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17/09/1984 | CANADA | N°[1984]_2_R.C.S._173

Canada | Ogg-Moss c. R., [1984] 2 R.C.S. 173 (17 septembre 1984)


Cour suprême du Canada

Ogg-Moss c. R., [1984] 2 R.C.S. 173

Date: 1984-09-17

William Ogg-Moss (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 16648.

1983: 3 novembre; 1984: 17 septembre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 60 C.C.C. (2d) 127, 24 C.R. (3d) 264, qui a infirmé le verdict d’acquittement de l’accusé relativement à l’accusat

ion de voies de fait simples. Pourvoi rejeté.

Ronald L. Doering, pour l’appelant.

S. Casey Hill et Kenneth L. Campbell, pour l’in...

Cour suprême du Canada

Ogg-Moss c. R., [1984] 2 R.C.S. 173

Date: 1984-09-17

William Ogg-Moss (Plaignant) Appelant;

et

Sa Majesté La Reine (Défendeur) Intimée.

N° du greffe: 16648.

1983: 3 novembre; 1984: 17 septembre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, Mclntyre et Chouinard.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L’ONTARIO.

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 60 C.C.C. (2d) 127, 24 C.R. (3d) 264, qui a infirmé le verdict d’acquittement de l’accusé relativement à l’accusation de voies de fait simples. Pourvoi rejeté.

Ronald L. Doering, pour l’appelant.

S. Casey Hill et Kenneth L. Campbell, pour l’intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE DICKSON — Ce pourvoi soulève la question de savoir si un conseiller en déficience mentale (C.D.M.) qui emploie la force physique contre un adulte arriéré mental placé sous sa surveillance peut bénéficier de l’art. 43 du Code criminel, S.R.C 1970, chap. C-34. L’article 43 est ainsi rédigé:

43. Tout instituteur, père ou mère, ou toute personne qui remplace le père ou la mère, est fondé à employer la force pour corriger un élève ou un enfant, selon le cas, confié à ses soins, pourvu que la force ne dépasse pas la mesure raisonnable dans les circonstances.

La question de l’applicabilité de l’art. 43 relève essentiellement du domaine de l’interprétation des lois, mais elle met inévitablement en cause deux sujets délicats, savoir le statut et les droits des personnes arriérées mentales d’une part et, d’autre part, les limites des pouvoirs disciplinaires que peuvent exercer les personnes ayant autorité à l’endroit des personnes qui leur sont confiées. Malgré cet élément social, il importe de se rappeler que nous sommes saisis en l’espèce d’une

[Page 176]

affaire criminelle qui doit être tranchée par l’application de principes juridiques.

I Historique et faits

M. Ogg-Moss a été accusé d’avoir perpétré des voies de fait contre un nommé Kent Henderson, un handicapé mental âgé de vingt-et-un ans, patient du Centre régional Rideau de Smith Falls (Ontario). M. Ogg-Moss fait valoir qu’en raison du poste de C.D.M. qu’il occupait dans cet établissement, sa situation par rapport à M. Henderson était celle d’une «personne qui remplace le père ou la mère» ou d’un «instituteur» qui emploie une force raisonnable pour «corriger» un «enfant» ou «élève» confié à ses soins. Il invoque donc la protection de l’art. 43.

C’est aux conseillers en déficience mentale qu’il incombe principalement de fournir les soins directs dans les établissements provinciaux pour les handicapés mentaux. Leurs fonctions qui sont énoncées dans le règlement et les directives établis conformément à la Developmental Services Act, R.S.O. 1980, chap. 118, consistent notamment à donner aux patients les soins dont ils ont besoin chaque jour et à mettre en oeuvre, sous la surveillance de médecins, de psychologues et d’autres membres du personnel professionnel supérieur, des programmes conçus par ces mêmes personnes.

Le jour en question, M. Ogg-Moss surveillait un groupe de patients dans une salle réservée aux arriérés profonds. Les patients, au nombre desquels figurait M. Henderson, étaient attablés, attendant que le déjeuner soit servi. Au procès, on a témoigné que M. Henderson avait [TRADUCTION] «un très bas niveau de fonctionnement» et qu’il était [TRADUCTION] «arriéré profond», son Q.I. étant inférieur à 20. Incapable de parler, il était atteint de crouomanie et, de ce fait, souffrait d’un gros hématome au front. Apparemment dans une tentative d’attirer l’attention de M. Ogg-Moss, M. Henderson a renversé son lait sur la table devant lui. Là-dessus, M. Ogg-Moss a crié «non» et a frappé M. Henderson à cinq reprises au front avec une grosse cuillère de métal, son objet, a-t-il témoigné par la suite, étant [TRADUCTION] «de le punir pour son geste».

[Page 177]

L’acte de M. Ogg-Moss a été rapporté par une étudiante qui occupait un poste d’été au Centre régional Rideau. Selon son témoignage, M. Henderson n’a pas poussé de cri lorsqu’il a été frappé, mais il avait l’air [TRADUCTION] «tout surpris». Elle pensait que si elle avait été frappée aussi fort, elle aurait pleuré. Répondant à une question concernant la réaction de M. Henderson, M. Ogg-Moss a dit: [TRADUCTION] «Kent ne peut pas parler, mais il est capable d’émettre un son guttural et il a poussé un cri quand je l’ai frappé.» M. Ogg-Moss a témoigné en outre, que, cinq minutes après avoir reçu les coups de cuillère, M. Henderson était incapable de se souvenir de l’incident. Il n’a pas caché non plus qu’il savait que l’hôpital interdisait de frapper les patients. Antérieurement à l’incident en cause il avait certifié par écrit avoir lu et compris la directive numéro M.R. 17 du ministère des Services sociaux à l’intention du personnel, portant que l’emploi de la force physique contre un patient, quel qu’en soit le motif, est strictement défendu.

Le paragraphe N de la directive est ainsi conçu:

[TRADUCTION] Recours aux coups contre les patients: — Dans aucune circonstance, il n’est permis de frapper un patient; le recours aux coups ou à toute autre forme de violence inutile est exclu des méthodes approuvées pour maîtriser un patient dans les cas où cela peut être nécessaire. Sera renvoyé tout employé qui frappe ou gifle un patient ou qui lui donne un coup de pied.

II Les décisions des cours ontariennes

Au procès devant la Cour provinciale de l’Ontario, le substitut du procureur général a concédé qu’il était possible pour l’accusé d’invoquer l’art. 43 comme moyen de défense. Par conséquent, les débats ont porté sur la question de savoir si la force employée par M. Ogg‑Moss dépassait la mesure «raisonnable» dans les circonstances. Le juge Smith a conclu que non et que les mesures disciplinaires que M. Ogg-Moss avaient prises pour punir le patient se justifiaient par la nécessité d’empêcher que l’hôpital ne devienne une «maison de fous». Il a rejeté l’accusation.

