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22/11/1984 | CANADA | N°[1984]_2_R.C.S._447

Canada | British Columbia Development Corporation c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447 (22 novembre 1984)


Cour suprême du Canada

British Columbia Development Corporation c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447

Date: 1984-11-22

British Columbia Development Corporation et The First Capital City Development Company Limited Appelantes;

et

Karl A. Friedmann, ombudsman Intimé;

et

Le Procureur général de la province de la Colombie-Britannique Mis en cause;

et

L’Ombudsman de l’Ontario, le Protecteur du citoyen de la province de Québec, l’Ombudsman de la Saskatchewan Intervenants.

N° du greffe: 17213.

1984: 30 ja

nvier; 1984: 22 novembre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE L...

Cour suprême du Canada

British Columbia Development Corporation c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447

Date: 1984-11-22

British Columbia Development Corporation et The First Capital City Development Company Limited Appelantes;

et

Karl A. Friedmann, ombudsman Intimé;

et

Le Procureur général de la province de la Colombie-Britannique Mis en cause;

et

L’Ombudsman de l’Ontario, le Protecteur du citoyen de la province de Québec, l’Ombudsman de la Saskatchewan Intervenants.

N° du greffe: 17213.

1984: 30 janvier; 1984: 22 novembre.

Présents: Les juges Ritchie, Dickson, Estey, McIntyre et Wilson.

EN APPEL DE LA COUR D’APPEL DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, [1982] 5 W.W.R. 563, 139 D.L.R. (3d) 307, 38 B.C.L.R. 56, qui a accueilli un appel d’un jugement de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Pourvoi rejeté.

Jack Giles, c.r., et J.A. Angus, pour les appelantes.

I.G. Nathanson et F.S. Borowicz, pour l’intimé.

E. Robert A. Edwards, c.r., pour le mis en cause le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Eric R. Murray, c.r., et Ian A. Blue, pour l’intervenant l’Ombudsman de la province de l’Ontario.

François Aquin et Siri Genik, pour l’intervenant Yves Labonté, le Protecteur du citoyen de la province de Québec.

Noel S. Sandomirsky, pour l’intervenant David Tickell, Ombudsman de la Saskatchewan.

[Page 450]

Version française du jugement de la Cour rendu par

LE JUGE DICKSON — Dans le présent pourvoi, on demande à la Cour de déterminer la portée de la compétence en matière d’enquête accordée à l’ombudsman de la Colombie‑Britannique en vertu du par. 10(1) de l’Ombudsman Act, R.S.B.C. 1979, chap. 306, ainsi rédigé:

[TRADUCTION] 10. (1) L’ombudsman peut, à l’égard d’une question d’administration, sur réception d’une plainte ou de son propre chef, enquêter sur

a) une décision ou une recommandation,

b) un acte ou une omission, ou

c) une procédure

d’un organisme gouvernemental, qui lèse ou peut léser une personne.

La fonction d’ombudsman (un emprunt du suédois signifiant «procureur pour les affaires civiles», mais traduit librement par «protecteur du citoyen») est normalement créée par un corps législatif et dirigée par un officier public indépendant qui possède le pouvoir de recevoir des plaintes, d’enquêter et de faire rapport relativement aux abus de l’administration publique qui touchent les citoyens. Toute analyse du rôle d’enquêteur que doit remplir l’ombudsman doit tenir compte de l’objectif général de redressement pour lequel cette fonction a été traditionnellement créée.

De même, il faut souligner que la fonction d’ombudsman est une création de la loi. Fondamentalement, la nature et la portée de la compétence que l’ombudsman peut exercer en l’espèce dépend de l’interprétation qu’il faut donner aux termes précis de la loi en vigueur en Colombie-Britannique.

Le présent pourvoi peut avoir des effets dans d’autres ressorts canadiens en sus de la Colombie-Britannique. Toutes les provinces, sauf l’île-du-Prince-Edouard, ont une loi sur l’ombudsman semblable à celle de la Colombie-Britannique. En l’espèce, les ombudsmen de l’Ontario, du Québec et de la Saskatchewan sont intervenus en faveur de l’ombudsman de la Colombie-Britannique. Le procureur général de la province est intervenu en faveur de British Columbia Development Corporation (ci-après appelée «B.C.D.C.»), l’une des appelantes.

[Page 451]

I Historique et faits

Les appelantes, B.C.D.C. et sa filiale en propriété exclusive, First Capital City Development Company Limited (ci-après appelée «First Capital»), contestent le droit de Karl A. Friedmann, l’ombudsman de la Colombie-Britannique, d’enquêter sur des plaintes portées contre elles par King Neptune Seafoods Limited (ci-après appelée «King Neptune»).

B.C.D.C. est une société d’État dont toutes les actions émises appartiennent à Sa Majesté du chef de la province de la Colombie-Britannique. La société a été créée par la Development Corporation of British Columbia Act, 1973 (C.-B.), chap. 27, et son existence a été maintenue en vertu de la Development Corporation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 93. Les administrateurs de B.C.D.C. sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil. B.C.D.C. a pour mandat de susciter et d’exploiter les possibilités de développement économique de la province. Ses objets sont énoncés à l’art. 4 de la Loi:

[TRADUCTION] 4. L’objet de la société est de susciter, d’exploiter et d’accroître les revenus, l’emploi, la recette fiscale et les autres avantages économiques pour la province en encourageant et en facilitant rétablissement, l’expansion et l’exploitation constante d’entreprises industrielles dans la province et, à cette fin,

a) d’assurer le financement d’une entreprise industrielle au moyen de prêts ou d’achat de ses actions aux conditions que la société juge souhaitables;

b) d’aider une entreprise industrielle en mettant à sa disposition des emplacements, biens-fonds, bâtiments ou équipements industriels aux conditions que la société juge souhaitables; et

c) de fournir à une entreprise industrielle d’autres formes d’aide financière et technique qui peuvent lui être utiles dans la poursuite des objectifs de la présente loi.

Cette loi a été modifiée par 1980 (C.-B.), chap. 35, de manière à assigner d’autres objets à B.C.D.C:

[TRADUCTION] 4.1 La société a également pour objectif d’agir à titre de mandataire du gouvernement et de lui fournir de l’aide dans l’administration et la mise en oeuvre de programmes gouvernementaux.

[Page 452]

Conformément à l’art. 5 de la Loi, B.C.D.C. a reçu tous les pouvoirs nécessaires pour réaliser ses objets. Ces pouvoirs lui permettent de fonctionner à peu près comme une compagnie privée et de mettre en oeuvre dans le secteur privé les politiques économiques du gouvernement.

Au milieu des années 70, conformément à son mandat, B.C.D.C. a participé à un important projet de réaménagement riverain dans la ville de New Westminster. First Capital a été constituée le 2 août 1977 pour assumer la responsabilité principale de la direction et de la gestion du projet. First Capital et la ville de New Westminster ont conclu une entente d’aménagement qui fixait les conditions de la participation des deux organismes au projet de réaménagement. Cette entente a été autorisée par l’assemblée législative de la province (New Westminster Redevelopment Act 1979, 1979 (C.-B.), chap. 36) et approuvée par le ministre des Affaires municipales.

King Neptune exploitait depuis plusieurs années un restaurant achalandé dans le secteur riverain de New Westminster. Le restaurant était situé sur un terrain loué à Pacific Coast Terminals Ltd. (ci-après appelée «Pacific Terminals»). Ce terrain était situé dans le secteur du projet de réaménagement et il a été acquis de Pacific Terminals en 1978 par B.C.D.C. pour le compte de First Capital. Le bail de King Neptune devait expirer le 31 décembre 1981. B.C.D.C. a avisé King Neptune que le terrain serait requis aux fins du projet de réaménagement à l’expiration du bail. King Neptune voulait cependant poursuivre l’exploitation du restaurant sur son emplacement original et en construire un autre sur un terrain adjacent. Il s’en est suivi des pourparlers entre King Neptune d’une part et B.C.D.C. et la ville de New Westminster d’autre part. Il semble que B.C.D.C. voulait construire un hôtel sur l’emplacement du restaurant de King Neptune. B.C.D.C. s’est dite prête à inclure le restaurant de King Neptune quelque part dans le plan de réaménagement.

