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15/10/1987 | CANADA | N°[1987]_2_R.C.S._440

Canada | Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille, [1987] 2 R.C.S. 440 (15 octobre 1987)


Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille, [1987] 2 R.C.S. 440

Eric Langille et Paul Langille Appelants

c.

Keneric Tractor Sales Limited Intimée

répertorié: keneric tractor sales ltd. c. langille

No du greffe: 19450.

1987: 13 mai; 1987: 15 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1985), 67 N.S.R. (2d) 404, 155 A.P.R. 404, 19 D.L.R. (4th) 652, qui a rejeté u

n appel contre un jugement du juge Glube. Pourvoi rejeté.

R. A. Cluney, c.r., et M. E. Reid, pour les appelants....

Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille, [1987] 2 R.C.S. 440

Eric Langille et Paul Langille Appelants

c.

Keneric Tractor Sales Limited Intimée

répertorié: keneric tractor sales ltd. c. langille

No du greffe: 19450.

1987: 13 mai; 1987: 15 octobre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, McIntyre, Wilson et La Forest.

en appel de la cour d'appel de la nouvelle‑écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1985), 67 N.S.R. (2d) 404, 155 A.P.R. 404, 19 D.L.R. (4th) 652, qui a rejeté un appel contre un jugement du juge Glube. Pourvoi rejeté.

R. A. Cluney, c.r., et M. E. Reid, pour les appelants.

R. Malcolm MacLeod et R. M. Purdy, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1. Le juge Wilson—La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir de quelle manière doivent être calculés les dommages‑intérêts relatifs à la violation d'un contrat de location de biens meubles. Cette question porte principalement sur le fait de savoir si le raisonnement de cette Cour dans l'arrêt Highway Properties Ltd. c. Kelly, Douglas and Co., [1971] R.C.S. 562, 17 D.L.R. (3d) 710, une affaire portant sur la méthode de calcul des dommages‑intérêts pour la violation d'un bail foncier, devrait s'appliquer aux contrats de location de biens meubles.

1. Les faits

2. Les appelants, Eric et Paul Langille sont cultivateurs. Au cours des étés 1981 et 1982, l'intimée Keneric Tractor Sales Limited ("Keneric") a loué dix machines agricoles aux Langille. Les contrats de location de 1981 prévoyaient dix paiements semestriels échelonnés sur une période de cinq ans. La somme de ces paiements semestriels correspondait à 120 pour 100 du prix d'achat original. En vertu d'une entente distincte, les Langille ont obtenu l'option d'acheter le matériel pour 25 pour 100 du prix d'achat original. L'option pouvait être exercée à la fin de la période de cinq ans. Si l'option n'était pas exercée, Keneric reprendrait possession du matériel. Les contrats de location de 1982 étaient rédigés de la même manière, mais les paiement semestriels étaient plus élevés et l'option d'achat avait été fixée à 30 pour 100 du prix d'achat original.

3. Keneric avait acheté les machines agricoles en question du fabricant Allis‑Chalmers Canada Inc. Afin de financer les achats, les contrats de location conclus avec les Langille ont été cédés à Allis‑Chalmers Credit Corporation of Canada, Ltd. Keneric a garanti l'exécution par les Langille selon les termes de l'accord de crédit‑bail et a convenu d'agir à titre de mandataire pour recouvrer les montants dus à Allis‑Chalmers Credit Corporation.

4. En mars 1983, les Langille ont fait savoir à Keneric qu'ils auraient de la difficulté à faire les paiements de la location. Des négociations n'ont pas permis de résoudre le problème. Les Langille n'ont pas respecté les modalités des contrats de location et Keneric a saisi le matériel. Après avoir donné un avis raisonnable, Keneric a vendu le matériel saisi. Keneric a alors engagé la présente action en vue d'obtenir des dommages‑intérêts pour la rupture des contrats de location.

2. Les tribunaux d'instance inférieure

5. Le 4 septembre 1984, le juge en chef Glube de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (Division de première instance) a conclu que les Langille n'avaient pas respecté leurs contrats de location (jugement inédit). Elle a évalué les dommages‑intérêts pour la violation des contrats de location à 132 272,90 $, plus les intérêts avant jugement. Le juge Hart, qui a rédigé les motifs de la Cour d'appel à la majorité (1985), 67 N.S.R. (2d) 404, 155 A.P.R. 404, à la p. 407, a bien résumé la manière dont le juge Glube est parvenue à ce chiffre:

[TRADUCTION] . . . [Keneric] a choisi de réclamer seulement le montant dont elle serait tenue envers le bailleur de fonds, Allis‑Chalmers Credit Corporation of Canada Ltd., à qui les contrats de location avaient été cédés. En vertu des ententes conclues entre l'intimée et Allis‑ Chalmers, l'intimée était en dernière analyse responsable du paiement des montants dus aux termes des contrats de location en cas de défaut.

La preuve a révélé que le montant dû par l'intimée à Allis‑Chalmers aux termes de chaque contrat de location était calculé en prenant le prix d'achat original et en en déduisant le paiement de la location de la première année qui avait été fait d'avance et en ajoutant ensuite la différence fondée sur le taux de 20 pour 100. De ce montant on soustrayait toutes les sommes d'argent tirées de la vente du matériel repris, moins les coûts de reprise de possession, de réparation et de revente du matériel. La différence entre le montant dû à Allis‑Chalmers et le montant recouvré par la vente du matériel devenait alors la perte dont l'intimée était responsable.

