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07/06/1983 | CANADA | N°[1983]_1_R.C.S._683

Canada | Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683 (7 juin 1983)


Cour suprême du Canada

Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683

Date: 1983-06-07

Pauline Adam Appelante;

et

Daniel Roy Limitée Intimée;

et

M. le juge Marc Brière, M. André Roy, Commissaire du travail Mis en cause.

N° du greffe: 16821.

1983: 16 mars; 1983: 7 juin.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1981] C.A. 409, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait

refusé la délivrance d’un bref d’évocation. Pourvoi accueilli.

Denis Provençal et Laurent Trudeau, pour l’appelante.

Richard Martel e...

Cour suprême du Canada

Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683

Date: 1983-06-07

Pauline Adam Appelante;

et

Daniel Roy Limitée Intimée;

et

M. le juge Marc Brière, M. André Roy, Commissaire du travail Mis en cause.

N° du greffe: 16821.

1983: 16 mars; 1983: 7 juin.

Présents: Les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel du Québec, [1981] C.A. 409, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure qui avait refusé la délivrance d’un bref d’évocation. Pourvoi accueilli.

Denis Provençal et Laurent Trudeau, pour l’appelante.

Richard Martel et André Durocher, pour l’intimée.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE CHOUINARD — Ce litige porte sur l’art. 36 du Code du travail du Québec, S.R.Q. 1964, chap. 141 (maintenant L.R.Q. 1977, chap. C-27, art. 45). À l’époque pertinente l’art. 36 se lisait:

36. L’aliénation ou la concession totale ou partielle d’une entreprise autrement que par vente en justice n’invalide aucune accréditation accordée en vertu du présent code, aucune convention collective, ni aucune procédure en vue de l’obtention d’une accréditation ou de la conclusion ou de l’exécution d’une convention collective.

Sans égard à la division, à la fusion ou au changement de structure juridique de l’entreprise, le nouvel employeur est lié par l’accréditation ou la convention collective comme s’il y était nommé et devient par le fait même partie à toute procédure s’y rapportant, aux lieu et place de l’employeur précédent.

De façon plus particulière, la question à déterminer est celle de savoir si une plainte de congédie-

[Page 685]

ment pour activités syndicales, soumise en vertu des art. 14 à 16 du Code du Travail (maintenant art. 15 à 17), constitue une procédure visée par l’art. 36 de façon qu’une ordonnance de réintégration puisse être prononcée contre un acquéreur subséquent de l’entreprise.

Il n’existe, que je sache, aucune jurisprudence sur cette question.

L’appelante était depuis novembre 1971 caissière-téléphoniste à l’emploi de Robert L. Plante Ltée qui exploitait à Sherbrooke un magasin de la chaîne Canadian Tire. Le 1er juin 1976, Robert L. Plante Ltée vendit l’entreprise à l’intimée avec prise de possession le 2 juin. Il est admis que l’intimée exploite la même entreprise que son vendeur. Le 1er juin dans la soirée, l’appelante fut prévenue par le préposé de Robert L. Plante Ltée qu’elle était congédiée et qu’elle ne devait pas se présenter au travail le lendemain.

L’appelante avait, le 20 août 1975, adhéré au syndicat en voie de formation qui obtint son accréditation le 19 février 1976. Par la suite, l’appelante devint membre du comité de négociations constitué en vue de la conclusion d’une première convention collective.

À la suite de son congédiement, l’appelante soumit une plainte invoquant l’art. 14 du Code du travail ainsi rédigé à l’époque:

14. Lorsqu’un salarié est congédié, suspendu ou déplacé par l’employeur ou son agent à cause de l’exercice par ce salarié d’un droit qui lui résulte du présent code, le commissaire-enquêteur peut ordonner à l’employeur de réintégrer, dans les huit jours de la signification de la décision, ce salarié dans son emploi avec tous ses droits et privilèges, et de lui payer, à titre d’indemnité, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privé le congédiement, la suspension ou le déplacement.

Si le salarié a travaillé ailleurs au cours de la période précitée, le salaire qu’il a ainsi gagné doit être déduit de cette indemnité.

