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23/05/1985 | CANADA | N°[1985]_1_R.C.S._662

Canada | Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662 (23 mai 1985)


Canadian Dredge & Dock Co., c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662

Canadian Dredge & Dock Company, Limited, Marine Industries Limited, The J.P. Porter Company Limited et Richelieu Dredging Corporation Inc. Appelantes;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

Nos du greffe: 16422, 16425, 16435.

1983: 24, 25, 26 mai; 1985: 23 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin* et les juges Ritchie*, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

*Le juge en chef Laskin et le juge Ritchie n'ont pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'a

ppel de l'ontario

POURVOIS contre des arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario, sub nom. R. v. McNa...

Canadian Dredge & Dock Co., c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662

Canadian Dredge & Dock Company, Limited, Marine Industries Limited, The J.P. Porter Company Limited et Richelieu Dredging Corporation Inc. Appelantes;

et

Sa Majesté La Reine Intimée.

Nos du greffe: 16422, 16425, 16435.

1983: 24, 25, 26 mai; 1985: 23 mai.

Présents: Le juge en chef Laskin* et les juges Ritchie*, Dickson, Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard, Lamer et Wilson.

*Le juge en chef Laskin et le juge Ritchie n'ont pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOIS contre des arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario, sub nom. R. v. McNamara (No. 1) (1981), 56 C.C.C. (2d) 193, qui a rejeté des appels formés contre des déclarations de culpabilité. Pourvois rejetés.

Douglas Laidlaw, c.r., et Roy Stephenson, pour l'appelante Canadian Dredge & Dock Company, Limited.

John Sopinka, c.r., et James Woods, pour l'appelante Marine Industries Limited.

Marcel Piché, c.r., et J. O’Reilly, pour les appelantes The J.P. Porter Company Limited et Richelieu Dredging Corporation Inc.

Edward Then, c.r., et John C. Pearson, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge Estey—L'ensemble complexe des déclarations de culpabilité et des acquittements à l'origine du présent pourvoi soulève des questions fondamentales en ce qui concerne la responsabilité d'une personne morale en matière de droit criminel. L'historique des procédures, au procès et en appel, déclenchées par un acte d'accusation contenant sept chefs qui visent une vingtaine d'accusés est sans importance pour ce qui est de trancher les quatre pourvois dont cette Cour se trouve présentement saisie. Il s'agit de pourvois formés par quatre compagnies reconnues coupables d'infractions au par. 338(1) et à l'al. 423(1)d) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34. À l'issue d'un procès d'une durée d'environ quinze mois, les directives données au jury par le savant juge en chef adjoint Parker de la Haute Cour ayant duré à elles seules onze jours, cinq des accusés ont été acquittés. Quant à deux autres accusés, le jury n'a pu rendre de verdict à leur égard et les treize accusés qui restaient, ont chacun été déclarés coupables relativement à un seul ou plusieurs des sept chefs d'accusation; ces derniers ont porté les déclarations de culpabilité et les sentences en appel devant la Cour d'appel. Le procureur général de l'Ontario pour sa part a interjeté appel de la sentence infligée à trois des accusés. La Cour d'appel a débouté carrément huit des appelants et, dans les cinq autres cas, a ordonné la tenue de nouveaux procès relativement à certains ou à l'ensemble des chefs d'accusation pesant respectivement contre eux. Quatre appelantes se pourvoient maintenant devant cette Cour:

a) L'appelante Canadian Dredge & Dock Company, Limited (ci‑après appelée "CD") interjette appel des déclarations de culpabilité inscrites au procès et confirmées par la Cour d'appel relativement aux chefs d'accusation nos 1, 3, 4, 5 et 6, et demande leur annulation ou, subsidiairement, qu'un nouveau procès soit ordonné;

b) L'appelante Marine Industries Limited (ci‑après appelée "MIL") interjette appel de la déclaration de culpabilité prononcée relativement au chef d'accusation no 2 et demande que cette déclaration de culpabilité soit annulée et un nouveau procès ordonné;

c) L'appelante The J.P. Porter Company Limited (ci‑après appelée "Porter") interjette appel des déclarations de culpabilité inscrites au procès et confirmées par la Cour d'appel relativement aux chefs d'accusation nos 1, 4, 5 et 6, et demande leur annulation ou, subsidiairement, une ordonnance portant nouveau procès;

d) L'appelante Richelieu Dredging Corporation Inc. (ci‑après appelée "Richelieu") interjette appel des déclarations de culpabilité inscrites au procès et confirmées par la Cour d'appel relativement aux chefs d'accusation nos 1 et 3, et demande leur annulation ou, subsidiairement, qu'un nouveau procès soit ordonné.

Le ministère public n'interjette pas d'appel incident contre l'ordonnance de la Cour d'appel portant nouveau procès relativement au chef d'accusation no 7 dans le cas de l'appelante MIL.

2. L'autorisation de pourvoi devant cette Cour a été accordée relativement aux questions de droit suivantes:

Dans les affaires Canadian Dredge & Dock Company Limited c. La Reine et Marine Industries Limited c. La Reine:

La responsabilité criminelle d'une compagnie, fondée sur l'inconduite d'une personne qui en est l'âme dirigeante, est‑elle altérée du fait que cette personne agit en même temps, en totalité ou en partie, frauduleusement envers la compagnie ou, en totalité ou en partie, pour son propre avantage ou contrairement aux instructions portant qu'elle ne doit pas se livrer à des activités illégales dans le cadre de ses fonctions?

Dans l'affaire J.P. Porter Company Limited et Richelieu Dredging Corporation Inc. c. La Reine

Existe‑t‑il des éléments de preuve qu'une personne, qui est l'âme dirigeante de la compagnie requérante agissait, en totalité ou en partie, frauduleusement envers la compagnie orale pendant la période visée par les actes d'accusations ou agissait, en totalité ou en partie, pour son propre avantage au cours de cette période ou contrairement aux instructions portant qu'elle ne devait pas se livrer à des activités illégales dans le cadre de ses fonctions et, dans l'affirmative, la responsabilité criminelle de la compagnie est‑elle touchée par un ou plusieurs de ces facteurs?

3. Ces questions soulèvent carrément celle de la responsabilité criminelle d'une personne morale dans notre droit, que cette responsabilité soit ou non fondée sur ce qu'on appelle la théorie de l'identification. CD, en particulier, rejette la proposition selon laquelle la doctrine de l'identification s'applique de manière qu'une personne morale puisse être responsable en droit criminel d'une infraction nécessitant la mens rea chez son auteur. On fait valoir pour le compte de CD et de MIL qu'il s'agit là d'une doctrine qui tire son origine du droit civil et qui n'a pas été dûment et péremptoirement incorporée dans le droit criminel canadien. Les appelantes CD et MIL allèguent subsidiairement qu'une personne morale n'est pas responsable en droit criminel lorsque son âme dirigeante, à l'époque en cause:

1. a agi frauduleusement à l'égard de la compagnie; ou

2. a agi, en totalité ou en partie, pour son propre avantage; ou

3. a agi contrairement aux instructions portant qu'elle ne devait pas se livrer à des activités illégales dans le cadre de ses fonctions.

4. Les appelantes Porter et Richelieu soutiennent pour leur part qu'il existe des éléments de preuve permettant de conclure qu'aux époques en question leurs âmes dirigeantes agissaient frauduleusement à leur égard, qu'elles agissaient en totalité ou en partie pour leur propre avantage ou qu'elles agissaient contrairement aux instructions portant qu'elles ne devaient pas se livrer à des activités illégales dans le cadre de leur emploi, ou que toutes ces circonstances étaient présentes. Ces appelantes prétendent donc que la seconde question, précitée, doit recevoir la même réponse que la première.

5. Dans aucun de ces pourvois, le ministère public ne reconnaît l'existence d'éléments de preuve, concernant l'une ou l'autre des appelantes, qui tendraient à appuyer les trois moyens de défense distincts dont les appelantes disposent, selon elles, en droit, non plus que ces moyens de défense existent en droit.

6. Les différents chefs exposés dans l'acte d'accusation se rapportent à des contrats, intervenus entre certaines autorités publiques et les accusés, en vue de l'exécution de travaux de dragage dans le fleuve St‑Laurent et dans certains des Grands Lacs de 1967 à 1973 inclusivement. Nombre de questions soulevées et tranchées au procès et en Cour d'appel ne sont pas reprises par les deux questions dont nous sommes présentement saisis. Seuls restent en suspens les points concernant les quatre appelantes en l'espèce, que soulèvent les deux questions susmentionnées. Il n'est pas nécessaire, aux fins de l'analyse de ces points de droit, de refaire l'historique complexe des appelantes, ni d'exposer de nouveau les détails relatifs à leurs propriétaires au cours des années, les éléments de preuve recueillis au sujet de chaque appelante relativement à chaque chef d'accusation ou encore les détails du fonctionnement du système de soumissions qui est à l'origine des présentes accusations. Toutes ces questions font l'objet d'une étude à la fois détaillée et exhaustive dans l'arrêt de la Cour d'appel publié à [sub nom. R. v. McNamara (No. 1)] (1981), 56 C.C.C. (2d) 193. Aux pages 249 à 251, on trouve un résumé des faits jugés essentiels par le ministère public.

7. Chacune des appelantes avait un directeur responsable des soumissions pour les travaux de dragage. Ces directeurs étaient:

a) dans le cas de MIL, Louis DeRome, directeur général chargé des opérations de dragage, qui est devenu vice‑président de la compagnie en 1967. Il est décédé en 1970, avant le début des présentes procédures;

b) dans le cas de Porter, Horace Rindress, nommé vice‑président de cette compagnie en 1959. En 1961, il en est devenu administrateur et, en 1969, président. Rindress a été témoin à charge;

c) dans le cas de Richelieu, Rindress également, celui‑ci étant devenu président de ladite compagnie à la suite de son acquisition par Porter en 1972;

d) dans le cas de CD, Robert Schneider, qui a été à différentes époques administrateur et membre de la direction de ladite compagnie et responsable de ses opérations de dragage. Il avait auparavant occupé des postes semblables au sein des compagnies qui ont précédé l'appelante. Schneider a été témoin à charge.

Le ministère public soutient qu'il y a eu collusion dans les soumissions faites par suite d'appels d'offres lancés par le gouvernement du Canada ou ses organismes. Il est allégué que les soumissions des "adjudicataires" comprenaient des "frais" destinés à couvrir les indemnités compensatrices à verser aux "soumissionnaires" collaborateurs ou, dans certains cas, à des "non‑soumissionnaires" collaborateurs. La compensation prenait parfois d'autres formes; par exemple, les adjudicataires accordaient des travaux en sous‑traitance aux soumissionnaires collaborateurs ou à d'autres participants au prétendu complot.

[TRADUCTION] Selon la théorie du ministère public, les adjudicataires ont inclu dans leur prix de revient estimatif ce qu'il leur fallait offrir en contrepartie de la collaboration des autres soumissionnaires ou de l'abstention de faire des soumissions, de sorte que l'organisme public se trouvait à payer plus cher les travaux que ce n'aurait été le cas s'il y avait eu concurrence dans les soumissions. Lorsque la contrepartie prenait la forme d'un paiement en argent, le montant était inscrit sur des documents dits "feuilles de pointage", tenues par Rindress, Quinlan1 et Schneider; ces derniers se réunissaient périodiquement pour concilier les engagements inscrits sur les "feuilles de pointage" et procéder au règlement des comptes. Si une compagnie avait un solde débiteur, une facture fictive était parfois établie par la compagnie créancière ou par une autre compagnie désignée par elle, facture que la compagnie débitrice réglait par chèque. Dans certains cas, toutefois, le solde débiteur était simplement inscrit et reporté. Comme nous l'avons déjà mentionné, Schneider et Quinlan trouvaient parfois moyen d'empocher eux‑mêmes les pots‑de‑vin à l'insu de la compagnie qu'ils représentaient. De temps à autre, les "feuilles de pointage" étaient détruites après le règlement des comptes.

1 Quinlan a joué le même rôle pour ce qui est de l'accusée McNamara Corporation Limited que MM. Rindress et Schneider pour les autres compagnies accusées. Quinlan était le directeur général et le vice‑président de la Division Marine de McNamara Corporation Limited.

(Aux pages 250 et 251.)

8. Face à ces accusations, les appelantes répondent simplement que, quelle que puisse être la situation personnelle, sur le plan du droit criminel, des directeurs des quatre appelantes, ces dernières n'ont aucune responsabilité criminelle à l'égard de l'un ou l'autre des chefs d'accusation parce que ces directeurs ont agi frauduleusement à l'égard des employeurs‑appelants, parce qu'ils ont agi pour leur propre avantage ou parce qu'ils agissaient contrairement aux instructions qu'ils avaient reçues, outrepassant ainsi le cadre de l'exercice de leurs fonctions dans les compagnies appelantes. Comme nous l'avons déjà fait remarquer, plusieurs des appelantes, du moins en cette Cour, ont contesté l'existence d'une théorie de la responsabilité criminelle des personnes morales lorsqu'il s'agit d'une infraction qui exige la mens rea chez son auteur.

9. Dans ses directives au jury, le savant Juge en chef adjoint a traité des trois moyens de défense soulevés par les appelantes et exposés dans les deux questions, précitées, ainsi que de l'application de la théorie de l'identification en droit criminel canadien. La Cour d'appel a examiné le droit applicable et a conclu qu'aucun des moyens de défense invoqués n'existait en droit ou subsidiairement, qu'aucun n'était applicable, compte tenu de la preuve. Par conséquent, les appelantes CD et MIL étaient coupables des infractions visées par les chefs d'accusation présentement en cause. En ce qui concerne les appelantes Porter et Richelieu, la Cour d'appel a jugé que, indépendamment de l'existence de ces moyens de défense en droit, il n'y avait aucune preuve établissant que la conduite de Rindress, l'âme dirigeante de ces appelantes, a été de nature à permettre que ces moyens de défense soient soulevés.

10. Il faut d'abord examiner la situation de la personne morale en droit criminel. Puisque toutes les infractions criminelles et quasi criminelles sont définies par la loi, la possibilité de poursuivre une personne morale dépend nécessairement en partie de la terminologie utilisée dans la loi. Au cours des dernières années a été établi un système de classification qui distingue les infractions selon le degré d'intention, s'il en est, nécessaire pour qu'il y ait culpabilité.

a) Les infractions de responsabilité absolue

11. Lorsqu'il est très clair que le législateur a voulu établir une infraction à l'égard de laquelle il y a responsabilité automatiquement dès qu'on contrevient à la loi, la culpabilité ne tient à l'existence d'aucun état d'esprit particulier. Face à une infraction de ce genre, les personnes morales et les personnes physiques sont sur un pied d'égalité. Il y a alors responsabilité directe automatique. Par conséquent, il n'est pas nécessaire d'établir une règle applicable à la responsabilité d'une personne morale ni aucun raisonnement la justifiant. La personne morale est simplement traitée comme une personne physique.

b) Les infractions de responsabilité stricte

12. Lorsque la terminologie utilisée par le législateur est de nature à traduire une intention de ne pas faire reposer la culpabilité sur la violation automatique de la loi, mais plutôt sur une preuve de l'actus reus, il y a, sous réserve du moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable, infraction de responsabilité stricte. Voir l'arrêt R. c. Ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299. Comme dans le cas d'une infraction de responsabilité absolue, il importe peu que l'accusé soit ou non une personne morale parce qu'il s'agit d'une responsabilité directe qui découle des termes de la loi. Cette responsabilité ne dépend pas de l'imputation à l'accusé des méfaits d'autrui. Elle se présente lorsque la loi, selon une interprétation correcte, révèle clairement que le législateur a envisagé une culpabilité découlant directement d'une infraction à la loi elle‑même, sous réserve du moyen de défense de portée restreinte mentionné ci‑dessus. À cet égard, la situation de la personne morale et celle de la personne physique sont identiques. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit d'une responsabilité directe et non pas d'une responsabilité du fait d'autrui.

c) Les infractions nécessitant la mens rea

13. Tombent dans cette catégorie les infractions criminelles traditionnelles dont un accusé ne peut être reconnu coupable que si la poursuite établit la mens rea. En common law une personne morale ne pouvait en règle générale être déclarée coupable d'une infraction criminelle. Cette immunité résultait de ce que la responsabilité du fait d'autrui en droit criminel répugnait à la common law; elle résultait aussi de la doctrine de l'ultra vires voulant qu'une personne morale ne puisse commettre d'actes criminels et que de tels actes perpétrés par ses représentants constituent un excès de pouvoir de la part de ces derniers. À l'autre extrême du spectre, il existe des crimes, tels que le parjure et la bigamie, que, indépendamment de toute doctrine relative à la responsabilité criminelle des personnes morales, il leur est réellement impossible de commettre. Puisqu'une compagnie peut agir seulement par l'intermédiaire de ses représentants, il n'existe essentiellement que trois façons d'envisager l'intention criminelle chez une personne morale:

(i) une responsabilité absolue de la conduite de ses mandataires, quel que soit leur niveau hiérarchique ou leur responsabilité, pourvu qu'ils agissent dans le cadre de leurs fonctions;

(ii) aucune responsabilité criminelle, à moins que les actes criminels en question n'aient été commis sur l'ordre ou à la demande expresse ou clairement implicite de la compagnie parlant par l'intermédiaire de son conseil d'administration;

(iii) un moyen terme selon lequel la conduite criminelle, y compris l'état d'esprit, d'employés et de mandataires de la compagnie est imputée à celle‑ci de manière à entraîner sa responsabilité criminelle. Mais il faut alors que l'employé ou le mandataire en question, par le poste qu'il occupe au sein de l'organisation et dans l'activité de la compagnie, soit réellement son âme dirigeante, son centre, son cerveau et son incarnation si bien que l'acte de l'individu est assimilé à l'acte de ladite compagnie. Selon cette théorie, il n'existe aucune espèce de responsabilité du fait d'autrui ni d'autre forme de mandat; il y a plutôt une responsabilité en droit criminel qui résulte de l'identité de la personne morale et de la personne physique. En un mot, il s'agit d'une responsabilité directe. Cette règle, qui constitue un moyen terme, n'est qu'une fiction juridique inventée pour des raisons d'ordre pratique.

