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01/12/1981 | CANADA | N°[1981]_2_R.C.S._606

Canada | R. c. Whitter, [1981] 2 R.C.S. 606 (1 décembre 1981)


Cour suprême du Canada

R. c. Whitter, [1981] 2 R.C.S. 606

Date: 1981-12-01

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Dana Leanne Whitter Intimée;

et

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Karen Elaine Galjot Intimée.

1981: 17 juin; 1981: 1er décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOIS contre deux arrêts de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a r

ejeté les appels des jugements du juge Macdonell de la Cour de comté accueillant l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée par l...

Cour suprême du Canada

R. c. Whitter, [1981] 2 R.C.S. 606

Date: 1981-12-01

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Dana Leanne Whitter Intimée;

et

Sa Majesté La Reine Appelante;

et

Karen Elaine Galjot Intimée.

1981: 17 juin; 1981: 1er décembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Martland, Ritchie, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Lamer.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOIS contre deux arrêts de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[1], qui a rejeté les appels des jugements du juge Macdonell de la Cour de comté accueillant l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Davies de la Cour provinciale, quant à l’intimée Whitter et l’appel de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Craig de la Cour provinciale quant à l’intimée Galjot. Pourvois rejetés.

A.M. Stewart, pour l’appelante.

Phillip Rankin, pour l’intimée Dana Leanne Whitter.

George Geraghty, pour l’intimée Karen Elaine Galjot.

Version française du jugement de la Cour prononcé par

LE JUGE MCINTYRE — Il y a deux pourvois distincts devant cette Cour dans les présentes procédures. L’un et l’autre soulèvent le même point de droit, ils ont été entendus ensemble et seront résolus ensemble. Ils soulèvent à nouveau la question du sens du mot «sollicite», qui se trouve à l’art. 195.1 du Code criminel, dont voici le texte:

SOLLICITATION

195.1 Toute personne qui sollicite une personne dans un endroit public aux fins de la prostitution est coupable d’une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.

[Page 608]

Les cours ont examiné cet article à plusieurs reprises. L’arrêt de principe sur le sujet qui doit guider notre façon d’aborder la question est l’arrêt Hutt c. La Reine[2]. Le juge Spence, parlant au nom de la majorité, conclut que le mot «sollicite», employé dans l’art. 195.1 du Code criminel, comporte un élément d’insistance ou de pression. Il y a été décidé que la seule manifestation par une femme de son intention de se livrer à la prostitution et d’être prête à le faire ne suffit pas à justifier une déclaration de culpabilité. En plus, il faut que la poursuite fasse la preuve que sa façon d’aborder un client éventuel s’accompagne de pression ou d’un comportement d’insistance.

L’intimée Whitter a été accusée:

[TRADUCTION] En la ville de Vancouver, province de la Colombie-Britannique, d’avoir, le 18 juillet 1979, illégalement sollicité une personne dans un endroit public, savoir, au niveau du numéro 1000 de la rue Granville, pour les fins de la prostitution, en contravention de la loi applicable en pareil cas.

Entre 21h40 environ et 22h02, le 18 juillet 1979, on l’a vue aborder sept hommes au niveau du numéro 1000 de la rue Granville, à Vancouver, manifestement un endroit public; à 22h02 elle a adressé la parole à un agent secret. Pendant sa conversation avec l’agent, elle a offert de se prostituer et elle a été arrêtée. Au procès, le juge a conclu qu’elle a adressé la parole à l’agent de police pour les fins de la prostitution et il a estimé que l’effet cumulatif d’avoir abordé d’autres hommes auparavant fournissait l’élément d’insistance requis d’après l’arrêt Hutt et faisait de sa façon d’accoster l’agent de police une «sollicitation» au sens de l’art. 195.1 du Code. Elle a en conséquence été déclarée coupable. Son appel à la Cour de comté, en application de l’art. 758 du Code a été accueilli. Le savant juge de la Cour de comté a conclu, comme point de droit, que pour juger s’il y a eu sollicitation, il faut se limiter à examiner les circonstances des avances faites à la personne qui est censée avoir été sollicitée. La Cour d’appel a rejeté l’appel de la poursuite, avec dissidence d’un des juges, d’où le pourvoi en cette Cour.

