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30/01/1986 | CANADA | N°[1986]_1_R.C.S._41

Canada | Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41 (30 janvier 1986)


Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41

Docteur J. Walter Martin Appelant;

et

Isobel Margaret Perrie Intimée;

et

Docteur James W. Watson Défendeur.

No du greffe: 17885.

1985: 31 octobre; 1986: 30 janvier.

Présents: Les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 42 O.R. (2d) 127, qui a rejeté un appel d'un jugement du juge Anderson. Pourvoi accueilli.

John J. Robinette, c.r., et Glenn S

mith, pour l'appelant.

William Dunlop et A. Glenn Bryant, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour r...

Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41

Docteur J. Walter Martin Appelant;

et

Isobel Margaret Perrie Intimée;

et

Docteur James W. Watson Défendeur.

No du greffe: 17885.

1985: 31 octobre; 1986: 30 janvier.

Présents: Les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1983), 42 O.R. (2d) 127, qui a rejeté un appel d'un jugement du juge Anderson. Pourvoi accueilli.

John J. Robinette, c.r., et Glenn Smith, pour l'appelant.

William Dunlop et A. Glenn Bryant, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le Juge Chouinard—L'instance à l'origine du présent pourvoi a d'abord été engagée en Cour suprême de l'Ontario par requête conjointe des parties, sur le fondement de la règle 124, qui saisissait la cour de la question suivante, soulevée par les actes de procédure de l'action principale:

[TRADUCTION] L'action engagée par la demanderesse contre le défendeur docteur J. Walter Martin est‑elle prescrite par l'art. 43 de The Medical Act, R.S.O. 1960, chapitre 234 et modifications?

2. Cette question était soumise en rapport avec l'exposé conjoint des faits suivants:

[TRADUCTION] 1. La demanderesse, Isobel Margaret Perrie, réside en la ville de Burlington, dans la municipalité régionale d'Halton, province de l'Ontario.

2. Le défendeur docteur J. Walter Martin dûment autorisé à exercer la médecine dans la province de l'Ontario, exerce sa spécialité, la chirurgie générale, en la ville de Burlington.

3. Vers le 7 avril 1969, au Joseph Brant Memorial Hospital, en la ville de Burlington, municipalité régionale d'Halton, province de l'Ontario, le défendeur docteur J. Walter Martin a pratiqué sur la personne de la demanderesse une résection du côlon et une anastomose entre le côlon sigmoïde inférieur et le côlon ascendant.

4. Après l'examen postopératoire, intervenu vers le 15 mai 1969, le défendeur docteur J. Walter Martin n'a plus rendu à la demanderesse aucun service d'ordre médical quel qu'il soit.

5. Vers le mois de janvier 1979, la demanderesse a commencé à éprouver une forte douleur dans la région où le défendeur docteur J. Walter Martin avait pratiqué une intervention chirurgicale, vers le 7 avril 1969.

6. Vers le 16 novembre 1979, le défendeur docteur James W. Watson a extrait un fil de suture non résorbable dans la région de l'incision laissée par l'intervention chirurgicale pratiquée par le défendeur docteur J. Walter Martin vers le 7 avril 1969.

7. La demanderesse allègue négligence de la part du défendeur docteur J. Walter Martin lorsqu'il a pratiqué l'intervention chirurgicale sur la personne de la demanderesse vers le 7 avril 1969, le défendeur docteur J. Walter Martin n'ayant pas extrait tous les fils de suture introduits dans l'abdomen de la demanderesse au cours de l'intervention.

8. Le défendeur docteur J. Walter Martin a, en défense, invoqué, notamment, l'art. 43 de The Medical Act, R.S.O. 1960, chap. 234, ultérieurement devenu l'art. 48 de The Medical Act, R.S.O. 1970, chap. 268, puis abrogé, à compter du 14 juillet 1975, mais en vigueur entre le 7 avril 1969 et le 14 juillet 1975, date à laquelle il fut remplacé par l'art. 17 de The Health Disciplines Act, 1974, 1974 (Ont.), chap. 47.