Le ministère public a porté cette décision en appel devant la Cour de comté et là le juge Matheson a vu d’un oeil différent l’incident et les circonstances l’entourant. Tout en reconnaissant le

[Page 178]

caractère difficile du travail de l’accusé, le juge Matheson a conclu que la force employée n’était ni raisonnable ni justifiée; il a donc substitué à l’acquittement un verdict de culpabilité et a imposé une amende.

On en a appelé ensuite à la Cour d’appel de l’Ontario et c’est alors que le ministère public a contesté pour la première fois l’applicabilité de l’art. 43. Vu l’absence de preuve sur ce point, les juges Jessup, Martin et Weatherston ont renvoyé l’affaire à la Cour de comté pour qu’elle procède à une nouvelle audition de l’appel. À l’issue de cette nouvelle audition, le juge Flanigan de la Cour de comté a conclu qu’un adulte [TRADUCTION] «sévèrement arriéré» est un «enfant» aux fins de l’art. 43 et que M. Ogg-Moss «remplaçait] le père» de M. Henderson. Puis, le juge Flanigan a ajouté que, compte tenu de ce qu’il considérait comme le rôle limité du tribunal d’appel en matière de révision, il ne voulait pas tirer de conclusions différentes de celles du juge du procès quant au caractère raisonnable de la force employée par M. Ogg-Moss. Par conséquent, il a rétabli l’acquittement prononcé au procès.

L’affaire est alors venue une seconde fois devant la Cour d’appel de l’Ontario (1981), 60 C.C.C. (2d) 127, 24 C.R. (3d) 264. Dans de très brefs motifs oraux auxquels les juges Martin et Lacourcière ont souscrit, le juge Jessup a exposé les faits, puis a conclu:

[TRADUCTION] Nous estimons toutefois que l’intimé n’était pas un instituteur ni une personne qui remplace le père ou la mère et que le plaignant n’était ni un élève ni un enfant au sens de l’art. 43. En conséquence, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler le verdict d’acquittement et d’inscrire un verdict de culpabilité. Nous imposons comme peine la libération inconditionnelle.

III Moyens d’appel

L’appelant a reçu l’autorisation de pourvoi. Les cinq moyens invoqués sont les suivants:

[TRADUCTION]

1. La Cour d’appel de l’Ontario a-t-elle commis une erreur en concluant qu’un conseiller en déficience mentale chargé de fournir à des personnes atteintes de déficience mentale profonde les soins dont elles ont besoin chaque jour ne remplace pas le père ou la mère de ces dernières?

[Page 179]

2. La Cour d’appel de l’Ontario a-t-elle commis une erreur en concluant qu’une personne atteinte de déficience mentale profonde, ayant un âge réel de vingt-et-un ans et un âge mental de cinq ans n’est pas un «enfant» aux fins de l’application de l’art. 43 du Code criminel du Canada?

3. La Cour d’appel de l’Ontario a-t-elle commis une erreur en concluant qu’un conseiller en déficience mentale chargé d’apprendre aux personnes arriérées mentales l’essentiel pour se débrouiller dans la vie n’est pas un instituteur et que les personnes confiées à ses soins dans un établissement pour arriérés mentaux ne sont pas des élèves?

4. La Cour d’appel de l’Ontario a-t-elle commis une erreur en n’ordonnant pas un nouveau procès après avoir conclu à l’inapplicabilité de l’art. 43 du Code criminel?

5. Les savants juges de la Cour d’appel ont commis une erreur de droit en fondant leur arrêt uniquement sur une question de fait alors que le par. 771(1) du Code criminel limite la compétence en matière d’appel de ladite cour aux seules questions de droit.

Bien que les quatrième et cinquième moyens soient soulevés en dernier, ils devraient en toute logique précéder les autres puisqu’ils contestent la compétence de la Cour d’appel de procéder comme elle l’a fait. Selon l’avocat de M. Ogg-Moss, l’applicabilité d’un article déterminé du Code criminel à des circonstances données est une question de fait. Il soutient donc que la Cour d’appel a excédé sa compétence en infirmant la décision du juge Flanigan de la Cour de comté quant à l’applicabilité de l’art. 43 aux faits de la présente espèce, car, aux termes du par. 771(1), cette compétence se limite, dans le cas des poursuites sommaires, aux questions de droit. Il prétend en outre que, si la Cour d’appel estimait que les tribunaux d’instance inférieure n’avaient pas traité adéquatement de l’applicabilité de l’art. 43, il aurait fallu à ce moment-là ordonner un nouveau procès.

Je ne puis retenir ces arguments. En l’espèce, l’applicabilité de l’art. 43 dépend de la définition et du sens juridiques de différents termes et expressions qui y sont employés et aussi de l’existence de preuves qui auraient pu fonder les tribunaux d’instance inférieure à conclure qu’il s’appliquait. Il s’agit manifestement là de questions de droit qui, par conséquent, relèvent de la compétence de la Cour d’appel. S’il est exact que l’art. 43 ne trouve

[Page 180]

pas d’application dans une situation comme celle qui se présente ici, il doit s’ensuivre inévitablement que les coups que M. Ogg-Moss avoue avoir donnés constituaient des voies de fait visées au par. 245(1) et que le sous-al. 613(4)b)(ii) habilitait la Cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à substituer une déclaration de culpabilité à l’acquittement prononcé par le tribunal d’instance inférieure.

Les trois autres moyens d’appel portent sur différents aspects de la question principale de savoir si la Cour d’appel a eu raison de conclure à Finapplicabilité de l’art. 43 en l’espèce. M. Ogg-Moss prétend que les trois conclusions principales de la cour sur cette question sont entachées d’erreur. Prenant le contre-pied des conclusions de la Cour d’appel, M. Ogg-Moss fait valoir (1) que M. Henderson est un «enfant» au sens de l’art. 43; (2) que, aux fins de cet article, il «rempla[çait] le père» de M. Henderson; et (3) que les rapports entre eux étaient ceux qui existent entre un «instituteur» et un «élève». Le ministère public, par contre, soutient que les conclusions de la Cour d’appel sur chacun des trois points sont bien fondées et que, par conséquent, elle a eu raison de remplacer l’acquittement par une déclaration de culpabilité.

Bien qu’il prétende donner aux termes en litige dans ce pourvoi leur [TRADUCTION] «sens naturel et ordinaire», l’appelant met de l’avant un argument essentiellement fonctionnel. En effet, il soutient que les termes «personne qui remplace le père ou la mère» et «enfant» d’une part, et les mots «instituteur» et «élève» d’autre part, désignent des rapports entre les personnes. Il s’ensuit, selon lui, que l’applicabilité de l’art. 43 doit être déterminée surtout en fonction de la nature et de la qualité des rapports entre la «personne qui fait office de père ou de mère» et l’«enfant» confié à ses soins, ou entre l’«instituteur» et son «élève», plutôt qu’en fonction de facteurs tels que l’âge réel de l’«enfant» ou de l’«élève».

