quelque chose. L’incita­tion ne constitue pas nécessairement une aide et un encouragement; elle peut être intentionnelle ou non intentionnelle: une personne peut, sans le savoir, appor­ter un encouragement à une autre personne par sa présence, par des mots mal interprétés ou par des gestes ou par son silence, ou en n’intervenant pas, ou elle peut l’inciter intentionnellement par des expressions, des gestes ou des actes qui ont pour but de manifester son approbation. Dans le second cas, elle aide et encourage; dans le premier, elle ne le fait pas. Ce n’est pas une infraction criminelle d’assister, en simple spectateur passif, à un crime, même un meurtre. Ne pas intervenir pour empêcher un crime n’est pas en soi un crime. Cependant, qu’une personne soit volontairement et à dessein témoin d’un crime sans aucunement s’y opposer, alors qu’on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce qu’elle l’empêche et qu’elle avait le pouvoir de l’empê­cher, ou au moins d’exprimer sa désapprobation, cela peut, dans certaines circonstances, constituer une preuve convaincante qui permettra à un jury de conclure qu’elle a intentionnellement incité et donc aidé et encouragé. Cependant, la question de savoir si elle l’a fait ou non relève exclusivement du jury. Ainsi, si un certain nombre de personnes prennent des mesures pour qu’une infraction criminelle ait lieu et que cette infraction a lieu en conséquence, la seule présence de n’importe laquelle des personnes qui ont pris de telles mesures serait un élément important de preuve quant à l’aide et à l’encou­ragement qui devrait être laissé à l’appréciation du jury.

[Page 893]

Cette Cour a étudié la question de l’aide et de l’encouragement dans Preston c. R.[8] L’appelant et une autre personne étaient accusés d’avoir mis le feu à une école. Dans le jugement qu’il a rendu pour la majorité de cette Cour, le juge Estey dit (à la p. 159) que pour que l’appelant soit déclaré coupable d’avoir aidé, encouragé, conseillé ou favorisé, il suffit de démontrer qu’il comprenait ce qui se passait et que, par un acte quelconque de sa part, il a incité ou contribué à la réalisation de l’infraction. Plus loin, il écrit (à la p. 160) que la simple présence ne constitue pas une aide et un encouragement, mais que la présence dans certai­nes circonstances peut en soi en constituer une preuve. Après avoir passé la preuve en revue, il a conclu, à la p. 161:

[TRADUCTION] Si le jury n’a pas cru l’explication de l’appelant, à sa simple présence s’ajoutaient des élé­ments de preuve à partir desquels le jury pouvait bien conclure qu’il était coupable d’avoir aidé, encouragé, conseillé ou favorisé. (Les italiques sont de moi.)

Deux arrêts canadiens établissent une distinc­tion entre la présence avec connaissance préalable, et la présence accidentelle. Dans R. v. Dick[9], l’accusée avait à répondre du meurtre de son mari. Suivant sa propre déclaration, elle avait rencontré son mari et Bohozuk, un ami, qui l’avaient accom­pagnée dans une voiture empruntée. Son mari prenait place à l’avant et Bohozuk à l’arrière. Les deux hommes ont commencé à se quereller, tous deux buvaient; Bohozuk sortit une arme et abattit M. Dick. Le mariage n’était pas des plus heureux et M. Dick et Bohozuk n’étaient pas en bons termes. Certains éléments de preuve soulevaient des soupçons quant à la participation de l’accusée. Comme l’a fait observer le juge en chef Robertson, elle n’a pas admis qu’il existait un projet, ni qu’elle savait que Bohozuk avait l’intention d’abattre Dick, ni même qu’elle savait que Bohozuk était armé. Cependant, le juge du procès n’a donné que des directives générales au jury sur la notion d’aide et d’encouragement. Le juge en chef Robertson a conclu aux pp. 432 et 433:

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[TRADUCTION] Or, bien qu’à partir des éléments de preuve un jury puisse déduire un grand nombre de choses qui ne sont pas expressément admises, il n’est pas du tout certain qu’en l’espèce le jury a effectivement déduit que l’appelante en savait plus long qu’elle ne l’a admis sur le projet de Bohozuk. On aurait dû expliquer au jury que s’il concluait que l’appelante n’avait rien fait de plus qu’acquiescer passivement au moment de l’acte et qu’elle n’avait aucun motif de s’attendre au meurtre avant que celui-ci ne se produise, l’art. 69 ne s’applique pas.

Finalement, on ordonna un nouveau procès.

