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26/05/1988 | CANADA | N°[1988]_1_R.C.S._1061

Canada | Banque fédérale de développement c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 1061 (26 mai 1988)


Cour suprême du Canada

Banque fédérale de développement c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 1061

Date: 1988-05-26

Banque fédérale de développement Appelante

c.

La Commission de la santé et de la sécurité du travail Intimée

et

Le protonotaire de la Cour supérieure du district de Québec Mis en cause

et

Le Workers' Compensation Board de

I' Alberta et le Workers' Compensation Board

de la Colombie-Britannique Intervenants

RÉPERTORIÉ: BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT c. QUÉBEC (COMMISSION DE LA SANT

É ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL)

N° du greffe: 19858.

1988: 24 mars; 1988: 26 mai.

Présents: Les juges Beetz, Estey, Lamer, Wilson, Le Da...

Cour suprême du Canada

Banque fédérale de développement c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 1061

Date: 1988-05-26

Banque fédérale de développement Appelante

c.

La Commission de la santé et de la sécurité du travail Intimée

et

Le protonotaire de la Cour supérieure du district de Québec Mis en cause

et

Le Workers' Compensation Board de

I' Alberta et le Workers' Compensation Board

de la Colombie-Britannique Intervenants

RÉPERTORIÉ: BANQUE FÉDÉRALE DE DÉVELOPPEMENT c. QUÉBEC (COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL)

N° du greffe: 19858.

1988: 24 mars; 1988: 26 mai.

Présents: Les juges Beetz, Estey, Lamer, Wilson, Le Dain, La Forest et L'Heureux-Dubé.

Le juge Estey n'a pas pris part au jugement.

EN APPEL DE LA COUR D'APPEL DU QUÉBEC

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec, [1986] R.J.Q. 633, qui a infirmé un jugement de la Cour supérieure[1]. Pourvoi accueilli.

P. Michel Bouchard et Michel Cordeau, pour l'appelante.

Pierre Lessard et Albert Bohémier, pour l'intimée.

Patrick G. Yearwood, pour l'intervenant le Workers' Compensation Board de l'Alberta.

Gerald W. Massing, pour l'intervenant le. Workers' Compensation Board de la Colombie-Britannique.

Le jugement de la Cour a été rendu par

LE JUGE LAMER — Les règles qui régissent la liquidation des biens d'un failli et la distribution du produit de la vente de ces biens dans le cadre d'une procédure de faillite se retrouvent à la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, chap. B-3. Le Parlement fédéral a compétence exclusive pour déterminer le statut et le rang des créanciers qui sont colloqués dans la procédure de faillite. C'est en effet ce qu'a décidé cette Cour dans l'affaire Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers' Compensation Board, [1985] l R.C.S. 785 (ci-après l'arrêt Deloitte). Mais qu'arrive-t-il lorsqu'un créancier garanti se prévaut du par. 49(2) de la Loi et procède à la liquidation de sa garantie en dehors du cadre de la faillite? Dans un tel cas, doit-on appliquer les dispositions de la Loi sur la faillite prévoyant l'ordre de priorité de paiement des créanciers, ou les dispositions du droit provincial régissant l'ordre de collocation? C'est la question que soulève le présent pourvoi.

[Page 1064]

Les faits

Le 14 août 1979, Structal Inc. consent à la Compagnie Trust Royal un acte de fiducie pour garantir le paiement d'une obligation de 1 800 000 $ émise en faveur de l'appelante. Au mois de juillet 1982, Structal Inc. n'ayant pas respecté ses obligations, la Compagnie Trust Royal, en sa qualité de fiduciaire et de mandataire de l'appelante, prend possession des biens de la débitrice. Trois mois plus tard, Structal Inc. fait une cession de la totalité de ses biens, conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite. Agissant à titre de fiduciaire, la Compagnie Trust Royal intente, devant la division civile de la Cour supérieure, une action hypothécaire pour faire vendre en justice les immeubles de Structal Inc. Le syndic ne comparaît pas à l'action et le fiduciaire est autorisé à procéder à la vente en justice des biens. Avant le déroulement de la vente, l'intimée enregistre, en vertu de l'art. 110 de la Loi sur les accidents du travail, L.R.Q., chap. A-3, un privilège sur les immeubles appartenant à Structal Inc. Le paragraphe premier de l'art. 110 énonce:

