La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

03/12/1987 | CANADA | N°[1987]_2_R.C.S._636

Canada | R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636 (3 décembre 1987)


R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636

Yvan Vaillancourt Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. vaillancourt

No du greffe: 18963.

1986: 10 décembre; 1987: 3 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

* Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1984)

, 31 C.C.C. (3d) 75, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé à l'encontre du verdict de culpabilité rendu contre lui relativeme...

R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636

Yvan Vaillancourt Appelant

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

et

Le procureur général de l'Ontario Intervenant

répertorié: r. c. vaillancourt

No du greffe: 18963.

1986: 10 décembre; 1987: 3 décembre.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey, McIntyre, Chouinard*, Lamer, Wilson, Le Dain et La Forest.

* Le juge Chouinard n'a pas pris part au jugement.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1984), 31 C.C.C. (3d) 75, qui a rejeté l'appel interjeté par l'accusé à l'encontre du verdict de culpabilité rendu contre lui relativement à une accusation de meurtre au deuxième degré. Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, le juge McIntyre est dissident.

Michel Marchand et Michael Brind'Amour, pour l'appelant.

Bernard Laprade et Jean‑François Dionne, pour l'intimée.

James K. Stewart, pour l'intervenant.

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges Estey, Lamer et Wilson rendu par

Le juge Lamer—

Introduction

1. Vaillancourt a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré à l'issue d'un procès tenu devant un juge et un jury à Montréal. Il a interjeté appel devant la Cour d'appel du Québec, où il a fait valoir que les directives que le juge a données au jury concernant l'effet conjugué de l'al. 213d) et du par. 21(2) du Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, étaient erronées. L'appel a été rejeté et la déclaration de culpabilité confirmée: (1984), 31 C.C.C. (3d) 75. En cette Cour, il attaque, en se fondant sur la Charte canadienne des droits et libertés, la constitutionnalité de l'al. 213d) pris isolément et conjugué avec le par. 21(2).

Les faits

2. Pour les fins du présent pourvoi, le ministère public ne conteste pas les faits exposés ci‑après.

3. L'appelant et son complice ont commis un vol à main armée dans une salle de billard. L'appelant était armé d'un couteau et son complice d'une arme à feu. Au cours du vol, l'appelant est resté près de l'entrée de la salle alors que le complice s'est rendu à l'arrière. Le complice en est venu aux mains avec un client. Un coup a été tiré et le client est mort. Le complice a pu s'échapper et on ne l'a jamais retrouvé. L'appelant a été arrêté sur les lieux du crime.

4. Au cours de son témoignage, l'appelant a affirmé que lui et son complice avaient convenu de commettre ce vol en étant armés de couteaux seulement. Le soir du vol, toutefois, le complice s'est présenté au lieu de rendez‑vous avec une arme à feu. L'appelant a dit qu'il s'était alors objecté car, au cours d'un vol à main armée antérieur, son arme s'était déchargée accidentellement, et il ne voulait pas que cela se reproduise. Il a tenu à ce que l'arme soit déchargée. Le complice a enlevé de l'arme à feu trois cartouches qu'il a remises à l'appelant. L'appelant est alors allé aux toilettes et a mis les cartouches dans son gant. La police a trouvé ce gant sur les lieux du crime et, au procès, on a conclu qu'il contenait trois cartouches. L'appelant a témoigné qu'au moment du vol il était certain que l'arme n'était pas chargée.

Les questions constitutionnelles

5. En cette Cour, les questions constitutionnelles suivantes ont été formulées:

1. L'alinéa 213d) du Code criminel est‑il incompatible avec les dispositions de l'art. 7 ou de l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés et, par conséquent, inopérant?

2. Si non, la combinaison de l'art. 21 et de l'al. 213d) du Code criminel est‑elle incompatible avec les dispositions de l'art. 7 ou de l'al. 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, et l'art. 21 du Code criminel est‑il, par conséquent, inopérant dans le cas d'une accusation fondée sur l'art. 213d) du Code criminel?

Le droit

Délimitation de la question en litige

6. L'appelant a formulé en des termes très généraux son attaque contre l'al. 213d) du Code. Il a fait valoir que, suivant les principes de justice fondamentale, le législateur ne peut imposer de responsabilité criminelle pour avoir provoqué un résultat particulier que s'il y a un certain degré de mens rea subjective à l'égard de ce résultat. Voilà une question fondamentale lourde de conséquences. Si le présent litige devait être décidé sur ce fondement, cela mettrait en doute la constitutionnalité d'un bon nombre de dispositions de notre Code criminel, en particulier l'al. 205(5)a), aux termes duquel causer la mort au moyen d'un acte illégal constitue un homicide coupable, et l'al. 212c), selon lequel la prévisibilité objective que la mort pourra être causée suffit, dans certaines circonstances, pour permettre une déclaration de culpabilité de meurtre.

7. L'appelant a toutefois été déclaré coupable d'une infraction à l'al. 213d) et la question constitutionnelle se limite à cette disposition. J'estime qu'une décision concernant la validité de l'al. 213d) peut se fonder sur des moyens un peu plus étroits. De plus, le procureur général du Canada a jugé bon de ne pas intervenir à l'appui de la constitutionnalité de l'al. 213d), qui est nettement menacée en l'espèce, alors qu'il serait peut‑être intervenu à l'appui des al. 205(5)a) et 212c) et d'autres dispositions semblables. Je m'efforcerai ainsi de ne pas faire de déclarations qui auront pour effet de préjuger, par voie d'opinion incidente, de questions qu'il conviendrait mieux d'aborder si jamais la constitutionnalité des autres dispositions était attaquée. Je constate cependant qu'il est presque impossible de formuler, au sujet de l'al. 213d), des observations qui n'auraient aucune incidence sur la validité du reste de l'art. 213 ou qui ne traduiraient pas jusqu'à un certain point mon opinion concernant l'al. 212c). Toutefois, la validité de ces dispositions et des al. a) à c) de l'art. 213 n'est pas en cause en l'espèce et j'essayerai de limiter mes observations à l'al. 213d).

8. L'appelant a aussi contesté l'effet conjugué du par. 21(2) et de l'al. 213d). Compte tenu de ma décision sur la validité de l'al. 213d) et vu l'importance du par. 21(2) ainsi que l'absence du procureur général du Canada, j'estime qu'il n'est ni nécessaire ni souhaitable de se prononcer sur le par. 21(2) en l'espèce.

L'analyse de l'al. 213d)

L'alinéa 213d) dans le contexte des dispositions relatives au meurtre

9. Il faut d'abord étudier l'al. 213d) dans le contexte des autres dispositions du Code relatives au meurtre afin d'en déterminer la nature et la portée véritables. Le meurtre est défini comme un homicide coupable commis dans les circonstances exposées aux art. 212 et 213 du Code. Les articles 212 et 213 traduisent une progression très intéressante en ce qui concerne l'état d'esprit dont on doit faire la preuve.

10. Le point de départ est le sous‑al. 212a)(i), dont voici le texte:

212. L'homicide coupable est un meurtre

a) lorsque la personne qui cause la mort d'un être humain

(i) a l'intention de causer sa mort,

Il est évident que cette disposition exige que l'accusé ait vraiment prévu subjectivement que la mort pourrait être causée, et qu'il ait eu l'intention de la causer. Sur le plan moral, c'est là l'état d'esprit le plus répréhensible dans notre système.

11. Il y a un léger assouplissement de cette exigence au sous‑al. 212a)(ii), qui dispose:

212. L'homicide coupable est un meurtre

a) lorsque la personne qui cause la mort d'un être humain

...

(ii) a l'intention de lui causer des lésions corporelles qu'elle sait être de nature à causer sa mort, et qu'il lui est indifférent que la mort s'ensuive ou non;

Là encore, l'accusé doit vraiment avoir prévu subjectivement que la mort pourrait être causée. Toutefois, le ministère public est tenu de prouver non plus qu'il avait l'intention de causer la mort, mais seulement qu'il lui était indifférent que la mort s'ensuive ou non. Soulignons en outre que l'application du sous‑al. 212a)(ii) se limite aux cas où l'accusé a eu l'intention de causer des lésions corporelles à la victime.

12. L'alinéa 212c) porte:

212. L'homicide coupable est un meurtre

...

c) lorsqu'une personne, pour une fin illégale, fait quelque chose qu'elle sait, ou devrait savoir, de nature à causer la mort et, conséquemment, cause la mort d'un être humain, même si elle désire atteindre son but sans causer la mort ou une lésion corporelle à qui que ce soit.

