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27/06/1991 | CANADA | N°[1991]_2_R.C.S._401

Canada | Longueuil (Ville) c. Lambert-Picotte, [1991] 2 R.C.S. 401 (27 juin 1991)


Longueuil (Ville) c. Lambert‑Picotte, [1991] 2 R.C.S. 401

Dame Jeanne D'Arc Lambert Appelante

c.

Ville de Longueuil Intimée

Répertorié: Longueuil (Ville) c. Lambert‑Picotte

No du greffe: 21151.

1991: 31 janvier; 1991: 27 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1988), 30 Q.A.C. 168, 40 L.C.R. 182, qui a annulé une ordonnance du Tribunal de l'expropriati

on, [1984] T.E. 108. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka sont dissidents.

Viateur Bergeron,...

Longueuil (Ville) c. Lambert‑Picotte, [1991] 2 R.C.S. 401

Dame Jeanne D'Arc Lambert Appelante

c.

Ville de Longueuil Intimée

Répertorié: Longueuil (Ville) c. Lambert‑Picotte

No du greffe: 21151.

1991: 31 janvier; 1991: 27 juin.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel du québec

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel du Québec (1988), 30 Q.A.C. 168, 40 L.C.R. 182, qui a annulé une ordonnance du Tribunal de l'expropriation, [1984] T.E. 108. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka sont dissidents.

Viateur Bergeron, c.r., pour l'appelante.

Guy Monette, Benoît Montgrain et Sylvie Gingras, pour l'intimée.

//Le juge Sopinka//

Version française des motifs du juge en chef Lamer et du juge Sopinka rendus par

Le juge Sopinka (dissident) — La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si, au moment où des procédures d'expropriation ont été engagées par l'intimée, la ville de Longueuil, relativement au bien immeuble appartenant à l'appelante, dame Jeanne D'Arc Lambert, les parties étaient liées par une transaction ou une convention portant sur l'indemnité à verser par l'intimée en cas d'expropriation. J'ai eu l'avantage de lire les motifs rédigés, en l'espèce, par ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé et, en toute déférence, je ne puis souscrire à sa conclusion. Je conviens avec elle que, d'après les faits de la présente affaire, les conditions de l'existence d'une transaction au sens de l'art. 1918 C.c.B.‑C. ne sont pas remplies. Je conviens en outre que les parties n'ont pas expressément conclu une convention relativement à l'indemnité qui serait payable par l'intimée en cas d'expropriation. Je suis toutefois d'avis qu'il subsistait toujours un contrat valide et exécutoire de vente du bien‑fonds en question pour la somme de 500 000 $, et je suis d'avis de maintenir la conclusion de la Cour d'appel que le Tribunal de l'expropriation était tenu de prendre cela en considération en fixant le montant de l'indemnité.

Les faits et les procédures

Le juge L'Heureux‑Dubé a fait un exposé détaillé des faits et des procédures et je me propose d'en traiter brièvement en soulignant les aspects que je considère comme importants pour le règlement de la question qui se pose en l'espèce.

En septembre 1974, un représentant de l'intimée a entamé avec l'appelante des négociations en vue d'acquérir le bien‑fonds en cause. Au cours de ces négociations, l'intimée a été mise au courant de certains problèmes concernant le titre de propriété de l'appelante. À la suite de plusieurs rencontres, l'appelante a signé une offre, en date du 30 janvier 1975, de vendre le bien‑fonds à la ville pour la somme de 500 000 $.

Les alinéas (c) et (f) de l'offre de vente prévoient:

(c) L'acte de vente notarié donnant suite aux présentes, si la présente offre est acceptée par ladite Ville, devra être exécuté et passé dans les six (6) mois de la date de telle acceptation . . .;

. . .

(f) Tous les titres de propriété relatifs audit immeuble seront remis par le vendeur à l'acquéreur dans les dix (10) jours suivant la date de l'acceptation de la présente offre par ladite Ville. À compter de la date de la remise de tels titres de propriété, les aviseurs légaux de la Ville auront un délai de trente (30) jours pour en faire l'examen. Si les défauts de titres sont révélés, ceux‑ci devront être remédiés par le vendeur dans les quinze (15) jours de la date ou (sic) telle révélation lui aura été faite et à défaut par lui de se (sic) faire, l'acquéreur pourra s'il le juge à propos, au moyen d'un avis qu'il devra émettre au vendeur sous pli recommandé à cet effet, résilier et rescinder son acceptation de la présente offre et ce, sans nulle autre formalité ni autre mise en demeure;

. . .

DURÉE

La présente offre de vente devra être acceptée d'ici le 1er août 1975, au plus tard sinon elle deviendra "ipso facto" nulle et de nul effet sans avis ni mise en demeure.

Le 2 juin 1975, l'intimée a accepté ladite offre par voie de résolution de son conseil.

