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16/09/1986 | CANADA | N°[1986]_2_R.C.S._124

Canada | Kirkpatrick c. Maple Ridge, [1986] 2 R.C.S. 124 (16 septembre 1986)


Kirkpatrick c. Maple Ridge, [1986] 2 R.C.S. 124

Leslie George Kirkpatrick Appelant

c.

La Corporation du District de Maple Ridge (également connue sous le nom de "District de Maple Ridge") Intimée

et

Le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général du Québec Intervenants

répertorié: kirkpatrick c. maple ridge (corporation du district)

No du greffe: 18375.

1985: 21 novembre; 1986: 16 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et La Forest.


en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑B...

Kirkpatrick c. Maple Ridge, [1986] 2 R.C.S. 124

Leslie George Kirkpatrick Appelant

c.

La Corporation du District de Maple Ridge (également connue sous le nom de "District de Maple Ridge") Intimée

et

Le procureur général de la Colombie‑Britannique et le procureur général du Québec Intervenants

répertorié: kirkpatrick c. maple ridge (corporation du district)

No du greffe: 18375.

1985: 21 novembre; 1986: 16 septembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Chouinard, Lamer, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1983), 49 B.C.L.R. 134, qui a accueilli l'appel de la municipalité intimée à l'encontre d'un jugement du juge Murray (1980), 119 D.L.R. (3d) 598, 14 M.P.L.R. 19, qui avait annulé un règlement relatif à l'enlèvement de terre. Pourvoi accueilli.

B. A. Crane, c.r., et Henry S. Brown, pour l'appelant.

E. C. Chiasson, c.r., et B. Marshall, pour l'intimée.

Joseph J. Arvay, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

Réal A. Forest et Alain Gingras, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge La Forest—Deux questions ont été soulevées dans le présent pourvoi:

(1) Les droits de permis énoncés dans le Maple Ridge Soil Removal By‑law No. 2681 sont‑ils autorisés par l'al. 930d) de la Municipal Act, R.S.B.C. 1979, chap. 290?

(2) Dans l'affirmative, ces droits constituent‑ils une taxe ou un impôt qui excède la compétence législative de la province?

2. Voici le texte de l'al. 930d):

[TRADUCTION] 930. Le conseil peut par règlement régir ou interdire ...

d) l'enlèvement de terre, de sable, de gravier ou d'autres substances dont le terrain est composé dans tout endroit dans la municipalité ou dans tout secteur de la municipalité, et exiger un permis à cette fin et fixer des droits pour le permis, et différents règlements et interdictions peuvent être pris selon les secteurs;

3. Prétendant agir en vertu de cette disposition, le district de Maple Ridge ("la municipalité") a adopté le règlement no 2681 qui prévoit une réglementation d'ensemble en matière d'enlèvement de terre dans la municipalité et, en particulier, qui interdit l'enlèvement de terre dans certains secteurs désignés, à moins d'obtenir un permis à cette fin. Des droits de permis sont fixés à 20 le mètre cube de terre enlevée pendant la durée du permis, ce qui peut représenter une somme importante pouvant s'élever à des dizaines de milliers de dollars par an.

4. Le montant de ces droits semble avoir été conçu pour défrayer les coûts de l'exploitation des carrières de gravier dans les limites de la municipalité, y compris la reconstruction, l'entretien et la réparation des routes et les coûts administratifs connexes. Les éléments de preuve présentés pour le compte de la municipalité indiquent que les routes visées étaient des trajets de camionnage qui desservaient directement les carrières de gravier et non d'autres routes dans la municipalité.