6. Le juge Glube a conclu que cette formule constituait une application des principes généraux d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat. Ils correspondaient à ce qu'[TRADUCTION] "une personne pourrait s'attendre à recevoir naturellement en raison de la violation ou à ce que les deux parties auraient pu raisonnablement envisager au moment de la signature du contrat". En d'autres termes, elle a adopté les principes énoncés dans les arrêts Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341, 156 E.R. 145, et Victoria Laundry (Windsor) Ltd v. Newman Industry Ltd., [1949] 2 K.B. 528, [1949] 1 All E.R. 997 (C.A.) En outre, elle a conclu qu'en revendant le matériel saisi, Keneric avait pris des mesures raisonnables pour minimiser ses dommages.

7. Le 16 mai 1985, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (le juge Jones étant dissident) a confirmé la décision du juge Glube. La seule question en appel était celle qui portait sur la méthode appropriée de calcul des dommages‑intérêts. Le juge Hart, qui a rédigé les motifs de la majorité, a fait remarquer que dans l'arrêt Canadian Acceptance Corp. v. Regent Park Butcher Shop Ltd. (1969), 3 D.L.R. (3d) 304 (C.A. Man.), on a statué que, dans le cas de la location de biens meubles lorsque le locataire fait défaut et que le bailleur reprend possession des biens et les revend, celui‑ci a un recours limité au produit de la revente plus les paiements de location dus au moment de la saisie. Par conséquent, si l'on devait suivre l'arrêt Regent Park en l'espèce, les Langille auraient gain de cause.

8. Toutefois, le juge Hart a laissé entendre que l'arrêt Regent Park avait été dépassé par l'arrêt de cette Cour Highway Properties Ltd. c. Kelly, Douglas and Co., précité. Dans cet arrêt, la Cour a statué que les dommages‑intérêts pour la violation d'un engagement dans le bail foncier doivent être mesurés selon les principes généraux du droit des contrats. Étant donné qu'il n'y a aucune raison pour laquelle le locataire de biens meubles devrait être dans une position plus forte que le locataire d'un bien‑fonds, le juge Hart a conclu que le principe énoncé dans l'arrêt Highway Properties devrait être appliqué dans les affaires portant sur la location de biens meubles.

9. Le juge Hart a ensuite établi une distinction entre les situations purement locatives et les situations de location à titre de garantie. Si un bail est purement locatif, a‑t‑il déclaré, sans option d'achat ni disposition prévoyant un renouvellement symbolique, alors la formule adoptée dans l'arrêt Regent Park peut s'accorder avec les principes normaux des dommages‑intérêts en matière contractuelle. Toutefois, dans un cas comme la présente affaire, où le contrat de location a servi de [TRADUCTION] "méthode de financement de l'achat des biens meubles", la méthode contractuelle appropriée de calcul des dommages‑intérêts correspondra généralement à la valeur du prix d'achat moins le montant touché à la revente. Pour ce motif, le juge Hart a confirmé la décision rendue en première instance.

10. Le juge Jones (dissident) a convenu que l'évaluation des dommages subis par Keneric devrait être régie par les principes généraux applicables en matière de contrats, mais il est arrivé à cette conclusion de façon plus détournée. Il a commencé par souligner que les contrats de location en question constituaient des ventes conditionnelles aux termes de la Conditional Sales Act, R.S.N.S. 1967, chap. 48. Le sous‑alinéa 1b)(ii) de cette loi prévoit:

[TRADUCTION] 1. Dans la présente loi,

...

b) "vente conditionnelle" s'entend

...

(ii) de tout contrat de location de biens en vertu duquel il est convenu que le locataire deviendra ou aura la faculté de devenir le propriétaire une fois complétée l'exécution des modalités du contrat;

Il a conclu que les contrats de location assortis d'une option d'achat relevaient de cette loi.

11. Toutefois, la Conditional Sales Act est apparue comme un genre d'impasse pour le juge Jones, étant donné que cette loi vise surtout l'imposition d'avis en vue de protéger les tiers. Elle sert à réglementer l'exercice des droits de recours créés ailleurs. Par conséquent, le juge Jones s'est reporté à l'arrêt Humphrey Motors Ltd. v. Ells, [1935] R.C.S. 249, dans lequel la méthode de calcul des dommages‑intérêts aux termes d'un contrat de vente conditionnelle régi par des dispositions semblables a été examinée par cette Cour. La Cour a statué que, puisque la Conditional Sales Act ne tranchait pas les questions relatives aux recours, elle était libre d'appliquer les principes de common law en matière de dommages‑intérêts. En appliquant la common law, la Cour a conclu que la reprise de possession et la revente du bien meuble avait eu pour effet de "résilier" le contrat. Par conséquent, le vendeur ne pouvait recouvrer des dommages‑intérêts fondés sur des paiements dûs après la reprise de possession.

12. Toutefois, le juge Jones n'a pas conclu que l'arrêt Humphrey Motors avait pour effet de trancher la question en l'espèce. Il a estimé que l'arrêt Humphrey Motors visait les ventes, mais ne s'appliquait pas aux situations dans lesquelles les parties avaient choisi de créer de "véritables contrats de location". En l'espèce, l'exécution finale des paiements de location ne donnait pas aux locataires le droit à un transfert de propriété. Elle ne leur donnait que le droit d'exercer une option. Par conséquent, les contrats de location n'étaient pas des ventes mais de "véritables contrats de location" et les principes généraux en matière de contrats devraient être utilisés pour évaluer les dommages‑intérêts.

13. Le juge Jones n'a pas accepté que les principes généraux en matière de contrat militassent en faveur de la formule adoptée par le juge de première instance et par la Cour d'appel à la majorité. Il a estimé que la responsabilité des Langille devait être déterminée sans tenir compte du contrat conclu entre Keneric et Allis‑Chalmers auquel les Langille n'étaient pas partie. Il a conclu, à la p. 429, que la responsabilité des Langille devrait équivaloir à:

[TRADUCTION] . . . la valeur des paiements de location non acquittés et dus aux termes de chaque contrat de location, moins (i) la valeur locative réelle du matériel pour la période non échue de chaque contrat de location, (ii) le montant réalisé par la vente du matériel après avoir déduit les frais raisonnables et (iii) un rabais relatif à la remise antérieure du capital.