Dans R. v. Hoggan[10], on reprochait à l’accusé d’avoir aidé et encouragé quelqu’un à contrecarrer volontairement le cours de la justice en tentant de dissuader une personne de rendre témoignage. Le juge Johnson a conclu à la p. 260:

[TRADUCTION] On doit prouver deux choses avant de pouvoir déclarer un accusé coupable d’avoir participé en aidant et en encourageant. Il faut prouver qu’il savait que l’auteur de l’infraction avait l’intention de la com­mettre et que l’accusé l’a aidé et encouragé. S’il ne sait pas qu’une infraction sera commise, sa présence sur les lieux du crime n’est pas un fait qui peut constituer une preuve d’aide et d’encouragement.

La façon dont le juge Johnson a abordé la question de l’aide et de l’encouragement trouve son fondement dans les arrêts Preston et Coney, tous deux cités dans son jugement.

L’affaire R. v. Salajko[11], ressemble à la présente espèce sous bien des rapports. Une jeune fille a été violée par quinze jeunes hommes dans un champ désert. Trois d’entre eux ont été accusés, dont deux ont été identifiés comme ayant eu des rapports sexuels avec la jeune fille. Celle-ci a toutefois admis que le troisième accusé, Salajko, bien qu’il ait été vu le pantalon baissé, près d’elle, pendant qu’elle se faisait violer par les autres, n’avait pas eu de rapports sexuels avec elle. Le ministère public a invoqué contre lui les al. 21(1)b) et c) du Code criminel. Il est permis de

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penser que le jury aurait pu conclure qu’il y avait eu incitation par la conduite de l’accusé, mais la Cour d’appel de l’Ontario en a décidé autrement. Le juge en chef Gale, au nom de la Cour, a dit qu’en l’absence de preuve d’un fait qui puisse s’interpréter comme une aide, un conseil ou une incitation de la part de l’accusé en rapport avec ce que faisaient les autres, il n’y avait tout simplement aucune preuve qui pouvait à bon droit permettre à un jury de rendre un verdict de culpabi­lité contre cet accusé. Le savant Juge en chef a aussi déclaré erronées les parties des directives du juge de première instance qui semblaient indiquer qu’une personne pouvait en encourager une autre à commettre une infraction si, en connaissance de cause, elle se tenait sur les lieux pendant que l’infraction était commise.

Enfin, il y a les arrêts R. v. Black[12] et R. v. Clarkson[13]. La victime dans l’affaire Black a été conduite au pavillon d’un club ou elle a subi divers outrages sordides. Plusieurs des accusés ont pris une part active à la torture de la victime pendant que d’autres y assistaient, riant et criant. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a confirmé les déclarations de culpabilité; elle était d’avis que les spectateurs avaient été une source d’incitation pour les auteurs des outrages et que leur simple présence dans les circonstances de l’affaire rédui­sait les possibilités de fuite de la victime. Il y avait donc quelque chose de plus que la «simple pré­sence», comme dans R. c. Coney précité. Plus important encore, le juge de première instance avait donné ses directives au jury en s’inspirant du jugement du juge Hawkins dans Coney et il avait en termes très clairs passé en revue la preuve ayant trait à la présence de l’accusé.

L’arrêt R. v. Clarkson, une décision du Tribunal d’appel des cours martiales, vient en opposition avec l’arrêt R. v. Black. Une jeune fille a été violée dans une chambre d’une caserne en Allemagne par un certain nombre de soldats. Un autre groupe de soldats se tenaient près de la porte à l’extérieur et par la suite «se sont entassés» dans la chambre. Ils y sont demeurés un bon moment pendant que la fille se faisait violer. Rien dans la preuve n’indiquait

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que les appelants avaient accompli un acte matériel ou proféré quelque parole qui corresponde à une participation physique ou une incitation verbale directes. Rien n’indiquait qu’ils avaient touché la fille ou fait quoi que ce soit pour empê­cher d’autres de l’aider ou pour l’empêcher de s’échapper. La Cour d’appel a conclu qu’il ne suffisait pas que la présence des accusés ait, de fait, fourni une incitation. [TRADUCTION] «On doit prouver que l’accusé a eu l’intention d’inciter; qu’il a incité volontairement» (p. 347). Il doit y avoir, a conclu le Tribunal, une intention d’inciter et une incitation de fait. Les déclarations de culpabilité ont été infirmées.

