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02/03/1989 | CANADA | N°[1989]_1_R.C.S._238

Canada | Sobeys stores ltd. c. Yeomans et labour standards tribunal (N.-é.), [1989] 1 R.C.S. 238 (2 mars 1989)


Sobeys Stores Ltd. c. Yeomans et Labour Standards Tribunal (N.-É), [1989] 1 R.C.S. 238

Le Procureur général de la Nouvelle-Écosse

représentant Sa Majesté La Reine du chef

de la Province de la Nouvelle‑Écosse Appelant (Intervenant)

et

Clifford George Yeomans et A. Ross Mitchell,

directeur des normes du travail de la province

de la Nouvelle-Écosse, et Stephen K. Mont,

Henry Martell et Ann Hebb, en leur qualité

respective de président et de membres

du Labour Standards Tribunal (Nouvelle-Écosse) et

le Labour

Standards Tribunal (Nouvelle-Écosse) Appelants (Intimés)

c.

Sobeys Stores Limited, une personne morale Intimée (Appelante)

...

Sobeys Stores Ltd. c. Yeomans et Labour Standards Tribunal (N.-É), [1989] 1 R.C.S. 238

Le Procureur général de la Nouvelle-Écosse

représentant Sa Majesté La Reine du chef

de la Province de la Nouvelle‑Écosse Appelant (Intervenant)

et

Clifford George Yeomans et A. Ross Mitchell,

directeur des normes du travail de la province

de la Nouvelle-Écosse, et Stephen K. Mont,

Henry Martell et Ann Hebb, en leur qualité

respective de président et de membres

du Labour Standards Tribunal (Nouvelle-Écosse) et

le Labour Standards Tribunal (Nouvelle-Écosse) Appelants (Intimés)

c.

Sobeys Stores Limited, une personne morale Intimée (Appelante)

et

Le procureur général du Canada,

le procureur général du Québec,

le procureur général du Manitoba et

le procureur général de la Colombie-Britannique Intervenants

répertorié:sobeys stores ltd. c. yeomans et labour standards tribunal (n.‑é.)

No du greffe: 19682.

1988: 5 février; 1989: 2 mars.

Présents: Le juge en chef Dickson et les juges Beetz, Estey*, McIntyre, Lamer, Wilson, Le Dain*, La Forest et L'Heureux-Dubé.

en appel de la division d'appel de la cour suprême de la nouvelle-écosse

Droit constitutionnel -- Tribunaux -- Compétence -- Droit relatif à l'emploi -- Tribunal provincial confirmant une décision qui ordonnait la réintégration d'un employé et le paiement rétroactif de son salaire -- Le pouvoir d'un agent et d'un tribunal provinciaux de statuer sur des litiges et de rendre des ordonnances enfreint-il l'art. 96 et est‑il donc ultra vires? — Loi constitutionnelle de 1867, art. 96 -- Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, art. 67A(2), (3).

L'appelant Yeomans a été employé par l'intimée Sobeys durant dix ans avant d'être congédié. Il avait été averti verbalement à au moins trois reprises de ses faiblesses, mais il n'avait reçu aucun avis écrit à ce sujet. Yeomans a porté plainte au Directeur des normes du travail de la Nouvelle‑Écosse pour congédiement "sans cause juste" aux termes de l'art. 67A du Labour Standards Code. Le Directeur a ordonné que Yeomans soit réintégré et que lui soit versée une indemnité pour la perte de salaire résultant du congédiement abusif. Cette décision a été confirmée par le Labour Standards Tribunal. La Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a accueilli l'appel formé par Sobeys, jugeant les par. 67A(2) et (3) inconstitutionnels parce qu'ils conféraient un pouvoir visé à l'art. 96 à un tribunal constitué par une province.

Les questions constitutionnelles énoncées en l'espèce sont: (1) la province a‑t‑elle la compétence législative d'habiliter le Directeur des normes du travail et le Tribunal des normes du travail à entendre et à trancher des conflits relativement à l'art. 67A du Labour Standards Code et à rendre des ordonnances visant l'application de cet article, compte tenu de l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, et (2) les par. 67A(2) et (3) du Labour Standards Code sont-ils ultra vires de la province pour le motif qu'ils contreviennent à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Arrêt: Le pourvoi est accueilli; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde, une réponse négative.

Le juge en chef Dickson et les juges McIntyre, Lamer et Wilson: Quoique le Tribunal des normes du travail exerce une compétence correspondant généralement à celle exercée par les cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération et quoique, ce faisant, il exerce une fonction judiciaire, cet exercice est un accessoire nécessaire de la politique plus vaste qui cherche à assurer des normes minimales de protection aux employés non syndiqués.

La compétence en l'espèce doit être qualifiée de compétence en matière de congédiement abusif. Les qualifications de l'art. 67A qui le rattachent aux rapports employeur-employé, aux normes du travail ou à l'exécution forcée d'un contrat de travail doivent être rejetées.

La question de la qualification doit être résolue en fonction des différents objets que sert le critère en trois volets énoncé dans Re Loi de 1979 sur la location résidentielle. Pour le premier volet, il faut rechercher si le pouvoir "correspond généralement" aux pouvoirs des cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération. Il est nécessaire d'adopter un point de vue relativement strict en matière de qualification à cette étape pour éviter d'importantes augmentations de compétence des tribunaux inférieurs, ce qui irait à l'encontre des fins recherchées par l'art. 96. La compétence en matière de redressement, cependant, est trop étroite. C'est la nature du litige qui doit servir de guide pour l'application du critère historique.

S'il s'agissait d'une compétence exclusive des cours supérieures à l'époque de la Confédération, il faut alors passer au second et au troisième volets du critère. Si la compétence est partagée, la loi contestée peut, dans certaines circonstances, être jugée valide à l'étape du critère historique. La compétence n'a pas à avoir été parfaitement ni même généralement concurrente, car la nature de la distinction entre tribunal inférieur et cour supérieure signifie nécessairement que la compétence du premier sera limitée territorialement ou pécuniairement. Ce n'est que si la compétence des tribunaux inférieurs est généralement parallèle à celle des cours supérieures qu'un historique de compétence partagée validera le régime contemporain en vertu du critère historique.

Par compétence antérieure à la Confédération, on entend une compétence antérieure à 1867 et non une compétence exercée dans une province en particulier immédiatement avant son entrée dans la Confédération. Le critère de la compétence en 1867 doit inclure un examen de la compétence prévalant dans l'ensemble des quatre provinces qui ont formé la Confédération à l'origine et, s'il en résulte qu'elles ne sont pas départagées, de la compétence exercée au Royaume-Uni. C'est le cas en l'espèce. Aussi, il ressort d'un examen de la compétence en matière de congédiement abusif exercée au Royaume-Uni en 1867, qu'elle était un domaine réservé aux tribunaux assimilables aux cours supérieures, de district et de comté du Canada. Cette compétence, par conséquent, ne peut être conférée à des tribunaux de constitution provinciale de nos jours.

Pour le second volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle, lequel requiert que l'on se demande si le tribunal provincial exerce une fonction judiciaire, la nature de la question que le tribunal doit trancher est décisive. Il est nécessaire de distinguer entre le rôle du Directeur et celui du Tribunal. Celui-là n'exerce pas une fonction judiciaire même s'il est saisi de litiges privés entre des parties; celui-ci en exerce une.

Le troisième volet du critère porte sur le "contexte" dans lequel le pouvoir s'exerce. Il s'exerce dans le cadre d'un régime global de protection des travailleurs non syndiqués. Cette politique de protection répond à des conditions sociales qui ont évolué depuis la Confédération et est mise en {oe}uvre dans un cadre administratif plutôt que judiciaire. Bien que le Tribunal exerce effectivement une fonction judiciaire à l'égard de l'art. 67A et de nombreux autres aspects du Code, cette fonction est nécessairement accessoire à la mise en {oe}uvre des grandes politiques sociales pour lesquelles le Code a été conçu.

Les juges Beetz, La Forest et L'Heureux-Dubé: L'aspect judiciaire du Labour Standards Code ne porte nullement sur les matières contractuelles attribuées aux cours visées à l'art. 96 en 1867. Ses normes de relations du travail transcendent la relation entre les parties et s'appliquent indépendamment de toute convention qui peut avoir été conclue. Les mécanismes d'application sont essentiellement des procédures de conciliation. Les connaissances du Directeur et des membres du tribunal ont plutôt trait aux relations du travail qu'au droit et ils sont régis par la dynamique des relations du travail. Un appel de la décision du Directeur au tribunal ne constitue pas un litige entre le plaignant et la partie fautive, malgré son aspect judiciaire. Les lois relatives aux normes du travail relèvent de la conception moderne des relations industrielles et le pouvoir d'appliquer ces normes, en utilisant des techniques adaptées à leur objet, doit être conféré par la province à des organismes spécialisés. Il serait inapproprié que ces normes soient appliquées de façon courante par voie d'action devant les cours visées à l'art. 96 et encore plus qu'elles fassent partie de la compétence réservée à ces cours.

Puisque l'administration et l'application des dispositions législatives modernes au sujet des normes du travail ne relèvent pas de la compétence réservée aux cours visées à l'art. 96, les considérations sur la nature précise de l'analyse historique de certains aspects de la compétence des cours visées à l'art. 96 ne sont pas directement pertinentes. Toutefois il faut souligner que la question qu'il faut se poser est de savoir si la compétence d'un tribunal correspond "généralement" à la compétence qu'exerçaient les cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération. Ce n'est pas susceptible de définition précise. Non seulement l'expérience des provinces originaires, mais celles des autres provinces et de l'Angleterre, à l'époque de la Confédération, est pertinente. On doit éviter des évaluations mécaniques ainsi que la considération d'une situation propre à une province.

Jurisprudence

Citée par le juge Wilson

Arrêt appliqué: Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714; arrêts examinés: Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ld., [1949] A.C. 134; Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.), [1982] 1 R.C.S. 62; Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364; arrêt critiqué: Asselin c. Industries Abex Ltée, [1985] C.A. 72, 22 D.L.R. (4th) 212; distinction d'avec les arrêts: Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638; Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220; arrêts mentionnés: The Adoption Reference, [1938] R.C.S. 398; Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle‑Écosse), [1977] 1 R.C.S. 112; Massey-Ferguson Industries Ltd. c. Saskatchewan, [1981] 2 R.C.S. 413; Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681; Re Cour de Magistrat de Québec, [1965] R.C.S. 772; Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618; Dupont v. Inglis, [1958] R.C.S. 535; Evans v. Employment Standards Bd. (1983), 46 B.C.L.R. 198; Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1973), 41 D.L.R. (3d) 176, infirmé en partie pour d'autres motifs (1975), 67 D.L.R. (3d) 404; Attorney General of British Columbia v. McKenzie, [1965] R.C.S. 490; Jones c. Edmonton Catholic School District No. 7, [1977] 2 R.C.S. 872; Reference Re Proposed Legislation Concerning Leased Premises and Tenancy Agreements (1978), 89 D.L.R. (3d) 460; Re Pepita and Doukas (1979), 101 D.L.R. (3d) 577; Re Fort Massey Realties and Rent Review Commission (1982), 132 D.L.R. (3d) 516; Robinson v. Hindman (1800), 3 Esp. 235, 170 E.R. 599; Emmens v. Elderton (1853), 13 C.B. 495, 138 E.R. 1292; Beckham v. Drake (1849), 2 H.L.C. 579, 9 E.R. 1213; Wilkinson v. Gaston (1846), 9 Q.B. 137, 115 E.R. 1227; Hartley v. Harman (1840), 11 Ad. & E. 798, 113 E.R. 617; Smith v. Thompson (1849), 8 C.B. 44, 137 E.R. 424; Re Mitchell and Employment Standards Division, Department of Labour (1977), 82 D.L.R. (3d) 339; Central Canadian Structures Ltd. v. Director of Employment Standards Division, [1984] 4 W.W.R. 182.

Citée par le juge La Forest

Arrêts mentionnés: Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226; Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ld., [1949] A.C. 134; Asselin c. Industries Abex Ltée, [1985] C.A. 72, 22 D.L.R. (4th) 212; Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714.

Lois et règlements cités

Act respecting Master and Servant, C.S.U.C. 1859, chap. 75, art. 3, 4, 7, 12.

Act respecting the Division Courts, C.S.U.C. 1859, chap. 19, art. 55.

Acte concernant les maîtres et les serviteurs dans les cantons ruraux, S.R.B.C. 1861, chap. 27, art. 5.

County Courts Act (Angl.), 9 & 10 Vict., chap. 95, art. 58.

Employers and Workmen Act, 1875 (Angl.), 38 & 39 Vict., chap. 90, art. 4.

Employment of Children Act, R.S.N.S. 1967, chap. 88.

Equal Pay Act, S.N.S. 1969, chap. 8.

Halifax City Charter, S.N.S. 1864, chap. 81, art. 115.

Industrial Standards Act, R.S.N.S. 1967, chap. 142.

Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, art. 1b), 4, 15(1), (9), 18(2), 19(1), (2), (3), (8), 20, 24, 67A(1), (2), (3), 90.

Limitation of Hours of Labour Act, R.S.N.S. 1954, chap. 154.

Loi constitutionnelle de 1867, art. 96.

Master and Servant Act (Angl.), 30 & 31 Vict., chap. 141.

Master and Servant Act (Angl.), 4 Geo. 4, chap. 34.

Master and Servant Act (Angl.), 20 Geo. 2, chap. 19, art. 2.

Minimum Wage Act, R.S.N.S. 1967, chap. 186.

Of Masters, Apprentices and Servants, R.S.N.S. 1864, chap. 122, art. 11 à 15.

Of Municipalities, R.S.N.S. 1864, chap. 133, art. 64, 96 à 109, 123.

Of Regulations for Shipping Seamen at the Port of Saint John, R.S.N.B. 1854, chap. 87, art. 9.

Of Regulations for Seamen, R.S.N.B. 1854, chap. 86, art. 10.

Of Shipping and Seamen, R.S.N.S. 1864, chap. 75, art. 12, 18.

Of Stipendiary or Police Magistrates, R.S.N.S. 1864, chap. 129, art. 18.

Of the Jurisdiction of Justices in Civil Suits, R.S.N.B. 1854, chap. 137, art. 1.

Of the Jurisdiction of Justices of the Peace in Civil Cases, R.S.N.S. 1864, chap. 128, art. 1.

Of the Supreme Court and its Officers, R.S.N.S. 1864, chap. 123, art. 1.

Vacation Pay Act, R.S.N.S. 1967, chap. 322.

Doctrine citée

Christie, Innis. Employment Law in Canada. Toronto: Butterworths, 1980.

England, G. "Unjust Dismissal in the Federal Jurisdiction: The First Three Years" (1982), 12 Man. L.J. 9.