14. Le 19 juin 1985, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse a accordé aux Langille l'autorisation de se pourvoir devant cette Cour.

3. La question en litige

15. Les avocats des appelants ont soutenu que la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse avait commis une erreur en ce qui a trait à la méthode appropriée de calcul des dommages‑intérêts par suite d'un manquement aux termes des contrats de location du matériel. Pour trancher la question principale, il faut examiner les deux sous‑questions suivantes: a) quelles sont les règles générales qui s'appliquent aux dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat de location de biens meubles? et b) la revente par Keneric satisfait‑elle à son obligation de limiter ses dommages?

a) Les règles générales

16. On trouve le plus récent examen des règles de droit applicable dans l'arrêt de la Cour d'appel du Manitoba Canadian Acceptance Corp. v. Regent Park Butcher Shop Ltd., précité. Cet arrêt portait sur la location d'une caisse enregistreuse. Après que le locataire eut omis d'effectuer plusieurs paiements, le bailleur a repris possession de la caisse enregistreuse et l'a revendue. Une clause du contrat de location prévoyait un niveau particulier de dommages‑intérêts payables en cas de manquement. La Cour d'appel a conclu que le montant prévu dans la clause ne constituait pas une véritable estimation d'avance des dommages‑intérêts conventionnels et, par conséquent, la clause constituait une pénalité et n'était pas exécutoire. La cour a alors examiné la jurisprudence traitant des dommages‑intérêts qui pouvaient être accordés pour la violation d'un contrat de location d'un bien meuble.

17. Le juge Dickson (maintenant Juge en chef du Canada), s'exprimant au nom de la Cour d'appel, a passé en revue la jurisprudence canadienne sur le sujet et a conclu à la p. 314:

[TRADUCTION] Étant donné qu'aucune formule uniforme ne ressort des décisions canadiennes, nous nous estimons libres d'examiner la question à nouveau selon notre meilleur jugement. Tout compte fait, nous sommes d'avis que le raisonnement de la série d'affaires commençant par l'arrêt Bridge v. Campbell Discount Co., Ltd., [1962] 1 All E.R. 385, constitue la solution appropriée et nous proposons de l'appliquer. Dans l'une des affaires de cette série, Financings, Ltd. v. Baldock, [1963] 1 All E.R. 443, le maître des rôles lord Denning affirme, à la p. 445:

Il me semble que, lorsqu'on met fin à un contrat de location en vertu d'un pouvoir qui y est prévu et que le propriétaire reprend le véhicule, il peut recouvrer des dommages‑intérêts pour toute violation jusqu'à la date à laquelle on a mis fin au contrat, mais pas pour une violation qui s'est produite par la suite pour la simple raison que, par la suite, il n'y a pas de violation. Je ne vois aucune différence à cet égard entre la cession d'un véhicule en location et la cession d'un bien‑fonds en vertu d'un bail. Si un bailleur, en vertu d'une disposition prévoyant la reprise de possession, reprend possession pour non‑paiement du loyer ou de délabrement des lieux, il obtient les arriérés du loyer jusqu'à la date de la reprise de possession et des dommages‑intérêts pour défaut de réparations jusqu'à cette date, mais il n'obtient pas de dommages‑intérêts pour la perte du loyer par la suite ou pour l'inexécution des réparations par la suite.

...

Et à la p. 446:

En appliquant ce principe, j'ai demandé à l'avocat des demandeurs quelles étaient les violations du locataire jusqu'à la date à laquelle la location a pris fin? Il n'a pu indiquer que le seul défaut de payer deux versements du loyer. Dans ces circonstances, les seuls montants d'argent que les demandeurs peuvent recouvrer sont ceux des deux versements impayés qui sont dus avec l'intérêt qui s'y rattache. Si les demandeurs pouvaient démontrer qu'ils ont subi des dommages par suite de la violation du contrat de réparations, ils pourraient les recouvrer, mais pas plus . . .

Toutefois s'il n'y a eu aucune répudiation mais simplement, comme en l'espèce, un défaut d'effectuer un ou deux versements (lequel défaut ne touche pas au fondement du contrat et ne donne simplement que le droit d'y mettre fin en vertu d'une stipulation expresse dans le contrat), les propriétaires ne peuvent recouvrer que les versements arriérés, plus les intérêts, et rien d'autre; car il n'existait aucune autre violation lorsque le contrat de location a pris fin.

Par conséquent, le bailleur qui met fin à la location d'un bien meuble en vertu d'une disposition du contrat de location lui permettant de le faire est limité dans ses recours au loyer dû au moment où le contrat a pris fin et au produit de la revente.

18. Les arrêts Regent Park et Financings, Ltd. v. Baldock, [1963] 1 All E.R. 443, sur lesquels le juge Dickson s'est fondé procédaient par analogie avec la common law en matière de dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat de location foncière. Comme le juge Dickson l'a souligné à la p. 315 de ses motifs:

[TRADUCTION] Si un propriétaire reprend possession d'un bien‑fonds en raison du non‑paiement du loyer, il peut intenter une action pour recouvrer les arriérés du loyer en vertu de l'engagement exprès ou implicite de payer le loyer, mais il ne peut recouvrer le loyer dû après la date de la reprise de possession. On ne nous a pas présenté de jurisprudence ou de doctrine démontrant que la position du bailleur d'un bien meuble devrait être plus forte que celle du bailleur d'un bien‑fonds.

En fait, pour que le droit dans ce domaine soit cohérent et fondé sur des principes, il serait logique d'abolir des distinctions juridiques artificielles entre les contrats de location foncière et ceux de location de biens meubles. Toutefois, le besoin d'uniformisation entraîne aujourd'hui un résultat différent en l'espèce en raison de l'arrêt de cette Cour Highway Properties qui a renversé le courant jurisprudentiel sur lequel était fondé l'arrêt Regent Park.