La présente affaire

Dans la présente affaire, j’ai beaucoup de diffi­culté à déceler une preuve de quelque chose de plus que la simple présence et l’acquiescement passif. La présence au moment de la perpétration d’une infraction peut constituer une preuve d’aide et d’encouragement si elle est accompagnée d’au­tres facteurs, comme la connaissance préalable de l’intention de l’auteur de perpétrer l’infraction ou si elle a pour but l’incitation. Il n’y a aucune preuve qu’au cours de la perpétration de l’acte criminel, l’un ou l’autre des accusés ait fourni une aide, une assistance ou une incitation au viol de Brenda Ross. Il n’y a aucune preuve de quelque acte positif ou omission pour faciliter le dessein illicite. II est possible de déduire que les deux accusés savaient qu’une fête allait avoir lieu et que leur présence au dépotoir n’était pas accidentelle ou qu’ils n’étaient pas des promeneurs occasionnels, mais cela ne suffit pas. Une personne ne peut être, à bon droit, déclarée coupable d’avoir aidé ou encouragé l’accomplissement d’actes répréhensi­bles alors qu’elle ne savait pas qu’on avait ou pouvait avoir l’intention de les commettre: le vicomte Dilhorne dans D.P.P. v. Maxwell[14], à la p. 1144. On doit pouvoir déduire que les accusés avaient la connaissance préalable qu’une infraction du type de celle commise était projetée, c.-à-d. que leur présence s’accompagnait d’une connaissance du viol projeté. Sur cette question, le ministère public n’a présenté aucune preuve.

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En concluant à l’existence d’éléments de preuve qui permettraient au jury de déduire que le com­portement des accusés a dépassé le stade de la simple présence sur les lieux d’un crime sans tenter d’en empêcher la perpétration, le juge Matas a fait mention de la réunion antérieure des «Spartans» au dépotoir (à laquelle assistaient Sylvester et Dunlop) lorsque Douglas a été présenté comme aspirant membre, la présence de membres du groupe au cabaret de l’hôtel Waldorf où se trou­vaient la plaignante et son amie, le fait que Dou­glas a amené la plaignante au dépotoir, le retour d’un groupe de «Spartans» au même endroit (là où le viol a eu lieu), l’arrivée des accusés avec une quantité importante de bière et le fait que les deux accusés ont observé les rapports sexuels entre la plaignante et un homme, mais en présence d’autres hommes.

Le juge Matas mentionne deux fois les activités de Douglas mais il faut rappeler que Douglas n’était pas l’un des accusés. Dunlop et Sylvester ne sont aucunement responsables de ce que ce dernier a pu faire ou ne pas faire. A part la présence de Dunlop et de Sylvester plus tôt dans la soirée au dépotoir et au cabaret de l’hôtel Waldorf, la preuve que le juge Matas retient contre eux est (i) leur arrivée au dépotoir avec une quantité impor­tante de bière et (ii) leur observation des rapports sexuels. A mon avis, pour les motifs que j’ai cher­ché à exprimer précédemment, ni l’un ni l’autre de ces faits n’est suffisant en droit pour constituer une preuve que les appelants ont aidé et encouragé la perpétration du crime de viol. Ils ne peuvent servir à établir que la simple présence et non la complicité.

Avec égards, je n’arrive pas à trouver ni dans les éléments de preuve auxquels le juge Matas fait allusion, ni ailleurs, des faits, par opposition à des suppositions ou à des soupçons, qui permettraient à un jury de conclure au-delà de tout doute raison­nable que les accusés avaient joué un rôle qu’on pourrait qualifier d’aide ou d’encouragement aux termes du par. 21(1) du Code.

Dans ces circonstances, selon moi, le juge de première instance a fait erreur en donnant au jury des directives sur l’alternative: (i) auteur principal et (ii) complice par aide et encouragement.

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La question du jury

Malheureusement, l’erreur a été aggravée lorsque le jury, qui s’était retiré pour délibérer à 15 h 15, est revenu à 17 h 40 pour poser la ques­tion suivante:

[TRADUCTION] Si les accusés savaient qu’un viol avait lieu en leur présence et n’ont rien fait pour empêcher cet acte ou en amener l’auteur à y renoncer, sont-ils consi­dérés comme complices en vertu de la loi?

La réponse à cette question tenait en un seul mot: «non».

Une personne n’est pas coupable simplement parce qu’elle est présente sur les lieux d’un crime et ne fait rien pour l’empêcher: Smith & Hogan, Criminal Law (4e éd., 1978) p. 117. S’il n’y a aucune preuve d’encouragement de sa part, la présence d’un homme sur les lieux d’un crime ne suffit pas pour le reconnaître coupable d’avoir fourni une aide ou un encouragement. Une personne qui, sachant qu’un viol est commis en sa présence, observe et ne fait rien n’est pas, en droit, un complice. L’illustration typique de cette règle est celle du citadin endurci qui assiste sans réagir à un meurtre dans une station de métro.

En l’espèce, le juge a d’abord eu l’intention de répondre «non» à la question du jury, mais les débats l’ont entraîné à adopter un autre point de vue, proposé par le ministère public, savoir, que les accusés pourraient être coupables à titre de parties à l’infraction aux termes de l’art. 21 du Code. Par conséquent, le juge a donné les nouvelles directives suivantes:

[TRADUCTION] J’ai décidé que la meilleure façon de répondre à votre question est de mentionner de nouveau une partie de la loi que je vous ai déjà expliquée relativement aux parties à une infraction et d’ajouter un ou deux commentaires.