110. 1. Le montant de toute cotisation ou compensation auquel peut être tenu l'employeur constitue une réclamation privilégiée sur tous les biens meubles et immeubles de cet employeur et du principal visé par le paragraphe 3 de l'article 11 de la présente loi, prenant rang immédiatement après les frais de justice sans enregistrement.

Les biens immobiliers de la débitrice sont vendus en justice en juin 1983. Le protonotaire adjoint dresse l'ordre de distribution selon les règles du droit québécois; l'intimée est colloquée au quatrième rang, tandis que l'appelante vient au septième rang. Cette dernière conteste l'état de collocation, alléguant que celui-ci aurait dû être dressé en vertu des dispositions pertinentes de la Loi sur la faillite, notamment selon le plan de répartition prévu à l'art. 107 de la Loi. Sa contestation est accueillie en Cour supérieure. L'intimée en appelle de cette décision et la Cour d'appel lui donne raison, ratifiant l'ordre de collocation établi par le protonotaire adjoint. D'où le pourvoi devant cette Cour.

[Page 1065]

II

Les jugements

Le juge Côté de la Cour supérieure, maintenant juge en chef associé, est d'avis que l'état de collocation dressé par le protonotaire adjoint aurait dû respecter l'ordre de distribution prévu au par. 107(1) de la Loi sur la faillite. Il estime que l'immeuble grevé en vertu de l'acte de fiducie est, au sens de l'art. 47 de la Loi, un «bien du failli» dont le syndic a la saisine. L'action hypothécaire instituée par le fiduciaire et autorisée par le par. 49(2) de la Loi ne dépouille pas le syndic des droits qu'il détient sur le produit de la vente en justice du bien. En effet, si cette vente rapporte plus que le montant de la créance garantie, le syndic a droit au surplus. Selon le juge, dès que survient la faillite, les dispositions de la Loi sur la faillite entrent en jeu. Aussi, en l'espèce, l'intimée n'est-elle plus un créancier garanti, mais un créancier privilégié qui prend le rang prévu à l'al. 107(1)h) de la Loi. Le juge modifie donc l'ordre de distribution en annulant la collocation faite au profit de l'intimée.

Dans les motifs rédigés par le juge Tyndale, la Cour d'appel adopte un avis contraire et rétablit le plan de répartition dressé par le protonotaire adjoint: [1986] R.J.Q. 633. Selon elle, en prenant possession des biens et en instituant une action civile hypothécaire, le fiduciaire agissait à titre de créancier garanti étranger à la faillite. Le droit à la possession, à l'administration et à la disposition des biens appartient au fiduciaire; ce droit n'a jamais été transféré au syndic. L'article 107 de la Loi sur la faillite ne peut dès lors régir la distribution du produit de la vente des biens dont le fiduciaire a possession. Les arrêts Sous-ministre du Revenu c. Rainville, [1980] 1 R.C.S. 35 (ci-après l'arrêt Re Bourgault), et Deloitte, précité, ne sont pas déterminants car, selon la Cour, on peut facilement établir des distinctions au niveau des faits de chaque affaire. Comme toutes les procédures et la vente en justice se sont déroulées en marge de la faillite, la Cour d'appel estime que seules les règles de droit provincial sont pertinentes. La créance de l'intimée doit donc être colloquée au quatrième rang, de préférence à la créance hypothécaire de l'appelante.