Le 23 juillet 1975, l'avocat de l'appelante a fait tenir à la ville une lettre indiquant que, vu le litige en cours relativement à la propriété du bien‑fonds, l'appelante serait dans l'impossibilité de transmettre un droit de propriété incontestable avant l'expiration de l'offre. Le dernier alinéa de la lettre proposait un choix à l'intimée:

Il appartient donc à la Ville de Longueuil de prendre ses responsabilités: soit de procéder à cette radiation ou bien de procéder par expropriation. Quant à notre cliente, elle ne peut rien faire d'autre.

Le 3 décembre 1975, soit un jour après l'expiration du délai de six mois prévu à l'alinéa (c) de l'offre, l'intimée a signifié à l'appelante l'avis d'expropriation. Le paragraphe 8 de l'avis prévoit explicitement:

La présente procédure de l'expropriante a pour objet d'obtenir le plus rapidement possible, la possession des lieux et un titre clair de propriété, et est faite sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée . . .

Les procédures d'expropriation ont donc été déclenchées et, le 13 janvier 1976, à la suite d'une requête adressée à la Cour supérieure du Québec, la ville s'est vu accorder la possession préalable du bien‑fonds moyennant le paiement d'une somme de 500 000 $. Le 14 février 1977, l'appelante a déposé une requête en retrait de cette somme de 500 000 $. Quant au litige relatif à la propriété du bien‑fonds, il a été réglé quand l'appelante a versé à la tierce partie, Mibra Investment Corporation, la somme de 100 000 $ provenant desdits 500 000 $.

Le 1er août 1977, l'appelante a saisi la Cour supérieure du Québec d'une requête visant à faire renvoyer l'affaire devant le Tribunal de l'expropriation pour qu'il fixe le montant de l'indemnité et, le 26 septembre 1977, l'appelante a produit une réclamation détaillée totalisant 2 042 701,60 $, laquelle somme représentait la valeur du bien-fonds au moment où l'intimée en a pris possession. Cette réclamation a, par la suite, été portée à 3 175 000 $. Le 26 avril 1978, l'intimée a déposé une offre précise de 500 000 $ comme montant devant être fixé par le Tribunal de l'expropriation à titre d'indemnité. Le 4 décembre 1981, elle a saisi le Tribunal de l'expropriation d'une requête visant à faire déclarer qu'une transaction était intervenue entre les parties quant à la valeur du bien‑fonds en cas d'expropriation. Cette requête a été rejetée sans tenir d'audience. L'intimée a ensuite demandé, par voie de requête adressée à la Cour supérieure du Québec, la délivrance d'un bref d'évocation et les parties se sont alors entendues pour que la cause soit déférée au Tribunal de l'expropriation pour qu'il tranche toutes les questions en litige et qu'il statue notamment sur la requête visant à faire déclarer qu'une transaction était intervenue.

La décision du Tribunal de l'expropriation, [1984] T.E. 108

Le juge Dorion a conclu que, d'après les faits de l'espèce, il n'y a pas eu de transaction au sens de l'art. 1918 C.c.B.‑C. Par contre, il n'a pas contesté l'existence d'une offre de vendre le bien‑fonds en cause pour la somme de 500 000 $, laquelle offre a été dûment acceptée par la ville par voie de résolution en ce sens (à la p. 113):

Il ressort de la preuve que ce que les parties ont convenu entre elles sont, d'une part, l'achat et, d'autre part, la vente d'une propriété immobilière pour un prix de 500 000 $, ne devant être payé qu'à la signature d'un contrat notarié à venir. Au sens de la loi et de la jurisprudence, les faits qui se sont passés entre les parties et qui ont été prouvés permettent donc de conclure à l'existence d'une offre de vente de l'intimée acceptée par la requérante et soumise dans son exécution à l'obligation de la rédaction d'un contrat notarié au moment duquel le paiement devait être fait.

L'existence de l'offre de vente ne fait aucun doute, l'existence de son acceptation par la requérante ne fait non plus aucun doute et le désir de la requérante jusqu'à un certain point d'y donner suite est également bien établi en preuve. [Je souligne.]

Si le juge Dorion n'a pas mis en doute l'existence d'une offre de vente valide, il a néanmoins estimé que l'intimée avait renoncé à ses droits découlant de la convention quand elle a engagé les procédures d'expropriation (à la p. 114):

Le 3 décembre 1975, la requérante fait signifier un avis d'expropriation à l'intimée. Elle renonce alors à l'offre de vente acceptée, ou à ce qu'elle prétend être aujourd'hui une transaction, et l'effet de sa prise de position est de replacer les parties dans le même état qu'avant la signature de [l'offre].

Le Tribunal a fixé à 1 714 936 $ l'indemnité à verser par l'intimée à l'appelante et a ordonné le paiement d'une indemnité additionnelle calculée en fonction du montant total accordé.

Cour supérieure (le juge Vaillancourt)

La Cour supérieure a homologué la décision du Tribunal de l'expropriation, conformément à l'art. 68 de la Loi sur l'expropriation, L.R.Q., ch. E‑24.