En vertu du par. 21(1) du Code criminel, est partie à une infraction quiconque a) la commet réellement, b) accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre — et je reviendrai sur ce point — ou c) encourage quelqu’un à la commettre. Et, comme je vous l’ai déjà dit, le mot «encourage» signifie inciter, appuyer, soutenir, c’est une autre façon d’aider une personne qui commet l’infraction.

Quiconque aide ou incite une autre personne à com­mettre une infraction criminelle est aussi coupable que

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la personne qui commet réellement l’acte criminel. Pour conclure qu’un accusé est coupable d’avoir aidé ou encouragé une autre personne à commettre une infrac­tion, il suffit de démontrer qu’il comprenait ce que l’on faisait et que, par quelque acte de sa part, il a fourni une assistance ou une incitation propres à la réalisation de ce qui était en train de se faire.

Cependant, lorsque vous considérez ce que je viens de dire, en rapport avec la partie centrale de la définition que j’ai lue, est partie à une infraction quiconque accom­plit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre, je dois vous dire que l’expres­sion omet d’accomplir quelque chose signifie l’omission intentionnelle d’accomplir quelque chose en vue d’aider une autre personne à commettre une infraction, quelque chose qui aurait empêché ou arrêté la personne qui commettait l’infraction. L’omission intentionnelle d’ac­complir quelque chose en vue d’aider une autre personne à commettre l’infraction, chose qui, si elle avait été faite, aurait empêché la personne de commettre l’infraction ou l’aurait arrêtée.

Par conséquent, si vous venez à la conclusion qu’un accusé savait qu’une infraction était en cours et qu’il a intentionnellement omis d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à commettre l’infraction, chose qui, si elle avait été faite, aurait pu en empêcher ou arrêter la perpétration, alors vous pouvez peut-être con­clure que l’accusé était partie à l’infraction. Mais si l’omission n’atteint pas ce niveau, vous ne pouvez con­clure qu’il était partie à l’infraction.

Avec égards, j’estime que ces nouvelles directives sont erronées à trois points de vue: (i) elles ne répondent pas à la question posée; (ii) vu les faits de la cause, elles pouvaient laisser au jury l’impres­sion que les accusés pouvaient être parties à l’infraction s’ils savaient qu’une infraction était en train d’être commise et s’ils ont omis de faire quelque chose pour l’empêcher ou l’arrêter; et (iii) le jury n’a reçu aucune aide pour appliquer la directive; on n’a identifié aucun acte ou omission qui aurait pu étayer dans les faits l’application de l’art. 21.

Conclusion

Si le juge de première instance a commis une erreur en donnant des directives concernant le par. 21(2), ce qui est admis, et aussi, comme je le crois, en donnant de nouvelles directives concernant le par. 21(1), quelle décision devrions-nous prendre dans cette affaire? Suivant l’opinion majoritaire de

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la Cour d’appel du Manitoba, le juge de première instance n’avait pas commis d’erreur dans sa réponse à la question du jury. Quant à l’erreur reconnue dans les directives relatives au projet commun en vertu du par. 21(2), le juge Matas a dit:

[TRADUCTION] Mais il ressort de la question du juré que les membres du jury n’éprouvaient aucune difficulté quant à la notion de projet commun. Quoi qu’il en soit, compte tenu de tous les éléments de preuve et de l’ensemble des directives, je suis convaincu qu’il ne s’est produit aucun tort important ou erreur judiciaire grave.

La difficulté est que nous ne savons pas et ne saurons jamais si le jury a reconnu les appelants coupables parce qu’ils avaient eu des rapports sexuels avec la plaignante ou en raison de l’appli­cation des par. (1) ou (2) de l’art. 21 du Code. Mais nous savons par la question du jury et le moment où elle a été posée, qu’après deux heures et vingt-cinq minutes de délibérations, le jury n’avait pas accepté le témoignage de la plaignante quant à la participation directe des appelants. Quinze minutes après la reprise des délibérations, à la suite des nouvelles directives, le verdict de culpabilité a été rendu.

Je ne crois pas que ce soit un cas approprié d’application du sous-al. 613(1)b)(iii). Je suis incapable d’affirmer que le verdict aurait été le même s’il n’y avait pas eu d’erreur. Plutôt que de faire subir aux appelants un troisième procès, je suis d’avis d’ordonner un verdict d’acquittement pour les motifs suivants donnés par le juge Hall:

[TRADUCTION] Les accusés ont subi deux procès et deux appels. Ils sont incarcérés depuis plus d’un an. Le doute soulevé quant à leur innocence ou leur culpabilité devrait maintenant être dissipé. Le fond de l’affaire est, ni plus ni moins, leur dénégation du témoignage de Ross. Dans les circonstances, les exigences de la justice seraient mieux servies par un verdict d’acquittement plutôt que par une ordonnance qui ferait subir aux accusés un troisième procès.