19. Dans l'arrêt Highway Properties, la Cour a examiné la question du droit du propriétaire à des dommages‑intérêts découlant de la répudiation par le locataire d'un bail de locaux dans un centre commercial. Le propriétaire a réclamé des dommages‑intérêts à la fois pour la perte subie jusqu'à la date de la répudiation et pour la perte qui résulterait de l'omission par le locataire d'exploiter un commerce dans le centre commercial pour toute la durée du bail. L'application du point de vue traditionnel qui se dégage de l'arrêt Regent Park aurait permis de rejeter la deuxième partie de la réclamation du propriétaire. Le juge Laskin, s'exprimant au nom de toute la Cour, souligne à la p. 570 que jusqu'à ce point:

Le droit jurisprudentiel reconnaît au propriétaire trois recours exclusifs lorsqu'un locataire viole fondamentalement le bail ou le répudie entièrement, comme dans la présente affaire. Il peut ne rien faire pour changer les rapports propriétaire‑locataire, mais supposant que le bail reste en vigueur simplement demander l'exécution des dispositions et poursuivre en recouvrement du loyer ou de dommages‑intérêts. Deuxièmement, il peut mettre fin au bail, en conservant évidemment son droit d'action pour les loyers échus et exigibles ou pour les dommages‑intérêts résultant de violations d'engagements antérieures à la date où il a été mis fin au bail. Troisièmement, il peut donner avis au locataire de son intention de sous‑louer l'immeuble pour le compte de ce dernier et ainsi, entrer en possession.

Avant l'arrêt Highway Properties, il n'était pas possible en common law pour le propriétaire de mettre fin au bail, de relouer le bien et de faire une demande de dommages‑intérêts, comprenant une réclamation du loyer à venir impayé moins la valeur réelle de la location pour la période non écoulée du bail.

20. L'arrêt Highway Properties a changé cette situation. Le juge Laskin a examiné la jurisprudence et la doctrine anglaises, australiennes et américaines applicables. Il a accordé une attention particulière à l'arrêt Buchanan v. Byrnes (1906), 3 C.L.R. 704 (H.C. Aust.) Dans cette affaire, le locataire défaillant a abandonné les biens de l'hôtel qu'il avait loué. Le propriétaire a réussi à obtenir des dommages‑intérêts portant sur la période non écoulée du bail malgré l'abandon. La position adoptée par la Haute Cour en ce qui a trait à la question des dommages‑intérêts est résumée dans deux extraits du jugement (le premier tiré des motifs du juge en chef Griffith à la p. 715, et le second des motifs du juge Barton à la p. 719):

[TRADUCTION] Alors se pose la question de savoir à quels dommages‑intérêts a‑t‑il droit? Il existe un engagement dont l'exécution s'étend sur une période de 15 ans et qui, de toute évidence, n'est pas tenu. Le dommage naturel est la perte susceptible d'être encourue par le demandeur pendant la période au cours de laquelle l'engagement aurait dû être tenu, tout comme dans le cas d'un contrat pour engager un serviteur pendant un certain nombre d'années en lui payant un salaire mensuel. Si le contrat est résilié sans équivoque par l'employeur, le serviteur peut intenter immédiatement une action. évidemment, il ne peut rien recouvrer sous la forme d'un salaire; il recouvre des dommages‑intérêts qui sont habituellement évalués en fonction du salaire qu'il aurait reçu; toutefois, il doit par ailleurs tenir compte de ce qu'il aurait raisonnablement pu s'attendre à gagner au cours de la durée du contrat et le jury doit ajouter foi à l'employeur sur ce point. Par conséquent, à première vue, les dommages‑intérêts seraient la valeur de cette période pour le bailleur, c'est‑à‑dire la différence entre le bénéfice qu'il aurait tiré des lieux en tant qu'hôtel pendant 15 ans au loyer convenu, qui auraient été entretenus et ainsi de suite, et la valeur des lieux tels qu'ils ont été remis entre ses mains.

...

On dit, cependant que le fait d'avoir repris possession des locaux dans ces circonstances crée une fin de non‑recevoir qui empêche (estops) le demandeur d'actionner le défendeur relativement aux engagements pris. On ne doit pas conclure que j'estime que cet effet se produit pour ce qui est de l'engagement de payer le loyer. Quoi qu'il en soit, y a‑t‑il fin de non‑recevoir à l'égard des autres engagements qui obligent à maintenir une auberge dans les locaux pendant toute la période et à faire les autres choses nécessaires à cette fin? Pour constituer une fin de non‑recevoir, la conduite d'une personne doit avoir amené une autre personne à croire en l'existence d'un certain état de choses et à agir suivant cette croyance de façon à changer sa propre position. Comment peut‑on dire que tel a été l'effet de la conduite du demandeur quand l'acte du défendeur, loin d'en être le résultat, l'a en fait précédée. À mon avis, la fin de non‑recevoir ne peut être opposée au demandeur . . .

Le juge Laskin a souligné que l'arrêt Buchanan v. Byrnes a été appliqué par la Cour suprême de l'Australie dans Hughes v. N.L.S. Pty. Ltd., [1966] W.A.R. 100. Il a conclu aux pp. 575 et 576:

Décider dans le sens de la Haute Cour d'Australie, qui écarte des obstacles artificiels aux recours créés par une trop grande extension des règles de l'abandon par rapport au loyer, me semble opportun. Bien qu'il soit exact de dire que la répudiation par le locataire donne immédiatement au propriétaire le choix entre obliger le locataire à se conformer au bail ou à y mettre fin, un droit d'action en dommages‑intérêts naît néanmoins en même temps. Le choix de demander le maintien du bail ou de le refuser (et ainsi d'y mettre fin) n'influe que sur l'étendue des dommages‑intérêts. Il est illogique, à mon avis, de conclure qu'en décidant de mettre fin au bail, le propriétaire a limité les dommages‑intérêts qu'il peut ensuite réclamer dans la même mesure que s'il avait décidé de maintenir le bail en vigueur.