3. L'article 48 de The Medical Act, R.S.O. 1970, chap. 268 (antérieurement l'art. 43 de The Medical Act, R.S.O. 1960, chap. 234) était ainsi rédigé:

[TRADUCTION] 48. Aucun membre dûment inscrit de l'Ordre n'est responsable en cas d'action en négligence ou pour faute médicale, en raison de services professionnels requis ou rendus, à moins que l'action ne soit intentée dans l'année à partir de la date où les services professionnels dont on se plaint ont pris fin.

4. L'article 17 de The Health Disciplines Act, 1974, 1974 (Ont.), chap. 47, porte:

[TRADUCTION] 17. Est irrecevable la poursuite intentée contre un membre dûment inscrit d'un Ordre par suite de négligence ou d'une faute commise en rapport avec les services professionnels demandés ou fournis plus d'une année à partir de la date à laquelle le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits sur lesquels il appuie sa demande.

5. Comme l'a fort bien exposé M. le juge Dubin, auteur de l'arrêt majoritaire de la Cour d'appel (1983), 42 O.R. (2d) 127, à la p. 128:

[TRADUCTION] C'était là un texte nettement différent de la disposition législative antérieure qui régissait les actions intentées contre les médecins pour négligence ou faute médicale.

L'ancienne disposition avait d'abord été adoptée le 23 avril 1887 (The Ontario Medical Act, R.S.O. 1887, chap. 148, art. 55) et, depuis cette époque, jusqu'au 14 juillet 1975 (The Health Disciplines Act, 1974, 1974 (Ont.), chap. 47, art. 17), une action contre un médecin pour négligence ou faute médicale devait avoir été intentée dans l'année à partir de la date où les services professionnels dont on se plaignait avaient pris fin. Bien que les actions ordinaires en négligence soient régies par la Loi sur la prescription, L.R.O. 1980, chap. 240, qui prévoit une prescription de six ans pour l'action en négligence, la disposition spéciale de The Medical Act a été adoptée pour la protection de la profession médicale.

Le texte clair de l'ancienne loi régissant les actions pour faute médicale ou négligence n'autorisait d'autre interprétation que celle voulant que l'action soit intentée dans l'année à partir de la date où les services professionnels du médecin avaient pris fin.

Dans la plupart des cas, le ou les faits sur lesquels l'allégation de négligence ou de faute médicale se fonde, et le dommage, sont découverts et deviennent apparents dans l'année prévue. Cependant, il est souvent arrivé qu'un patient ignore complètement que quelque chose en rapport avec son traitement n'allait pas et qu'aucune preuve de dommage n'apparaisse avant que la prescription n'ait été acquise, le privant ainsi de tout recours sans qu'il en soit de sa faute.

6. Toutefois, la question demeure de savoir si le nouvel article s'applique à la demanderesse, dont la demande a été faite, cela est constant, moins d'un an après qu'elle a eu connaissance des faits qui la fondent, mais plus de dix ans après que les services que lui a fournis le défendeur aient pris fin, alors qu'à l'époque c'était l'ancien article qui était en vigueur.

7. Le juge de première instance (1982), 135 D.L.R. (3d) 187, a disposé du litige en faveur de l'intimée (la demanderesse) et son jugement a été confirmé par la Cour d'appel à la majorité, le juge Thorson étant dissident.

8. D'après ce que prétend l'appelant, la réclamation de la demanderesse serait prescrite, vu les dispositions de l'art. 43 de The Medical Act, R.S.O. 1960, chap. 234. Le droit de l'appelant à la prescription extinctive, qui le protège de toute demande que pourrait intenter la demanderesse, était un droit matériel et constituait un droit acquis avant l'adoption de l'art. 17 de The Health Disciplines Act, 1974 et donc, l'art. 17 de The Health Disciplines Act, 1974 ne peut être appliqué rétroactivement.