En partie, il s'agit là d'une forme plus générale d'insouciance et, ainsi, du prolongement logique du sous‑al. 212a)(ii) en ce sens que cette disposition s'applique lorsque la personne accusée "fait quelque chose qu'elle sait [. . .] de nature à causer la mort" (je souligne). Il y a cependant aussi un assouplissement encore plus grand en ce qui concerne l'élément moral requis pour qu'il y ait meurtre, puisqu'une personne accusée se rend aussi coupable de ce crime lorsqu'elle "fait quelque chose qu'elle [. . .] devrait savoir, de nature à causer la mort" (je souligne). Cela a donc pour effet d'éliminer l'exigence de prévision subjective réelle pour la remplacer par un critère de prévisibilité objective ou de négligence.

13. Le dernier assouplissement apporté à la définition de meurtre se trouve à l'art. 213:

213. L'homicide coupable est un meurtre lorsqu'une personne cause la mort d'un être humain pendant qu'elle commet ou tente de commettre une haute trahison, une trahison ou une infraction mentionnée aux articles 52 (sabotage), 76 (actes de piraterie), 76.1 (détournement d'aéronef), 132 ou au paragraphe 133(1) ou aux articles 134 à 136 (évasion ou délivrance d'une garde légale), 143 ou 145 (viol ou tentative de viol), 149 ou 156 (attentat à la pudeur), au paragraphe 246(2) (résistance à une arrestation légale), aux articles 247 (enlèvement et séquestration), 302 (vol qualifié), 306 (introduction par effraction) ou 389 ou 390 (crime d'incendie), qu'elle ait ou non l'intention de causer la mort d'un être humain et qu'elle sache ou non qu'il en résultera vraisemblablement la mort d'un être humain

a) si elle a l'intention de causer des lésions corporelles aux fins

(i) de faciliter la perpétration de l'infraction, ou

(ii) de faciliter sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l'infraction,

et que la mort résulte des lésions corporelles;

b) si elle administre un stupéfiant ou un soporifique à une fin mentionnée à l'alinéa a) et que la mort en résulte;

c) si, volontairement, elle arrête, par quelque moyen, la respiration d'un être humain à une fin mentionnée à l'alinéa a) et que la mort en résulte; ou

d) si elle emploie une arme ou l'a sur sa personne

(i) pendant ou alors qu'elle commet ou tente de commettre l'infraction, ou

(ii) au cours ou au moment de sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l'infraction,

et que la mort en soit la conséquence.

Suivant cette disposition, il y a meurtre dès lors que l'accusé cause la mort de la victime pendant qu'il commet ou tente de commettre l'une des infractions énumérées, et qu'il accomplit l'un des actes visés par les al. a) à d). La preuve que l'accusé a accompli l'un des actes visés par les al. a) à d) est substituée à la preuve de la prévision subjective ou même de la prévisibilité objective que la mort pourrait être causée.

14. Je tiens à ajouter qu'il semble y avoir un assouplissement encore plus grand de l'état d'esprit requis lorsque l'accusé est partie au meurtre en vertu du par. 21(2) du Code, comme c'est le cas en l'espèce. Toutefois, comme je l'ai dit, il suffit de traiter de l'al. 213d) pour statuer sur le présent pourvoi.

L'évolution historique de l'art. 213

15. Quoique la notion de l'homicide concomitant d'une infraction majeure (felony) existe depuis longtemps en common law, un bref examen de l'évolution historique de l'art. 213 soulève des doutes sur la légitimité de cette notion.

16. À l'origine du droit criminel anglais, le terme murdrum ou meurtre désignait un homicide secret ou l'homicide perpétré par un Anglais contre un Danois ou, plus tard, un Normand, et l'amende imposée au township où l'homicide avait été commis. Dès le commencement du XIVe siècle, on avait abandonné les amendes et le meurtre était devenu le terme employé pour décrire les pires formes d'homicide. On a par la suite adopté l'expression "malice aforethought" (malice intentionnelle) pour distinguer le meurtre de l'homicide involontaire coupable qui englobait tous les homicides coupables autres que le meurtre. La malice intentionnelle ne se limitait pas à son sens littéral et manifeste de préméditation, mais on concluait à son existence chaque fois que l'homicide était commis de propos délibéré ou avec insouciance. Dans ces cas, il y avait malice et c'était la préméditation qui était présumée par la loi.

17. Coke est allé encore plus loin et a supposé qu'il y avait à la fois malice et préméditation dans les cas où la mort était causée au cours de la perpétration d'un acte illégal. Voici ce qu'il a écrit dans The Third Part of the Institutes of the Laws of England (London: W. Clarke & Sons, 1817), à la p. 56:

[TRADUCTION] Illégal — Si l'acte est illégal, il y a meurtre. Par exemple, si A, dans l'intention de voler un cerf dans le parc de B, tire sur le cerf et que la flèche, faisant ricochet, tue un garçon caché dans un arbrisseau, il s'agit d'un meurtre car l'acte était illégal, même si A ne voulait aucun mal au garçon et ignorait sa présence. Mais si B, le propriétaire du parc, avait tiré sur son propre cerf et, sans mauvaise intention, avait tué le garçon par le ricochet de sa flèche, il se serait agi d'un homicide accidentel et non d'une infraction majeure.

De même, si, sans mauvaise intention, on tire sur du gibier à plumes dans un arbre et que la flèche tue un être humain qui se trouve plus loin, il s'agit d'un homicide per infortunium, car il n'était pas illégal de tirer sur le gibier; mais si la même personne avait tiré sur un coq ou une poule ou sur tout autre oiseau domestique appartenant à autrui, et que la flèche eût par malheur tué un homme, il se serait agi d'un meurtre car l'acte était illégal.

18. La règle de l'homicide concomitant d'un acte illégal énoncée par Coke a été beaucoup critiquée. Stephen a démontré que l'affirmation de Coke n'était pas appuyée par la jurisprudence citée (A History of the Criminal Law of England (1883), vol. 3, aux pp. 57 et 58). De plus, un auteur a laissé entendre dernièrement que la déclaration de Coke n'était qu'un "lapsus" et que Coke avait voulu dire que l'homicide accidentel résultant d'un acte illégal était un homicide involontaire coupable (voir D. Lanham, "Felony Murder—Ancient and Modern" (1983), 7 Crim. L.J. 90, aux pp. 92 à 94). D'autres auteurs (Dalton, Countrey Justice (1619), aux pp. 225 et 226, et Hale, History of the Pleas of the Crown (1736), vol. 1, à la p. 475) et décisions du XVIIe siècle (Sir John Chichester's Case (1647), Aleyn 12, 82 E.R. 888, et Hull's Case (1664), Kelyng, J. 40) ont écarté la règle de l'homicide concomitant d'un acte illégal formulée par Coke. Malgré tout cela, le principe de Coke semble avoir été retenu par la doctrine et la jurisprudence du XVIIIe siècle qui n'ont fait que limiter son application aux homicides commis au cours de la perpétration d'infractions majeures (voir R. v. Plummer (1702), Kelyng, J. 109, 84 E.R. 1103, à la p. 1107; Hawkins, Pleas of the Crown (1716), vol. 1, chap. 29, art. 11; R. v. Woodburne and Coke (1722), 16 St. Tr. 53; Foster, Crown Law (1762), à la p. 258; East, Pleas of the Crown (1803), vol. 1, à la p. 255). Bien entendu, à cette époque, l'infraction majeure sous‑jacente et le meurtre entraînaient tous les deux la peine capitale, de sorte qu'il importait peu sur le plan pratique que l'homicide commis au cours de la perpétration d'une infraction majeure soit défini comme un meurtre.

19. Au XIXe siècle, la règle de l'homicide concomitant d'une infraction majeure était acceptée comme faisant partie intégrante de la common law (voir Stephen's Digest of the Criminal Law (9th ed. 1950), art. 264c)). La règle a toutefois été sévèrement critiquée par Stephen, qui l'a qualifiée de "cruelle" et "monstrueuse" (A History of the Criminal Law of England, précité, à la p. 75).

20. En dépit des origines douteuses de la règle et des critiques qui ont suivi, l'art. 175 de l'English Draft Code de 1879 comprenait une forme limitée d'homicide concomitant d'une infraction majeure qui a été reprise, par la suite, dans le premier Code criminel canadien en 1892. Des modifications ultérieures ont élargi la portée de cette disposition qui constitue aujourd'hui l'art. 213. La portée de cet article est plus restreinte que celle de la règle de common law, en ce sens qu'il vise uniquement les décès causés lors de la perpétration de certaines infractions énumérées et qu'il exige que l'accusé ait commis l'un des actes mentionnés aux al. a) à d).