Freedland, Mark Robert. The Contract of Employment. Oxford: Clarendon Press, 1976.

Gagnon, Robert P., Louis LeBel et Pierre Verge. Droit du travail. Québec: Presses de l'Université Laval, 1987.

Hébert, Gérard et Gilles Trudeau. Les normes minimales du travail au Canada et au Québec. Cowansville, Qué.: Yvon Blais, 1987.

Hogg, Peter W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed. Toronto: Carswells, 1985.

Holdsworth, W. A. The Law of Master and Servant. London: George Routledge and Sons, 1876.

Labour Law: Cases, Materials and Commentary, 4th ed. Compiled by the Labour Law Casebook Group. Kingston, Ont.: Industrial Relations Centre, Queens University, 1986.

Pépin, Gilles. "The Problem of Section 96 of the Constitution Act 1867," in Clare F. Beckton and A. Wayne Mackay, eds. The Courts and the Charter. Toronto: University of Toronto Press, 1985.

Summers, Clyde W. "Individual Protection Against Unjust Dismissal: Time for a Statute" (1976), 62 Va. L. Rev. 481.

POURVOI contre un arrêt de la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse (1985), 70 N.S.R. (2d) 391, 166 A.P.R. 391, 24 D.L.R. (4th) 573, qui a accueilli l'appel d'une ordonnance du Tribunal des normes du travail qui confirmait la décision du Directeur des normes du travail. Pourvoi accueilli; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde, négative.

Rheinhold M. Endres et Alison Scott, pour l'appelant le procureur général de la Nouvelle-Écosse.

Peter McLellan et Ian Holloway, pour les appelants Clifford George Yeomans et autres.

David A. Miller et David P. S. Farrar, pour l'intimée.

James M. Mabbutt, pour l'intervenant le procureur général du Canada.

Jean Bouchard, pour l'intervenant le procureur général du Québec.

Valerie J. Matthews Lemieux, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

Robert Vick Farley, pour l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique.

//Wilson J.//

Version française du jugement du juge en chef Dickson et des juges McIntyre, Lamer, et Wilson rendu par

LE JUGE WILSON -- Ce pourvoi vise à déterminer si les par. 67A(2) et (3) du Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, et ses modifications, contreviennent à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.

1. Les faits

L'intimée, Sobeys Stores Limited (ci‑après "Sobeys"), exploite une chaîne de supermarchés dans les provinces de l'Atlantique. L'appelant Clifford Yeomans a été employé par Sobeys du 16 avril 1973 au 6 août 1983, date à laquelle il a été congédié parce que son rendement aurait été insatisfaisant. À l'époque de son congédiement, il était gérant d'une succursale de Sobeys à Dartmouth (Nouvelle‑Écosse). Il avait été averti verbalement à au moins trois reprises de ce que la direction considérait comme étant ses faiblesses, mais il n'avait reçu aucun avis écrit à ce sujet.

Yeomans a porté plainte au Directeur des normes du travail de la Nouvelle‑Écosse pour congédiement [TRADUCTION] "sans cause juste" aux termes de l'art. 67A du Code. Le 22 mai 1984, le Directeur a ordonné la réintégration de Yeomans et a condamné Sobeys à lui verser 21 242 $ à titre de perte de salaire résultant du congédiement abusif. Cette décision a été confirmée par le Labour Standards Tribunal (ci‑après le Tribunal des normes du travail). L'appel que Sobeys a interjeté à la Division d'appel de la Cour suprême de Nouvelle‑Écosse a été accueilli. La cour a jugé inconstitutionnels les par. (2) et (3) de l'art. 67A du Code parce qu'ils confèrent un pouvoir visé par l'art. 96 à un tribunal constitué par une province.

2. Les dispositions législatives

L'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 porte:

96. Le gouverneur général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification en Nouvelle‑Écosse et au Nouveau‑Brunswick.

Il est bien établi que par déduction nécessaire l'art. 96 a pour effet à la fois d'interdire la création de tribunaux provinciaux chargés d'exercer la compétence des cours supérieures et d'interdire aux assemblées législatives d'attribuer aux tribunaux provinciaux existants une compétence appartenant aux cours supérieures: voir Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ld., [1949] A.C. 134 (C.P.); Procureur général du Québec c. Farrah, [1978] 2 R.C.S. 638; Hogg, Constitutional Law of Canada (2nd ed. 1985) aux pp. 150 à 152; Pépin, "The Problem of Section 96 of the Constitution Act 1867", dans Beckton and Mackay eds., The Courts and the Charter (1985), aux pp. 225 à 227.

L'article 67A du Code se lit ainsi:

[TRADUCTION] 67A (1) L'employeur ne renverra ni ne suspendra sans juste cause un employé qui a été à son service pendant dix ans ou plus, à moins que l'employé ne soit une personne au sens où ce terme est utilisé aux alinéas d), e), f), g), h) ou i) du paragraphe (3) de l'article 68.

(2) L'employé qui est renvoyé ou suspendu sans juste cause peut porter plainte au Directeur conformément à l'article 19.

(3) L'employé qui a porté plainte en vertu du paragraphe (2) et est insatisfait du résultat, peut porter plainte au Tribunal conformément à l'article 21 et cette plainte constitue et est réputée être une plainte au sens du paragraphe (1) de l'article 21.

Le Directeur est un agent du ministère du Travail chargé d'administrer le Code (al. 1b)) et le Tribunal est un organisme provincial (par. 15(1)). Leurs rôles respectifs sont décrits aux art. 19, 20 et 24:

[TRADUCTION] 19 (1) Lorsque le Directeur reçoit une plainte, quelle qu'en soit la forme, alléguant le non‑respect de la présente loi, lui-même, ou la personne qu'il désigne, ouvre une enquête et tente d'obtenir un règlement.

(2) Lorsque le Directeur a des motifs raisonnables de croire que la présente loi n'est pas respectée, lui-même, ou la personne qu'il désigne, peut ouvrir une enquête et tenter d'obtenir un règlement.

(3) Lorsque le Directeur conclut qu'un employeur ou un employé a contrevenu aux dispositions de la présente loi dans les six mois qui précèdent, et qu'il n'a pu obtenir un règlement, ou qu'un employeur ou un employé a contrevenu aux conditions d'un règlement intervenu en vertu du présent article, il peut, par écrit, ordonner à l'employeur ou à l'employé contrevenant:

a) d'accomplir tout acte ou de faire toute chose qui, à son avis, est pleinement conforme avec la présente loi; et

b) de réparer tout préjudice causé à la personne lésée ou de l'indemniser;

. . .

(5) Tout employeur ou employé visé par une ordonnance rendue par le Directeur en vertu du paragraphe (3) peut, dans les dix jours de la signification personnelle de l'ordonnance, interjeter appel au Tribunal conformément aux règlements et, lorsqu'aucun appel n'est interjeté pour les fins de l'article 84 l'ordonnance du Directeur est réputée être une ordonnance du Tribunal.

. . .

20 Dans toute instance dont le Tribunal est saisi, relative à toute affaire découlant de l'article 19, y compris toute affaire découlant de l'article 77, sont parties:

a) le Directeur, qui dirigera l'affaire;

b) la personne qui, d'après le Directeur, n'aurait pas respecté la présente loi;

c) le plaignant, le cas échéant;

d) toute autre personne que précise le Tribunal sur production d'un avis, pourvu qu'à l'audience celle‑ci puisse s'opposer à sa mise en cause.

24 (1) Quand le Tribunal statue sur toute question en vertu de la présente loi,

a) il établit si une partie a contrevenu ou non à la présente loi; et

b) il rend une ordonnance par écrit.

(2) Lorsque le Tribunal établit qu'une partie a contrevenu à une disposition de la présente loi, il peut ordonner à la partie contrevenante:

a) d'accomplir tout acte ou de faire toute chose qui, à mon avis, est pleinement conforme avec la disposition, et

b) de réparer tout préjudice causé à la personne lésée ou de l'indemniser;

Le paragraphe 18(2) permet d'interjeter appel des décisions du Tribunal:

[TRADUCTION] 18 . . .

(2) Toute partie à une ordonnance ou décision du Tribunal peut, dans les trente jours de la mise à la poste de l'ordonnance ou de la décision, interjeter appel à la Division d'appel de la Cour suprême sur une question de droit ou de compétence.

3. La décision du Tribunal des normes du travail

Le point principal dont était saisi le Tribunal était de savoir si l'expression "juste cause" au par. 67A(1) signifiait que Yeomans avait droit à des mesures disciplinaires progressives, par exemple, à des avertissements écrits et à un délai‑congé, avant d'être congédié. L'employé n'acquiert normalement des droits de ce genre qu'en vertu des conventions collectives. Sobeys a soutenu que l'expression "juste cause" doit avoir le sens que lui donne la common law et que, lorsqu'une cause de congédiement selon la common law est établie, l'employeur est libre de mettre fin à l'emploi immédiatement, sans préavis écrit ni motif.

Le Tribunal a conclu qu'il [TRADUCTION] "ne considère pas les actes du plaignant en l'espèce comme des actes d'inconduite; s'il fallait les décrire, il s'agirait plutôt d'exemples d'incompétence". C'est pourquoi il a jugé qu'en vertu du Code un employé ayant dix années de service à son actif, même incompétent, a droit à une protection supérieure à celle que la common law octroie traditionnellement:

[TRADUCTION] Le Tribunal estime que, dans les circonstances particulières de cette affaire, Sobeys ne s'est pas acquittée de son obligation de donner à M. Yeomans un avis suffisant qu'il faisait preuve d'une incompétence telle qu'elle était susceptible d'entraîner un congédiement.

Le Tribunal acquiesce à l'argument de l'avocat du plaignant que, dans l'examen d'une question de juste cause, on doit tenir compte de la doctrine des mesures disciplinaires progressives. Le Tribunal est d'avis qu'un employé peut être coupable d'un comportement justifiant certaines mesures disciplinaires, sans pour autant justifier en soi la sanction ultime du congédiement.

En l'espèce, il n'y a aucune preuve que Sobeys ait tenté de prendre d'autres mesures disciplinaires, sans aller jusqu'au congédiement. D'autres mesures disciplinaires auraient démontré à M. Yeomans le sérieux de la situation et auraient pu l'amener à chercher à remédier au problème.

Le Tribunal est d'avis qu'un employé congédié pour juste cause après dix ans de service, a le droit, compte tenu de l'art. 67A, de connaître le motif de son congédiement. Un employé ne devrait pas avoir à s'adresser au Tribunal des normes du travail ni à une cour de justice pour connaître la raison de son congédiement.

. . .

Le Tribunal conclut que la compagnie intimée, Sobeys Stores Limited, n'a pas respecté les dispositions de l'art. 67A du Labour Standards Code.

4. L'arrêt de la Division d'appel

Sobeys a interjeté appel en invoquant plusieurs moyens, y compris la question de savoir s'il faut avoir recours à la common law ou aux normes arbitrales pour interpréter l'expression "juste cause". Son principal argument, toutefois, et le seul point sur lequel a statué la Division d'appel, est que la loi viole l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 en attribuant une compétence de cour supérieure à un tribunal inférieur. Après une étude de la jurisprudence, le juge Hart, au nom d'une formation unanime de cinq juges, voir (1985), 70 N.S.R. (2d) 391, a appliqué le critère à trois volets dégagé par cette Cour dans Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714 [ci-après Renvoi sur la location résidentielle].

Le premier volet du critère oblige à se demander, "dans le contexte des conditions qui prévalaient en 1867 . . . si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la compétence qu'exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération": Voir le Renvoi sur la location résidentielle, le juge Dickson, maintenant juge en chef, à la p. 734. Le juge Hart a conclu que la compétence qu'attribue l'art. 67A est une compétence en matière de [TRADUCTION] "congédiement injustifié" et que l'action en congédiement injustifié a historiquement [TRADUCTION] "toujours été intentée en cour supérieure". L'article 67A, par conséquent, ne satisfaisait pas au critère historique. Il a rejeté l'argument que les cours visées à l'art. 96 n'exerçaient pas la compétence particulière prévue par l'art. 67A du Code, puisque les tribunaux refusaient d'ordonner l'exécution forcée des contrats de travail. Il a jugé plutôt que [TRADUCTION] "le refus d'accorder le redressement que la cour avait à sa disposition parce qu'il aurait été inapproprié à une époque donnée, ne constitue pas une abdication de compétence mais simplement une suspension de celle‑ci, à ce moment‑là. La Cour suprême a toujours détenu le pouvoir d'accorder une réintégration aux termes d'un contrat de travail, pouvoir qu'elle détenait à l'époque de la Confédération".

Comme la loi ne respecte pas le critère historique, le juge Hart passe au second volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle et se demande si la fonction du Tribunal, dans son cadre institutionnel, est une fonction judiciaire. Dans le cas contraire, la loi ne violerait pas l'art. 96. Le juge Hart ne doute pas qu'aux termes de l'art. 67A le Tribunal exerce une fonction judiciaire, car il tranche [TRADUCTION] "le genre de litige entre parties privées dont connaissent traditionnellement les cours supérieures".

L'article 67A ne survit pas non plus au troisième volet du critère: "examiner la fonction globale du tribunal afin d'évaluer dans tout son contexte institutionnel la fonction attaquée". Le régime législatif peut quand même être valide si les pouvoirs judiciaires sont "simplement complémentaires ou accessoires aux fonctions administratives générales attribuées au tribunal" ou "nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges de la législature" (Renvoi sur la location résidentielle, à la p. 736). Le juge Hart n'a pu trouver aucune justification institutionnelle de ce genre pour attribuer une fonction judiciaire au Tribunal qui ne fait que statuer sur des litiges privés entre parties. Il dit à la p. 400:

[TRADUCTION] À mon avis, il n'est absolument pas nécessaire de demander à un tribunal provincial si un employé a été congédié abusivement. Il s'agit là simplement d'un litige entre deux parties à un contrat de travail qui n'a rien d'accessoire au grand dessein social d'assurer la paix industrielle comme on l'a décidé dans les affaires sur la Commission des relations de travail. L'article 67A n'est qu'un élément de la législation sociale, regroupé par commodité dans une seule loi avec d'autres dispositions se rapportant aux normes du travail. Il n'y a, à mon avis, aucune raison valable de faire résoudre ce genre de litige par le Tribunal des normes du travail.

La Division d'appel n'a pas invalidé le par. 67A(1), paragraphe qui donne aux employés admissibles le droit de demander leur réintégration. Elle a invalidé les par. (2) et (3) qui confient l'application du par. (1) au Directeur et au Tribunal.

5. Les questions constitutionnelles

Les deux questions constitutionnelles suivantes énoncent les points en litige en l'espèce:

1. Compte tenu de l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, la législature de la Nouvelle‑Écosse a‑t‑elle compétence pour habiliter le Directeur des normes du travail et le Tribunal des normes du travail, respectivement, à entendre et à trancher des conflits relativement à l'art. 67A du Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10 et ses modifications, et à rendre des ordonnances visant l'application de cet article comme le prévoit cette loi?