14. Voilà maintenant des siècles que tribunaux et législateurs se penchent sur la situation de la personne morale en droit criminel. Les questions qui se posent à ce sujet sont nombreuses et complexes. Il est fort douteux qu'on puisse y répondre de façon définitive et universellement applicable dans le cadre du présent pourvoi ou, d'ailleurs, que les tribunaux seuls puissent le faire. Un examen historique de ces questions nous aide à les cerner, mais n'offre pas de solution nette au problème. La première édition de Halsbury’s (1909), vol. 8, p. 390, paragraphe 858, résume la situation juridique de l'époque:

[TRADUCTION] 858. Il est de principe général en droit criminel que toute infraction criminelle doit nécessairement comporter la mens rea; par conséquent, une personne morale ne peut normalement être déclarée coupable d'une infraction criminelle.

La common law reconnaissait initialement quatre exceptions à l'immunité des personnes morales: (1) la nuisance publique, (2) la diffamation criminelle, (3) les infractions de responsabilité absolue créées par la loi et (4) l'outrage au tribunal. Voir aussi vol. 9, aux pp. 235 et 236, paragraphe 503.

15. La deuxième édition de Halsbury’s, publiée en 1933, reprend textuellement la formulation de la première. Quand la troisième édition est parue en 1954, le droit avait connu une certaine évolution.

[TRADUCTION] 521. Personnes morales. Une personne morale ne peut se rendre coupable d'une infraction (telle que la bigamie ou le parjure) qui, par sa nature même, ne peut être commise que par des personnes physiques; de même, une personne morale ne peut être reconnue coupable d'un crime dont l'unique sanction est la peine de mort ou l'emprisonnement.

Ces exceptions mises à part, une personne morale peut être déclarée coupable aussi bien d'infractions à la loi que d'infractions de common law, même si, dans ce dernier cas, la mens rea est requise; et, dans l'interprétation de toute disposition législative portant sur une infraction punissable par suite du dépôt d'un acte d'accusation ou sur déclaration sommaire de culpabilité, le terme "personne" comprend une personne morale, à moins que l'intention contraire ne soit manifestée. Une personne morale ne peut commettre de crime si ce n'est par l'intermédiaire de ses mandataires dont certains doivent être eux‑mêmes responsables du crime en question. Déterminer si l'acte criminel du mandataire est aussi l'acte de la personne morale et si son état d'esprit, son intention, ses connaissances ou sa conviction peuvent être imputés à la personne morale est, dans chaque cas, une question de fait. Elle dépend de la nature de l'accusation, du poste du membre de la direction ou du mandataire au sein de la compagnie et des autres circonstances et faits qui peuvent être pertinents à l'espèce.

(Vol. 10, aux pp. 281 et 282, paragraph 521.)

Voir aussi Halsbury’s (3rd ed.), vol. 9, p. 90, paragraphe 183. Lorsque la quatrième édition est parue en 1974, le droit avait encore changé. Les savants auteurs de la quatrième édition disent (vol. 11, p. 30, paragraphe 34):

[TRADUCTION] 34. Personnes morales. D'une façon générale, en ce qui concerne la responsabilité criminelle, une personne morale n'est pas différente d'une personne physique et peut être déclarée coupable d'infractions de common law et d'infractions à la loi, y compris celles qui exigent la mens rea. Il est toutefois des crimes qu'une personne morale est incapable de commettre ou dont elle ne peut elle‑même être reconnue coupable ...

La responsabilité criminelle d'une personne morale est engagée dès lors qu'une infraction est commise dans le cadre de ses activités par une personne qui en dirige les affaires à un point tel que l'on peut à juste titre dire que la personne morale pense et agit par son intermédiaire, si bien que les actes et les intentions de cette personne sont ceux de la personne morale. Il ne suffit pas que la personne dont on cherche à imputer la conduite à la personne morale soit un directeur ou un fondé de pouvoir ou un cadre supérieur; quant à savoir si une personne est "l'âme dirigeante" d'une compagnie de sorte que sa conduite dans les affaires devient celle de la compagnie, cela dépend nécessairement de l'ensemble des circonstances.

Voir aussi Halsbury’s (4th ed.), vol. 9, p. 804, paragraphe 1379.

16. En common law, on n'éprouvait aucune difficulté à conclure à la responsabilité délictuelle d'une compagnie, bien qu'on établît l'état d'esprit de celle‑ci en lui imputant les intentions et la conduite de ses employés et de ses mandataires. Ainsi, en matière délictuelle, les tribunaux ont, depuis le début, fondé la responsabilité du fait d'autrui d'une compagnie sur les principes du mandat. Toutefois, la common law d'Angleterre s'est montrée réticente à appliquer la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui pour conclure qu'une compagnie était responsable en droit criminel des actes de ses mandataires sauf les quatre exceptions déjà mentionnées. Cela a amené une situation absurde dans laquelle les compagnies jouissaient d'une immunité générale en matière criminelle et ce, à une époque où, pour diverses raisons, les compagnies avaient assumé un rôle prépondérant dans le commerce. L'état lui‑même, grâce surtout à des lois fiscales et à des lois régissant les compagnies, avait en fait encouragé cette situation ou, à tout le moins, facilité sa création. Vers le début du siècle, les tribunaux ont commencé à attaquer le principe de l'immunité des compagnies en droit criminel. Les obstacles de procédure et autres qui mettaient les compagnies à l'abri de toute responsabilité criminelle ont été levés. Voir Leigh, "The Criminal Liability of Corporations and Other Groups" (1971), 9 U. Ott. L.R. 247, aux pp. 248 et 249. Ce qui était peut‑être le plus grand empêchement sur le plan de la procédure, savoir l'impossibilité, selon certains tribunaux, de punir une compagnie lorsque la seule sanction prévue par la loi était l'emprisonnement (voir par exemple R. v. Great West Laundry Co. (1900), 3 C.C.C. 514 (B.R. Man.)), a été supprimé en 1909 par la Loi de 1909 modifiant le Code criminel, 1909 (Can.), chap. 9, art. 2 (maintenant l'art. 647 du Code criminel), qui permettait la substitution d'une amende à toute autre peine lorsqu'un verdict de culpabilité était rendu contre une compagnie. Chose ironique, l'élimination du plus gros obstacle, c.‑à‑d. l'attribution de la mens rea à une compagnie, a été vraiment amorcée dans une affaire civile: Lennard’s Carrying Co. v. Asiatic Petroleum Co., [1915] A.C. 705. La Chambre des lords avait à déterminer la responsabilité civile d'une compagnie en vertu d'une loi qui permettait d'invoquer comme moyen de défense que le dommage a eu lieu sans [TRADUCTION] "la faute ni la complicité" de la compagnie. La question en litige était de savoir si la "faute" d'un administrateur qui participait activement aux activités de la compagnie, était en droit la faute de la compagnie elle‑même. Le lord Chancelier, le vicomte Haldane, a posé le principe général de la responsabilité d'une personne morale, qui est encore le principe directeur du droit au Royaume‑Uni (aux pp. 713 et 714):

[TRADUCTION] ... une compagnie est une abstraction. Dénuée de corps et d'esprit, sa volonté ne peut se manifester que par l'intermédiaire d'une personne qui, à certaines fins, peut être appelée un mandataire, mais qui est en réalité l'âme dirigeante de ladite compagnie, l'incarnation même de celle‑ci. Cette personne peut relever des actionnaires réunis en assemblée générale; dans d'autres cas l'âme dirigeante peut être le conseil d'administration lui‑même, ou encore, comme cela arrive parfois, il se peut que les statuts de la compagnie en question attribuent à cette personne un pouvoir égal à celui du conseil d'administration et qu'elle soit nommée par l'assemblée générale de la compagnie celle‑ci étant seule à pouvoir la destituer... Quoi qu'il puisse en être de la situation de M. Lennard, nous savons au moins ceci, qu'il a participé activement à la gestion de ce navire pour le compte de ses propriétaires et, je le répète, qu'il était désigné à cette fin dans le registre du navire. Il était donc naturel que M. Lennard comparaisse pour le compte des propriétaires afin de fournir un témoignage détaillé non seulement sur les événements dont j'ai déjà parlé et qui se rapportent à l'état de navigabilité du navire, mais encore sur sa propre situation et sur la question de savoir s'il était l'âme dirigeante de la compagnie. Car, s'il l'était, sauf à conclure à l'irresponsabilité totale d'une compagnie, son acte a dû être celui de la compagnie elle‑même au sens de l'art. 502. On n'a pas fait valoir en l'espèce, l'argument aurait d'ailleurs été rejeté, que l'art. 502 est rédigé de telle façon qu'il crée une exemption absolue à l'égard d'une compagnie qui se trouve être propriétaire d'un navire, et ce simplement en raison de sa qualité de compagnie. Il doit s'agir, selon une interprétation juste de cet article dans un cas comme celui qui se présente ici, de la faute ou de la complicité, non seulement d'un préposé ou d'un mandataire dont la compagnie est responsable en vertu de la règle respondeat superior, mais d'une personne qui engage la responsabilité de la compagnie parce que son acte est l'acte de la compagnie elle‑même.

17. Subséquemment, des déclarations de culpabilité ont été prononcées en vertu de différentes lois, dont celles qui posent comme exigence que l'on prouve l'élément de la mens rea. Les tribunaux ont appliqué les propos de la Chambre des lords dans l'arrêt Lennard, précité, pour imputer à la compagnie accusée les actes de son "âme dirigeante". Voir l'arrêt Director of Public Prosecutions v. Kent and Sussex Contractors Ltd., [1944] K.B. 146, aux pp. 155 et 156, où le juge en chef, le vicomte Caldecote, dit:

[TRADUCTION] Le règlement crée des infractions qui consistent à agir dans l'intention de tromper ou à faire sciemment une déclaration qui est fausse sur un point essentiel. Les faits énoncés dans l'exposé de cause appuient largement la conclusion que la compagnie, par l'intermédiaire des seules personnes habilitées à agir, à parler ou à penser en son nom, a accompli l'un et l'autre actes susmentionnés...

Le juge Macnaghten, dans un avis concordant, a formulé le principe en des termes plus généraux (à la p. 156):

[TRADUCTION] Si le fondé de pouvoir d'une compagnie, dans l'exercice légitime de son pouvoir, produit au nom de ladite compagnie, avec l'intention d'induire en erreur, un document dont il connaît la fausseté, j'estime que, suivant la jurisprudence citée par mon collègue, la connaissance et l'intention du fondé de pouvoir doivent être imputées à la compagnie.

Voir aussi la décision R. v. I.C.R. Haulage, Ltd., [1944] K.B. 551, qui va dans le même sens.

18. Les tribunaux canadiens ont appliqué ces principes généraux dans une série de décisions. Dans l'arrêt R. v. Fane Robinson Ltd., [1941] 3 D.L.R. 409, la Cour d'appel de l'Alberta a infirmé l'acquittement de deux compagnies dont deux administrateurs et membres de la direction avaient comploté avec un tiers en vue de frauder une compagnie d'assurances en gonflant le prix demandé par la compagnie accusée à la compagnie d'assurances pour des réparations d'automobile. Le juge Ford, qui a rédigé les motifs de la cour, conclut, à la p. 415, que les deux membres de la direction:

[TRADUCTION] ...sont l'âme dirigeante de [la compagnie accusée] de façon générale et en particulier en ce qui concerne l'objet des infractions dont elle est accusée, que leur intention coupable (mens rea) et leur acte illégal (actus reus) sont l'intention et l'acte de la compagnie et que le complot pour frauder et obtenir de l'argent par de faux semblants sont des infractions qu'une compagnie est capable de commettre.

Suivant donc la ligne établie par la jurisprudence du Royaume‑Uni, y compris l'arrêt Lennard’s, précité, la cour a conclu à la responsabilité criminelle de la compagnie. À la page 410, la cour déclare:

[TRADUCTION] ...si l'acte dont on se plaint peut être considéré comme celui de la compagnie, celle‑ci encourt la responsabilité criminelle dans la mesure où elle est capable de commettre ce genre d'actes et où la peine prévue peut lui être infligée.

La cour s'est délibérément abstenue de fonder sa conclusion de responsabilité criminelle sur la doctrine de respondeat superior. Voir aussi les décisions postérieures: R. v. Ash‑Temple Co. (1949), 93 C.C.C. 267 (C.A. Ont.), le juge en chef Robertson, aux pp. 279 et 280; R. v. Electrical Contractors Association of Ontario and Dent, [1961] O.R. 265 (C.A.), le juge Laidlaw, à la p. 280; R. v. H.J. O’Connell Ltd., [1962] B.R. 666 (C.A. Qué.), à la p. 667; R. v. J.J. Beamish Construction Co., [1966] 2 O.R. 867 (H.C.), à la p. 891, le juge Jessup (tel était alors son titre); R. v. St. Lawrence Corp., [1969] 2 O.R. 305 (C.A.), le juge Schroeder, à la p. 320; R. v. Spot Supermarket Inc. (1979), 50 C.C.C. (2d) 239 (C.A. Qué.), le juge Lamer (maintenant juge puîné de cette Cour), à la p. 252; et R. v. P.G. Marketplace and McIntosh (1979), 51 C.C.C. (2d) 185 (C.A.C.‑B.), le juge en chef Nemetz, aux pp. 187 et 188.