Le juge Laskin a alors expressément adopté la position australienne.

21. La Cour dans l'arrêt Highway Properties a justifié sa décision en faisant appel à des considérations de principe et à des considérations pratiques. En principe, il n'est pas logique de considérer qu'un bail commercial "n'est qu'un transfert de droit sur un fonds et n'est pas aussi un contrat". Cette anomalie historique ne peut être corrigée qu'en évaluant les dommages‑intérêts, dans les affaires portant sur la violation d'un bail foncier, en fonction des principes généraux en matière de contrats. La modification s'appuyait également sur des considérations pratiques étant donné que la nouvelle façon de procéder écartait les possibilités d'actions multiples inhérentes à l'ancienne. Ces deux facteurs indiquent que la même modification devrait être faite dans le droit applicable aux violations de contrats de location de biens meubles.

22. En plus de ces deux considérations, le besoin d'uniformisation du droit milite en faveur d'une modification des règles relatives à la violation des contrats de location de biens meubles. Comme on l'a souligné dans les arrêts Baldock et Regent Park, il n'y a, entre le bail foncier et la location de biens meubles, aucune différence essentielle importante pour évaluer des dommages‑intérêts dans le cas d'une violation. Il s'agit de deux contrats. Par conséquent, l'esprit de l'arrêt Regent Park, savoir l'harmonisation du droit relatif à la location de biens meubles avec le droit relatif à la location foncière, est mieux servi aujourd'hui par un résultat différent dans une affaire relative à la location d'un bien meuble. Les dommages‑intérêts qui découlent de la violation d'un contrat de location d'un bien meuble, tout comme ceux découlant de la violation d'un bail foncier, devraient être calculés conformément aux principes généraux qui régissent les contrats. Dans la mesure où l'arrêt Regent Park traduit un point de vue différent, il ne devrait pas être suivi.

23. Toutefois, les avocats des appelants soulignent que l'arrêt Highway Properties était une affaire de répudiation expresse par le locataire. Ils soutiennent que la présente affaire est différente en ce sens qu'il n'y a eu aucune répudiation expresse. Si l'on présume que les appelants pouvaient établir les faits à l'appui de cette distinction, y a‑t‑il une raison pour laquelle la règle établie dans l'arrêt Highway Properties ne devrait pas s'appliquer logiquement à toutes les affaires comportant une résiliation légitime par le bailleur?

24. Pour répondre à cette question, nous devons revenir aux principes fondamentaux du droit des contrats. Si une partie à un contrat ne respecte pas une modalité suffisamment importante, l'autre partie a le droit de considérer que le contrat a pris fin et de se considérer dégagée de toute obligation future qui pourrait en découler: Pigott Construction Co. v. W. J. Crowe Ltd. (1961), 27 D.L.R. (2d) 258 (C.A. Ont.), aux pp. 269 à 272; Alkok v. Grymek, [1968] R.C.S. 452, à la p. 456; Hongkong Fir Shipping Co. v. Kawasaki Kisen Kaisha Ltd., [1962] 2 Q.B. 26 (C.A.), le lord juge Diplock, aux pp. 65, 66 et 71; Cehave N.V. v. Bremer Handelsgesellschaft m.b.H., the "Hansa Nord", [1976] Q.B. 44 (C.A.) Un droit identique est engendré lorsqu'une partie à un contrat indique à l'autre partie, par ses paroles ou par sa conduite, qu'elle n'a pas l'intention de remplir ses obligations contractuelles. Dans ce dernier cas, on dit que la première partie a répudié le contrat: voir sir W. R. Anson, Anson's Law of Contract (26th ed. par A. G. Guest), pp. 470 à 484; G. C. Cheshire, C. H. S. Fifoot and M. P. Furmston, Law of Contract (11th ed. 1986), pp. 521 à 533. La question qui se pose en l'espèce est de savoir si l'évaluation des dommages‑intérêts dans une affaire de résiliation fondée sur la violation d'une modalité du contrat devrait être différente de l'évaluation des dommages‑intérêts dans une affaire de résiliation fondée sur la répudiation.

25. Le juge Laskin, dans l'arrêt Highway Properties, a semblé présumer qu'il fallait répondre à cette question par la négative. Dans cet arrêt, son analyse a porté sur les "recours . . . [reconnus au propriétaire] lorsqu'un locataire viole fondamentalement le bail ou le répudie entièrement". Je conviens avec le juge Laskin que les dommages‑intérêts devraient être évalués de la même manière dans les deux cas. La répudiation peut être déclenchée par l'incapacité ou le refus d'une partie d'exécuter ses obligations contractuelles. Il en est de même de la violation d'un contrat qui donne naissance au droit de le résilier; elle peut découler de l'incapacité ou du refus d'exécution. La violation et la répudiation sont simplement des subdivisions d'une catégorie générale de conduite, c'est‑à‑dire la conduite qui donne à la partie innocente le droit de considérer le contrat comme résilié. Par conséquent, il n'y a aucune différence conceptuelle entre la violation d'un contrat qui donne à la partie innocente le droit de le résilier et la répudiation d'un contrat, qui justifie une évaluation différente des dommages‑intérêts lorsque la résiliation découle de la première situation plutôt que de la deuxième. Les principes généraux en matière de contrats devraient s'appliquer dans les deux cas.