2. Les paragraphes 67A(2) et (3) du Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10 et ses modifications, sont‑ils ultra vires de la législature de Nouvelle‑Écosse pour le motif qu'ils contreviennent à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867?

Les procureurs généraux du Canada, de la Colombie‑Britannique, du Manitoba et du Québec sont tous intervenus pour soutenir le régime législatif. On n'a fait valoir aucun argument sur la question de l'emploi des normes arbitrales ou de la common law pour déterminer le sens de l'expression "juste cause" à l'art. 67A. L'intimée a cependant demandé que, advenant que le pourvoi soit accueilli, l'affaire soit renvoyée à la Division d'appel pour qu'elle statue sur ce moyen d'appel.

6. L'article 96

A. L'analyse historique

La Division d'appel a jugé, à bon droit, que le critère à appliquer dans les affaires intéressant l'art. 96 est celui énoncé par cette Cour dans le Renvoi sur la location résidentielle. Ce critère à trois volets rassemble les principes énoncés dans plusieurs arrêts antérieurs, notamment The Adoption Reference, [1938] R.C.S. 398 et les arrêts John East Iron Works, Ld., précité, et Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle‑Écosse), [1977] 1 R.C.S. 112. Pour le premier volet, il nous faut nous demander si "le pouvoir ou la compétence attaqué correspond généralement au pouvoir ou à la compétence qu'exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération": le juge en chef Laskin dans l'arrêt Massey‑Ferguson Industries Ltd. c. Saskatchewan, [1981] 2 R.C.S. 413, à la p. 429. Mais avant de répondre à cette question, il est nécessaire d'examiner trois points préliminaires, soulevés au cours du débat:

(1) quelle doit‑être la généralité de la qualification du pouvoir ou de la compétence pour les fins de l'analyse historique?

(2) les termes "correspond généralement" à la compétence des cours supérieures signifient‑ils que cette compétence doit avoir été une compétence exclusive de ces cours à l'époque de la Confédération?

(3) la cour doit‑elle s'arrêter à la seule compétence des tribunaux de la province où le litige est né ou son analyse doit‑elle embrasser la plupart sinon l'ensemble des provinces?

(i) Qualification du pouvoir ou de la compétence en cause

Au cours du débat devant cette Cour, tant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse (l'appelant) que l'intimée Sobeys ont d'abord qualifié la compétence attribuée par l'art. 67A de compétence relative au redressement d'equity qu'est l'exécution forcée des contrats de travail. Chacun a soutenu qu'une telle qualification était décisive en sa faveur, l'appelant parce que traditionnellement les tribunaux refusaient d'accorder ce redressement, l'intimée parce que, accueilli ou refusé, il s'agit d'un redressement d'equity et que, par conséquent, il faisait manifestement partie intégrante de la compétence exclusive des cours supérieures à l'époque de la Confédération. Ce ne fut cependant pas la seule qualification proposée à la Cour. Au stade des deuxième et troisième volets du critère du Renvoi sur la location résidentielle, les mêmes parties ont proposé des qualifications plus larges comme "le congédiement abusif", "les rapports employeur‑employé" et "les normes du travail". L'avocat de l'autre appelant, Yeomans, a soutenu sans démordre qu'il s'agit d'une compétence en matière de "rapports entre maître et serviteur". En Division d'appel, le juge Hart, tout en rejetant l'argument que l'exécution forcée d'un contrat de travail n'était pas un pouvoir de cour supérieure uniquement parce que le redressement n'avait jamais été accordé, qualifie l'art. 67A de disposition relative au "congédiement abusif". Ce faisant, les arguments relatifs à l'exécution forcée devenaient inutiles.

Il me semble que cela soulève deux problèmes relativement à la qualification de la compétence. Quelle généralité doit‑on lui accorder et peut‑on utiliser une qualification plus large ou plus étroite selon le volet applicable du critère du Renvoi sur la location résidentielle? Ces questions semblent n'avoir été examinées dans aucun de nos arrêts et pourtant, de toute évidence, elles pourraient être importantes. La manière dont le pouvoir ou la compétence est qualifié peut avoir de sérieuses conséquences sur l'analyse historique à laquelle doivent se livrer les cours à la recherche d'une compétence analogue des tribunaux inférieurs. Bien qu'en l'espèce, tant le procureur général que Sobeys aient vu un avantage pour eux‑mêmes dans une qualification étroite, il n'en est probablement ainsi qu'en raison du redressement inhabituel en cause. En général, ceux qui contestent une loi favoriseront probablement la conception la plus étroite, plus susceptible de leur donner gain de cause par le biais du critère historique. Les défenseurs de la loi favoriseront sans aucun doute une vue plus globale, présumant que plus la qualification est large, plus il est probable qu'au moins certains aspects de la compétence puissent être retrouvés parmi les attributions des tribunaux inférieurs à l'époque de la Confédération.

Pour résoudre ces questions de qualification, il faut considérer les différentes fins que servent les trois volets du critère du Renvoi sur la location résidentielle. Le critère représente une conciliation de la jurisprudence issue de deux genres d'affaires différentes, celle qui traite des tentatives d'expansion de compétence des tribunaux de juridiction inférieure et celle qui vise l'attribution aux tribunaux administratifs de sujets relevant de la compétence des cours de juridiction supérieure. Cette distinction entre les deux principaux genres de décisions relatives à l'art. 96 a été constatée dans un contexte différent par le juge en chef Laskin dans le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.), [1982] 1 R.C.S. 62, à la p. 68. La première série de décisions établit que, si la compétence des tribunaux inférieurs ne saurait être figée à la date de la Confédération, elle ne saurait non plus être substantiellement élargie au point de saper l'indépendance du pouvoir judiciaire que protège l'art. 96: voir The Adoption Reference, précité; Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.), précité; Séminaire de Chicoutimi c. Cité de Chicoutimi, [1973] R.C.S. 681; Re Cour de Magistrat de Québec, [1965] R.C.S. 772; Société Radio‑Canada c. Commission de police du Québec, [1979] 2 R.C.S. 618. La seconde série de décisions, celles qui portent sur les tribunaux administratifs, dégage ce que qu'on pourrait appeler des exceptions acceptables à la restriction constitutionnelle qui protège de l'érosion la compétence des cours supérieures. Les tribunaux ont reconnu que l'art. 96 ne devrait pas faire obstacle aux nouvelles façons institutionnelles d'aborder les problèmes sociaux ou politiques. Il n'est permis de s'écarter de la règle stricte interdisant d'attribuer une compétence de la cour supérieure à des tribunaux inférieurs que si le régime législatif respecte les paramètres du deuxième ou du troisième volet du critère. Sinon, les attributions brutes d'une compétence de la cour supérieure à des tribunaux inférieurs sont interdites.

Considéré sous cet angle, le premier volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle, qui est tiré de la jurisprudence portant sur les "tribunaux inférieurs", représente une sorte de critère préliminaire, un moyen de décider si, dans un sens formel, l'art. 96 a effectivement été violé. Le deuxième et le troisième volets servent à valider certains régimes législatifs en dépit du fait qu'ils empiètent sur la compétence traditionnelle des cours visées à l'art. 96. Pour les fins de l'art. 96, il est nécessaire d'adopter un point de vue strict, c'est‑à‑dire étroit, en matière de qualification à la première étape. Étant donné ce que j'ai à dire plus loin sur la compétence concurrente des cours supérieures et des tribunaux inférieurs à l'époque de la Confédération, tout autre point de vue risquerait d'ouvrir la porte à d'importantes augmentations de compétence, ce qui irait à l'encontre des fins recherchées par la disposition constitutionnelle. Comme je conclus que les qualifications de la compétence attribuée par l'art. 67A sont trop larges en ce qu'elles portent sur les rapports employeur‑employé ou les normes du travail, je suis d'avis de les rejeter.

Ayant rejeté les qualifications larges, la cour a le choix entre deux qualifications étroites possibles, une compétence en matière de réintégration ou une compétence en matière de congédiement abusif. Statuant sur une disposition fort semblable de la Loi sur les normes du travail du Québec, la Cour d'appel de cette province, dans l'arrêt Asselin c. Industries Abex Ltée, [1985] C.A. 72, 22 D.L.R. (4th) 212, a qualifié cette compétence de relative à l'exécution forcée d'un contrat de travail. Par conséquent, le juge Nolan a conclu que la réintégration [TRADUCTION] "n'était pas un pouvoir que les cours visées à l'art. 96 pouvaient exercer dans le Bas‑Canada avant la Confédération" (à la p. 89 C.A., à la p. 236 D.L.R.)

Toutefois je rejetterais cette qualification, préférant encore une fois résoudre la question en me reportant au texte et à l'objet du critère du Renvoi sur la location résidentielle. Pour le premier volet, il faut rechercher s'il y a "correspondance générale" avec les pouvoirs des cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération. Il s'agit de rechercher une compétence analogue et non tout à fait identique. Même si je devais accepter l'argument de l'appelant que le recours en réintégration n'entrait pas dans les pouvoirs des cours visées à l'art. 96, comme on l'a fait dans l'affaire Asselin, je ne pense pas que cela serait décisif dans les affaires relatives à l'art. 96. Cela figerait la compétence de ces tribunaux à ce qu'elle était en 1867 par une analyse formaliste des recours. C'est, à mon avis, le type de litige qui doit nous servir de guide et non le recours particulier invoqué. La question de nouveaux recours pour des causes d'action traditionnelles est plus adaptée au second et au troisième volets du critère du Renvoi sur la location résidentielle, qui sont conçus précisément pour permettre aux tribunaux d'envisager de nouvelles solutions à de vieux problèmes, solutions qui répondent mieux aux nouvelles conditions sociales. Ainsi, la compétence en l'espèce devrait, à mon avis, être qualifiée de compétence en matière de congédiement abusif.

Le fait que les différents volets du critère du Renvoi sur la location résidentielle servent différents objets milite aussi, à mon avis, contre tout "élargissement" de la qualification au fur et à mesure que l'analyse progresse d'un volet à l'autre. La qualification choisie importe peu quand, au deuxième volet, on se demande si le tribunal exerce ou non une fonction judiciaire. Une qualification large pour le troisième volet est tout aussi inutile, parce que cet aspect du critère oblige les tribunaux à considérer le pouvoir ou la compétence particulier dans un contexte global. Ainsi, en l'espèce par exemple, un élargissement de la qualification qui la rattacherait aux "normes du travail" obligerait la cour à se demander si ce pouvoir ou cette compétence est "à ce point intégré au régime réglementaire valide" (Renvoi sur la location résidentielle, à la p. 736) de la législation sur les normes du travail qu'il acquiert un caractère différent. L'analyse deviendrait tautologique et le critère du Renvoi sur la location résidentielle serait privé de son objet essentiel.

(ii)La compétence des cours supérieures à l'époque de la Confédération doit‑elle être exclusive?

La Division d'appel a jugé que la compétence en matière de congédiement abusif était exclusivement réservée aux cours supérieures de la Nouvelle‑Écosse en 1867. Dans ses motifs de jugement, le juge Hart, s'exprimant au nom de la cour, a dit à la p. 399:

[TRADUCTION] Aucun des tribunaux inférieurs existant à l'époque n'exerçait ce genre de compétence . . . L'action en congédiement abusif en Nouvelle‑Écosse a toujours été intentée en cour supérieure.

Les appelants ont présenté des preuves à caractère historique en cette Cour pour démontrer que les tribunaux inférieurs exerçaient aussi une compétence en matière de congédiement abusif et d'autres formes d'inexécution des contrats de travail. Ils ne nient pas que la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse ait connu de ces questions, mais soutiennent que, puisque divers tribunaux inférieurs en connaissaient aussi, la loi peut être maintenue en vertu du critère historique. La pertinence de ce genre de preuve de "compétence partagée" dépend de la solution apportée à une question laissée sans réponse par les arrêts antérieurs de cette Cour. Il est évident qu'au niveau du premier volet l'art. 96 sera violé si les tribunaux provinciaux se voient conférer un pouvoir ou une compétence qui appartenait exclusivement aux cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération. Il est également bien établi qu'il n'y aura aucune violation si le pouvoir ou la compétence était exclusivement réservé aux tribunaux inférieurs. Ces déclarations n'éclaircissent toutefois pas quelles sont les conséquences de la découverte d'une compétence partagée, ou concurrente, entre les deux niveaux de juridiction. En outre, si une compétence concurrente devait permettre au tribunal provincial de satisfaire au critère historique, il devient nécessaire de s'interroger sur l'ampleur du partage de compétence suffisant à cette fin.

Comme je l'ai dit précédemment, cette Cour n'a pas statué directement sur ces questions auparavant. Dans le Renvoi sur la location résidentielle, le juge Dickson ne fait aucune mention de la question de l'exclusivité ou de la concurrence. Il se borne à dire, à la p. 734:

Il s'agit ici de savoir si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la compétence qu'exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération.

. . .

Si, cependant, l'histoire indique que le pouvoir attaqué est identique ou analogue à un pouvoir que les cours visées à l'art. 96 exerçaient au moment de la Confédération, il faut alors passer à la deuxième étape de l'enquête.

La jurisprudence antérieure et postérieure au Renvoi sur la location résidentielle fournit toutefois quelques indications. Dans l'arrêt Dupont v. Inglis, [1958] R.C.S. 535, le juge Rand dit, à la p. 542:

[TRADUCTION] En l'espèce, il est nécessaire de faire une distinction entre la nature du tribunal et le type de pouvoir judiciaire qu'il exerce, le cas échéant. Si, en essence, un organe administratif est créé, comme dans l'affaire Toronto Corporation v. York Corporation, il se peut qu'il faille se demander si la loi provinciale a voulu lui attribuer un pouvoir judiciaire du ressort exclusif des cours visées à l'art. 96. Un pouvoir judiciaire autre que celui‑là, comme par exemple celui qu'exercent les tribunaux inférieurs, peut être attribué à un tribunal provincial quel que soit son caractère premier . . . [Je souligne.]

Le juge en chef Laskin cite ce passage de l'arrêt Dupont dans l'arrêt Procureur général du Québec c. Farrah, précité, et en dégage la règle suivante: "si le pouvoir judiciaire en cause n'est pas de ceux qui appartiennent exclusivement aux cours visées à l'art. 96, il peut être attribué à un tribunal provincial de quelque nature qu'il soit" (aux pp. 642 et 643).