19. Dans la décision R. v. J.J. Beamish Construction Co., précitée, le juge Jessup (tel était alors son titre), brosse un tableau plus détaillé de l'évolution par laquelle les compagnies ont perdu leur immunité quasi totale en droit criminel pour se trouver presque sur un pied d'égalité avec les personnes physiques dans les mêmes circonstances. Trois ans plus tard, le juge Schroeder de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. St. Lawrence Corp., précité, aux pp. 315 à 321, a de nouveau examiné cette transition. Le juge Schroeder a fini par adopter, à la p. 320, la même formulation du principe directeur que celle adoptée par le juge Jessup dans l'affaire Beamish, précitée, quoique celle‑ci ne soit pas mentionnée expressément:

[TRADUCTION] Bien que dans des cas autres que ceux de la diffamation criminelle, de l'outrage criminel au tribunal, de la nuisance publique et des infractions de responsabilité stricte créées par la loi, la responsabilité criminelle d'une compagnie du fait de ses employés ou de ses mandataires ne soit pas fondée sur la doctrine de respondeat superior, il n'en demeure pas moins que, si, en raison de la catégorie de personnes à laquelle appartient le mandataire, la cour peut conclure que, dans l'exercice de ses attributions et responsabilités, il est un organe vital de ladite compagnie et qu'il en est en réalité l'âme dirigeante, de sorte que ses actes et ses intentions deviennent les actes et les intentions de la compagnie elle‑même, sa conduite suffit à ce moment‑là pour justifier l'inculpation de celle‑ci. Ajoutons à ce propos qu'il y a un principe bien établi selon lequel cette proposition est soumise à la condition que, dans l'accomplissement des actes en question, le mandataire n'excède pas son pouvoir, conféré expressément ou implicitement.

L'avocat de MIL fait valoir que l'arrêt St. Lawrence, précité, ne s'applique pas aux faits de la présente affaire; l'avocat de CD, pour sa part, affirme que, s'il s'y applique, il est mal fondé.

20. On a estimé que cette règle de droit provient de ce que le membre de la direction ou cadre supérieur a été retiré de la catégorie générale des "employés ou mandataires subalternes" à l'égard des actes desquels la personne morale employeur (tout comme la personne physique employeur) continuait de jouir d'une immunité contre toute responsabilité du fait d'autrui en droit criminel. Il s'agit de ce qu'on appelle communément la théorie de "l'identification". L'application de cette théorie crée chez la personne morale l'élément de la mens rea qui, sans cela, n'existerait que chez la personne physique qui est l'âme dirigeante. Ainsi s'établit "l'identité" de l'âme dirigeante et de la compagnie, ce qui permet que celle‑ci soit reconnue coupable de l'acte d'une personne physique qui est son employé. Tel est le pouvoir du raisonnement juridique. La théorie est issue directement de la célèbre maxime de Blackstone: "En droit, la personnalité du mari et la personnalité de la femme se confondent en celle du mari". Il existe un lien étroit entre cette théorie et le principe du droit des compagnies voulant que des compagnies qui se fusionnent, quoiqu'elles cessent d'exister, soient perpétuées dans la nouvelle société ainsi créée. Pour que la théorie puisse s'appliquer de manière à entraîner la responsabilité criminelle d'une compagnie par suite des actes d'un employé (qui, en règle générale, doit être lui‑même responsable), l'employé en question doit être "l'incarnation", "l'organe vital", "l'alter ego" ou "l'âme dirigeante" de la compagnie employeur. Dans l'arrêt St. Lawrence, précité, par exemple, le juge Schroeder dit du membre de la direction ou du cadre supérieur qu'il est [TRADUCTION] "le représentant principal ... par l'intermédiaire duquel la compagnie agit, parle et pense" (à la p. 317). Le terme "représentant principal" provient d'un article de C.R.N. Winn., "The Criminal Responsibility of Corporations" (1929), 3 Camb. L.J. 398 (ou du moins il y est employé). L'auteur affirme, à la p. 404:

[TRADUCTION] ...les comploteurs sont en réalité les administrateurs ou d'autres représentants principaux. On prétend qu'un simple complot de subalternes ne pourrait rendre une compagnie coupable en droit criminel. Si l'intention coupable des représentants principaux est prêtée à la compagnie dans le cas présent où, plus que dans aucun autre cas, cette intention constitue l'élément essentiel de l'infraction, il semble qu'il sera toujours approprié d'imputer à une compagnie la culpabilité de ses représentants principaux lorsque ces derniers, dans l'exercice des pouvoirs de ladite compagnie, commettent en son nom des actes criminels.

À la page 407, le savant auteur ajoute:

[TRADUCTION] Il est évident d'une part que ce serait une innovation que de faire endosser à une société la responsabilité criminelle des actes accomplis par tous ses employés dans le cadre de leur emploi. La maxime "respondeat superior" n'a jamais été appliquée en droit criminel et toute tentative d'y introduire un concept qui lui est étranger pourrait être vouée à l'échec.

Selon la théorie de l'identification, l'imputation à la compagnie de l'acte illégal de son représentant "principal" entraîne une responsabilité "directe" plutôt qu'une responsabilité "du fait d'autrui". Dans l'affaire Beamish, précitée, le juge Jessup, avec justesse, qualifie de [TRADUCTION] "prophétique" l'article précité. Dans l'arrêt Tesco Supermarkets Ltd. v. Nattrass, [1972] A.C. 153 (H.L.), lord Reid conteste l'exactitude de l'expression "alter ego"; il se joint donc au vicomte Haldane pour employer le terme "incarnation" de la compagnie. Il s'ensuit que l'administrateur ne se rend pas en outre coupable de l'infraction d'avoir comploté avec l'employeur en vue de la perpétration de l'acte illégal en cause parce que la théorie de l'identification ne reconnaît l'existence que d'une seule entité créée par la fusion de la personne physique et de la personne morale. Par conséquent, l'exigence fondamentale d'un complot, savoir qu'il y ait plus d'une personne, n'est pas remplie. Voir l'arrêt R. v. Martin, [1932] 3 W.W.R. 1 (C.A. Man.), le juge Dennistoun, à la p. 8; R. v. McDonnell, [1966] 1 All E.R. 193, à la p. 201; Leigh, "The Criminal Liability of Corporations and Other Groups", précité, à la p. 257; et Ewaschuk, "Corporate Criminal Liability and Related Matters" (1975), 29 C.R.N.S. 44, aux pp. 62 à 64; mais voir aussi l'arrêt R. v. Electrical Contractors Association of Ontario and Dent, précité, à la p. 272.

21. Le principe en vertu duquel les actes criminels des mandataires sont imputés à la compagnie mandante qui est leur employeur afin que l'on puisse conclure à la responsabilité criminelle de celle‑ci ne s'applique que dans les cas où l'âme dirigeante agit dans les limites de son pouvoir (Beamish, précité, aux pp. 890 et 892; et St. Lawrence, précité, à la p. 320), en ce sens que ses actes s'inscrivent dans le cadre de l'activité de la compagnie (Halsbury’s (4th ed.), vol. 14, p. 30, paragraphe 34, précité). À plusieurs reprises dans l'argumentation présentée pour le compte des quatre appelantes, on retrouve une transformation de la règle de l'âme dirigeante en une exigence selon laquelle, pour qu'elle s'applique, l'âme dirigeante doit en tout temps agir dans le cadre de son emploi. Inversement, selon cet argument, si les actes de l'âme dirigeante dépassent complètement "le cadre de son emploi", ces actes ne sauraient être attribués à la compagnie dont elle est l'employée. Les problèmes terminologiques procèdent de ce que le concept de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle a traditionnellement connu une restriction. En effet, il faut que l'employé agisse "dans le cadre de son emploi" et non pas, pour employer l'expression bien connue, [TRADUCTION] "uniquement de son propre chef". Toutefois, la théorie de l'identification n'a rien à voir avec le cadre de l'emploi au sens délictuel. L'arrêt St. Lawrence, précité, et d'autres discussions de cette expression en droit canadien se réfèrent aux tâches déléguées à l'âme dirigeante. Cela ressort clairement des directives données au jury par le juge du procès et de l'analyse de ce moyen de défense faite par la Cour d'appel. Dans l'arrêt St. Lawrence, précité, la Cour a terminé sa description des éléments de la théorie de la délégation par l'observation que la responsabilité de la société n'était engagée que si l'âme dirigeante [TRADUCTION] "agissait dans le cadre de son emploi". Cette expression, qui dérive du droit de la responsabilité délictuelle et du mandat et du droit régissant les rapports entre employeur et employé, ne convient pas à la théorie de l'identification. C'est en plein la responsabilité du fait d'autrui et cela invite le recours au moyen de défense selon lequel les actes criminels doivent prima facie sortir du cadre des fonctions et du pouvoir d'un employé. En donnant ses directives au jury, le savant juge du procès a trouvé une expression plus juste: [TRADUCTION] «... pourvu que ses actes entrent dans le cadre du domaine de ses attributions». Dans l'arrêt Tesco, précité, à la p. 171, lord Reid emploie l'expression [TRADUCTION] "dans le cadre d'une délégation" faite par la compagnie. Ce critère établit essentiellement qu'il y a identité de l'âme dirigeante et de la compagnie si les actes de celle‑là ont été accomplis par le directeur dans son secteur de responsabilité. Ce secteur peut être fonctionnel, géographique, ou encore il peut englober l'ensemble des opérations de la compagnie. En fait, il est plus exact de dire que l'acte en question doit être accompli par l'âme dirigeante de la compagnie dans l'exercice de ses fonctions au sein de celle‑ci. On ne saurait chercher à échapper à l'application de cette doctrine en alléguant qu'un acte criminel commis par un employé de la compagnie ne peut pas relever du cadre de son autorité, à moins qu'on ne lui ait expressément ordonné de commettre l'acte en question. Admettre une telle condition serait réduire presque à néant l'effet de la règle. Les actes de l'incarnation d'une compagnie dans son secteur de compétence administrative peuvent entraîner la responsabilité criminelle de cette dernière, peu importe qu'il y ait eu ou non délégation expresse; que le conseil d'administration ou les membres de la direction de la compagnie ait été ou non au courant des activités en cause; et, point qui sera analysé plus loin, qu'il y ait eu ou non interdiction expresse.

22. En règle générale, l'âme dirigeante est elle aussi coupable de l'infraction criminelle en cause. Glanville Williams, dans son ouvrage intitulé Textbook of Criminal Law (1978), affirme à la p. 947:

[TRADUCTION] ...le directeur ou autre administrateur sera presque toujours coauteur ou complice de l'infraction...

Dans l'arrêt R. v. Fell (1981), 64 C.C.C. (2d) 456, le juge Martin, au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, a cité cet extrait en l'approuvant, mais il devait déterminer si l'âme dirigeante était coupable de l'infraction au même titre que la compagnie et non pas si sa culpabilité conditionnait la responsabilité de la compagnie. Il se peut bien que la culpabilité de l'âme dirigeante soit inévitablement une condition préalable de la culpabilité de la société, mais les tribunaux ne se sont pas encore prononcés sur ce point. Quant à la présente étude, elle porte sur la responsabilité d'une compagnie en droit criminel lorsque son âme dirigeante a commis une infraction.

23. À cet égard, les tribunaux du Canada et du Royaume‑Uni ont adopté un point de vue différent de celui adopté par les cours fédérales des États‑Unis. En effet, celles‑ci ont depuis bien des années fondé la responsabilité criminelle d'une compagnie sur la doctrine de respondeat superior. Il semble en résulter que la compagnie est responsable des actes criminels de n'importe quel employé, quel que soit le poste qu'il occupe. La Cour suprême des États‑Unis posait déjà ce principe dans l'arrêt New York Central and Hudson River Railway Co. v. United States, 212 U.S. 481 (1909). Bien que la loi alors en cause prévît expressément qu'une compagnie était responsable des actes de ses employés (sans restriction), les cours ont conclu que cet arrêt établissait la responsabilité criminelle d'une compagnie par suite des actes fautifs de ses employés de tous les niveaux et de toutes les catégories. La Cour d'appel du 8e circuit a reformulé la règle dans l'arrêt Egan v. United States, 137 F.2d 369 (1943), le juge Thomas à la p. 379:

[TRADUCTION] Le critère de la responsabilité d'une compagnie pour les actes criminels ou délictuels des membres de sa direction et de ses mandataires est de savoir si le membre de la direction ou le mandataire, en commettant l'acte en question, "exerçait les pouvoirs qu'il était autorisé à exercer par la compagnie" au profit de celle‑ci "dans le cadre de son emploi au sein de l'entreprise de son commettant". Tout acte de ce genre sera imputé à la compagnie, que cet acte soit ou non visé par les directives données au mandataire ou au membre de la direction, qu'il soit ou non contraire à ces directives et qu'il soit légal ou illégal. Un acte commis dans ces circonstances ne constitue pas un excès de pouvoir, quoiqu'il soit illégal. Il n'existe plus de distinction importante entre la responsabilité civile et la responsabilité criminelle des compagnies, fondée sur l'existence d'une intention ou d'un but illégal. Les actes illégaux de leurs mandataires ne constitutent pas un excès de pouvoir.

Ces principes ont été confirmés récemment dans l'arrêt United States v. Basic Construction Co., 711 F.2d 570 (1983) (5th CCA).

24. Les tribunaux des États, cependant, n'ont pas retenu d'une façon aussi systématique la notion de la responsabilité du fait d'autrui des compagnies en droit criminel. Dans l'arrêt The People v. Canadian Fur Trappers Corp., 248 N.Y. 159 (1928), la Cour d'appel de New York (formation comprenant le juge en chef Cardozo), par l'intermédiaire du juge Crane, a écarté la responsabilité du fait d'autrui comme fondement de la responsabilité criminelle d'une compagnie et, aux pp. 163 et 169, a semblé adopter quelque chose d'analogue à la théorie de l'identification. La décision State of Idaho v. Adjustment Department Credit Bureau, Inc., 483 P.2d 687 (1971), va dans le même sens. À la page 691, on a conclu qu'une compagnie est responsable seulement lorsque:

[TRADUCTION] ...la perpétration de l'infraction a été autorisée, demandée, ordonnée ou commise (i) par le conseil d'administration, ou (ii) par un mandataire responsable de l'élaboration des politiques de la compagnie ou (iii) par un "mandataire qui est un cadre supérieur" de la compétence duquel relève l'objet de l'infraction et qui agit dans le cadre de son emploi pour le compte de la compagnie.

C'est aussi l'idée générale exprimée dans la décision State of Louisiana v. Chapman Dodge Center Inc., 428 S.2d 413 (1983), aux pp. 419 et 420. Pour un moyen terme entre l'arrêt Canadian Fur Trappers, précité, et les décisions que je viens de mentionner, voir Commonwealth of Massachusetts v. Beneficial Finance Co., 275 N.E.2d 33 (1971).

25. Il semble donc qu'à l'heure actuelle la common law des États‑Unis soit fondée, pour les cours fédérales, sur la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui et, pour bien des tribunaux des États, sur une notion voisine de la doctrine de l'identification. On ne peut toutefois se fier entièrement à la jurisprudence comme exposé du droit des États sur cette question, car certains d'entre eux ont adopté l'American Law Institute Model Penal Code qui, à son par. 2.07, fonde la responsabilité criminelle des compagnies sur presque le même principe que celui appliqué par la cour dans l'affaire State of Idaho v. Adjustment Department Credit Bureau, Inc., précitée. D'autre part, au moins un état a adopté une loi appliquant la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui, sans restriction quant au niveau de responsabilité de l'employé ou du mandataire. Voir Maine Criminal Code, 9 Maine Rev.Stats. Anno., Title 17‑A, § 60.

26. La jurisprudence australienne relative à la responsabilité criminelle des compagnies ne nous aide guère à trancher les questions soulevées par ces pourvois. Dans Australian Commentary on Halsbury’s Laws of England (4th ed.), vol. D, p. 31, paragraphe C1379, on dit: [TRADUCTION] "Sauf deux exceptions, le droit australien est identique à celui d'Angleterre." Cela porte donc à conclure qu'il s'agit d'une responsabilité fondée sur la théorie de l'identification. Toutefois, on y ajoute:

[TRADUCTION] Aux États régis par le Code (Queensland, Tasmanie et Australie‑Occidentale)... les compagnies ne sont pas responsables des infractions simples commises par leurs employés dans l'exercice de leurs fonctions, à moins qu'on puisse démontrer que l'employé agissait sur l'ordre de la compagnie.