M. Ogg-Moss invoque donc à l’appui de l’argument selon lequel il «remplaçait] le père» de M. Henderson un passage tiré du Province of Ontario Manual of Program Care Standards

[Page 181]

(septembre 1976), dont voici le texte:

[TRADUCTION] Il incombe au personnel chargé de fournir les soins directs d’observer, de dépister et de rapporter les maladies et les comportements habituels des patients et d’y faire face. Le personnel doit recevoir une formation de parents de remplacement pour faire face aux maladies et aux comportements qui se rencontrent couramment dans les établissements.

(C’est moi qui souligne.)

Il soutient que les fonctions d’un C.D.M. correspondent à celles de parents et qu’en fait le C.D.M. est le seul «père ou mère» que bien des personnes arriérées mentales connaîtront. Cet argument a été retenu par le juge Flanigan qui a fait précéder sa conclusion que M. Ogg‑Moss remplaçait effectivement le père de M. Henderson de l’observation suivante:

[TRADUCTION] Je ne puis imaginer de personne qui, en raison de ses rapports étroits avec cette victime (sic), remplit mieux que l’accusé les fonctions d’un père.

Prenant pour point de départ qu’un C.D.M. remplace le père ou la mère d’une personne arriérée mentale, l’appelant fait valoir que cette dernière est un «enfant» aux fins de l’art. 43, peu importe son âge réel. Selon l’appelant, cette interprétation de l’art. 43 cadre bien avec le sens ordinaire du mot «enfant» qui, d’après la définition donnée dans Webster’s Dictionary of the English Language, comprend une [TRADUCTION] «personne comparable à un enfant». L’appelant cite l’extrait suivant tiré de la décision du juge Flanigan:

[TRADUCTION] À l’examen de la description d’emploi jointe à l’affidavit de l’appelant…et au vu de la preuve quant à l’état de la victime, internée dans cet établissement depuis fort longtemps, la seule conclusion raisonnable à laquelle on puisse arriver est que le mot «enfant» ne (sic) s’applique pas (sic) à elle. Peut-on nier alors que les services qui lui sont fournis et dont elle a besoin sont précisément ceux qui sont requis dans le cas d’un enfant en bas âge?

En dernier lieu, soutient énergiquement l’appelant, même si M. Henderson n’était pas un «enfant» au sens de l’art. 43, le rapport entre eux était certainement celui d’«élève» et d’«instituteur». L’appelant fait valoir que, selon la description

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d’emploi, les fonctions d’un C.D.M. consistent notamment à enseigner «ce qu’il faut pour se débrouiller dans la vie» et que, au moment de l’incident en cause, il apprenait à M. Henderson à manger avec une cuillère. Toujours selon l’appelant, à défaut de définition légale, les termes «instituteur» et «élève» doivent recevoir une interprétation large de manière à comprendre ce genre d’activités pédagogiques.

IV L’objet et l’effet de l’art. 43

M. Ogg-Moss propose à l’égard de l’art. 43 l’adoption d’un point de vue large et fonctionnel. Suivant l’argument de M. Ogg-Moss, l’art. 43 vise à protéger les personnes qui exercent certaines fonctions parentales et éducatives et, par conséquent, les termes employés dans cet article doivent recevoir une définition qui permettra d’atteindre cet objet. Je ne doute pas qu’en matière d’interprétation des lois, une interprétation fonctionnelle est souvent préférable à une littéralité servile en ce sens que, dans bien des cas, il favorise la réalisation de l’objet du législateur. Cela dépend toutefois de la précision de l’énoncé de cet objet dans la loi.

J’ai pu constater que, dans le présent pourvoi, la façon dont l’appelant établit l’objet de l’art. 43 revêt à certains égards, l’aspect d’une tautologie. S’il a raison de dire que les termes «qui remplace le père ou la mère» et «enfant» ou les mots «instituteur» et «élève» doivent recevoir des interprétations larges, il s’ensuit qu’un des effets de l’art. 43, et pourquoi pas son objet, serait de protéger les personnes qui exercent des fonctions «parentales» ou «éducatives» au sens large. Mais, puisque l’exactitude de cette conclusion quant à l’objet de l’art. 43 dépend de l’exactitude des définitions «larges» que M. Ogg-Moss donne aux termes qui y figurent, je ne vois pas comment on peut alors invoquer cet objet à l’appui de ces mêmes définitions. Certes, il semble incontestable que l’objet de l’art. 43 et le sens de ses termes sont étroitement reliés, mais il en résulte que l’un ne peut être déduit d’une définition à priori de l’autre. Une définition abstraite de l’objet hypothétique de l’art. 43 ne saurait donc constituer un point de départ approprié pour un examen du sens de ses termes.

[Page 183]

À mon avis, il vaut mieux commencer par une étude non pas de l’objet de l’art. 43 mais de ses effets. Bien qu’il soit impossible de se prononcer avec certitude sur l’objet de l’art. 43 avant d’être fixé sur le sens de ses termes, les effets généraux de cet article sont clairs, peu importe les définitions que peuvent recevoir lesdits termes. En effet, l’art. 43 légitime l’emploi par un groupe de personnes à l’endroit d’un autre d’une force qui serait autrement criminelle. L’article 43 protège le premier groupe de personnes, mais en même temps, rappelons-le, il enlève au second groupe la protection du droit criminel. Selon le procureur général de l’Ontario, ce dernier effet justifie une interprétation restrictive de l’art. 43 et plus précisément des termes «enfant» et «élève». Le procureur général de l’Ontario fait valoir que:

[TRADUCTION] …il faut restreindre et non pas élargir la catégorie des personnes contre lesquelles peut être exercée une force par ailleurs criminelle et…tout article qui autorise l’emploi d’une violence physique par ailleurs illégale doit recevoir une interprétation stricte à l’encontre de l’auteur.

Il y a beaucoup à dire en faveur de cet argument. En tant que déclaration de principe général, il concorde avec nos présomptions normales à l’égard de l’objet et de l’application du droit criminel. Un des droits fondamentaux dans notre société est qu’on ne saurait porter atteinte à la sécurité physique ou à la dignité d’une personne sans son consentement et l’un des buts principaux du droit criminel est de protéger les membres de la société contre de telles atteintes. Je partage l’avis du procureur général que toute dérogation à ce droit et à cette protection doit recevoir une interprétation stricte. Lorsque la dérogation a pour effet d’ôter à une personne ou à un groupe donné la protection que d’après ce qu’on considère normal, le droit criminel offre également à tous, j’estime qu’il faut se méfier de la définition proposée et exiger qu’on démontre la logique et le fondement rationnel de l’interprétation.