21. L'article 213 et les dispositions du Code qui l'ont précédé font depuis longtemps l'objet de critiques de la part des auteurs de doctrine (voir J. Willis, "Case and Comment" (1951), 29 R. du B. can. 784, aux pp. 794 à 796; J. Ll. J. Edwards, "Constructive Murder in Canadian and English Law" (1961), 3 Crim. L.Q. 481, aux pp. 506 à 509; A. Hooper, "Some Anomalies and Developments in the Law of Homicide" (1967), 3 U.B.C. L. Rev. 55, aux pp. 75 à 77; P. Burns et R. S. Reid, "From Felony Murder to Accomplice Felony Attempted Murder: The Rake's Progress Compleat?" (1977), 55 R. du B. can. 75, aux pp. 103 à 105; G. Parker, An Introduction to Criminal Law (1977), aux pp. 145 à 148; D. Stuart, Canadian Criminal Law (1982), aux pp. 222 à 225; I. Grant et A. W. MacKay, "Constructive Murder and the Charter: In Search of Principle" (1987), 25 Alta. L. Rev. 129; cf. A. W. Mewett et M. Manning, Criminal Law (2nd ed. 1985), à la p. 545). Les tribunaux l'ont également critiqué. Dans l'arrêt R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124, le juge Dickson, alors juge puîné, a écrit que l'art. 213 semblait cruel (p. 130). Dans l'arrêt R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225, portant sur la mens rea en matière de tentative de meurtre, le juge McIntyre écrit, aux pp. 250 et 251:

On a prétendu, et on a laissé entendre dans certains arrêts et ouvrages sur la question, qu'il est illogique d'exiger une mens rea d'un degré plus élevé dans le cas d'une tentative de meurtre alors qu'on accepte une mens rea d'un degré moindre équivalant à l'insouciance dans le cas d'un meurtre. À mon avis, cet argument n'est pas fondé. L'intention de tuer est l'intention la plus grave en matière de meurtre et il n'y a aucune raison logique pour laquelle une tentative de meurtre, qui vise la réalisation du crime complet de meurtre, devrait comporter une intention moindre. Tout illogisme dans la présente affaire réside dans le fait que le Code qualifie de meurtre l'homicide involontaire. [Je souligne.]

22. Finalement, la Commission de réforme du droit du Canada a critiqué l'art. 213 dans le document de travail 33 intitulé L'homicide (1984), aux pp. 53 à 57, et a écarté la notion de meurtre par imputation de son projet de code pénal (Pour une nouvelle codification du droit pénal (1986), rapport 30, par. 6(3), à la p. 62).

Les autres ressorts et l'homicide concomitant d'une infraction majeure

23. L'homicide concomitant d'une infraction majeure est un concept propre à la common law qui paraît inconnu à l'extérieur d'un petit nombre de ressorts de common law et, même dans ces ressorts‑là, il n'a pas été très bien reçu. Au Royaume‑Uni, son pays d'origine, la règle a été abolie par l'Homicide Act, 1957, 5 & 6 Eliz. 2, chap. 11 (R.‑U.) Quoiqu'elle soit encore assez répandue aux États‑Unis, on dit que cette règle est sur son déclin (R. M. Perkins et R. N. Boyce, Criminal Law (3rd ed. 1982), à la p. 70). Dans plusieurs États, la règle a été abolie soit par le législateur soit par les tribunaux (voir People v. Aaron, 299 N.W.2d 304 (Mich. 1980), State v. Doucette, 470 A.2d 676 (Vt. 1983)), et dans d'autres, le meurtre a été réduit à l'homicide involontaire coupable. De plus, les tribunaux et les législateurs ont restreint la portée de la règle de common law en limitant les infractions majeures auxquelles elle s'applique, en exigeant qu'il y ait un certain degré de mens rea relativement à la mort causée, en établissant des moyens de défense positifs ou en limitant les peines pouvant être imposées. La règle existe également en Nouvelle‑Zélande et dans certains États de l'Australie, mais sa portée est plus restreinte et son abolition a été recommandée dans certains ressorts.

L'alinéa 213d) et la Charte

24. Le présent pourvoi fait intervenir deux principes de justice fondamentale.

Le premier principe: les éléments essentiels de certains crimes et l'art. 7 de la Charte

25. Avant l'adoption de la Charte, le Parlement avait pleins pouvoirs législatifs en matière de "droit criminel" (Loi constitutionnelle de 1867, par. 91(27)), y compris en ce qui concerne la détermination des éléments essentiels d'un crime donné. Il pouvait interdire tout acte et imposer n'importe quelle sanction pour la violation de l'interdiction, à la condition seulement que cette dernière ait été établie dans [TRADUCTION] "un but de nature publique qui permettrait de la rattacher au droit pénal" (Reference re Validity of s. 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, à la p. 50; pourvoi devant le Conseil privé rejeté, [1951] A.C. 179). Du moment qu'ils concluaient qu'une loi satisfaisait à ce critère, les tribunaux n'avaient qu'un pouvoir très restreint d'examiner le contenu de cette loi. Par exemple, dans l'arrêt R. c. Corporation de la ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299, le juge Dickson, alors juge puîné, a conclu que, lorsqu'une infraction est criminelle au sens véritable, il y a une présomption que la poursuite doit prouver la mens rea. Cependant, il était toujours loisible au législateur de dégager expressément la poursuite de son obligation d'établir l'existence d'un élément de la mens rea, comme on dit qu'il l'a fait à l'art. 213 du Code relativement à la prévisibilité de la mort de la victime. Il est donc évident qu'avant l'adoption de la Charte, on n'aurait pu contester avec succès la validité de l'art. 213 du Code.

26. Toutefois, les législateurs fédéral et provinciaux ont choisi de limiter, au moyen de la Charte, ce pouvoir en matière de droit criminel. Suivant l'art. 7, si une déclaration de culpabilité, en raison soit des stigmates qui se rattachent à l'infraction soit des peines qui peuvent être imposées, porte atteinte au droit de l'accusé à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, le législateur doit alors respecter les principes de justice fondamentale. On a soutenu que les principes de justice fondamentale visés par l'art. 7 ne sont que des garanties en matière de procédure. Toutefois, dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, la Cour a rejeté cet argument et s'est servie de l'art. 7 pour examiner le contenu de la loi en cause. Par conséquent, quoique le législateur conserve la faculté de définir les éléments d'un crime, les tribunaux ont maintenant le pouvoir et, qui plus est, le devoir, quand on leur en fait la demande, d'examiner cette définition afin de s'assurer qu'elle est conforme aux principes de justice fondamentale.

27. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., la Cour établit que la responsabilité absolue viole les principes de justice fondamentale, de sorte que la combinaison de la responsabilité absolue et de l'atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne a pour effet de restreindre les droits conférés par l'art. 7 et viole donc à première vue cet article. En fait, dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., on reconnaît que dans tous les cas où l'État recourt à la restriction de la liberté, comme l'emprisonnement, pour assurer le respect de la loi, même si, comme dans ce renvoi, il ne s'agit que d'une simple infraction à une réglementation provinciale, la justice fondamentale exige que la présence d'un état d'esprit minimal chez l'accusé constitue un élément essentiel de l'infraction. De l'élément présumé qu'elle était dans l'arrêt Sault Ste‑Marie, précité, la mens rea est ainsi devenue un élément requis par la Constitution. Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., on ne précise pas le degré de mens rea qu'exige la Constitution pour chaque type d'infraction, mais on établit indirectement que, même dans le cas d'une infraction à une réglementation provinciale, la négligence est au moins requise, en ce sens que l'accusé qui risque d'être condamné à l'emprisonnement s'il est déclaré coupable doit toujours pouvoir au moins invoquer un moyen de défense fondé sur la diligence raisonnable. Dans l'arrêt Sault Ste‑Marie, le juge Dickson affirme, aux pp. 1309 et 1310:

Dans le cas d'une infraction criminelle, le ministère public doit établir un élément moral, savoir, que l'accusé qui a commis l'acte prohibé l'a fait intentionnellement ou sans se soucier des conséquences, en étant conscient des faits constituant l'infraction ou en refusant volontairement de les envisager. L'élément moral exigé pour qu'il y ait condamnation exclut la simple négligence. Dans le contexte d'une poursuite criminelle, est innocente aux yeux de la loi la personne qui néglige de demander les renseignements dont s'enquerrait quelqu'un de raisonnable et de prudent ou qui ne connaît pas des faits qu'elle devrait connaître.