Tout au moins, il est certain que la responsabilité criminelle ne résulte pas de la responsabilité du fait d'autrui. Cependant, certains écrits juridiques australiens contredisent la notion que les tribunaux de l'Australie appliquent la doctrine de l'identification du Royaume‑Uni. Dans l'ouvrage de Howard intitulé Criminal Law (4th ed. 1982), aux pp. 379 et 380, on trouve le passage suivant:

[TRADUCTION] En Australie, on a résolu ce problème en empruntant au droit civil la notion du cadre de l'emploi: les actes de E sont ceux de la compagnie s'ils peuvent à juste titre être considérés comme des actes accomplis dans le cadre de son emploi. À cette fin, le cadre de l'emploi de E n'est pas nécessairement restreint à ce qu'il est expressément autorisé à faire, car s'il y avait une telle restriction, il serait souvent possible, du moins dans le cas d'employés subalternes, d'échapper au droit criminel en alléguant que E n'était pas autorisé à commettre un acte illégal. Au contraire, il a été conclu que la connaissance d'un employé subalterne peut aussi être la connaissance de la compagnie employeur, même si un employé supérieur a interdit au subalterne d'agir en fonction de cette connaissance.

La doctrine du cadre de l'emploi a permis aux tribunaux dans plusieurs affaires de reconnaître des compagnies coupables des actes d'employés occupant des postes nettement subalternes.

Peut‑être cette conclusion ne fait‑elle qu'illustrer l'élasticité de ces deux doctrines, élasticité qui fait qu'elles ont tendance à se fondre l'une dans l'autre, à se chevaucher et à devenir floues quand on les applique à des faits précis ou quand on tient compte d'un texte de loi donné. Le passage que nous venons de citer est approuvé par la décision R. v. Australian Films Ltd. (1921), 29 C.L.R. 195, dans laquelle la Haute Cour de l'Australie, s'appuyant, à la p. 217, sur la décision Mousell Brothers, Ltd. v. London and North‑Western Railway Co., [1917] 2 K.B. 836, a conclu que la compagnie accusée était responsable du fait d'autrui. Mais la loi alors en cause n'exigeait pas qu'il y ait mens rea et, tel étant le cas, la cour a assimilé la compagnie employeur à une personne physique. Cette incertitude quant à la doctrine applicable n'est nullement dissipée par la décision Morgan v. Babcock and Wilcox Ltd. (1929), 43 C.L.R. 163 (H. C. de l'Australie). Un passage qui figure aux pp. 173 et 174 du jugement paraît appliquer sans aucune restriction le principe de la responsabilité du fait d'autrui. Cependant, l'acte illégal dans cette affaire‑là avait été commis par le directeur général de la compagnie et, à la p. 182, il semble que la cour ait finalement opté pour la théorie de l'identification comme fondement de la culpabilité de la compagnie. Le juge Starke, dissident, en imputant à la compagnie les actes de l'employé, paraît appliquer indifféremment les deux doctrines. Quant au juge Isaacs, il est arrivé à la même conclusion que celle de la majorité, mais a jugé que la responsabilité résultait de ce que le conseil d'administration de la compagnie avait expressément autorisé les actes illégaux. Au moins un commentateur a exprimé l'avis que ces deux décisions laissent entière la question de savoir si, en droit australien, la responsabilité d'une compagnie en matière criminelle est déterminée en fonction de la responsabilité du fait d'autrui ou plutôt sur la responsabilité directe fondée sur la théorie de l'identification: W.B. Fisse, "The Distinction Between Primary and Vicarious Corporate Criminal Liability" (1967), 41 A.L.J. 203, à la p. 205. Or, il appert que certaines décisions de juridictions inférieures préfèrent la responsabilité du fait d'autrui comme fondement de la responsabilité criminelle d'une compagnie. Voir Australian Stevedoring Industry Authority v. Oversea and General Stevedoring Co. (1959), 1 F.L.R. 298. D'un autre côté, d'autres jugements paraissent appliquer la règle plus restreinte de l'imputation des actes en vertu de la théorie de l'identification. Voir Grain Sorghum Marketing Board v. Supastok Pty. Ltd., [1964] Qd.R. 98; Lamb v. Toledo‑Berkel Pty. Ltd., [1969] V.R. 343, aux pp. 347 et 348; Kehoe v. Dacol Motors Pty. Ltd., [1972] Qd.R. 59; Universal Telecasters (QLD) Ltd. v. Guthrie (1978), 32 F.L.R. 361; cf. Trade Practices Commission v. Annand and Thompson Pty. Ltd. (1978), 19 A.L.R. 730.

27. Il se peut que Fisse, précité, ait raison lorsqu'il dit, à la p. 210, que, jusqu'à présent, la tendance dominante dans les jugements est de préférer la doctrine de l'identification ou de la responsabilité directe à la responsabilité du fait d'autrui comme source de la responsabilité criminelle d'une compagnie en droit australien; mais l'écart est pour le moins mince. Voir aussi H.A.J. Ford, Principles of Company Law, (3rd ed. 1982), aux pp. 133 à 138.

28. En Nouvelle‑Zélande comme au Royaume‑Uni, les cours ont adopté le principe de l'identification afin de surmonter la difficulté à établir la responsabilité criminelle d'une compagnie lorsque les vieilles doctrines de la common law, savoir le rejet de la notion de respondeat superior en droit criminel, l'exigence que l'acte en question ait été commis par l'employé dans le cadre de l'emploi et l'excès de pouvoir ont pour effet de conférer dans une grande mesure l'immunité aux compagnies. Les règles de droit applicables en Nouvelle‑Zélande sont examinées par J.C. Clad dans "The Criminal Liability of Companies", [1977] N.Z.L.J. 420, en particulier à la p. 424. Voir aussi Nordik Industries Ltd. v. Regional Controller of Inland Revenue, [1976] 1 NZLR 194. I.A. Muir par contre, commentant à (1973), 5 N.Z.U.L.R. 357 l'arrêt Tesco Supermarkets, précité, conclut qu'en droit néo‑zélandais, il y a un glissement vers la responsabilité du fait d'autrui comme source de la responsabilité criminelle d'une compagnie.

29. En résumé donc, on peut dire que les tribunaux canadiens ont généralement refusé jusqu'à maintenant d'avoir recours au principe de respondeat superior pour déterminer la responsabilité criminelle d'une compagnie. Pour les infractions nécessitant la mens rea nos tribunaux ont jusqu'à présent, conclu à la responsabilité criminelle d'une compagnie en lui imputant les actes de ses employés et mandataires par l'application de la doctrine de portée plus restreinte de l'âme dirigeante ou de l'identification. En ce qui concerne les infractions de responsabilité stricte et les infractions de responsabilité absolue, il a été conclu que la responsabilité d'une compagnie résulte d'une obligation directe que la loi en question, telle qu'elle est interprétée par la cour, impose expressément à ladite compagnie. Grâce à ce qui semble être le même genre de raisonnement purement pratique, les cours du Royaume‑Uni concluent à la responsabilité criminelle d'une compagnie en lui attribuant seulement les actes de ses employés et mandataires lorsque ces personnes physiques constituent le coeur et l'âme de ladite compagnie. Comme nous l'avons déjà constaté, les cours fédérales des États‑Unis ont tendance à fonder la responsabilité criminelle d'une compagnie sur la responsabilité du fait d'autrui qui résulte d'un acte criminel commis par un employé mandataire dans le cadre de son emploi.

30. Nombreuses sont les critiques formulées à l'égard de la doctrine appliquée par les cours fédérales des États‑Unis. Elle a trop d'extension, affirme‑t‑on. Les compagnies sont punies dans des cas où il n'y a ni turpitude ni négligence. On ne sert pas l'intérêt public en punissant des actionnaires lorsque le conseil d'administration de la compagnie n'est coupable d'aucun acte illégal. La grande différence entre la façon de traiter l'employeur compagnie et l'employeur qui est une personne physique est dénuée de tout fondement en justice ou en science politique. Comme nous l'avons déjà signalé, le critère appliqué par les cours fédérales des États‑Unis est large, ce qui s'explique peut‑être par le fait qu'un bon nombre de lois fédérales en matière pénale ont un but de réglementation. Voir Leigh, précité, à la p. 267, note 134.

31. En droit criminel, une personne physique répond seulement des crimes dont elle est l'auteur principal, soit parce qu'elle les a commis elle‑même, soit parce qu'elle a expressément ou implicitement autorisé leur perpétration. Dans le cas de la personne physique il n'existe pas, à proprement parler, de responsabilité du fait d'autrui. En d'autres termes, lorsque l'accusé est une personne physique la doctrine de respondeat superior ne s'applique pas en droit criminel. Dans l'arrêt Tesco, précité, à la p. 199, lord Diplock affirme:

[TRADUCTION] Sauf les cas de responsabilité stricte où, à titre exceptionnel, une loi pénale érige un acte en crime sans faire entrer en ligne de compte l'état d'esprit de son auteur, le droit criminel estime qu'une personne n'est responsable que de ses propres crimes. Le commettant ne répond pas des actes criminels de son mandataire parce que l'état d'esprit de celui‑ci n'est pas attribué à celui‑là. La maxime qui peccat per alium peccat per se est étrangère au droit criminel.

Par ailleurs, l'importance industrielle, commerciale et sociologique des compagnies est maintenant telle qu'il est essentiel qu'elles soient soumises au droit criminel au même titre que les personnes physiques.

32. Par conséquent, comme nous l'avons déjà vu, la common law a su faire preuve de pragmatisme lorsque le défendeur est une compagnie. C'est ainsi qu'a pris naissance une version modifiée et de portée plus restreinte de la "responsabilité du fait d'autrui" (vicarious liability) par le biais de la doctrine de l'identification. Dans ce contexte, je donne au mot anglais "vicarious" le sens qu'il reçoit dans les dictionnaires principaux, notamment le Shorter Oxford English Dictionary (1959), où le terme est ainsi défini: [TRADUCTION] "qui remplace ou supplée une autre chose ou personne; substitué à la chose appropriée ou à la personne compétente". Dans l'arrêt Tesco, précité, lord Reid établit une distinction entre la responsabilité du fait d'autrui et la doctrine de l'identification en glissant, consciemment ou inconsciemment, vers la doctrine des fusions en droit des compagnies. En common law et dans les lois de certaines provinces relatives aux compagnies, deux compagnies qui fusionnent continuent d'exister dans la nouvelle entité issue de la fusion. Selon la common law, ce résultat était censé procéder des règles de droit elles‑mêmes ou d'une fiction juridique. Mais ce n'est pas un cas isolé. Prenons par exemple la distinction établie entre les crimes d'intention spécifique et les crimes d'intention générale afin d'imposer des limites au moyen de défense de l'ivresse et de lui donner un fondement rationnel susceptible d'être accepté par la collectivité. Un autre exemple est la doctrine de l'exécution partielle établie aux fins de l'interprétation de la Statute of Frauds. Or, cette doctrine n'est mentionnée nulle part dans ladite loi, mais elle a été conçue pour empêcher que la Statute of Frauds ne serve elle‑même à la perpétration d'une fraude. Une compagnie n'est qu'une entité constituée par la loi, générale ou spéciale, et ni les lois provinciales relatives aux compagnies et aux sociétés commerciales, ni les lois fédérales dans le même domaine ne parlent de la responsabilité criminelle ou de la responsabilité en common law en général, fondées sur la doctrine de l'identification. Cette doctrine a été conçue par les tribunaux afin qu'il y ait un rapport rationnel entre la responsabilité criminelle d'une personne morale et celle d'une personne physique. La doctrine de l'identification réunit le conseil d'administration, le directeur général, le directeur, le gérant et n'importe quelle autre personne ayant reçu une délégation du conseil d'administration à qui est déléguée l'autorité directrice de la compagnie, et la conduite de l'une quelconque des entités ainsi réunies est alors imputée à ladite compagnie. Ainsi, selon l'arrêt St. Lawrence, précité, et d'autres décisions, une compagnie peut avoir plus d'une âme dirigeante. C'est particulièrement le cas dans un pays comme le Canada où les activités d'une compagnie s'exercent souvent sur une vaste étendue géographique. Les compagnies de transport, par exemple, doivent nécessairement fonctionner par la délégation et la sous‑délégation du pouvoir central; par la division et la sous‑division des centres nerveux; et par la décentralisation par délégation des organes directeurs de l'entreprise. Il se peut que la règle de l'identification appliquée dans l'arrêt Tesco, précité, ne corresponde pas à la réalité canadienne, quelque appropriés que nous puissions juger les principes abstraits de droit énoncés dans cet arrêt‑là.

33. Une compagnie qui met son âme dirigeante en position de commettre un acte illégal se verra frappée d'une peine économique. Certes, cette peine finira par toucher les actionnaires qui, comme dans le cas d'une grande compagnie ouverte, peuvent être complètement innocents, mais cela constitue peut‑être un risque ou un prix rattaché au privilège d'agir par l'intermédiaire d'une personne morale. Dans le cas d'une société personnelle, la peine criminelle imposée à la société peut être une peine additionnelle imposée à l'actionnaire "personnellement". Toutefois, ce résultat constituerait une partie acceptable du processus de sentence parce qu'il s'agit simplement d'une manifestation de l'identité, tant économique que juridique, de la personne morale et de la personne physique dans ce genre d'entités. Pour ce qui est de la société ouverte, cette identité économique n'existe pas et un même acte entraîne théoriquement une peine supplémentaire qui doit avoir une autre justification que celle que je viens de suggérer. Cela découle inévitablement de ce qu'on a choisi, pour des raisons d'ordre pratique, d'attribuer à la compagnie déléguante les actes de ses délégataires afin que ladite compagnie soit soumise au droit criminel. Que la doctrine appliquée soit celle de respondeat superior ou celle de l'identification, le résultat est le même. Une compagnie a en réalité trois composantes: l'entité juridique, l'actionnaire (une personne physique directement ou indirectement), et l'employé. Une fois le processus amorcé, les trois seront frappés directement ou indirectement par la sanction criminelle, ce qui est bien différent de la situation d'une entreprise individuelle qui ne comporte que deux de ces éléments. Selon moi, ce résultat, quoiqu'il ne soit pas parfaitement logique, est acceptable au sein d'une collectivité où la réalité impose que les compagnies soient tenues dans certaines circonstances de répondre d'actes criminels.

34. Avant d'aborder les différents moyens de défense invoqués par les appelantes, il y a lieu d'examiner une question préliminaire. D'après les faits en l'espèce, chacune des appelantes avait‑elle une "âme dirigeante", en supposant, aux fins de cette question seulement, que l'employé en question n'a pas fraudé la compagnie qui l'employait, qu'il n'a pas agi pour son propre avantage et qu'il n'a pas désobéi aux instructions qu'il a reçues?

35. Dans ses directives, le savant juge du procès a soumis cette question (indépendamment de celle de l'applicabilité des moyens de défense susmentionnés) au jury. CD a été seule à contester en cette Cour la qualité d'âme dirigeante de son dirigeant en cause. En effet, CD allègue que, pendant une partie de la période au cours de laquelle les actes criminels auraient eu lieu, Schneider n'était ni membre de sa direction ni son employé.

36. La question de la situation de Schneider se pose en raison de la complexité des antécédents de l'appelante CD. Vers le début des années soixante, une compagnie qui s'appelle maintenant Foodex Systems Ltd. (connue alors sous le nom de Canadian Dredge and Dock Co., Limited), possédait toutes les actions de l'appelante CD (alors nommée T.C. Gorman (Nova Scotia) Limited). À l'époque en question, Schneider était responsable des opérations de dragage de Foodex Systems. En 1964, Foodex a vendu les actions de l'appelante CD. Puis, en 1967, Foodex a vendu les éléments d'actif relatifs à ses opérations de dragage et à ses opérations maritimes à Bedford Construction Co. Ltd., qui s'appelle maintenant Albemont Ltd., mais qui était connue de 1967 à 1972 sous le nom de Canadian Dredge & Dock Ltd. Simultanément avec la vente de ces éléments d'actif Schneider est devenu vice‑président et directeur général d'Albemont. En 1969, Albemont a acquis l'ensemble des actions émises du capital‑actions de l'appelante dont le nom était à ce moment‑là T.C. Gorman (Nova Scotia) Limited. Par un contrat intervenu en mai 1971, Albemont s'est engagée à vendre à l'appelante CD ses éléments d'actif relatifs à ses opérations de dragage et à ses opérations maritimes. Un second contrat a été signé en octobre 1971; cette fois‑ci Albemont a promis de vendre à l'appelante CD ce qui restait de l'actif de sa division de dragage et de construction maritime. Par la suite, Schneider s'est porté acquéreur d'une quantité importante des actions de l'appelante CD.

