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23/11/1982 | CANADA | N°[1982]_2_R.C.S._709

Canada | Durham Regional Police c. Durham Regional Board of Police Co, [1982] 2 R.C.S. 709 (23 novembre 1982)


Cour suprême du Canada

Durham Regional Police c. Durham Regional Board of Police Co, [1982] 2 R.C.S. 709

Date: 1982-11-23

Durham Regional Police Association Appelante;

et

Durham Regional Board of Commissioners of Police Intimée;

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant.

N° du greffe: 16127.

1982: 2 novembre; 1982: 23 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt

de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté l’appel d’un jugement de la Cour divisionnaire qui avait annulé une sentence arbitrale ...

Cour suprême du Canada

Durham Regional Police c. Durham Regional Board of Police Co, [1982] 2 R.C.S. 709

Date: 1982-11-23

Durham Regional Police Association Appelante;

et

Durham Regional Board of Commissioners of Police Intimée;

et

Le procureur général de l’Ontario Intervenant.

N° du greffe: 16127.

1982: 2 novembre; 1982: 23 novembre.

Présents: Le juge en chef Laskin et les juges Dickson, Beetz, Estey, Mclntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario qui a rejeté l’appel d’un jugement de la Cour divisionnaire qui avait annulé une sentence arbitrale reconnaissant la validité d’une disposition d’une convention collective. Pourvoi accueilli.

Ian Scott, c.r., et A.G. Bolotenko, pour l’appelante.

D.J.D. Sims, c.r., pour l’intimée.

Michael W. Bader, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE EN CHEF — The Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, (la «Loi») prévoit l’arbitrage des clauses d’une convention collective sur lesquelles les parties ne peuvent s’entendre. En l’espèce, un arbitre a prescrit l’insertion de l’article 17.06 pour en faire une des clauses d’une convention entre Durham Regional Police Association et Durham Regional Board of Commissioners of Police. Cet article se lit:

[TRADUCTION]

17.06 Lorsqu’un membre du corps policier est accusé d’une infraction criminelle ou d’une infraction à une loi commise dans l’exercice de ses fonctions et qu’il est par la suite acquitté de cette accusation, ce membre a droit au remboursement de tous frais légaux raisonnables subis en raison de cette accusation.

Il a été reconnu dans les cours d’instance inférieure que le par. 29(2) de The Police Act, pris isolément, appuie la validité de l’article 17.06 qui serait une «condition de travail» en vertu de ce paragraphe. La question en l’espèce est de savoir si

[Page 711]

cet article est interdit par le par. 24(6) de la Loi qui se lit:

[TRADUCTION] 24.…

(6) Le conseil d’une municipalité peut, lorsqu’il l’estime approprié, payer les dommages-intérêts ou les frais qu’un membre du corps policier de la municipalité ou un agent spécial est condamné à payer dans une poursuite civile ou criminelle intentée contre lui, les frais qu’il a subis dans cette poursuite et qu’il n’a pu recouvrer, et toute somme requise relativement au règlement d’une réclamation qui a ou qui aurait pu entraîner cette poursuite.

Le paragraphe 29(2) de The Police Act sur lequel s’appuient l’arbitre et l’association appelante se lit comme suit:

[TRADUCTION] 29.…

(2) Lorsqu’un avis a été donné en vertu du paragraphe (1), le conseil municipal ou la commission, le cas échéant, doit se réunir avec le comité de négociation des membres de la force policière dans les quinze jours de l’avis ou dans tout autre délai dont les parties conviennent; les parties doivent négocier de bonne foi et déployer tout effort raisonnable pour en arriver à un accord sur une convention écrite qui définit et fixe la rémunération, les retraites, les congés de maladie, la procédure de grief ou les conditions de travail des membres de la force policière autres que le chef de police et tout chef de police adjoint, à l’exception des conditions de travail régies par un règlement établi par le lieutenant-gouverneur en conseil sous le régime de la présente loi.

La Cour divisionnaire de l’Ontario a annulé l’article 17.06 pour le motif que l’arbitre n’avait pas le pouvoir d’introduire dans la convention collective une disposition susceptible de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire que la Loi accorde au conseil de la municipalité et partant à la Board of Commissioners of Police (ci-après la «commission de police»), et d’entraver ce pouvoir discrétionnaire en transformant en une règle générale les décisions rendues à l’égard de cas particuliers ou individuels. La Cour d’appel de l’Ontario à la majorité a confirmé cette décision; le juge Zuber était dissident.

Je suis disposé à accepter l’argument de la commission intimée que la mention au par. 24(6) des «frais qu’il a subis» (et le juge Zuber est de cet avis), est suffisamment large pour comprendre les

[Page 712]

frais légaux que mentionne l’article 17.06. Cependant, cela ne résoud pas la question de la validité de l’article. La question principale est de savoir si le par. 24(6), qui est rédigé en termes facultatifs, exclut une disposition d’une convention collective du genre de celle de l’article 17.06. Le paragraphe 24(6) peut avoir un effet indépendamment des dispositions négociées d’une convention collective, que ces dernières soient conclues par négociation volontaire ou imposées par l’arbitrage obligatoire, mais il reste à décider s’il empêche la municipalité, ou une commission de police qui la représente, de céder un pouvoir discrétionnaire qu’elle détient au profit d’une règle de convention collective.