Il se peut bien qu'en règle générale les principes de justice fondamentale exigent la preuve d'une mens rea subjective à l'égard de l'acte prohibé, afin d'éviter de punir "celui qui est moralement innocent". Il faut toutefois se rappeler que le juge Dickson traitait alors de la mens rea dont il faut présumer l'existence en l'absence d'une disposition législative expresse et non pas de la mens rea qu'il faut exiger dans tout texte législatif imposant une restriction à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne de l'accusé. Quoi qu'il en soit, dans la présente affaire il est question d'une responsabilité criminelle pour le résultat d'un acte criminel intentionnel et on peut faire valoir que des considérations différentes devraient s'appliquer à l'élément moral requis en ce qui concerne ce résultat. De nombreuses dispositions du Code n'exigent que la prévisibilité objective du résultat ou même seulement l'existence d'un lien de causalité entre l'acte et le résultat. Comme je préférerais en l'espèce éviter de mettre en doute la validité de telles dispositions, je vais présumer, mais pour les fins du présent pourvoi seulement, qu'en général un état d'esprit moindre que la prévision subjective du résultat peut parfois suffire pour entraîner la responsabilité criminelle de celui qui a provoqué ce résultat au moyen d'une conduite criminelle intentionnelle.

28. Cependant, quelle que soit la mens rea minimale requise pour l'acte ou le résultat, il existe, quoiqu'ils soient très peu nombreux, des crimes pour lesquels, en raison de la nature spéciale des stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité de ceux‑ci ou des peines qui peuvent être imposées le cas échéant, les principes de justice fondamentale commandent une mens rea qui reflète la nature particulière du crime en question. Tel est le cas du vol dont, selon moi, on ne peut être déclaré coupable que s'il y a preuve d'une certaine malhonnêteté. Le meurtre en est un autre exemple. La peine imposée pour le meurtre est la plus sévère que l'on trouve dans notre société et les stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité de meurtre sont tout aussi extrêmes. En outre, le meurtre ne se distingue de l'homicide involontaire coupable que par l'élément moral concernant la mort. Il est ainsi évident qu'il doit exister quelque élément moral spécial concernant la mort pour qu'un homicide coupable puisse être considéré comme un meurtre. Cet élément moral spécial engendre la réprobation morale qui justifie les stigmates et la sentence liés à une déclaration de culpabilité de meurtre. Je suis présentement d'avis qu'en vertu d'un principe de justice fondamentale la déclaration de culpabilité de meurtre ne saurait reposer sur quelque chose de moins que la preuve hors de tout doute raisonnable de la prévision subjective. Compte tenu de l'effet de ce point de vue sur une partie de l'al. 212c), pour les raisons que j'ai déjà données pour trancher cette affaire de façon plus étroite, il ne m'est pas nécessaire, et je m'abstiendrai de le faire, de fonder sur ce point de vue ma conclusion que l'al. 213d) viole la Charte, puisque l'al. 213d), pour les motifs énoncés ci‑après, ne satisfait même pas au critère moindre de la prévisibilité objective. Par conséquent, je me contenterai de dire, pour les seules fins du présent pourvoi, que c'est un principe de justice fondamentale qu'en l'absence d'une preuve hors de tout doute raisonnable d'au moins une prévisibilité objective, il ne peut sûrement pas y avoir de déclaration de culpabilité de meurtre.

Le second principe: l'al. 11d) et la charge de persuasion

29. La présomption d'innocence de l'al. 11d) de la Charte exige au moins que l'accusé soit présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie hors de tout doute raisonnable: Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, à la p. 357, R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux pp. 120 et 121. Cela signifie que, pour qu'un accusé soit déclaré coupable d'une infraction, le juge des faits doit être convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de tous les éléments essentiels de l'infraction. Ces éléments essentiels comprennent non seulement ceux énoncés par le législateur dans la disposition qui crée l'infraction, mais également ceux requis par l'art. 7 de la Charte. Toute disposition créant une infraction qui permet de déclarer un accusé coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à un élément essentiel porte atteinte à l'art. 7 et à l'al. 11d).

30. Manifestement, c'est le cas d'une disposition qui exige que l'accusé démontre, selon la prépondérance des probabilités, l'inexistence d'un élément essentiel de l'infraction en l'obligeant à soulever plus qu'un simple doute raisonnable. C'est pour ce motif que, dans l'arrêt Oakes, précité, la Cour a annulé la disposition portant inversion de la charge de la preuve, contenue à l'art. 8 de la Loi sur les stupéfiants, S.R.C. 1970, chap. N‑1.

31. Il y a aussi atteinte à l'art. 7 et à l'al. 11d) lorsque la définition légale de l'infraction n'inclut pas un élément requis en vertu de l'art. 7. Comme l'affirme le juge en chef Dickson, au nom de la Cour à la majorité, dans l'arrêt Oakes, précité, aux pp. 132 et 133:

Je crois que, d'une manière générale, on doit conclure qu'une disposition qui oblige un accusé à démontrer selon la prépondérance des probabilités l'inexistence d'un fait présumé qui constitue un élément important de l'infraction en question, porte atteinte à la présomption d'innocence de l'al. 11d). S'il incombe à l'accusé de réfuter selon la prépondérance des probabilités un élément essentiel d'une infraction, une déclaration de culpabilité pourrait être prononcée en dépit de l'existence d'un doute raisonnable. Cela se présenterait si l'accusé produisait une preuve suffisante pour soulever un doute raisonnable quant à sa culpabilité, mais ne parvenait pas à convaincre le jury selon la prépondérance des probabilités que le fait présumé est inexact. [Je souligne.]

Il ressort clairement de ce passage que ce qui contrevient à la présomption d'innocence, c'est le fait qu'un accusé peut être déclaré coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l'infraction, et je ne crois pas qu'il importe que cela résulte de l'existence d'une disposition portant inversion de la charge de la preuve ou de l'élimination de la nécessité de faire la preuve d'un élément essentiel. Malgré tout le respect que je lui dois, la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse était donc nettement dans l'erreur lorsqu'elle a déclaré ce qui suit dans l'arrêt R. v. Bezanson (1983), 8 C.C.C. (3d) 493, à la p. 508:

[TRADUCTION] À mon avis, le législateur n'a pas tenté d'inverser la charge de la preuve à l'art. 213, et l'al. 11d) de la Charte ne s'applique pas. Le législateur n'a pas inversé la charge de la preuve, il a simplement omis d'inclure ce qui, selon l'appelante, constitue un élément essentiel dans la définition de l'infraction de sorte qu'aucune preuve n'a à être soumise à ce sujet.

L'omission d'un élément essentiel fait entrer en jeu l'al. 11d).

32. Enfin, au lieu d'éliminer simplement la nécessité de faire la preuve d'un élément essentiel, le législateur peut remplacer cela par la preuve d'un élément différent. À mon sens, cela ne sera constitutionnel que si après que l'on a prouvé hors de tout doute raisonnable l'existence de l'élément ainsi substitué, il serait déraisonnable que le juge des faits ne soit pas convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de l'élément essentiel. Si le juge des faits peut avoir un doute raisonnable quant à l'élément essentiel malgré la preuve hors de tout doute raisonnable qui a été faite de l'existence de l'élément substitué, alors la substitution contrevient à l'art. 7 et à l'al. 11d).

33. Compte tenu du premier principe que j'ai déjà énoncé et de l'hypothèse que j'ai formulée, pour les seules fins de trancher le présent pourvoi, quant à la prévisibilité objective, un accusé ne peut être déclaré coupable de meurtre en l'absence d'une preuve hors de tout doute raisonnable de cet élément, et une disposition relative au meurtre qui permet de déclarer une personne coupable en l'absence de la preuve hors de tout doute raisonnable d'au moins cet élément essentiel contrevient à l'art. 7 et à l'al. 11d).

Application des principes à l'art. 213

34. La mens rea requise dans le cas de l'art. 213 est celle requise pour l'infraction sous‑jacente et l'intention de commettre l'un des actes énoncés aux al. a) à d) (Swietlinski c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 956). L'article 213 n'impose pas à l'accusé la charge de prouver l'inexistence de la prévisibilité objective. En outre, il n'exclut pas complètement la nécessité de faire la preuve d'une prévisibilité objective. Plutôt, l'art. 213 a substitué à la preuve hors de tout doute raisonnable de la prévisibilité objective, à supposer que ce soit là l'élément essentiel, la preuve hors de tout doute raisonnable de certains types de conduite intentionnelle dangereuse causant la mort.

35. La question qui se pose est donc de savoir si le législateur peut effectuer cette substitution sans violer l'art. 7 et l'al. 11d). Comme je l'ai dit antérieurement, si le législateur formule la disposition de manière que, une fois établie l'existence de la conduite, il serait déraisonnable que le jury ne conclue pas hors de tout doute raisonnable que l'accusé aurait dû savoir que la mort était susceptible de s'ensuivre, alors j'estime qu'il crée un crime dont la prévisibilité objective constitue un élément essentiel et, si cette prévisibilité objective est suffisante, alors il ne viole pas l'art. 7 ni l'al. 11d) en le faisant de cette manière. L'épreuve décisive de la constitutionnalité de l'art. 213 réside dans cette question ultime: Une déclaration de culpabilité de meurtre aux termes de l'art. 213 pourrait‑elle être prononcée même si le jury avait un doute raisonnable pour ce qui est de déterminer si l'accusé aurait dû savoir que la mort était susceptible de s'ensuivre? Si la réponse est oui, alors la disposition viole à première vue l'art. 7 et l'al. 11d). J'ajouterais en passant que si la réponse est non, alors il serait nécessaire de déterminer si la prévisibilité objective est suffisante pour déclarer quelqu'un coupable de meurtre. Toutefois, parce que j'estime que la réponse est oui et parce que je ne veux pas examiner la constitutionnalité de l'al. 212c) en l'espèce, je n'aborderai pas cette question.