9. L'appelant invoque l'al. 14(1)c) de la Loi d’interprétation, R.S.O. 1970, chap. 225:

14.—(1) Sous réserve des dispositions contraires de la présente loi, l'abrogation d'une loi ou d'un règlement:

...

c) ne porte pas atteinte aux droits ni aux privilèges acquis, ni aux obligations échues ou à échoir, ni aux responsabilités encourues en vertu de ce texte ou de cette situation;

10. L'intimée allègue que l'art. 17 de The Health Disciplines Act, 1974 [TRADUCTION] "a été adopté par le corps législatif provincial pour protéger le public en général, patients éventuels pour les médecins à un moment ou à un autre, contre l'impossibilité de faire valoir leurs droits devant les tribunaux civils au cas où ils ignoreraient leur état, par suite de l'impossibilité logique de le connaître (absence de symptômes) ou de la non‑divulgation intentionnelle d'informations par les défendeurs éventuels."

11. L'intimée fait valoir l'art. 10 de la Loi d'interprétation:

10. La loi est réputée réparatrice, qu'elle ait pour objet immédiat d'imposer un comportement que le législateur estime être dans l'intérêt du public ou qu'elle empêche ce qui lui paraît contraire. Elle doit faire l'objet d'une interprétation large, juste et libérale, afin d'assurer la réalisation de son objet selon son sens, son intention et son esprit véritables.

12. Au nom de l'intimée, [TRADUCTION] "Il est allégué que l'art. 17 de The Health Disciplines Act... constitue une modification du droit par la voie législative, en ce que le délai de prescription prévu par ladite loi ... se réfère à la date où le demandeur putatif a connu ou aurait dû connaître les faits sur lesquels il se fonde pour alléguer négligence ou faute médicale, et non à la date où les services professionnels dont on se plaint ont pris fin. Il est allégué que cette modification du droit par la voie législative doit être interprétée conformément à l'art. 10 de la Loi d'interprétation ... et que l'intérêt public inhérent à la capacité de l'individu de faire valoir ses droits au civil devrait prévaloir."

13. L'intimée fait en outre valoir que le texte de l'art. 17 de The Health Disciplines Act, 1974 fait nécessairement et expressément intervenir un effet rétroactif.

14. Sur la rétroactivité, le juge Dickson, maintenant juge en chef, a écrit dans l'arrêt Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271, à la p. 279:

Premièrement, la rétroactivité. Selon la règle générale, les lois ne doivent pas être interprétées comme ayant une portée rétroactive à moins que le texte de la Loi ne le décrète expressément ou n'exige implicitement une telle interprétation. Une disposition modificatrice peut prévoir qu'elle est censée être entrée en vigueur à une date antérieure à son adoption, ou qu'elle porte uniquement sur les transactions conclues avant son adoption. Dans ces deux cas, elle a un effet rétroactif.

15. À la page 282 du même arrêt, il dit, parlant des droits acquis:

Deuxièmement, l'interférence avec des droits acquis. Selon la règle, une loi ne doit pas être interprétée de façon à porter atteinte aux droits existants relatifs aux personnes ou aux biens, sauf si le texte de cette loi exige une telle interprétation: Spooner Oils Ltd. c. Turner Valley Gas Conservation Board, [1933] R.C.S. 629, à la p. 638. La présomption selon laquelle une loi ne porte pas atteinte aux droits acquis à moins que la législature ait clairement manifesté l'intention contraire, s'applique sans discrimination, que la loi ait une portée rétroactive ou qu'elle produise son effet dans l'avenir. Ce dernier type de loi peut être mauvais s'il porte atteinte à des droits acquis sans l'exprimer clairement. Toutefois, cette présomption s'applique seulement lorsque la loi est d'une quelconque façon ambiguë et logiquement susceptible de deux interprétations.