Le commissaire-enquêteur chargé de l’audition de la plainte a déterminé qu’il s’agissait d’un congédiement illégal pour activités syndicales. Il a par ailleurs conclu que l’art. 36 était applicable et en conséquence, conformément à l’art. 14, il a

[Page 686]

ordonné à l’intimée de réintégrer l’appelante dans son emploi «avec tous ses droits et privilèges et de lui payer, à titre d’indemnité, s’il y a lieu, l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privée son congédiement en date du 1er juin 1976.»

Sur appel, cette décision a été confirmée par le Tribunal du travail.

L’intimée s’est alors adressée à la Cour supérieure par voie de requête en évocation. Un seul des deux moyens alors invoqués nous intéresse dans ce pourvoi. Ce moyen est énoncé par le juge de la Cour supérieure de la façon suivante:

…en déclarant que l’article 36 du Code du Travail s’appliquait à un congédiement, créant ainsi des relations d’employeur à employée entre la requérante et l’intimée, les tribunaux inférieurs ont commis une erreur de droit sur des faits préliminaires à l’exercice de leur juridiction.

Pour situer le problème soulevé par ce moyen, le juge écrit plus loin:

Le commissaire et le Tribunal ont décidé que le congédiement de l’intimée était illégal; cette décision est légale et n’est pas contestée. Ils ont été plus loin, et après avoir accepté que la requérante était dûment assignée, ils ont décidé que la requérante, qui n’était pas en fait et en droit l’employeur de l’intimée à la date du congédiement, était maintenant liée par la décision et devait en assumer les conséquences suivant l’article 36. Il s’agit de décider si le commissaire et le Tribunal du Travail ont simplement erré dans l’application de la Loi conservant ainsi leur juridiction ou s’ils l’ont excédée en appliquant erronément l’article 36 aux cas prévus à l’article 14, créant en d’autres termes un nouveau droit.

Les distinctions sont parfois subtiles mais nous ne voyons pas la nécessité d’en faire une analyse dans le cas qui nous est soumis car nous concluons qu’il n’y a pas eu d’erreur ni dans l’application ni dans l’interprétation de l’article 36.

Comme le laisse entrevoir le dernier passage, le juge a conclu à l’applicabilité de l’art. 36 et a refusé la délivrance du bref d’évocation.

Par son arrêt unanime, [1981] C.A. 409, la Cour d’appel a infirmé le jugement de la Cour supérieure et autorisé l’intimée à exercer le recours de l’art. 846 C.p.c. Sur l’article 36 et la seule question en cause dans ce pourvoi, voici le passage

[Page 687]

pertinent des motifs du juge Paré qui a rendu le jugement de la Cour [aux pp. 410 et 411]:

Le juge de première instance a exprimé l’avis que cet article permettait de conclure à la responsabilité sous les articles 14, 15 et 16 C.T., du nouveau propriétaire du commerce bien que la contravention fut antérieure à son acquisition et commise par l’ancien propriétaire. Il fonde son raisonnement sur l’interprétation large et libérale qu’on doit attribuer à tout statut selon les dispositions de l’article 41 de la Loi d’interprétation, S.R.Q. 1964, c. 1.

Selon le juge de première instance, l’omission de considérer le cas actuel comme étant régi par les dispositions de l’article 36 irait à l’encontre de l’accomplissement de l’objet même du Code du travail et permettrait à l’employeur de faire indirectement ce que la loi défend.

Avec déférence pour cette opinion, je ne puis la partager. En effet, l’article 36, à mon avis, est clair et se comprend fort bien de sorte qu’il n’y a pas lieu à interprétation. En l’espèce, personne ne conteste que l’accréditation à laquelle réfère le paragraphe 4 de la requête demeure valide; personne ne contesterait le cas échéant la validité d’une procédure en vue de l’exécution de la convention collective, s’il en eût existé une. Il ne fait non plus aucun doute que l’appelante serait automatiquement devenue partie à toute procédure se rapportant à l’accréditation ou à une convention collective. Mais il ne s’agit ni d’accréditation, ni de convention collective; la procédure commencée aux termes de l’article 14 n’est pas liée à la convention collective ni à l’accréditation mais aux principes généraux que le Code du travail attache au droit d’association. Dès lors, ce n’est plus interpréter l’article 36 que d’y inclure le cas actuel, mais c’est y ajouter un cas d’application que le législateur, volontairement ou par omission, n’y a pas inclus.