37. La question est de savoir si Schneider était l'âme dirigeante de l'appelante CD au cours des périodes visées par les chefs d'accusation 1 et 6.

38. Un examen des directives du juge du procès révèle qu'il a soumis cette question au jury d'une façon équitable. Au sujet du chef d'accusation no 1, il a notamment dit:

[TRADUCTION] Le ministère public allègue que l'infraction visée par le premier chef d'accusation a été commise dans la troisième période, entre mai 1971 et décembre 1971. Il fait valoir que Schneider était à l'époque en question membre de la direction et administrateur de Canadian Dredge & Dock no 2 [Albemont] et de T.C. Gorman [l'appelante CD] et que Gorman Company, qui existe encore, quoique sous un nom différent, demeure responsable des actes criminels de Schneider.

Il vous incombe principalement de décider si, à cette époque, Schneider a été expressément ou implicitement autorisé à truquer les soumissions ou s'il était une âme dirigeante de Gorman, maintenant Canadian Dredge & Dock, l'accusée en l'espèce. Dans l'affirmative, la société doit répondre du truquage des soumissions; dans l'hypothèse contraire, elle n'en serait pas responsable.

...

La question était alors de savoir si Schneider a reçu une autorisation expresse ou implicite de Gorman ou s'il était l'âme dirigeante de celle‑ci.

Dans l'affirmative, l'actuelle Canadian Dredge and Dock est responsable des actes commis par Schneider à l'époque en cause.

Les pièces produites par le ministère public—vous vous souvenez peut‑être de certaines déclarations d'impôt sur le revenu de la compagnie en question—, révèlent que Schneider était un administrateur de Gorman à partir du 1er octobre 1963. Pour les années se terminant le 30 avril 1966, 1967, 1968 et 1969 il n'est mentionné ni comme administrateur ni comme membre de la direction. Mais les déclarations produites le 12 mars 1971 et le 31 décembre 1971 indiquent qu'il était administrateur et un membre de la direction de Gorman.

Je vous rappelle que dans le cas de North Traverse la date limite était le 22 juin 1971.

L'avocat de la défense fait valoir que ces éléments de preuve ne suffisent pas pour établir que Schneider était administrateur et membre de la direction de Gorman lorsqu'il a présenté la soumission relative à l'Île d'Orléans le 22 juin 1971.

Certes, Schneider a signé la soumission en sa qualité de vice‑président et de directeur général, mais le document ne dit pas de quelle compagnie.

L'avocat soutient qu'il n'est pas clair si Schneider était autorisé à soumissionner pour le compte de Gorman et s'il était autorisé à faire une soumission fausse.

Au cours de son interrogatoire principal, Schneider a témoigné qu'il était vice‑président et directeur général de Canadian Dredge and Dock numéro 2 [Albemont] et qu'il était aussi membre de la direction de Gorman.

À son contre‑interrogatoire, il a dit qu'il se croyait vice‑président et directeur général des deux compagnies, mais qu'il n'en était pas certain.

L'équipement avait été vendu à Gorman, mais Canadian Dredge [Albemont] continuait à tenir les commandes.

Selon le ministère public, puisque Schneider était administrateur et membre de la direction de Gorman le 12 mars 1971, qu'il a signé la soumission datée du 22 juin 1971 et qu'il était administrateur et membre de la direction de Gorman le 31 mars 1971, il est raisonnable de conclure qu'il l'était le 22 juin 1971.

Quant à savoir s'il l'était ou non, il s'agit là d'une question de fait que vous devez trancher. C'est à vous de décider si Schneider agissait en vertu d'une autorisation expresse ou implicite ou s'il était l'âme dirigeante de Gorman.

Les directives relatives au chef d'accusation no 6 sont tout aussi détaillées. La Cour d'appel a passé en revue ces éléments de preuve ainsi que les directives du juge au jury et a conclu, à la p. 446:

[TRADUCTION] Il se dégage nettement de ces passages que le savant juge du procès a présenté au jury d'une façon équitable les moyens de défense opposés aux chefs d'accusation no 1 et 6, savoir que Canadian Dredge no 3 n'a pas participé au truquage des soumissions relatives à North Traverse ou au port de Hamilton, que Schneider n'a pas reçu l'autorisation de truquer les soumissions et qu'il n'était pas non plus l'âme dirigeante de ladite société.

39. Avec égards, je suis d'accord avec la Cour d'appel que le jury a dû conclure que Schneider était l'âme dirigeante de la société CD et que cette conclusion était appuyée par la preuve produite au procès.

40. On dit que DeRome était l'âme dirigeante de MIL. Il est mort en août 1970. Or, le contrat visé par le chef d'accusation no 2, le seul chef d'accusation en cause en cette Cour, a été conclu en l969. Selon la Cour d'appel, il y avait des éléments de preuve à l'appui de la conclusion que le jury a dû nécessairement tirer, c'est‑à‑dire que DeRome était l'âme dirigeante de MIL, conclusion qui n'est pas contestée devant nous.

41. Quant aux appelantes Porter et Richelieu, la Cour d'appel a conclu que Rindress était leur âme dirigeante. Ce point n'a suscité aucune contestation en cette Cour.

42. Passons à l'argument des appelantes selon lequel la jurisprudence ne permet pas, par le biais de la théorie de l'identification, d'introduire dans le droit criminel une espèce de responsabilité du fait d'autrui lorsque les actes illégaux de l'âme dirigeante ont été commis de façon frauduleuse à l'égard de l'employeur, pour l'avantage de l'employé, ou contrairement aux instructions de l'employeur. Avant d'arriver à la question de savoir si la preuve justifie une conclusion qu'en l'espèce l'employé en cause de chacune des appelantes a agi frauduleusement envers son employeur, pour son propre avantage, ou contrairement aux instructions qu'il a reçues, je me propose d'étudier l'applicabilité de ces moyens de défense en droit criminel canadien.

43. Le troisième moyen de défense, celui relatif aux actes commis en désobéissance à des instructions expresses, ne présente pas de difficulté. Ni le juge du procès ni la Cour d'appel n'ont abordé directement ce point, bien qu'il ait été soulevé de façon incidente relativement à la question de savoir s'il y a eu autorisation. Toutefois, cela n'a pu avoir d'incidence sur l'issue du litige. Ce n'est que relativement aux chefs d'accusation 3, 4 et 5 que feu Me Laidlaw, pour le compte de CD, a vraiment insisté sur l'argument voulant que les actes commis par un employé contrairement à des instructions expresses ne puissent être imputés à la compagnie employeur de manière à fonder une conclusion de responsabilité criminelle de celle‑ci. Martin, président de CD, a témoigné avoir averti Schneider qu'il fallait, sous peine de renvoi, s'abstenir de truquer les soumissions. Les entretiens sur ce sujet ont été signalés au jury, mais seulement dans le contexte de la question de savoir si CD avait autorisé Schneider à truquer les soumissions, entraînant ainsi sa responsabilité criminelle. Martin a été acquitté alors que CD a été déclarée coupable. Il s'ensuit inexorablement que le jury n'a pas conclu que Schneider avait reçu l'autorisation expresse ou implicite de truquer les soumissions. Il s'ensuit également que le jury a dû nécessairement conclure que Schneider était l'âme dirigeante de CD. Si l'on admet que l'acquittement de Martin établit la possibilité qu'une interdiction expresse ait été prononcée, l'omission de donner au jury des directives concernant le rapport qui peut exister entre des instructions expresses interdisant la participation à des activités illégales et la responsabilité criminelle d'une compagnie par l'application de la théorie de l'identification ne serait importante que si, en droit, ces instructions peuvent avoir une incidence sur la responsabilité criminelle de ladite compagnie. Dans l'hypothèse où le droit reconnaîtrait un tel moyen de défense, une compagnie, pour échapper à toute responsabilité criminelle, n'aurait qu'à adopter et à communiquer à son personnel une directive générale interdisant toute conduite illégale et imposant l'obligation de toujours obéir à la loi. Mais ce n'est pas dire que cela n'est pas un élément dont on pourrait tenir compte dans un examen de la responsabilité d'une compagnie relativement aux infractions de responsabilité stricte dont nous avons déjà parlé. Toutefois, lorsque la cour doit statuer sur les infractions exigeant la mens rea qui, en droit, peuvent être commises par une compagnie, le fait qu'il y a eu des instructions générales ou précises interdisant la conduite en question n'est pas pertinent. La compagnie et son âme dirigeante sont devenues une seule entité et l'interdiction que ladite compagnie a pu adresser à d'autres personnes n'a, en droit, aucun effet sur la détermination de la responsabilité criminelle soit de son âme dirigeante, soit de la compagnie elle‑même en raison des actes de l'âme dirigeante. Cela concorde avec la conclusion tirée par d'autres tribunaux.

44. Dans la décision australienne Grain Sorghum Marketing Board v. Supastok Pty. Ltd., précitée, à la p. 105, le juge Jeffriess a conclu à la responsabilité criminelle d'une compagnie en dépit du fait que l'employé n'avait pas suivi les instructions de celle‑ci, parce que l'employé:

[TRADUCTION] ...représentait l'âme dirigeante de la compagnie... Il en aurait été autrement si l'achat avait été fait, contrairement aux instructions qu'il avait reçues, par un manutentionnaire ou par quelque autre employé exerçant des fonctions semblables.

45. Les cours fédérales des États‑Unis, qui appliquent la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui, ont exprimé le même avis. Dans l'arrêt United States v. Hilton Hotels Corp., 467 F.2d 1000 (1972) (9th CCA), aux pp. 1006 et 1007, la cour a soupesé les instructions générales données à un directeur de maximiser les profits et des instructions l'engageant à obéir aux dispositions anti‑trust de la Sherman Act, et a conclu que c'était le premier qui devait en réalité l'emporter. La cour a estimé que les profits résultant d'une violation reviendraient à la compagnie; qu'il est difficile dans ce genre de cas d'isoler l'employé directement responsable de l'infraction; et qu'il est alors approprié et efficace de punir l'entité commerciale. Par conséquent, la déclaration de culpabilité devait être confirmée, à condition qu'on satisfasse au critère de la responsabilité du fait d'autrui, savoir que l'employé a agi dans le cadre de son emploi, même si ses actes étaient contraires à la politique générale de la compagnie et à ses instructions expresses. Mais, plus loin, la cour semble laisser la porte ouverte à un tel moyen de défense, parce qu'elle dit, à la p. 1007:

[TRADUCTION] L'appelante ne pourrait se disculper en donnant des instructions générales, sans voir à leur application par des moyens proportionnés aux risques manifestes.

Voilà qui ressemble à une variante du moyen de défense de la responsabilité stricte qui a été rejeté par deux cours canadiennes: Upholsterers International Union of North America, Local 1 v. Hankin & Struck Furniture Ltd. (1964), 49 W.W.R. 33 (C.A.C.‑B.), et R. v. Waterloo Mercury Sales Ltd., [1974] 4 W.W.R. 516 (C.D. Alb.)

46. MIL n'a pas invoqué l'existence d'une interdiction expresse et rien dans la preuve n'appuie un tel argument. L'avocat de Porter et de Richelieu a mentionné indirectement ce moyen de défense, mais il n'a produit aucun élément de preuve à l'appui et je n'en trouve pas au dossier. Il s'ensuit que la dernière partie des deux questions posées à cette Cour doit recevoir une réponse négative.

47. Les deux questions encore à résoudre, savoir que se passe‑t‑il si l'âme dirigeante de la compagnie "agit, en totalité ou en partie, frauduleusement à l'égard de la compagnie" ou "en totalité ou en partie pour son propre avantage" posent des problèmes de terminologie et aussi de fond. Les points de droit soulevés sont essentiellement les mêmes dans les deux cas. La question qui surgit immédiatement est de savoir s'il existe en fait et en droit une différence importante entre le cas d'une âme dirigeante qui agit frauduleusement à l'égard d'une compagnie et celui d'une âme dirigeante qui, en sa qualité de directeur, agit pour le compte de la compagnie, mais pour son propre avantage. Comme nous allons le voir plus loin, on peut faire, au niveau des faits, des distinctions subtiles entre ces deux cas. Au fond, toutefois, il vaudrait mieux, aux fins de la présente analyse, adopter le point de vue pratique selon lequel les rapports entre la compagnie et son âme dirigeante restent les mêmes, que cette dernière agisse frauduleusement à l'égard de ladite compagnie, ou qu'elle agisse contrairement aux intérêts de celle‑ci pour son propre avantage.

48. La théorie de l'identification en common law a été inspirée par le désir de trouver un moyen terme à la fois pratique et acceptable qui permettrait qu'une compagnie soit soumise au droit criminel général, sans pour autant qu'elle ait à répondre des actes criminels de chacun de ses employés et mandataires. Si l'intention avait été de n'imposer aucune restriction à la portée de cette doctrine, la common law aurait fondé la responsabilité criminelle des sociétés sur la doctrine de respondeat superior. Jusqu'à quel point convient‑il donc d'imputer à une compagnie la conduite criminelle de son âme dirigeante lorsque celle‑ci agit frauduleusement envers la compagnie ou pour son propre avantage?

49. Dans ses directives au jury, le juge en chef adjoint Parker a réglé ces questions dans une seule formule qu'il a ensuite adaptée aux circonstances révélées par les témoignages de chacun des nombreux accusés, y compris les quatre appelantes en cette Cour. La règle générale de droit en ce qui a trait à la responsabilité criminelle d'une compagnie est ainsi exprimée dans les directives du Juge en chef adjoint au jury:

[TRADUCTION] Il y a deux situations dans lesquelles une compagnie peut être responsable des actes criminels de son employé: (1) si l'employé a été expressément ou implicitement autorisé à commettre les actes, ou (2) si l'employé est en pratique l'âme dirigeante de cette compagnie dans le domaine de ses attributions, de sorte que ses actes et son intention deviennent les actes et l'intention de la compagnie elle‑même ...

Signalons ici que chacune des appelantes en cette Cour a tenu pour acquis que la responsabilité était fondée non pas sur la première hypothèse, mais sur la théorie de l'identification. Le Juge en chef adjoint ajoutait:

[TRADUCTION] La question de savoir si une personne était l'âme dirigeante de la compagnie est une question de fait qu'il vous appartient de trancher. Un administrateur peut déclarer que la compagnie n'a pas autorisé tel employé à accomplir tel acte. Cela peut alors constituer une preuve de l'absence d'une autorisation expresse, mais ne prouve rien concernant la portée du pouvoir accordé implicitement à un mandataire. Si un mandataire est en pratique l'âme dirigeante de la compagnie, il est sans importance que les administrateurs de celle‑ci ne l'aient pas expressément autorisé à accomplir l'acte en question.

50. Le savant Juge en chef adjoint a appliqué ce principe au chef d'accusation no 6, visant CD, en ces termes:

[TRADUCTION] L'avocat a soulevé deux autres points que vous devez examiner. Il a demandé: "Si Schneider a agi à l'insu des administrateurs et sans leur consentement, à son propre avantage et non pas à celui de la compagnie, comment peut‑on alors conclure à la responsabilité de celle‑ci?"

Il ne fait pas de doute que Schneider a agi dans son propre intérêt en concluant un accord en vertu duquel il accepterait 20 000 $ (sic 200 000 $) en argent comptant pour les 300 000 $ inscrits sur la feuille de pointage. Néanmoins, il s'est engagé à faire pour le compte de Canadian Dredge and Dock une soumission fictive élevée. Cette soumission a été faite et a eu l'effet souhaité: J.P. Porter s'est vu adjuger le marché.

Or, en droit, si une compagnie met un employé en position de diriger un aspect particulier de ses opérations, de sorte que, dans le domaine qui relève de sa compétence, cet employé est en pratique l'âme dirigeante de la compagnie, celle‑ci est responsable des actes qu'il accomplit dans ce domaine. Que l'employé ait agi pour son propre avantage est dès lors sans importance.

L'avocat dit avoir fait témoigner trois administrateurs qui ont affirmé qu'ils n'étaient pas au courant des actes en question; qu'ils n'avaient pas autorisé Schneider à les commettre; et que, aux termes des statuts de la compagnie, Schneider était tenu de suivre les directives du conseil d'administration. La même règle de droit s'applique. Si Schneider était effectivement l'âme dirigeante de la compagnie, il n'était pas nécessaire qu'il ait reçu une autorisation, expresse ou implicite.