5. Dans une requête en date du 14 août 1980, l'appelant a demandé l'annulation du règlement pour le motif qu'il excédait les pouvoirs de la municipalité et de la province et parce qu'il contenait des délégations de pouvoir qui n'étaient pas valides. Le juge Murray, qui a entendu la requête, a ordonné l'annulation du règlement, mais sa décision a été infirmée par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. Bien que la question de la délégation ait fait l'objet de discussions, les tribunaux d'instance inférieure ont principalement examiné la seconde question mentionnée ci‑dessus, celle de savoir si le règlement impose en réalité une taxe indirecte qui excède le pouvoir de taxation que possède la province, et donc une municipalité, en vertu du par. 92(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, ou s'il pouvait être justifié à titre de permis "véritable" aux termes du par. 92(2) ou à titre de frais réglementaires en vertu de l'application combinée des par. 92(9), (13) et (16). Toutefois, avant d'aborder cette question, il faut d'abord examiner si l'al. 930d) de la Municipal Act est, de par ses termes, capable d'englober le système de permis établi par le règlement en question.

6. Traditionnellement, il y a eu une forte tendance à confiner les pouvoirs des municipalités strictement à l'intérieur des limites prescrites par l'assemblée législative. Cela a été particulièrement vrai dans le cas des pouvoirs de taxation qui reçoivent généralement une interprétation stricte. Voir Rogers, The Law of Canadian Municipal Corporations (2nd ed. 1971), aux pp. 388 et 389, 690 à 692. Cette philosophie s'est manifestée dans la jurisprudence (voir, par exemple, R. v. Stronach (1928), 3 D.L.R. 216 (C.S. Ont., Div. d'appel)) et dans la manière dont les règlements municipaux ont été rédigés. Il y a lieu de penser que les tribunaux pourraient adopter un point de vue plus large, du moins dans d'autres domaines de réglementation, lorsqu'un pouvoir de percevoir des droits de permis est accordé en termes généraux et qu'il n'y a aucune indication dans la loi appuyant un point de vue restrictif. Ainsi dans l'arrêt Procureur général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60, cette Cour a statué à la majorité que le pouvoir accordé par la Loi sur la radio au gouverneur en conseil de prescrire le tarif des droits à payer pour les licences des stations de radiodiffusion autorisait ce dernier à imposer des droits fondés sur le revenu brut de la station et à imposer des taux qui varient en fonction du montant de ce revenu.

7. Toutefois, cet arrêt est très éloigné de la manière dont un tribunal doit examiner un règlement municipal qui accorde avec parcimonie des pouvoirs de taxation et qui établit avec une certaine précision la manière dont ces pouvoirs doivent être exercés. On peut voir le contraste entre les deux situations en examinant l'arrêt de cette Cour Ville de Montréal c. Civic Parking Center Ltd., [1981] 2 R.C.S. 541. Dans cette affaire, la Charte de la Ville de Montréal, 1960, accordait à la Ville le pouvoir d'imposer des taxes spéciales, notamment sur l'exploitation de terrains privés comme parcs de stationnement, et de les percevoir sous forme de permis, ces taxes devant être d'un montant que le conseil municipal pourrait déterminer. Cette Cour a conclu que ce pouvoir n'autorisait pas la Ville à calculer la taxe au pied carré; seul un montant forfaitaire pouvait être imposé. En arrivant à cette conclusion, mon collègue le juge Chouinard a examiné attentivement diverses autres dispositions de la Loi qui indiquent que lorsque l'assemblée législative a voulu ajouter des modalités à la taxe spéciale ou la rendre variable, elle l'a dit expressément. Bien que cela ne ressorte pas particulièrement dans l'arrêt, je pourrais souligner que la Ville dans cette affaire avait également le pouvoir de réglementer les parcs de stationnement privés de même que de les taxer.

8. À mon avis, l'arrêt Civic Parking s'applique en l'espèce. On commence avec la notion selon laquelle le pouvoir accordé par l'al. 930d) de "fixer des droits pour le permis" (ou licence qui est synonyme) vise ordinairement des droits fixes de quelque nature par opposition à un montant croissant en fonction de l'importance des activités entreprises en vertu du permis. Il en est particulièrement ainsi compte tenu de l'interprétation restrictive donnée à des règlements municipaux détaillés comme celui dont il est question en l'espèce. Une lecture de l'arrêt Re LaFarge Concrete Ltd. and District of Coquitlam (1972), 32 D.L.R. (3d) 459 (C.A.C.‑B.), permet de constater que le permis envisagé à l'al. 930d) a été appliqué de cette manière à l'origine.