Bien qu’à l’origine l’avocat de la commission intimée ait adopté la position que l’expression «conditions de travail» au par. 29(2) n’était pas assez large pour comprendre les termes de l’article 17.06, il n’a pas insisté sur cet argument, et l’avocat du procureur général de l’Ontario qui a appuyé la commission ne l’a pas endossé. Essentiellement, l’avocat de la commission et celui du procureur général de l’Ontario ont fait valoir que le par. 24(6) empêche le recours au par. 29(2) et à l’expression «conditions de travail» qu’il renferme pour justifier l’article 17.06.

L’historique des lois qui ont précédé The Police Act actuelle a été examiné, et il suffit de remarquer que depuis 1946, la Loi contient une disposition analogue au par. 24(6) qui a précédé toute disposition relative à la négociation entre une municipalité ou une commission et une association de policiers. L’introduction d’un régime limité de négociation à compter de 1949 a restreint de façon évidente le droit jusque-là absolu d’une municipalité ou d’une commission de déterminer les conditions d’emploi des policiers. La reconnaissance des associations de policiers n’accordait pas un droit illimité de négociation. Comme l’a souligné ici l’avocat de l’association, il n’y a pas le droit de grève, comme c’est habituellement le cas dans la négociation collective entre un employeur et un syndicat, il n’y a pas le droit de recourir à des moyens de pression de nature économique, The Police Act restreint de façon précise le champ des négociations, et pour sortir d’une impasse dans les négociations, il faut recourir à l’arbitrage pour

[Page 713]

établir les termes des questions en litige. Le paragraphe 29(2) lui-même énonce une contrainte précise pertinente en l’espèce qui exclut du domaine des «conditions de travail» celles qui sont régies par un règlement du lieutenant gouverneur en conseil. Il existe un règlement, le Règlement 790, qui ne touche pas ce que prescrit l’article 17.06. Il importe de souligner que parmi les documents soumis à cette Cour, on mentionne sept conventions collectives applicables à des associations de policiers et à des municipalités ou à des commissions et qui comportent des clauses semblables à celle de l’article 17.06. Il faut présumer que le lieutenant gouverneur est au courant de ces clauses et qu’il a le pouvoir d’exclure de la négociation l’article 17.06 ou les articles semblables.

L’avocat de la commission intimée a évidemment raison de dire que si la loi n’accordait pas le pouvoir de rembourser les frais légaux que subissent les membres du corps policier, la municipalité ou la commission n’aurait pas le pouvoir de le faire. Partant de cette prémisse, il fait cependant valoir que la disposition législative de remboursement réserve cette faculté au seul pouvoir discrétionnaire de la municipalité et le substitut du procureur général adopte cet argument. J’estime qu’on fait un grand saut en concluant que le pouvoir facultatif d’indemniser doit être interprété de façon à exclure la négociation sur cette question en vertu du par. 29(2). Il est admis que dans l’exécution de leurs fonctions, les policiers assument aussi bien le risque de subir des frais légaux que celui de subir des blessures physiques, et la condition que prévoit le projet d’article 17.06 est loin d’étonner. Bien que la commission ait pu reculer sur une position déjà adoptée en raison des conseils subséquents de son avocat, le fait demeure qu’elle a accepté l’article 17.06 lorsque l’association des policiers a accepté d’y insérer le terme «raisonnables».

Il nous reste alors à répondre à la question que j’ai posée au début des présents motifs, savoir si les par. 24(6) et 29(2) sont incompatibles ou contradictoires en ce qui concerne l’article 17.06. La question n’est pas nouvelle dans les négociations concernant des policiers, et je ne vois pas la nécessité d’examiner l’arrêt Dennis v. Metropolitan

[Page 714]

Board of Commissioners of Police (1976), 12 O.R. (2d) 439, sur lequel s’appuient le juge Zuber et l’appelante, ou l’arrêt Re Board of Education for the Borough of Etobicoke and Canadian Union of Public Employees, [1973] 1 O.R. 437, sur lequel s’appuie la commission intimée.

M’attachant aux par. 24(6) et 29(2), je suis d’avis que le pouvoir discrétionnaire absolu prévu au par. 24(6) n’exige pas l’exclusivité qui interdirait l’établissement d’un régime de négociation collective. Le paragraphe 24(6) est une simple disposition habilitante et l’exclusivité qu’on veut y voir ne s’y trouve pas. Le remplacement du par. 24(6) par une disposition adoptée ultérieurement relativement à la négociation collective n’empêche pas qu’il s’applique aux membres du corps policier qui ne participent pas à la négociation collective avec la commission de police. Dans les circonstances, il n’y a pas incompatibilité ou contradiction en l’espèce entre les par. 24(6) et 29(2); chacun a son propre champ d’application. Le paragraphe 29(2) lui-même peut être remplacé par le lieutenant gouverneur en conseil s’il choisit d’agir en vertu d’un règlement; il n’a pas choisi de le faire en l’espèce.