Pour terminer notre analyse de ce point, il faut remarquer que l’art. 43 n’est pas nécessaire pour assurer la protection des personnes qui ont recours à la force physique face à une conduite violente ou dangereuse ou dans le cadre d’un traitement approuvé. Les deux premiers cas sont déjà notam-

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ment visés par les art. 34, 35, 37, 38, 39 et 41 du Code criminel. Quant à la seconde situation, elle relève de lois provinciales telles que la Developmental Services Act, précitée, et la Loi sur la santé mentale, L.R.O. 1980, chap. 262, de leurs règlements d’application et aussi de la common law. L’article 43 s’applique uniquement à une force ayant pour objet de «corriger», indépendamment de tout traitement ou de la protection de soi-même ou d’autrui.

V Un adulte arriéré mental est-il un «enfant» aux fins de l’art 43?

Quelle raison de droit ou de politique générale peut-il y avoir de donner au mot «enfant» une définition qui exposerait une personne arriérée mentale ayant plus de 21 ans à des coups qui, dans le cas d’une personne normale du même âge, constitueraient des voies de fait? À mon avis, l’argument selon lequel une personne comme M. Henderson est un «enfant» au sens de l’art. 43 est réfuté par l’historique de l’art. 43, par ses antécédents en common law, ainsi que par l’analyse «fonctionnelle» même qui sert à véhiculer cet argument.

a) Le mot «enfant» dans l’art. 43 et ses antécédents en common law

Dans le langage courant et en droit, le terme «enfant» a deux sens principaux. L’un désigne l’âge réel et est le contraire du mot «adulte», tandis que l’autre désigne les liens familiaux et est le pendant du terme «parent». En common law, un enfant au premier sens était une personne de moins de quatorze ans. Or, cette définition peut être modifiée par voie législative: voir, par exemple, la Loi sur le bien-être de l’enfance, L.R.O. 1980, chap. 66, par. 19(1); la Children’s Institutions Act, R.S.O. 1980, chap. 67, par. lc) et la Loi sur les foyers pour enfants, L.R.O. 1980, chap. 71, al. 1b). Dans aucun cas, toutefois, cette limite n’est-elle supérieure à l’âge de la majorité qu’en Ontario la Loi sur la majorité et la capacité civile, L.R.O. 1980, chap. 7, par. 1(1), fixe à 18 ans. Un enfant au second sens était défini en common law comme la progéniture légitime d’un père ou d’une mère, mais, dans la plupart des ressorts, on a adopté des lois modifiant cette définition de manière que toute progéniture, légitime ou non, figure au nombre des

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«enfants» de ses parents naturels ou adoptifs: voir par exemple, la Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1980, chap. 68, art. 1.

Comme je l’ai déjà indiqué, l’appelant donne au terme «enfant» un troisième sens qui se concentre sur la «puérilité» ou le comportement «infantile» de la personne visée. À ma connaissance, cette définition d’enfant ne correspond à aucune notion juridique et, sauf si elle est retenue en l’espèce, jamais elle n’a été invoquée avec succès aux fins de l’interprétation d’une disposition législative. Chose certaine, le mot «enfant» n’avait pas ce sens en common law dans les antécédents de l’art. 43.

Tout comme l’art. 43, la common law reconnaissait à certaines personnes le droit d’avoir recours à la force pour corriger un «enfant». Il s’agissait là d’un «enfant» à la fois selon l’âge réel et selon les liens familiaux. Dans l’ouvrage de Blackstone[1], Commentaries on the Laws of England, livre 1, chap. 16, le droit conféré par la common law est formulé en ces termes:

Les lois anglaises donnent au père un pouvoir bien plus modéré [que celui du paterfamilias en droit romain], suffisant néanmoins pour contenir son enfant dans l’ordre et dans l’obéissance. Elles lui permettent de corriger raisonnablement son fils mineur, cette correction ayant pour but le bien de l’éducation de l’enfant… Il peut aussi, pendant sa vie, déléguer une partie de l’autorité paternelle au [précepteur] ou au maître d’école de son fils, lequel est alors in loco parentis [à la place des parents] et reçoit du père cette partie de son pouvoir, qui consiste à réprimer et à corriger autant qu’il est nécessaire pour remplir la tâche dont il est chargé.

(C’est moi qui souligne.)

J’aurai l’occasion de revenir à cette citation; signalons toutefois ici qu’il ressort nettement de la partie soulignée que le pouvoir de châtier, du moins en common law, était le pouvoir des parents (particulièrement du père) ou de la personne déléguée directement par eux, de discipliner leur enfant jusqu’à ce que celui-ci atteignît la majorité. Blackstone est explicite sur ce point:

Le pouvoir légal du père sur la personne de son enfant (car la mère n’a d’autre droit, à raison de ce titre, qu’au

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respect et aux égards de ses enfants) cesse quand ils atteignent l’âge de 21 ans:…

Je n’ai donc aucun doute qu’en common law, une personne qui était adulte selon son âge réel, si «puérile» ou «infantile» fût-elle, n’était pas exposée à un châtiment corporel ni de la part de son père ni de la part du délégué de celui-ci. L’interprétation de l’appelant est dénuée de tout fondement historique.

Puisque, en common law, le droit de corriger semble clairement se limiter à un «enfant» mineur, il est fort peu probable que les rédacteurs du Code criminel aient utilisé ce même mot pour désigner une catégorie plus large de personnes pouvant être ainsi corrigées. Cela est confirmé d’ailleurs par le fait que lorsque ailleurs dans le Code, on fait référence au mot «enfant», soit explicitement soit par déduction nécessaire, il s’agit toujours d’un mineur: voir les art. 3, 140, 146, le par. 168(3) et l’art. 197. Il convient de noter aussi que, lorsqu’il traite des handicapés mentaux, le Code n’emploie pas de métaphores comme «enfant» ni ne mentionne les traits dits «puérils» ou «infantiles» de la personne en question, mais parle directement, bien qu’avec un certain manque de délicatesse, d’une personne «d’esprit faible», «simple d’esprit», «idiote», «imbécile» ou simplement «aliénée». Voir, par exemple, l’art. 2 et le sous-al. 158(2)b)(ii) Bien que les termes «d’esprit faible», «simple d’esprit», «idiot» et «imbécile» aient de nos jours quelque chose de choquant, ils sont en fait les équivalents juridiques des concepts actuels d’«arriéré mental» ou d’«handicapé mental». Si le Code criminel avait voulu inclure dans la catégorie des personnes pouvant être punies corporellement les adultes arriérés mentaux, ce sont les termes qu’il aurait employés, et non le mot «enfant».

b) L’interprétation «fonctionnelle» du mot «enfant»

Les facteurs historiques ainsi que ceux relatifs à l’interprétation des lois énumérés précédemment rendent l’interprétation proposée par l’appelant hautement invraisemblable. Au-delà de ces facteurs, son interprétation «fonctionnelle» du mot «enfant» ne dissipe aucunement le scepticisme que, de toute façon, les tribunaux manifesteraient à juste titre d’ailleurs face à la proposition de l’appe-