36. On peut dire que, dans presque tous les cas, le jury convaincu hors de tout doute raisonnable qu'un accusé a accompli l'un des actes décrits aux al. a) à d) sera convaincu hors de tout doute raisonnable que l'accusé aurait dû savoir que la mort était susceptible de s'ensuivre. Mais cela ne vaut pas pour tous les cas. En fait, comme premier exemple, l'ivresse aurait pour effet, dans certaines circonstances, de laisser planer un doute dans l'esprit du jury à cet égard. La règle applicable quant à l'effet de l'ivresse sur la prévisibilité objective a été énoncée par la Cour à l'unanimité dans R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469, une affaire de poursuite pour meurtre intentée en vertu de l'al. 212c). La Cour a examiné cette question assez longuement pour ensuite résumer ainsi sa conclusion (le juge Lamer, aux pp. 500 et 501):

(5) Bien que le critère applicable à l'al. 212c) soit objectif et que le comportement de l'accusé doive être apprécié par rapport à celui d'une personne raisonnable, il faut toutefois appliquer ce critère en tenant compte, non pas de la connaissance qu'une personne raisonnable aurait des circonstances concomitantes qui ont, selon l'accusation, rendu le comportement de l'accusé dangereux pour la vie, mais de la connaissance que l'accusé avait de ces circonstances;

(6) En conséquence, bien que l'ivresse ne soit pas pertinente pour déterminer ce qu'une personne raisonnable, ayant la même connaissance que l'accusé de ces circonstances, aurait prévu, elle est pertinente pour déterminer la connaissance que l'accusé avait de ces circonstances.

Il me semble clair que, selon le texte de l'art. 213, il y aura des cas où, en raison de l'effet de l'ivresse de l'accusé sur sa connaissance des circonstances, le jury aura un doute raisonnable pour ce qui est de déterminer si l'accusé aurait dû savoir que la mort était susceptible de s'ensuivre, même s'il a été prouvé hors de tout doute raisonnable que l'accusé a vraiment accompli l'un des actes décrits aux al. a) à d).

37. Un second exemple, et la présente affaire illustre très bien ce point, est celui de la personne qui est accusée en vertu de l'art. 213 non pas à titre d'auteur principal, mais par application du par. 21(2) du Code criminel. Dans R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638, cette Cour a eu l'occasion d'examiner l'effet conjugué du par. 21(2) et de l'art. 213 (l'art. 202 à l'époque). Le juge en chef Cartwright, prononçant l'arrêt de la Cour, affirme aux pp. 645 et 646:

Au risque de me répéter, je suis d'avis que selon l'interprétation correcte des art. 202 et 21(2) dans leur application aux circonstances de cette affaire, il fallait, pour étayer un verdict de culpabilité contre l'intimé, que la poursuite établisse: (i) que c'était en fait une conséquence probable de l'exécution du projet commun de l'intimé et de Frank de détrousser Mme Vollet que, pour faciliter la perpétration de ce vol qualifié, Frank causerait intentionnellement des lésions corporelles à Mme Vollet; (ii) que l'intimé savait ou aurait dû savoir qu'une telle conséquence était probable; et (iii) qu'en fait la mort de Mme Vollet a résulté des lésions corporelles. Il n'était pas nécessaire que la poursuite établisse que l'intimé savait ou aurait dû savoir que la mort de Mme Vollet en résulterait probablement. [Je souligne.]

Il est clair qu'un accusé peut être déclaré coupable de meurtre par application conjuguée du par. 21(2) et de l'art. 213, dans des circonstances où la mort n'était pas prévisible objectivement. Comme le par. 21(2) exige la preuve de la prévisibilité objective, j'estime que le problème qui se pose se situe au niveau de l'art. 213.

38. Ces deux exemples sont, à mon avis, suffisants pour conclure que, nonobstant la preuve hors de tout doute raisonnable des choses énoncées aux al. a) à d), un jury pourrait raisonnablement être laissé dans le doute en ce qui concerne la prévisibilité objective que la mort serait susceptible de s'ensuivre. En d'autres termes, l'art. 213 s'appliquera à un accusé qui accomplit l'un des actes décrits aux al. a) à d) et qui cause, de ce fait, la mort mais qui, par ailleurs, aurait été acquitté de l'accusation de meurtre parce qu'il n'a pas prévu et ne pouvait raisonnablement prévoir que la mort serait susceptible de résulter. C'est pour cette raison que l'art. 213 viole à première vue l'art. 7 et l'al. 11d). Il n'est donc pas nécessaire de déterminer si la prévisibilité objective est suffisante dans le cas d'un meurtre, étant donné que l'art. 213 ne satisfait même pas à cette norme. Ceci nous amène à l'article premier pour la seconde phase de l'examen de la constitutionnalité.

L'article premier

39. La conclusion que l'art. 213 du Code enfreint l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte ne met pas fin à l'examen de la constitutionnalité de l'art. 213. Il est encore possible de juger valides l'un ou l'autre ou la totalité des al. a) à d) de l'art. 213, comme constituant une limite raisonnable "dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique", au sens de l'article premier de la Charte.

40. En l'espèce et à ce stade de l'examen, nous n'avons qu'à tenir compte de l'al. 213d). Les critères à retenir aux fins de l'article premier ont été énoncés par cette Cour dans plusieurs arrêts, notamment R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, et R. c. Oakes, précité. Il faut d'abord que l'objectif que les mesures sont destinées à atteindre soit "suffisamment important [. . .] pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution" (Big M Drug Mart, précité, à la p. 352). Le législateur a voulu, au moyen de l'al. 213d) du Code, dissuader d'utiliser une arme ou d'en être muni lors de la perpétration de certaines infractions, en raison du risque accru de causer la mort. À mon avis, il est évident qu'il s'agit là d'un objectif suffisamment important.

41. De plus, les mesures adoptées doivent être raisonnables et leur justification doit pouvoir se démontrer. Il semble y avoir un lien rationnel entre ces mesures et l'objectif visé: on pourrait bien penser que le fait de punir indistinctement pour meurtre toutes les personnes qui causent la mort d'une autre personne en utilisant une arme ou en étant munies d'une telle arme, peu importe que la mort ait été causée délibérément ou accidentellement, a pour effet de dissuader d'utiliser une arme ou d'en être muni. J'estime cependant que les mesures adoptées porteraient indûment atteinte aux droits et aux libertés en question (voir Big M Drug Mart, précité, à la p. 352). Il n'est pas nécessaire, pour dissuader d'autres personnes de se servir d'armes ou d'en être munies, de déclarer coupables de meurtre des personnes qui n'ont pas voulu ni prévu causer la mort et qui n'auraient même pas pu prévoir qu'elle résulterait. Si le législateur souhaite dissuader les gens d'utiliser une arme ou d'en être munis, il devrait punir l'usage ou le port d'une arme. Un bon exemple de cela est la peine d'emprisonnement minimale que prescrit l'art. 83 du Code criminel pour l'usage d'une arme à feu lors de la perpétration d'un acte criminel. De toute façon, l'accusé qui serait déclaré coupable d'homicide involontaire coupable au lieu de meurtre serait passible d'une peine pouvant aller d'une journée de prison à la réclusion à perpétuité dans un pénitencier. L'imposition de sentences très sévères dans les cas où une arme a été utilisée en perpétrant le crime d'homicide involontaire coupable dissuaderait suffisamment d'utiliser une arme ou d'en être muni lors de la perpétration d'un crime. Mais le fait de qualifier ce crime de meurtre porte atteinte inutilement au droit conféré par la Charte.

42. J'estime donc que l'al. 213d) du Code n'est pas sauvegardé par l'article premier.

Conclusion

43. Compte tenu de ce qui précède, je suis d'avis de répondre par l'affirmative à la première question constitutionnelle, vu que l'al. 213d) viole à la fois l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte, et de déclarer inopérant l'al. 213d) du Code criminel. Pour les raisons que j'ai données, je m'abstiens de répondre à la seconde question constitutionnelle. Il s'ensuit qu'il faut accueillir le pourvoi, annuler le verdict de culpabilité de meurtre rendu contre l'appelant et ordonner la tenue d'un nouveau procès.