Par la suite, B.C.D.C. a reconnu que ses négociations avec King Neptune avaient fait naître chez elle une obligation morale de tenir compte des intérêts du restaurant dans la planification du

[Page 453]

projet de réaménagement. Dans une lettre adressée à un investisseur éventuel, le 13 avril 1978, B.C.D.C. écrivait:

[TRADUCTION] Je note que dans votre lettre adressée au GVRD le 6 mars 1978, il est possible que vous vous intéressiez davantage au restaurant qu’à l’hôtel. Pour éviter toute erreur quant à vos intérêts, nous espérons vous avoir renseigné sur le type d’hôtel que nous voulons avoir et vous avoir fait comprendre que l’exploitation du restaurant serait accessoire à celle de l’hôtel. De plus, l’emplacement de l’hôtel projeté est actuellement occupé par le restaurant le plus important de la ville, le King Neptune. À vrai dire, on pourrait décrire le King Neptune comme l’une des institutions de notre collectivité. Compte tenu des négociations antérieures intervenues entre nous-mêmes et la ville de New Westminster, j’affirmerais que nous avons une obligation morale envers les propriétaires du King Neptune quant à leurs projets d’expansion.

Une copie de cette lettre a été transmise à King Neptune.

Le 15 février 1979, B.C.D.C. a aussi écrit à King Neptune pour confirmer sa volonté d’inclure le restaurant dans le projet de réaménagement. Voici un extrait de cette lettre:

[TRADUCTION] Comme je vous l’ai déjà mentionné, nous nous sommes mis en devoir de reconnaître l’importance que revêt votre restaurant dans notre collectivité et le rôle qu’il a joué aux cours des trente-cinq dernières années. En vous offrant de participer dès le départ à notre projet, votre participation pourrait prendre la forme d’un arrangement en matière de propriété, d’un bail de bien-fonds ou d’une location d’une structure de bâtiment aménagée par d’autres selon vos devis. À ce stade-ci de nos travaux, vos exigences pourraient être intégrées à notre planification de manière à ce que le local de votre restaurant fasse partie intégrante du projet tel que, à mon sens, nous l’avons tous les deux envisagé. Malheureusement le temps presse et nous en sommes maintenant à une phase plus formaliste de planification et de mise en marché.

Bien qu’il y ait eu d’autres négociations, il n’y a jamais eu d’entente permettant d’assurer la participation de King Neptune au projet de réaménagement.

Le 14 juillet 1981, c’est-à-dire moins de six mois avant l’expiration du bail, King Neptune a adressé une plainte par écrit à l’ombudsman et lui a demandé de tenir une enquête. Voici un extrait de cette lettre:

[Page 454]

[TRADUCTION] NOUS estimons qu’il y a clairement, à l’égard de nos plans d’expansion, sinon une obligation légale, du moins une obligation morale que ni F.C.C. ni sa société mère B.C.D.C. n’ont remplie. Ces plans d’expansion ont été arrêtés avec la ville de New Westminster à l’époque même où la ville s’entendait avec B.C.D.C. pour créer F.C.C.

F.C.C. a donné à King Neptune une fausse impression de sécurité qui s’est maintenant transformée en illusion.

La meilleure offre que puisse faire F.C.C. consiste à défrayer le coût d’un million et demi de dollars nécessaire pour emménager ailleurs et à consentir un délai de fermeture transitoire d’environ deux ans. Nous jugeons cela inacceptable vu que les premières négociations portaient sur la conservation de notre bâtiment actuel et la construction d’un autre restaurant sous forme de maison commune indienne sur le lot adjacent.

Cette première lettre attaquait la conduite de B.C.D.C. et de First Capital. Toutefois, quand il a commencé son enquête, l’ombudsman a choisi de la faire porter principalement sur First Capital. Le 27 août 1981, l’ombudsman a écrit au président de First Capital (qui était également président de B.C.D.C.) pour lui dire qu’il avait reçu une plainte de King Neptune au sujet de First Capital. Dans la lettre, il mentionne que la plainte portait que First Capital aurait [TRADUCTION] «négocié de mauvaise foi avec [King Neptune] au sujet de la location ou de l’achat, ou les deux, d’une propriété située dans le secteur riverain de New Westminster».

B.C.D.C. a répliqué en contestant la compétence de l’ombudsman pour enquêter sur la plainte formulée contre First Capital. Après un échange prolongé de correspondance avec B.C.D.C, l’ombudsman a choisi d’obtenir de King Neptune une seconde plainte écrite le 12 novembre 1981. Cette plainte était rédigée en des termes semblables à la première; elle visait cependant uniquement B.C.D.C.

Suite à la réception de la seconde plainte, l’ombudsman a avisé le président de B.C.D.C, par lettre livrée par messager, que son bureau enquêtait maintenant sur une plainte formulée par King Neptune selon laquelle B.C.D.C. aurait refusé,

[Page 455]

sans motif raisonnable, de renouveler le bail de King Neptune ou de lui vendre les locaux du restaurant. La lettre ordonnait à B.C.D.C. de produire tous les documents qu’elle avait en sa possession relativement à la plainte de King Neptune.

Le lendemain, deux enquêteurs du bureau de l’ombudsman se sont rendus aux bureaux de B.C.D.C. pour se faire remettre les documents. B.C.D.C. a refusé de les produire. Un «ordre de produire des documents» a été signifié à un nommé McLean, un vice-président de B.C.D.C. On lui a dit que, si les documents demandés n’étaient pas livrés au bureau de l’ombudsman le lundi suivant, il pourrait être accusé d’une infraction en vertu de l’Ombudsman Act.

Le lundi suivant, B.C.D.C. a livré les documents dans un paquet scellé. Dans la même matinée, B.C.D.C. et First Capital ont déposé conjointement une demande d’examen judiciaire à la Cour suprême de la Colombie-Britannique en vue d’obtenir (1) une ordonnance qui annulerait l’ordre de produire des documents, (2) un jugement qui déclarerait que l’ombudsman n’a pas compétence pour enquêter sur les plaintes formulées par King Neptune contre B.C.D.C. et First Capital et (3) une injonction provisoire qui interdirait à l’ombudsman d’examiner les documents avant la décision sur le fond de la demande. Suite à une demande ex parte présentée par les requérants dans la même matinée, le juge Esson a accordé une injonction qui interdisait à l’ombudsman de se servir de quelque façon que ce soit des documents pendente lite.

II Jugements des tribunaux de la Colombie-Britannique

a) Cour suprême de la Colombie-Britannique

La demande a été entendue par le juge en chef McEachern qui a statué que la plainte de King Neptune était hors de la compétence conférée à l’ombudsman par la Loi. Aux fins de statuer sur la demande, le juge en chef n’a pas fait de distinction entre B.C.D.C. et First Capital; il a désigné les deux sociétés par le seul nom de B.C.D.C. On a reconnu que B.C.D.C. est un «organisme gouvernemental» au sens de la Loi. Le seul point réellement contesté était de savoir si la conduite sur laquelle

[Page 456]

l’ombudsman comptait enquêter était [TRADUCTION] «à l’égard d’une question d’administration».

Le juge en chef McEachern a décidé qu’elle ne l’était pas. Il a déduit que l’inclusion des mots restrictifs «une question d’administration» dans la disposition attributive de compétence de l’Ombudsman Act sous-entendait une certaine limite au pouvoir de l’ombudsman. À son avis, le terme «administratif» peut s’interpréter comme limitant la compétence de l’ombudsman de l’une ou l’autre des deux façons suivantes: (1) il peut désigner la détermination non judiciaire de droits conférés par la loi, ou (2) il peut décrire les procédures de gestion par laquelle un organisme (comme B.C.D.C.) s’administre et s’acquitte de ses fonctions.