Je suis d’avis d’accueillir les pourvois, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel du Manitoba et d’ordon­ner un verdict d’acquittement en faveur de chaque appelant.

[Page 901]

Le jugement des juges Martland, Ritchie et Pigeon a été rendu par

LE JUGE MARTLAND (dissident) — Un jury a

déclaré les appelants coupables sur une accusation de viol. Les faits qui ont donné lieu à cette accusa­tion sont relatés dans les motifs de mon collègue le juge Dickson.

Leur appel à la Cour d’appel du Manitoba a été rejeté, les juges Hall et O’Sullivan étant dissidents. Leur appel devant cette Cour se fonde sur l’al. a) du par. 618(1) du Code criminel, qui permet à une personne déclarée coupable d’un acte criminel dont la condamnation est confirmée par la cour d’appel, d’interjeter appel sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident.

L’article 606 du Code exige que lorsque la cour d’appel rejette un appel et qu’un juge de cette cour exprime une opinion dissidente, le jugement formel de la cour spécifie tout motif en droit sur lequel repose cette dissidence. Les jugements formels dans la présente affaire spécifient les motifs de dissidence de la manière suivante:

[TRADUCTION] 1. Que le savant juge de première instance a commis une erreur en donnant au jury des directives concernant le par. 21(2) du Code criminel alors qu’il n’y avait aucun élément de preuve qui aurait permis à un jury ayant reçu des directives appropriées de conclure ou de déduire que l’appelant ... était partie à l’infraction.

2. Que le savant juge de première instance a commis une erreur en donnant au jury des directives concernant le par. 21(1) du Code criminel puisque la preuve n’était pas suffisante en droit pour conclure que l’appelant . . était partie à l’infraction.

3. Que le sous-al. 613(1)b)(iii) du Code criminel ne devrait pas être appliqué pour rejeter le présent appel.

Je ne crois pas que le troisième motif constitue une dissidence sur une question de droit. Le sous-al. (iii) de l’al. 613(1)b) donne à une cour d’appel le pouvoir discrétionnaire de rejeter un appel d’une déclaration de culpabilité même lorsqu’un juge de première instance a rendu une déci­sion erronée sur une question de droit s’il ne résulte de cette erreur aucun tort important ou

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erreur judiciaire grave. Le désaccord qu’exprime un juge dissident quant à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne constitue pas une dissidence sur une question de droit.

Le premier motif de dissidence est qu’il n’y avait aucune preuve permettant de conclure que les appelants étaient parties à l’infraction aux termes du par. 21(2) du Code. Le juge Matas, qui a exprimé les principaux motifs de la majorité, et dont le juge en chef Freedman a partagé l’opinion, était d’accord sur ce point avec les motifs donnés par le juge Hall qui a rédigé l’opinion de la minorité. Le juge Matas a dit:

[TRADUCTION] En ce qui concerne les moyens d’appel concernant le projet commun (moyens 5 et 6 de l’avis d’appel, par. 21(1) (sic) du Code), j’estime bien fondé l’argument des appelants que ces observations n’étaient pas justes compte tenu des circonstances de l’affaire. Mais il ressort clairement de la question du juré que les membres du jury n’éprouvaient aucune difficulté quant à la notion du projet commun. Quoi qu’il en soit compte tenu de tous les éléments de preuve et de l’ensemble des directives, je suis convaincu qu’il ne s’est produit aucun tort important ou erreur judiciaire grave.

Je suis d’accord avec cette affirmation.

La question principale débattue devant cette Cour portait sur le deuxième motif de dissidence. Il est à signaler qu’alors que le premier motif se rapporte à l’absence de preuve, ce qui constitue une question de droit, le deuxième motif a trait à l’insuffisance en droit de la preuve pour rendre les appelants parties à l’infraction. La suffisance de la preuve est une question qui relève du jury. (La Reine c. Warner[15].) Je ne crois pas que la dissi­dence sur ce point soit une dissidence sur une question de droit.

Cependant, comme cet argument a été exhausti­vement débattu devant cette Cour, il y a lieu de l’examiner. Le juge Hall en traite de la façon suivante;

[TRADUCTION] Concernant le par. 21(1) du Code, le jury a reçu les directives suivantes:

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« Deuxièmement, je dois également vous parler du droit relatif aux parties à une infraction. Le paragra­phe 21(1) du Code criminel se lit comme suit:

«Est partie à une infraction quiconque:

a) la commet réellement,

b) accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre, ou

c) encourage quelqu’un à la commettre.»

Encourage, ce mot veut dire inciter, appuyer, soutenir. C’est une autre façon d’exprimer qu’on fournit assistance à celui qui commet l’infraction. Quiconque aide ou incite une personne à commettre une infraction est aussi coupable que la personne qui commet réellement l’acte criminel.