Même si l’arrêt de cette Cour International Brotherhood of Electrical Workers c. Town of Summerside, [1960] R.C.S. 591 n’est pas directement applicable, on peut faire une analogie avec le présent cas. Dans cette affaire, la question était de savoir si la municipalité intimée était tenue de négocier collectivement avec le syndicat appelant au nom des employés en vertu de la Trade Union Act de l’île-du-Prince-Édouard, R.S.P.E.I. 1951, chap. 164, ou si sa loi constitutive la Summerside Incorporation Act, 1903 (P.E.I.), chap. 18, la libérait de toute obligation juridique de négocier collectivement. La municipalité a invoqué les dispositions supposément particulières du règlement 326 de la loi constitutive qui se lisait:

[TRADUCTION] Les salaires des fonctionnaires de la ville, des pompiers et de tous les autres employés de la ville sont ceux que le conseil établit et fixe à l’occasion par résolution; ils exercent leurs fonctions à titre amovible et, en cas de vacance, le conseil peut, à l’une de ses réunions, nommer d’autres personnes pour combler les postes vacants.

[Page 715]

La Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard in banco a exprimé l’avis que la loi spéciale l’emportait sur la loi d’application générale qu’est la Trade Union Act parce qu’autrement cette dernière loi empiéterait sur les pouvoirs qui seraient réservés à la municipalité en vertu du règlement 326. Le juge Ritchie, qui a rendu l’arrêt de cette Cour, a dit qu’il n’y avait pas incompatibilité entre les deux lois en question et il a conclu que rien dans la loi constitutive n’interdisait à la municipalité d’établir les règlements qu’elle estimait appropriés pour se conformer aux conditions d’une convention qui régit les conditions d’emploi de ses employés, puisque la loi ne prévoyait aucune restriction à cet égard.

Pour ces motifs et pour ceux qu’a exposés le juge Zuber, je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer les jugements des cours d’instance inférieure et de rétablir la sentence de l’arbitre. L’appelante a droit aux dépens dans toutes les cours. Il n’y aura pas d’adjudication de dépens pour ou contre le procureur général de l’Ontario.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l’appelante: Cameron, Brewin & Scott, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Sims, Morton, Mclnerney & Brady, Whitby.

Procureur de l’intervenant: H. Allan Teal, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1982] 2 R.C.S. 709 ?
Date de la décision : 23/11/1982
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Relations de travail - Police - Convention collective - Disposition qui accorde le droit au remboursement des frais légaux - «Condition de travail» au sens de l’art. 29(2) de The Police Act - L’article 24(6) accorde aux municipalités le pouvoir discrétionnaire de payer les frais légaux - La disposition est-elle exclue de la convention collective en raison de l’application de l’art. 24(6)? - The Police Act, R.S.O. 1970, chap. 351, art. 24(6), 29(2).

L’article 17.06 d’une convention collective, qui prévoit le remboursement des frais légaux que subit un policier lorsqu’il est acquitté d’une infraction criminelle ou d’une infraction à une loi commise dans l’exercice de ses fonctions, a été soumis à l’arbitrage conformément à The Police Act. Le paragraphe 29(2) de cette loi appuie la validité de cet article qui serait une «condition de travail» lorsqu’il figure dans une convention. Cependant, le par. 24(6) accorde au conseil municipal un pouvoir discrétionnaire quant au paiement des dommages‑intérêts ou des frais que subit un membre de son corps policier à l’occasion d’une poursuite civile ou criminelle. La Cour d’appel de l’Ontario a maintenu la décision de la Cour divisionnaire d’annuler l’article 17.06. La question principale en l’espèce est de savoir si le par. 24(6), qui est rédigé en termes facultatifs, exclut l’article 17.06 de la convention collective.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le pouvoir discrétionnaire absolu prévu au par. 24(6), qui est une disposition habilitante, n’interdit pas l’établissement d’un régime de négociation collective. Le remplacement du par. 24(6) par une disposition adoptée ultérieurement relativement à la négociation collective

[Page 710]

n’empêche pas l’application du par. 24(6) à l’égard des membres du corps policier qui ne participent pas à la négociation collective. En l’espèce, il n’y a ni incompatibilité, ni contradiction entre le par. 24(6) et le par. 29(2).


Parties
Demandeurs : Durham Regional Police
Défendeurs : Durham Regional Board of Police Co

Références :

Jurisprudence: arrêt examiné: International Brotherhood of Electrical Workers c. Town of Summerside, [1960] R.C.S. 591

arrêts mentionnés: Dennis v. Metropolitan Board of Commissioners of Police (1976), 12 O.R. (2d) 439

Re Board of Education for the Borough of Etobicoke and Canadian Union of Public Employees, [1973] 1 O.R. 437.

Proposition de citation de la décision: Durham Regional Police c. Durham Regional Board of Police Co, [1982] 2 R.C.S. 709 (23 novembre 1982)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1982-11-23;.1982..2.r.c.s..709 ?
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