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29/09/1988 | CANADA | N°[1988]_2_R.C.S._148

Canada | R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148 (29 septembre 1988)


r. c. chesson, [1988] 2 R.C.S. 2 148

Lorelei Vanweenan et John Chesson Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. chesson

Nos du greffe: 19501, 19581.

1987: 23 octobre; 1988: 29 septembre.

Présents: Les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer et Wilson.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 331, 62 A.R. 64, [1985] 6 W.W.R. 289, 21 C.C.C. (3d) 68, 47 C.R. (3d) 157, qui a accueilli l'appel de la poursuite contre les acquittements

des accusés inculpés de complot pour commettre un vol qualifié et un enlèvement et qui a ordonné un nouveau...

r. c. chesson, [1988] 2 R.C.S. 2 148

Lorelei Vanweenan et John Chesson Appelants

c.

Sa Majesté La Reine Intimée

répertorié: r. c. chesson

Nos du greffe: 19501, 19581.

1987: 23 octobre; 1988: 29 septembre.

Présents: Les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer et Wilson.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1985), 39 Alta. L.R. (2d) 331, 62 A.R. 64, [1985] 6 W.W.R. 289, 21 C.C.C. (3d) 68, 47 C.R. (3d) 157, qui a accueilli l'appel de la poursuite contre les acquittements des accusés inculpés de complot pour commettre un vol qualifié et un enlèvement et qui a ordonné un nouveau procès. Le pourvoi de Vanweenan est accueilli et le pourvoi de Chesson est rejeté.

1. James J. Ogle et Alain Hepner, pour les appelants.

2. Earl C. Wilson, pour l'intimée.

Version française du jugement des juges Beetz, McIntyre et Lamer rendu par

3. Le juge McIntyre—Il s'agit d'un pourvoi de plein droit en vertu de l'al. 618(2)a) du Code criminel. Les appelants ont été inculpés conjointement, avec plusieurs autres, de complot pour commettre un vol qualifié et un enlèvement. Ils ont été jugés, devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, par un juge siégeant sans jury. La preuve de la poursuite repose largement sur certaines communications privées, orales et téléphoniques, des appelants, interceptées en vertu d'une autorisation judiciaire accordée le 29 juin 1983. Au voir dire, le juge du procès a conclu que toutes les interceptions étaient illégales en vertu de la partie IV.1 du Code et il a écarté ces éléments de preuve. En conséquence, il a acquitté les deux appelants. La poursuite a eu gain de cause en appel devant la Cour d'appel de l'Alberta. Les acquittements ont été infirmés à l'unanimité et un nouveau procès ordonné, d'où le présent pourvoi.

4. On demande donc à cette Cour de déterminer si les interceptions ont été obtenues conformément aux dispositions de la partie IV.1 du Code criminel. La question qui se pose relativement aux deux appelants est de savoir si la police, en installant clandestinement dans un véhicule automobile un appareil d'écoute branché sur la batterie de ce véhicule, a effectué une interception illégale. Pour ce qui est de Vanweenan uniquement, d'autres questions se posent: s'agit‑il d'une personne dont les communications privées étaient visées par l'autorisation et ces dernières étaient‑elles admissibles vu qu'elles ont été faites à des personnes dont les communications ont été légalement interceptées en vertu de l'autorisation? Vanweenan a également soulevé une troisième question concernant la portée de l'autorisation, à laquelle il n'est pas nécessaire de répondre.

Les faits

5. En décembre 1982, un nommé Neil Whiteman a participé à un projet de cambriolage d'un supermarché de Calgary. Il avait obtenu d'un employé du magasin, ultérieurement témoin à charge à son procès, des informations sur l'aménagement et le fonctionnement du magasin, y compris l'emplacement du coffre et le nom et l'identité de la caissière en chef, qui possédait une clé du coffre. Le plan prévoyait l'enlèvement de la caissière en chef dans le stationnement du magasin, le soir, après la fermeture. On devait alors la ramener de force dans le magasin et l'obliger à ouvrir le coffre. Le 19 décembre 1982, la caissière en chef aperçoit un homme masqué caché sur la banquette arrière en ouvrant la portière de sa voiture. Elle claque la portière et se sauve en courant. L'homme masqué fuit lui aussi, dans une autre direction, et le magasin n'est pas cambriolé. On n'a procédé à aucune arrestation.

6. En juin 1983, une enquête policière était ouverte sur les agissements de Whiteman et d'autres personnes, mais non les appelants, concernant plusieurs infractions relatives à la propriété n'ayant aucun rapport avec les accusations portées en l'espèce. À cette fin, le 29 juin 1983, les policiers ont obtenu du juge Waite de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta une autorisation judiciaire valide pour 60 jours et permettant aux personnes désignées d'intercepter des télécommunications et des communications orales, comme l'indique l'autorisation:

[TRADUCTION] ... et, à cette fin, à installer, à contrôler ou à enlever tout dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, y compris, au besoin, à s'introduire dans les lieux énumérés aux paragraphes 3 et 4 des présentes lorsque l'exécution de la présente autorisation le requiert.

Le paragraphe 3 désigne quatre personnes connues dont les communications pouvaient être interceptées et indique quatre adresses, à Calgary, où les interceptions pouvaient être faites. Aucun des appelants n'est nommé dans l'autorisation. Les paragraphes 3 et 4 autorisent aussi la police à intercepter les communications privées des quatre individus désignés ainsi que celles de personnes inconnues:

[TRADUCTION] ...en tout autre lieu, fixe ou mobile, dans la province de l'Alberta, que ces personnes connues utilisent ou fréquentent ou dont on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'elles les utilisent ou les fréquentent.

Les infractions pour lesquelles l'autorisation permet les interceptions sont le vol, le complot pour commettre un vol, la possession de biens volés, le complot pour possession de biens volés, l'introduction par effraction et le complot pour introduction par effraction.

7. La poursuite a adopté comme position que son enquête et ses filatures avaient permis de réunir des éléments de preuve indiquant que Whiteman, les deux appelants et deux autres individus avaient repris le projet de cambriolage du supermarché, qui consistait à enlever la caissière et à la forcer à ouvrir le coffre. La poursuite a prétendu qu'à cette fin Whiteman et sa petite amie, l'appelante Vanweenan, ont filé la caissière en chef à bord du camion de Whiteman. Alors que Whiteman et Vanweenan filaient la caissière, la police les avaient pris eux‑mêmes en filature. Pour pousser plus loin l'enquête sur le cambriolage du supermarché, la police a conclu qu'elle pourrait réunir des preuves en plaçant un dispositif d'écoute dans le camion de Whiteman. Le 7 juillet 1983, agissant sur le fondement de l'autorisation accordée antérieurement, la police parvenait à placer clandestinement un dispositif d'écoute de courte portée dans le camion de Whiteman. Il était branché sur la batterie du camion qui fournissait l'électricité à son émetteur.