La question est de savoir si, au moment de la soumission relative à Hamilton, Schneider avait la qualité d'âme dirigeante. Rappelez‑vous qu'on n'avait pas encore nommé les nouveaux administrateurs. L'acquisition n'a eu lieu que le 17 décembre. La connaissance du truquage des soumissions qu'ont pu avoir les administrateurs nommés par la suite peut être déterminante sur la question de leur propre culpabilité. Mais là n'est pas la question en l'espèce; seule nous intéresse ici la culpabilité ou l'innocence de la compagnie.

Si vous concluez que Schneider a fait une soumission fictive pour les travaux à Hamilton et que vous arrivez à la conclusion que, à cette époque‑là, il était l'âme dirigeante de T.C. Gorman, connue maintenant sous le nom de Canadian Dredge and Dock Company Limited, alors cette accusée serait responsable, même si Schneider agissait pour son propre avantage et sans l'autorisation expresse ou implicite de la compagnie.

Sur le même chef d'accusation, le jury a reçu les directives suivantes concernant la responsabilité de l'accusée Porter:

[TRADUCTION] ...si la compagnie place un employé dans un poste déterminé, lui conférant le pouvoir d'agir légalement dans un certain domaine, de sorte que ces actes sont, en pratique, les actes de la compagnie, et que cet employé soit l'âme dirigeante de la compagnie dans les opérations qui relèvent de ce domaine, alors la compagnie est responsable des actes criminels dudit employé, que celui‑ci ait ou non agi frauduleusement à son égard.

Dans chaque cas, le savant Juge en chef adjoint a donné les mêmes directives au jury.

51. La Cour d'appel, appliquant le principe général de la responsabilité des compagnies en droit criminel canadien, a été du même avis que le savant juge du procès (précité, à la p. 312). Sur la question de la responsabilité criminelle d'un employeur qui est une compagnie lorsqu'un employé qui est son âme dirigeante agit frauduleusement à son égard, la Cour d'appel a rejeté les arguments des appelantes (à la p. 315):

[TRADUCTION] Lorsque les cadres supérieurs qui sont les âmes dirigeantes d'une compagnie agissent malhonnêtement dans l'exercice des fonctions qui leur sont déléguées, il semble conforme à l'intérêt public de conclure à la responsabilité criminelle de la compagnie. Il s'agit là d'une façon d'inciter les actionnaires à exercer une surveillance et un contrôle plus stricts sur la sélection des administrateurs de la compagnie; en même temps, cela oblige les administrateurs à faire preuve de vigilance à l'égard des activités professionnelles de leurs cadres.

...

Nous rejetons donc l'argument selon lequel une conclusion que les membres de la direction des compagnies en cause ont fraudé leurs employeurs empêche de conclure à la responsabilité criminelle de ces derniers.

52. Bon nombre d'auteurs ont dit qu'il n'y a aucun avantage social à déclarer coupable une compagnie dont l'âme dirigeante a, à tous les égards, agi frauduleusement envers elle et son entreprise. De même, lorsque l'acte illégal est expressément conçu pour profiter uniquement à l'âme dirigeante sans aucun avantage pour la compagnie employeur, on a dit que, du point de vue social, il ne sert à rien à ce moment‑là de déclarer une compagnie coupable dans ces circonstances.

53. C'est l'arrêt Moore v. I. Bresler, Ltd., [1944] 2 All E.R. 515, qui fait autorité dans ce domaine. Cet arrêt, qui est à peu près contemporain des décisions Director of Public Prosecutions v. Kent and Sussex Contractors, Ltd., précitée, et R. v. I.C.R. Haulage, Ltd., précitée, a fait ressortir la raison d'être de la théorie de l'identification en droit criminel, théorie formulée trente ans auparavant dans l'arrêt Lennard, précité. L'arrêt Moore v. Bresler, dans lequel on a cité l'arrêt Kent, précité, porte sur le moyen de défense inspiré par une compagnie accusée selon lequel les mandataires, les membres de la direction et les employés, les véritables coauteurs des actes en cause, avaient agi frauduleusement à l'égard de leur employeur, la compagnie accusée. Les personnes accusées étaient le secrétaire de la compagnie, qui était également directeur général de la succursale en question de la compagnie accusée, et le directeur des ventes de la même succursale. Agissant par collusion, ils ont vendu une partie du stock de la compagnie, conservant eux‑mêmes le produit sans inscrire l'opération dans les comptes de la compagnie. Les ventes en question constituaient manifestement une fraude envers la compagnie, perpétrée à l'insu de son conseil d'administration et des membres de sa direction. Les deux employés ont ensuite produit des fausses déclarations d'impôt sur le revenu qui, sans doute, faisaient uniquement mention des ventes inscrites, passant sous silence les ventes frauduleuses. D'après les faits révélés dans les jugements, les acheteurs paraissent avoir reçu des défendeurs un titre valable sur les marchandises que ces derniers leur ont vendues illégalement. La Division du Banc du Roi a conclu que les employés en question étaient les âmes dirigeantes de la compagnie et que, puisqu'ils n'avaient pas excédé leur pouvoir en faisant les ventes, les ayant effectuées dans le cadre de l'exécution de leurs devoirs et responsabilités envers la compagnie, celle‑ci était responsable de leurs actes.

54. En appel, le juge en chef, le vicomte Caldecote, a appliqué la théorie de [TRADUCTION] "l'âme dirigeante de la compagnie", ce qui lui a permis d'imputer les actes des employés défendeurs à la compagnie défenderesse (aux pp. 516 et 517):

[TRADUCTION] Ces deux hommes étaient des membres importants de la direction de la compagnie et, quand ils faisaient des déclarations et qu'ils produisaient des déclarations d'impôt sur le revenu (et on a prouvé qu'ils l'ont fait en l'espèce), ils agissaient manifestement en leur qualité de membres de la direction de la compagnie, dûment autorisés à cet effet. Il s'ensuit que leurs actes, tel semble d'ailleurs avoir été l'avis du Recorder, étaient aussi les actes de la compagnie.

Le lord juge en chef n'a pas mentionné le moyen de défense de la fraude perpétrée contre la compagnie par ses codéfendeurs, ses âmes dirigeantes. Le juge Birkett, le troisième membre de la cour, a fait siens les motifs du juge Humphreys qui a rejeté ce moyen de défense. Le juge Humphreys écrit, à la p. 517:

[TRADUCTION] ...et ce n'est pas parce que l'employé entend empocher lui‑même le produit qu'une vente n'a pas été faite avec l'autorisation de l'employeur. C'est ce que souligne d'ailleurs le Recorder: que ces ventes constituaient une fraude envers l'intimée, et non qu'il s'agissait de déclarations frauduleuses d'impôt sur le revenu. Cela est bien vrai, mais je ne connais aucune décision (tandis qu'il y a une jurisprudence abondante qui va dans le sens contraire) qui établit que, lorsqu'un employé agit frauduleusement envers son employeur, même si l'acte en question entre dans ses attributions (comme c'est le cas d'un directeur des ventes qui effectue une vente), l'employeur n'est pas responsable de cet acte.

Donc, tous les membres de la cour ont été unanimes à conclure que les actes criminels des codéfendeurs qui avaient la qualité d'âme dirigeante étaient en droit imputables à la compagnie. Deux juges ont expressément rejeté le moyen de défense selon lequel la compagnie défenderesse, qui ne savait absolument rien de ces actes, ne pouvait pas en porter la responsabilité criminelle parce qu'ils avaient été commis par ses employés qui avaient agi d'une façon entièrement frauduleuse à son égard. Le lord juge en chef a lui aussi implicitement repoussé ce moyen de défense, mais apparemment pour le motif que la conduite frauduleuse susmentionnée ne faisait pas sortir les codéfendeurs du cadre de leur emploi; par conséquent, la compagnie défenderesse était responsable en droit criminel. Cette conclusion semble résulter d'un mélange de la théorie de la responsabilité du fait d'autrui et de celle de l'âme dirigeante. Comme nous l'avons déjà constaté, le sens de l'expression "cadre de l'emploi" varie selon qu'il s'agit d'appliquer le principe de l'âme dirigeante ou d'établir la responsabilité délictuelle d'une compagnie ou d'un autre employeur.

55. C'est sur cet arrêt que la Cour d'appel s'est fondée, tout comme l'intimée en cette Cour, pour faire échec au moyen de défense invoqué par chacune des quatre appelantes en l'espèce, savoir qu'elles avaient été victimes de fraude, et le moyen de défense connexe que les actes en cause avaient été commis uniquement pour l'avantage des employés individuels, les âmes dirigeantes des appelantes. Bien que cet arrêt soit mentionné dans certaines décisions des cours du Royaume‑Uni et de ce pays, ni la Cour d'appel ni la Chambre des lords d'Angleterre ni cette Cour ne l'ont jamais appliqué. Il a d'ailleurs suscité les critiques de plusieurs auteurs: S.M. Waddams, "Alter Ego and the Criminal Liability of Corporations" (1966), 24 U.T. Fac. L.R. 145, aux pp. 148 et 149; R.S. Welsh, "The Criminal Liability of Corporations (1946), 62 L.Q.R. 345, à la p. 359; John Andrews, "Reform in the Law of Corporate Liability," [1973] Crim. L.R. 91; Don Stuart, Canadian Criminal Law (1982), à la p. 520; Glanville Williams, Textbook of Criminal Law (2nd ed. 1983), à la p. 973; C.M. Fien, "Corporate Responsibility under Criminal Law" (1973), 5 Man. L.J. 421, à la p. 427; Archbold’s Pleading, Evidence and Practice in Criminal Cases (41st ed. 1982), à la p. 995; cf.: Harvey Yarosky, "The Criminal Liability of Corporations" (1964), 10 McGill L.J. 142, à la p. 148.

56. Les critiques se fondent principalement sur ce que, aux fins de l'attribution de la responsabilité criminelle, il ne faut pas imputer à une compagnie les actes que ses employés ont pu commettre de façon entièrement frauduleuse à son égard, dans des circonstances où elle n'était au courant ni du dessein de commettre les actes illégaux ni de leur perpétration, lorsque ces actes ne résultent pas de l'omission de la compagnie de surveiller ses activités d'une manière conforme aux normes reçues en matière de gestion. On prétend qu'il ne servirait à rien d'imputer les actes en question à la compagnie et que la collectivité n'en serait pas mieux protégée. Voir M.W. Caroline, "Corporate Criminality and the Courts: Where are they Going?" (1985), 27 C.L.Q. 237, aux pp. 245 et 246.

57. On peut se demander si, compte tenu des faits de l'affaire Moore v. Bresler, la compagnie en cause pouvait opposer à une accusation de fraude ou à l'accusation fondée sur la loi fiscale le fait que l'acte malhonnête avait été commis par l'âme dirigeante, mais d'une façon frauduleuse envers la compagnie, ou qu'il avait été commis en totalité ou en partie pour l'avantage de l'employé malhonnête. Si on s'était trouvé en présence d'une accusation de fraude, la compagnie n'aurait manifestement pas reçu de bénéfice; d'ailleurs, l'employé malhonnête visait carrément à causer un tort financier à son employeur. Il ne peut pas être réaliste de prétendre que la personne qui conçoit et exécute un tel plan puisse être ce faisant l'âme dirigeante et l'incarnation de la compagnie. Ceci étant, cela écarte un problème fort épineux, parce qu'une personne, si malhonnête soit‑elle, ne peut se frauder elle‑même. Lorsqu'on sépare la compagnie d'avec son âme dirigeante, le problème est réglé. L'employé serait alors coupable d'une fraude dont la victime aurait été la compagnie employeur. Dans ce cas, la victime aurait, selon toute logique, un moyen de défense contre une accusation qu'elle aussi était l'auteur d'une fraude. Si le droit criminel était différent, il ne protégerait aucun intérêt de la collectivité. Ce n'est pas en punissant une compagnie quand un de ses employés commet un acte de ce genre qu'on favorisera l'ordre public. Toutefois, la situation est différente lorsque les actes illégaux de l'âme dirigeante profitent en totalité ou en partie à la compagnie employeur. L'accusation relative aux déclarations d'impôt sur le revenu soulève des considérations différentes.

58. Dans l'affaire Moore v. Bresler, la cour était appelée à se prononcer non pas sur des accusations de fraude relative aux ventes illégales, mais sur une accusation portée en vertu de la loi fiscale. S'il s'était agi d'une accusation de fraude, l'effet de certaines opinions qui y sont exprimées serait plus clair. Dans l'affaire en question, les employés ont fait deux choses. Premièrement, ils ont produit une déclaration d'impôt sur le revenu pour respecter les exigences de la loi qu'une déclaration soit produite annuellement. Ils ont essayé par ce même moyen de se protéger contre d'éventuelles poursuites pour vol, fraude, détournement de fonds, etc. intentées par leur employeur. La déclaration d'impôt qu'ils ont produite, tout en avançant leur dessein malhonnête, allégeait le fardeau fiscal de la compagnie par rapport à ce qu'elle aurait eu à payer si son revenu total, réel et présumé, avait été divulgué au fisc. Les ventes constituaient une fraude envers la compagnie, mais les fausses déclarations de l'impôt sur le revenu ne l'étaient pas. Il s'agissait plutôt d'une fraude contre la collectivité par le biais du service gouvernemental chargé de l'application de la loi fiscale. En produisant les déclarations d'impôt sur le revenu, les âmes dirigeantes malhonnêtes agissaient dans le cadre de leurs fonctions de gestion. Par conséquent, si illogique que cela puisse paraître, on peut dire que la compagnie a reçu un avantage en ce sens que la fausse déclaration d'impôt sur le revenu a dans une certaine mesure diminué la perte de revenus résultant du détournement de fonds, et aussi le risque d'avoir à payer l'impôt sur les revenus perdus. Or, il est arrivé que le fisc a tout de même frappé la compagnie d'un impôt plus élevé. Du moment qu'il est établi que les employés malhonnêtes étaient les âmes dirigeantes de la compagnie et que, au moment de la perpétration des actes illégaux, ils agissaient dans le cadre de leur emploi, en ce sens qu'ils s'occupaient des affaires de la compagnie employeur et qu'ils mettaient en oeuvre les politiques de celle‑ci, leurs actes malhonnêtes sont imputés à la compagnie qui est alors responsable en droit criminel. Si la règle posée dans l'arrêt Moore v. Bresler a la vaste portée que lui prêtent certains, il se peut qu'elle ne tire son origine ni en fait ni en théorie du cas où il y a un moyen de défense fondé sur l'absence de tout avantage pour la victime.

59. Dans la décision R. v. Parker Car Wash Systems Ltd. (1977), 35 C.C.C. (2d) 37, le juge Hughes de la Haute Cour de Justice, bien qu'il n'ait pas mentionné l'arrêt Moore v. Bresler, précité (sauf indirectement par un renvoi à l'arrêt Tesco, précité), a appliqué, mais [TRADUCTION] "avec répugnance", la théorie de l'identification pour imputer à l'accusée, la compagnie employeur, les actes illégaux de son âme dirigeante. Dans l'affaire Parker, la compagnie n'a profité d'aucune façon de la conduite illégale de son âme dirigeante; au contraire, elle a été privée de fonds qu'elle aurait normalement reçus. En définitive, la compagnie a été déclarée coupable en vertu de la loi fiscale. De plus, elle a apparemment été, en vertu de la même loi, assujettie à l'impôt relativement aux sommes qu'elle a illégalement versées par suite des actes illégaux de son âme dirigeante. On a conclu à la responsabilité criminelle de la compagnie malgré les pertes qu'elle a subies par suite du détournement de fonds commis par son employé et par suite de l'obligation de payer de l'impôt en sus de ce qu'elle aurait normalement dû payer. Voir le commentaire du doyen Peter Burns, «A Feature of Corporate Criminal Liability or Why the Brains of a Corporation Are Not Necessarily Its `Intimate Friends'» (1977‑78), 2 Can. Bus. L.J. 474.