Le juge en chef a estimé que le rôle de B.C.D.C. ne consiste pas à rendre la justice parce qu’elle n’est pas tenue d’apprécier des réclamations concurrentes ou opposées. La seule responsabilité qui lui incombe est de décider de la meilleure manière d’utiliser ses biens pour s’acquitter dûment de son mandat. L’exercice de cette sorte de jugement purement commercial dans une opération particulière ne constitue pas une procédure administrative du genre de celle envisagée par le législateur.

Le juge en chef McEachern a donc conclu que la conduite de B.C.D.C. ne pouvait être considérée comme une question d’administration. Dans ses motifs de jugement, il affirme: [TRADUCTION] «les opérations particulières qui exigent l’exercice d’un jugement purement commercial ne sont ni des questions d’administration ni relatives à une question d’administration». Il a accueilli la demande, annulé l’ordre de produire des documents et déclaré que l’ombudsman n’avait pas compétence pour agir.

b) Cour d’appel de la Colombie-Britannique

Le juge Anderson (aux motifs duquel le juge Craig a souscrit) a accueilli l’appel. On a de nouveau reconnu que B.C.D.C. était un «organisme gouvernemental». L’appel a été entendu en tenant pour acquis qu’aucune distinction ne devait être faite entre B.C.D.C. et First Capital.

[Page 457]

La cour à la majorité a statué que l’expression «une question d’administration» a trait à l’application de la politique gouvernementale par l’exercice des fonctions exécutives ou administratives du gouvernement. La cour a considéré que [TRADUCTION] «la décision et la conduite qui y a abouti comportaient manifestement l’exercice d’un pouvoir gouvernemental relatif «à une question d’administration»». Puisqu’il était allégué dans la plainte que B.C.D.C., en s’acquittant de sa charge publique conformément aux objectifs prescrits par la Development Corporation Act, avait agi injustement et de mauvaise foi, l’ombudsman avait donc compétence pour enquêter.

La cour a rejeté l’argument selon lequel les mots «une question d’administration» ne visent pas les «actes» accomplis ou les «décisions» prises dans l’exercice d’un jugement purement commercial. Selon la cour à la majorité, la Loi vise à permettre aux citoyens de demander qu’une plainte portant que le gouvernement a agi de façon injuste fasse l’objet d’une enquête de l’ombudsman; dans cette perspective, pour autant que la conduite contestée eût trait à une question d’administration, il n’importait pas qu’on puisse la qualifier de décision en matière commerciale.

Le juge McFarlane, dissident, aurait rejeté l’appel pour les motifs exprimés par le juge en chef McEachern.

III Question en litige

B.C.D.C. et First Capital interjettent maintenant appel avec l’autorisation de cette Cour. La seule question soulevée en l’espèce est de savoir si l’ombudsman a compétence, en vertu du par. 10(1) de la Loi, pour faire enquête sur la plainte déposée par King Neptune contre B.C.D.C. et First Capital. Le fond de la plainte n’est pas en cause.

IV Compétence de l’ombudsman

a) Considérations d’ordre général

Comme je l’ai déjà souligné, la fonction d’ombudsman est une création de la loi. À ce titre, son pouvoir d’enquêter sur des plaintes est fonction du sens à donner aux mots que le législateur a utilisés pour définir la portée de sa compétence. L’article 8 de l’Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206,

[Page 458]

prescrit une ligne directrice quant à l’interprétation d’une loi provinciale comme l’Ombudsman Act. En voici le texte:

[TRADUCTION] 8. Chaque texte législatif est censé réparateur et doit s’interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de ses objets.

Je ne crois pas que l’on puisse honnêtement mettre en doute la nature réparatrice de l’Ombudsman Act. On comprend mieux les objets de cette loi et la mesure dans laquelle elle doit recevoir une interprétation large et libérale en examinant son économie et les facteurs qui ont amené la création de la fonction d’ombudsman.

b) Évolution historique

La nécessité de trouver un moyen de contrôler l’appareil gouvernemental est presque aussi vieille que le gouvernement lui-même. Dès l’an 200 avant Jésus-Christ, les Romains ont établi la fonction de tribun — un magistrat désigné pour protéger les droits et intérêts des plébéiens contre les patriciens. Il y avait également deux censeurs — des magistrats élus environ tous les cinq ans pour examiner les réalisations des fonctionnaires et instruire les plaintes des citoyens. De même la Chine des dynasties avait le Yuan de surveillance, un fonctionnaire qui surveillait d’autres fonctionnaires et traitait les plaintes de mauvaise administration.

La fonction d’ombudsman et le concept d’une procédure de règlement des plaintes qui ne seraient ni légales ni politiques au sens strict sont d’origine suédoise et remontent aux environs de 1809. La constitution qui a établi la Suède en monarchie démocratique et créé le Parlement suédois prévoyait également une surveillance parlementaire de l’appareil bureaucratique par l’entremise d’un nouveau magistrat appelé le Justitieombudsman.

Au début, l’ombudsman suédois devait être le surveillant parlementaire de l’administration, mais par la suite la nature de l’institution s’est progressivement modifiée. Finalement, l’ombudsman en est venu à avoir pour fonction principale d’enquêter sur des plaintes de mauvaise administration pour le compte de citoyens lésés et de recommander des mesures correctives aux fonctionnaires ou ministères gouvernementaux visés.

[Page 459]

L’institution d’ombudsman a connu un essor depuis sa création. De nombreux pays dans le monde l’ont adoptée pour répondre à ce que R. Gregory et P. Hutchesson, à la p. 15 de leur ouvrage intitulé The Parliamentary Ombudsman (1975), appellent [TRADUCTION] «l’un des dilemmes de notre époque», savoir que [TRADUCTION] «dans l’État moderne … l’action démocratique n’est possible qu’au moyen de l’organisation bureaucratique; mais la puissance bureaucratique, si elle n’est pas bien contrôlée, tend elle-même à détruire la démocratie et ses valeurs».

Les facteurs qui ont contribué à l’essor de l’institution d’ombudsman sont bien connus. Depuis une ou deux générations, la taille et la complexité du gouvernement ont augmenté considérablement tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Depuis l’avènement de l’État‑providence moderne, l’ingérence du gouvernement dans la vie et les moyens de subsistance des individus a augmenté de façon exponentielle. Le gouvernement assure maintenant des services et des avantages, intervient activement sur le marché et exerce des fonctions de propriétaire, à un degré qui aurait été inconcevable il y a cinquante ans.

Il découle comme effet secondaire de ces changements et de la profusion de commissions, d’organismes et de sociétés publiques nécessaires pour les mettre en oeuvre, un risque plus grand de mauvaise administration, d’abus de pouvoir et d’insensibilité bureaucratique. De plus, la croissance d’une structure de gouvernement distante, impersonnelle et professionnalisée a eu tendance à déshumaniser les rapports entre les citoyens et ceux qui les servent. Voir L. Hill, The Model Ombudsman (1976), aux pp. 4 et 8.

Les contrôles traditionnels de la mise en oeuvre et de l’administration des programmes et politiques du gouvernement, savoir les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, ne sont pas complètement adaptés à la surveillance qu’exige une bureaucratie croissante, ni parfaitement capables de l’assurer. L’insuffisance de la réponse législative aux plaintes qui découlent des activités quotidiennes du gouvernement n’est pas sérieusement contestée. Les demandes auxquelles ont à faire face les membres des corps législatifs sont telles qu’ils sont naturelle-

[Page 460]

ment incapables de procéder à un examen minutieux des rouages de la bureaucratie dans son ensemble. De plus, il leur manque souvent les ressources nécessaires en matière d’enquête pour bien suivre toutes les questions qu’ils choississent d’étudier. Voir Powles, Aspects of the Search for Administrative Justice (1966), 9 Can. Pub. Admin. 133, aux pp. 142 et 143.

Les limites des tribunaux sont également bien connues. Un procès peut être long et coûteux. Seuls les cas d’abus administratif les plus graves sont donc susceptibles d’aboutir devant les tribunaux. Ce qui importe encore plus, c’est que dans un très grand nombre de cas il n’y a tout simplement pas de recours en droit.