Les motifs du jugement de première instance sont peut-être fort louables, mais je crois que le tribunal ne peut se substituer au législateur en imposant à une personne l’obligation très lourde de répondre pour la faute d’autrui. Ce n’est qu’en fonction d’un texte clair me permettant d’inclure dans le cadre de l’article 36 les contraventions aux articles 11 à 13 C.T. que je condamnerais un tiers innocent à indemniser le salarié lésé à la place du véritable contrevenant.

Avec égard, je partage plutôt l’avis du juge de première instance ainsi que du Tribunal du travail et du commissaire-enquêteur à l’effet que l’art. 36 s’applique.

[Page 688]

L’article 36 a été adopté en 1961 par la Loi 9-10 Eliz. II, chap. 73, comme art. 10a de la Loi des relations ouvrières, S.R.Q. 1941, chap. 162A, que le Code du travail a remplacée. L’objet premier était de modifier la situation créée par l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Brown, Syndicat national des travailleurs de la pulpe et du papier de La Tuque Inc. c. Commission des relations ouvrières de la Province de Québec, [1958] B.R. 1.

Le syndicat était accrédité pour représenter les salariés de Brown Corporation au moulin de La Tuque et une convention collective avait été conclue pour une période de trois ans. Peu après la signature de cette convention, Brown Corporation vendit son moulin à Canadian International Paper Co.

Le syndicat s’adressa à la Commission des relations ouvrières pour faire modifier son certificat d’accréditation en y substituant à Brown Corporation le nom de Canadian International Paper Co. qui, par le contrat de vente, avait pris en charge la convention collective.

En un premier temps la Commission accorda la demande du syndicat, mais par la suite, à la requête d’une association rivale, elle revisa sa décision et annula l’accréditation du syndicat. Bien qu’elle ne l’exprime pas de cette façon, la Commission paraît en somme avoir fondé sa décision sur le principe de la relativité des contrats découlant de l’art. 1023 C.c.:

1023. Les contrats n’ont d’effet qu’entre les parties contractantes; ils n’en ont point quant aux tiers, excepté dans les cas auxquels il est pourvu dans la cinquième section de ce chapitre.

En conséquence le certificat de reconnaissance syndicale était devenu caduc par l’effet de la vente du moulin.

À la majorité de quatre contre trois, la Cour d’appel confirma le jugement de la Cour supérieure qui avait cassé le bref de prohibition émis à l’encontre de cette décision de la Commission.

Dans Centrale de chauffage Enr. c. Syndicat des employés des institutions religieuses de Chicoutimi Inc. et l’Hôpital de Chicoutimi, [1970] R.D.T. 344, le juge en chef adjoint Donat

[Page 689]

Quimper du Tribunal du travail explique, aux pp. 347 et 348, les raisons qui ont justifié l’adoption de cet article et l’intention du législateur:

Au cours des années qui ont suivi l’adoption de la Loi sur les relations ouvrières en 1944, il est apparu que certains tranferts de propriété et transferts d’ouvrage avaient pour effet de faire échec à l’exercice normal du droit d’association. En cas de vente, l’acheteur, à moins de convention au contraire, n’avait aucune obligation ni envers les salariés ni envers leur association. L’accréditation ou la convention collective qui liait l’ancien propriétaire perdait son effet.

De même, la pratique de certains employeurs de confier à des tiers l’exécution de travaux qui étaient habituellement effectués dans leur propre établissement pouvait faire obstacle à une demande d’accréditation si la transaction s’accompagnait de mise à pied et priver, le cas échéant, les employés transférés au service du sous-traitant des avantages de la convention existante ou à intervenir. Encore ici, l’accréditation ou la convention n’avait d’effet qu’à l’égard de l’employeur principal.

Ce sont là les deux (2) situations auxquelles le législateur a voulu porter remède en édictant le 1er alinéa de l’article 10A. Il a voulu, par cette disposition, protéger le droit de représentation de l’association et le maintien des conditions de travail, quelles que soient les vicissitudes de l’entreprise, sauf le cas de vente en justice. Il l’a fait en attachant, d’abord, l’accréditation et la convention collective non plus à la personne de l’employeur mais à l’entreprise. Il s’ensuit qu’accréditation et convention collective font désormais partie de l’entreprise. En cas de vente, l’acquéreur devient lié et par l’accréditation et par la convention. Il succède aux droits et aux obligations du vendeur envers ses anciens salariés et envers l’association.