Version française des motifs des juges Beetz et Le Dain rendus par

44. Le juge Beetz—Pour les raisons données par les juges Lamer et La Forest, je suis d'accord pour dire que l'al. 213d) du Code criminel n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale enchâssés dans la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il ne peut être sauvegardé en vertu de l'article premier. Je suis également d'accord avec le juge Lamer pour dire que l'al. 213d) du Code viole l'al. 11d) de la Charte et qu'il ne saurait être justifié en vertu de l'article premier de la Charte.

45. Étant donné ces conclusions, je ne juge pas nécessaire de déterminer s'il existe un principe de justice fondamentale portant qu'une déclaration de culpabilité de meurtre ne saurait reposer sur quelque chose de moins que la preuve hors de tout doute raisonnable d'une prévision subjective.

46. Je suis d'avis de statuer sur le pourvoi de la manière proposée par le juge Lamer et de donner la même réponse que lui à la première question constitutionnelle. Je suis également d'avis de ne pas répondre à la seconde question constitutionnelle.

Version française des motifs rendus par

47. Le juge McIntyre (dissident)—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement que mon collègue le juge Lamer a rédigés en l'espèce. Je suis incapable d'accepter la manière dont il tranche le pourvoi et, en toute déférence pour son opinion sur la question, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre par la négative aux deux questions constitutionnelles.

48. Mon collègue a exposé les faits de l'affaire. Point n'est besoin de les répéter ici. Il ressort également de ses motifs que, sous réserve de la Charte canadienne des droits et libertés, il est d'accord pour dire que l'appelant serait à juste titre déclaré coupable de meurtre en vertu de l'effet conjugué du par. 21(2) et de l'al. 213d) du Code criminel. Il est d'avis d'accueillir le pourvoi essentiellement pour le motif que la déclaration de culpabilité de meurtre qui porte atteinte au droit de l'accusé à la liberté ou à la sécurité de sa personne ne peut être maintenue que si, conformément aux termes de l'art. 7 de la Charte, elle respecte les principes de justice fondamentale. Bien que le législateur ait le pouvoir de définir les éléments d'un crime, les tribunaux, à son avis, doivent maintenant examiner cette définition pour s'assurer qu'elle est conforme aux principes de justice fondamentale. Suivant ces principes, il ne peut y avoir de déclaration de culpabilité de meurtre sans preuve d'une mens rea consistant en au moins une prévisibilité objective de la mort. Cette prévisibilité n'est pas une exigence nécessaire en vertu de l'al. 213d) du Code.

49. Je ne suis pas disposé à faire mienne la thèse selon laquelle l'al. 213d) du Code criminel permet qu'il y ait déclaration de culpabilité de meurtre sans preuve d'une prévisibilité objective que la mort serait causée ou pourrait l'être, mais, compte tenu du point de vue que j'adopte en l'espèce, il n'est pas nécessaire de tirer une conclusion définitive sur ce point. La poursuite a demandé que Vaillancourt soit déclaré coupable en vertu de l'interaction du par. 21(2) et de l'al. 213d) du Code. Pour réussir, la poursuite doit prouver que l'accusé et une autre personne ont formé l'intention commune de réaliser un objectif illégal et de s'entraider pour y arriver. Dans les circonstances de l'espèce, la poursuite doit en outre prouver que l'appelant savait ou aurait dû savoir que son complice était armé d'un pistolet et que, si nécessaire, il l'utiliserait pendant qu'il commettrait ou tenterait de commettre l'infraction, ou au cours de sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l'infraction, et que la mort d'une personne en a été la conséquence: voir l'arrêt R. v. Munro and Munro (1983), 8 C.C.C. (3d) 260 (le juge Martin), à la p. 301, et l'arrêt de cette Cour antérieur à la Charte, R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638.

50. Il faut reconnaître dès le départ que le législateur a décidé que la possession et l'usage d'une arme, en particulier d'une arme à feu, pendant la perpétration d'une infraction sont des facteurs très aggravants. L'expérience a démontré que la présence d'armes à feu entraîne des blessures corporelles et des pertes de vie. Le législateur a choisi d'appeler "meurtre" l'homicide commis dans les circonstances décrites en l'espèce. Dans l'arrêt R. v. Munro and Munro, précité, le juge Martin, s'exprimant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario (les juges Arnup, Martin et Houlden), affirme à la p. 293:

[TRADUCTION] En vertu des dispositions de l'al. 213d), l'accusé est coupable de meurtre si la mort est la conséquence de l'usage de l'arme ou de la possession d'une arme qu'il a sur sa personne. L'alinéa 213d) est manifestement très strict, mais il est également évident que le législateur a voulu créer un motif strict de responsabilité lorsque la mort découle de l'usage ou de la possession d'une arme que le contrevenant a sur sa personne pendant qu'il commet ou tente de commettre certaines infractions ou au cours de sa fuite après avoir commis ou tenté de commettre l'infraction. Il est évident que le législateur a voulu décourager fortement le port d'armes pendant la perpétration de certains crimes à cause du danger élevé qui, l'expérience le démontre, en résulte pour la vie.

51. L'argument principal en l'espèce n'est pas que l'accusé n'aurait pas dû être déclaré coupable d'un crime grave qui mérite une peine sévère, mais simplement que le législateur n'aurait pas dû choisir d'appeler ce crime un "meurtre". On ne saurait s'objecter si le législateur avait classé l'infraction comme homicide involontaire coupable ou homicide commis pendant la perpétration d'une infraction, ou de quelque autre manière. Comme je l'ai déjà souligné (voir R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225, à la p. 251), bien qu'il puisse être illogique de qualifier de meurtre l'homicide involontaire, aucun principe de justice fondamentale n'est violé du seul fait qu'une conduite criminelle grave comportant la perpétration d'un crime violent qui entraîne la mort d'un être humain, soit qualifiée de meurtre et non de quelque autre manière. Comme le juge Martin l'a dit dans l'arrêt R. v. Munro and Munro, précité, à la p. 301:

[TRADUCTION] On a souvent dit que cette disposition est dure, mais il s'agit là d'une question qui relève du législateur et non des tribunaux.

Je renvoie également aux propos tenus dans l'ouvrage de A. W. Mewett et M. Manning, Criminal Law (2nd ed. 1985), aux pp. 544 et 545:

[TRADUCTION] L'article 213 et la notion de meurtre par imputation ont fait l'objet de nombreuses critiques et, en réalité, plusieurs juridictions ont aboli cette notion. On la critique pour le motif qu'elle impose une responsabilité de meurtre dans des situations où la mort n'a pas été voulue ni même, dans certains cas, prévue. Mais le meurtre est une notion juridique; il n'est pas nécessaire de le définir comme étant un homicide intentionnel, et même en vertu de l'art. 212 la définition n'est pas aussi stricte. Suivant le principe qui sous‑tend l'art. 213, le risque de tuer une personne au cours de la perpétration de certaines infractions doit peser plus lourdement sur les épaules du contrevenant que s'il s'agissait simplement d'un homicide involontaire coupable. Quoi qu'il en soit, puisque la distinction entre un meurtre punissable de mort et un meurtre punissable d'emprisonnement à perpétuité est maintenant abolie, une bonne partie de ces critiques perd de sa force. C'est la pensée que quelqu'un pourrait être exécuté pour un homicide non intentionnel, qui a amené à croire que la définition de meurtre devait d'une façon ou d'une autre être limitée à l'ancienne notion de common law qu'était le "meurtre avec malice intentionnelle".

52. Comme je l'ai souligné, la déclaration de culpabilité de l'appelant est fondée sur l'effet conjugué du par. 21(2) et de l'al. 213d) du Code criminel. En l'espèce, il y avait preuve de la participation active à la perpétration du vol qualifié, l'infraction sous‑jacente, et les conditions du par. 21(2) étaient parfaitement remplies. Il faut accepter que la disposition exprime un principe de responsabilité criminelle conjointe depuis longtemps accepté et appliqué en droit criminel. Je ne vois pas comment on pourrait soustraire à l'application de ce principe une conduite qui, en vertu de l'art. 213 du Code criminel, entraîne une responsabilité criminelle. Dans l'arrêt R. v. Munro and Munro, précité, le juge Martin affirme à la p. 301:

[TRADUCTION] Manifestement, le législateur a décidé que le port d'armes au cours de la perpétration de certains crimes, comme le vol qualifié, met si clairement en danger la vie d'autrui que celui qui participe à l'objectif commun de perpétrer l'une des infractions spécifiées et qui sait ou devrait savoir que son complice a sur sa personne une arme qu'il emploiera si nécessaire, doit en assumer les conséquences si, en fait, la mort découle de l'usage ou de la possession de cette arme pendant la perpétration d'une des infractions spécifiées ou au cours de la fuite du contrevenant après la perpétration ou la tentative de perpétration de l'infraction sous‑jacente . . .