Il est vrai que, tant dans l'arrêt Dupont que dans l'arrêt Farrah, la Cour s'interrogeait surtout sur la question de l'attribution de pouvoirs des tribunaux inférieurs aux tribunaux administratifs provinciaux, mais cette Cour a aussi recours au critère de l'exclusivité dans des décisions plus récentes. Dans Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.), précité, le juge Estey, au nom de la majorité de la Cour, dit ceci en confirmant certaines portions de la loi (aux pp. 109 et 110):

Il ressort donc des passages précités que la portée de la compétence inhérente des cours supérieures à l'époque de la Confédération, loin d'être large et générale, était de même étendue que celle que le Renvoi sur l'adoption . . . a reconnue aux cours de procédure sommaire relativement à The Children's Protection Act et que cette Cour a assimilée à la compétence dont sont investis les magistrats en vertu des lois anglaises sur l'assistance publique.

Non seulement la compétence des cours supérieures n'était pas large, elle n'était pas exclusive non plus.

. . .

Je ne veux tirer aucune conclusion de ce bref historique de la tutelle et de la garde, si ce n'est que les partisans de la compétence des cours supérieures ne peuvent démontrer l'existence historique d'aucune compétence exclusive en matière de tutelle ou de garde assimilable à celle proposée dans la loi soumise à cette Cour en l'espèce. [Je souligne.]

L'arrêt le plus important traitant de compétence exclusive et concurrente est l'arrêt Procureur général du Québec c. Grondin, [1983] 2 R.C.S. 364. Le juge Chouinard, au nom de la Cour à l'unanimité, a d'abord conclu qu'en 1867 les cours supérieures avaient compétence sur l'ensemble du domaine en litige, les rapports entre locateurs et locataires, mais il constate ensuite que cette compétence était dans une certaine mesure partagée par les tribunaux inférieurs. Par conséquent, le législateur provincial pouvait validement instituer un tribunal administratif pour connaître des rapports entre propriétaires et locataires. Il dit, à la p. 383:

À mon avis, cela est suffisant au regard du volet historique du critère établi par le renvoi Re Loi de 1979 sur la location résidentielle et vaut pour toutes les matières visées dans ce pourvoi.

Voilà qui m'amène à conclure qu'une glose doit être ajoutée au critère du Renvoi sur la location résidentielle. Au regard du premier volet, la question préliminaire doit viser à déterminer si, à l'époque de la Confédération, les cours supérieures exerçaient une compétence exclusive. Ce critère est conforme au principe général que la compétence des tribunaux inférieurs n'a pas à être figée à son niveau préconfédératif: voir Re Cour de Magistrat de Québec, précité. S'il s'agissait d'une compétence exclusive des cours supérieures, il faut alors passer au second et au troisième volets du critère. Si la compétence était partagée, la loi contestée peut, dans certaines circonstances, être jugée valide selon le critère historique.

Jusqu'à quel point est‑il nécessaire que la compétence soit concurrente pour les fins du critère? Ce serait évidemment contrecarrer la fin visée par l'art. 96 si conclure qu'un aspect minime de la compétence d'un tribunal inférieur, limitée par exemple à la matière, au territoire ou au montant d'argent, suffisait pour permettre au législateur provincial d'écarter la compétence des cours supérieures d'aujourd'hui. Cependant, les dangers que cela se produise ne sont pas aussi grands qu'ils pourraient le paraître à première vue, compte tenu de ce que j'ai dit précédemment sur la nécessité de qualifier le pouvoir ou la compétence d'une manière relativement étroite pour les fins du critère historique. Néanmoins il faut se les rappeler lorsqu'on modèle un critère d'application générale.

À mon avis, la bonne façon d'aborder le problème se retrouve dans l'arrêt Grondin. Le juge Chouinard a résumé la compétence du tribunal inférieur de la façon suivante, aux pp. 379 à 381:

C'est donc que la Cour des commissaires avait une certaine compétence dans les rapports entre locateurs et locataires puisque la saisie‑gagerie est la procédure par laquelle un locateur peut, pour la garantie de ses droits, faire saisir avant jugement les effets mobiliers qui se trouvent sur les lieux et qui appartiennent au locataire (art. 734 C.p.c. et art. 1637 C.c.)

Les cours des commissaires ont été créées en 1821 par la loi 1 Geo. IV, chap. 2, intitulée: Acte pour la décision sommaire de certaines Petites Causes dans les Paroisses de Campagne dans cette Province . . .

Certes, la compétence des commissaires était fort limitée quant au territoire et quant au montant qui, en 1867, était de 25 $. J'ajouterai cependant que suivant les représentations du procureur général du Québec et de la Régie du logement qui n'ont pas été contredites, il y avait en 1867 deux cent vingt‑deux localités du Québec qui étaient dotées d'une cour des commissaires et il a subsisté de telles cours jusqu'en 1960 . . .

D'autre part, les art. 1217 et 1219 du Code de procédure civile de 1867 conféraient juridiction à la Cour de recorder dans certaines villes relativement aux différends entre locateurs et locataires . . .

Or, l'on doit observer qu'à cette époque la Cour du recorder de Montréal possédait en matière de rapports entre locateurs et locataires la même compétence et les mêmes pouvoirs que la Cour supérieure et la Cour de circuit en vertu de la même loi intitulée Acte concernant les locateurs et locataires, S.R.B.C. 1861, chap. 40. Cette compétence et ces pouvoirs étaient toutefois limités "aux cas de lieux occupés dont le prix ou la valeur annuelle n'excède pas la somme de cent dollars, et qui ont pour objet des propriétés situées dans les limites de la dite cité."

. . .

Non seulement en 1867 la Cour du recorder de Montréal avait‑elle compétence en cette matière, mais encore l'art. 1217 C.p.c. de 1867 reconnaissait que les rapports entre locateurs et locataires pouvaient être de la compétence de tribunaux inférieurs.

Ainsi, dans l'arrêt Grondin, bien que la compétence des tribunaux inférieurs ait fait l'objet de limites pécuniaires, elle s'étendait à l'ensemble de la province et incluait la plupart des matières pouvant faire l'objet de litiges entre les propriétaires et leurs locataires. Le juge Chouinard y a trouvé une compétence suffisante pour maintenir la loi provinciale.

Il me semble que dans l'arrêt Grondin cette Cour a énoncé un critère qui requiert que l'engagement pratique des tribunaux inférieurs ait été généralement parallèle à la tâche attribuée aux cours supérieures. Il ne s'agit pas de prétendre que leur compétence doit avoir été parfaitement ni même en général concurrente, car la nature même de la distinction entre tribunal inférieur et cour supérieure signifiera invariablement que la compétence du premier était limitée d'une certaine manière. Mais certaines limites seront plus importantes que d'autres. Une limitation territoriale importante serait beaucoup plus défavorable au régime législatif qu'un plafond purement pécuniaire. La première peut fort bien avoir interdit un recours aux tribunaux inférieurs pour la majorité des résidents de la colonie, alors que la seconde, compte tenu de l'inflation, constituera une entrave beaucoup moins radicale. Les cours doivent rechercher ce que j'appellerais un engagement général partagé dans un domaine de compétences, non une compétence concurrente à tous égards. Il est impossible de définir avec précision quel degré de compétence suffit dans tous les cas pour conclure à un engagement partagé. Mais, à mon avis, les questions suivantes doivent être posées:

a) la compétence du tribunal inférieur était‑elle géographiquement limitée? Était‑elle confinée à certaines cours municipales ou de district ou était‑elle exercée dans toute la province?

b) la compétence du tribunal inférieur était‑elle limitée à un petit nombre d'espèces? Par exemple, dans le domaine du congédiement abusif, certains types de salariés seulement pouvaient‑ils avoir recours aux tribunaux inférieurs?

c) la compétence du tribunal inférieur était‑elle restreinte par des plafonds pécuniaires qui en réduisaient l'ampleur même compte tenu de l'inflation?

Il ne s'agit nullement là des seules questions que les cours devraient examiner et ce ne sont que des illustrations. D'autres se révéleront appropriées dans des contextes différents. Dans tous les cas, néanmoins, il faudrait rechercher si la tâche confiée aux tribunaux inférieurs à l'époque de la Confédération était ou non généralement parallèle à celle des cours supérieures. Ce n'est que si on a satisfait à cette norme qu'un historique de compétence partagée validera le régime législatif contemporain en vertu du critère historique.

(iii) Portée de l'analyse historique

Devant nous, les avocats des parties et de certains des intervenants ont aussi débattu la question de la ou des compétences à examiner en regard du critère historique. On a avancé que la bonne optique se devait d'être "globale", celle où la compétence exercée dans plus d'une province avant la Confédération devrait être considérée. Deux arguments principaux ont été offerts à l'appui de cette position: premièrement, que la Cour l'avait déjà fait, notamment dans le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.); en second lieu, que l'art. 96, à titre de disposition constitutionnelle, devrait conduire aux mêmes résultats selon le critère historique, indépendamment de la loi provinciale contestée.

Il me semble que, pour résoudre ce point, il faut répondre à une question nettement plus large: par compétence antérieure à la Confédération, entend‑on une compétence antérieure à 1867 ou une compétence exercée dans une province en particulier immédiatement avant son entrée dans la Confédération? Si la première option l'emporte, les cours n'auront à tenir compte que des quatre colonies qui ont formé la Confédération à l'origine (le Québec, l'Ontario, la Nouvelle‑Écosse et le Nouveau‑Brunswick) indépendamment de la province aujourd'hui en cause. Si la seconde option l'emporte, le critère pourrait éventuellement ne mettre en cause qu'une seule colonie, ou peut‑être huit, et potentiellement, un intervalle pouvant aller jusqu'à 82 ans, de 1867 à 1949. Je constate que, sur tous ces points, la jurisprudence antérieure de cette Cour est quelque peu incohérente. Dans le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.), le juge Estey, au nom de la majorité, n'a tenu aucun compte de la Colombie‑Britannique et s'est intéressé aux compétences exercées au Royaume‑Uni et au Haut‑Canada en 1867, alors que le juge en chef Laskin s'est référé à ces deux ressorts ainsi qu'au Nouveau‑Brunswick et à l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard mais, encore une fois, pas à la Colombie‑Britannique. Certaines cours provinciales ont fait de même. Dans l'arrêt Evans v. Employment Standards Bd. (1983), 46 B.C.L.R. 198, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a confirmé la compétence du conseil sur les salaires impayés en se référant seulement à une compétence comparable au Haut‑Canada. On s'est référé à la compétence d'autres provinces pour les mêmes fins dans Re Telegram Publishing Co. and Zwelling (1973), 41 D.L.R. (3d) 176 (H.C. Ont.), infirmé en partie pour d'autres motifs (1975), 67 D.L.R. (3d) 404 (C.A.) Dans l'arrêt John East Iron Works, Ld., le Conseil privé paraît aussi avoir considéré 1867 comme le point de référence de toute analyse historique, disant aux pp. 150 et 151:

[TRADUCTION] C'est dans le contexte de cette nouvelle conception des relations industrielles qu'il faut voir la question sur laquelle doit se prononcer le conseil et, même si la question qui se pose peut être considérée comme relevant des tribunaux, on ne trouve aucune analogie dans les questions qu'on retrouvait devant les tribunaux de 1867. On peut voir la chose sous un autre angle. Si le conseil appelant est un tribunal analogue aux cours supérieures et autres énumérées à l'art. 96 de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, ses membres doivent non seulement être nommés par le gouverneur général, mais ils doivent aussi être choisis au sein du Barreau de la Saskatchewan. Il est légitime, par conséquent, de se demander si les syndicats avaient en 1867 été reconnus par la loi, si la négociation collective avait constitué le postulat reconnu de la paix industrielle, si, en un mot, l'optique économique et sociale avait été la même en 1867 que ce qu'elle est devenue en 1944, il n'aurait pas été opportun de créer effectivement un tribunal spécialisé comme celui que prévoit l'art. 4 de la Loi. [Je souligne.]

À l'inverse, dans l'arrêt Attorney General of British Columbia v. MacKenzie, [1965] R.C.S. 490, on ne s'est référé qu'à la compétence antérieure à la Confédération en Colombie‑Britannique, une méthode suivie dans les arrêts Grondin (Québec) et Jones c. Edmonton Catholic School District No. 7, [1977] 2 R.C.S. 872 (Alberta), ce dernier fixant la date applicable à 1905.

Pour résoudre cette question, je prends comme point de départ la décision de cette Cour dans le Renvoi sur la location résidentielle. Dans sa description du critère historique, le juge Dickson avait ceci à dire, aux pp. 729 et 734:

La croyance qu'une fonction assignée en 1867 à une cour établie en vertu de l'art. 96 doit lui rester pour toujours a atteint son apogée dans les motifs que lord Atkin a rendus dans l'arrêt Toronto Corporation v. York Corporation.

. . .

. . . le critère doit maintenant être formulé en trois étapes. La première porte sur l'examen dans le contexte des conditions qui prévalaient en 1867, de la compétence ou du pouvoir particuliers attribués au tribunal. Il s'agit ici de savoir si le pouvoir ou la compétence correspondent au pouvoir ou à la compétence qu'exerçaient les cours supérieures, de district ou de comté au moment de la Confédération. [Je souligne.]

Bien qu'on puisse soutenir que les références à 1867 sont dues au fait que le Renvoi sur la location résidentielle provenait de l'Ontario, je pense qu'il est préférable d'y voir la volonté de se référer, d'une manière générale, au pacte originaire conclu en 1867. Dans le Renvoi sur la location résidentielle, il est clair que les membres de cette Cour ont cru qu'il était nécessaire de clarifier la jurisprudence et d'énoncer un critère cohérent pour l'avenir. La décision se réfère à 1867 et il faut donner effet à ce choix délibéré. Un des commentateurs universitaires bien connus l'a fait en appelant le critère historique le [TRADUCTION] "critère législatif de 1867": voir Pépin, "The Problem of Section 96 of the Constitution Act 1867", à la p. 236.

Je ne fonde cependant pas cette conclusion purement sur une analyse du texte du Renvoi sur la location résidentielle, mais je remarque aussi deux autres points. En premier lieu la décision dans le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.) de cette Cour n'a été prononcée que quelques mois après celle du Renvoi sur la location résidentielle (26 janvier 1982 et 28 mai 1981 respectivement). Le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.) fournit la preuve manifeste qu'à l'époque la Cour a estimé nécessaire de considérer la compétence en 1867, au moment du pacte de la Confédération. En second lieu, dans son analyse des objets de l'art. 96, le juge Dickson montre clairement qu'il considère la disposition comme intimement liée au partage des compétences et à la nécessité de garantir un noyau de compétence à la cour supérieure. Il dit, à la p. 728:

Comme le professeur Hogg l'a souligné dans l'ouvrage Constitutional Law of Canada (1977), à la p. 129, l'Acte de l'Amérique du Nord britannique, 1867 ne prévoit pas une "séparation générale des pouvoirs". Notre constitution ne sépare pas les fonctions législative, exécutive et judiciaire, et insiste que chaque secteur de gouvernement n'exerce que ses propres fonctions. Ainsi, il est évident que la législature de l'Ontario peut attribuer des fonctions non judiciaires aux cours de l'Ontario et, sous réserve de l'art. 96 de l'A.A.N.B. qui est au centre du présent pourvoi, attribuer des fonctions judiciaires à un organisme qui n'est pas une cour.