L’application de ces dispositions nouvelles n’a pas été sans difficulté et fait encore l’objet de controverses plus de vingt ans après leur adoption. Voir à ce sujet: Brière, Gagnon et Saint‑Germain, La transmission d’entreprise en droit du travail, 1982, à la p. IX de la Préface et à la p. 165. Voir aussi Cutler, Code du travail du Québec, 4e éd., 1983, à la p. 209.

La controverse a porté surtout jusqu’à présent sur la notion d’entreprise et sur le sens des expressions «l’aliénation ou la concession totale ou partielle d’une entreprise», et «division», «fusion» et

[Page 690]

«changement de structure juridique» de l’entreprise.

En l’espèce c’est un autre aspect de cette disposition qui fait l’objet du débat à savoir si les procédures visées comprennent la plainte qui fait suite à un congédiement illégal pour activités syndicales, et l’ordonnance de réintégration en vertu des art. 14 à 16 du Code.

Il importe donc de voir la place qu’occupent ces articles dans le processus menant à la formation du syndicat, à l’obtention de l’accréditation et à la conclusion d’une convention collective.

Sur le sens et la portée de ces articles, le juge Gagnon écrit au nom de la Cour d’appel dans United Last Co. c. Tribunal du Travail et Adamowicz, [1973] R.D.T. 423, aux pp. 433 à 435:

Il faut bien noter que les articles 14, 15 et 16 du Code du travail s’appliquent à tous les salariés qui sont «congédiés» à cause de l’exercice d’un droit que leur reconnaît le Code. Il est clair qu’ils ne se limitent pas à ceux qui jouissent de la protection d’une convention collective de travail et qui, ainsi, peuvent bénéficier par l’effet de la convention et de la loi d’une certaine sécurité d’emploi, comme des moyens particuliers de faire valoir leurs griefs. Le recours que crée (sic) ces articles est complet par lui‑même.

Outre que cette interprétation soit la seule que permet le texte des dispositions, on sait par expérience, et le législateur savait, que c’est très souvent à l’occasion de campagnes d’organisation syndicale, donc, avant qu’une convention collective de travail ne soit négociée et signée, que des litiges de ce genre surgissent. Il faut être assez réaliste pour constater, sans aucun parti pris, qu’il s’agit là d’une étape particulièrement cruciale dans la vie d’un syndicat et dont un employeur, même l’employeur éclairé et socialement motivé, ne se désintéresse pas facilement. Le législateur a voulu, particulièrement à cette étape, protéger l’exercice du droit d’association, assurer l’exercice des activités syndicales légitimes, en même temps qu’éviter la perturbation d’une unité de négociation en voie de formation et susceptible à un stade ultérieur d’être l’objet d’une accréditation. Pour ce faire, il a édicté des dispositions qui sont tout à fait exorbitantes du droit commun.

C’est, de façon générale et sauf certaines lois particulières, dans le Code civil que l’employé non-syndiqué doit rechercher sa sécurité d’emploi. Bien sûr, il peut être renvoyé pour cause, sans avis et sans indemnité.

[Page 691]

Mais, en dehors de ce cas et si son contrat de travail n’y pourvoit pas autrement, son employeur peut mettre fin au contrat de louage de services par un préavis dont le délai pourra être assez court. Si l’avis prescrit est donné, le contrat cesse et l’ouvrier n’a pas de recours contractuel à l’égard de son renvoi.

C’est ici qu’interviennent les articles 14, 15 et 16 c.t. S’il est établi à la satisfaction du commissaire-enquêteur que le salarié exerce un droit qui lui résulte du Code du travail, la présomption de l’article 16 entre en jeu. A partir de ce moment, la loi impose un lourd fardeau à l’employeur. Ainsi, il ne pourra se retrancher derrière le Code civil et justifier le renvoi de son employé en disant, par exemple, que ce dernier avait été engagé pour une période indéterminée, qu’il était payé à la semaine et qu’il a reçu l’avis d’une semaine. Il devra prouver une cause juste et suffisante de renvoi. On voit donc que ces dispositions débordent les cadres du contrat individuel de travail et qu’elles accordent au salarié congédié pour activités syndicales une sécurité d’emploi qui ne trouve pas sa source dans le Code civil et qui en rendent même certaines dispositions inapplicables.