26. En l'espèce, le juge de première instance a conclu à bon droit que le défaut des Langille constituait une violation du contrat de location, qui donnait à Keneric le droit de le résilier. Keneric a accepté la violation et a mis fin aux contrats. Il n'est pas nécessaire de déterminer si les Langille avaient également répudié les contrats. Pour les motifs donnés précédemment, une telle conclusion ne changerait rien à l'évaluation des dommages‑intérêts.

27. Avant de revenir aux faits particuliers de l'espèce, il pourrait être utile de faire quelques observations sur l'arrêt Humphrey Motors, précité, que le juge Jones a mentionné dans son opinion dissidente en Cour d'appel. Comme je l'ai mentionné précédemment, cette affaire portait sur une vente conditionnelle. L'acheteur a manqué à ses obligations et le vendeur a repris possession du camion et l'a revendu. Cette Cour a conclu que la revente par le vendeur avait eu pour effet de "résilier" le contrat et le vendeur ne pouvait donc rien réclamer pour la perte sur la revente. À mon avis, cet arrêt ne constitue pas une bonne règle de droit au‑ jourd'hui vu qu'il se fonde sur un concept de résiliation périmé.

28. Selon la conception moderne, lorsqu'une partie répudie le contrat et que l'autre partie accepte la résiliation, le contrat prend fin à ce moment‑là. Toutefois, le contrat n'est pas résilié au sens juridique véritable du terme, c'est‑à‑dire en ce sens que la présence d'un certain élément a pour effet de le rendre nul au départ. Les parties sont libérées de leurs obligations futures aux termes du contrat à compter de la date où celui‑ci est résilié, mais les obligations futures incorporées dans le contrat sont pertinentes pour ce qui est d'évaluer les dommages‑intérêts: voir Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367, [1979] 1 All E.R. 883 (H.L.), et Moschi v. Lep Air Services Ltd., [1973] A.C. 331, [1972] 2 All E.R. 393 (H.L.) Voici d'une manière générale l'état du droit relatif aux contrats et c'est ce droit qui devrait s'appliquer également aux violations de contrats de location de biens meubles.

29. Je reviens maintenant aux faits de l'espèce pour déterminer si les dommages‑intérêts ont été évalués d'une manière appropriée. La règle générale en matière d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat porte que le montant accordé devrait placer le demandeur dans la situation où il aurait été si le défendeur avait exécuté complètement ses obligations contractuelles. Ce principe est limité dans son application par la doctrine relative au lien de causalité. Comme le baron Alderson l'a dit dans l'arrêt Hadley v. Baxendale, précité, p. 354 (9 Ex.) et à la p. 151 (156 E.R.):

[TRADUCTION] . . . Lorsque deux parties ont passé un contrat que l'une d'elle a rompu, la réparation que l'autre partie doit recevoir pour cette rupture doit être celle qu'on peut considérer justement et raisonnablement soit comme celle qui découle naturellement, c'est‑à‑dire selon le cours normal des choses, de cette rupture du contrat, soit comme celle que les deux parties pouvaient raisonnablement et probablement envisager, lors de la passation du contrat, comme conséquence probable de sa rupture.

Évidemment, l'application de la règle générale est en outre limitée par le devoir qu'a la partie lésée de limiter ses dommages.

30. L'un des problèmes que soulève le présent pourvoi et qui revêt une importance cruciale en ce qui a trait à la dissidence du juge Jones par rapport aux deux autres juges de la Cour d'appel, c'est la nature précise de l'entente en vertu de laquelle les Langille devaient finalement acheter le matériel loué. Les Langille savaient‑ils qu'ils achetaient du matériel de Keneric qui elle‑même l'achetait d'Allis‑Chalmers en utilisant, comme garantie du prix d'achat, les paiements effectués par les Langille conformément aux contrats de location? Dans l'affirmative, alors en vertu de la règle énoncée dans l'arrêt Hadley v. Baxendale, les Langille savaient ou auraient dû raisonnablement savoir que le montant des dommages que subirait Keneric s'ils ne respectaient pas les contrats de location correspondrait à l'obligation de Keneric envers Allis‑Chalmers. Par contre, s'ils n'étaient pas au courant de l'entente conclue entre Keneric et Allis‑Chalmers et qu'il n'y avait aucun motif pour lequel ils auraient dû raisonnablement en être au courant, alors le montant des dommages dont ils pourraient être tenu responsables envers Keneric serait limité aux modalités des contrats de location eux‑mêmes. Dans le premier cas, il me semble que le juge de première instance et la Cour d'appel à la majorité ont adopté la bonne méthode pour évaluer les dommages‑intérêts. Toutefois, dans le second cas, on ne pourrait pas en dire autant étant donné que les Langille ne pouvaient raisonnablement prévoir, au sens de l'arrêt Hadley v. Baxendale, l'obligation de Keneric envers Allis‑Chalmers, qui était donc trop éloignée. La responsabilité des Langille envers Keneric dans ce cas équivaudrait simplement à la différence entre les paiements échus aux termes des contrats de location (réduits dans le cas d'un paiement anticipé) et le produit de la vente, plus les frais engagés pour la reprise de possession, la réparation et la revente.

31. Il semble évident que le juge de première instance a considéré que les Langille savaient que Keneric n'était pas propriétaire du matériel, mais l'achetait d'Allis‑Chalmers en utilisant les paiements de location à titre de garantie. La Cour d'appel à la majorité semble avoir donné une telle interprétation aux motifs du juge de première instance bien qu'elle n'ait tiré aucune conclusion de fait précise à cet égard. Par ailleurs, le juge Jones a pris au pied de la lettre les contrats de la location et a évalué les dommages de Keneric uniquement en fonction de ces contrats, en soulignant que les Langille n'étaient pas partie à l'entente conclue entre Keneric et Allis‑Chalmers.