9. Le point de vue qui précède est solidement renforcé par les termes des autres dispositions de la Loi relatives à la taxation et à l'attribution de permis. Ainsi les entreprises de service public qui ont des lignes aériennes sur poteaux, des pipelines, de la machinerie et des structures dans une municipalité sont [TRADUCTION] "taxés annuellement à un taux de 1 pour 100" sur les revenus de location bruts ou sur le montant reçu au cours de l'avant‑dernière année (art. 407). En vertu du par. 493(1), un conseil municipal peut imposer une taxe d'affaires d'un montant équivalant à un pourcentage désigné, ne dépassant pas 10 pour 100. Le paragraphe 496(1) autorise le conseil à imposer au titulaire d'un permis de vente d'alcool qui exploite une salle à manger ou un bar‑salon dans la municipalité [TRADUCTION] "un montant ne dépassant pas 20 pour 100 du montant des droits annuels de permis". Les taxes de façade sont fondées en partie sur la longueur réelle de la façade (par. 481(1)). Aux termes du par. 612(2), le conseil peut modifier les droits pour le système d'égouts ou les systèmes combinés d'égouts et d'écoulement des eaux en fonction du nombre d'installations desservies et de la quantité d'eau fournie. Les droits sur les coûts de mise en valeur [TRADUCTION] "peuvent varier selon les différents secteurs définis ou précisés ... les utilisations, les coûts en capital . . ., ainsi que la taille ou le nombre d'unités ou de lots . . .» (par. 719(5)). Les conseils municipaux ont même le pouvoir de modifier le montant des droits pour les permis de posséder un chien selon le sexe, l'âge, la taille ou la race (art. 524). Des droits fixes ont été établis pour beaucoup d'autres permis (par. 505(1), 520(1)). Même à l'al. 930d) lui‑même, l'assemblée législative fait allusion à la nécessité d'avoir un traitement différent dans certaines circonstances. Cette disposition prévoit différents règlements et interdictions selon les secteurs. Dans ces circonstances, il est significatif que des droits différents n'aient pas été prévus en fonction de l'utilisation.

10. Dans ces circonstances, un passage des motifs du juge Chouinard dans l'arrêt Civic Parking, précité, à la p. 553, est aussi pertinent à l'égard de l'al. 930d) qu'il l'était à l'égard de l'art. 803 de la Charte de la Ville de Montréal, 1960 dans cette affaire:

J'en conclus que lorsqu'il a voulu autoriser la Ville à assortir une taxe spéciale prévue à l'art. 803 de modalités ou à la rendre variable, le législateur l'a exprimé de façon expresse, ce qu'il n'a pas fait au par. w). Il s'ensuit que la Ville n'avait pas, en vertu de ce seul paragraphe, le pouvoir d'imposer une taxe sur l'exploitation de terrains privés comme parcs publics pour le stationnement des véhicules automobiles à raison de $ 0.12 du pied carré.

Bref, en l'espèce comme dans cette affaire, seul un montant forfaitaire peut être imposé.

11. Étant arrivé à cette conclusion, il n'est plus nécessaire d'aborder la question constitutionnelle et, en particulier, d'examiner si l'arrêt LaFarge, précité, suivi par la Cour d'appel, est bien fondé.

12. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi avec dépens et de rétablir l'ordonnance annulant le règlement rendue par le juge qui a entendu la requête.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureur de l’appelant: McQuarrie Hunter, Westminster.

Procureur de l’intimée: Ladner Downs, Vancouver.