Pour conclure que l’accusé est coupable d’avoir aidé ou encouragé la perpétration d’une infraction par une autre personne, il suffit de démontrer qu’il comprenait ce que l’on faisait et que, par quelque acte de sa part, il a fourni une assistance ou une incitation propres à la réalisation de cette infraction.»

Après que le jury se fut retiré pour délibérer, il a posé une question au juge de première instance. Cette ques­tion se lit: «Si les accusés savaient qu’un viol avait lieu en leur présence et n’ont rien fait pour empêcher cet acte ou en amener l’auteur à y renoncer, sont-ils consi­dérés comme complices en vertu de la loi?»

Le juge de première instance a répondu à la question dans les termes suivants:

« Messieurs, vous m’avez fait parvenir une question par écrit à laquelle je tenterai de répondre. Je vais la lire de nouveau. J’en ai déjà discuté avec les avocats. Vous avez demandé «si les accusés savaient qu’un viol avait lieu en leur présence et n’ont rien fait pour empêcher cet acte ou en amener l’auteur à y renoncer, sont-ils considérés comme complices en vertu de la loi?»

J’ai décidé que la meilleure façon de répondre à votre question est de mentionner de nouveau une partie de la loi que je vous ai déjà expliquée relativement aux parties à une infraction et d’ajouter un ou deux commentaires.

En vertu du par. 21(1) du Code criminel, est partie à une infraction quiconque a) la commet réellement, b) accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre — et je revien­drai sur ce point — ou c) encourage quelqu’un à la commettre. Et, comme je vous l’ai déjà dit, le mot «encourage» signifie inciter, appuyer, soutenir, c’est une autre façon d’aider une personne qui commet l’infraction.

[Page 904]

Quiconque aide ou incite une autre personne à commettre une infraction criminelle est aussi coupa­ble que la personne qui commet réellement l’acte criminel. Pour conclure qu’un accusé est coupable d’avoir aidé ou encouragé une autre personne à com­mettre une infraction, il suffit de démontrer qu’il comprenait ce que l’on faisait et que, par quelque acte de sa part, il a fourni une assistance ou une incitation propres à la réalisation de ce qui était en train de se faire.

Cependant, lorsque vous considérez ce que je viens de dire, en rapport avec la partie centrale de la définition que j’ai lue, est partie à une infraction quiconque accomplit ou omet d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à la commettre, je dois vous dire que l’expression omet d’accomplir quelque chose signifie l’omission intentionnelle d’accomplir quelque chose en vue d’aider une autre personne à commettre une infraction, quelque chose qui aurait empêché ou arrêté la personne qui commettait l’infraction. L’omission intentionnelle d’accomplir quelque chose en vue d’aider une autre personne à com­mettre l’infraction, chose qui, si elle avait été faite, aurait empêché la personne de commettre l’infraction ou l’aurait arrêtée.

Par conséquent, si vous venez à la conclusion qu’un accusé savait qu’une infraction était en cours et qu’il a intentionnellement omis d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à commettre l’infraction, chose qui, si elle avait été faite, aurait pu en empêcher ou arrêter la perpétration, alors vous pouvez peut-être conclure que l’accusé était partie à l’infraction. Mais si l’omission n’atteint pas ce niveau, vous ne pouvez conclure qu’il était partie à l’infraction.»

La question elle-même indique à tout le moins qu’un ou plusieurs membres du jury étaient disposés à fonder leur décision sur la réponse qu’on leur donnait.

La réponse du juge de première instance était, avec égards, trop générale et abstraite. Elle n’était pas en harmonie avec les faits de l’affaire. Veut-elle dire, par exemple, que si les deux accusés savaient que le viol avait lieu en leur présence et qu’intentionnellement ils étaient restés sans rien faire, ils seraient coupables comme parties à l’infraction? Si c’est là le principe qu’on cherchait à établir, je doute que ce soit un exposé exact du droit. Mais quel est l’élément de preuve qui puisse fonder cette proposition? Au pire, les accusés ont observé une jeune fille nue qui avait des rapports sexuels avec un «Spartan», alors que d’autres «Spartans» se tenaient à proximité.

La présence des accusés au dépotoir et leur observa­tion passive d’une jeune fille en train d’avoir des rapports

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sexuels ne suffisent pas en droit à les rendre parties à une infraction en vertu du par. 21(1) du Code.

Il n’est pas contesté que la simple présence sur les lieux d’un crime ne suffit pas, en soi, pour établir qu’on a aidé ou encouragé la perpétration d’une infraction, mais le juge de première instance n’a pas dit au jury qu’elle suffisait. Il a dit dans ses directives au jury: «il suffit de démontrer qu’il comprenait ce que l’on faisait et que par quelque acte de sa part, il a fourni une assistance ou une incitation propres à la réalisation de cette infraction.»