8. Au procès, le technicien qui a placé le dispositif dans le camion a déclaré qu'effectivement le dispositif tirait de l'électricité de la batterie, mais que cela n'avait eu aucun effet négatif sur celle‑ci puisqu'une fois le véhicule en marche elle se rechargeait et que la puissance perdue se renouvelait. Il a reconnu qu'en théorie le dispositif pouvait décharger complètement la batterie, la rendant totalement inopérante, mais que cela ne se produirait que si le dispositif restait dans le véhicule et que le véhicule lui‑même n'était pas mis en marche pendant trente jours consécutifs. Il n'est pas contesté qu'en l'espèce le dispositif n'a causé aucun dommage, ni au véhicule ni à la batterie.

9. La surveillance a pris fin en juillet 1983 lorsque le projet de cambriolage du supermarché a été à nouveau abandonné. Les divers participants à ces événements ont été arrêtés, y compris les deux appelants, qui ont plaidé non coupables et ont subi leur procès.

10. Les communications privées interceptées, produites à titre de preuve par le ministère public, comprennent: a) des conversations de Vanweenan, qui n'est pas nommée dans l'autorisation, avec Neil Whiteman, qui y est nommé; b) une conversation de Vanweenan avec Ted Christianou, ni l'un ni l'autre n'étant nommés dans l'autorisation; c) une conversation de Vanweenan avec Chesson et Whiteman; et d) des conversations de Chesson avec une autre personne, non identifiée, dans le camion.

Les jugements

11. À la fin du voir dire sur la question de l'admissibilité des interceptions, le juge du procès a conclu qu'aucune des communications interceptées des appelants n'était admissible. À son avis, les intrusions clandestines dans le véhicule de Whiteman pour y placer le dispositif d'écoute constituaient une intrusion illicite et un méfait criminel en vertu de l'al. 387(1)c) du Code criminel (gêner l'emploi légitime d'un bien). Il a conclu que toutes les interceptions faites à partir du camion, qui comprennent toutes celles opposées à Chesson et certaines de celles opposées à Vanweenan, ont été faites illégalement et sont par conséquent inadmissibles en vertu de l'art. 178.16 du Code. Il a aussi conclu que toutes les communications de l'appelante Vanweenan sont inadmissibles, parce qu'elles ne sont pas visées par l'autorisation. Elle n'est pas nommée dans l'autorisation, par conséquent ses communications ne pouvaient être légalement interceptées que s'il s'agissait d'une personne "inconnue" au sens de la clause omnibus. Elle ne pouvait être une personne inconnue que si elle n'était pas une personne "connue" au sens de la partie IV.1 du Code, une personne connue étant celle dont "les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction" (al. 178.12(1)e)). Au moment où ils ont demandé l'autorisation, les policiers savaient que Vanweenan était la petite amie de Whiteman et qu'ils avaient déjà participé ensemble à des activités criminelles. Le juge du procès a aussi constaté qu'au cours du voir dire l'inspecteur de police responsable de l'affaire avait admis que, de l'ensemble des informations dont disposait la police au sujet des rapports de Vanweenan avec Whiteman, il était raisonnable de penser qu'elle pourrait être utile à l'enquête sur les infractions relatives aux biens visées par l'autorisation. Il a par conséquent conclu que Vanweenan était une personne connue au sens de la partie IV.1 du Code et que, n'étant pas nommée dans l'autorisation, ses communications interceptées n'étaient pas admissibles.

12. En Cour d'appel de l'Alberta, le juge en chef Laycraft a rendu le jugement unanime de la Cour composée également des juges Belzil et McBain (ad hoc). L'appel de la poursuite a été accueilli et un nouveau procès ordonné. Quant aux interceptions faites grâce à l'installation d'un dispositif d'écoute dans le véhicule de Whiteman, il a fait observer qu'en raison de l'arrêt de cette Cour Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633, et du Renvoi sur l'écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697, décisions postérieures à celle du juge du procès en l'espèce, il est maintenant établi que les autorisations conférant à la police un pouvoir exprès d'entrée clandestine dans des lieux privés, afin d'y installer des dispositifs d'écoute, sont permises en vertu de la partie IV.1 du Code. Il a aussi rejeté l'argument selon lequel l'arrêt Lyons peut être distingué d'avec l'espèce parce que le dispositif d'écoute était branché sur la batterie du véhicule et qu'en théorie il pouvait l'endommager ou la détruire. Ce fait, a‑t‑on soutenu, rendait les interceptions illégales parce qu'elles résultaient d'un méfait criminel au sens du par. 387(1) du Code. En rejetant cet argument, la Cour d'appel se dit d'avis que le terme "volontairement" du par. 387(1) du Code est défini au par. 386(1) comme l'accomplissement d'un acte qui causera probablement la production du résultat interdit, alors qu'en l'espèce le dommage à la batterie ou sa destruction n'était qu'une possibilité. Selon la preuve, la batterie ne pouvait être endommagée ou détruite que si le camion était inutilisé pendant trente jours. Les policiers n'auraient pas placé le dispositif dans ce cas puisque qu'ils n'auraient pas atteint leur objectif. Ils avaient placé le dispositif parce qu'ils étaient quasiment sûr que le véhicule serait utilisé. Ils n'avaient donc jamais envisagé de dommage à la batterie. Cela réglait le cas de Chesson.

13. Quant à savoir si Vanweenan était une personne connue, le juge en chef Laycraft estime que la question qui se pose n'est pas celle de sa culpabilité ou de son innocence des crimes qui faisaient l'objet de l'enquête, ni de sa participation à ceux‑ci. Plutôt, la véritable question qui se pose est de savoir s'il s'agissait d'une personne dont les communications pouvaient être utiles à l'enquête relative à l'infraction. Cet arrêt est maintenant publié: (1985), 47 C.R. (3d) 157. Il dit, à la p. 165:

[TRADUCTION] La question ici n'est pas de savoir si Vanweenan pouvait être partie aux infractions visées par l'autorisation. La question est plutôt de savoir si l'interception de ses communications privées pouvait être utile à l'enquête.