32. Il me semble qu'il y a suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer que les Langille étaient au courant de l'existence de l'entente entre Keneric et Allis‑Chalmers. Comme l'a souligné le juge de première instance, les Langille savaient que Keneric était un concessionnaire d'Allis‑Chalmers parce que Keneric avait pris la suite d'une affaire conclue précédemment entre les Langille et un autre dépositaire d'Allis‑Chalmers lorsque ce dernier avait cessé ses activités. C'est à l'occasion de cette opération que Keneric est entré en contact pour la première fois avec les Langille. La preuve révèle également que les Langille ont en fait reçu les contrats de location d'Allis‑Chalmers après qu'ils aient été signés par Keneric. En réalité, d'après une partie de leur correspondance avec Keneric, ils semblent avoir traité les contrats de location comme si Allis‑Chalmers était le bailleur et comme si Keneric agissait simplement en qualité de mandataire d'Allis‑Chalmers en recevant les paiements de location. Dans une lettre adressée à M. Ken Smith, le président de Keneric, ils affirment abruptement qu'ils ont loué tout leur matériel d'Allis‑Chalmers et qu'ils ont décidé de le louer plutôt que de l'acheter parce que Keneric leur a dit qu'Allis‑Chalmers leur permettrait de mettre fin aux contrats de location et de lui retourner le matériel en tout temps. Bien que le juge de première instance n'ait pas accepté que Keneric ait fait une telle offre, elle semble avoir déduit de la preuve des Langille qu'ils savaient parfaitement que Keneric avait cédé les contrats de location à Allis‑Chalmers à titre de garantie pour l'achat du matériel par Keneric. Si l'on accepte que le juge de première instance a eu raison de tirer cette conclusion, et je crois qu'elle a eu raison de le faire, alors la formule d'évaluation des dommages‑intérêts qu'elle a adoptée et qui a été confirmée par la Cour d'appel à la majorité représentait une juste application de la règle énoncée dans l'arrêt Hadley v. Baxendale.

b) Limitation du préjudice

33. Les avocats des appelants soutiennent que Keneric n'a pas pris de mesures raisonnables pour limiter ses dommages. À ce sujet, le juge de première instance a conclu que Keneric avait tenté d'obtenir le meilleur prix possible en revendant le matériel. Toutefois, l'argument des appelants porte que Keneric aurait reloué le matériel plutôt que le revendre.

34. Le problème que j'éprouve à l'égard de cet argument c'est qu'aucun élément de preuve n'a été présenté en première instance concernant la rentabilité d'une nouvelle location. En l'absence de tels éléments de preuve, il est impossible de dire si une nouvelle location aurait été préférable à la revente. De toute évidence, la charge de la preuve est très importante en l'espèce.

35. Il semble évident que la charge de la preuve incombe au défendeur. Comme l'a souligné le juge Laskin, au nom de la Cour dans l'arrêt Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324, à la p. 331:

Si le défendeur prétend que le demandeur aurait pu raisonnablement minimiser la perte alléguée, il incombe au défendeur d'en faire la preuve, à moins que ce dernier ne se contente de laisser au juge de première instance le soin de trancher cette question à la lumière de son évaluation de la preuve des conséquences évitables fournie par le demandeur.

Cet argument est appuyé par la jurisprudence anglaise et certains auteurs: voir Halsbury's Laws of England, vol. 12, 4th ed., par. 1193; G. C. Cheshire, C. H. S. Fifoot and M. P. Furmston, Law of Contract, précité, à la p. 598. Les Langille ne se sont pas acquittés de la charge de démontrer que la revente de Keneric constituait une réduction insuffisante.

4. Conclusion

36. Le juge de première instance et la Cour d'appel à la majorité ont eu raison d'appliquer les principes généraux du droit des contrats en évaluant les dommages‑intérêts de Keneric. Ils ont également eu raison d'appliquer la règle énoncée dans l'arrêt Hadley v. Baxendale.

37. On n'a nullement contesté l'attribution des dommages‑intérêts du juge de première instance à l'égard du compte "parties distinctes" et, en conséquence, elle n'est pas modifiée. Le pourvoi est rejeté avec dépens.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureur des appelants: R. A. Cluney, Halifax.

Procureur de l'intimée: R. Malcolm MacLeod, Halifax.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 2 R.C.S. 440 ?
Date de la décision : 15/10/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Contrats - Dommages‑intérêts - Location de biens meubles - Violation des contrats de location par le locataire - Méthode appropriée pour déterminer les dommages‑intérêts - Les principes généraux d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat s'appliquent‑ils ou le recours du bailleur est‑il limité au produit de la revente plus les paiements de location dus au moment de la saisie?.

Baux - Location de biens meubles - Violation des contrats de location par le locataire - Méthode appropriée pour déterminer les dommages‑intérêts - Les principes généraux d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat s'appliquent‑ils ou le recours du bailleur est‑il limité au produit de la revente plus les paiements de location dus au moment de la saisie?.

L'intimée a loué du matériel agricole aux appelants par crédit‑bail et ensuite a cédé les contrats de location pour financer l'achat du matériel du fabricant. L'intimée a garanti l'exécution des accords de crédit‑bail par les appelants et a convenu d'agir à titre de mandataire du fabricant pour recouvrer les montants ainsi dus. Les appelants n'ont pas respecté les modalités des contrats de location et l'intimée a saisi le matériel. Après un avis raisonnable, l'intimée a vendu le matériel saisi et a engagé la présente action réclamant des dommages‑ intérêts pour la violation des contrats de location. Le juge de première instance a conclu que les appelants n'avaient pas respectés les modalités des contrats de location, a évalué les dommages‑intérêts en utilisant une formule qui appliquait les principes généraux d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat et a jugé que l'intimée avait pris les mesures raisonnables pour limiter ses dommages. La Cour d'appel a confirmé cette décision mais était divisée sur la méthode appropriée du calcul des dommages‑intérêts. La question principale en l'espèce porte sur le calcul des dommages‑intérêts dans le cas de la violation des contrats de location de biens meubles.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les dommages‑intérêts qui découlent de la violation d'un contrat de location de biens meubles devraient être calculés conformément aux principes généraux régissant les contrats comme le sont les dommages découlant de la violation d'un bail foncier. Il n'est pas logique de considérer qu'un bail "n'est qu'un transfert de droit sur un fonds et n'est pas aussi un contrat" et cette irrégularité ne peut être corrigée qu'en évaluant des dommages‑intérêts d'après les principes généraux des contrats. Cette façon de procéder s'appuie également sur le caractère pratique étant donné qu'elle écarte la possibilité de recourir à un grand nombre d'actions inhérentes à l'ancienne façon de procéder. Le besoin d'uniformisation du droit appuie également cette modification. Il n'y a aucune différence essentielle en ce qui a trait à l'évaluation de dommages‑intérêts entre le cas de la violation d'un bail foncier et celui de la violation d'un contrat de location de biens meubles. Il s'agit de deux contrats.