À mon avis, le juge Martin a formulé les considérations de principe qui ont motivé le législateur à cet égard et je ne m'ingérerai pas dans la décision du législateur. Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi et de répondre par la négative aux deux questions constitutionnelles.

Version française des motifs rendus par

53. Le juge La Forest—J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement du juge Lamer et je suis d'avis de trancher le pourvoi de la façon qu'il propose. Je suis d'accord avec lui pour dire qu'en raison des stigmates liés à une déclaration de culpabilité de meurtre, les principes de justice fondamentale exigent une mens rea qui reflète la nature particulière de ce crime, savoir une qui se rapporte au fait de causer la mort. Outre l'intention de causer la mort, cela peut inclure une intention très proche comme celle de causer des lésions corporelles de nature à causer la mort, sans se soucier que la mort en résulte ou non. Il n'est pas nécessaire, pour les fins de l'espèce, de se demander si cette intention peut être élargie davantage et dans quelle mesure elle peut l'être. Il suffit de dire que l'élément moral requis par l'al. 213d) du Code criminel est si éloigné de l'intention spécifique de commettre un meurtre (laquelle intention est à l'origine des stigmates liés à une déclaration de culpabilité de ce crime) qu'une déclaration de culpabilité rendue en vertu de cet alinéa est contraire à la justice fondamentale. Tout ce qu'exige cette disposition, c'est l'intention de commettre un autre crime et d'être muni d'une arme en mettant à exécution cette intention ou en s'enfuyant après coup. La disposition est de portée si générale qu'elle permet de déclarer une personne coupable de meurtre même si la mort a été causée accidentellement. C'est ce qui s'est produit dans Rowe v. The King, [1951] R.C.S. 713, et il est facile d'imaginer des exemples plus extrêmes. La disposition est donc non seulement loin d'exiger la mens rea spécifique au meurtre, mais elle va encore jusqu'à supprimer son actus reus au sens traditionnel; voir I. Grant et A. W. MacKay, "Constructive Murder and the Charter: In Search of Principle" (1987), 25 Alta. L. Rev. 129.

54. Comme le fait observer mon collègue, l'objectif de dissuader d'utiliser des armes en commettant des crimes peut être atteint autrement que par l'imposition du stigmate de la déclaration de culpabilité de meurtre à une personne qui a causé la mort dans des circonstances comme celles décrites dans la disposition.

Pourvoi accueilli et nouveau procès ordonné, le juge McIntyre est dissident.

Procureur de l'appelant: Michel Marchand, Montréal.

Procureur de l'intimée: Bernard Laprade, Montréal.

Procureur de l'intervenant: Le ministère du Procureur général, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1987] 2 R.C.S. 636 ?
Date de la décision : 03/12/1987
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative. Aucune réponse n'est donnée à la seconde question constitutionnelle

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Justice fondamentale - Présomption d'innocence - Meurtre par imputation - Mort causée par un complice au cours d'un vol qualifié - Preuve d'une conduite intentionnelle dangereuse causant la mort substituée à la preuve de la mens rea relativement à la mort de la victime - Possibilité de déclarer l'accusé coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à un élément essentiel - L'article 213d) du Code criminel viole‑t‑il les art. 7 ou 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?.

Droit criminel - Meurtre par imputation - Justice fondamentale - Présomption d'innocence - Mort causée par un complice au cours d'un vol qualifié - Preuve d'une conduite intentionnelle dangereuse causant la mort substituée à la preuve de la mens rea relativement à la mort de la victime - Possibilité de déclarer l'accusé coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à un élément essentiel - L'article 213d) du Code criminel viole‑t‑il les art. 7 ou 11d) de la Charte? - Dans l'affirmative, cette violation est‑elle justifiable en vertu de l'article premier de la Charte?.

Au cours de la perpétration d'un vol à main armée dans une salle de billard, le complice de l'appelant a tiré un coup de feu qui a tué un client. Le complice a pu s'échapper, mais l'appelant a été arrêté et, conformément au par. 21(2) et à l'al. 213d) du Code criminel, il a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré, à titre de partie à l'infraction. L'alinéa 213d) dispose que "L'homicide coupable est un meurtre lorsqu'une personne cause la mort d'un être humain pendant qu'elle commet ou tente de commettre [un. . .] vol qualifié [. . .] qu'elle ait ou non l'intention de causer la mort d'un être humain et qu'elle sache ou non qu'il en résultera vraisemblablement la mort d'un être humain [. . .] si elle emploie une arme ou l'a sur sa personne pendant ou alors qu'elle commet ou tente de commettre l'infraction [...] et que la mort en soit la conséquence". À son procès devant un juge et un jury, l'appelant a témoigné qu'au moment du vol qualifié, il était certain que l'arme à feu que son complice avait en sa possession n'était pas chargée. Il a affirmé qu'ils avaient convenu de commettre le vol qualifié en étant armés de couteaux seulement et que, le soir du crime, lorsque le complice s'est présenté avec une arme à feu, il a tenu à ce qu'elle soit déchargée. Le complice a enlevé de l'arme à feu trois cartouches qu'il a remises à l'appelant. Le gant de l'appelant qui contenait les trois cartouches a été trouvé par la police sur les lieux du crime. La Cour d'appel a rejeté l'appel interjeté par l'appelant contre sa déclaration de culpabilité. En cette Cour, il attaque la constitutionnalité de l'al. 213d) du Code criminel. En l'espèce, deux questions constitutionnelles ont été formulées: (1) L'alinéa 213d) du Code est‑il incompatible avec l'art. 7 ou l'al. 11d) de la Charte et par conséquent, inopérant? (2) Sinon, la combinaison de l'art. 21 et de l'al. 213d) du Code est‑elle incompatible avec l'art. 7 ou l'al. 11d) de la Charte et l'art. 21 du Code est‑il, par conséquent, inopérant dans le cas d'une accusation fondée sur l'al. 213d)?

Arrêt (le juge McIntyre est dissident): Le pourvoi est accueilli et un nouveau procès est ordonné. La première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative. Aucune réponse n'est donnée à la seconde question constitutionnelle.

Le juge en chef Dickson et les juges Estey, Lamer et Wilson: Avant l'adoption de la Charte, le Parlement avait pleins pouvoirs législatifs en matière de droit criminel, y compris en ce qui concerne la détermination des éléments essentiels d'un crime donné. La Charte est cependant venue limiter ces pouvoirs. Suivant l'art. 7, si une déclaration de culpabilité porte atteinte au droit de l'accusé à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, le législateur doit alors respecter les principes de justice fondamentale. L'un de ces principes porte qu'un état d'esprit minimal constitue un élément essentiel de l'infraction. Toutefois, en raison de la nature spéciale des stigmates qui se rattachent à une déclaration de culpabilité de meurtre, les principes de justice fondamentale commandent une mens rea qui reflète la nature particulière de ce crime. Bien que les juges estiment actuellement qu'une telle déclaration de culpabilité ne saurait reposer sur quelque chose de moins que la preuve hors de tout doute raisonnable d'une prévision subjective, il suffit de dire, pour les fins du présent pourvoi, que c'est un principe de justice fondamentale qu'en l'absence d'une preuve hors de tout doute raisonnable d'au moins une prévisibilité objective, il ne peut y avoir de déclaration de culpabilité.

Il y a contravention à la présomption d'innocence établie par l'al. 11d) de la Charte dès lors qu'un accusé peut être déclaré coupable malgré l'existence d'un doute raisonnable quant à un élément essentiel de l'infraction. Lorsque le législateur a remplacé la preuve d'un élément essentiel par la preuve d'un élément différent, cette substitution n'est constitutionnelle que si après que l'on a prouvé hors de tout doute raisonnable l'existence de l'élément ainsi substitué, il serait déraisonnable que le juge des faits ou le jury ne soit pas convaincu hors de tout doute raisonnable de l'existence de l'élément essentiel. Par conséquent, un accusé ne peut être déclaré coupable de meurtre en l'absence d'une preuve hors de tout doute raisonnable d'au moins une prévisibilité objective, et une disposition relative au meurtre qui permet de déclarer une personne coupable en l'absence de la preuve hors de tout doute raisonnable d'au moins cet élément essentiel contrevient à l'art. 7 et à l'al. 11d) de la Charte.