À mon avis, les faits connus en eux‑mêmes ne constituent pas un motif raisonnable et probable de croire que l'interception des communications privées de Vanweenan pouvait être utile à l'enquête. Qu'elle ait été la petite amie de Whiteman n'était aucunement un motif raisonnable et probable de croire qu'il lui parlerait des infractions qui faisaient l'objet de l'enquête ou, encore, qu'elle le dirait à quelqu'un d'autre. Le facteur additionnel d'avoir été mêlé auparavant avec lui à des infractions en matière de drogue n'ajoute pas de motifs supplémentaires suffisants. Les autorisations ne doivent pas être accordées de façon routinière, en raison simplement d'une participation antérieure à une activité criminelle différente ou simplement en raison de rapports sociaux ou conjugaux. À mon avis, une autorisation désignant Vanweenan comme sujet d'écoute n'aurait pu être accordée en raison des deux faits connus. Elle n'était pas, par conséquent, une personne "connue" au sens de l'al. 178.12(1)e) du Code criminel.

Poursuivant, après avoir passé en revue plusieurs précédents, il conclut que même si Vanweenan était "connue", au sens de la partie IV.1 du Code, ses communications avaient été validement interceptées en vertu de la clause omnibus de l'autorisation. À son avis, qu'une personne soit connue ou inconnue, ses communications peuvent être légalement interceptées en vertu d'une clause omnibus adéquatement formulée. Il conclut par conséquent que la clause omnibus autorisait l'interception des communications de Vanweenan avec Whiteman et de Vanweenan avec Christianou.

14. Devant cette Cour, l'appelant Chesson ne fait valoir qu'un seul moyen pour faire accueillir son pourvoi et rétablir son acquittement. Il est exprimé en ces termes dans son mémoire:

[TRADUCTION] La Cour d'appel a commis une erreur de droit en concluant que l'installation d'un dispositif acoustique par la police dans une voiture, dispositif alimenté en électricité par la batterie de la voiture, ne constituait pas en droit une infraction à l'art. 387 du Code criminel.

15. L'appelante Vanweenan fait valoir quatre moyens d'appel dans son mémoire, le premier étant la réitération du moyen plaidé par Chesson, les trois autres pouvant être simplement exprimés en deux propositions: premièrement, on soutient en son nom que la Cour d'appel a commis une erreur en infirmant la conclusion du juge du procès portant qu'elle était une personne "connue" au moment de la demande et de l'octroi de l'autorisation; en second lieu, il était erroné de conclure que, qu'elle soit connue ou non, ses communications avaient été légalement interceptées en vertu de la clause omnibus ou qu'elles étaient admissibles parce qu'il s'agissait de communications avec une personne qualifiée de "connue" ou par ailleurs visée par l'autorisation.

16. La question de l'admissibilité d'une preuve dans les affaires d'écoute électronique dépend rarement de la pertinence, de la valeur probante ou des autres considérations souvent rencontrées en matière de preuve. La question dans chaque cas est, sous réserve d'exceptions limitées qui ne sont pas en cause ici, simplement une question de légalité et elle se limite à rechercher si les dispositions de la partie IV.1 du Code criminel ont été respectées. Comme l'a succinctement exposé le juge Dickson (alors juge puîné), dans son opinion, dissident sur un point différent, dans l'affaire Lyons, précitée, à la p. 640:

Aux fins de la partie IV.1 par conséquent, la manière d'obtenir la preuve est non seulement pertinente relativement à la question de l'admissibilité, mais la légalité est la condition sine qua non de l'admissibilité.

La partie IV.1 donne force légale à ce principe à l'al. 178.16(1)a). Il s'ensuit donc qu'en l'espèce, comme dans la grande majorité des affaires d'écoute électronique, la question de l'admissibilité d'une preuve commence et finit par la question de savoir si la preuve obtenue par la police l'a été en conformité avec les dispositions de la partie IV.1 du Code.

17. Il faut observer au départ que les appelants n'ont pas contesté la validité de l'autorisation; ils contestent les pouvoirs conférés par l'autorisation et le fait que l'ordonnance même autoriserait l'interception des communications de Vanweenan. De plus, le fait que la preuve relative au complot allégué, soit l'enlèvement de la caissière et le cambriolage du supermarché, ait été rassemblée en vertu d'une autorisation qui ne mentionne pas ces infractions, n'invalide pas les interceptions: voir R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121. Lorsque, comme en l'espèce, les policiers obtiennent une autorisation de bonne foi et qu'au cours d'une enquête réelle relative aux infractions énumérées dans l'autorisation ils réunissent des preuves concernant d'autres infractions, l'interception fortuite n'est pas rendue illégale. Comme le note le juge Lamer dans l'arrêt Commisso, toute autre règle serait contraire au but recherché par la partie IV.1; c'est l'intimité de ceux qui sont écoutés et non l'objet des conversations que protège la partie IV.1 du Code criminel. On constatera aussi que la décision de cette Cour dans l'affaire Lyons, précitée, et le Renvoi sur l'écoute électronique, précité, établissent clairement que, lorsque la police entre clandestinement dans des lieux pour y installer des dispositifs d'écoute dont le fonctionnement dépend de l'entrée, les interceptions obtenues sont licites en l'absence d'interdiction dans l'autorisation. Le juge Estey fait observer dans l'arrêt Lyons que la partie IV.1 du Code envisage, exige et autorise "par déduction nécessaire" ce genre d'entrée sur la propriété privée lorsque, comme en l'espèce, le matériel dont l'utilisation est autorisée l'exige pour fonctionner efficacement.

L'interception dans le camion par branchement sur sa batterie

18. Comme je l'ai dit précédemment, la police, agissant sur le fondement de l'autorisation, a installé clandestinement un dispositif d'écoute dans le camion de Whiteman, alimenté en électricité par la batterie du camion. L'arrêt Lyons, précité, et le Renvoi sur l'écoute électronique, précité, règlent à mon avis clairement la question de l'entrée. Comme je l'ai noté auparavant, il a alors été établi qu'une entrée clandestine ou subreptice sur une propriété privée, dans le but d'y installer un dispositif d'écoute autorisé, au cours de l'exécution d'une autorisation valide, est un pouvoir prévu "par déduction nécessaire" à la partie IV.1 du Code. Donc, malgré que l'entrée puisse par ailleurs constituer un acte illégal, l'interception est licite en vertu de l'al. 178.16(1)a), parce qu'elle est autorisée par le législateur. Si l'interception est conforme à l'autorisation et est exécutée conformément aux pouvoirs conférés par la partie IV.1, elle a été faite licitement. Le point décisif dans toute affaire où le pouvoir de la police est mis en cause est de savoir s'il découle d'une autorité légale: voir les arrêts Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739, Colet c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 2, et R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145. Il s'ensuit, par conséquent, que la véritable question qui se pose ici n'est pas, comme le soutiennent les appelants, de déterminer si ce comportement constitue un méfait criminel, mais simplement si l'installation par la police d'un dispositif d'écoute dans le camion relève de l'autorité conférée par la partie IV.1 du Code criminel. Vu les décisions dans l'arrêt Lyons et le Renvoi sur l'écoute électronique, il ne peut y avoir qu'une seule réponse en ce qui concerne l'entrée même et l'installation. Elles étaient clairement licites.