[Page 1066]

III

Le droit

En l'occurrence, le litige découle du fait que les dispositions susceptibles de recevoir application émanent des deux ordres législatifs, fédéral et provincial, et mènent à des solutions divergentes. Si les règles du droit québécois doivent prévaloir, l'intimée est un créancier garanti et sa créance est colloquée avant celle du fiduciaire. Par ailleurs, si la Loi sur la faillite a préséance, le plan de répartition prévu à l'art. 107 de cette loi détermine l'ordre de collocation. Selon la décision rendue par cette Cour dans Deloitte, précité, l'intimée perd alors l'avantage de son privilège et devient un simple créancier privilégié, puisque sa réclamation est prévue à l'al. 107(1)h) ainsi libellé:

107. (1) Sous réserve des droits des créanciers garantis, les montants réalisés provenant des biens d'un failli doivent être distribués d'après l'ordre de priorité de paiement suivant:

h) toutes dettes contractées par le failli sous l'autorité d'une loi sur les accidents du travail, d'une loi sur l'assurance-chômage, d'une disposition quelconque de la Loi de l'impôt sur le revenu ou de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu créant une obligation de rembourser à Sa Majesté des sommes qui ont été déduites ou retenues, pari passu;

Devant nous, l'intimée soutient notamment que l'ordre de priorité prévu à l'art. 107 de la Loi sur la faillite est inapplicable, car l'immeuble en la possession du fiduciaire lors de la faillite ne fait pas partie du patrimoine dont est saisi le syndic. D'après l'intimée, les biens du failli, au sens de l'art. 107 de la Loi, ne comprennent que les biens dont le syndic a la saisine et qui sont libres de toute charge. Cette prétention se fonde sur la position adoptée par les auteurs Houlden et Morawetz, qui interprètent l'art. 107 comme suit:

[TRADUCTION] L'article 107 prévoit l'ordre de priorité des créances des personnes y mentionnées dans la distribution des biens du débiteur et ne vise que les biens qui ne sont grevés d'aucune charge et que le syndic peut en conséquence distribuer aux créanciers non garantis.

[Page 1067]

(Bankruptcy Law of Canada (1984), vol. l, à la p.G-71.)

Un certain courant jurisprudentiel a effectivement suivi cette ligne de pensée (par exemple: Re Rosenberg, Zeller and Rosenberg (1948), 29 C.B.R. 103 (S.C. Ont), Manufacture de seaux et de boîtes de Trois-Rivières v. Béliveau (1920), 30 B.R. 389). Dans l'affaire In re Centre de golf Mont Pellier Inc.: Hébert c. Trust général du Canada, C.A. Mtl., n° 09-000498-72, 22 mars 1974, la Cour d'appel a statué que les droits d'un fiduciaire qui a déjà pris possession des éléments d'actifs du débiteur ne sont pas affectés par la survenance d'une faillite. Le passage suivant du jugement traduit fidèlement cette opinion (aux pp. 13 et 14):

… antérieurement à la mise en faillite de la compagnie, celle-ci avait perdu la saisine des biens cédés et hypothéqués en vertu de l'acte de fiducie, […] le droit de disposer de ces biens et le droit à leur possession ne faisaient plus partie de son patrimoine et n'étaient par conséquent pas entrés dans le patrimoine dont le syndic fut saisi…

Avec égards, je ne puis me rallier à ce raisonnement. L'immeuble, grevé en faveur de l'appelante et saisi par le fiduciaire, fait partie des «biens du failli» dont parle l'art. 107 de la Loi sur la faillite. Selon l'art. 2 de la Loi, le mot «biens» inclut les immeubles situés au Canada ou ailleurs. D'autre part, l'expression «biens du failli» est définie à l'art. 47 de la Loi sur la faillite:

47. Les biens d'un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants:

a) les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne,

b) les biens qui, à l'encontre du failli, sont exempts d'exécution ou de saisie sous le régime de lois de la province dans laquelle sont situés ces biens et où réside le failli,

mais ils comprennent:

c) tous les biens, où qu'ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu'il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération, et

d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

[Page 1068]