H.W.R. Wade décrit ce problème et le rôle spécial que l’ombudsman en est venu à remplir:

[TRADUCTION] Il reste cependant un bon nombre de plaintes qui ne correspondent à aucune catégorie juridique ordinaire, mais qui n’en sont pas moins réelles. Un système humanitaire de gouvernement doit fournir un moyen quelconque de les apaiser, autant par souci de justice que parce que l’accumulation du mécontentement est une entrave grave à l’efficacité administrative dans une société démocratique.

Il est essentiel de pourvoir à un examen impartial des plaintes … Toute forme de gouvernement a besoin d’un mécanisme régulier et ordonné qui lui permette de connaître les réactions de ses administrés mécontents et, après une évaluation impartiale, de corriger ce qui peut avoir achoppé. Il n’existait rien de tel dans notre système avant 1968 sauf en ce qui concerne des domaines très limités. C’est cependant une nécessité fondamentale dans tout système. C’est parce qu’elle a répondu à ce besoin que la fonction d’ombudsman a soudainement connu une immense popularité, qu’elle s’est répandue dans le monde démocratique et pris racine en Grande-Bretagne et dans de nombreux autres pays, en plus de susciter de nombreux écrits. [Voir Wade, Administrative Law (5e éd.), pp. 73 et 74.]

Le professeur Donald C. Rowat aborde le même problème dans un article intitulé An Ombudsman Scheme for Canada (1962), 28 Can. J. Econ. & Poli. Se. 543, à la p. 543:

[TRADUCTION] Il est tout à fait possible de nos jours que les droits d’un citoyen se trouvent accidentellement anéantis par les forces aveugles de l’appareil administratif gouvernemental. En cette ère de l’État-providence,

[Page 461]

des milliers de décisions administratives sont prises chaque année par les gouvernements ou leurs organismes, souvent par des fonctionnaires de rang inférieur, et s’il arrive que certaines de ces décisions soient arbitraires ou injustifiées, il n’y a pas de moyen facile pour le citoyen ordinaire d’obtenir un redressement.

L’ombudsman représente la réponse de la société à ces problèmes d’abus possibles et de contrôle. Ses attributions uniques lui permettent d’aborder un bon nombre de préoccupations auxquelles ne touchent pas les mécanismes traditionnels de contrôle bureaucratique. Il est impartial. Ses services sont gratuits et accessibles à tous. Parce qu’il agit souvent de façon informelle, ses enquêtes ne nuisent pas aux activités normales du gouvernement. Ce qui importe davantage, ses pouvoirs d’enquête peuvent permettre d’étaler au grand jour des cas de mauvaise administration bureaucratique qui, autrement, passeraient inaperçus. L’ombudsman [TRADUCTION] «peut faire la lumière dans des coins sombres, même en dépit de ceux qui préféreraient tirer le rideau»: Re Ombudsman Act (1970), 72 W.W.R. 176 (C.S. Alb.), le juge en chef Milvain, aux pp. 192 et 193. D’autre part, il peut conclure que la plainte est non fondée, ce qui se produit souvent, et dans ce cas son rapport impartial et indépendant, dans lequel il exonère l’organisme public, peut fort bien servir à remonter le moral et à rétablir la confiance en soi des fonctionnaires visés.

Bref, les pouvoirs que possède l’ombudsman lui permettent d’aborder les problèmes administratifs que les pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif ne peuvent résoudre efficacement.

c) Économie de la Loi

L’ombudsman est [TRADUCTION] «un officier de l’Assemblée législative», par. 2(1) de l’Ombudsman Act, et il n’est comptable qu’envers l’Assemblée législative à qui il doit soumettre un rapport annuel (par. 30(1)). Son mandat est d’une durée de six ans (par. 3(1)). Il touche le même traitement qu’un juge de la Cour suprême (par. 4(1)). En résumé, ses fonctions consistent à enquêter sur des fautes qui auraient été commises dans l’administration gouvernementale et ce, à la demande de l’Assemblée législative (par. 10(3)), de son propre chef ou en se fondant sur les plaintes portées par des membres du public (par. 10(1)).

[Page 462]

On a conféré à l’ombudsman des pouvoirs étendus afin de faciliter son rôle d’enquêteur. En vertu de l’art. 15, il peut notamment pénétrer dans des lieux et les inspecter, obliger une personne à produire des documents ou à fournir des renseignements, assigner et interroger sous serment quiconque possède des renseignements pertinents, ainsi que tenir des audiences. Les pouvoirs de l’ombudsman sont renforcés par l’art. 31 qui interdit, sous peine de sanction pénale, toute conduite visant à entraver une enquête.

La Loi a pour effet d’assurer que tous les aspects d’une question sont bien exposés en offrant à toute partie concernée la possibilité de se faire entendre. L’ombudsman doit donner avis de son enquête à tout organisme gouvernemental sur lequel il fait enquête et à toute autre personne intéressée et il doit, lorsqu’on lui en fait la demande, consulter l’organisme gouvernemental (art. 14). Il doit, avant de présenter un rapport ou de faire une recommandation, permettre à l’organisme gouvernemental et à toute autre personne qui peut subir un préjudice de soumettre des observations orales ou écrites (art. 16).

Il importe de souligner que l’ombudsman ne peut forcer directement un organisme gouvernemental à réparer un tort qu’il découvre. La Loi crée cependant divers moyens par lesquels l’ombudsman peut inciter le gouvernement à donner suite à une décision qu’il rend après enquête. Il peut recommander des mesures correctives à un organisme gouvernemental qui doit alors l’informer des mesures qui seront prises, le cas échéant, ou des motifs pour lesquels aucune mesure n’est projetée (art. 23). Si l’ombudsman demeure insatisfait, il peut soumettre la question au lieutenant-gouverneur en conseil et à l’Assemblée législative (art. 24). Il peut en outre commenter publiquement une affaire lorsqu’il le juge à propos (art. 30).

Ce sont ces articles qui confèrent finalement une force persuasive aux conclusions de l’ombudsman: ils permettent aux organismes gouvernementaux et à l’ombudsman de dialoguer, ils facilitent l’exercice d’un contrôle législatif sur les rouages des différents ministères gouvernementaux et des

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autres organismes subsidiaires et ils permettent à l’ombudsman d’éveiller l’opinion publique dans des causes appropriées.

Considérée dans son ensemble, l’Ombudsman Act de la Colombie-Britannique énonce une procédure efficace par laquelle on peut enquêter sur des plaintes, mettre au jour des erreurs et des abus bureaucratiques et prendre des mesures correctives. Elle représente le paradigme des lois réparatrices. Elle doit par conséquent être interprétée d’une façon libérale, fonctionnelle et compatible avec le rôle unique que l’ombudsman est censé jouer. Il existe une jurisprudence abondante en ce sens. Voir en particulier les affaires Re Ombudsman Act, précitée; Re Ombudsman of Ontario and Health Disciplines Board of Ontario (1979), 104 D.L.R. (3d) 597 (C.A. Ont.); voir également les affaires Re Ombudsman of Ontario and Minister of Housing of Ontario (1979), 26. O.R. (2d) 434 (H.C.); Re Ombudsman for Saskatchewan (1974), 46 D.L.R. (3d) 452 (B.R. Sask.); Re Board of Police Commissioners for the City of Saskatoon and Tickell (1979), 95 D.L.R. (3d) 473 (B.R. Sask.)

d) Analyse

En vertu du par. 10(1), précité, l’ombudsman peut enquêter sur toute plainte qui présente les éléments suivants:

1) une décision ou une recommandation, un acte ou une omission, ou une procédure,

2) d’un organisme gouvernemental,

3) qui lèse ou peut léser une personne

4) à l’égard d’une question d’administration.

Je me propose maintenant d’examiner le sens de chacun de ces éléments et leur application au présent pourvoi.