Aux termes du par. 92(14) de l'A.A.N.B., chaque législature a le pouvoir de faire des lois relatives à l'administration de la justice dans la province. C'est un pouvoir étendu, mais qui est assujetti aux soustractions que les art. 96 à 100 opèrent en faveur de l'autorité fédérale. En vertu de l'art. 96, le gouverneur général a seul le pouvoir de nommer les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province. En vertu de l'art. 97, les juges qui doivent être nommés aux cours supérieures, de district et de comté doivent être choisis parmi les membres des barreaux respectifs de ces provinces. En vertu de l'art. 100, le parlement du Canada est tenu de fixer et de payer leur salaire. Le paragraphe 92(14) et les art. 96 à 100 représentent un des compromis importants des Pères de la Confédération. Il est clair qu'on détruirait l'objectif visé par ce compromis et l'effet qu'on voulait donner à l'art. 96 si une province pouvait adopter une loi créant un tribunal, nommer ses juges et lui attribuer la compétence des cours supérieures. Ce qu'on concevait comme un fondement constitutionnel solide de l'unité nationale, au moyen d'un système judiciaire unitaire, serait gravement sapé à sa base. On est donc venu à considérer que l'art. 96 restreint la compétence des provinces de nommer les juges d'un tribunal qui exerce les pouvoirs judiciaires prévus à l'art. 96 et, par conséquent, qu'il restreint implicitement la compétence des provinces de conférer ces pouvoirs à un tribunal provincial. [Je souligne.]

L'importance de ce passage réside dans l'insistance sur les arrangements intervenus en 1867. En particulier, les références à l'art. 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 confirment l'opinion que ce qu'il faut examiner, c'est la compétence en 1867, non lorsqu'une province s'est jointe par la suite. Personne ne prétend qu'on doit interpréter les art. 91 et 92 en se référant aux relations empire‑colonie en 1870, en 1905 ou en 1949, de sorte que leur sens varierait en fonction de la province en cause. Lorsque de nouvelles provinces se sont jointes à la Confédération, elles ont accepté les arrangements constitutionnels existant aux art. 91 et 92 et on doit, à mon avis, considérer qu'elles ont fait de même dans le cas de l'art. 96.

Ce principe accepté, il amène, me semble‑t‑il, inévitablement à conclure que le critère de la compétence en 1867 énoncé dans le Renvoi sur la location résidentielle doit être quelque peu élargi pour inclure un examen des conditions historiques générales prévalant dans les quatre provinces qui ont formé la Confédération à l'origine. Je dis cela pour deux raisons. La première est d'ordre pratique. Si ne s'intéresser qu'à l'Ontario dans une affaire ontarienne (comme ce fut le cas dans le Renvoi sur la location résidentielle) ou qu'au Québec dans une affaire québécoise (comme ce fut le cas dans l'affaire Grondin) a du sens, il n'y a aucune raison de choisir l'une ou l'autre quand il s'agit de statuer sur une affaire émanant de l'Alberta, de l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard ou d'ailleurs.

La seconde raison, et la plus importante, est que découle implicitement de ce que je viens de dire le principe que l'art. 96 doit s'appliquer de la même manière dans tout le pays. Le "fondement constitutionnel solide de l'unité nationale, au moyen d'un système judiciaire unitaire" (Renvoi sur la location résidentielle, à la p. 728) se trouverait d'ailleurs miné par des résultats incohérents, découlant d'une jurisprudence développée province par province. D'ailleurs cela s'est déjà produit. Le régime de la loi ontarienne invalidée dans le Renvoi sur la location résidentielle était pratiquement identique à celui de la loi québécoise confirmée dans l'arrêt Grondin. Une loi albertaine comparable régissant les rapports entre propriétaires et locataires a été invalidée, alors que celles de Colombie‑Britannique et de Nouvelle‑Écosse ont survécu aux contestations fondées sur l'art. 96. Voir respectivement: Reference Re Proposed Legislation Concerning Leased Premises and Tenancy Agreements (1978), 89 D.L.R. (3d) 460 (C.A. Alb.); Re Pepita and Doukas (1979), 101 D.L.R. (3d) 577 (C.A.C.‑B.) et Re Fort Massey Realties and Rent Review Commission (1982), 132 D.L.R. (3d) 516 (C.A.N.‑É.) De même, les dispositions sur la réintégration qu'on trouve dans les lois sur les normes d'emploi ont subi des sorts contradictoires en regard du critère historique en l'espèce et dans l'arrêt Asselin.

Je ne prétends pas que le résultat doit obligatoirement être uniforme dans l'ensemble des contestations fondées sur l'art. 96 visant des initiatives provinciales dans un domaine donné. Il est parfaitement possible que des résultats différents découlent de l'analyse des régimes contemporains, compte tenu des second et troisième volets du critère du Renvoi sur la location résidentielle. Je prétends seulement que la cohérence au niveau de l'analyse historique semble désirable et que le meilleur moyen d'y arriver est de mesurer chaque contestation fondée sur l'art. 96 au même étalon historique. Le critère à ce stade devrait être national, non pas provincial.

Il ne reste qu'à examiner un problème pratique, les difficultés créées si, comme en l'espèce, les quatre provinces originaires ne sont pas départagées, deux confirmant la compétence et deux l'infirmant. Il n'y a probablement pas de solution idéale à ce problème, mais je suis persuadée que la meilleure solution consiste à passer alors à l'examen des compétences exercées au Royaume‑Uni à l'époque de la Confédération. C'est une analyse générale des compétences exercées en 1867 et notre structure judiciaire dérive du modèle britannique. En outre, cette Cour a certainement considéré les compétences exercées au Royaume‑Uni comme pertinentes dans The Adoption Reference et dans le Renvoi: Family Relations Act (C.‑B.)

J'en viens maintenant à l'examen de la compétence exercée en matière de congédiement abusif en Nouvelle‑Écosse, au Nouveau‑Brunswick, en Ontario et au Québec.

a) En Nouvelle‑Écosse

Au moment de la Confédération, la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse détenait une compétence générale en matière de congédiement abusif en vertu de son pouvoir de connaître de toutes les actions contractuelles (Of the Supreme Court and its Officers, R.S.N.S. 1864, chap. 123, art. 1). Cette compétence était en partie partagée par les tribunaux inférieurs. La Halifax City Court connaissait de toute action contractuelle mettant en cause des sommes ne dépassant pas 80 $ pourvu que le litige soit né dans cette ville (Halifax City Charter, S.N.S. 1864, chap. 81, art. 115). Les appelants ont soutenu que des juges des tribunaux inférieurs partageaient aussi cette compétence, ainsi les juges de paix, magistrats stipendiaires, présidents des conseils de comté et cours des commissaires, parce qu'ils étaient compétents en matière de petites créances à l'échelle de la province (Of the Jurisdiction of Justices of the Peace in Civil Cases, R.S.N.S. 1864, chap. 128, art. 1; Of Stipendiary or Police Magistrates, R.S.N.S. 1864, chap. 129, art. 18; Of Municipalities, R.S.N.S. 1864, chap. 133, art. 64 et 96 à 109). Une compétence en matière de créances, cependant, ne saurait être assimilée à une compétence en matière de congédiement abusif. Les salaires impayés pour services rendus sont des dommages‑intérêts conventionnels qu'on peut à bon droit qualifier de créance, mais les dommages‑intérêts payables en cas de congédiement abusif ne sont ni prévus ni prévisibles et ne constituent pas une créance. Dans une action en inexécution des conditions d'un contrat de travail, fondée sur un délai‑congé insuffisant, une somme d'argent à verser à l'employé ne devient due que si le tribunal décide: 1) que la résiliation était abusive et 2) qu'un délai‑congé insuffisant a été donné.

Les appelants ont aussi fait valoir que le pouvoir des tribunaux inférieurs, à l'échelle de la province, de forcer les marins et les apprentis déserteurs à retourner à leur travail était assimilable à un partage de compétence en matière d'exécution forcée des contrats de travail: Of Shipping and Seamen, R.S.N.S. 1864, chap. 75, art. 12 et 18; Of Masters, Apprentices and Servants, R.S.N.S. 1864, chap. 122, art. 11 à 15; Of Municipalities, précitée, art. 123). Je ne pense pas que le pouvoir de forcer un groupe spécifique d'employés à compléter leur contrat soit analogue à une compétence générale en matière de congédiement abusif.

Je conclus qu'à l'époque de la Confédération les tribunaux inférieurs de la Nouvelle‑Écosse n'exerçaient pas de compétence concurrente suffisante en matière de congédiement abusif pour satisfaire au premier volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle. Quoique la limite de 80 $ ait été, en 1867, une compétence large, sa portée territoriale, restreinte qu'elle était aux actions intentées à Halifax, était trop étroite.

b) Au Nouveau‑Brunswick

Il faut arriver à la même conclusion après examen du cas du Nouveau‑Brunswick. Des compétences en matière de petites créances, de certains salaires impayés et de contrats d'engagement des marins ont été conférées à des tribunaux inférieurs mais, pour les raisons précitées, aucune de celles‑ci ne peut être assimilée à une compétence générale en matière de congédiement abusif: Voir Of Regulations for Seamen, R.S.N.B. 1854, chap. 86, art. 10; Of Regulations for Shipping Seamen at the Port of Saint John, R.S.N.B. 1854, chap. 87, art. 9; Of the Jurisdiction of Justices in Civil Suits, R.S.N.B. 1854, chap. 137, art. 1.

c) En Ontario

En Ontario, avant la Confédération, bien des aspects des rapports employeur‑employé étaient régis par la loi intitulée An Act respecting Master and Servant, C.S.U.C. 1859, chap. 75. Elle prévoyait que les contrats de travail liaient les parties contractantes (art. 3), que l'inexécution des conditions d'un contrat de ce genre était une infraction (art. 4) et qu'il revenait aux juges de paix de connaître des plaintes (art. 7). L'article 12 autorisait un employé à demander aussi la restitution devant les tribunaux inférieurs pour [TRADUCTION] "tout abus, refus des choses nécessaires à la vie, cruauté, mauvais traitements ou non‑paiement de salaire". Le juge Fraser a cité cet article pour fonder la constitutionnalité de l'Employment Standards Act de l'Ontario dans Re Telegram Publishing Co. and Zwelling, une affaire de salaire impayé et d'indemnité de départ prévus par un accord écrit. Bien que je ne sois pas en désaccord avec cette décision, je ne crois pas que la portée de la Master and Servant Act soit suffisamment étendue pour couvrir les actions en congédiement abusif. Je note que les Master and Servant Acts existent toujours dans plusieurs provinces et qu'on s'en sert surtout pour recouvrer les salaires impayés. Elles ne servent pas de fondement aux actions en congédiement abusif: voir Christie, Employment Law in Canada, aux pp. 250 et 251, 444 et 445.

Un examen du système judiciaire antérieur à la Confédération dans le Haut‑Canada révèle cependant un engagement partagé suffisant des tribunaux inférieurs en matière de congédiement abusif. Les cours divisionnaires, dont il pouvait y avoir jusqu'à douze par district, ont été les précurseurs des cours des petites créances d'aujourd'hui; leur compétence civile a été définie dans la loi intitulée An Act respecting the Division Courts, C.S.U.C. 1859, chap. 19, art. 55:

[TRADUCTION] 55. Le juge d'une cour divisionnaire peut entendre et trancher de façon sommaire, en faveur ou à l'encontre de toute personne, corps constitué ou autre:

1. Toute action personnelle où le montant de la dette ou du dommage réclamé n'excède pas quarante dollars; et

2. Toute réclamation et demande fondée sur une obligation, sur un compte ou l'inexécution d'un contrat ou d'une convention, ou toute demande de paiement d'argent, en espèces ou non, lorsque la somme ou le solde réclamé n'excède pas cent dollars et, sauf dans les cas où un jury est légalement exigé par l'une des parties, tel qu'il est ci‑après prévu, il est seul juge dans toutes les actions intentées dans les cours divisionnaires, il statue sur toutes les questions de droit et de fait y relatives et il rend à leur égard les ordonnances ou jugements qui lui paraissent justes et conformes à l'équité et à la conscience et tout jugement ou ordonnance de ce genre est final et lie définitivement les parties.

Compte tenu de l'inflation, une compétence en matière contractuelle s'élevant jusqu'à 100 $ en 1867 doit être considérée comme l'équivalent d'une compétence monétaire fort substantielle de nos jours. Comme le système des cours divisionnaires s'étendait aussi à l'ensemble de la colonie, je conclus qu'à l'époque de la Confédération les cours supérieures et les tribunaux inférieurs se partageaient suffisamment la compétence en matière de congédiement abusif pour satisfaire au critère historique.

d) Au Québec

Au Québec, il y avait aussi partage de compétence. L'histoire législative pertinente est analysée en profondeur dans l'arrêt Asselin, aux pp. 84 à 88, aussi ne reproduirai‑je pas ici cette analyse. Je me contenterai de constater que:

(1) L'article 5 de l'Acte concernant les maîtres et serviteurs dans les cantons ruraux, S.R.B.C. 1861, chap. 27, prévoyait les délais‑congés que doivent donner tant les employeurs que les employés avant de mettre fin au contrat ou de partir volontairement. La Loi du Bas‑Canada concernant les maîtres et les serviteurs avait donc une portée plus étendue que celle du Haut‑Canada. Cette loi ne s'appliquait pas dans les villes de Québec, de Montréal et de Trois‑Rivières. Là où elle s'appliquait, c'étaient les juges de paix qui connaissaient des poursuites intentées sur son fondement.

(2) Les Cours des Commissaires exerçaient une compétence contractuelle limitée à 25 $ et limitée aussi quant au territoire.

(3) Les cours de recorder de Montréal et de Québec exerçaient la même compétence, en matière de rapports maître‑serviteur, que les juges de paix à la campagne.

Je partage l'opinion du juge Nolan, dans l'arrêt Asselin, à la p. 88 C.A, à la p. 234 D.L.R.:

[TRADUCTION] Il est clair . . . qu'avant la Confédération, les Cours des Commissaires, les cours de recorder et les juges de paix connaissaient des litiges entre maître et serviteur et étaient investis du droit d'accorder des dommages‑intérêts à l'employé illégalement congédié.