19. Toutefois, ce que l'allégation des appelants au sujet de l'interception fait réellement valoir est que l'utilisation d'un dispositif relié à la batterie du camion et qui en draine l'électricité n'était pas autorisée et était illicite. À mon avis, cet argument doit être rejeté. Dans l'arrêt Lyons, le juge Estey fait observer que la partie IV.1 autorise l'emploi de toute sorte de dispositifs d'écoute: acoustiques, mécaniques, électromagnétiques, etc. Les radios émetteurs sont parmi les dispositifs d'écoute les plus communément utilisés et connus. Ils sont manifestement visés par la partie IV.1 du Code criminel. Les radios émetteurs tributaires d'une source d'électricité sur les lieux de l'intrusion — ce qui évite le remplacement des batteries et les intrusions répétées que cela entraîne—ont la préférence de la police. Ces dispositifs existent depuis longtemps et sont fréquemment utilisés: voir Studies for the National Commission for the Review of Federal and State Laws Relating to Wiretapping and Electronic Surveillance (1976), aux pp. 174 et 204, et Watt, Law of Electronic Surveillance in Canada (1979), à la p. 183. Au cours du long processus d'examen et de réflexion qui a précédé l'adoption de la partie IV.1 du Code, le législateur a sans aucun doute eu connaissance de l'existence de ces dispositifs, qui se branchent sur une source externe d'électricité, comme une prise de courant ou une batterie de voiture. Si le législateur avait voulu interdire à la police l'usage de ces dispositifs, il aurait pu facilement le faire. Il ne l'a pas fait. De fait, à la partie IV.1, il autorise l'usage, sous réserve de contrôle judiciaire, de tous les genres de dispositifs en mesure d'intercepter les communications privées. Je ne vois aucun fondement justifiant que la Cour introduise une exception dans les dispositions générales du Code interdisant l'emploi de ce genre de dispositif. Pour fonder cette opinion, je me référerais aux propos du juge Estey dans l'arrêt Lyons, aux pp. 663 et 664:

La partie IV.1 envisage au moins trois méthodes ou dispositifs principaux qui peuvent être utilisés pour intercepter une communication privée: les dispositifs électromagnétiques (radioélectriques, téléphoniques ou optiques), acoustiques et mécaniques. Il n'y a pas de disposition spéciale relative à chacune de ces formes particulières de communication. Elles sont toutes visées par les mêmes dispositions générales. Il est donc manifeste que, dans la partie IV.1, le Parlement légifère à l'égard de l'utilisation de tout matériel ou de toute méthode faisant appel au spectre électromagnétique (lequel s'étend des ondes radio jusqu'aux ondes lumineuses), aux vibrations acoustiques à basse ou à haute fréquence, y compris celles que peut saisir l'oreille humaine, et à des dispositifs mécaniques, en vue d'intercepter une communication orale (ou autre) dans un endroit quelconque.

À mon avis, la partie IV.1 du Code "entraîne[. . .] forcément par déduction nécessaire" que les dispositifs comme celui employé en l'espèce ne sont pas exclus du champ des dispositifs d'interception autorisés par le Code.

20. La dernière question que pose l'interception dans le camion de Whiteman est de savoir si l'autorisation en l'espèce permettait l'utilisation du dispositif employé. À mon avis, il ne peut y avoir de doute qu'elle la permettait. Elle commence ainsi:

[TRADUCTION] il est ordonné que toute personne désignée conformément au paragraphe 178.13(2.1) du Code criminel et toute autre personne venant en aide à une personne désignée soient, par les présentes, autorisées à intercepter des communications privées comme ci‑après exposé et, à cette fin, à installer, à contrôler ou à enlever tout dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, y compris, au besoin, à s'introduire dans les lieux énumérés aux paragraphes 3 et 4 des présentes lorsque l'exécution de la présente autorisation le requiert.

La clause 5 de l'autorisation prévoit:

[TRADUCTION] Le mode d'interception des communications privées de personnes connues et inconnues consistera à écouter et à enregistrer les communications privées au moyen d'un dispositif ou appareil électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre, pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée.

Ces clauses n'imposent aucune limitation quant au type de dispositif à utiliser. L'emploi par la police de ce dispositif est donc permis aux termes de l'autorisation. On notera aussi que, dans l'arrêt R. c. Lawrence, [1988] 1 R.C.S. 619, cette Cour a jugé qu'une clause autorisant la police à utiliser, à faculté, "tout dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre" prévu par la partie IV.1 du Code respecte l'al. 178.13(2)c) voulant qu'une autorisation donne "une description générale de la façon dont les communications pourront être interceptées". Les interceptions faites grâce au dispositif installé dans le camion de Whiteman étaient licites. Comme c'est là le seul moyen que soulève l'appelant Chesson, il doit être débouté de son pourvoi, lequel est rejeté. Il faut maintenant examiner les moyens additionnels soulevés par Vanweenan.

Les moyens additionnels plaidés par Vanweenan

21. L'essentiel de l'argument de Vanweenan peut être énoncé en peu de mots. Elle dit: je ne suis pas nommée dans l'autorisation. Par conséquent, mes communications privées ne peuvent être interceptées ni admises à titre de preuve contre moi, à moins de les qualifier de communications émanant d'une personne "inconnue" en vertu de la clause omnibus. Cette clause ne saurait s'appliquer à mes communications, puisque je ne suis pas une personne "inconnue". L'examen de cet argument commande l'étude des dispositions de la partie IV.1 du Code. L'alinéa 178.12(1)e) requiert notamment qu'avec la demande d'autorisation le déposant indique, dans une déclaration assermentée, "les noms, adresses et professions, s'ils sont connus de toutes les personnes dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction". L'alinéa 178.13(2)c) requiert notamment que l'autorisation elle‑même indique, "si elle est connue, l'identité des personnes dont les communications privées doivent être interceptées". Les tribunaux ont déduit de l'emploi de l'expression "si elle est connue" dans ce dernier alinéa qu'une autorisation peut conférer à la police le pouvoir d'intercepter les communications de personnes "inconnues" des policiers au moment où ils demandent l'autorisation. Cette proposition a été établie dès le début par le juge Zuber, parlant au nom de la Cour d'appel de l'Ontario, dans l'arrêt R. v. Welsh and Iannuzzi (No. 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363, à la p. 375, où il dit:

[TRADUCTION] L'alinéa 178.13(2)c) lui‑même dispose qu'une autorisation peut prévoir l'interception des communications de personnes inconnues. Le fait que la loi prévoit expressément ce genre d'autorisation renforce l'argument que, si l'autorisation ne nomme que des personnes précises, les limites de l'autorisation doivent être respectées.