Un salarié engagé dans des activités syndicales légitimes qui précèdent la convention collective a, par l’effet des art. 14 à 16, droit à sa sécurité d’emploi et a droit de ne pas être congédié sans cause juste et suffisante au même titre qu’un salarié y a généralement droit en cours de convention collective. Si, en l’espèce, une convention collective avait été en vigueur et si l’employeur avait la veille de la prise de possession de l’entreprise par le nouvel acquéreur, congédié sans cause un salarié, celui-ci aurait été protégé et son grief eût pu être accueilli à l’encontre de l’intimée. Les articles 14 à 16 suppléent à l’absence de convention et procurent la même protection durant cette période qui mène vers l’accréditation et vers une première convention collective.

Selon l’intimée, les procédures en vue de l’obtention d’une accréditation, de la conclusion ou de l’exécution d’une convention collective, ou les procédures s’y rapportant, que vise l’art. 36, sont uniquement les diverses requêtes et les avis que doivent se signifier les parties et les autres actes qu’elles doivent poser qui sont décrits dans le Code du travail et qu’elle énumère.

Son procureur écrit dans son mémoire:

[Page 692]

Il nous apparaît que les mots «procédures se rapportant à l’accréditation ou à la convention collective» réfèrent à l’ensemble des actes écrits que les parties doivent se transmettre l’une à l’autre ou au ministre afin de franchir les étapes allant du dépôt de la requête en accréditation jusqu’à la signature de la convention collective et sa mise en application éventuelle par la procédure de griefs.

C’est là à mon avis une conception trop étroite de ce que vise l’art. 36.

Dans le passage précité de Centrale de chauffage Enr., le juge en chef adjoint Quimper écrit que le nouvel acquéreur «succède aux droits et aux obligations du vendeur envers ses anciens salariés et envers l’association.»

Dans une lettre souvent citée qu’il adressait à l’Association des manufacturiers canadiens en 1961, pendant que l’art. 10a était à l’étude devant la Législature, Me Louis-Philippe Pigeon, plus tard juge de cette Cour, écrit notamment:

La certification, de même que la convention collective, est désormais considérée comme s’attachant non plus à la personne de l’employeur, mais au cadre de l’entreprise. Par conséquent, celui qui pénètre ce cadre s’y trouve lié.

Il ajoute un peu plus loin:

On doit considérer comme absolument périmée la conception du Code civil d’après laquelle le salarié n’a pas de droit à son emploi, sauf celui que l’employeur veut bien lui concéder. Il y a plus de 70 ans qu’en France un amendement a été apporté au Code Napoléon pour reconnaître le droit du travailleur à son emploi (loi du 27 décembre 1890). Il est bien temps que notre Législature fasse un premier pas dans cette voie.

Ces extraits de la lettre de Me Pigeon sont cités entre autres par M. Roger Chartier dans un article intitulé «Évolution de la législation québecoise du travail», (1961) 16 R.I. 381, à la p. 389.

Dans les motifs de sa décision en l’espèce, le juge Brière du Tribunal du travail écrit:

Il ne fait aucun doute qu’il y a lieu d’interpréter libéralement les dispositions du Code du travail qui visent à protéger les salariés dans l’exercice de leurs droits d’association et de négociation; il en est ainsi des articles 14 et suivants et de l’article 36. La plainte d’un salarié congédié illégalement pour son activité syndicale en vue de l’accréditation d’un syndicat et de la négocia-

[Page 693]

tion d’une convention collective est à mon avis, une procédure se «rapportant» à telle accréditation ou négociation couverte par l’article 36. Il serait, en effet, pour le moins étrange que le nouvel employeur soit tenu de continuer la négociation d’une convention collective entreprise entre son prédécesseur et les représentants du syndicat accrédité dans l’entreprise, mais qu’il ne soit pas tenu de réintégrer dans leur emploi les membres du comité syndical de négociation que son prédécesseur aurait illégalement congédiés à cause de l’exercice par ceux-ci de leur droit reconnu de négociation.