Le résultat de cette investigation dans les quatre provinces qui ont formé la Confédération à l'origine est donc que, dans deux d'entre elles, cette compétence était suffisamment partagée et que, dans les deux autres, elle ne l'était pas. Ce qui nous oblige à rechercher quelle était la situation au Royaume‑Uni en 1867. L'action en congédiement abusif avait été reconnue comme telle au début du dix‑neuvième siècle et tout doute quant à sa légitimité dissipé par la Chambre des lords au milieu du siècle: voir Robinson v. Hindman (1800), 3 Esp. 235, 170 E.R. 599; Emmens v. Elderton (1853), 13 C.B. 495, 138 E.R. 1292 (H.L.); Freedland, The Contract of Employment (1976), aux pp. 21 à 23. Bien que les Master and Servant Acts (20 Geo. 2, chap. 19 (1747); 4 Geo. 4, chap. 34 (1823); 30 & 31 Vict., chap. 141 (1867)) aient prévu le règlement sommaire de certains litiges entre employeurs et certaines catégories limitées d'employés, elles ne s'étendaient pas aux actions en congédiement abusif. Elles s'intéressaient aux actions pour salaire impayé et aux plaintes [TRADUCTION] "touchant ou concernant tout abus, refus des choses nécessaires à la vie, cruauté ou autres mauvais traitements": 20 Geo. 2, chap. 19, art. 2. La Loi de 1823, quoiqu'elle ait étendu le champ d'application de la loi de 1747, n'a pas fait entrer les actions en congédiement abusif dans la compétence des juges de paix.

Les actions fondées sur un congédiement abusif pouvaient être intentées dans les cours de comté ou autres cours supérieures d'archives: voir W. A. Holdsworth, The Law of Master and Servant (1876), aux pp. 135 et 136. La County Courts Act (Angl.), 9 & 10 Vict., chap. 95, art. 58, porte, à la p. 1316:

[TRADUCTION] . . . la cour de comté peut connaître de toute action personnelle où la somme ou l'indemnité réclamée est d'au plus vingt livres, qu'il s'agisse du solde du compte ou non . . .

Même les réformes de 1875, par lesquelles les juges de paix ont été investis du pouvoir d' [TRADUCTION] "ordonner le paiement de toute somme qu'[ils] . . . pourraient juger due à titre de salaires ou de dommages‑intérêts ou autrement" (Employers and Workmen Act, 1875 (Angl.), 38 & 39 Vict., chap. 90, art. 4) ne donnaient qu'un accès limité aux juridictions sommaires. Les domestiques, notamment, en étaient exclus et cette exclusion, compte tenu des conditions de l'époque, représentait une limitation considérable de la portée de la compétence des juges de paix.

Les recueils de jurisprudence antérieurs à 1867 confirment aussi que les juges de paix ne possédaient pas de compétence dans ce domaine. Les actions étaient intentées soit devant la Court of Exchequer of Pleas (Beckham v. Drake (1849), 2 H.L.C. 579, 9 E.R. 1213 (H.L.)), soit devant la Cour du Banc de la Reine (Wilkinson v. Gaston (1846), 9 Q.B. 137, 115 E.R. 1227; Hartley v. Harman (1840), 11 Ad. & E. 798, 113 E.R. 617), soit devant la Court of Common Pleas (Smith v. Thompson (1849), 8 C.B. 44, 137 E.R. 424).

Je conclus donc que la compétence en matière de congédiement abusif au Royaume‑Uni en 1867 était un domaine réservé aux tribunaux assimilables aux cours supérieures, de district et de comté du Canada. Ce n'est par conséquent pas un pouvoir ou une compétence qui peut être conféré à des tribunaux de constitution provinciale de nos jours.

B. La fonction judiciaire

Compte tenu de la conclusion qui découle de l'analyse historique, il est nécessaire de passer au second volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle, lequel requiert que la Cour se demande si le tribunal provincial exerce une fonction judiciaire. Ce n'est que dans ce cas que l'art. 96 sera violé. Dans l'analyse de la nature de la fonction du tribunal, les apparences procédurales ne sont pas décisives. Plutôt, pour reprendre un extrait des motifs du juge Dickson dans le Renvoi sur la location résidentielle, à la p. 735:

Il faut d'abord établir la nature de la question que le tribunal doit trancher. Lorsque le tribunal fait face à un litige privé entre des parties et qu'il est appelé à décider en appliquant un ensemble reconnu de règles d'une manière conforme à l'équité et à l'impartialité, il agit alors normalement en qualité d'"organisme judiciaire".

La Division d'appel a traité de ce point de la manière suivante, aux pp. 399 et 400:

[TRADUCTION] Je ne vois aucune raison d'arriver à la conclusion que la nature judiciaire des pouvoirs dont le Tribunal est investi se trouve modifiée lorsqu'on le considère dans son cadre institutionnel. Il se peut que, lorsqu'il prononce des ordonnances pour remédier aux infractions au salaire minimum en vertu de la Loi et à d'autres de ses dispositions, le tribunal exerce simplement en réalité une fonction administrative, nécessaire pour atteindre les objets de la loi mais, lorsqu'on a affaire à l'art. 67A, qui est en réalité une modification apportée à la common law relative aux contrats de travail, et quand on se demande s'il y a ou non "juste cause", le tribunal ne peut qu'exercer une fonction judiciaire. C'est là le genre de litige entre parties privées qui, traditionnellement, doit être résolu par les cours supérieures et, bien que ces dernières aient maintenant à considérer la réintégration comme alternative aux dommages‑intérêts, c'est à elles qu'il revient de le faire, non à un tribunal de constitution provinciale.

Quoique la Division d'appel ne l'ait pas fait, je pense qu'il est nécessaire, pour les fins de ce volet de l'analyse, de distinguer entre le rôle du Directeur (par. 67A(2)) et celui du Tribunal (par. 67A(3)). Celui‑là n'exerce pas une fonction judiciaire, celui‑ci en exerce une. D'ailleurs, je constate que, devant cette Cour, l'intimée n'a fait valoir aucun argument relatif à la nature judiciaire des pouvoirs du Directeur.

Bien que le Directeur soit effectivement saisi d'un litige privé entre des parties, il y a plusieurs aspects de son rôle qui le rendent non judiciaire. En vertu du par. 19(1) du Code, le Directeur a l'obligation, sur réception d'une plainte, de procéder à des enquêtes et de tenter d'amener les parties à un règlement. Ce mandat d'inquisiteur et de médiateur rend sa fonction non judiciaire. Dans l'arrêt Tomko, le juge en chef Laskin dit, à la p. 122:

Ce qui est intéressant dans la disposition portant que la Commission ou, dans le cas de l'industrie de la construction, le Comité spécial, peut décerner un ordre de ne pas faire, c'est qu'elle permet des efforts en vue d'un règlement avant ou après la délivrance de l'ordre intérimaire de ne pas faire. Il faut croire que la fluidité et la volatilité des litiges en matière de relations de travail ont fortement influencé la décision de la Législature de prévoir cet autre moyen de chercher un accommodement entre les employeurs et les syndicats sous la surveillance de la Commission ou de sa division spéciale et avec l'assistance du ministère du Travail. Cet accommodement s'écarte des autres moyens que constituent les poursuites pénales et l'injonction délivrée par la Cour. Il y a là un aspect politique, c'est évident; par le mécanisme d'un ordre de ne pas faire, on cherche à rétablir le statu quo ante, c'est‑à‑dire la légalité, et cela me semble une façon rationnelle de régler par un processus administratif le problème posé par la rupture des relations paisibles de travail.

Certes, le Directeur n'aura affaire qu'à un seul individu plutôt qu'à plusieurs, mais il tente, comme la Commission des relations de travail dans l'affaire Tomko, de préserver l'harmonie en milieu de travail.

Quoique ce soit le facteur majeur indiquant que le Directeur n'a pas un rôle judiciaire, il y en a d'autres. Il est investi du pouvoir de mener ses propres enquêtes par le par. 19(2), de prononcer une ordonnance sans préavis ni audition d'une partie (par. 19(8)) et d'exercer son pouvoir discrétionnaire pour imposer le redressement de son choix (par. 19(3)). On trouvera d'autres écarts par rapport au modèle judiciaire dans le fait qu'il peut désigner un tiers pour procéder à l'enquête et amener les parties à un règlement (par. 19(1)), qu'aucun dossier où serait consignée la procédure n'est conservé et qu'il assume lui‑même la direction de certaines plaintes devant le Tribunal (al. 20a)). Pris ensemble, ces facteurs amènent à la conclusion que le Directeur n'exerce pas une fonction judiciaire en appliquant le Code, y compris l'art. 67A.

Le Tribunal est à mon sens dans une situation quelque peu différente de celle du Directeur. Manifestement, par ses pouvoirs et sa procédure, il paraît exercer une fonction judiciaire. Il doit entendre les deux parties au litige (al. 15(9)), les plaignants n'y ont pas accès, sauf par voie d'appel, et désobéir à l'une de ses ordonnances constitue une infraction (art. 90). En général, il n'élabore pas une politique ni ne mêle des délibérations de cet ordre à ses décisions d'espèce, comme le faisait l'Agricultural Implements Board dans l'affaire Massey‑Ferguson. On peut opposer son rôle à celui du British Columbia Employment Standards Board dont la Cour d'appel de cette province a jugé, dans l'arrêt Evans, qu'elle n'exerçait pas de fonctions judiciaires. Elle jouait plutôt son [TRADUCTION] "rôle de juge afin de mettre en {oe}uvre un vaste plan social". Elle pouvait, en appel, [TRADUCTION] "infirmer ou confirmer la décision [du Directeur] sur le fondement de sa politique", et, dans certains domaines visés par la Loi, elle détenait une compétence exclusive de première instance, écartant le Directeur de l'administration de la Loi (à la p. 206).

Le Tribunal des normes du travail de la Nouvelle‑Écosse ne s'occupe ni de l'administration ni de l'élaboration de politiques comme son pendant de Colombie‑Britannique. Sa fonction première est de statuer sur les appels formés contre les décisions du Directeur, conformément à la loi. Son rôle peut être comparé à la Commission du logement dont il a été jugé qu'elle agissait judiciairement dans le Renvoi sur la location résidentielle (aux pp. 743 et 744):

Sauf en de très rares cas, la Commission du logement n'est pas libre d'intervenir d'office dans des litiges entre propriétaires et locataires [. . .] En outre, le pouvoir d'ordonner l'éviction ou d'exiger qu'une personne se conforme à la Loi s'exercera, dans tous les cas, dans le cadre d'un litige entre des parties . . .

Lorsqu'elle est saisie d'un litige, la Commission doit décider des obligations et des droits respectifs des parties suivant les termes de la Loi. La Commission n'a pas un pouvoir discrétionnaire total d'"arranger les choses". Les pouvoirs qu'elle peut invoquer et les redressements qu'elle peut accorder sont restreints aux termes de la Loi. En aucun cas le droit d'une personne n'est sacrifié au profit d'un groupe de personnes ou d'une politique commune. La Commission traite exclusivement de questions relatives au droit des contrats ou des biens immobiliers qui opposent propriétaires et locataires.

Il est vrai que la Commission jouit d'un certain pouvoir discrétionnaire dans l'exercice de sa fonction de rendre des décisions. En vertu du par. 93(1) par exemple, la Commission est chargée de rendre une décision [TRADUCTION] "en toute justice et sur le bien‑fondé de l'espèce"; le par. 93(2) prévoit que la Commission [TRADUCTION] "doit constater la nature réelle de toutes les opérations et activités . . ."; le par. 110(3) énonce que la Commission [TRADUCTION] "peut insérer dans une ordonnance les modalités qu'elle estime appropriées suivant toutes les circonstances". À vrai dire cette terminologie n'est certes pas étrangère aux cours visées à l'art. 96. En vertu de The Landlord and Tenant Act, la Cour de comté avait le pouvoir [TRADUCTION] de "rendre les autres ordonnances que le juge estime utiles" (art. 96), d'établir une ordonnance [TRADUCTION] "relevant d'une déchéance, aux conditions que le juge peut fixer" (par. 106(1)) et [TRADUCTION] de "refuser une demande [en reprise de possession] à moins qu'il ne soit convaincu, compte tenu de toutes les circonstances, qu'il ne serait pas équitable de la recevoir" . . .

La Commission a le pouvoir d'entendre et de trancher les litiges conformément aux règles de droit et en vertu du pouvoir que la loi lui accorde. Elle autorise les actes qui font l'objet d'une demande. Elle a le pouvoir d'imposer des peines et d'accorder des redressements en cas de violation de droits. Désobéir à un ordre de la Commission constitue une infraction pénale.

Le régime contesté en l'espèce ressemble à bien des égards à celui qui l'était dans le Renvoi sur la location résidentielle. Et pourtant, il y a des différences subtiles; les appelants ont fait valoir devant cette Cour plusieurs aspects en vertu desquels, prétendent‑ils, l'espèce peut être distinguée du Renvoi sur la location résidentielle. En premier lieu, le Directeur et non la partie qui a eu gain de cause en première instance agira normalement à l'audience. Mais faire trop de cas de cela serait sacrifier le fond à la forme. Quoique le Directeur puisse agir pour l'une des parties, c'est néanmoins au Tribunal qu'on demande de statuer sur un litige qui oppose les parties. En second lieu, on nous réfère au large pouvoir discrétionnaire de l'al. 24(2)a) d'ordonner à une partie contrevenante [TRADUCTION] "d'accomplir tout acte ou de faire toute chose qui, à son avis, est pleinement conforme avec la disposition". Cela, prétend‑on, indique que le Tribunal n'est pas lié par des principes juridiques fixes et que, par conséquent, il n'exerce pas vraiment une fonction judiciaire. Mais le pouvoir discrétionnaire n'est pas étranger aux cours supérieures, aussi je ne pense pas qu'il y ait beaucoup à gagner à faire cette distinction.

Un troisième argument est fondé sur les pouvoirs attribués au Tribunal. Il procède par voie de procès de novo, il n'est pas limité à des questions de droit uniquement et il n'échappe pas au contrôle judiciaire de la cour supérieure sur des questions de droit et de compétence. On a soutenu que ces facteurs, particulièrement l'absence de clause privative, signifient que le Tribunal n'exerce pas une fonction judiciaire. Je ne pense pas que cet argument puisse réussir. Quoique les arrêts Farrah et Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220, établissent comme règle qu'une clause privative large porte atteinte à la Constitution en créant une cour visée à l'art. 96, en soi la simple absence d'une clause de ce genre ne valide pas un tribunal inférieur. Le point crucial à ce stade, c'est la fonction judiciaire et, à mon avis, le Tribunal se comporte suffisamment comme une cour pour ne pas satisfaire à ce volet du critère.