60. L'arrêt Bresler, précité, correspond à l'arrêt Old Monastery Co. v. United States, 147 F.2d 905 (1945) (4th CCA) en droit américain. La compagnie accusée a invoqué comme moyen de défense que les actes commis par les membres de sa direction dans le cadre d'un complot en vue de la fixation des prix ne lui ont apporté aucun avantage ni n'étaient censés avoir cet effet. On a donc fait valoir que l'attribution de ces actes à la compagnie ne pourrait entraîner sa responsabilité criminelle. Toutefois, appliquant la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui, la cour a conclu à la responsabilité criminelle de la compagnie défenderesse et a formellement rejeté le moyen de défense de "l'absence d'avantage".

[TRADUCTION] Nous rejetons l'avantage comme critère de la responsabilité criminelle d'une compagnie; tout au plus, l'avantage est un fait probatoire et non pas substantiel.

(Le juge Dobie, à la p. 908.)

Il en résulte que la responsabilité d'une compagnie employeur par ailleurs innocente est engagée par le fait d'autrui.

61. Dans l'arrêt United States v. Empire Packing Co., 174 F.2d 16 (1949) (l7th CCA), à la p. 20), la compagnie employeur a été déclarée responsable même si elle n'avait reçu aucun avantage des actes de son mandataire. La cour n'avait toutefois pas à statuer sur la question de savoir si, pour entraîner la responsabilité criminelle de la compagnie employeur, il était nécessaire que l'employé, en perpétrant l'acte illégal, ait eu l'intention de lui procurer un avantage quelconque.

62. Ces deux arrêts ont été suivis de l'arrêt Standard Oil Co. of Texas v. United States, 307 F.2d 120 (1962) (5th CCA). Dans cette affaire, la cour a conclu à l'innocence de la compagnie employeur parce que la règle de la responsabilité du fait d'autrui ne prêtait pas à l'employeur les actes malhonnêtes de ses employés lorsque l'intention de ces derniers a été de n'apporter aucun avantage à la compagnie par leurs activités malhonnêtes. Cette conclusion reposait simplement sur ce que l'employé qui commet de tels actes n'agit pas dans le cadre de son emploi:

[TRADUCTION] Bien entendu, les défendeurs ne soutiennent pas, ils seraient d'ailleurs irrecevables à le faire, que la responsabilité criminelle est directement fonction de l'avantage réellement reçu. Il y a eu beaucoup de cas, et il se peut bien qu'il y en ait d'autres encore, dans lesquels une compagnie a été déclarée responsable en droit criminel sans pour autant avoir reçu d'avantage réel. Toutefois, quoiqu'il ne soit pas indispensable du point de vue de l'issue du litige d'avoir reçu un avantage, l'existence d'une intention de procurer un avantage à la compagnie est déterminante sur la question de savoir s'il y a lieu d'imputer à la compagnie l'acte de son mandataire. Car il est un principe fondamental du mandat "[qu']un employé n'agit pas dans le cadre de son emploi lorsque, en accomplissant un acte, son intention n'est pas de fournir, directement ou accessoirement, un service requis par son emploi".

(Le juge Brown, à la p. 128.)

La cour a cité l'arrêt Old Monastery, précité, et, bien qu'elle n'ait pas dit qu'il était infirmé, tel est clairement et incontestablement le résultat. Les cours fédérales des États‑Unis ont rendu un bon nombre de décisions qui vont dans le même sens:

United States v. Carter, 311 F.2d 934 (1963) (6th CCA), à la p. 942;

United States v. Ridglea State Bank, 357 F.2d 495 (1966) (5th CCA);

United States v. Hilton Hotels Corp., précité, à la p. 1006n;

United States v. Basic Construction Co., précité, à la p. 573;

United States v. Beusch, 596 F.2d 871 (1979) (9th CCA), aux pp. 877 et 878;

United States v. Cincotta, 689 F.2d 238 (1982) (1st CCA), aux pp. 241 et 242;

United States v. Richmond, 700 F.2d 1183 (1983) (8th CCA), à la p. 1195n.

La décision dans chacune de ces affaires a été fondée sur la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui et non pas sur la théorie de l'identification, fait qui est fondamental si l'on veut comprendre l'attitude des cours face aux moyens de défense fondés sur la fraude perpétrée contre une compagnie dans l'intérêt d'un employé.

63. Dans l'affaire Nordik, précitée, les tribunaux néo‑zélandais se trouvaient en présence de faits presque identiques à ceux dans l'affaire Bresler, précitée. La cour a imputé à la compagnie les actes frauduleux de son directeur général qui était en pratique le seul actionnaire. Le comptable de la compagnie a dûment établi les déclarations d'impôt sur le revenu en se fondant sur les registres de la compagnie. Mais les recettes en argent, détournées par le directeur général à la suite de sa vente frauduleuse de biens appartenant à la compagnie, n'avaient pas été portées aux comptes de celle‑ci. La cour paraît avoir appliqué la doctrine de l'identification, prêtant cette conduite frauduleuse à la compagnie de manière à pouvoir la déclarer coupable. Elle ne suit apparemment pas l'arrêt Bresler puisque, selon l'interprétation des savants juges (à la lumière de l'arrêt Tesco, précité), il reposait sur la responsabilité du fait d'autrui. Malgré sa répugnance à [TRADUCTION] "imposer à une compagnie la sanction plutôt gauche de la responsabilité criminelle dans un cas où on ne peut, en toute justice, imputer de faute aux véritables responsables des affaires de cette compagnie", la cour a conclu à la responsabilité de la compagnie en cause. À la fin de ses motifs de jugement, le juge Cooke écarte toute possibilité d'un moyen de défense de fraude perpétrée contre la compagnie (à la p. 202):

[TRADUCTION] ...selon moi, une fois l'identification établie, il s'ensuit inévitablement que, aux fins du droit criminel, dans un cas comme celui qui nous intéresse présentement, la question de savoir s'il y a eu fraude contre la compagnie n'est plus pertinente et, en fait, ne se pose même pas. Une personne ne peut se frauder elle‑même. L'essence de la doctrine de l'identification est que l'individu est assimilé à la compagnie. Ils forment une seule et même entité.

64. En définitive, du moins dans des circonstances comme celles qui se présentent dans l'arrêt Bresler, l'arrêt Nordik rejette le moyen de défense fondé sur la fraude perpétrée contre une compagnie par son âme dirigeante, suivant en cela, l'interprétation populaire de l'arrêt Bresler. Il faut souligner toutefois que, parce que dans l'arrêt Nordik, l'âme dirigeante possédait plus de quatre‑vingts pour cent des actions, le fait que la cour a dit que, aux fins de la doctrine de l'identification, une personne ne peut se frauder elle‑même ne revêt pas une très grande importance. Mais, il est moins réaliste d'appliquer la fiction de l'identité lorsqu'il y a plusieurs âmes dirigeantes et que, sur le plan économique, il n'y a pas identité des âmes dirigeantes et des actionnaires. L'âme dirigeante qui agit malhonnêtement commet en réalité une fraude contre la compagnie et, partant, contre ses actionnaires, et non pas contre elle‑même.

65. Selon moi, les limites de l'applicabilité de la doctrine de la délégation sont atteintes et dépassées lorsque l'âme dirigeante cesse complètement d'agir, en fait ou pour l'essentiel, dans l'intérêt de la compagnie. Lorsque cela entraîne un acte frauduleux, il ne sert à rien de qualifier cet acte de frauduleux en totalité ou en partie parce qu'une fraude est une fraude. À mon avis, la question vise la situation où toutes les activités de l'âme dirigeante ont pour but de nuire aux intérêts de la compagnie pour lui causer un préjudice, peu importe que l'âme dirigeante en retire ou non un avantage économique; on peut dire alors qu'il y a fraude contre la compagnie. Dans le même ordre d'idées, bien que ce facteur soit moins important, si l'âme dirigeante obtient un avantage par suite d'opérations isolées ou dans l'exercice de ses fonctions secondaires, cela est en réalité bien différent du cas où l'âme dirigeante vise à priver la compagnie d'un avantage relié à l'exploitation de son entreprise commerciale. Bien entendu, un avantage est différent d'une fraude en ce sens qu'il peut être partiel, mais, à mon avis, la norme la plus appropriée est établie quand on associe l'avantage à la fraude. C'est alors le même critère qui s'applique. Lorsque l'âme dirigeante d'une compagnie conçoit, élabore et exécute un plan visant à frauder intentionnellement ladite compagnie et que l'acte constitue une partie importante des activités normales de l'âme dirigeante, il est à ce moment‑là très irréaliste de conclure que le directeur agit en sa qualité d'âme dirigeante de la compagnie. En pareil cas, ses efforts ont pour but la destruction de l'entreprise de la compagnie. Du moment qu'il commence à agir de la sorte, il cesse d'être l'âme dirigeante et la doctrine de l'identification ne s'applique plus. Le raisonnement et la terminologie sont les mêmes pour le concept de l'avantage.

66. Lorsque l'acte criminel est complètement frauduleux envers la compagnie employeur, que cet acte était censé profiter exclusivement au directeur employé qui l'a commis et que tel a été le résultat, l'employé, âme dirigeante, dès la conception et l'exécution de son plan criminel, cesse d'être l'âme dirigeante de la compagnie. Par conséquent, ses actes ne peuvent être imputés à la compagnie en vertu de la doctrine de l'identification. Peut‑être aussi que le principe de respondeat superior appliqué par les tribunaux des États‑Unis permettrait d'arriver au même résultat. Quoi qu'il en soit, j'estime que la doctrine de l'identification ne joue que lorsque le ministère public établit que l'acte de l'âme dirigeante a) entrait dans le domaine d'attribution de ses fonctions; b) n'était pas complètement frauduleux envers la compagnie; et c) avait en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la compagnie.

67. Nous devons maintenant examiner les faits sur lesquels reposent ces "moyens de défense" invoqués par les compagnies appelantes pour contester leur responsabilité criminelle. La seconde question posée dans ce pourvoi demande explicitement s'il existe des éléments de preuve à l'appui de ces trois moyens de défense. CD fait valoir que ce même point est soulevé, du moins implicitement, par la première question. MIL pour sa part allègue que la question de savoir si son âme dirigeante a agi, en totalité ou en partie, d'une façon frauduleuse à son égard ou en totalité ou en partie pour son propre avantage aurait dû être soumise au jury, ce qui n'a pas été fait. On soutient donc, en résumé, qu'il y a des éléments de preuve à l'appui du point de vue selon lequel DeRome, l'âme dirigeante de MIL, a agi d'une manière entièrement frauduleuse envers elle et entièrement pour son propre avantage et que, en conséquence, les actes de DeRome ne devraient pas être imputés à MIL de manière à entraîner sa responsabilité pour les actes criminels de son âme dirigeante. La seconde question concernant les appelantes Porter et Richelieu soulève directement le problème de l'existence d'éléments de preuve indiquant que Rindress, leur âme dirigeante, a agi, en totalité ou en partie, frauduleusement envers elles ou en totalité ou en partie pour son propre avantage.

68. Il est possible, la commodité l'exige d'ailleurs, dans notre examen des moyens de défense fondés sur la fraude et sur l'avantage, de parler des quatre appelantes en même temps. Le dossier révèle clairement que, par suite des machinations illégales de leurs âmes dirigeantes respectives, chacune des appelantes a obtenu des contrats, des sous‑traitances ou d'autres avantages. Dans le cas de CD, par exemple, on lui a sous‑traité des travaux en vertu du contrat relatif au port de Toronto, contrat visé par le chef d'accusation no 4. C'est ce que CD a reçu en contrepartie de la soumission fictive qu'elle avait faite. Quant à MIL, grâce à des accords conclus par son âme dirigeante en exécution desquels deux soumissions fictives ont été présentées, elle s'est vue adjuger le contrat relatif à la Côte de Beauport, dont il est question au chef d'accusation no 2. Trente pour cent des travaux ont été sous‑traités à l'un des faux soumissionnaires tandis que l'autre a reçu une "redevance" sur les quantités de matière retirées par suite des travaux de dragage, ce qui constituait le "prix" de ces soumissions fictives. Les cours ne sont pas tenues en droit de mener une enquête poussée sur les moindres détails des comptes des conspirateurs afin de déterminer si les contrats et les sous‑traitances ont été profitables pour tel ou tel membre du complot en question. Richelieu pour sa part a participé à l'exécution du contrat visé par le premier chef d'accusation et a été l'adjudicataire du contrat dont il s'agit au chef d'accusation no 3. Ces contrats ont été adjugés par suite de soumissions faites par les âmes dirigeantes respectives des compagnies participantes. La preuve établit de façon incontestable que, grâce au système conçu par leurs âmes dirigeantes respectives, les appelantes ont reçu des avantages qui comprenaient notamment des contrats, des sous‑traitances et des paiements directs et autres. De plus, il est évident que les âmes dirigeantes, auteurs de cette conduite illégale en ont bénéficié elles‑mêmes de différentes façons; notamment elles ont reçu des paiements en argent, des actions des compagnies participantes et d'autres avantages. Il s'agissait en fait d'un plan qui profitait à tous les intéressés à la seule exception des autorités publiques qui ont adjugé les contrats de dragage. Cela étant, on ne peut arriver à une autre conclusion que celle tirée par le juge du procès et la Cour d'appel, savoir quelles âmes dirigeantes agissaient en partie pour l'avantage de leurs employeurs respectifs (les appelantes en l'espèce) et en partie pour leur propre avantage. Par conséquent, dans ces pourvois, il n'existe pas de faits qui permettraient aux compagnies en cause de plaider comme moyen de défense qu'elles n'ont reçu aucun avantage et qu'elles n'étaient pas censées en recevoir.

69. Des éléments de preuve de même nature conduisent à la même conclusion relativement au moyen de défense fondé sur la fraude commise par les âmes dirigeantes des appelantes. Il y a une quantité impressionnante de preuves détaillées qui révèlent que certaines des âmes dirigeantes avaient acquis ou créé des compagnies qui devaient recevoir les bénéfices provenant du truquage des soumissions.

70. Les appelantes Porter et Richelieu en particulier ont insisté sur l'argument selon lequel Rindress avait agi frauduleusement à leur égard en créditant à d'autres conspirateurs des montants portés à leur crédit sur les feuilles de pointage. Or, cela ne peut servir de fondement à un moyen de défense de fraude perpétrée par l'âme dirigeante contre son employeur. Les plans de truquage de soumissions comportaient comme élément essentiel un accord en vertu duquel les participants au complot ont augmenté le montant de la soumission la plus avantageuse, celle qui était conçue pour être acceptée, d'une somme au moins égale à la valeur de la compensation que l'adjudicataire devait verser aux autres soumissionnaires et, dans certains cas, à d'autres conspirateurs qui n'avaient pas soumissionné dans le cadre de l'appel d'offres en question. C'est sur la "feuille de pointage" que les comploteurs inscrivaient leurs parts respectives dans les sommes frauduleusement obtenues du maître de l'ouvrage, habituellement un organisme public. En bref, les conspirateurs se partageaient les sommes frauduleusement recouvrées du propriétaire, à titre de part dans les gains malhonnêtes. Quelque droit qu'un voleur ait dans le produit de son vol, ou quelque possibilité qu'il ait de faire valoir son titre face au monde, une compagnie ne peut dire qu'elle a été victime d'une fraude lorsque la seule chose dont elle est privée est une partie, ou d'ailleurs la totalité, du produit du crime dont elle est accusée. Pour ce qui est des opérations présentement en cause, un comploteur ne pouvait réclamer à un autre comploteur une part des recettes obtenues par la fraude. Toutefois, si étonnant que cela puisse paraître, il ressort de la preuve que deux des conspirateurs ont tenté indirectement de le faire. Or, un règlement est intervenu et la seule conséquence véritable du litige a été l'utilisation des actes de procédure par le ministère public pour prouver la culpabilité en l'espèce. L'appelante Porter, par exemple, ne pouvait poursuivre CD en paiement des fonds retirés de son crédit sur la feuille de pointage et versés à CD. Il s'ensuit que Rindress, l'âme dirigeante de Porter, ne pouvait pas agir frauduleusement à son égard en la privant de sa part de l'excédent du prix payé dans un contrat de dragage. Il en va de même de Rindress et de Richelieu; c'est le cas aussi des autres âmes dirigeantes et des compagnies appelantes dont elles sont respectivement les employées.