(1) Une décision ou une recommandation, un acte ou une omission, ou une procédure

Suivant leur sens ordinaire, les al. a), b) et c) du par. 10(1) de la Loi englobent pratiquement tout ce qu’un organisme gouvernemental peut faire ou ne pas faire, qui pourrait léser quelqu’un. Il est difficile de concevoir une conduite qui ne serait pas visée par ces termes.

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On a reconnu devant la Cour d’appel que les actes accomplis par B.C.D.C. et First Capital à l’égard de King Neptune au cours des négociations et, en particulier, leur omission de renouveler le bail ou de vendre le bien-fonds à King Neptune constituaient «un acte ou une décision» au sens du par. 10(1). Le juge en chef McEachern a tiré une conclusion en ce sens en première instance. Les appelantes ont cependant contesté cette proposition devant cette Cour. Elles ont fait valoir devant nous que les termes pertinents sont limitatifs. Elles ont soutenu que [TRADUCTION] «l’événement à l’origine de la dépossession de King Neptune, c.-à-d. l’expiration du bail, n’est ni une «décision», ni une «recommandation», ni un «acte ou une omission», ni «une procédure»». On l’a plutôt décrit comme l’exécution pure et simple d’une condition contractuelle acceptée par King Neptune bien avant que B.C.D.C. eût acheté le bien-fonds.

Cet argument décrit mal la nature de la plainte de King Neptune et ne tient pas compte des longues négociations qui ont eu lieu entre les parties. King Neptune ne s’est pas plainte à l’ombudsman de l’expiration de son bail prise isolément. Elle a demandé que l’on fasse enquête sur la façon dont elle a été traitée par B.C.D.C. et First Capital depuis l’achat du bien-fonds par B.C.D.C. jusqu’à l’expiration du bail. La plainte porte essentiellement sur la mauvaise foi dont auraient fait preuve B.C.D.C. et First Capital dans leurs négociations avec King Neptune concernant la participation future de cette dernière au projet de réaménagement riverain.

À mon avis, la plainte met en cause une conduite qui peut être décrite, à juste titre, comme un acte ou une omission, une décision ou, tout au moins, une procédure.

(2) Un organisme

Il n’est pas vraiment possible de contester que B.C.D.C. est un «organisme gouvernemental» au sens de l’annexe de la Loi. La liste des organismes gouvernementaux comprend:

[TRADUCTION] 2. Une personne, une société, une commission, un office, un bureau ou un organisme qui

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a) est nommé ou constitué par une loi, par un ministre ou par le lieutenant‑gouverneur en conseil,

b) dans l’exercice de ses fonctions, est un fonctionnaire ou un préposé de la province, ou

c) est comptable à la province,

ou dont la majorité des membres du conseil de gestion ou des administrateurs le sont.

B.C.D.C. est manifestement un organisme gouvernemental parce que, comme je l’ai indiqué, ses administrateurs sont nommés par le lieutenant-gouverneur en conseil conformément à l’art. 7 de la Development Corporation Act.

Il est un peu plus difficile de qualifier First Capital d’organisme gouvernemental, compte tenu du fondement du débat devant les tribunaux de la Colombie-Britannique. Le juge en chambre s’est dit d’avis qu’il n’y a pas lieu de faire une distinction entre B.C.D.C. et First Capital. Pour les fins de la présente analyse, il a traité les deux plaintes comme si une seule avait été déposée et il a considéré les deux sociétés comme une seule entité; c’est également ainsi que l’affaire a été présentée devant la Cour d’appel. À mon avis, cette cour a eu raison d’accepter ce point de vue.

Je n’hésiterais cependant pas à conclure, si cela était nécessaire, que First Capital est [TRADUCTION] «une société … comptable à la province» au sens de l’al. 2c) de l’annexe, à titre de filiale en propriété exclusive de B.C.D.C. Même en l’absence de cette conclusion, je douterais fort qu’une filiale telle que First Capital puisse ne pas être visée par la Loi alors qu’elle est contrôlée par un organisme gouvernemental qui est lui-même assujetti à la compétence de l’ombudsman.

Il convient de s’arrêter un instant et d’examiner spécifiquement les arguments oraux soumis à cette Cour. Si j’ai bien compris, les appelantes cherchent à établir une nette distinction entre ce qu’elles ont décrit comme la première plainte portée contre First Capital, selon laquelle cette dernière aurait fait preuve de mauvaise foi dans les négociations relatives au nouvel emplacement du restaurant, et la seconde plainte portée contre B.C.D.C. à qui on reproche d’avoir omis de renouveler le bail ou de vendre le bien-fonds. On a prétendu que jusqu’à maintenant les procédures n’ont porté que sur la seconde plainte et que, si

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l’enquête se limitait à cette plainte, l’ombudsman excéderait sa compétence.

Les appelantes soulèvent dans cet argument les deux points que je viens de traiter dans les première et deuxième parties. En fait, elles font valoir que la plainte ne met pas en cause la conduite d’un organisme qui pourrait être décrite comme un acte ou une décision d’un organisme gouvernemental. D’une façon plutôt étroite et technique, si je puis m’exprimer ainsi, elles tentent d’établir une nette distinction entre B.C.D.C. et First Capital pour ensuite attribuer une certaine conduite à l’une plutôt qu’à l’autre.

La requête introductive d’instance a été déposée au nom de B.C.D.C. et de First Capital. De même, les appelantes ont reconnu devant la Cour d’appel que les actes des deux sociétés, entre lesquelles aucune distinction n’a été établie, seraient assujettis au pouvoir d’enquête de l’ombudsman si les autres conditions du par. 10(1) étaient remplies. Le découlement antérieur de l’instance semble donc incompatible avec la distinction que les appelantes nous demandent maintenant d’accepter. Qui plus est, le mémoire déposé par les appelantes devant cette Cour ne fait état d’aucune distinction de la sorte.

Qu’elles soient prises séparément ou ensemble, les deux plaintes portent que B.C.D.C. et sa filiale en propriété exclusive ont fait preuve de mauvaise foi au cours des négociations concernant la location ou la vente de certains biens-fonds. Ces négociations et les actes de B.C.D.C. et de First Capital faisaient partie intégrante d’une seule opération. Rien ne justifie la fragmentation de cette opération de la manière proposée par les appelantes. La distinction qu’elles font valoir donnerait lieu à une caractérisation irréaliste des événements survenus et des rapports entre les deux sociétés et King Neptune.

(3) Une personne lésée

Seule la conduite d’un organisme gouvernemental qui [TRADUCTION] «lèse ou peut léser une personne» peut faire l’objet d’une enquête de l’ombudsman. On a prétendu que King Neptune n’est pas une personne et que, quoi qu’il en soit, elle n’a pas été lésée au sens de la Loi.

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Je ne m’attarderai pas longtemps à examiner l’argument du procureur général de la Colombie-Britannique portant que le mot «personne» employé au par. 10(1) ne comprend pas les «personnes morales» telles que King Neptune. L’Interpretation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 206, art. 29, prévoit que [TRADUCTION] «[d]ans un texte législatif … «personne» s’entend également d’une personne morale». Rien dans l’Ombudsman Act n’est incompatible avec cette disposition.

En outre, il n’y a en principe aucune raison d’opter pour un sens plus restreint. Après tout, les personnes morales ne sont que des moyens par lesquels les personnes physiques poursuivent des objectifs économiques. Lorsqu’une personne morale est traitée injustement ou qu’on lui refuse ce à quoi elle a droit, ce sont des personnes physiques qui en ressentent les effets. Refuser aux personnes morales la qualité pour agir ferait en sorte que certaines injustices causées à des personnes physiques ne seraient ni contrôlées ni peut-être réparées, que ces personnes soient des actionnaires ou, comme en l’espèce, des employés comptant plusieurs années de service qui se verraient perdre leur emploi si le restaurant de King Neptune fermait ses portes.