Cette directive est en parfaite conformité avec le principe exprimé pour la majorité de cette Cour par le juge Estey dans l’arrêt Preston c. Le Roi[16], à la p. 159.

L’essence des motifs du juge Hall se trouve dans l’alinéa final que j’ai cité. Mais l’affirmation que les appelants étaient simplement présents au dépo­toir et de simples témoins passifs des rapports sexuels doit être fondée sur le témoignage des appelants. Il appartenait au jury de décider s’il devait accepter ces témoignages. L’affirmation ignore tout à fait les autres éléments de preuve présentés au jury et résumés dans le passage sui­vant des motifs du juge Matas:

[TRADUCTION] L’argument des appelants repose sur l’acceptation du témoignage des accusés qu’ils n’ont fait que livrer de la bière, qu’ils sont arrivés en retard, qu’ils ont été témoins de rapports sexuels et qu’ils sont repartis quelques minutes plus tard sans autrement s’intéresser à l’incident. Cependant, cette cour ne peut fonder sa décision uniquement sur l’acceptation de la version des accusés concernant les événements de cette nuit-là.

Le jury pouvait prendre en considération toute la preuve, y compris la réunion antérieure des «Spartans» au dépotoir (à laquelle assistaient Sylvester et Dunlop) lorsque Douglas a été présenté comme aspirant membre, la présence de membres du groupe au cabaret de l’hôtel Waldorf où se trouvaient la plaignante et son amie, le fait que Douglas a amené la plaignante au dépotoir, le retour d’un groupe de «Spartans» au même endroit (là où le viol a eu lieu), l’arrivée des accusés avec une quantité importante de bière et le fait que les deux accusés ont observé les rapports sexuels entre la plai­gnante et un homme, mais en présence d’autres hommes.

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La preuve, dont ce qui précède n’est qu’un bref résumé, était de nature à permettre au jury de déduire que les accusés avaient dépassé le stade de la simple présence sur les lieux et de la non-intervention. Le jury pouvait conclure, au-delà de tout doute raisonnable, que les accusés avaient joué un rôle qui permettait de quali­fier leur conduite d’aide et d’encouragement au sens du par. 21(2) (sic) du Code.

A mon avis, il y avait des éléments de preuve qui permettaient au jury de conclure que les appelants avaient aidé et encouragé la perpétration de l’infraction. Le jury a reçu des directives appropriées sur ce qui était nécessaire pour établir l’aide et l’encouragement. La suffisance de ces éléments de preuve relevait exclusivement de l’appréciation du jury et ne devait pas faire l’objet d’une décision de la Cour d’appel.

On a critiqué le juge de première instance pour sa réponse à la question posée par le jury, qui est rapportée dans le passage cité des motifs du juge Hall. On a dit que la réponse à cette question aurait dû être un nom pur et simple.

Pour répondre à ces critiques, j’adopterais ce que le juge Matas a dit:

[TRADUCTION] Les avocats des appelants ont allégué qu’à un moment, en l’absence du jury, pendant la discus­sion au sujet de la question posée par le jury, le substitut du procureur général et le juge de première instance semblaient penser qu’il fallait répondre par un «non» pur et simple à la question du juré. Mais la lecture des notes de toute la discussion indique que le substitut du procu­reur général estimait que cette réponse ne serait pas suffisante, et qu’à la réflexion le juge de première instance a décidé, et à mon avis il a eu raison, qu’il devait donner une réponse plus élaborée.

La question posée au juge Wright n’était pas purement théorique car elle s’insérait dans le contexte de la preuve des événements de cette soirée. Nous devons présumer que le jury était composé de personnes raison­nablement intelligentes qui comprenaient les définitions qu’on leur avait données. Il ne demandait pas si un promeneur occasionnel, qui par coïncidence livrait de la bière et observait une fille en train d’avoir des rapports sexuels avec un homme en présence d’autres hommes, devenait partie à l’infraction. La question a été posée

[Page 907]

dans le contexte de toute la preuve que le jury avait entendu et c’est dans ce contexte qu’on doit étudier la question et la réponse.

De plus, le dernier alinéa de la réponse porte spécifi­quement sur la connaissance et l’intention. Pour des fins de commodité, je le répète:

«Par conséquent, si vous venez à la conclusion qu’un accusé savait qu’une infraction était en cours et qu’il a intentionnellement omis d’accomplir quelque chose en vue d’aider quelqu’un à commettre l’infraction, chose qui, si elle avait été faite, aurait pu en empêcher ou arrêter la perpétration, alors vous pouvez peut-être conclure que l’accusé était partie à l’infraction. Mais si l’omission n’atteint pas ce niveau, vous ne pouvez conclure qu’il était partie à l’infraction.»