[Page 609]

L’intimée Galjot a été accusée:

[TRADUCTION] En la ville de Vancouver, province de la Colombie-Britannique d’avoir, le 21 mai 1979, illégalement sollicité une personne dans un endroit public, savoir, au niveau du numéro 800 de la rue Georgia, ouest, pour les fins de la prostitution, en contravention de la loi applicable en pareil cas.

Le 21 mai 1979, on l’a vue aborder sept hommes entre 20h56 et 22h53. A 22h53, elle a abordé un agent secret et lui a fait une proposition, indiquant manifestement qu’elle avait l’intention de se livrer à la prostitution et qu’elle était prête à le faire. Elle a également été arrêtée. Le cheminement de sa cause devant les cours a été le même que celui de Whitter: déclarée coupable au procès, acquittée en appel à la Cour de comté et à la Cour d’appel.

Les questions soulevées et les solutions sont les mêmes dans les deux affaires. On n’a pas soumis de preuve, ni dans un cas, ni dans l’autre, de ce que les intimées pouvaient avoir dit aux autres hommes qu’elles avaient abordés avant d’accoster les agents de police et il n’y a rien, dans les deux affaires, de la conversation échangée entre les intimées et les agents de police qui comporte l’élément d’insistance ou de pression requis pour qu’il y ait sollicitation. Dans chaque affaire, le juge du procès a présumé que les avances précédentes avaient été faites pour les fins de la prostitution et il a alors conclu qu’il y avait dans ces avances le comportement insistant ou pressant qui est requis et a fait le rapprochement avec le racolage des agents de police.

On a admis de façon constante dans toutes les procédures dans toutes les cours que la poursuite avait l’obligation de faire la preuve du comportement pressant ou insistant. Les avis judiciaires ont cependant différé à savoir s’il faut que le comportement insistant ou pressant se manifeste dans le racolage même de la personne censée avoir été sollicitée ou s’il peut se manifester dans le racolage antérieur et répété de diverses personnes non identifiées. De la réponse à cette question dépend le sort de ces pourvois puisque, comme je l’ai déjà signalé, tous reconnaissent qu’il n’y a rien eu de nature pressante ou insistante, au sens de l’arrêt Hutt, dans le racolage des agents de police par les intimées.

[Page 610]

Le substitut du procureur général a soutenu que, dans chaque cas, il y a eu un acte de sollicitation par l’effet cumulatif d’une série de rencontres, dont une avec l’agent de police. Il dit ceci dans son mémoire d’appel dans l’affaire Whitter:

[TRADUCTION] Nous affirmons que, selon l’énoncé exact du droit, le juge du procès pouvait conclure qu’une suite d’événements qui sont survenus entre 21h40 et 22h02, manifeste une seule infraction de sollicitation et que l’élément d’«insistance» dont la Cour suprême fait état dans l’arrêt Hutt c. La Reine se trouve présent par l’effet cumulatif des diverses offres discrètes.

Cet argument, présenté en Cour d’appel, a été rejeté par le juge Bull, au nom de la majorité, dans les termes suivants:

[TRADUCTION] Il est manifeste que ce sont la rencontre de l’intimée avec l’agent secret Kajander et ses arrangements avec lui, en raison desquels elle a été arrêtée, qui font l’objet de l’accusation. Ceci ressort de la formulation de l’accusation; soit d’avoir sollicité «une personne». Si la poursuite avait voulu viser une infraction qui impliquait huit personnes différentes, elle aurait dû, en toute équité, le dire et ainsi, naturellement, s’exposer à la contestation de la validité de l’accusation.

Le substitut du procureur général a soutenu que tenir compte des racolages antérieurs pour décider si l’infraction visée par l’accusation a été commise ne viole pas la règle d’«unicité d’affaire» qu’énonce l’art. 510 du Code criminel et que le par. 729(1) du Code rend applicable à ces procédures par déclaration sommaire de culpabilité. Il a invoqué, quant à cet aspect de l’affaire, plusieurs arrêts, notamment R. v. Canavan and Busby[3]; R. v. Flynn[4]; R. v. Kisinger and Voszler[5]; R. v. Zamal et al.[6] et R. v. Hulan[7], à l’appui de l’affirmation selon laquelle une suite d’événements pouvait être liée par le temps, le lieu et les circonstances au point de former une seule affaire. Il a alors soutenu qu’il était loisible à la Cour de tenir compte de l’effet cumulatif des racolages précédents pour déterminer si l’on avait fait la preuve de tous les éléments de l’accusation de sollicitation.