(Voir aussi Watt, op. cit., aux pp. 97 à 99.)

Une clause dans une autorisation, comme la clause 4 en l'espèce, qui permet l'interception des communications privées d'inconnus est appelée clause "omnibus". Elle permet l'interception des communications privées de toute personne inconnue de la police au moment de la demande d'autorisation et qui établit une communication dans les lieux visés par l'autorisation: voir R. v. Samson (1983), 36 C.R. (3d) 126 (C.A. Ont.) Il est évident donc qu'une autorisation comportant une clause omnibus peut permettre l'interception des communications de deux groupes de personnes, les connues et les inconnues.

22. Comment décider si une personne en particulier est connue ou inconnue pour les fins de la partie IV.1 du Code? À mon avis, la réponse à cette question se trouve dans la partie IV.1 elle‑même. Le point de départ est l'al. 178.12(1)e) du Code qui énonce les deux conditions qui doivent être respectées avant qu'une autorisation puisse légalement identifier et nommer une personne, considérée alors comme connue. La première condition, la plus évidente, est que la police doit connaître l'existence de cette personne. En second lieu, ce qui est tout aussi important, il faut aussi que cette personne satisfasse à la norme voulant qu'il s'agisse d'une personne "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction". Si, au moment où la police demande une autorisation judiciaire, ces deux critères sont remplis, il s'agit d'une personne connue et, par conséquent, si les interceptions de ses communications doivent être retenues contre elle, elle doit être désignée dans l'autorisation comme cible de l'interception. Si elle n'est pas mentionnée, les interceptions qui la concernent ne sont pas recevables, puisque le pouvoir pour y procéder n'existe pas. Donc, une personne "connue" pour les fins de la partie IV.1 du Code est une personne qui satisfait aux deux critères de l'al. 178.12(1)e).

23. Une personne inconnue, par conséquent, est celle qui ne répond pas à ces conditions au moment où la police demande l'autorisation. Il s'ensuit que, si la poursuite entend se fonder sur une clause omnibus pour produire des interceptions de communications privées à titre de preuves, elles doivent émaner d'une personne dont la police ignorait l'existence au moment de la demande d'autorisation ou dont la police ignorait à ce moment‑là qu'il s'agissait de quelqu'un "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction". Il est admis que, lorsque les policiers ont demandé l'autorisation en l'espèce, ils connaissaient l'existence de Vanweenan. Pour décider donc si la poursuite peut produire les interceptions des communications de cette dernière en vertu de la clause omnibus, il faut établir si elle est bien une personne "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction". Si elle l'est, la poursuite reconnaît à bon droit qu'elle ne peut se fonder sur la clause omnibus pour en produire les communications privées parce qu'elle ne peut être qualifiée de personne inconnue: voir R. v. Crease (No. 2) (1980), 53 C.C.C. (2d) 378 (C.A. Ont.), R. v. Blacquiere (1980), 57 C.C.C. (2d) 330 (C.S.Î.‑P.‑É.), et R. v. Meidel (1984), 11 C.C.C. (3d) 77 (C. cté C.‑B.)

24. On a prétendu que la question de savoir s'il s'agissait d'une personne "connue", dans ce contexte, était une question de fait et que, par conséquent, la Cour d'appel s'était saisie à tort de l'appel, puisque aucun appel ne peut être formé contre un acquittement sur une question de fait. Je souscris au rejet de cet argument par la Cour d'appel qui dit, par la voix du juge en chef Laycraft, à la p. 164:

[TRADUCTION] On a d'abord souligné que qualifier Vanweenan de personne "connue" était une constatation de fait dont la poursuite ne pouvait interjeter appel en vertu des dispositions de l'art. 605. À mon avis, c'est là confondre les faits constatés avec le résultat qui en découle en droit. Les faits constatés—les rapports entre Whiteman et Vanweenan et son activité criminelle antérieure—ne sauraient être contestés dans un appel de la poursuite. Mais déterminer si ces faits en font une personne "connue" au sens de l'al. 178.12(1)e) du Code criminel est une question de droit.

La réponse à cette question de droit dépend cependant de la constatation de fait sous‑jacente. La question est donc: Au moment de la demande d'autorisation y avait‑il des motifs raisonnables et probables de croire que l'interception de ses communications privées pouvait être utile à l'enquête? Sur ce point, je ne partage pas l'opinion de la Cour d'appel. Il me semble qu'il ne peut y avoir qu'une réponse affirmative à cette question. Vanweenan était connue et la poursuite ne peut se fonder sur la clause omnibus pour produire les interceptions de ses communications. Je suis d'avis de souscrire à la décision du juge du procès sur cette question. À (1984), 33 Alta. L.R. (2d) 85, aux pp. 87 et 88, il dit:

[TRADUCTION] Je conviens que le déposant dans la demande, l'inspecteur Mosley, ait pu ne connaître la défenderesse qu'à titre de petite amie de Whiteman, mais il est indéniable qu'il pouvait obtenir beaucoup d'information à son sujet à la fois dans des fiches de police et auprès des autres enquêteurs qui le dirigeait et, comme il faisait la demande en grande partie sur le fondement d'informations fournies par d'autres, il appartenait à ceux qui le renseignaient de bien l'informer de toutes les personnes qu'ils connaissaient, c'est‑à‑dire qu'ils connaissaient au sens de la loi. Le responsable de l'enquête, l'inspecteur Peterson, admet franchement que, de l'ensemble des informations dont disposait la police sur les rapports de Vanweenan et de Whiteman, y compris sur ses rapports intimes avec lui, sur ses activités criminelles alléguées, sur leurs activités criminelles conjointes, il était raisonnable de croire qu'elle pourrait être utile à l'enquête relative aux infractions énoncées dans l'autorisation. Je n'hésite pas à conclure que la seule façon pour elle d'être utile ne pouvait être que par l'interception de ses communications privées. Elle n'aurait certainement pas collaboré avec la police et toute tentative d'intervenir auprès d'elle aurait—comme l'a dit l'inspecteur—détruit toute la couverture. Elle était donc une personne "connue" au sens de la loi.