[Page 187]

lant d’étendre la catégorie de personnes à l’égard desquelles la common law autorisait le recours au châtiment corporel. M. Ogg-Moss donne comme unique fondement de la valeur métaphorique qu’il attribue au mot «enfant» la correspondance qui existerait entre l’état de dépendance d’un adulte sévèrement arriéré et celui d’un «enfant». À part cette seule affirmation de correspondance, aucun autre argument n’appuie une conclusion sur la nature «puérile» et «infantile» des personnes arriérées mentales; je crois d’ailleurs que tout argument de ce genre serait insoutenable. La description de l’état de M. Henderson qu’on trouve dans le dossier n’appuie certainement pas ce type d’argument. L’incapacité de parler, la «crouomanie» et l’impuissance à se souvenir d’un incident quelques minutes après qu’il est survenu sont des signes de graves troubles physiologiques. Ils ne correspondent à aucune conception reconnaissable de l’enfance. D’accord avec le procureur général de l’Ontario, j’estime qu’il y a une différence qualitative entre «l’immaturité», «la puérilité» ou «l’infantilisme» et le comportement d’un adulte arriéré mental, particulièrement dans un cas de déficience grave comme celui qui se présente en l’espèce.

Il importe aussi de retenir que l’enfance au sens propre est transitoire et que ce n’est qu’à titre temporaire qu’un enfant selon son âge réel est privé de la protection du droit criminel contre certains types de voies de fait. Pour l’arriéré mental, la définition du mot «enfance» proposée par l’appelant équivaut à une condamnation à vie qui entraîne une restriction permanente de son droit à la dignité et à la sécurité physique. Je ne puis croire que le Code criminel envisage la création d’une catégorie de citoyens de deuxième classe permanente en raison d’un handicap mental ou physique.

Si les adultes arriérés mentaux doivent être considérés comme des «enfants» simplement parce qu’ils dépendent d’une personne qui «fait fonction de parents», on voit mal comment la catégorie des «enfants» se limiterait aux arriérés mentaux. On pourrait invoquer sensiblement le même argument en ce qui concerne les rapports fonctionnels entre les personnes atteintes de sénilité ou d’autres troubles des facultés cognitives, ou peut-être même les

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victimes d’apoplexie ou les autres invalides, et ceux qui en prennent soin. Si une incapacité de pourvoir à ses besoins fondamentaux ou une incapacité, en raison de son état mental, de fonctionner de manière indépendante dans la société sont des indices d’«infantilisme», alors la catégorie des adultes exposés au châtiment corporel est vraiment très vaste. À mon avis, une analyse fonctionnelle d’une dépendance infantile n’est pas appropriée dans les cas que je viens de mentionner et, pour des motifs semblables, je ne peux l’accepter dans le cas des adultes arriérés mentaux.

Un adulte arriéré mental n’est un enfant ni en fait, ni aux fins de la loi en général, ni aux fins de l’art. 43 du Code criminel en particulier.

VI Un conseiller en déficience mentale est-il une «personne qui remplace le père ou la mère» d’une personne arriérée mentale confiée à ses soins?

Aux termes de l’art. 43, seule une «personne qui remplace le père ou la mère» peut employer la force pour corriger un enfant. Vu ma conclusion qu’un adulte arriéré mental n’est pas un «enfant», il s’ensuit inévitablement que, même si un C.D.M. était une personne qui remplaçait le père ou la mère, il ne serait pas autorisé à recourir à la force pour corriger un adulte arriéré mental comme M. Henderson. À supposer toutefois que j’aie tort et qu’un adulte arriéré mental puisse être un «enfant» aux fins de l’art. 43, cela ne m’empêcherait pas de conclure qu’un C.D.M. dans la situation de M. Ogg-Moss n’est pas une «personne qui remplace le père ou la mère» au sens dudit article.

En common law, le pouvoir d’employer la force pour corriger un enfant était détenu par les parents (au début, par le père seulement). Dans les Commentaries on the Laws of England, livre I, chap. 16, Blackstone écrit que ce pouvoir fait partie des droits parentaux qui correspondent aux obligations parentales d’entretien, d’éducation et de protection. Comme nous avons pu le constater dans le passage cité antérieurement, ce droit était conçu comme une façon d’aider les parents à s’acquitter de leur obligation d’éducation et était susceptible de délégation à un maître d’école.

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Il s’ensuit donc qu’en common law une personne peut «remplace[r] le père ou la mère» de deux manières. La première consiste à assumer, en l’absence des parents naturels ou lorsque ces derniers négligent de s’en acquitter, les obligations parentales dont découlent les droits parentaux. La seconde est une délégation d’autorité par le parent naturel.

La première manière de remplacer les parents est compatible avec la série de décisions bien connues définissant le sens juridique de l’expression in loco parentis ou «qui remplace le père ou la mère». L’arrêt de principe dans ce domaine est Bennet v. Bennet (1879), 10 Ch. D. 474 (fondé sur le jugement de lord Eldon Ex parte Pye (1811), 18 Ves. 140 et celui de lord Cottenham Powys v. Mansfield (1837), 3 My. & Cr. 359). Dans l’arrêt Bennett, le maître des rôles Jessel conclut, aux pp. 477 et 478:

[TRADUCTION] …se trouve in loco parentis quiconque prend sur lui l’obligation du père d’un enfant de pourvoir aux besoins de cet enfant.

Dans le cas d’une personne in loco parentis, il faut prouver qu’elle a endossé elle-même l’obligation parentale.

Cette série de décisions a été appliquée au Canada notamment dans les arrêts Mitchell v. City of Toronto (1921), 64 D.L.R. 569 (C.A. Ont.) et Shtitz v. C.N.R., [1927] 1 D.L.R. 951 (C.A. Sask.) et, aux États-Unis, dans les arrêts Fuller v. Fuller, 418 F. 2d 1189 (C.A.D.C. 1969), et Busillo v. Hetzel, 374 N.E. 2d 1090 (Ill. App. 1978), pour ne nommer que celles-là. Ces décisions soulignent que la prise en charge pécuniaire de l’enfant est primordiale si l’on veut être qualifié de «personne qui remplace le père ou la mère». Voir, par exemple, le passage suivant tiré des motifs du juge Turgeon de la Cour d’appel dans l’arrêt Shtitz, à la p. 959:

[TRADUCTION] Une personne in loco parentis par rapport à un enfant est quelqu’un dont les actes traduisent son intention de jouer, à l’égard de l’enfant, le rôle normalement réservé au père, qui consiste à répondre aux besoins pécuniaires de l’enfant.