[Page 611]

Sans exprimer d’avis sur les arrêts invoqués, je partage l’avis du juge Bull, de la Cour d’appel, que les principes qui y sont énoncés ne s’appliquent pas aux présents pourvois. En plus de porter sur une suite d’infractions complètes, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, les causes invoquées révèlent une relation beaucoup plus étroite entre les divers incidents que ce n’est le cas dans ces affaires-ci. Au surplus, elles n’autorisent pas, à mon avis, la poursuite à adopter le raisonnement expliqué plus haut.

D’abord, il n’y a pas de preuve au dossier de ce que les intimées ont dit au moment des racolages précédents. Ce serait naïveté de croire qu’elles demandaient du feu ou qu’elles discutaient de politique ou de tout autre sujet d’intérêt général, mais il n’y a pas de preuve à ce sujet et, dans ce cas, il serait, à mon avis, inapproprié de tirer des conclusions défavorables aux intimées. Les racolages précédents ne peuvent donc apporter aucun appui à la preuve de la poursuite. De plus, même si on conclut qu’à chaque occasion précédente l’intimée a offert de se prostituer, je ne puis voir de relation entre les racolages précédents et les avances faites en dernier lieu à l’agent de police. Chacun des racolages précédents est un acte distinct qui vise une personne dont l’identité n’est pas connue; ils n’ont ni de rapport, ni de relation avec les avances finalement faites aux deux agents de police. Si l’un ou l’autre des hommes accostés par les intimées avait été réceptif et avait accepté les avances faites, le couple aurait sans doute quitté les lieux et l’agent de police n’aurait pas été accosté. Tout au plus, la poursuite a démontré que les intimées ont peut-être exercé leur métier avec énergie, mais les racolages précédents n’ont pas de rapport avec l’accusation qui a trait aux agents de police. Ils ne peuvent être décrits comme une suite d’étapes qui ont un effet cumulatif sur le racolage final. Il conviendrait mieux de les décrire comme une suite de démarches successives que les intimées ont faites dans l’exercice de leur métier, mais qui n’ont nullement été faites en vue du racolage final des agents de police ni reliées à celui-ci et qui, en conséquence, n’ont aucune possibilité de contribuer à la nature du racolage final.

A mon avis, ces affaires sont claires. Les intimées ont été accusées selon les termes de l’article,

[Page 612]

d’avoir «sollicit[é] une personne». D’après la preuve soumise, il est très évident que cette personne est, dans chaque cas, l’agent de police identifié dans la preuve. Pour obtenir une déclaration de culpabilité, la poursuite devait faire la preuve, en plus de l’offre de ses services comme prostituée, d’une insistance ou d’un comportement pressant dans la présentation de cette offre. Cela, la poursuite ne l’a pas fait, de son propre aveu, et, à mon avis, la preuve que l’intimée a racolé d’autres hommes ne peut pas, pour les motifs que j’ai tenté d’exposer, suppléer à cette déficience.

Dans sa dissidence d’avec la majorité de la Cour d’appel, le juge McFarlane exprime l’avis que sur ce point le juge du procès peut tenir compte du comportement d’une prostituée [TRADUCTION] «à l’égard de plusieurs personnes, si ce comportement est raisonnablement relié, quant au temps et au lieu, à l’infraction visée par l’accusation». Il renvoie à l’historique de la législation dont parle le juge Spence dans l’arrêt Hutt, précité, à la p. 484 et exprime l’avis que l’intention du législateur, quand il a adopté l’art. 195.1 du Code criminel, a été de réduire la gêne et les inconvénients sociaux que cause la sollicitation en public pour des fins de prostitution.