25. Vanweenan et Whiteman étaient étroitement associés et, par le passé, avaient participé ensemble à des activités criminelles. Elle était la petite amie de Whiteman et la filature du véhicule de ce dernier avant le 29 juin avait établi qu'elle l'utilisait. Elle avait antérieurement été impliquée dans des activités criminelles avec lui et, le 29 juin 1983, elle et Whiteman avaient été coaccusés en vertu d'un acte d'accusation portant sur des infractions relatives à la drogue. L'agent de police Peterson a jugé raisonnable de présumer que ses communications privées seraient utiles à l'enquête ou pourraient l'être. Tout ce qu'il fallait pour l'inclure dans la demande, c'était des motifs raisonnables et probables de croire que ses communications pourront être utiles. On a satisfait à ce critère en l'espèce. Je suis par conséquent d'avis qu'elle était une personne "connue" et que la poursuite ne peut se fonder sur la clause omnibus.

La poursuite peut‑elle présenter la preuve de l'interception des communications privées de Vanweenan sur le fondement qu'elles ont été faites au cours de conversations avec des personnes dont les communications étaient légalement interceptées?

26. À mon avis, cet argument peut être réglé sommairement. L'article 178.16(1) prévoit dans les termes les plus clairs qu'une communication privée interceptée est inadmissible, à titre de preuve opposable à son auteur ou à la personne destinée à la recevoir, à moins que l'interception ne soit licite ou que son auteur ou que la personne à qui son auteur l'a destinée n'ait consenti à l'admission de l'élément de preuve. Les communications que l'on veut voir admettre ici sont celles de Vanweenan. Nous avons déjà conclu que l'interception de ses communications était illicite et la question d'un quelconque consentement ne se pose pas en l'espèce. Je suis d'avis de rejeter la prétention que ses communications sont englobées dans l'interception licite des communications de Whiteman et Christianou avec lesquelles elle s'entretenait au moment des interceptions. Elle conservait, en raison du non‑respect de la partie IV.1 et de l'absence de consentement de sa part, la protection de la partie IV.1 du Code. Je renvoie au passage suivant de l'arrêt majoritaire Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976, à la p. 995:

A mon avis, la différence entre le mot conversation et le mot communication est importante dans le contexte de cette disposition. Une communication comprend la transmission de pensées, d'idées, de mots ou de renseignements d'une personne à une autre. Le terme conversation est plus large et inclurait, comme toutes les conversations, l'échange d'une série de communications distinctes. Considérer que l'auteur d'une communication privée au sens de l'art. 178.1 est la personne qui fait la remarque ou série de remarques que le ministère public cherche à produire en preuve est, selon moi, compatible avec l'économie de la Partie IV.1. Si une personne qui peut raisonnablement s'attendre à une certaine intimité, fait, au cours d'une conversation interceptée électroniquement, des déclarations que le ministère public cherche à utiliser contre elle, elle bénéficie, à mon avis, à titre d'auteur de ces déclarations, des dispositions de protection de la vie privée du Code criminel, parce que ces déclarations constituent des communications privées de sa part et leur admissibilité à un procès subséquent sera soumise aux dispositions de la Partie IV.1 du Code criminel. [Je souligne.]

27. En résumé, donc, Vanweenan n'est pas une personne "connue" dont les communications privées pouvaient être interceptées en vertu de l'autorisation puisque, bien que la police ait connu son identité et qu'elle ait été une personne "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction", elle n'était pas désignée dans l'autorisation. Elle n'est pas une "inconnue" dont les communications auraient pu être interceptées en vertu de la clause omnibus parce que son identité était connue et, comme je l'ai dit, elle est une personne "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction".

28. Pour ce qui est de Vanweenan, par conséquent, le pourvoi est accueilli et son acquittement rétabli. Quant à Chesson, cependant, le pourvoi est rejeté et l'ordonnance de nouveau procès est confirmée.

Version française des motifs rendus par

29. Le juge Wilson—J'ai eu le privilège de prendre connaissance des motifs de mon collègue, le juge McIntyre; je souscris à ses conclusions et, pour la plus grande part, à son raisonnement. Un point néanmoins me préoccupe.

30. Cette Cour a jugé dans son arrêt Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633, et dans le Renvoi sur l'écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697, que, si pour exécuter une autorisation d'installation d'un dispositif d'écoute, il faut entrer dans un lieu particulier, l'autorisation permet par déduction nécessaire l'entrée dans ce lieu de même que l'installation du dispositif. La Cour, à la majorité formée des juges Beetz, Estey, McIntyre et Lamer, a jugé dans l'arrêt Lyons que le fait que l'entrée constitue une intrusion ne signifie pas que l'interception n'a pas été "faite légalement" au sens de l'al. 178.16(1)a) du Code criminel. Les juges Dickson et Chouinard étaient dissidents, estimant que l'autorisation d'intercepter des communications privées ne comporte pas implicitement le droit d'entrer dans des lieux privés et que, par conséquent, celle‑ci n'est pas "faite légalement" au sens de l'alinéa.

31. Les appelants font valoir que cette jurisprudence n'autorise pas les entrées quand elles violent d'autres dispositions du Code criminel ou d'autres lois qu'il n'est pas nécessaire de violer pour exécuter l'autorisation. Ils concèdent que, s'il n'y avait pas eu violation de l'art. 387 du Code criminel, l'article portant sur le méfait, l'interception aurait été "faite légalement". Je conviens, avec les tribunaux d'instance inférieure et avec le juge McIntyre, qu'il n'y a pas eu violation de l'art. 387 en l'espèce et je note, en particulier, que le par. 386(2) du Code prévoit que nul ne peut être déclaré coupable en vertu de l'art. 387 s'il a agi "avec une justification ou une excuse légale et avec apparence de droit": voir R. v. Ninos and Walker, [1964] 1 C.C.C. 326 (C.S.N.‑É. en banc), et R. v. Creaghan (1982), 1 C.C.C. (3d) 449 (C.A. Ont.)