Il résulte clairement de ces deux définitions qu'en l'espèce l'immeuble est un bien du failli au sens où l'entend la Loi sur la faillite. En effet, même si le fiduciaire prend possession de l'immeuble avant la faillite, le débiteur failli demeure propriétaire de son bien. Le fiduciaire qui a saisi l'immeuble grevé ne peut prétendre détenir un droit de propriété sur ce bien; il ne possède que les droits d'un créancier gagiste ou hypothécaire. Cette Cour s'est d'ailleurs prononcée en ce sens à deux reprises dans les arrêts Laliberté v. Larue, [1931] R.C.S. 7, et General Trust of Canada v. Roland Chalifoux Ltée, [1962] R.C.S. 456. Aux termes de l'art. 47 de la Loi sur la faillite, il suffit que le bien appartienne au failli au moment de la faillite pour qu'il fasse partie du patrimoine de ce dernier et soit automatiquement dévolu au syndic. Aussi l'immeuble constitue-t-il un bien du failli au sens de l'art. 47 de la Loi et ce, peu importe les droits que la garantie confère au fiduciaire. Plusieurs décisions viennent en outre corroborer mon avis à cet égard. Dans In re Sérabec Ltée: Place Desjardins Inc. et Perras, Fafard, Gagnon Inc., [1985] C.A. 212, la Cour d'appel du Québec a statué que la prise de possession des biens par le fiduciaire n'affecte en rien la propriété de ces biens. Dans cette cause, l'appelante prétendait que l'immeuble saisi par le fiduciaire avant la faillite était devenu la propriété de celui-ci et ne faisait plus partie du patrimoine du failli. Je suis d'accord avec la Cour d'appel lorsqu'elle décrit les droits que détient le fiduciaire (à la p. 221):

À mon point de vue, la prise de possession n'a rien changé quant à la propriété des biens.

En effet, le droit du fiduciaire, s'il n'est pas payé, c'est de faire vendre les biens et d'être payé à même le produit.

La prise de possession et l'administration ne sont que des étapes préliminaires en vue de la réalisation de la garantie.

Dans une autre affaire, Re Broydon Printers Ltd. (1975), 19 C.B.R. (N.S.) 226 (C.S. Ont.), le syndic a avisé le créancier garanti de son intention d'examiner les biens détenus par celui-ci. L'article 57 de la Loi sur la faillite permet au syndic de procéder à l'inspection des «biens du failli» détenus à titre de gage, nantissement ou autre garantie,

[Page 1069]

afin de vérifier si ces biens représentent un intérêt réalisable pour la masse des créanciers. Le créancier garanti a refusé au syndic la permission d'examiner lesdits biens. La Cour a ainsi défini la portée de l'expression «biens d'un failli […] détenus à titre [… d'une] autre garantie» (aux pp. 228 et 229):

[TRADUCTION] … je ne pense pas que l'art. 57 soit censé s'appliquer uniquement aux biens constituant un gage ou un nantissement. Je crois plutôt que cet article est de portée suffisamment large pour comprendre les biens du failli qui se trouvent à la date de la faillite en la possession d'un créancier garanti. S'il n'en était pas ainsi, le syndic se verrait dans l'impossibilité de protéger les droits des créanciers sur ces biens.

En conséquence, il m'est impossible de souscrire à la prétention de l'intimée selon laquelle l'art. 107 de la Loi sur la faillite ne peut ici recevoir application, l'immeuble en cause n'étant pas un bien du failli. À mon avis, cet immeuble, même s'il était détenu par le fiduciaire lors de la faillite, est un bien du failli au sens de l'art. 47 et, partant, de l'art. 107, dans la mesure, bien entendu, où ces dispositions sont applicables.

Il convient donc de déterminer quelle législation — provinciale ou fédérale — s'applique en l'occurrence. Un problème de même nature s'était soulevé devant nous dans les affaires Re Bourgault et Deloitte, précitées. Dans Re Bourgault, cette Cour a statué qu'en cas de faillite, l'al. 107(1) j) de la Loi sur la faillite détermine la priorité de toute réclamation prévue à cette disposition. La loi provinciale ne peut aller à l'encontre du plan de répartition établi à l'art. 107 de la Loi. Pour reprendre les paroles du juge Pigeon, à la p. 44, «le législateur fédéral a entendu mettre sur [un] pied d'égalite toutes les dettes dues à un gouvernement; il ne peut donc avoir voulu permettre que les lois provinciales accordent une autre priorité.» Continuant dans la même voie, la majorité de la Cour, dans l'affaire Deloitte, a conclu qu'un créancier qui détient un privilège en vertu d'une loi provinciale ne peut revendiquer le statut de créancier garanti au sens de la Loi sur la faillite pour éviter de se soustraire à l'ordre de distribution de l'art. 107 de la Loi. En cas de faillite, les priorités relèvent exclusivement de la compétence fédérale.