Il se peut bien qu’en adoptant l’art. 195.1 du Code le législateur ait eu l’intention que mentionne le savant juge dissident. Pour les motifs que j’ai tenté d’exposer ci-dessus, cependant, je suis d’avis que la disposition ne réalise pas cette intention et rend le respect du texte de la disposition et la réalisation de cette intention du Parlement impossibles. S’il est souhaitable de changer la situation sous ce rapport, je crois qu’il est nécessaire de procéder par modification législative. En conséquence, je suis d’avis de rejeter les deux pourvois.

Pourvois rejetés.

Procureur de rappelante: A.M. Stewart, Vancouver.

Procureurs de l’intimée Dana Leanne Whitter: Rankin, Stone & McMurray, Vancouver.

Procureurs de l’intimée Karen Elaine Galjot: Hart, Geraghty, Vancouver.

[1] (1980), 54 C.C.C. (2d) 539.

[2] [1978] 2 R.C.S. 476.

[3] [1970] 5 C.C.C. 15 (Ont. C.A.).

[4] (1955), 111 C.C.C. 129(Ont.C.A.).

[5] (1972), 6 C.C.C. (2d) 212 (Alta. C.A.).

[6] (1963), 42 C.R. 378 (Ont. C.A.).

[7] [1970] 1 C.C.C. 36 (Ont. C.A.).


Synthèse
Référence neutre : [1981] 2 R.C.S. 606 ?
Date de la décision : 01/12/1981
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont rejetés

Analyses

Droit criminel - Prostitution - Sollicitation - Conduite pressante ou insistance comme élément essentiel de l’accusation - Observation de rencontres de l’accusée avec plusieurs hommes non identifiés avant qu’elle accoste un agent secret - Preuve de l’élément de pression ou d’insistance - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 195.1.

Les deux affaires portent sur le sens du mot «sollicite» à l’art. 195.1 du Code criminel. On a vu chacune des intimées aborder plusieurs hommes dans des endroits publics avant d’offrir de se livrer à la prostitution à un agent secret. Aucun élément d’insistance ne se trouve dans les conversations intervenues entre les intimées et les agents de police et il n’y a pas eu de preuve de ce que les intimées avaient dit aux autres hommes abordés avant le racolage des agents. Au procès, le juge a conclu que l’effet cumulatif des avances précédentes prouvait l’élément d’insistance nécessaire à l’infraction de sollicitation, mais la Cour de comté et la Cour d’appel ont toutes les deux renversé cette décision. La question est de savoir si le comportement insistant ou pressant doit se manifester dans le racolage même de la personne censée avoir été sollicitée ou s’il peut se manifester dans le racolage antérieur et répété de diverses personnes non identifiées.

Arrêt: Les pourvois sont rejetés.

Pour obtenir une déclaration de culpabilité, la poursuite devait faire la preuve, en plus de l’offre des services comme prostituée, d’un élément d’insistance ou de comportement pressant dans la présentation de cette offre. La poursuite n’a pas établi cet élément et la preuve que l’intimée a racolé d’autres hommes n’a pas suppléé à cette insuffisance. Sans la preuve de ce que les intimées

[Page 607]

pouvaient avoir dit au moment des racolages précédents, il est inapproprié de conclure qu’à chaque occasion précédente, les intimées ont offert de se prostituer. Même si on pouvait le conclure, il n’y a pas de relation entre les racolages précédents et les avances faites en dernier lieu à l’agent de police. Chacun des racolages précédents est un acte distinct qui vise une personne dont l’identité n’est pas connue; ils n’ont ni de rapport, ni de relation avec les avances finalement faites aux deux agents de police.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Whitter

Références :

Jurisprudence: arrêt appliqué: Hutt c. La Reine, [1978] 2 R.C.S. 476

arrêts mentionnés: R. v. Canavan and Busby, [1970] 5 C.C.C. 15

R. v. Flynn, (1955), 111 C.C.C. 129

R. v. Kisinger and Voszler (1972), 6 C.C.C. (2d) 212

R. v. Zamal et al (1963), 42 C.R. 378

R. v. Hulan, [1970] 1 C.C.C. 36.

Proposition de citation de la décision: R. c. Whitter, [1981] 2 R.C.S. 606 (1 décembre 1981)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1981-12-01;.1981..2.r.c.s..606 ?
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