La jurisprudence anglaise sur laquelle cette définition se fonde porte surtout sur des questions successorales, plus précisément sur les présomptions

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d’acquittement en equity et de révocation implicite. Toutefois, la définition est pertinente aussi relativement à la question de savoir si les fonctions qu’une personne remplit à l’égard d’un enfant ont suffisamment de ressemblance avec celles des parents pour qu’elle puisse employer la force pour corriger cet enfant.

La définition formulée dans l’arrêt Bennet v. Bennet a été appliquée implicitement dans R. v. Woods (1921), 85 J.P. 272. Dans cette affaire, le juge Avory a rejeté l’argument selon lequel, aux fins des châtiments, un frère aîné se trouvait in loco parentis parce que, dès le retour du père des enfants après la guerre, on ne pouvait plus prétendre que le frère aîné le remplaçait. Dans l’arrêt North Carolina v. Pittard, 263 S.E. 2d 809 (N.C. App. 1980), on a appliqué la définition directement et d’une manière qui touche au coeur de ce pourvoi. Il s’agissait là d’une personne qui travaillait dans une garderie et qui prétendait avoir le droit d’employer la force pour corriger un enfant en raison de la ressemblance de ses fonctions, qui consistaient à prendre soin de l’enfant, avec celles des parents. Se prononçant au nom de la Cour, le juge Wells a repoussé cet argument, à la p. 811:

[TRADUCTION] Une personne ne se trouve pas in loco parentis du simple fait que les parents ou le tuteur d’un enfant le confient temporairement à sa garde. Ce rapport n’existe que dans le cas où la personne qui reçoit la garde de l’enfant entend agir en qualité de père ou de mère en prenant sur elle des obligations propres aux parents, particulièrement en matière d’entretien.

(C’est moi qui souligne.)

Voir aussi, l’arrêt Martin v. United States, 452 A. 2d 360 (D.C. App. 1982), qui va dans le même sens.

Je souscris à ces conclusions. Dans la mesure où M. Ogg-Moss invoque la ressemblance entre les fonctions d’un C.D.M. et celles des parents pour appuyer sa revendication du statut de «personne qui remplace le père ou la mère» aux fins de l’emploi de la force pour corriger, il ne peut pas réussir. Le pouvoir qu’ont les parents de corriger découle de ce qu’ils prennent en charge toutes les obligations qui leur incombent en cette qualité. On ne peut prétendre exercer ce pouvoir à la place des

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parents sans endosser l’ensemble des obligations parentales. Non seulement le C.D.M. n’est‑t-il pas tenu de pourvoir aux besoins pécuniaires des enfants confiés temporairement à ses soins, mais, lorsqu’il s’acquitte de certaines responsabilités «parentales», il le fait sous la direction et la surveillance du Ministre et du personnel professionnel supérieur désigné par le règlement d’application de la Developmental Services Act, précitée. Il ne devient pas, en s’acquittant de ces responsabilités limitées une «personne qui remplace le père ou la mère» au sens qui nous intéresse en l’espèce.

Toutefois, même si une personne n’est pas quelqu’un qui «remplace le père ou la mère» selon la définition donnée dans l’arrêt Bennet v. Bennet, il reste encore la seconde façon d’accéder à ce statut, savoir la délégation. Le juge Flanigan de la Cour de comté a conclu que M. Ogg-Moss, [TRADUCTION] «en sa qualité de mandataire du Ministre et d’employé du ministère», était in loco parentis à l’égard de M. Henderson. Avec égards, je ne suis pas d’accord. Il ressort nettement de l’arrêt Pittard, précité, que le simple fait qu’un enfant soit confié aux soins d’une autre personne ne justifie pas une conclusion qu’il y a eu délégation. Je suis prêt à tenir pour acquis que l’admission de M. Henderson, avec le consentement de ses parents, au Centre régional Rideau à titre de patient volontaire alors qu’il était un enfant en bas âge implique une délégation de l’autorité parentale en faveur du Ministre. Cela n’est toutefois pas suffisant. Pour que M. Ogg-Moss puisse avoir gain de cause, il faut que cette autorité soit ensuite dévolue du Ministre à lui. Sur ce point, loin d’être muet, le dossier en l’espèce va plus loin que l’absence de preuve de sous-délégation, il contient une preuve tangible de non-délégation sous la forme de la directive M.R. 17 à l’intention du personnel, qui interdit de frapper un patient pour quelque raison que ce soit. Aux fins de l’exercice du droit de corriger qui a pu être délégué au Ministre, M. Ogg-Moss n’était pas le délégué de celui-ci; de plus, ayant certifié qu’il avait lu et compris la directive, M. Ogg-Moss ne peut affirmer qu’il croyait en l’existence d’une délégation.

Je conclus que, même si une personne dans la situation de M. Henderson était un enfant aux fins

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de l’art. 43, un C.D.M. comme M. Ogg-Moss ne serait pas une «personne qui remplace le père ou la mère» au sens de ce même article.

VII Le rapport entre un conseiller en déficience mentale et un adulte arriére mental confié à ses soins est-il celui qui existe entre un «instituteur» et un «élève»?

a) «Élève»

Ce qui a été dit concernant la définition du mot «enfant» s’applique aussi à la définition du mot «élève» aux fins de l’art. 43.

Blackstone, dans le passage cité antérieurement, signale clairement qu’en common law le droit du maître d’école d’infliger un châtiment corporel pouvait s’exercer uniquement à l’égard d’un enfant au sens propre confié à sa garde. Il parle de la délégation «au [précepteur] ou au maître d’école de son fils» mineur du pouvoir du père de corriger ce dernier. Le mot «élève» employé à l’art. 43 évoque l’enfance et, à la différence du terme «étudiant» qui est plus neutre, suggère l’immaturité ou la jeunesse. S’il n’en était pas ainsi, et si on interprétait le rapport qu’établit l’art. 43 entre un «instituteur» et un «élève» de manière à autoriser toute personne qui enseigne quelque chose à quelqu’un à avoir recours au châtiment corporel, alors quiconque cherche à s’instruire dans un domaine déterminé, indépendamment de son âge ou de sa capacité mentale, s’exposerait à ce genre de correction. Cela serait absurde. Quel que puisse être le sens du terme «élève» employé à l’art. 43, il est évident que sa portée doit être limitée, comme c’était d’ailleurs le cas en common law, à un enfant qui reçoit de l’instruction.

J’ai déjà conclu qu’un adulte arriéré mental n’est pas un enfant aux fins de l’art. 43; il s’ensuit donc qu’il n’est pas non plus un «élève» au sens de cet article.

b) «Instituteur»

De toute façon, puisque M. Henderson n’est pas un «élève», c’est en vain que M. Ogg-Moss invoquerait une protection fondée sur sa qualité d’«instituteur». D’autre part, une telle revendication de protection serait rejetée parce qu’un C.D.M. n’est pas un instituteur.