Le procureur général de la Colombie-Britannique a avancé l’argument plutôt forcé selon lequel les personnes morales ne peuvent s’adresser à l’ombudsman pour demander le redressement de leurs griefs parce qu’elles ne peuvent pas voter, suivant la théorie que l’assemblée législative représente les personnes physiques et non les personnes morales et que l’ombudsman représente l’assemblée législative. Je ne vois aucun lien entre le droit de voter et le droit de demander l’aide de l’ombudsman. Par exemple, une personne qui a été déclarée coupable d’un acte criminel et qui continue de purger la peine qui lui a été imposée ne peut pas voter (Election Act, R.S.B.C. 1979, chap. 103, al. 3(1)b)); néanmoins, le par. 12(3) de l’Ombudsman Act prévoit clairement qu’une telle personne peut porter plainte devant l’ombudsman. L’argument selon lequel une personne morale n’est pas une personne au sens du par. 10(1) est sans fondement.

Quant au second point, les appelantes et le procureur général de la Colombie-Britannique sou-

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tiennent que les mots «lèse ou peut léser» employés au par. 10(1) constituent une expression technique qui sert à désigner la négation ou la négation possible d’un droit prévu par la loi; pour être lésée, une personne doit avoir été privée d’une chose à laquelle elle avait droit. Ils font valoir que, puisque King Neptune n’avait pas le droit d’acheter le terrain sur lequel se trouvait le restaurant ou d’exiger le renouvellement du bail, on ne peut pas dire qu’elle a été lésée par son inhabilité à le faire.

Les appelantes citent les affaires Ex parte Sidebotham. In re Sidebotham (1880), 14 Ch.D. 458 (C.A.) et Re Yulka and Minister of Social Services (1982), 138 D.L.R. (3d) 574 (B.R. Sask.) D’autre part, l’ombudsman et le procureur général de l’Ontario citent les affaires Arsenal Football Club Ltd. v. Smith, [1977] 2 W.L.R. 974 (H.L.), Re Actus Management Ltd. and City of Calgary (1975), 62 D.L.R. (3d) 421 (C.A. Alb.); W.A.W. Holdings Ltd. v. Summer Village of Sundance Beach, [1980] 1 W.W.R. 97 (B.R. Alb.) et Attorney-General of the Gambia v. N’Jie, [1961] 2 All E.R. 504 (C.P.)

J’estime que ces affaires ne sont pas concluantes. Bien que chacune d’elles examine le sens de l’expression «personne lésée», aucune ne porte sur une loi qui ressemble, même vaguement, à celle dont il est question en l’espèce. Notre compréhension du par. 10(1) de l’Ombudsman Act ne sera vraisemblablement pas facilitée si nous nous référons à des articles formulés de façon différente dans des lois portant sur un autre sujet. Nous ne pourrons résoudre la question en litige qu’en analysant la loi qui nous est soumise en l’espèce et le but qu’elle vise.

Il ressort manifestement de l’art. 22 de l’Ombudsman Act que les pouvoirs d’enquêter et de faire rapport que possède l’ombudsman sont censés s’étendre à d’autres cas que ceux où la partie plaignante invoque un droit d’action; cet article fait mention de décisions rendues par l’ombudsman portant que le gouvernement a fait quelque chose qui est [TRADUCTION] «injuste», «abusif» «fondé en totalité ou en partie sur une erreur», qui découle de «procédures arbitraires, déraisonnables ou injustes», ou qui est «autrement erroné». Cet article prévoit en outre que, dans ces cas, l’om-

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budsman [TRADUCTION] «doit faire rapport de son opinion motivée à l’organisme gouvernemental intéressé et peut faire la recommandation qu’il estime appropriée». Cela établit clairement l’intention du législateur de ne pas limiter le pouvoir de l’ombudsman à celui de faire enquête sur les actes du gouvernement qui «lèsent» une personne suivant le sens strict proposé par les appelantes.

En second lieu, les appelantes ne se fondent sur aucun principe pour limiter le sens du mot «lèse» à la violation d’un droit prévu par la loi. L’absence d’une telle justification n’est pas surprenante puisque c’est en raison, en partie tout au moins, de l’absence de recours juridique contre un grand nombre d’injustices administratives que l’on a créé la fonction d’ombudsman. Ce sont les tribunaux et non l’ombudsman qui ont la responsabilité de réparer la violation des droits prévus par la loi. Comme le fait valoir l’avocat de l’ombudsman de l’Ontario, [TRADUCTION] «l’Ombudsman Act a pour objet notamment de désigner quelqu’un qui puisse enquêter sur les actes qui préjudicient aux intérêts d’une personne, même si ces actes ne violent pas les droits stricts protégés par les tribunaux». Interpréter les mots «lèse ou peut léser» de la manière proposée par les appelantes irait à l’encontre de l’intention claire du législateur de prévoir le redressement des griefs qui ne sont pas reconnus par la loi.

Je suis d’avis qu’une partie est lésée ou peut être lésée lors qu’elle subit vraiment ou qu’elle risque de subir toute forme de préjudice portant atteinte à ses intérêts, peu importe qu’un droit prévu par la loi soit ou non en cause. En l’espèce, il est tout à fait clair que la perte de l’emplacement du restaurant dans le secteur riverain peut préjudicier aux intérêts de King Neptune et que celle-ci pourrait donc être lésée par la conduite de B.C.D.C. et de First Capital.

(4) Une question d’administration

Comme je l’ai affirmé, pour qu’une plainte relève de la compétence de l’ombudsman elle doit être [TRADUCTION] «à l’égard d’une question d’administration». Les appelantes et l’intervenant qui les a appuyées soutiennent que leurs négociations avec King Neptune constituent non pas des ques-

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tions d’administration, mais plutôt des négociations commerciales qui ne sont donc pas assujetties à la Loi. Avec égards, je ne puis être d’accord.

Les termes «administration» ou «administratif» limitent dans tous les cas la compétence de l’ombudsman. Dans la Loi soumise à notre examen et dans les lois sur l’ombudsman en vigueur en Alberta, en Saskatchewan, au Manitoba et à Terre-Neuve, l’expression pertinente est [TRADUCTION] «une question d’administration»: Ombudsman Act, R.S.A. 1980, chap. 0‑7, par. 11(1); The Ombudsman Act, R.S.S. 1978, chap. 0-4, par. 12(1); The Ombudsman Act, R.S.M. 1970, chap. 045, art. 15; The Parliamentary Commissioner (Ombudsman) Act, R.S.N. 1970, chap. 285, par. 14(1). Au Nouveau-Brunswick et en Nouvelle-Écosse, les mots attributifs de compétence sont «l’application d’une loi ou règle de droit»: Loi sur l’Ombudsman, L.R.N.-B. 1973, chap. 0-5, par. 12(1); Ombudsman Act, 1970-71 (N.-É.), chap. 3, par. 11(1). En Ontario, la Loi sur l’ombudsman parle «d’un organisme du gouvernement»: Loi sur l’ombudsman, L.R.O. 1980, chap. 325, par. 15(1). Et au Québec, les termes pertinents sont «l’exercice d’une fonction administrative»: Loi sur le Protecteur du citoyen, L.R.Q. 1977, chap. P-32, art. 13.

Rien dans les termes «administration» ou «administratif» n’exclut les décisions rendues par des organismes gouvernementaux en matière de propriété ou en matière «commerciale». Ces termes sont suffisamment généraux pour englober toutes les conduites adoptées par un organisme gouvernemental pour promouvoir une politique du gouvernement — «commerciale» ou autre. Un bref rappel des définitions acceptées de ce terme permettra de clarifier cela.

Voici ce que dit S.A. de Smith dans son ouvrage intitulé Judicial Review of Administrative Action (4e éd.1980), aux pp. 68 à 71:

[TRADUCTION] «Les fonctions des organismes publics peuvent être classées à peu près ainsi: (i) législatives, (ii) administratives (ou executives), (iii) judiciaires (ou quasi judiciaires) et (iv) ministérielles …

…un acte administratif ne peut pas être défini avec précision, mais il comprend l’adoption d’une politique, la formulation et la communication d’une directive spécifi-

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que et l’application d’une règle générale à un cas particulier conformément aux exigences de principe, de commodité ou de pratique administrative.