[Page 1070]

L'intimée soutient que ces deux arrêts se distinguent du présent pourvoi sur la base des faits, et qu'ils ne sont donc pas déterminants en l'espèce. Elle souligne que dans ces affaires, contrairement aux cas qui nous occupe, aucune prise de possession des biens n'avait été effectuée avant la faillite par un fiduciaire ou un autre créancier garanti; les immeubles grevés d'un privilège ont ainsi été automatiquement dévolus au syndic. Par ailleurs, l'intimée ajoute que la présente question en litige diffère essentiellement de celle qui se soulevait dans les arrêts Re Bourgault et Deloitte. Dans ces causes, la Cour devait décider si les créanciers jouissant de privilèges en vertu de lois provinciales étaient des créanciers garantis au sens de la Loi sur la faillite. Or, en l'occurrence, l'intimée ne revendique pas le statut de créancier garanti au sens de la Loi sur la faillite. Elle prétend plutôt que, la liquidation du bien hypothèque s'étant déroulée en dehors de la procédure de faillite, sans intervention du syndic, la solution au litige doit être recherchée, non pas dans la loi fédérale, mais dans le droit québécois. L'intimée ajoute que, le fiduciaire ayant choisi de réaliser lui-même sa garantie en marge de la faillite, il doit accepter les conséquences qui découlent de ce choix et, partant, se soumettre à l'ordre de collocation établi par les lois provinciales.

Malgré son attrait, cette prétention ne me convainc pas. Certes, le créancier garanti a liquidé sa garantie en dehors de la procédure de faillite. Toutefois, il ne faut pas oublier que c'est la Loi sur la faillite elle-même qui lui donne l'autorisation d'agir ainsi. Le paragraphe 49(2) de la Loi prévoit qu'«un créancier peut réaliser sa garantie ou autrement en disposer de la même manière qu'il aurait eu droit de la réaliser ou d'en disposer» si le par. 49(1) n'avait pas pour effet de suspendre les procédures intentées par les créanciers du débiteur. Il est donc faux de prétendre que la Loi sur la faillite ne s'applique pas au créancier qui choisit de réaliser sa garantie en dehors de la procédure de faillite. Les articles 49, 57, 98, 101 et 102 de la Loi, qui traitent du créancier garanti dans ce contexte, ne font que me renforcer dans cette opinion.

[Page 1071]

D'autre part, on ne peut inférer de l'inaction du syndic une renonciation à son droit dans le bien immobilier appartenant au failli. Pour qu'une telle renonciation soit valide, elle doit répondre aux conditions prescrites au par. 12(11) de la Loi, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Le syndic possède, en vertu de la Loi sur la faillite, plusieurs pouvoirs et droits qu'il peut exercer à l'endroit des biens grevés d'une garantie. Par exemple, il peut examiner les biens détenus «à titre de gage, nantissement ou autre garantie»; il peut empêcher le créancier garanti de réaliser sa garantie avant qu'il ait eu une occasion raisonnable d'inspecter les biens et d'exercer son droit de rachat (art. 57); le syndic peut également s'adresser au tribunal pour qu'il ordonne au créancier de surseoir à la réalisation de sa garantie (art. 49). Selon moi, même si le syndic n'exerce pas ces droits et pouvoirs, l'application de la Loi sur la faillite ne s'en trouve pas pour autant écartée.