16. La Haute Cour de l'Australie, dans l'arrêt Maxwell v. Murphy (1957), 96 C.L.R. 261, était saisie d'une question de rétroactivité. En vertu de l'art. 5 de la Compensation to Relatives Act, 1897‑1946 (N.‑G.S.), l'action devait être intentée dans les douze mois suivant la mort de la victime. La Loi fut modifiée le 16 décembre 1953, les termes [TRADUCTION] "douze mois" étant remplacés par les termes [TRADUCTION] "six ans". Le 30 novembre 1954, la demanderesse intentait une action à la suite de la mort de son mari, survenue le 19 mars 1951. On a jugé que la modification n'avait pas pour effet de faire revivre le droit d'action de la demanderesse, prescrit depuis le 19 mars 1952.

17. Aux pages 277 et 278, le juge Williams dit:

[TRADUCTION] Les lois de prescription sont souvent qualifiées de lois de procédure. Mais il serait peu sage d'attribuer en principe un effet rétroactif à toutes les lois de prescription. Deux genres de cas peuvent se poser. Une loi de prescription en vigueur peut être modifiée soit en allongeant soit en réduisant le délai dans lequel la procédure doit être engagée. Si le délai est allongé alors qu'un justiciable est toujours dans le délai, en vertu du droit en vigueur, pour intenter l'action, la loi pourrait alors être qualifiée de loi de procédure. De même, si le délai est réduit alors que ce justiciable est toujours dans le délai où il peut intenter son action, le délai plus court peut, encore une fois, être qualifié de procédural. Mais si le délai est allongé alors que le justiciable est hors délai pour engager l'action, de sorte que celle‑ci pourra alors être intentée dans le nouveau délai, ou s'il est réduit, de sorte que le justiciable ne se trouve plus dans le délai lui permettant d'intenter l'action, alors qu'il était toujours dans les délais pour le faire, des questions fort différentes surgissent alors. Le droit d'action qu'on peut exercer diffère fort du droit dont le recours est prescrit parce que tardif. Les lois qui permettent au justiciable d'exercer un droit d'action auparavant prescrit, ou qui interdisent de l'exercer, en réduisant le délai pour agir, ne sauraient être considérées que difficilement comme de simples lois de procédure. Elles affectent des droits matériels.

18. Le Conseil privé approuve ce passage, qu'il cite, dans son arrêt Yew Bon Tew v. Kenderaan Bas Mara, [1983] 1 A.C. 553, à la p. 562. Dans cette affaire, une ordonnance sur l'immunité des autorités publiques avait été modifiée pour allonger le délai de prescription après que le droit d'action des demandeurs eut été prescrit. L'alinéa 30(1)b) de l'Interpretation Act, 1967 de la Malaisie va dans le même sens que l'al. 14(1)c) de la Loi d'interprétation, précitée. Le Conseil privé a jugé que le droit d'invoquer la prescription, acquis par un défendeur, constituait un droit acquis que protégeait l'al. 30(1)b) de l'Interpretation Act, 1967 de la Malaisie et que toute loi allongeant le délai de prescription (qu'on la qualifie ou non de loi de procédure) ne devait pas recevoir une interprétation rétroactive qui priverait le défendeur de ce moyen de défense.

19. Ayant cité le passage ci‑dessus du juge Williams dans l'arrêt Maxwell v. Murphy, précité, lord Brightman, auteur de l'arrêt du Conseil privé, poursuit, aux pp. 562 et 563:

[TRADUCTION] La Cour fédérale en l'espèce a fait sienne le raisonnement du juge Williams et a conclu comme suit:

"À cause de l'omission des (demandeurs) d'intenter l'action dans le délai prévu, les (défendeurs) ont bénéficié d'un "droit acquis" conçu pour leur assurer l'immunité pour les actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions publiques. Ce droit est fort bien préservé par l'Interpretation Act de 1967... Il nous semble donc que, dans le cas d'espèce, le délai imparti pour intenter l'action n'a pas été allongé par (la Loi de 1974). La Loi n'a pas d'effet rétroactif, ni aucune application à un droit d'action prescrit avant qu'elle n'entre en vigueur."

Leurs Seigneuries souscrivent entièrement à cette conclusion. Elles ne désirent ajouter que quelques observations.

On ne peut en toute sûreté décider, dans tous les cas, si une loi a un effet rétroactif en qualifiant la loi de loi de fond ou de loi de procédure ...