Dans Halsbury’s Laws of England (4e éd.), vol. 1, par. 4, sous le titre Administrative Law, on peut lire:

[TRADUCTION] Les fonctions gouvernementales se divisent en fonctions législatives, exécutives ou administratives, judiciaires et ministérielles … [L]es actes exécutifs et administratifs impliquent la formulation ou l’application d’une politique générale relative à des situations ou à des cas particuliers, ou encore la prise de décisions discrétionnaires particulières ou leur mise à exécution

Ni l’une ni l’autre de ces définitions n’excluent la conduite gouvernementale en matière de propriété ou en matière «commerciale». Suivant ces définitions, la pierre de touche d’un acte administratif est l’adoption, la formulation ou l’application par le gouvernement d’une politique générale dans des situations particulières. Rien ne s’oppose à ce que cette politique ne porte pas sur des questions de propriété ou de nature «commerciale».

On peut donc qualifier une opération de question d’administration même si elle a une saveur «commerciale». En fait, un nombre ahurissant d’organismes gouvernementaux mettent régulièrement en oeuvre sur le marché des politiques et des programmes gouvernementaux. Les décisions prises par les mandataires du gouvernement dans ces domaines n’en sont pas moins «administratives» simplement parce que les politiques qu’ils mettent en oeuvre sont plus ou moins liées à des entreprises commerciales.

Je m’appuie en cela sur l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario Re Ombudsman of Ontario and Health Disciplines Board of Ontario, précité. La question en litige dans cette affaire portait sur l’étendue de la compétence de l’ombudsman de l’Ontario. L’analyse portait sur le terme «administratif». Le juge Morden affirme, à la p. 608:

[TRADUCTION] …le mot administratif» peut raisonnablement s’interpréter comme décrivant les fonctions du gouvernement qui ne sont pas exercées par l’Assemblée législative et les tribunaux. D’une façon générale, il désigne le secteur du gouvernement qui applique la loi et la politique gouvernementale.

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Les décisions Booth v. Dillon (No. 3), [1977] V.R. 143 (C.S.), à la p. 144, Glenister v. Dillon, [1976] V.R. 550 (C.S.), à la p. 558, appuient ce point de vue.

L’annexe de l’Ombudsman Act, qui définit certaines sociétés d’État comme des organismes gouvernementaux aux fins de l’art. 10, confirme l’intention de la législature de la Colombie‑Britannique de conférer à l’ombudsman des pouvoirs d’enquête sur les activités commerciales des sociétés d’État telles que les appelantes. L’inclusion de ces sociétés d’État dans la définition d’«organismes gouvernementaux» laisse entendre que le législateur s’attendait à ce que l’ombudsman surveille leurs opérations. Pour un bon nombre de ces sociétés d’État, ces opérations consistent presque exclusivement en des décisions de nature «commerciale» semblables à celles que l’on cherche à soustraire en l’espèce à l’examen de l’ombudsman.

Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’examiner certaines opinions incidentes dans l’arrêt de la Division d’appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse Ombudsman of Nova Scotia v. Sydney Steel Corp. (1977), 17 N.S.R. (2d) 361. Dans cette affaire, sur laquelle le juge en chef McEachern s’est fondé en première instance, la cour a jugé que l’ombudsman de la Nouvelle‑Écosse n’avait pas compétence pour enquêter sur une plainte portée contre Sydney Steel, une société d’État. En vertu de la Loi néo-écossaise, le pouvoir d’enquête de l’ombudsman est limité à [TRADUCTION] «l’application, par un ministère …d’une loi ou règle de droit de la province.» Le tribunal néo-écossais a conclu que la société, qui avait pour unique fonction de fabriquer et de vendre de l’acier, n’était chargée d’appliquer aucune loi ou règle de droit de la province. En raison du texte particulier de la loi en cause, la cour n’était pas tenue d’examiner et elle n’a pas examiné la question de savoir si la société appliquait une politique gouvernementale. L’arrêt Sydney Steel n’a donc aucune incidence sur l’analyse susmentionnée ni sur la présente affaire.

Dans ce contexte, j’aimerais citer l’extrait suivant du jugement du juge Anderson de la Cour d’appel:

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[TRADUCTION] En l’espèce, le bien-fonds a été acquis pour les fins du plan d’aménagement du secteur riverain. B.C.D.C. exerçait une fonction gouvernementale dans l’intérêt public conformément à ses objets et pouvoirs prévus aux art. 4 et 4.1 de la Development Corporation Act. Elle s’était engagée non pas dans une entreprise commerciale, mais dans un programme destiné à mettre en oeuvre une politique gouvernementale.

Avec égards, j’aurais pensé que B.C.D.C. s’était engagée à la fois dans une entreprise commerciale et dans un programme destiné à mettre en oeuvre une politique gouvernementale. Mais pour les motifs que je viens d’exposer, je ne pense pas que le fait qu’un organisme gouvernemental, tel que défini, s’adonne à une activité commerciale, a pour effet de le soustraire au contrôle de l’ombudsman.

Les appelantes et l’intervenant qui les appuie soutiennent que pour des considérations de principe valables cette Cour devrait interpréter restrictivement l’expression «une question d’administration» qui figure dans l’Ombudsman Act de la Colombie-Britannique.

Ils prétendent tout d’abord que les [TRADUCTION] «pouvoirs d’enquête redoutables» conférés à l’ombudsman par la Loi militent fortement contre l’extension de la compétence de l’ombudsman aux litiges découlant d’arrangements commerciaux. Cet argument a influencé le juge en chambre qui a affirmé:

[TRADUCTION] Il est tout simplement impossible, à mon avis, que le législateur ait voulu que chaque décision prise en matière commerciale par un organisme gouvernemental fasse l’objet d’une enquête. S’il en était ainsi, aucun organisme gouvernemental ne pourrait fonctionner dans un marché concurrentiel, particulièrement dans le domaine de l’aménagement immobilier, et aucune société d’aménagement ne pourrait convaincre les bailleurs de fonds qu’ils peuvent faire un placement sûr…

Le juge McFarlane de la Cour d’appel a adopté un point de vue semblable dans ses motifs de dissidence.

Avec égards, cet argument donne une fausse idée de la portée des pouvoirs d’enquête de l’ombudsman. Loin d’être «redoutables», ces pouvoirs sont en réalité très limités. L’ombudsman peut seulement enquêter, recommander et faire connaître au public ses recommandations qui ne lient

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personne; il n’a pas le pouvoir d’infirmer les décisions des fonctionnaires. Il ne peut pas non plus prescrire des mesures punitives pour les méfaits commis par des fonctionnaires. Il ne peut manifestement pas gêner le travail des personnes avec lesquelles il traite.

J’estime que l’expression «une question d’administration» englobe tout ce que les organismes gouvernementaux font pour mettre en oeuvre les politiques du gouvernement. À mon avis, seules les activités de l’assemblée législative et des tribunaux échappent à l’examen de l’ombudsman.

Pour revenir aux faits de l’espèce, il est manifeste que B.C.D.C. et First Capital procédaient à l’administration et à la mise en oeuvre des politiques du gouvernement de la Colombie‑Britannique au moment où elles ont traité avec King Neptune. Comme je l’ai déjà indiqué, les objets de B.C.D.C. englobent beaucoup de choses et consistent notamment: (1) à susciter et à accroître les avantages économiques pour la province de la Colombie‑Britannique «en encourageant et en facilitant l’établissement, l’expansion et l’exploitation constante d’entreprises industrielles dans la province», et (2) à «agir à titre de mandataire du gouvernement et [à] lui fournir de l’aide dans l’administration et la mise en oeuvre de programmes gouvernementaux»: Development Corporation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 93, art. 4, 4.1; (c’est moi qui souligne).