De toute manière, j'estime que les décisions rendues dans Re Bourgault et Deloitte tranchent le pourvoi de façon déterminante. Le principe qui se dégage de ces arrêts est le suivant: en cas de faillite, c'est la Loi sur la faillite qui doit recevoir application. S'il y a faillite, l'ordre de collocation est établi selon les priorités prévues à l'art. 107 de la Loi, et toute créance mentionnée à cette disposition doit donc être colloquée selon le rang prescrit. Dans Deloitte, le juge Wilson, au nom de la majorité, souscrit au raisonnement et aux conclusions adoptées dans les affaires Re Bourgault, précitée, et Re Black Forest Restaurant Ltd. (1981), 37 C.B.R. (N.S.) 176 (N.S.S.C.), et déclare que ces arrêts règlent le litige. À ce sujet, elle dit (à la p. 806):

Avec égards, dans les arrêts Re Bourgault et Re Black Forest Restaurant Ltd., le litige n'était pas de savoir s'il y avait eu création d'un droit de propriété en vertu des lois provinciales applicables. Il s'agissait de savoir si, même si elle créait un droit de propriété, la loi provinciale pouvait aller à l'encontre du plan de distribution prévu au par. 107(1) de la Loi sur la faillite. Ces arrêts ont décidé qu'elle ne le pouvait pas et que, même si la loi provinciale pouvait validement créer une sûreté pour des dettes sur les biens du débiteur en dehors de la faillite, dès qu'il y avait faillite, le par. 107(1) déterminait le statut et la priorité des réclamations expressément mentionnées dans cet article. [Je souligne.]

[Page 1072]

À la lumière de ce passage, il est manifeste que les préventions de l'intimée ne sauraient prévaloir.

IV

Conclusion

En conséquence, je suis d'avis que les réclamations des parties au litige doivent être colloquées selon l'ordre établi à la Loi sur la faillite. Le Parlement fédéral ayant compétence exclusive pour déterminer les priorités en cas de faillite, le plan de répartition de l'art. 107 de la Loi sur la faillite doit ici recevoir application. La réclamation de l'intimée étant prévue à l'al. 107(1)h) de la Loi, cette dernière est un créancier privilégié dont la créance doit être colloquée après celle de l'appelante, peu importe que le fiduciaire ait ou non réalisé sa garantie en dehors de la procédure de faillite. Dès que survient la faillite, la loi fédérale s'applique à tous les créanciers du débiteur.

Il est vrai qu'une telle solution peut inciter des créanciers garantis à provoquer la faillite de leur débiteur en vue de bonifier leur titre. Par contre, cette solution présente des avantages évidents. Dès la survenance de la faillite, la Loi sur la faillite reçoit application; la seule mention d'un créancier à l'art. 107 de la Loi suffit pour que celui-ci soit colloqué à titre de créancier privilégié et au rang prévu à cette disposition. Comme les lois provinciales ne peuvent porter atteinte aux priorités créées par la loi fédérale, l'ordre de collocation bénéficie donc, en cas de faillite, d'une certaine uniformité d'une province à l'autre.

Pour tous ces motifs, l'appel est accueilli et le jugement de la Cour supérieure est rétabli avec dépens devant toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Hickson, Sirois, Martin & Blanchard, Sillery.

Procureurs de l'intimée: Lafontaine, Chayer, Cliche & Associés, Québec.

Procureur de l'intervenant le Workers' Compensation Board de l'Alberta: Patrick G. Yearwood, Edmonton.

Procureur de l'intervenant le Workers' Compensation Board de la Colombie-Britannique: Gerald W, Massing, Richmond.

[1] C.S. (district de Québec), n° 200-05-005299-826, 21 octobre 1983.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 1 R.C.S. 1061 ?
Date de la décision : 26/05/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Faillite - Priorité des créances - Liquidation de I'immeuble du failli en possession d'un créancier garanti en dehors du cadre de la faillite - Doit-on appliquer les dispositions de la Loi sur la faillite prévoyant I'ordre de priorité de paiement des créanciers ou les dispositions du droit provincial régissant I'ordre de collocation? - Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, chap.B-3, art. 47, 49(2), 107 - Loi sur les accidents du travail, L.R.Q. 1977, chap. A-3, art. 110(1).