C. Le cadre institutionnel

Le fait que le Tribunal des normes du travail exerce, en vertu du par. 67A(3), un pouvoir exercé par les cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération, et ce d'une manière judiciaire, ne clôt pas l'analyse. Le troisième volet du critère du Renvoi sur la location résidentielle, dérivé principalement des arrêts John East Iron Works, Ld. et Tomko, a été résumé dans le Renvoi sur la location résidentielle, aux p. 735 et 736:

C'est le contexte dans lequel le pouvoir s'exerce qu'il faut considérer. L'arrêt Tomko nous mène au résultat suivant: les tribunaux administratifs peuvent exercer les pouvoirs et la compétence que les tribunaux visés à l'art. 96 ont déjà exercés. Tout dépendra du contexte dans lequel le pouvoir est exercé. Les "pouvoirs judiciaires" attaqués peuvent être simplement complémentaires ou accessoires aux fonctions administratives générales attribuées au tribunal (les arrêts John East et Tomko), ou ils peuvent être nécessairement inséparables de la réalisation des objectifs plus larges de la législation (l'arrêt Mississauga). Dans ce cas, l'attribution d'un pouvoir judiciaire à des organismes provinciaux est valide. La loi ne sera invalide que si la seule fonction ou la fonction principale du tribunal est de juger (l'arrêt Farrah) et qu'on puisse dire que le tribunal fonctionne "comme une cour visée à l'art. 96".

J'ai déjà fait observer que le Tribunal ne fonctionne pas comme une cour visée à l'art. 96, comme c'était le cas des tribunaux des arrêts Farrah et Crevier. Il n'a pas à se limiter à des questions de droit et de compétence et ses décisions peuvent être contrôlées par les cours supérieures et portées en appel devant elles. Sur la question de savoir si son pouvoir judiciaire est accessoire à la fonction administrative du Tribunal ou nécessaire à la réalisation d'une politique plus vaste, la Division d'appel dit à la p. 400:

[TRADUCTION] À mon avis, il n'est absolument pas nécessaire de demander à un tribunal provincial si un employé a été congédié abusivement. Il s'agit là simplement d'un litige entre deux parties à un contrat de travail qui n'a rien d'accessoire au grand dessein social d'assurer la paix industrielle comme on l'a décidé dans les affaires sur la Commission des relations de travail. L'article 67A n'est qu'un élément de la législation sociale, regroupé par commodité dans une seule loi avec d'autres dispositions se rapportant aux normes du travail. Il n'y a, à mon avis, aucune raison valable de faire résoudre ce genre de litige par le Tribunal des normes du travail.

Avec égards, je pense qu'en l'espèce la Division d'appel a tort. Elle semble avoir beaucoup insisté sur deux points, le fait que la disposition traite des rapports individuels entre employeur et employé et celui que le Code représente une compilation modifiée de plusieurs lois distinctes. Le premier point distingue certainement le Code des lois sur les relations de travail, mais ce n'est pas là le critère. Ce qu'il faut se demander, c'est si la disposition est nécessaire à une politique plus large recherchée par le législateur provincial, que ce soit dans le domaine de la négociation collective, du contrat de travail individuel, des rapports entre propriétaires et locataires ou dans d'autres domaines. Ce dernier point des motifs de la Division d'appel, en fait, vient au secours des appelants en l'espèce. La fusion par le législateur provincial en un seul Code de plusieurs lois distinctes visant les employés individuellement et l'attribution de l'application de l'ensemble du Code à un organisme administratif unique indiquent un désir de consolider, de rationaliser et d'unifier la politique dans le domaine. Lorsque la législature de la Nouvelle‑Écosse a adopté le Code en 1972, elle a réuni plusieurs lois qui traitaient toutes de normes minimales d'emploi. Les lois suivantes ont été refondues dans le Code: Vacation Pay Act, R.S.N.S. 1967, chap. 322, Industrial Standards Act, R.S.N.S. 1967, chap. 142, Minimum Wage Act, R.S.N.S. 1967, chap. 186, Equal Pay Act, S.N.S. 1969, chap. 8, Limitation of Hours of Labour Act, R.S.N.S. 1954, chap. 154 et Employment of Children Act, R.S.N.S. 1967, chap. 88. Depuis 1972, le Code a été modifié à six reprises, y compris les modifications de 1975 et de 1976 qui, combinées, y ont incorporé ce qui est actuellement l'art. 67A: voir S.N.S. 1975, chap. 50; S.N.S. 1976, chap. 41.

Le Code constitue un régime complet de protection des travailleurs non syndiqués. Il leur fournit ce que j'appellerais des protections et des avantages tant de fond que de procédure. Par protection de fond, je veux parler des dispositions sur le salaire minimum, l'égalité salariale, les congés de maternité, les heures de travail, l'emploi des enfants, le minimum légal pour les délais‑congés et la réintégration. La plupart de ces éléments constituent le régime normal des conventions collectives; en édictant certaines normes minimales, le législateur provincial a reconnu l'existence du déséquilibre historique entre la capacité de négociation de l'employeur et celle de l'employé individuel et il a cherché dans une certaine mesure à y faire contrepoids. En vertu de l'art. 4, tout droit ou avantage plus favorable à l'employé prévaut sur les normes du Code. Il existe une législation similaire dans tous les ressorts du Canada et, dans chaque cas, l'ampleur de la protection s'est accrue graduellement au cours des années, bien que, jusqu'à maintenant, seuls la Nouvelle‑Écosse, le Québec et le gouvernement fédéral aient inclus une disposition sur la réintégration. L'importance grandissante de la législation sur les normes du travail a été reconnue par de nombreux commentateurs, y compris les auteurs de Labour Law: Cases, Materials and Commentary, 4th ed, à la p. 1:

[TRADUCTION] Jusqu'à tout récemment, on estimait que ce genre de législation ne jouait qu'un rôle fort subordonné -‑ ne servant guère plus qu'à combler une lacune, afin d'offrir une protection de base aux employés en dehors du champ de la négociation collective ou dont la capacité de négocier, même mobilisée collectivement, était insuffisante pour obtenir des conditions d'emploi minimales acceptables.

Ces dernières années, il est devenu clair qu'on ne peut attendre de la négociation collective autant de protection qu'on l'avait espérée. Quelque 40 pour 100 ou plus de la main‑d'{oe}uvre canadienne échappe à la négociation collective. Il en est ainsi pour des raisons historiques, sociales et économiques et en raison de la longueur et de la difficulté de la procédure légale d'établissement de rapports de négociation collective.

. . .

La prise de conscience grandissante par l'opinion publique de la portée et de l'effet limités de la négociation collective a conduit à admettre de plus en plus que l'intervention législative directe de fond est souvent l'unique réponse. Ce genre d'intervention rend rapidement caduque la conception que son rôle est de "combler une lacune" et devient de plus en plus omniprésent.

En adoptant l'art. 67A, la législature de la Nouvelle‑Écosse a choisi d'étendre les protections légales des employés au droit à la réintégration dans certains cas. Elle l'a fait pour étayer une politique sociale générale d'assistance aux travailleurs non syndiqués. L'article représente une extension d'anciennes dispositions, certes, mais il ne fait aucun doute que son rapport avec celles‑ci constitue un autre aspect de la vaste politique sociale recherchée.

Outre ses protections de fond, le Code offre aux travailleurs plusieurs garanties sur le plan de la procédure. La disposition qui garantit la confidentialité à l'employé qui porte plainte reconnaît les problèmes pratiques auxquels peut être confronté celui qui désire se plaindre de son employeur. Plus important, le Code offre un mécanisme peu onéreux mais expéditif d'investigation et de règlement des plaintes. Voilà qui est au moins aussi important que les protections de fond offertes. Ces procédures se retrouvent en partie dans le Code parce qu'historiquement les tribunaux se sont révélés un mécanisme trop lent et trop coûteux, pour des sommes relativement petites, réclamées à titre de pertes de salaire ou pour tenir lieu de délai‑congé, par des travailleurs non qualifiés ou semi‑qualifiés. L'importance de ce genre de procédure administrative expéditive a été reconnue par la Cour d'appel du Manitoba, dans le cadre de contestations fondées sur l'art. 96 dans les arrêts Re Mitchell and Employment Standards Division, Department of Labour (1977), 82 D.L.R. (3d) 339, et Central Canadian Structures Ltd. v. Director of Employment Standards Division, [1984] 4 W.W.R. 182.

La politique sociale de protection de l'employé et son application expéditive se manifestent dans l'ensemble du Code et à l'art. 67A notamment. Saisis d'une demande de réintégration en vertu de l'art. 67A, le Directeur et le Tribunal offrent tous deux des modes économiques et accessibles d'investigation et de règlement du litige. Ils le font en réponse à des conditions sociales qui ont évolué depuis la Confédération et dans un cadre administratif fort différent de la pratique des cours. Ni le Directeur ni les membres du Tribunal n'ont à être avocats. Bien que le Tribunal exerce effectivement une fonction judiciaire à l'égard de l'art. 67A et de nombreux autres aspects du Code, cette fonction est nécessairement accessoire à des objectifs visés par les grandes politiques sociales pour lesquelles le Code a été conçu. À cet égard, je souscris pour l'essentiel au raisonnement du juge L'Heureux‑Dubé dans l'arrêt Asselin, quand elle traite du pouvoir d'un arbitre, en vertu de la Loi sur les normes du travail du Québec, d'ordonner la réintégration, aux pp. 90 et 91:

Pour ma part, je préfère placer ici le débat sur l'aspect nouveau des relations de travail par rapport à ce qui existait en 1867 [. . .] C'est particulièrement vrai pour la Loi sur les normes du travail qui crée pour l'employé un droit à son emploi, indépendamment de son contrat de travail individuel, et donne à l'arbitre des pouvoirs étendus, dont celui de réintégrer l'employé [. . .] L'arrêt Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle‑Écosse) [[1977] 1 R.C.S. 112] me paraît singulièrement pertinent dans le présent débat. Si on y a reconnu comme constitutionnel le pouvoir d'injonction conféré à un tribunal du travail, il m'apparaît difficile de concevoir que le pouvoir de réintégration et les autres pouvoirs moins radicaux énumérés à la Loi ne puissent être conférés à un arbitre dans le cadre d'une loi réglant les relations entre employeurs et employés, loi à caractère nettement social résultant d'une évolution marquée depuis 1867 et d'une conception totalement différente des relations ouvrières de l'époque.

Je serais donc d'avis que, sur cette base, une province peut, dans le champ de sa compétence (ici compétence exclusive), conférer à un organisme provincial ou à des juges ou personnes nommés par elle des pouvoirs judiciaires qui, même si per se exercés en 1867 par des Cours supérieures, exclusivement ou non, le sont dans un cadre institutionnel différent. C'est à mon avis ce que dit essentiellement l'arrêt Re Loi de 1979 sur la location résidentielle précité. Mêmes pouvoirs, ou pouvoirs similaires si l'on veut, mais dans une conception totalement différente qui milite en faveur d'une spécialisation, d'un regroupement, d'une institutionnalisation. La Loi sur les normes du travail me paraît entrer dans ce cadre et les pouvoirs de l'arbitre s'y insérer naturellement comme un accessoire nécessaire au fonctionnement de ce nouveau droit qu'est le droit du travail, du moins par rapport à l'époque de la Confédération.

Je conclus par conséquent que, quoique le Tribunal des normes du travail exerce une compétence correspondant généralement à celle exercée par les cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération et quoique, ce faisant, il exerce une fonction judiciaire, cet exercice est un accessoire nécessaire de la politique sociale plus vaste qui cherche à assurer des normes minimales de protection aux employés non syndiqués.

7. Dispositif

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de répondre à la première question constitutionnelle par l'affirmative et à la deuxième par la négative. Les paragraphes (2) et (3) de l'art. 67A du Labour Standards Code sont intra vires de la province de la Nouvelle‑Écosse. La décision du Tribunal des normes du travail est rétablie. L'intimée pourra faire valoir ses autres moyens d'appel devant la Division d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse. Il n'y aura pas adjudication de dépens.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs des juges Beetz, La Forest et L'Heureux-Dubé rendu par

LE JUGE LA FOREST -- J'ai eu l'avantage de lire les motifs de ma collègue le juge Wilson et bien que je tranche l'affaire comme elle et que je réponde de la même manière aux questions constitutionnelles, j'arrive à cette conclusion par un raisonnement différent du sien. Ma collègue énonce les faits et les textes de lois pertinents et fait l'historique de l'affaire. Je peux donc aborder directement les motifs qui m'amènent à ma conclusion.

Il faut déterminer si les dispositions du Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, par. 67A(2) et (3), qui autorisent le Directeur des normes du travail à tenter d'arriver à un règlement lorsqu'il y a une plainte ou qu'il conclut qu'un employé a été congédié sans juste cause en violation du Code (par. 67A(1)), et autorisent le Tribunal des normes de travail à décider si une telle contravention a eu lieu et à imposer un redressement, sont inconstitutionnelles en ce qu'ils prévoient l'exercice d'un pouvoir correspondant à celui qu'exerçaient les cours visées à l'art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 avant la Confédération.

Comme le titre du Code l'indique, la norme mentionnée fait partie des nombreuses normes prévues au Code et appliquée au moyen de la conciliation effectuée par le Directeur et des décisions du Tribunal. Le Code constitue une codification de dispositions législatives adoptées depuis la Confédération garantissant des normes minimales d'emploi en matière de congés et de jours fériés payés, de salaire minimum, d'égalité de rémunération (y compris les congés de maternité et d'adoption, la protection de l'ancienneté et des avantages conférés aux employées qui prennent un congé de maternité), la fréquence et les modalités de rémunération, les taux de rémunération, les heures de travail dans l'industrie de la construction et les entreprises industrielles, les congédiements, les suspensions, la discrimination de la part d'un employeur en raison d'une saisie du salaire de l'employé, les plaintes des employés et l'emploi des enfants. Le Code applique aux travailleurs non syndiqués plusieurs des normes qui sont ordinairement réglées par le régime de convention collective. Les travailleurs non syndiqués constituent 70 pour 100 de tous les travailleurs de la province.

Les principes de philosophie économique et sociale qui sous‑tendent ces dispositions pourraient difficilement s'éloigner davantage de ceux qui prévalaient au moment de la Confédération. À cette époque, la philosophie du laisser‑faire était à son zénith. Cette situation se reflétait dans un environnement juridique qui préconisait l'égalité stricte entre les individus et la liberté de contracter. Le contrôle législatif de l'activité économique était minimum. Dans le domaine des relations du travail, à cette époque, les cours appliquaient les contrats privés (ceux qui régissaient les rapports des maîtres et des domestiques). Comme le dit G. England dans un article intitulé "Unjust Dismissal in the Federal Jurisdiction: The First Three Years" (1982), 12 Man. L.J. 9, à la p. 10:

[TRADUCTION] La protection que donne l'action de common law pour congédiement injustifié est insuffisante sous plusieurs rapports. Elle permet à un employeur de congédier pour n'importe quel motif et même sans motif pourvu que les formalités prescrites par le contrat d'embauchage aient été observées et que les délais d'avis aient été respectés ou les sommes en tenant lieu versées. Elle applique une notion de "cause" irréaliste lorsque le renvoi arbitraire est invoqué, tout en étant restreinte par le concept de résiliation emprunté au droit des contrats.