71. Par conséquent, je donne aux deux questions la réponse suivante: les quatre appelantes ont toutes été victimes de cas précis de fraude pratiquée par leurs âmes dirigeantes respectives qui ont bénéficié personnellement de leurs actes criminels. La preuve n'établit toutefois pas que, dans les opérations en cause, les âmes dirigeantes ont agi entièrement pour leur propre avantage ou d'une façon entièrement frauduleuse envers leurs employeurs en ce sens qu'elles ont élaboré et exécuté un plan visant à priver ces derniers de certains ou de tous les contrats de dragage ou de bénéfices en découlant. Au contraire, il y a une preuve abondante qui peint un tableau clair d'un plan conçu par un groupe d'âmes dirigeantes conspiratrices qui, loin de viser la destruction des compagnies employeurs, avait pour but de garantir leur existence à un niveau de profits soutenu par une augmentation frauduleuse des prix des travaux et des services fournis par lesdites compagnies. En fait, le plan de truquage des soumissions a été conçu essentiellement pour permettre la survie des plus faibles et probablement pour permettre aux compagnies en question de continuer à fonctionner en gardant à peu près la même taille relative. Le dossier en l'espèce ne contient aucune indication d'un plan élaboré par l'ensemble des âmes dirigeantes ou par l'une d'entre elles en vue de détruire l'entreprise des appelantes ou de leur nuire sur le plan fiscal. Toutefois, cela ne veut pas dire qu'il ressort du dossier que les âmes dirigeantes conspiratrices n'avaient pas de plan pour l'amélioration de leur propre situation financière et économique. C'est tout le contraire. Il y avait un plan qui a réalisé deux objectifs parce que les auteurs des soumissions truquées se sont procuré un avantage à eux‑mêmes et aux compagnies appelantes aux dépens des organismes publics qui ont adjugé les contrats.

72. Par conséquent, pour autant que les deux questions posées dans ce pourvoi se rapportent aux moyens de défense fondés sur le fait d'avoir "agi, en totalité ou en partie, de façon frauduleuse envers la compagnie" et d'avoir agi "en totalité ou en partie pour l'avantage de l'âme dirigeante", j'y donne les réponses suivantes:

1. D'après la preuve produite en l'espèce, les âmes dirigeantes respectives des appelantes n'ont pas agi d'une manière entièrement frauduleuse envers ces dernières qui étaient leurs employeurs respectifs;

2. Les quatre âmes dirigeantes n'ont pas non plus agi exclusivement pour leur propre avantage en ce sens que leurs actes ne profiteraient aucunement aux appelantes; et, de toute façon, le dossier révèle clairement qu'elles avaient l'intention de procurer un avantage à leurs employeurs respectifs;

3. Des instructions expresses ou implicites interdisant les actes illégaux précis ou toute conduite illégale en général ne constituent pas un moyen de défense, peu importe que la responsabilité de la compagnie découle d'une autorisation des actes d'un mandataire ou des actes illégaux d'une âme dirigeante. En tout état de cause, ce n'est que relativement à CD que le dossier contient des éléments de preuve tendant à établir l'existence d'une telle interdiction.

73. Ni la notion de la responsabilité du fait d'autrui, ni la théorie de l'identification ni aucune autre doctrine ne permet de rationaliser complètement la responsabilité criminelle d'une compagnie. À la différence des personnes physiques, une compagnie n'a pas d'esprit et ne peut donc avoir ce qui est appelé en droit criminel la mens rea. Pour les infractions exigeant la mens rea, le droit criminel ne considère pas le propriétaire employeur comme responsable des actes illégaux de ses employés, à moins qu'il n'y ait eu autorisation expresse ou implicite. Dans certains pays, cependant, comme nous l'avons déjà vu, la responsabilité criminelle d'une compagnie est fondée sur la responsabilité du fait d'autrui tandis que dans d'autres ressorts elle repose sur la théorie de l'identification. L'une et l'autre doctrines procèdent de la nécessité juridique créée par les réalités de la vie moderne. Le droit canadien dans ce domaine a évolué en commençant, répétons‑le, par l'arrêt Fane Robinson Ltd., précité, et en passant par l'arrêt St. Lawrence, précité, mais les tribunaux canadiens n'ont pas encore eu à fixer de limites à la théorie de l'identification. Il reste néanmoins que, appliquée pour déclarer une compagnie coupable en droit criminel de la conduite de son directeur lorsque celui‑ci agit non pas en sa qualité d'âme dirigeante mais plutôt comme son ennemi juré, la théorie de l'identification n'a plus de fondement rationnel. Comme l'a fait remarquer la Cour d'appel, d'après les faits soumis au jury dans la présente affaire, les âmes dirigeantes agissaient en partie pour leur propre avantage et en partie pour celui des compagnies qui les employaient et leurs actes n'étaient pas entièrement frauduleux envers ces dernières. Par conséquent, il n'est pas strictement nécessaire que cette Cour définisse les limites dans notre droit de la règle dite de l'arrêt Moore v. Bresler. Toutefois, on a présenté devant toutes les juridictions des arguments très poussés portant que la règle ne s'applique pas du tout ou, à tout le moins, qu'elle est inapplicable lorsque l'employé en question a agi de façon entièrement frauduleuse envers la compagnie et entièrement pour son propre avantage. Bien sûr, ce problème, rappelons‑le, s'est présenté aux États‑Unis où les tribunaux ont parfois donné à la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui une portée plus restreinte lorsque la conduite de l'employé a été à ce point excessive. Ce n'est là qu'un exemple parmi tant d'autres d'un cas où les tribunaux ont adapté les règles de la common law à l'évolution sociale. Selon moi, les origines très pragmatiques de la règle de l'identification militent contre son extension de façon qu'elle s'applique à la situation qui se serait présentée en l'espèce si l'une ou plusieurs des âmes dirigeantes avaient agi entièrement dans son propre intérêt et avait visé principalement à frauder la compagnie qui était son employeur. Lorsque la compagnie en question a bénéficié ou était censée bénéficier des activités frauduleuses et criminelles de son âme dirigeante, l'application de la règle de l'identification est justifiée. Cependant, dans un cas où le mandataire s'est retourné contre la compagnie mandante, la règle n'a plus de raison d'être.

74. Je suis donc d'avis de rejeter les quatre pourvois.

Pourvois rejetés.

Procureurs de l’appelante Canadian Dredge & Dock Company, Limited: McCarthy and McCarthy, Toronto.

Procureurs de l’appelante Marine Industries Limited: Clark, Woods & Associés, Montréal.

Procureurs des appelantes The J.P. Porter Company Limited et Richelieu Dredging Corporation Inc.: Blain, Piché, Emery & Associés, Montréal.

Procureur de l’intimée: Ministère du procureur général de l'Ontario, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1985] 1 R.C.S. 662 ?
Date de la décision : 23/05/1985
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont rejetés

Analyses

Droit criminel - Responsabilité des compagnies - Complot en vue de frauder - La responsabilité d’une compagnie est‑elle engagée lorsque son âme dirigeante agit (1) frauduleusement envers elle, ou (2) pour son propre avantage, ou (3) contrairement à des instructions de ne pas agir illégalement? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 338(1), 423(1)d).

Il s'agit de pourvois formés par quatre compagnies reconnues coupables d'infractions au par. 338(1) et à l'al. 423(1)d) du Code criminel. Les différents chefs énoncés dans l'acte d'accusation se rapportent à des contrats intervenus entre certaines autorités publiques et les accusées par suite de soumissions à l'égard desquelles il y aurait eu collusion, les futurs adjudicataires incluant dans leurs frais des indemnités à verser aux autres "soumissionnaires" ou à des "non‑soumissionnaires". Chacune des compagnies en cause avait un directeur responsable des soumissions. Malgré la situation personnelle de ces directeurs, les appelantes prétendent qu'elles ne sont pas responsables en droit criminel parce que lesdits directeurs auraient agi (1) frauduleusement envers elles, (2) pour leur propre avantage, ou (3) contrairement aux instructions qu'ils avaient reçues, de sorte qu'ils ont dépassé le cadre de leurs fonctions au sein des appelantes. De plus, certaines de ces dernières ont contesté l'existence d'une théorie de la responsabilité criminelle des personnes morales lorsqu'il s'agit d'une infraction qui exige la mens rea.

Arrêt: Les pourvois sont rejetés.

En l'espèce, l'application de la théorie de l'identification permet de conclure à la responsabilité criminelle des appelantes. Cette théorie repose sur l'identité de l'âme dirigeante et de la compagnie en question; en effet, l'employé qui a commis l'infraction est l'incarnation de la compagnie qui est son employeur. Par conséquent, même dans le cas d'infractions qui exigent la mens rea, si la cour conclut que l'administrateur ou le cadre est un organe vital de la compagnie et qu'il en est en réalité l'âme dirigeante dans l'exercice de ses attributions, de sorte que ses actes et ses intentions deviennent ceux de la compagnie elle‑même, celle‑ci peut être déclarée responsable en droit criminel. L'imputation à la compagnie de l'acte illégal de son représentant principal crée une responsabilité directe plutôt qu'une responsabilité du fait d'autrui. La doctrine de l'identité réunit le conseil d'administration, le directeur général, le directeur, le gérant et toute autre personne à qui est déléguée l'autorité directrice de la compagnie et la conduite de l'une quelconque des entités ainsi réunies est alors attribuée à la compagnie. Une compagnie peut, de cette façon, avoir plus d'une âme dirigeante.

Pour que la théorie puisse s'appliquer, il faut que l'âme dirigeante agisse dans le cadre de ses pouvoirs, c'est‑à‑dire que ses actes doivent relever du secteur d'activités de la compagnie qui lui est attribué. Le secteur peut être fonctionnel, géographique ou peut englober toutes les activités de la compagnie. L'utilisation de l'expression "cadre de l'emploi" soulève des difficultés terminologiques.

On ne peut opposer à l'application de la doctrine de l'identification qu'un acte criminel d'un employé de la compagnie ne peut relever du cadre de son autorité à moins qu'on ne lui ait expréssement ordonné de commettre l'acte en question. Pareille condition rendrait la règle quasiment inutile. La responsabilité peut exister avec ou sans délégation formelle, connaissance du conseil d'administration ou interdiction expresse.

Une compagnie comprend en réalité les éléments suivants: l'entité juridique, la personne actionnaire et l'employé. Du fait de la théorie de l'identification, la sanction criminelle les frappera directement ou indirectement tous les trois, ce qui est très différent de la situation du propriétaire naturel pour qui seulement deux de ces éléments existent. L'imposition de la responsabilité criminelle est acceptable au sein d'une communauté où la réalité impose que les compagnies soient tenues de répondre d'actes criminels dans certaines circonstances.

Chacune des compagnies en cause avait une âme dirigeante et ce n'est pas parce que celle‑ci a pu agir frauduleusement envers la compagnie qui était son employeur, pour son propre avantage ou contrairement aux instructions qu'elle a reçues, que ladite société échappe à toute responsabilité criminelle dans les circonstances.

Le fait qu'il y a eu des instructions générales ou précises interdisant la conduite en question n'est pas pertinent lorsqu'il s'agit de fixer la portée de la théorie de l'identification. Puisque la compagnie et son âme dirigeante sont devenues une seule entité, l'interdiction que la société a pu adresser à d'autres personnes n'a, en droit, aucun effet sur la détermination de la responsabilité criminelle soit de son âme dirigeante soit de la compagnie elle‑même en raison des actes de son âme dirigeante.

Les limites de l'applicabilité de la doctrine de la délégation sont cependant atteintes et dépassées lorsque l'âme dirigeante cesse complètement d'agir, en fait ou pour l'essentiel, dans l'intérêt de la compagnie. La théorie de l'identification ne s'applique plus lorsqu'une âme dirigeante commet intentionnellement une fraude au détriment de la compagnie et que ses actes illégaux constituent une partie importante des fonctions normales de son poste. En pareil cas, si tous les efforts du directeur visent à détruire l'entreprise de la compagnie, il est alors irréaliste de conclure qu'il agit en sa qualité d'âme dirigeante de la compagnie en question. Le raisonnement est le même pour le concept de l'avantage. Toutefois, un avantage diffère d'une fraude parce qu'il peut être partiel. Le cas où l'âme dirigeante vise à priver la compagnie d'un avantage relié à l'exploitation de son entreprise commerciale est en réalité bien différent de celui où l'âme dirigeante obtient un avantage par suite d'opérations isolées ou dans l'exercice de ses fonctions secondaires.

Lorsque l'acte criminel est complètement frauduleux envers la compagnie employeur, que cet acte était censé profiter exclusivement au directeur employé qui l'a commis et que tel a été le résultat, l'employé, âme dirigeante, dès la conception et l'exécution de son plan criminel, cesse d'être l'âme dirigeante de la compagnie. Par conséquent, ses actes ne peuvent être imputés à la compagnie en vertu de la doctrine de l'identification. Ainsi la doctrine de l'identification ne joue que lorsque le ministère public établit que l'acte de l'âme dirigeante a) entrait dans le domaine d'attribution de ses fonctions; b) n'était pas complètement frauduleux envers la compagnie; et c) avait en partie pour but ou pour conséquence de procurer un avantage à la compagnie.

Dans la présente instance, il n'existe pas de faits qui permettraient aux compagnies d'opposer ces "défenses" à la responsabilité criminelle. Les activités en cause ont profité à tous les intéressés à la seule exception des autorités publiques qui ont adjugé les contrats. Les âmes dirigeantes agissaient donc en partie pour l'avantage de leurs employeurs respectifs (les appelantes en l'espèce) et en partie pour leur propre avantage.

Les âmes dirigeantes de chacune des quatre appelantes ont bénéficié des actes de fraude qu'elles ont commis, mais elles n'ont pas agi exclusivement pour leur propre avantage ni de façon entièrement frauduleuse envers leurs employeurs en ce sens que leur plan visait à priver ces derniers de tout avantage. Aucune preuve au dossier n'indique de plans des âmes dirigeantes ou un plan d'une seule d'entre elles qui vise à détruire l'entreprise des compagnies appelantes ou à leur nuire sur le plan fiscal. Au contraire, les âmes dirigeantes conspiratrices avaient pour but d'assurer à leurs employeurs des profits plus élevés et, ce faisant, d'améliorer leur propre situation.


Parties
Demandeurs : Canadian Dredge & Dock Co.
Défendeurs : Sa Majesté la Reine

Références :

Jurisprudence
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R. v. Electrical Contractors Association of Ontario and Dent, [1961] O.R. 265
R. v. H.J. O’Connell Ltd., [1962] B.R. 666
R. v. J.J. Beamish Construction Co., [1966] 2 O.R. 867
R. v. St. Lawrence Corp., [1969] 2 O.R. 305
R. v. Spot Supermarket Inc. (1979), 50 C.C.C. (2d) 239
R. v. P.G. Marketplace and McIntosh (1979), 51 C.C.C. (2d) 185
R. v. Martin, [1932] 3 W.W.R. 1
R. v. McDonnell, [1966] 1 All E.R. 193
R. v. Fell (1981), 64 C.C.C. (2d) 456
New York Central and Hudson River Railway Co. v. United States, 212 U.S. 481 (1909)
Egan v. United States, 137 F.2d 369 (1943)
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The People v. Canadian Fur Trappers Corp., 248 N.Y. 159 (1928)
State of Idaho v. Adjustment Department Credit Bureau, Inc., 483 P.2d 687 (1971)
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Morgan v. Babcock and Wilcox Ltd. (1929), 43 C.L.R. 163
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Lamb v. Toledo‑Berkel Pty. Ltd., [1969] V.R. 343
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United States v. Ridglea State Bank, 357 F.2d 495 (1966)
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Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 338(1), 423(1)d), 647.
Loi de 1909 modifiant le Code criminel, 1909 (Can.), chap. 9, art. 2.
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Doctrine citée
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Proposition de citation de la décision: Canadian Dredge & Dock Co. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 662 (23 mai 1985)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1985-05-23;.1985..1.r.c.s..662 ?
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