32. Cependant, je désire souligner qu'à mon avis l'arrêt Lyons et le Renvoi sur l'écoute électronique n'autorisent pas par déduction nécessaire toutes les formes d'entrée. La partie IV.1 du Code criminel s'intitule "Atteintes à la vie privée"; il s'agit clairement d'un compromis législatif entre l'intérêt de l'individu à sa vie privée et l'intérêt concurrent du public à ce qu'on applique la loi: voir R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121, aux pp. 124 et 125, le juge Lamer. Je suis donc sensible à la proposition générale des appelants selon laquelle toutes les formes d'entrée ne sont pas autorisées par déduction nécessaire, mais seulement celles qui constituent la façon la moins envahissante d'exécuter l'autorisation. Je pense que cette réserve peut être implicite dans la jurisprudence antérieure, quoiqu'elle n'y ait pas été énoncée expressément. Si j'ai tort à cet égard, je crois néanmoins qu'elles devraient être assujetties à cette réserve. C'est pourquoi, si une autorisation peut être exécutée sans violation du droit criminel ou du droit civil, on ne devrait pas l'interpréter de manière à y introduire le pouvoir de commettre cette violation. À mon avis, cette violation n'est pas autorisée en pareil cas par déduction nécessaire. Je ne prétends pas, bien entendu, que les policiers doivent tout mettre en oeuvre pour assurer une protection maximale à la vie privée de l'inculpé dans leur choix du mode d'entrée et d'installation. Je dis simplement qu'ils doivent agir de manière responsable et ne pas s'ingérer plus dans la vie privée de l'inculpé qu'il n'est raisonnablement nécessaire de le faire pour installer le dispositif. Je pense que les policiers ont agi de manière responsable en l'espèce en branchant le dispositif sur la batterie du camion puisque, autrement, des intrusions répétées auraient été nécessaires pour remplacer les batteries du dispositif.

33. Le seul point où je suis en désaccord avec mon collègue est donc que je crois que le mode d'entrée et d'installation est pertinent relativement à l'al. 178.16(1)a). L'arrêt Lyons et le Renvoi sur l'écoute électronique n'apportent pas de réponse concluante à une allégation que le mode d'entrée et d'installation viole une autre disposition du Code criminel ou de notre droit civil. Il y a un moyen terme entre les positions de la majorité et de la minorité dans ces affaires et c'est, avec égards, celui que j'adopte. Il appartient toujours aux tribunaux de décider si le mode particulier d'entrée et d'installation en cause constitue la façon la moins envahissante qu'on aurait pu raisonnablement employer pour exécuter l'autorisation. Ce n'est qu'alors, à mon avis, qu'elle est autorisée par déduction nécessaire et alors seulement qu'elle aura été, pour reprendre les termes de l'al. 178.16(1)a) du Code criminel, "faite légalement".

Le pourvoi de Vanweenan est accueilli et le pourvoi de Chesson est rejeté.

Procureurs de l'appelante Vanweenan: Moreau, Ogle & Associates, Calgary.

Procureurs de l'appelant Chesson: MacPherson & Associates, Calgary.

Procureur de l'intimée: Earl C. Wilson, Calgary.

* Le juge Estey n'a pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1988] 2 R.C.S. 148 ?
Date de la décision : 29/09/1988
Sens de l'arrêt : Le pourvoi de v est accueilli et le pourvoi de c est rejeté

Analyses

Droit criminel - Interception de communications privées - Admissibilité de la preuve - Autorisation judiciaire d'interception - Installation clandestine d'un dispositif d'écoute par la police dans le véhicule d'un coaccusé - Dispositif branché sur la batterie du véhicule pour alimenter son émetteur en électricité - L'installation du dispositif d'écoute par la police est‑elle licite?—Le dispositif est‑il autorisé par la partie IV.1 du Code criminel? - L'autorisation permet‑elle d'utiliser le dispositif employé?.

Droit criminel - Interception de communications privées - Admissibilité de la preuve - Interceptions des communications d'une personne non désignée dans l'autorisation - La poursuite peut‑elle se fonder sur la clause omnibus de l'autorisation pour faire admettre les interceptions en preuve? - La personne non désignée dans l'autorisation est‑elle une personne connue ou inconnue aux fins de la partie IV.1 du Code criminel? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 178.12(1)e).

Droit criminel - Interception de communications privées - Admissibilité de la preuve - Interceptions des communications d'une personne non désignée dans l'autorisation au cours de conversations avec des personnes dont les communications ont été légalement interceptées - Les interceptions des communications de la personne non désignée sont‑elles admissibles? - Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34, art. 178.16(1).

Les appelants, V et C, ont été inculpés conjointement, avec plusieurs autres, de complot pour commettre un vol qualifié et un enlèvement. La preuve de la poursuite repose largement sur certaines communications privées des appelants, interceptées en vertu d'une autorisation judiciaire dans le cadre d'une enquête policière sur certains individus concernant des infractions n'ayant aucun rapport avec l'espèce. L'autorisation permettait à la police d'intercepter les communications privées de quatre individus qu'elle désignait, y compris W, dont V était la petite amie, ainsi que celles de personnes inconnues. Aucun des appelants n'est nommé dans l'autorisation. L'enquête a permis de réunir des éléments de preuve indiquant que W, les deux appelants et deux autres individus avaient repris un plan de cambriolage d'un supermarché, prévoyant l'enlèvement de la caissière pour la forcer à ouvrir le coffre. Agissant sur le fondement de l'autorisation accordée antérieurement, la police parvint à placer clandestinement un dispositif d'écoute de courte portée dans le véhicule automobile de W. Le dispositif était branché sur la batterie du véhicule qui fournissait l'électricité à son émetteur. Il est admis en l'espèce que le dispositif n'a causé aucun dommage au véhicule ou à la batterie. Au voir dire, le juge du procès a conclu à l'illégalité de toutes les interceptions des communications des appelants en vertu de la partie IV.1 du Code criminel et il a écarté ces éléments de preuve. En conséquence, il a acquitté les deux appelants. En appel, la Cour d'appel a infirmé les acquittements et ordonné un nouveau procès. Le présent pourvoi vise à déterminer: (1) si la police, en installant clandestinement dans un véhicule automobile un appareil d'écoute branché sur la batterie de ce véhicule, a effectué une interception illégale; (2) si, dans le cas de V, il s'agit d'une personne dont les communications privées étaient visées par l'autorisation; et (3) si ces dernières étaient admissibles, vu qu'elles ont été faites à des personnes dont les communications ont été légalement interceptées en vertu de l'autorisation.

Arrêt: Le pourvoi de V est accueilli et le pourvoi de C est rejeté.