Un fiduciaire, en sa qualité de mandataire de l'appelante, a pris possession de l’immeuble de la débitrice parce que cette dernière n'a pas respecté ses obligations envers l'appelante. Trois mois plus tard, la débitrice a fait une cession de tous ses biens, conformément aux dispositions de la Loi sur la faillite. Le fiduciaire a intenté, devant la division civile de la Cour supérieure, une action hypothécaire pour faire vendre en justice l'immeuble de la débitrice. Le syndic n'a pas comparu à l'action. Avant la vente, l'intimée a enregistré, en vertu de l'art. 110 de la Loi sur les accidents du travail, un privilège sur cet immeuble. Une fois l'immeuble vendu, le protonotaire adjoint a dressé l'ordre de collocation

[Page 1062]

selon les règles du droit provincial: l'intimée est classée au quatrième rang et l'appelante au septième. L'appelante a alors contesté l'état de collocation, alléguant que celui-ci aurait dû être dressé en vertu des dispositions de la Loi sur la faillite. Sa contestation a été accueillie en Cour supérieure, mais la Cour d'appel a infirmé le jugement et ratifié l'ordre de collocation établi par le protonotaire adjoint.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

Dès que survient la faillite, les dispositions de la Loi sur la faillite s'appliquent à tous les créanciers du failli et leurs réclamations doivent être colloquées selon l'ordre établi par cette loi. Le Parlement ayant compétence exclusive pour déterminer les priorités en cas de faillite, une loi provinciale ne peut aller à l'encontre du plan de répartition prévu à la loi fédérale. En l'espèce, la réclamation de l'intimée est prévue à l'al. 107(l)h) de la Loi sur la faillite. L'intimée est un créancier privilégié dont la créance doit être colloquée après celle de l'appelante.

L'article 107 est applicable peu importe que le fiduciaire ait ou non pris possession des biens de la débitrice avant la faillite et réalisé sa garantie en dehors de la procédure de faillite. Le fiduciaire qui prend possession des biens est un simple créancier gagiste; il ne devient pas propriétaire de l'actif. L'immeuble, grevé en faveur de l'appelante et saisi par le fiduciaire, fait donc partie du patrimoine du failli et est un «bien du failli» au sens des art. 47 et 107 de la Loi sur la faillite.


Parties
Demandeurs : Banque fédérale de développement
Défendeurs : Québec (CSST)

Références :

Jurisprudence
Arrêts appliqués: Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers' Compensation Board, [1985] l R.C.S. 785
Sous-ministre du Revenu c. Rainville, [1980] l R.C.S. 35
arrêts critiqués: Re Rosenberg, Zeller and Rosenberg (1948), 29 C.B.R. 103
Manufacture de seaux et de boites de Trois-Rivières v. Béliveau (1920), 30 B.R. 389
In re Centre de golf Mont Pellier Inc.: Hébert c. Trust général du Canada, C.A. Mtl., n° 09-000498-72, 22 mars 1974
arrêts mentionnés: Laliberté v. Larue, [1931] R.C.S. 7
General Trust of Canada v. Roland Chalifoux Ltée, [1962] R.C.S. 456
In re Sérabec Ltée: Place Desjardins Inc. et Perras, Fafard, Gagnon Inc., [1985] C.A. 212
Re Broydon Printers Ltd. (1975), 19 C.B.R. (N.S.) 226
Re Black Forest Restaurant Ltd. (1981), 37 C.B.R. (N.S.) 176.
Lois et règlements cités
Loi sur les accidents du travail, L.R.Q. 1977, chap. A-3, art. 110(1).
Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, chap. B-3, art. 2 «biens», 12(11) 47, 49, 57, 98, 101, 102, 107(1).
[Page 1063]
Doctrine citée
Houlden, L. W. and C. H. Morawetz. Bankruptcy Law of Canada, vol. l. Toronto: Carswells, 1984.

Proposition de citation de la décision: Banque fédérale de développement c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 1061 (26 mai 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-05-26;.1988..1.r.c.s..1061 ?
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