L'évaluation des dommages‑intérêts dans une affaire de résiliation fondée sur la violation d'une modalité du contrat ne devrait pas être différente de l'évaluation des dommages‑intérêts dans une affaire de résiliation fondée sur la répudiation. La violation et la répudiation sont simplement des subdivisions d'une catégorie générale de conduite, c'est‑à‑dire une conduite qui donne à la partie innocente le droit de considérer le contrat comme ayant pris fin. Les principes généraux en matière de contrats devraient être appliqués dans les deux cas.

Le défaut des appelants constituait une violation des contrats de location qui donnait à l'intimée le droit d'y mettre fin. L'intimée a accepté la violation et y a mis fin. Il n'était pas nécessaire de déterminer si les appelants avaient également répudié les contrats car une telle conclusion n'est pas nécessaire pour évaluer les dommages‑intérêts. Le contrat n'est pas annulé au sens juridique véritable, c'est‑à‑dire en ce sens que la présence d'un certain élément a pour effet de le rendre nul au départ. Les parties sont libérées de leurs obligations futures aux termes du contrat à compter de la date où celui‑ci est résilié, mais les obligations futures incorporées dans le contrat sont pertinentes pour l'évaluation des dommages‑intérêts.

La règle générale en matière d'évaluation des dommages‑intérêts pour la violation d'un contrat porte que le montant accordé devrait placer le demandeur dans la situation où il aurait été si le défendeur avait exécuté complètement ses obligations contractuelles. Ce principe est nuancé par la doctrine relative au lien de causalité et par le devoir de la partie lésée de limiter ses dommages. En l'espèce, les appelants savaient qu'ils achetaient du matériel de l'intimée qui l'achetait de Allis‑Chalmers en utilisant, comme garantie du prix d'achat, les paiements effectués par les appelants conformément aux contrats de location. Ils savaient ou auraient dû raisonnablement savoir que le montant des dommages subis par l'intimée s'ils ne respectaient pas les contrats de location serait le montant de l'obligation de l'intimée envers Allis‑Chalmers.

Le défendeur a le fardeau de démontrer que le demandeur n'a pas pris de mesure raisonnable pour limiter ses dommages. Les appelants (défendeurs) ne se sont pas déchargés de ce fardeau en l'espèce. En l'absence d'éléments de preuve sur la rentabilité d'une nouvelle location, il était impossible de dire si elle aurait été préférable à la revente.


Parties
Demandeurs : Keneric Tractor Sales Ltd.
Défendeurs : Langille

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué: Highway Properties Ltd. c. Kelly, Douglas and Co., [1971] R.C.S. 562, 17 D.L.R. (3d) 710
distinction d'avec l'arrêt: Canadian Acceptance Corp. v. Regent Park Butcher Shop Ltd. (1969), 3 D.L.R. (3d) 304
arrêts mentionnés: Hadley v. Baxendale (1854), 9 Ex. 341, 156 E.R. 145
Victoria Laundry (Windsor) Ltd. v. Newman Industry Ltd., [1949] 2 K.B. 528, [1949] 1 All E.R. 997
Humphrey Motors Ltd. v. Ells, [1935] R.C.S. 249
Financings, Ltd. v. Baldock, [1963] 1 All E.R. 443
Buchanan v. Byrnes (1906), 3 C.L.R. 704
Hughes v. N.L.S. Pty. Ltd., [1966] W.A.R. 100
Pigott Construction Co. v. W. J. Crowe Ltd. (1961), 27 D.L.R. (2d) 258
Alkok v. Grymek, [1968] R.C.S. 452
Hongkong Fir Shipping Co. v. Kawasaki Kisen Kaisha Ltd., [1962] 2 Q.B. 26
Cehave N.V. v. Bremer Handelsgesellschaft m.b.H., the "Hansa Nord", [1976] Q.B. 44
Johnson v. Agnew, [1980] A.C. 367, [1979] 1 All E.R. 883
Moschi v. Lep Air Services Ltd., [1973] A.C. 331, [1972] 2 All E.R. 393
Red Deer College c. Michaels, [1976] 2 R.C.S. 324.
Lois et règlements cités
Conditional Sales Act, R.S.N.S. 1967, chap. 48, art. 1b)(ii).
Doctrine citée
Anson, Sir W. R. Anson's Law of Contrat, 26th ed. By A. G. Guest. Oxford: Clarendon Press, 1984.
Cheshire, G. C., C. H. S. Fifoot and M. P. Furmston. Law of Contract, 11th ed. 1986.
Halsbury's Laws of England, vol. 12, 4th ed. London: Butterworths, 1975.

Proposition de citation de la décision: Keneric Tractor Sales Ltd. c. Langille, [1987] 2 R.C.S. 440 (15 octobre 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-10-15;.1987..2.r.c.s..440 ?
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