Le juge de la Cour supérieure écrit pour sa part:

La requérante, interprétant restrictivement les mots «toute précédure s’y rapportant», soutient que le nouvel employeur n’est lié que par l’accréditation ou la convention collective et qu’il ne devient partie qu’aux procédures s’y rapportant. Or, dit-il (sic), le congédiement illégal et les procédures s’y rapportant ne font pas partie de la procédure d’accréditation.

Nous croyons, au contraire, que l’accessoire suit le principal. Lorsqu’une association d’employés entreprend des procédures en vue d’obtenir une accréditation, le législateur spécifie ce que l’employeur doit et ne doit pas faire dans l’instance. Il est évident que jamais une association d’employés ne pourrait se constituer et obtenir une accréditation si l’employeur congédiait délibérément ses employés pour activités syndicales et vendait le lendemain son entreprise à un nouvel employeur, celui-ci et les acquéreurs subséquents agissant ainsi le cas échéant. On ferait indirectement ce que la loi défend directement par l’article 36, sapant, au départ, l’économie du Code du Travail.

À mon avis, le congédiement illégal d’un représentant syndical, membre du comité de négociation, durant le cours des négociations en vue de la conclusion d’une première convention collective est de toute évidence un acte présumé avoir pour objet de faire obstacle à la bonne marche des négociations et à la prompte conclusion d’une convention.

La plainte pour congédiement illégal et l’ordonnance de réintégration, qui en sont la contre‑partie, ont pour objet de rétablir l’équilibre et de favoriser la poursuite des négociations et la conclusion d’une convention collective.

Cette plainte occasionnée par le geste de l’employeur et l’ordonnance sont, selon moi, des procédures en vue d’une convention collective ou tout au

[Page 694]

moins qui s’y rapportent. Les articles 14 à 16 du Code du travail ne visent pas autre chose. Ils visent à permettre l’exercice harmonieux des droits conférés aux salariés par le Code du travail dont la formation en association, l’obtention de l’accréditation et la conclusion d’une convention collective. Déterminer que le congédiement est illégal et n’a pour cause que la participation de l’employée aux activités menant à la formation du syndicat, à l’obtention de l’accréditation et à la conclusion d’une première convention collective, consiste précisément à déterminer que ce congédiement se rapporte à l’accréditation et à la convention. «Se rapporter à» signifie selon le Petit Robert «avoir rapport à», «être en relation logique avec».

L’intimée a soumis par ailleurs que «la protection donnée par l’article 36 est donnée à l’association de salariés uniquement. C’est l’association de salariés seule qui peut déposer une requête en accréditation, détenir un certificat d’accréditation, contraindre un employeur à négocier une convention collective et signer une convention.»

Il est exact que c’est à l’association qu’il appartient de déposer une requête en accréditation, de détenir un certificat et de poser les autres actes mentionnés. Il n’en reste pas moins que l’accréditation et la convention confèrent aussi des droits aux salariés eux-mêmes et rien dans le texte de l’art. 36 ne me paraît justifier l’affirmation que «la protection […] est donnée à l’association de salariés uniquement.»

Quant au moyen qui veut que prononcer une ordonnance de réintégration contre l’intimée équivaut à imposer à celle-ci l’obligation de répondre pour la faute d’autrui, avec égard je ne crois pas qu’il puisse être retenu. Il ne s’agit pas tant de déterminer si l’employeur a commis une faute et si l’acquéreur subséquent peut être tenu responsable de cette faute. Il ne s’agit pas d’une poursuite en dommages mais avant tout d’une demande de réintégration même si celle-ci est assortie d’une indemnité, ce qui n’est que juste, pour le salaire perdu pendant le congédiement illégal. L’article 36 cherche à favoriser la stabilité de l’emploi et à empêcher le dérèglement des relations du travail, ainsi qu’à protéger les droits de l’association de salariés et les droits de ceux-ci du fait d’un changement