Leurs Seigneuries estiment que la démarche appropriée en matière d'interprétation de la Loi de 1974 ne consiste pas à décider quelle étiquette lui appliquer, de procédure ou autre, mais plutôt de voir si la loi, au cas où elle serait appliquée rétroactivement à un genre particulier d'affaires, porterait atteinte à des droits et à des obligations existants ...

De l'avis de leurs Seigneuries, un droit acquis d'invoquer la prescription, acquis après que la prescription extinctive a couru, est dans toute l'acception du terme un droit, même si c'est une loi de procédure qui le crée. C'est un droit qu'on ne saurait enlever en conférant à la loi un effet rétroactif, à moins qu'une telle interprétation ne soit inévitable.

20. Plus loin, à la p. 563, lord Brightman écrit:

[TRADUCTION] L'examen, même le plus sommaire, de l'opinion contraire en montre toute l'injustice. Lorsque la prescription extinctive est acquise, le défendeur éventuel devrait pouvoir présumer qu'il n'a plus à craindre une demande maintenant caduque. Il devrait pouvoir se départir de ses documents, s'ils existent, et des notes concernant les témoignages de ses témoins qui ont été prises; mettre fin au mandat de son avocat, s'il en a retenu un, et ordonner ses affaires en prenant pour acquis qu'il n'encourt plus aucune responsabilité. C'est là la raison d'être de la défense de prescription.

21. Notre Cour a déjà appliqué des principes similaires dans son arrêt Upper Canada College v. Smith (F.J.) (1921), 61 R.C.S. 413, de même la Cour d'appel de l'Ontario dans son arrêt Kearley v. Wiley, [1931] 3 D.L.R. 68.

22. Dans l'arrêt Spooner Oils Ltd. v. Turner Valley Gas Conservation Board, [1933] R.C.S. 629, le juge en chef Duff écrivait à la p. 638:

[TRADUCTION] On ne doit pas interpréter une disposition législative de manière qu'elle porte atteinte aux droits acquis ou à "un statut actuel" (Main v. Stark, (1890) 15 App. Cas. 384, à la p. 388), à moins que son texte ne requière cette interprétation. Coke considère cette règle comme une "loi du Parlement" (2 Inst. 292), voulant sans doute dire par là que c'est une règle fondée sur la pratique parlementaire, la présomption sous‑jacente étant que, lorsque le Parlement entend porter atteinte à de tels droits, à un tel statut, il fait connaître son intention expressément à moins, en tout les cas, que son intention ne soit parfaitement manifeste par déduction irrésistible.

23. La majorité en Cour d'appel a établi une distinction entre l'espèce et ces précédents parce que, dans ceux‑ci le délai de prescription n'avait été qu'allongé ou réduit, alors qu'en l'espèce c'est son point de départ qui est modifié. Les motifs de la majorité disent, aux pp. 133 et 134:

[TRADUCTION] Dans les affaires précitées, la modification apportée à la prescription dont on était saisi ne faisait qu'allonger ou réduire le délai d'introduction de l'action, qui courait depuis la date où s'était produit l'accident. Le fait ou les faits sur lesquels les actions étaient fondées se rapportaient à des événements qui avaient déjà eu lieu et étaient connus ou auraient dû être connus au cours du délai de prescription alors prévu ...

En l'espèce, la demanderesse n'avait plus aucun droit à exercer dans le délai de prescription maintenant abrogé. Le fait sur lequel cette action se fonde est la découverte, le 16 novembre 1979, qu'un fil de suture non résorbable n'a pas été enlevé au cours de l'intervention chirurgicale qui a eu lieu en 1969, et l'action a été intentée dans l'année de la découverte de ce fait. Permettre à l'action de suivre son cours donc ne donnerait pas, à mon avis, un effet rétroactif à la nouvelle disposition de The Health Disciplines Act. Il est vrai que l'action se fonde sur une faute médicale ou une négligence remontant à 1969, mais une loi ne saurait être qualifiée de rétroactive simplement parce que certains fondements de l'action qu'elle autorise sont antérieurs à son adoption.