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Tout comme le terme «élève» qui est de portée plus restreinte que le terme «étudiant», le mot «instituteur» a un sens plus restreint que les mots «enseignant» ou «instructeur». D’une manière générale, un instituteur est une personne qui dispense de l’instruction dans une école primaire. De toute façon, je doute qu’un C.D.M. soit compris même dans la portée plus large du terme «enseignant», car ses fonctions consistent à fournir des soins personnels et non pas à «enseigner» au sens ordinaire. Donc, à plus forte raison, un C.D.M. ne peut pas relever de la définition plus restrictive d’«instituteur». Les conseillers en déficience mentale ne sont pas titulaires de brevets d’enseignement ni ne possèdent les compétences requises pour enseigner. M. Ogg-Moss prétend qu’il «instruisait» M. Henderson sur la façon de manger avec une cuillère; or, ces responsabilités «éducatives» qui peuvent incomber aux C.D.M. n’ont rien à voir avec l’enseignement au sens strict et le contexte dans lequel ils remplissent ces responsabilités n’a pas le moindre lien, même métaphorique, avec celui dans lequel oeuvre un instituteur. À mon avis, l’avocat de M. Ogg-Moss a eu raison en première instance de ne pas s’appuyer sur la qualité d’«instituteur» d’un C.D.M. Le C.D.M. n’a pas cette qualité.

VIII L’emploi de la force pour corriger

Même à supposer que tout ce qui précède soit erroné et qu’un C.D.M. soit assimilable à un «instituteur» ou à une «personne qui remplace le père ou la mère» et qu’un adulte arriéré mental soit comparable à un «enfant» ou à un «élève» au sens de l’art. 43, le pourvoi échouerait tout de même.

L’article 43 autorise l’emploi de la force «pour corriger». Comme l’a fait remarquer Blackstone, la loi approuve de tels procédés dans le cas d’un enfant parce que cela est «pour le bien de l’éducation de l’enfant». En d’autres termes, l’art. 43 est une justification. Il a pour effet d’innocenter le père ou la mère, un instituteur ou une personne qui remplace le père ou la mère et qui a recours à la force pour corriger un enfant, la raison à cela étant qu’une telle action est considérée non comme mauvaise, mais comme légitime. Par conséquent, le recours à la force ne sera pas justifié, à moins que ce ne soit «pour corriger», c’est-à-dire qu’il ne s’inscrive dans le cadre de l’éducation de l’enfant.

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Un vieux précédent canadien traite d’un aspect de ce principe. Il s’agit de l’arrêt Mitchell v. Defries (1846), 2 U.C.Q.B. 430, qui porte sur l’autorisation, maintenant désuète, que la common law reconnaissait à un «maître» d’utiliser la force pour corriger son «apprenti». C’est manifestement à bon droit que la Cour d’appel du Haut-Canada a refusé de donner au terme «apprenti» une interprétation assez large pour comprendre un domestique. Un «maître» était chargé de l’éducation de son «apprenti», tandis qu’aucune responsabilité de ce genre n’incombait à un employeur à l’égard de ses employés.

Lorsque le contexte permet de conclure à l’existence d’une responsabilité éducative, il faut, suivant ce même raisonnement, que la personne qui recourt à la force le fasse pour «corriger», et que la personne ainsi «corrigée» soit capable d’en tirer une leçon. Ces conditions sont entièrement distinctes de l’exigence supplémentaire, qui est essentiellement une question de fait, que la force utilisée soit raisonnable dans les circonstances.

La première condition, savoir que la force ait pour objet de corriger, est consacrée dans le droit canadien depuis l’arrêt Brisson v. Lafontaine (1864), 8 L.C. Jur. 173 (C.S.). Dans un passage qui a été cité dans presque toutes les décisions subséquentes portant sur le droit de corriger, le juge Loranger dit à la p. 175 que le pouvoir de correction d’un instituteur ne pouvait être exercé que dans «l’intérêt de l’instruction» et que «tout châtiment…motivé par l’arbitraire, le caprice, la colère ou la mauvaise humeur, constitue un délit punissable comme les délits ordinaires».

La seconde condition relative à la capacité mentale de l’enfant est formulée par le baron Martin dans l’arrêt R. v. Griffin (1869), 11 Cox C.C. 402, à la p. 403: [TRADUCTION] «Le droit en matière de correction ne vise que les enfants capables de bénéficier d’une correction.» Le baron Martin a conclu que tel n’était pas le cas d’un enfant âgé de deux ans et demi. Dans son ouvrage The Law Relating to Children (1973), à la p. 212, note 11, le professeur H.K. Bevan, un spécialiste anglais, conclut que, suivant ce même raisonnement, [TRADUCTION] «il n’existerait pas de droit de punir un enfant qui souffre d’une maladie mentale».

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Cette dernière conclusion pourrait, évidemment, être très pertinente en l’espèce. Selon moi il est à la fois impossible et superflu de décider de la justesse de cette déclaration catégorique du professeur Bevan prise dans toute son ampleur. On n’a pas établi devant cette Cour si les enfants atteints de déficience mentale sont capables ou non, en tant que catégorie, de profiter d’une correction. J’estime toutefois que, dans la mesure où un enfant arriéré mental est incapable d’en profiter, en droit l’art. 43 ne justifie l’emploi de la force ni par une personne qui remplace le père ou la mère ni par un instituteur. Dans la présente instance, il se dégage du dossier que la personne «corrigée» était, à la connaissance de la personne qui a eu recours à la force, incapable de s’en souvenir à peine quelques minutes après l’administration de la correction; par conséquent, les voies de fait ne pouvaient en droit constituer un emploi de «la force pour corriger» et l’auteur ne peut invoquer l’art. 43.

IX Conclusion

À mon avis, chacune des conclusions de la Cour d’appel est bien fondée. Un C.D.M. n’est ni une «personne qui remplace le père ou la mère» ni un «instituteur». De même, un adulte arriéré mental confié à ses soins, qu’il soit «sévèrement» ou «profondément» arriéré, n’est ni un «enfant» ni un «élève» au sens de l’art. 43. Il s’ensuit donc que l’art. 43 ne s’applique pas dans un cas comme celui qui nous occupe.

Je m’empresse toutefois de répéter que cette conclusion ne porte nullement atteinte au droit d’une personne ayant autorité de recourir à la force pour se protéger elle-même ou pour protéger autrui face à une conduite violente ou menaçante. Le handicap mental de la personne qui agit de la sorte n’a aucun effet sur l’exercice de ce droit. Ma conclusion quant à l’inapplicabilité de l’art. 43 ne compromet pas non plus la protection accordée par la loi ou par la common law à ceux qui ont recours à la force dans le cadre d’un traitement médical entrepris en vertu d’un consentement dûment obtenu.