Le programme gouvernemental administré par B.C.D.C. était un projet de réaménagement municipal approuvé par le ministre des Affaires municipales et autorisé par la législature dans la New Westminster Redevelopment Act 1979, 1979 (C.-B.), chap. 36. Ce programme exigeait que First Capital acquière [TRADUCTION] «le titre de propriété ou une autre méthode de contrôle» du bien-fonds situé dans le secteur riverain de New Westminster et qu’elle supervise son aménagement conformément au plan de réaménagement autorisé par la Loi. Ainsi, dans leurs négociations relatives au bien-fonds en question, B.C.D.C. et First Capital procédaient à la mise en oeuvre d’une politique gouvernementale et à l’administration d’un programme gouvernemental. L’acquisition par B.C.D.C. pour le compte de First Capital du bien-fonds sur lequel se trouvait le restaurant de King

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Neptune et son refus subséquent de renouveler le bail de King Neptune faisaient partie intégrante de son administration du projet. Il s’ensuit que les plaintes de King Neptune concernant la façon dont les deux sociétés ont négocié avec elle au sujet du bien-fonds et de l’emplacement du restaurant sont, malgré leur saveur commerciale, «à l’égard d’une question d’administration», suivant l’expression employée au par. 10(1) de l’Ombudsman Act.

V Conclusion

À mon avis, l’ombudsman intimé a compétence pour enquêter sur les plaintes portées par King Neptune contre B.C.D.C. et First Capital.

Je suis d’avis de rejeter le pourvoi avec dépens dans toutes les cours en faveur de l’ombudsman intimé. Il n’y a pas d’adjudication de dépens contre le procureur général de la Colombie-Britannique. Les intervenants n’ont droit à aucuns dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs des appelantes: Farris, Vaughan, Wills & Murphy, Vancouver.

Procureurs de l’intimé: Davis & Company, Vancouver.

Procureurs du mis en cause le procureur général de la province de la Colombie-Britannique: Procureur général de la province de la Colombie-Britannique.

Procureurs de l’intervenant l’Ombudsman de la province de l’Ontario: Cassels, Brock, Toronto.

Procureurs de l’intervenant Yves Labonté, Protecteur du citoyen de la province de Québec: Aquin & Chenard, Montréal.

Procureurs de l’intervenant David Tickell, Ombudsman de la Saskatchewan: Hleck, Kanuka, Thuringer, Semenchuk, Sandomirsky, Boyd & Baker, Regina.


Synthèse
Référence neutre : [1984] 2 R.C.S. 447 ?
Date de la décision : 22/11/1984
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit administratif - Ombudsman - Compétence - Société d’Etat responsable d’un projet de réaménagement urbain - Échec des négociations en vue d’une entente sur la participation du restaurant au plan - Non-renouvellement du bail du restaurant - Le refus de la société d’État de renouveler le bail relève-t-il du pouvoir d’enquête de l’ombudsman? - Ombudsman Act, R.S.B.C. 1979, chap. 306, art. 10(1), 12(3), annexe art. 2 - Development Corporation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 93, art. 4,4.1, 5.

British Columbia Development Corporation (B.C.D.C.), une société d’état, a constitué First Capital City Development Co. (First Capital) pour réaliser un projet de réaménagement urbain. B.C.D.C. a acheté au nom de First Capital un terrain riverain pour réaliser le projet. King Neptune Seafoods Ltd. (King Neptune) détenait un bail sur ce terrain venant à échéance quelques mois plus tard. King Neptune y exploitait un restaurant depuis plusieurs années et voulait continuer à le faire. B.C.D.C. prévoyait par contre construire un hôtel à la place du restaurant de King Neptune. B.C.D.C., First Capital et King Neptune ont entamé des négociations sur la participation de King Neptune au plan de réaménagement, mais les négociations ont échoué. En définitive, B.C.D.C. a refusé de renouveler le bail de King Neptune. À la suite d’une plainte de King

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Neptune portant que B.C.D.C. et First Capital l’avait traitée injustement, l’ombudsman a entrepris une enquête. L’enquête a toutefois été suspendue par une injonction interlocutoire et, statuant sur une demande d’examen judiciaire, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a conclu qu’on ne pouvait pas qualifier les négociations entre B.C.D.C. et King Neptune de «question d’administration» au sens de cette expression dans la disposition attributive de compétence de l’Ombudsman Act. Ces négociations excédaient donc la compétence de l’ombudsman. La Cour d’appel a infirmé cette décision.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Le paragraph 10(1) de l’Ombudsman Act prévoit que l’ombudsman peut enquêter sur toute plainte relative à: 1) une décision ou une recommandation, un acte ou une omission, ou une procédure, 2) d’un organisme gouvernemental, 3) qui lèse ou peut léser une personne, 4) à l’égard d’une question d’administration.

Les négociations commerciales que B.C.D.C. et First Capital ont tenues avec King Neptune remplissaient ces conditions. La plainte allègue essentiellement la mauvaise foi de B.C.D.C. et de First Capital au cours des négociations avec King Neptune. Ceci met en question une conduite décrite adéquatement comme un acte ou une omission, une décision ou une procédure. B.C.D.C. est clairement un «organisme gouvernemental» au sens de l’annexe de la Loi et King Neptune est une «personne lésée». Le mot «personne» comprend les personnes morales et une personne est «lésée» lorsqu’elle subit vraiment ou risque de subir toute forme de préjudice portant atteinte à ses intérêts, peu importe qu’un droit prévu par la loi soit ou non en cause. Il est clair que la perte de l’emplacement du restaurant dans le secteur riverain peut préjudicier aux intérêts de King Neptune. Enfin la conduite de B.C.D.C. est «à l’égard d’une question d’administration» au sens où cette expression est utilisée dans la loi. La pierre de touche d’un acte administratif est l’adoption, la formulation ou l’application par le gouvernement d’une politique générale dans des situations particulières. L’expression «une question d’administration» englobe tout ce que font les organismes gouvernementaux pour mettre en oeuvre des politiques gouvernementales, peu importe que cette mise en oeuvre touche à des questions en matière de propriété ou en matière commerciale. Seules les activités de l’assemblée législative et des tribunaux échappent à l’examen de l’ombudsman. Lorsque B.C.D.C. et First Capital se sont occupées du terrain en question, elles mettaient en oeuvre une politique gouvernementale et administraient un programme gouvernemental. Il s’ensuit que les plaintes de

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King Neptune sur la façon dont B.C.D.C. et First Capital ont traité avec elle en ce qui concerne le terrain et l’emplacement du restaurant sont, malgré leur saveur commerciale, «à l’égard d’une question d’administration».


Parties
Demandeurs : British Columbia Development Corporation
Défendeurs : Friedmann (Ombudsman)

Références :

Jurisprudence: arrêts mentionnés: Re Ombudsman Act (1970), 72 W.W.R. 176

Re Ombudsman of Ontario and Health Disciplines Board of Ontario (1979), 104 D.L.R. (3d) 597

Re Ombudsman of Ontario and Minister of Housing of Ontario (1979), 26 O.R. (2d) 434

Re Ombudsman for Saskatchewan (1974), 46 D.L.R. (3d) 452

Re Board of Police Commissioners for the City of Saskatoon and Tickell (1979), 95 D.L.R. (3d) 473

Booth v. Dillon (No. 3), [1977] V.R. 143

Glenister v. Dillon, [1976] V.R. 550

Ombudsman of Nova Scotia v. Sydney Steel Corp. (1977), 17 N.S.R. (2d) 361

distinction faite avec les arrêts: Ex parte Sidebotham. In re Sidebotham (1880), 14 Ch.D. 458

Re Yulka and Minister of Social Services (1982), 138 D.L.R. (3d) 574

Arsenal Football Club Ltd. v. Smith, [1977] 2 W.L.R. 974

Re Actus Management Ltd. and City of Calgary (1975), 62 D.L.R. (3d) 421

W.A.W. Holdings Ltd. v. Summer Village of Sundance Beach, [1980] 1 W.W.R. 97

Attorney‑General of the Gambia v. N’Jie, [1961] 2 All E.R. 504.

Proposition de citation de la décision: British Columbia Development Corporation c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447 (22 novembre 1984)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1984-11-22;.1984..2.r.c.s..447 ?
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