Voir également Clyde W. Summers, "Individual Protection Against Unjust Dismissal: Time for a Statute" (1976), 62 Va. L. Rev. 481. En adoptant le Code, le législateur ne visait pas à établir des règles applicables aux contrats, mais à fixer des normes minimales. L'article 4 le précise: [TRADUCTION] "La présente loi s'applique en dépit de toute autre loi, coutume, contrat ou convention contraire . . ." La disposition relative au congédiement, comme les autres normes du Code, s'applique indépendamment de toute convention qui peut avoir été conclue. Il s'agit essentiellement d'une nouvelle obligation prescrite par la loi. Elle transcende les rapports privés des parties.

Le dernier point se reflète dans les mécanismes d'application établis en vertu du Code. Ils ne s'appliquent pas par une action laissée à l'initiative de la partie lésée. L'application relève du Directeur nommé en vertu du Code. Le Directeur est le premier à agir s'il y a allégation de violation d'une norme prescrite par le Code, soit sur plainte qui lui est faite ou de son propre chef, s'il a des motifs raisonnables de croire que quelqu'un a commis une telle violation (par. 19(1) et (2)). Le Directeur a comme mission d'arriver à un règlement s'il peut y parvenir, faute de quoi il peut ordonner que le Code soit respecté et condamner à la réparation du préjudice ou au paiement d'une indemnité. Il s'agit essentiellement de procédures de conciliation apparentées à celles dont se servent les tribunaux des droits de la personne que j'ai analysées dans ma dissidence dans l'arrêt Scowby c. Glendinning, [1986] 2 R.C.S. 226 (l'opinion de la majorité ne visait pas cette question). Le Directeur n'est pas régi par des normes minimales juridiques mais par la dynamique des relations du travail. Il n'est pas essentiel que lui‑même, ni aucun des membres du tribunal, appartienne à l'ordre des avocats, et on nous a dit qu'ils n'y appartenaient pas. Ils sont cependant spécialisés en relations du travail.

Il y a appel d'une ordonnance du Directeur au Tribunal qui détermine s'il y a eu violation du Code et qui ordonne à la partie fautive de se conformer au Code et de réparer le préjudice ou de verser une indemnité. Il y a certainement un aspect judiciaire à ce stade, mais il ne s'agit pas d'un litige entre le plaignant et la partie fautive. Le Directeur a l'initiative de l'action (art. 20). Le litige, comme on l'a vu, ne porte pas sur un contrat, mais sur des normes législatives contemporaines qui visent à écarter les clauses contractuelles qui leur sont contraires. Il n'est donc pas surprenant que ces organismes tendent à considérer les normes de l'arbitrage en matière de travail plus utiles que la common law quand il s'agit de déterminer le sens de normes comme "le congédiement abusif"; voir England, précité, à la p. 21. Voir aussi Gérard Hébert et Gilles Trudeau: Les normes minimales du travail au Canada et au Québec, à la p. 168.

Compte tenu de ce qui précède, je n'hésite pas à conclure que l'aspect judiciaire du Code ne porte nullement sur les matières contractuelles attribuées aux cours visées à l'art. 96 en 1867. Comme je l'ai déjà dit, il prescrit des normes de relations du travail qui transcendent la relation entre les parties. Il est donc inutile d'examiner par le menu la compétence que les tribunaux avaient sur les contrats entre maîtres et serviteurs à l'époque de la Confédération.

L'analyse que j'adopte à l'égard de ces dispositions législatives s'apparente à celle que les tribunaux ont eue à l'égard des lois en matière de relations du travail régies par des conventions collectives. Il est tout à fait normal qu'il en aille de même. Les deux catégories de dispositions législatives tendent à venir au secours des travailleurs dans un cadre économique et social où les employeurs occupent une position de force; elles jouent un rôle complémentaire pour résoudre les problèmes que ce cadre a suscité; voir Robert P. Gagnon, Louis LeBel, Pierre Verge, Droit du travail, aux pp. 15 et 19. Elles reflètent la même réalité sociale et des mécanismes semblables ont été adoptés pour les syndiqués et les non‑syndiqués.

L'affaire la plus pertinente dans le domaine des conventions collectives est l'arrêt Labour Relations Board of Saskatchewan v. John East Iron Works, Ld., [1949] A.C. 134. Le Conseil privé a statué que la compétence attribuée à un tribunal spécialisé d'ordonner la réintégration d'un travailleur congédié et de lui accorder une indemnité ne contrevenait pas à l'art. 96. Le Conseil privé a souligné que la loi ne visait pas à régir les relations contractuelles des employeurs et des employés mais l'application des droits découlant d'un régime de conventions collectives. Lord Simonds l'énonce ainsi à la p. 150:

[TRADUCTION] C'est dans le contexte de cette nouvelle conception des relations industrielles qu'il faut voir la question sur laquelle doit se prononcer le conseil et, même si la question qui se pose peut être considérée comme relevant des tribunaux, on ne trouve aucune analogie dans les questions qu'on retrouvait devant les tribunaux de 1867.

La conception nouvelle dont parle cet arrêt est bien sûr celle d'un régime de conventions collectives. Comme je l'ai déjà signalé cependant, les lois qui établissent des normes minimales du travail traduisent aussi une nouvelle conception des relations industrielles, une conception qui de plus est complémentaire aux conventions collectives qui étaient aussi inconnues en 1867.

Les lois relatives aux normes du travail, y compris l'art. 67A du Code qui accorde la permanence à un employé ayant dix ans de service ou plus, relèvent de la conception moderne des relations industrielles à peu près comme la protection semblable que confère une convention collective. Le parallèle ressort clairement du passage suivant de l'arrêt John East Iron Works, Ld., à la p. 150:

[TRADUCTION] La compétence que possède le tribunal en vertu de l'al. 5e) n'est pas invoquée par l'employé qui cherche à faire valoir ses droits contractuels; quels qu'ils soient, il peut les faire valoir ailleurs. Mais sa réintégration, que les conditions de son contrat d'embauchage lui‑même ne justifieraient peut‑être pas, est le moyen de prévenir les pratiques d'emploi jugées inéquitables et de paver la voie à la paix industrielle.

Il semble utile que les provinces aient la compétence d'attribuer à des organismes spécialisés le rôle d'appliquer ces normes en ayant recours à des techniques qui relèvent de leur objet et qui sont de plus expéditives, efficaces et économiques. Il me semblerait tout à fait inapproprié d'appliquer ces normes de façon courante par voie d'action devant les cours visées à l'art. 96, et encore plus de considérer qu'il s'agit d'un aspect de la compétence réservée à ces cours. Ceci est aussi conforme à l'arrêt John East Iron Works, Ld. où, aux pp. 150 et 151, lord Simonds propose une autre façon de tester la conclusion à laquelle il est parvenu. Il déclare:

[TRADUCTION] Il est légitime, par conséquent, de se demander si les syndicats avaient en 1867 été reconnus par la loi, si la négociation collective avait constitué le postulat reconnu de la paix industrielle, si, en un mot, l'optique économique et sociale avait été la même en 1867 que ce qu'elle est devenue en 1944, il n'aurait pas été opportun de créer effectivement un tribunal spécialisé comme celui que prévoit l'art. 4 de la Loi.

Il mentionne aussi qu'il est souhaitable que les membres du tribunal aient des connaissances spécialisées et qu'il serait inapproprié d'imposer qu'ils soient issus du barreau, en vertu de l'art. 96. Adaptant à l'espèce ce que dit lord Simonds, il est légitime de se demander, à supposer que les normes minimales du travail aient existé en droit en 1867 et aient été le postulat reconnu de la gestion des relations du travail, à supposer en un mot que l'optique économique et sociale ait été identique en 1867 à que ce qu'elle est devenue maintenant, s'il n'aurait pas été utile de créer un tribunal spécialisé comme celui que le Code prévoit. Je n'hésite nullement à répondre qu'il l'aurait été.

Ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé a adopté un point de vue semblable, quand elle était juge à la Cour d'appel du Québec, dans l'affaire Asselin c. Industries Abex Ltée, [1985] C.A. 72 (Qué.) Après avoir mentionné l'examen détaillé fait par ses collègues de la compétence des tribunaux sur les contrats entres maîtres et domestiques en 1867, elle dit à la p. 90:

Pour ma part, je préfère placer ici le débat sur l'aspect nouveau des relations de travail par rapport à ce qui existait en 1867, tout comme M. le juge Gagnon, que cite mon collègue Nolan, le faisait dans l'arrêt United Last Co. c. Tribunal du travail [[1973] R.D.T. 423]. C'est particulièrement vrai pour la Loi sur les normes du travail qui crée pour l'employé un droit à son emploi, indépendamment de son contrat de travail individuel, et donne à l'arbitre des pouvoirs étendus, dont celui de réintégrer l'employé, ce dernier pouvoir inconnu et non reconnu par nos Cours de justice en 1867, comme le démontre amplement mon collègue Nolan. Si cela vaut pour l'article 128 paragr. 1 de la Loi en particulier, je dirais que tous les autres pouvoirs attaqués relèvent de la même philosophie des relations de travail, du même concept qui va de la conciliation à la négociation et à l'arbitrage des différends ouvriers. L'arbitre est à la fois une partie de tout ce processus et l'aboutissement des différentes étapes y prévues. L'arrêt Tomko c. Labour Relations Board (Nouvelle‑Écosse) [[1977] 1 R.C.S. 112] me paraît singulièrement pertinent dans le présent débat. Si on y a reconnu comme constitutionnel le pouvoir d'injonction conféré à un tribunal du travail, il m'apparaît difficile de concevoir que le pouvoir de réintégration et les autres pouvoirs moins radicaux énumérés à la Loi ne puissent être conférés à un arbitre dans le cadre d'une loi réglant les relations entre employeurs et employés, loi à caractère nettement social résultant d'une évolution marquée depuis 1867 et d'une conception totalement différente des relations ouvrières de l'époque.

Après avoir constaté que la compétence exercée par le tribunal ne correspond pas au pouvoir ou à la compétence d'une cour visée à l'art. 96 en 1867, il devient inutile de s'interroger sur les autres critères établis par la jurisprudence, (notamment Re Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714), bien que je n'hésite pas à affirmer que le cadre dans lequel le tribunal fonctionne suffirait à le soustraire aux exigences de l'art. 96; voir Scowby c. Glendinning, précité.

Il est aussi inutile d'examiner les questions liées à la nature précise de l'analyse historique soulevées par ma collègue le juge Wilson, mais il peut être utile que je fasse quelques observations à ce sujet. Selon moi, la question qu'il faut se poser est de savoir si la compétence d'un tribunal correspond "généralement" à la compétence qu'exerçaient les cours visées à l'art. 96 à l'époque de la Confédération. La question elle‑même indique que nous examinons un sujet qui n'est pas susceptible de définition précise. Il n'est donc pas surprenant que les arrêts antérieurs manquent de précision. S'il faut s'en rapporter à une date précise pour en juger, 1867 pourrait convenir, mais, même à ce compte, je ne suis pas sûr qu'il soit plus important de considérer une date précise que d'éviter d'incorporer dans la compétence des cours visées à l'art. 96 des questions qui peuvent être propres à une seule province à cause de la situation particulière qui y prévalait à l'époque. Ce que nous tentons en définitive d'établir, c'est un sens général et pratique de la compétence des cours visées à l'art. 96. Je ne pense pas du tout que nous devrions limiter nos examens à la province particulière visée par l'affaire en cause. Je ne crois pas que nous devrions nous restreindre non plus aux provinces qui ont formé la Confédération à l'origine. On peut s'inspirer de la situation des autres colonies britanniques d'Amérique du Nord à l'époque, dont Terre‑Neuve et l'{uIc}le‑du‑Prince‑Édouard (qui ont participé aux négociations originales) et la Colombie‑Britannique qui a adhéré à la Confédération seulement quelques années plus tard. Je tiendrais aussi compte de la situation en Angleterre à la même époque, puisqu'en fin de compte le modèle de ces cours y a son origine.

Tout cela peut aider à résoudre ce qui peut souvent être une question très difficile. D'autre part, je m'inquiéterais de devoir utiliser une méthode qui vise à établir un critère d'une précision irréaliste en raison du caractère fragmentaire des éléments de preuve disponibles et de la difficulté de déterminer leur pertinence dans un contexte moderne. Ce qu'il faut déterminer, c'est si la compétence d'un organisme judiciaire correspond généralement à celle des cours visées à l'art. 96, selon la compréhension qu'on en avait à l'époque de la Confédération. En le faisant, nous devons éviter trop de précisions sur un sujet qui est forcément imprécis et aussi des critères mécaniques pour déterminer la nature précise des éléments de preuve requis. Ce que nous devons faire, c'est exercer notre jugement de notre mieux avec les renseignements dont nous disposons et ce que nous savons des fonctions et des attributions des cours visées à l'art. 96.

Ces considérations ne me semblent cependant pas pertinentes en l'espèce. Je n'ai aucun doute que l'administration et l'application des dispositions législatives modernes au sujet des normes du travail ne relèvent pas de la compétence réservée aux cours visées à l'art. 96.

Pourvoi accueilli; la première question constitutionnelle reçoit une réponse affirmative et la seconde, une réponse négative.

Procureur de l'appelant le procureur général de la Nouvelle‑Écosse: Le ministère du Procureur général, Halifax.

Procureurs des appelants Clifford George Yeomans et autres: C. Peter McLellan et Ian C. Holloway, Halifax.

Procureurs de l'intimée: Stewart, MacKeen & Covert, Halifax.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Canada: Frank Iacobucci, Ottawa.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Québec: Le procureur général du Québec, Ste-Foy.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Tanner Elton, Winnipeg.

Procureur de l'intervenant le procureur général de la Colombie‑Britannique: Le procureur général de la Colombie‑Britannique, Victoria.

* Les juges Estey et Le Dain n'ont pas pris part au jugement.


Synthèse
Référence neutre : [1989] 1 R.C.S. 238 ?
Date de la décision : 02/03/1989

Parties
Demandeurs : Sobeys stores ltd.
Défendeurs : Yeomans et labour standards tribunal (N.-é.)
Proposition de citation de la décision: Sobeys stores ltd. c. Yeomans et labour standards tribunal (N.-é.), [1989] 1 R.C.S. 238 (2 mars 1989)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1989-03-02;.1989..1.r.c.s..238 ?
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