Puisque l’art. 43 n’autorise pas le recours intentionnel à la force dans une situation comme celle qui se présente en l’espèce, il s’ensuit que l’emploi

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de la force en pareil cas constitue des voies de fait visées au par. 245(1). Je m’abstiens de me prononcer sur la gravité des voies de fait et sur l’opportunité de porter des accusations criminelles. Nous ne sommes pas saisis de ces questions; comme dans tout autre cas où il y a recours intentionnel à la force, elles relèvent du bon jugement de la poursuite et du pouvoir discrétionnaire de la cour qui est appelée à fixer la peine. La Cour d’appel n’a pas commis d’erreur en inscrivant un verdict de culpabilité.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l’appelant: Ronald L. Doering, Ottawa.

Procureur de l’intimée: Le procureur général de la province de l’Ontario, Toronto.

[1] N.D.T.: Version française par N.M. Chompré, Commentaires sur les lois anglaises, t. 2, Paris, 1822.


Synthèse
Référence neutre : [1984] 2 R.C.S. 173 ?
Date de la décision : 17/09/1984
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Voies de fait - Moyens de défense - Protection des personnes exerçant l’autorité - Voies de fait simples perpétrées par un conseiller en déficience mentale contre un adulte arriéré mental - Peut-on invoquer le moyen de défense prévu à l’art. 43 du Code criminel? - Le conseiller en déficience mentale est-il «une personne qui remplace le père ou la mère» ou un «instituteur»? - La victime est-elle un «enfant» ou un «élève»? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C-34, art. 43, 771.

L’appelant, un conseiller en déficience mentale, a été accusé de voies de fait simples pour avoir frappé plusieurs fois au front un patient arriéré mental profond et âgé de vingt‑et‑un ans, avec une grosse cuillère de métal parce qu’il avait renversé son lait. Au procès, l’appelant a invoqué la protection de l’art. 43 du Code criminel en faisant valoir que, en raison de son poste, sa situation par rapport au patient était celle d’une «personne qui remplace le père ou la mère» ou d’un «instituteur» qui emploie une force raisonnable pour corriger un «enfant» ou «élève» confié à ses soins.

Le juge de la Cour provinciale a rejeté les accusations. Le juge de la Cour de comté a infirmé ce jugement et enregistré une déclaration de culpabilité. En appel, la Cour d’appel de l’Ontario a renvoyé l’affaire à la Cour de comté pour nouvelle audition. La Cour de comté a jugé que l’art. 43 s’appliquait et a acquitté l’accusé. Lors du second appel, la Cour d’appel a infirmé l’acquittement. Elle a conclu que l’appelant n’était pas un «instituteur» ni une «personne qui remplace le père ou la mère» et que le plaignant n’était ni un «élève» ni un «enfant» au sens de l’art. 43. Ce pourvoi porte sur la question de savoir si un conseiller en déficience mentale qui emploie la force physique contre un adulte arriéré mental placé sous sa surveillance peut bénéficier de l’art. 43 du Code.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

La Cour d’appel de l’Ontario avait effectivement compétence pour connaître de cet appel conformément au

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par. 771(1) du Code criminel: la définition et le sens des différents termes de l’art. 43 et la question de savoir si la preuve peut justifier la conclusion que l’art. 43 s’applique constituent des questions de droit.

L’article 43 du Code criminel reconnaît à un instituteur, au père ou à la mère ou à la personne qui remplace le père ou la mère le droit d’avoir recours à la force pour corriger un enfant ou un élève. Cet article doit recevoir une interprétation stricte puisqu’il a pour effet d’ôter à une personne ou à un groupe la protection que normalement le droit criminel offre également à tous, savoir le droit de chacun d’être protégé des atteintes à sa dignité et à sa sécurité physique sans son consentement. En l’espèce, l’art. 43 ne s’applique pas: un conseiller en déficience mental n’est ni «une personne qui remplace le père ou la mère» ni un «instituteur» et un adulte arriéré mental confié à ses soins, quelle que soit la gravité de sa déficience, n’est ni un «enfant» ni un «élève» au sens de l’art. 43.

Dans le Code criminel et dans les dispositions de common law qui ont précédé l’art. 43, de même que dans d’autres lois pertinentes, le mot «enfant» a toujours visé une personne mineure; on n’est pas fondé à interpréter le mot «enfant» pour y inclure des adultes qui sont infantiles ou qui dépendent d’une personne qui «remplit les fonctions des parents». Un conseiller en déficience mentale n’est pas une personne qui remplace le père ou la mère puisqu’il ne prend pas en charge toutes les obligations propres aux parents, particulièrement en matière d’entretien. Même si on prend pour acquis que l’admission du plaignant au centre à titre de patient volontaire, avec le consentement de ses parents, implique une délégation de l’autorité parentale en faveur du ministre des Services sociaux, l’appelant n’était pas un délégué du Ministre aux fins de l’exercice du droit de corriger; d’ailleurs la directive n° M.R. 17 à l’intention du personnel interdit strictement d’employer la force physique contre un patient. Le sens du terme «élève» employé à l’art. 43 est limité comme c’était d’ailleurs le cas en common law, à un enfant qui reçoit de l’instruction. Finalement, le mot «instituteur» vise d’une manière générale une personne qui dispense de l’instruction dans une école primaire. Les conseillers en déficience mentale ne sont pas titulaires de brevets d’enseignement ni ne possèdent les compétences requises pour enseigner et leurs fonctions consistent à donner des soins personnels et non pas à enseigner au sens ordinaire.

De toute façon même si l’on prend pour acquis que l’art. 43 s’applique aux parties en l’espèce, l’emploi de la force par l’appelant ne revient pas à «employer la force pour corriger». Il se dégage du dossier que la personne

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corrigée était, à la connaissance de la personne qui a eu recours à la force, incapable de s’en souvenir à peine quelques minutes après l’administration de la correction.


Parties
Demandeurs : Ogg-Moss
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence: Bennet v. Bennet (1879), 10 Ch. D. 474

Ex parte Pye (1811), 18 Ves. 140

Powys v. Mansfield (1837), 3 My. & Cr. 359

Mitchell v. City of Toronto (1921), 64 D.L.R. 569

Shtitz v. C.N.R., [1927] 1 D.L.R. 951

Fuller v. Fuller, 418 F. 2d 1189 (1969)

Busillo v. Hetzel, 374 N.E. 2d 1090 (1978)

R. v. Woods (1921), 85 J.P. 272

North Carolina v. Pittard, 263 S.E. 2d 809 (1980)

Martin v. United States, 452 A. 2d 360 (1982)

Mitchell v. Defries (1846), 2 U.C.Q.B. 430

Brisson v. Lafontaine (1864), 8 L.C. Jur. 173

R. v. Griffin (1869), 11 Cox C.C. 402.

Proposition de citation de la décision: Ogg-Moss c. R., [1984] 2 R.C.S. 173 (17 septembre 1984)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-09-17;.1984..2.r.c.s..173 ?
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