Il me semble que ce commentaire expose la situation au jury de façon juste.

A mon avis, le ministère public s’est acquitté de l’obligation de démontrer que le savant juge de première instance n’avait pas commis d’erreur ni dans ses directi­ves ni dans la réponse à la question quant à l’application du par. 21(2) (sic) du Code.

Avant de conclure, je tiens à souligner que, presque à la fin de son adresse, le juge de première instance a formulé l’énoncé suivant qui était très favorable aux appelants:

[TRADUCTION] Si vous acceptez le témoignage de Brenda Ross et si, après avoir pesé toute la preuve, vous êtes convaincus au-delà de tout doute raisonnable que les deux accusés ont réellement eu des rapports sexuels avec Brenda Ross sans son consentement, vous pouvez les déclarer tous deux coupables de l’accusation portée.

Si, par contre, vous avez un doute raisonnable que l’un des accusés ait participé de cette manière, vous devez alors donner à cet accusé le bénéfice du doute raisonnable et l’acquitter.

Je suis d’avis de rejeter les appels.

Le jugement des juges Beetz et Pratte a été rendu par

LE JUGE PRATTE — J’ai eu l’avantage de lire les motifs de mes collègues les juges Martland et Dickson; je partage l’opinion du juge Dickson quant à la décision à rendre dans ce pourvoi, mais j’arrive à cette conclusion pour des motifs quelque peu plus étroits que ceux qu’il exprime.

[Page 908]

Le pourvoi repose sur la légalité des directives que le juge de première instance a données au jury en ce qui concerne les par. 21(1) et 21(2) du Code criminel.

Pour ce qui est du par. 21(2) du Code criminel, la Cour d’appel a été unanime pour dire que le juge de première instance avait fait erreur en donnant des directives au jury sur ce point et cette conclusion n’a pas été contestée devant nous. La divergence d’opinions en Cour d’appel portait seu­lement sur l’application du sous-al. 613(1)b)(iii) à cette erreur et je suis d’accord avec mon collègue le juge Martland que cela ne constitue pas une dissidence sur une question de droit.

Quant au par. 21(1), les appelants ont allégué que le juge de première instance avait formulé des directives erronées à deux points de vue: (i) il aurait dû éviter complètement de donner des direc­tives concernant le par. 21(1) parce qu’il n’y avait aucune preuve pouvant fonder un verdict de culpa­bilité aux termes de ce paragraphe, et (ii) sa réponse à la question du jury quant au sens précis de ce paragraphe du Code n’était pas juste.

Ce dernier point qui paraît clairement constituer un motif de dissidence dans les motifs de jugement n’a cependant pas été mentionné spécifiquement dans le jugement formel de la Cour d’appel. Cela n’a aucun effet sur la compétence de cette Cour: Warkentin et autres c. La Reine[17].

Je partage l’opinion de mon collègue le juge Dickson, pour les motifs qu’il expose, que la réponse du juge de première instance à la question du jury n’était pas juste et constituait une directive erronée en droit. Je ne puis dire, à la lumière de la preuve, que cette erreur du juge de première instance n’a causé aux appelants aucun tort impor­tant ou erreur judiciaire grave; je n’appliquerais donc pas le sous-al. 613(1)b)(iii) à cette erreur.

Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’exprime d’opinion sur la question de savoir s’il y avait des éléments de preuve justifiant le juge de première instance de donner des directives concer­nant le par. 21(1).

[Page 909]

Pourvois accueillis, les juges MARTLAND, RITCHIE et PIGEON étant dissidents.

Procureurs des appelants: Walsh, Micay & Co., Winnipeg.

Procureur de l’intimée: Sous procureur général du Manitoba, Winnipeg.

[1] (1977), 37 C.C.C. (2d) 90.

[2] [1938] R.C.S. 32.

[3] [1946] R.C.S, 20.

[4] [1961] R.C.S. 144.

[5] [1942] R.C.S. 80.

[6] [1960] R.C.S. 892.

[7] (1882), 8 Q.B. 534.

[8] [1949] R.C.S. 156.

[9] (1947), 2 C.R. 417 (Ont. C.A.).

[10] (1965), 47 C.R. 256 (C.S. Alta., D.A.).

[11] [1970] 1 C.C.C. 352 (C.A. Ont.).

[12] (1970), 10 C.R.N.S. 17.

[13] [1971] 3 All E.R. 344.

[14] [1978] 3 All E.R. 1140 (C.L.).

[15] [1961] R.C.S. 144.

[16] [1949] R.C.S. 156.

[17] [1977] 2 R.C.S. 355.


Parties
Demandeurs : Dunlop et Sylvester
Défendeurs : Sa Majesté la Reine
Proposition de citation de la décision: Dunlop et Sylvester c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 881 (31 mai 1979)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1979-05-31;.1979..2.r.c.s..881 ?
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