En l'espèce, l'al. 213d) du Code viole à première vue l'art. 7 et l'al. 11d) de la Charte. La mens rea requise dans le cas de l'art. 213 est celle requise pour l'infraction sous‑jacente et l'intention de commettre l'un des actes énoncés aux al. a) à d). L'article 213 n'exclut pas complètement la nécessité de faire la preuve d'une prévisibilité objective. Plutôt, il substitue à la preuve hors de tout doute raisonnable de la prévisibilité objective, à supposer que ce soit là l'élément essentiel, la preuve hors de tout doute raisonnable de certains types de conduite intentionnelle dangereuse causant la mort. Cette substitution est cependant inconstitutionnelle parce qu'il est encore possible que, nonobstant la preuve hors de tout doute raisonnable des choses énoncées aux al. a) à d), un jury ait raisonnablement des doutes pour ce qui est de déterminer si l'accusé aurait dû savoir que la mort était susceptible de s'ensuivre.

L'alinéa 213d) ne peut être sauvegardé par l'article premier de la Charte. Il est évident que l'objectif du législateur consistant à dissuader d'utiliser une arme ou d'en être muni lors de la perpétration de certaines infractions, en raison du risque accru de causer la mort, revêt une importance suffisante aux fins de l'article premier. Cependant, les mesures adoptées ne sont pas raisonnables et leur justification ne peut pas se démontrer. Bien qu'il semble y avoir un lien rationnel entre ces mesures et l'objectif visé, elles portent indûment atteinte aux droits et aux libertés en question. En fait, il n'est pas nécessaire, pour dissuader d'autres personnes de se servir d'armes ou d'en être munies, de déclarer coupables de meurtre des personnes qui n'ont pas voulu ni prévu causer la mort et qui n'auraient même pas pu prévoir qu'elle résulterait. Si le législateur souhaite dissuader les gens d'utiliser une arme ou d'en être munis, il devrait, comme il le fait à l'art. 83 du Code, punir l'usage ou le port d'une arme.

Les juges Beetz et Le Dain: Pour les raisons données par les juges Lamer et La Forest, l'al. 213d) du Code criminel n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale enchâssés dans la Charte et il ne peut être sauvegardé en vertu de l'article premier. Pour les raisons données par le juge Lamer, l'al. 213d) viole aussi l'al. 11d) de la Charte et ne saurait être justifié en vertu de l'article premier. Étant donné ces conclusions, il n'est pas nécessaire de déterminer s'il existe un principe de justice fondamentale portant qu'une déclaration de culpabilité de meurtre ne saurait reposer sur quelque chose de moins que la preuve hors de tout doute raisonnable d'une prévision subjective.

Le juge La Forest: En raison des stigmates liés à une déclaration de culpabilité de meurtre, les principes de justice fondamentale exigent une mens rea qui reflète la nature particulière de ce crime, savoir une qui se rapporte au fait de causer la mort. Outre l'intention de causer la mort, cela peut inclure une intention très proche comme celle de causer des lésions corporelles de nature à causer la mort, sans se soucier que la mort en résulte ou non. Il suffit de dire, en l'espèce, que l'élément moral requis par l'al. 213d) du Code criminel est si éloigné de l'intention spécifique de commettre un meurtre qu'une déclaration de culpabilité rendue en vertu de cet alinéa est contraire à la justice fondamentale. La disposition est de portée si générale qu'elle permet de déclarer une personne coupable de meurtre même si la mort a été causée accidentellement.

L'alinéa 213d) du Code ne peut être sauvegardé par l'article premier de la Charte. L'objectif de dissuader d'utiliser des armes en commettant des crimes peut être atteint autrement que par l'imposition du stigmate de la déclaration de culpabilité de meurtre à une personne qui a causé la mort dans des circonstances comme celles décrites dans la disposition.

Le juge McIntyre (dissident): Les deux questions constitutionnelles doivent recevoir une réponse négative. Le législateur a décidé que la possession et l'usage d'une arme pendant la perpétration d'une infraction sont des facteurs très aggravants et il a choisi d'appeler "meurtre" l'homicide commis dans les circonstances décrites à l'al. 213d). Bien qu'il puisse être illogique de qualifier de meurtre l'homicide involontaire, aucun principe de justice fondamentale n'est violé du seul fait qu'une conduite criminelle grave comportant la perpétration d'un crime violent qui entraîne la mort d'un être humain, soit qualifiée de meurtre et non de quelque autre manière.

En l'espèce, c'est à juste titre que l'accusé a été déclaré coupable de meurtre en vertu de l'effet conjugué du par. 21(2) et de l'al. 213d) du Code. Les conditions du par. 21(2) étaient parfaitement remplies étant donné qu'il y avait preuve de la participation active de l'accusé à la perpétration du vol qualifié, l'infraction sous‑jacente. La disposition exprime un principe de responsabilité criminelle conjointe depuis longtemps accepté et appliqué en droit criminel et il n'y a aucune raison de soustraire à l'application de ce principe une conduite qui, en vertu de l'art. 213 du Code, entraîne une responsabilité criminelle.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Vaillancourt

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Lamer
Arrêts examinés: Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
R. c. Corporation de la ville de Sault Ste‑Marie, [1978] 2 R.C.S. 1299
arrêt critiqué: R. v. Bezanson (1983), 8 C.C.C. (3d) 493
arrêts mentionnés: R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103
R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295
Swietlinski c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 956
Reference re Validity of s. 5(a) of the Dairy Industry Act, [1949] R.C.S. 1, conf. [1951] A.C. 179
Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350
R. c. Vasil, [1981] 1 R.C.S. 469
R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638
R. c. Farrant, [1983] 1 R.C.S. 124
R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225
People v. Aaron, 299 N.W.2d 304 (1980)
State v. Doucette, 470 A.2d 676 (1983)
Sir John Chichester's Case (1647), Aleyn 12, 82 E.R. 888
Hull's Case (1664), Kelyng, J. 40
R. v. Plummer (1702), Kelyng, J. 109, 84 E.R. 1103
R. v. Woodburne and Coke (1722), 16 St. Tr. 53.
Citée par le juge La Forest
Arrêt mentionné: Rowe v. The King, [1951] R.C.S. 713.
Citée par le juge McIntyre (dissident)
R. v. Munro and Munro (1983), 8 C.C.C. (3d) 260
R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638
R. c. Ancio, [1984] 1 R.C.S. 225.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 7, 11d).
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 21(2), 83 [abr. & rempl. 1976‑77, chap. 53, art. 3], 205(5)a), 212a)(i), (ii), c), 213 [mod. 1974‑75‑76, chap. 93, art. 13
chap. 105, art. 29, item 1(4)].
Homicide Act, 1957, 5 & 6 Eliz. 2, chap. 11 (R.‑U.)
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(27).
Doctrine citée
Burns, Peter and R. S. Reid. "From Felony Murder to Accomplice Felony Attempted Murder: The Rake's Progress Compleat?" (1977), 55 R. du B. can. 75.
Canada. Commission de réforme du droit. L'homicide (document de travail 33). Ottawa, 1984.
Canada. Commission de réforme du droit. Pour une nouvelle codification du droit pénal (rapport 30). Ottawa, 1986.
Coke, Sir Edward. The Third Part of the Institutes of the Laws of England. London: W. Clarke & Sons, 1817.
Dalton, Michael. Countrey Justice. London, 1619.
East, Edward Hyde. Pleas of the Crown, vol. 1. London, 1803.
Edwards, J. Ll. J. "Constructive Murder in Canadian and English Law" (1961), 3 Crim. L.Q. 481.
Foster, Sir Michael. Crown Law. Oxford, 1762.
Grant, Isabel and A. Wayne MacKay. "Constructive Murder and the Charter: In Search of Principle" (1987), 25 Alta. L. Rev. 129.
Hale, Sir Matthew. History of the Pleas of the Crown, vol. 1, 1736.
Hawkins, William. Pleas of the Crown, vol. 1, 1716.
Hooper, Anthony. "Some Anomalies and Developments in the Law of Homicide" (1967), 3 U.B.C. L. Rev. 55.
Lanham, David. "Felony Murder—Ancient and Modern" (1983), 7 Crim. L.J. 90.
Mewett, Alan W. and Morris Manning. Criminal Law, 2nd ed. Toronto: Butterworths, 1985.
Parker, Graham. An Introduction to Criminal Law. Toronto: Methuen, 1977.
Perkins, Rollin M. and Ronald N. Boyce. Criminal Law, 3rd ed. Mineola, N.Y.: Foundation Press, 1982.
Stephen, Sir James Fitzjames. A History of the Criminal Law of England, vol. 3. London: MacMillan & Co., 1883.
Stephen, Sir James Fitzjames. Stephen's Digest of the Criminal Law, 9th ed. By Lewis Frederick Sturge. London: Sweet & Maxwell, 1950.
Stuart, Don. Canadian Criminal Law. Toronto: Carswells, 1982.
Willis, John. "Case and Comment" (1951), 29 R. du B. can. 784.

Proposition de citation de la décision: R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636 (3 décembre 1987)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1987-12-03;.1987..2.r.c.s..636 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award