24. Avec égards, je ne saurais en convenir. Cette distinction à elle seule ne suffit pas, à mon avis, à anéantir l'effet de l'ancien article qui avait déjà joué. En vertu de cet article "Aucun membre ... de l'Ordre n'est responsable ... à moins que l'action ne soit intentée dans l'année à partir de la date où les services professionnels dont on se plaint ont pris fin." Donc, le 15 mai 1970, le droit déclarait que l'appelant n'était pas responsable en cas d'action, pour négligence ou pour faute médicale, en raison de services professionnels rendus avant le 15 mai 1969 inclusivement.

25. Je fais mien le passage suivant, à la p. 138, des motifs de l'opinion du juge Thorson, dissident en Cour d'appel:

[TRADUCTION] Quant aux services rendus en l'espèce, il s'agit de toute autre chose. Le droit d'action les concernant était prescrit bien avant le 14 juillet 1975 et le défendeur en l'espèce avait parfaitement le droit de présumer qu'il n'avait «plus à craindre une demande maintenant caduque" à leur égard. Le délai d'un an à partir de la date à laquelle les services ont été entièrement fournis s'étant écoulé, ce défendeur, comme tous les autres médecins en exercice qui ont fourni des services à une époque où l'ancienne loi était en vigueur, avait donc parfaitement le droit de présumer qu'il pouvait «se départir de ses documents» et «des notes concernant les témoignages» qui auraient pu être prises, et par ailleurs «ordonner ses affaires en prenant pour acquis qu'il n'encourt plus aucune responsabilité».

Son droit acquis par l'effet de la loi d'ordonner ses affaires selon cette prémisse est, à mon avis, l'argument le plus fort qu'on puisse opposer à toute interprétation de la nouvelle loi qui ne fait pas de cas ou considère de peu d'importance les conséquences que représente pour un médecin pratiquant se trouvant dans la situation du défendeur le fait d'ordonner ainsi ses affaires.

26. L'arrêt de la majorité en Cour d'appel ajoute, à la p. 135:

[TRADUCTION] Je ne vois rien dans la nouvelle disposition qui puisse limiter le droit d'action aux seules affaires qui n'avaient pas encore été prescrites par l'ancien article de The Medical Act, au moment de l'adoption du nouveau texte, soit la position prise par l'avocat des appelants. Si l'assemblée législative avait voulu une telle restriction, l'article, à mon avis, aurait été libellé en conséquence.

27. À mon humble avis, le passage suivant, aux pp. 138 et 139, des motifs du juge Thorson répond parfaitement à cette affirmation et je le fais mien:

[TRADUCTION] Mon collègue Dubin, dans ses motifs, conclut que si le corps législatif avait voulu limiter le droit d'action, dont il est question à l'art. 17 de la nouvelle loi, aux seules actions qui n'étaient pas encore prescrites au moment de l'adoption du nouveau texte, l'article aurait été libellé en conséquence. Avec les plus grands égards, j'inverserais la proposition et dirais que si le corps législatif avait voulu supprimer les défenses de prescription existant antérieurement et réactiver ou réanimer, pour un avenir indéfini, des droits d'action qui ne pouvaient plus être exercés selon la loi, telle qu'elle était avant 1975, l'article aurait sûrement été libellé de telle sorte que cette intention soit rendue manifeste.

28. L'autorisation de pourvoi en l'espèce a été accordée [TRADUCTION] "à condition que les frais de l'intimée relatifs à la demande et au pourvoi soient payés par le requérant quelle que soit l'issue de la cause".

29. Par ces motifs, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et le jugement de la Cour suprême, et de déclarer que l'action que la demanderesse prétend intenter contre le défendeur docteur J. Walter Martin est prescrite vu les dispositions de l'art. 43 de The Medical Act, R.S.O. 1960, chap. 234, et modifications. L'appelant paiera les frais de l'intimée en cette Cour. Il aura droit à ses dépens en Cour d'appel et en Cour suprême de l'Ontario.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l’appelant: McCarthy and McCarthy, Toronto.