Procureur de l’intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le ministère du Procureur général, Victoria.

Procureurs de l’intervenant le procureur général du Québec: Réal A. Forest et Alain Gingras, Ste‑Foy.


Synthèse
Référence neutre : [1986] 2 R.C.S. 124 ?
Date de la décision : 16/09/1986
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit municipal - Règlements - Validité - Adoption par la municipalité d’un règlement régissant l’enlèvement de terre et fixant les droits de permis - Règlement imposant des droits de permis pour chaque mètre cube de terre - La loi permet‑elle l’adoption du règlement? - Les droits de permis excèdent‑ils la compétence législative de la province? - Municipal Act, R.S.B.C. 1979, chap. 290, art. 930d).

La municipalité a adopté un règlement régissant l'enlèvement de terre et interdisant, en particulier, l'enlèvement de terre de certains secteurs désignés, à moins d'obtenir un permis à cette fin. Des droits de permis ont été fixés à 20 le mètre cube de terre enlevée pendant la durée du permis. L'appelant a demandé l'annulation du règlement pour le motif qu'il excédait les pouvoirs de la municipalité et de la province et parce qu'il contenait une délégation de pouvoirs qui n'était pas valide. En Cour suprême, le règlement a été annulé, mais la Cour d'appel a infirmé cette décision. Les deux tribunaux d'instance inférieure ont principalement examiné la question constitutionnelle. Deux questions ont été soulevées en cette Cour (1) les droits de permis énoncés dans le règlement sont‑ils autorisés par l'al. 930d) de la Municipal Act? (2) dans l'affirmative, ces droits constituent‑ils une taxe ou un impôt qui excède la compétence législative de la province?

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Les pouvoirs des municipalités sont en général strictement confinés à l'intérieur des limites prescrites par l'assemblée législative, en particulier en matière de taxation. Bien qu'un point de vue plus large ait été adopté dans certains domaines de réglementation, lorsque le pouvoir de percevoir des droits de permis est accordé en termes généraux, ces situations sont très éloignées du cas d'une loi municipale qui accorde avec parcimonie des pouvoirs de taxation et qui établit la manière dont ces pouvoirs doivent être exercés.

Un pouvoir tel que celui accordé par l'al. 930d) de la Municipal Act de "fixer des droits pour le permis", vise ordinairement des droits fixes par opposition à un montant croissant en fonction de l'importance des activités entreprises en vertu du permis. Ce point de vue est renforcé par les termes des autres dispositions de la Loi relative à la taxation et à l'attribution de permis qui prévoient des calculs détaillés pour un certain nombre d'autres permis. Dans ces circonstances, il faudrait que l'assemblée législative ait prévu expressément des droits de permis variables. En l'espèce donc, seul un montant fixe pouvait être imposé. Vu cette conclusion, il n'est pas nécessaire d'examiner la question constitutionnelle.


Parties
Demandeurs : Kirkpatrick
Défendeurs : Maple Ridge

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué: Ville de Montréal c. Civic Parking Center Ltd., [1981] 2 R.C.S. 541
arrêts mentionnés: R. v. Stronach (1928), 3 D.L.R. 216
Procureur général du Canada v. La Compagnie de Publication La Presse, Ltée, [1967] R.C.S. 60
Re LaFarge Concrete Ltd. and District of Coquitlam (1972), 32 D.L.R. (3d) 459.
Lois et règlements cités
Charte de la Ville de Montréal, 1960, S.Q. 1959‑60, art. 803.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 92(2), (9), (13), (16), 92A(4).
Municipal Act, R.S.B.C. 1979, chap. 209, art. 930d).
Doctrine citée
Rogers, Ian MacFee. The Law of Canadian Municipal Corporations, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1971.

Proposition de citation de la décision: Kirkpatrick c. Maple Ridge, [1986] 2 R.C.S. 124 (16 septembre 1986)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1986-09-16;.1986..2.r.c.s..124 ?
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