[Page 695]

dans la direction ou l’organisation de l’entreprise suivant l’une ou l’autre des hypothèses envisagées. «Le nouvel employeur est lié par l’accréditation ou la convention collective comme s’il y était nommé.» Le nouvel employeur est partie à toute procédure se rapportant à l’accréditation ou à la convention collective «aux lieu et place de l’employeur précédent.» Durant la phase qui précède la conclusion d’une convention collective, les art. 14 à 16 assurent le libre exercice des droits syndicaux des salariés et la sécurité de leur emploi. Il s’agit simplement de déterminer si les procédures prises en vertu de ces articles sont comprises dans les procédures visées par l’art. 36 et lient le nouvel acquéreur, ce que je crois avoir suffisamment démontré.

Pour ces motifs je suis d’avis d’accueillir le pourvoi, d’infirmer l’arrêt de la Cour d’appel et de rétablir le jugement de la Cour supérieure qui a rejeté la requête pour l’émission d’un bref d’évocation, avec dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Trudeau & Provençal, Montréal

Procureurs de l’intimée: Martineau, Walker, Montréal.


Synthèse
Référence neutre : [1983] 1 R.C.S. 683 ?
Date de la décision : 07/06/1983
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit du travail - Congédiement illégal - Vente de l’entreprise - Ordonnance de réintégration à l’encontre du nouveau propriétaire - Une plainte de congédiement pour activités syndicales constitue-t-elle une procédure visée à l’art. 36 du Code du travail? - Code du travail, S.R.Q. 1964, chap. 141, art. 14,15, 36 (maintenant L.R.Q. 1977, chap. C-27, art. 15, 16, 45).

L’appelante a été congédiée le 1er juin 1976. Le même jour, son employeur a vendu son entreprise à l’intimée avec prise de possession le 2 juin. À la suite de son congédiement, l’appelante, invoquant l’art. 14 du Code du travail, a soumis une plainte à un commissaire‑enquêteur. Celui-ci a déterminé (1) qu’il s’agissait d’un congédiement illégal pour activités syndicales et (2) que l’art. 36 était applicable. En conséquence, il a ordonné à l’intimée de réintégrer l’appelante dans son emploi avec indemnité compensatoire. Cette décision a été confirmée par le Tribunal du travail. L’intimée s’est alors adressée à la Cour supérieure par voie de requête en évocation. La Cour supérieure, concluant également à l’applicabilité de l’art. 36, a refusé la délivrance du bref d’évocation. La Cour d’appel a infirmé le jugement. D’où ce pourvoi qui vise à déterminer si une plainte de congédiement pour activités syndicales, soumise en vertu des art. 14 à 16 du Code du travail, constitue une procédure visée par l’art. 36 de façon qu’une ordonnance de réintégration puisse être prononcée contre un acquéreur subséquent de l’entreprise.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le congédiement illégal d’un représentant syndical au cours des négociations en vue de la conclusion d’une première convention collective est de toute évidence un acte présumé avoir pour objet de faire obstacle à la bonne marche des négociations et à la prompte conclu-

[Page 684]

sion d’une convention. La plainte de congédiement illégal et l’ordonnance de réintégration ont pour objet de rétablir l’équilibre et de favoriser la poursuite des négociations et la conclusion d’une convention collective. Cette plainte, occasionnée par le geste de l’employeur, et l’ordonnance sont des procédures en vue d’une convention collective ou tout au moins qui s’y rapportent. Les articles 14 à 16 du Code du travail ne visent pas autre chose. L’article 36 du Code s’applique donc à l’espèce.


Parties
Demandeurs : Adam
Défendeurs : Daniel Roy Ltée

Références :

Jurisprudence: Syndicat national des travailleurs de la pulpe et du papier de La Tuque Inc. c. Commission des relations ouvrières de la province de Québec, [1958] B.R. 1

Centrale de chauffage Enr. c. Syndicat des employés des institutions religieuses de Chicoutimi Inc. et l’Hôpital de Chicoutimi, [1970] R.D.T. 344

United Last Co. c. Tribunal du Travail et Adamowicz, [1973] R.D.T. 423.

Proposition de citation de la décision: Adam c. Daniel Roy Ltée, [1983] 1 R.C.S. 683 (7 juin 1983)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1983-06-07;.1983..1.r.c.s..683 ?
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