Procureurs de l’intimée: Martin, Dunlop, Hillyer, Burlington.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 1 R.C.S. 41 ?
Date de la décision : 30/01/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Prescription - Modification de la période de prescription - Faute médicale - Action déjà prescrite à l’entrée en vigueur de la loi modificative - Action intentée à l’intérieur du délai accordé par la loi modificative - Peut‑on se fonder sur la loi modificative? - The Medical Act, R.S.O. 1970, chap. 268, art. 48 - The Health Disciplines Act, 1974, 1974 (Ont.), chap. 47 - Loi d’interprétation, R.S.O. 1970, chap. 225, art. 10, 14(1)c).

Le délai de prescription pour intenter des poursuites pour faute médicale a été modifié en 1974, passant d'une année à partir de la date où les services médicaux ont pris fin, pour devenir une année à partir de la date à laquelle le demandeur a connu ou aurait dû connaître les faits qui donnent lieu à l'action. L'intimée, à qui on a extrait en 1979 un fil de suture non résorbable dans la région d'une incision laissée par une intervention chirurgicale pratiquée par l'appelant en 1969, a intenté une action en négligence. Bien que cette poursuite pour faute médicale ait été prescrite en vertu de la loi antérieure à 1974, la Cour suprême de l'Ontario et la Cour d'appel ont permis que l'action soit intentée parce qu'elle avait été commencée moins d'un an après que les faits ont été connus. Il s'agit de savoir si la loi de 1974 s'applique à cette demande qu'on reconnaît avoir été présentée moins d'un an après que les faits ont été connus, mais plus de dix ans après que les services médicaux ont pris fin, à une époque où la loi antérieure à 1974 était encore en vigueur.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Le nouveau délai de prescription ne s'applique pas à cette demande. Le droit d'action concernant ces services médicaux était prescrit bien avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi et, vu l'absence d'autre risque d'une demande caduque, l'appelant peut se départir de ses documents et ordonner ses affaires autrement. Ce droit acquis par l'effet de la loi d'ainsi ordonner ses affaires est l'argument le plus fort qu'on puisse opposer à toute interprétation qui ne fait pas de cas des conséquences ou les considère de peu d'importance. Si le législateur avait voulu supprimer les défenses de prescription existant antérieurement et réactiver ou réanimer, pour un avenir indéfini, des droits d'action qui ne pouvaient plus être exercés, l'article aurait été libellé de telle sorte que cette intention soit manifeste. L'effet de l'ancien article, qui avait déjà joué, ne peut être anéanti parce que le point de départ du délai de prescription a été modifié.


Parties
Demandeurs : Martin
Défendeurs : Perrie

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: Gustavson Drilling (1964) Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1977] 1 R.C.S. 271
Maxwell v. Murphy (1957), 96 C.L.R. 261
Yew Bon Tew v. Kenderaan Bas Mara, [1983] 1 A.C. 553
arrêts mentionnés: Upper Canada College v. Smith (F.J.) (1921), 61 R.C.S. 413
Kearley v. Wiley, [1931] 3 D.L.R. 68
Spooner Oils Ltd. v. Turner Valley Gas Conservation Board, [1933] R.C.S. 629.
Lois et règlements cités
Compensation to Relatives Act, 1897‑1946 (N.‑G.S.)
Health Disciplines Act, 1974, 1974 (Ont.), chap. 47, art. 17.
Interpretation Act, 1967, 1967 (Malaisie), No 23, art. 30(1)b).
Loi d’interprétation, R.S.O. 1970, chap. 225, art. 10, 14(1)c).
Medical Act, R.S.O. 1960, chap. 234, art. 43.
Medical Act, R.S.O. 1970, chap. 268, art. 48.
Rules of Court (Ont.), art. 124.

Proposition de citation de la décision: Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41 (30 janvier 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-01-30;.1986..1.r.c.s..41 ?
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