Les juges Beetz, McIntyre et Lamer: Une entrée clandestine ou subreptice sur une propriété privée, dans le but d'y installer un dispositif d'écoute autorisé au cours de l'exécution d'une autorisation valide, est un pouvoir prévu "par déduction nécessaire" à la partie IV.1 du Code criminel. Donc, malgré que l'entrée puisse par ailleurs constituer un acte illégal, l'interception est licite en vertu de l'al. 178.16(1)a) du Code, parce qu'elle est autorisée par le législateur. Si l'interception respecte l'autorisation et est exécutée conformément aux pouvoirs conférés dans la partie IV.1, elle a été faite licitement. En l'espèce, l'argument des appelants portant que l'utilisation d'un dispositif relié à la batterie du véhicule et qui en draine l'électricité n'était pas autorisée et était illicite, doit être rejeté. Les dispositifs dont le fonctionnement dépend d'une source externe d'électricité, comme une prise de courant ou une batterie de voiture, ne sont pas exclus du champ des dispositifs d'interception autorisés par le Code. L'emploi par la police de ce dispositif était également permis en vertu de l'autorisation puisque ses clauses n'imposaient aucune limitation quant aux types de dispositifs à utiliser.

Les communications de V n'étaient pas visées par l'autorisation et sont inadmissibles. Comme elle n'est pas désignée dans l'autorisation, ces communications ne pouvaient être légalement interceptées à moins de les qualifier de communications émanant d'une personne "inconnue" en vertu de la clause omnibus de l'autorisation. Pour les fins de la partie IV.1 du Code, une personne en particulier est "connue" lorsqu'il s'agit d'une personne dont la police connaissait l'identité au moment de la demande d'autorisation et d'une personne "dont les communications privées devraient être interceptées du fait qu'on a des motifs raisonnables et probables de croire que cette interception pourra être utile à l'enquête relative à l'infraction" (al. 178.12(1)a)). Une personne "inconnue" est une personne qui ne répond pas à ces deux conditions. En l'espèce, les policiers connaissaient l'existence de V lorsqu'ils ont demandé l'autorisation et, vu l'ensemble des informations dont disposait la police sur ses rapports avec W, y compris sur ses rapports intimes avec lui et sur leurs activités criminelles conjointes, il était raisonnable de présumer que ses communications privées seraient, ou pourraient être, utiles à l'enquête relative aux infractions énoncées dans l'autorisation. Par conséquent, V ne pouvait être qualifiée de personne "inconnue" et la poursuite ne pouvait se fonder sur la clause omnibus pour produire en preuve les communications privées en question. Il s'agissait d'une personne "connue" au sens de la partie IV.1 du Code et, comme elle n'était pas désignée dans l'autorisation, ses communications privées ne pouvaient être interceptées en vertu de celle‑ci.

La poursuite ne peut présenter la preuve de l'interception des communications privées de V sur le fondement qu'elles ont été faites au cours de conversations avec des personnes dont les communications étaient légalement interceptées. Le paragraphe 178.16(1) du Code prévoit dans les termes les plus clairs qu'une communication privée interceptée est inadmissible, à titre de preuve opposable à son auteur ou à la personne destinée à la recevoir, à moins que l'interception ne soit licite ou que son auteur ou que la personne à qui son auteur la destinait n'ait consenti à l'admission des éléments de preuve. Les communications que l'on veut voir admettre ici sont celles de V. Leur interception était illicite et V n'a pas consenti à leur admission.

Le juge Wilson: La partie IV.1 du Code criminel n'autorise pas par déduction nécessaire toutes les formes d'entrées, mais seulement celles qui constituent la façon la moins envahissante d'exécuter l'autorisation. C'est pourquoi, si une autorisation peut être exécutée sans violation du droit criminel ni du droit civil, on ne devrait pas l'interpréter de manière à y introduire le pouvoir de commettre cette violation. Cette violation n'est pas en pareil cas autorisée par déduction nécessaire. La police doit agir de manière responsable et ne porter atteinte à la vie privée de l'accusé que dans la mesure raisonnablement nécessaire pour installer le dispositif. Le mode d'entrée et d'installation est donc pertinent en vertu de l'al. 178.16(1)a) du Code et il appartient toujours aux tribunaux de décider si le mode particulier d'entrée et d'installation en cause constitue la façon la moins envahissante qu'on aurait pu raisonnablement employer pour exécuter l'autorisation. Ce n'est qu'alors qu'elle est autorisée par déduction nécessaire et alors seulement qu'elle aura été, pour reprendre les termes de l'al. 178.16(1)a), "faite légalement". En l'espèce, les policiers ont agi de manière responsable en branchant le dispositif sur la batterie du véhicule puisque, autrement, des intrusions répétées auraient été nécessaires pour remplacer les batteries. L'entrée et l'installation ont donc été "faites légalement".


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Chesson

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McIntyre
Arrêts appliqués: Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633
Renvoi sur l'écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697
arrêts mentionnés: R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121
Eccles c. Bourque, [1975] 2 R.C.S. 739
Colet c. La Reine, [1981] 1 R.C.S. 2
R. c. Landry, [1986] 1 R.C.S. 145
R. c. Lawrence, [1988] 1 R.C.S. 619
R. v. Welsh and Iannuzzi (No. 6) (1977), 32 C.C.C. (2d) 363
R. v. Samson (1983), 36 C.R. (3d) 126
R. v. Crease (No. 2) (1980), 53 C.C.C. (2d) 378
R. v. Blacquiere (1980), 57 C.C.C. (2d) 330
R. v. Meidel (1984), 11 C.C.C. (3d) 77
Goldman c. La Reine, [1980] 1 R.C.S. 976.
Citée par le juge Wilson
Arrêts mentionnés: Lyons c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 633
Renvoi sur l'écoute électronique, [1984] 2 R.C.S. 697
R. v. Ninos and Walker, [1964] 1 C.C.C. 326
R. v. Creaghan (1982), 1 C.C.C. (3d) 449
R. c. Commisso, [1983] 2 R.C.S. 121.
Lois et règlements cités
Code criminel, S.R.C. 1970, chap. C‑34 [mod. 1973‑74, chap. 50, art. 2], art. 178.12(1)e) [abr. & rempl. 1976‑77, chap. 53, art. 8], 178.13(2)c) [idem, art. 9], 178.16(1)a) [idem, art. 10], 386(1), (2), 387(1)c), 618(2)a) [abr. & rempl. 1974‑75‑76, chap. 105, art. 18].
Doctrine citée
United States. National Commission for the Review of Federal and State Laws Relating to Wiretapping and Electronic Surveillance. Commission Studies. Washington, 1976.
Watt, David. Law of Electronic Surveillance in Canada. Toronto: Carswells, 1979.

Proposition de citation de la décision: R. c. Chesson, [1988] 2 R.C.S. 148 (29 septembre 1988)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1988-09-29;.1988..2.r.c.s..148 ?
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