Cour d'appel (1988), 30 Q.A.C. 168 (les juges Jacques et Tourigny et le juge Meyer (ad hoc))

En accueillant l'appel à l'unanimité, la Cour d'appel a conclu à l'existence d'une convention valide que le Tribunal de l'expropriation était tenu de prendre en considération en fixant le montant de l'indemnité. La cour a dit (aux pp. 170 et 171):

Que ce soit une transaction ou un contrat entre les parties, il est intervenu entre elles une entente sur le montant à être versé.

. . .

Reste donc l'expropriation, comme recours ouvert à la ville. D'ailleurs, c'est le procureur de Madame Picotte [l'appelante] qui, selon la preuve, a suggéré cette solution. Si la ville prend l'initiative des procédures d'expropriation, elle y précise cependant, au paragraphe 8 de son avis, que l'objet de la procédure est d'obtenir la possession de l'immeuble le plus rapidement possible et que cette procédure "est faite sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée".

Dans un tel contexte, l'avis d'expropriation a‑t‑il pour effet de mettre complètement de côté toute entente intervenue entre les parties? Avec égards pour l'opinion contraire, je ne le crois pas. En alléguant l'existence d'une convention intervenue et en expropriant, sans préjudice à ses droits, la ville n'a fait qu'exercer le seul recours dont elle disposait pour donner suite à l'entente, prendre possession rapidement des terrains requis pour constituer la base de plein air et clarifier les titres.

J'en viens donc à la conclusion que, dans ces circonstances, les parties se sont entendues sur le montant en jeu et que le Tribunal de l'expropriation devait tenir compte de cette entente et des circonstances particulières qui prévalaient quant aux titres de propriété.

Analyse

Vu les faits exposés ci‑dessus, je suis d'avis que le Tribunal de l'expropriation a commis une erreur de droit en concluant que l'intimée avait renoncé à ses droits découlant de la convention quand elle a engagé les procédures d'expropriation. Pour arriver à cette conclusion, j'ai examiné les arguments avancés pour le compte de l'appelante au soutien du point de vue selon lequel l'offre de vente était devenue caduque.

En premier lieu, l'appelante a laissé entendre que l'offre ne tenait plus au moment de la signification de l'avis d'expropriation puisque le délai de six mois prévu à l'alinéa (c) de l'offre avait expiré. À mon avis, ce seul fait ne saurait être considéré comme fatal à la survie de la convention. Comme l'affirme le juge Lajoie, dans l'affaire Sosiak c. Marto Construction Inc., [1976] C.A. 286, à la p. 289:

En cette matière d'offre d'achat acceptée, le délai stipulé pour la signature de l'acte de vente, en règle générale, n'est à mon avis de rigueur que lorsqu'il est clairement dit être tel, que lorsque les parties ont entendu être libérées de leurs obligations respectives par le seul écoulement du temps si l'acte n'est pas signé.

En l'espèce, l'absence d'une stipulation expresse portant que l'offre deviendrait nulle si le délai de six mois n'était pas respecté est révélatrice. Cette absence contraste avec la stipulation expresse prévoyant que l'offre deviendrait "ipso facto" nulle et sans effet si elle n'était pas acceptée le 1er août 1975 au plus tard:

DURÉE

La présente offre de vente devra être acceptée d'ici le 1er août 1975, au plus tard sinon elle deviendra "ipso facto" nulle et de nul effet sans avis ni mise en demeure.

Le principe selon lequel l'expiration du délai fixé pour la signature de l'acte de vente ne suffit pas pour entraîner la nullité de l'offre a été confirmé de nouveau par la Cour d'appel dans son arrêt récent Lipari c. Hébert, C.A. Montréal, no 500‑09‑000414‑888, 19 février 1991, à la p. 2:

. . . la date fixée dans une offre d'achat dûment acceptée comme devant être la date de la signature de l'acte de vente ne saurait être considérée comme établissant, en soi, un délai de rigueur à moins que ce ne soit expressément stipulé . . .

Je conclus que le simple fait que l'avis d'expropriation a été envoyé le lendemain de l'expiration du délai de six mois n'est pas suffisant pour mettre fin à une convention par ailleurs valide.

En deuxième lieu, l'appelante a soutenu que l'intimée a en fait renoncé à ses droits découlant de l'offre, étant donné qu'elle n'a pas tenté de faire exécuter la convention, ni de mettre l'appelante en demeure de signer l'acte de vente, avant d'engager les procédures d'expropriation. Le Tribunal de l'expropriation a, lui aussi, tenu ce facteur pour pertinent en arrivant à sa conclusion (p. 114). Sur ce point, je souscris entièrement à l'avis exprimé par le juge Tourigny de la Cour d'appel, qui a écrit (à la p. 170):

Je ne peux, avec égards, suivre l'opinion du Tribunal de l'expropriation qui suggère que si la ville voulait, à la suite de l'entente, alléguer celle‑ci, elle devait le faire par "une action judiciaire appropriée". Il faut se rappeler qu'en l'espèce, l'action en passation de titres n'était d'aucune utilité, puisqu'il ne fait pas de doute que les titres de Madame Picotte n'étaient pas clairs. [Je souligne.]

En ce qui concerne la décision de l'intimée d'engager des procédures d'expropriation sans d'abord mettre l'appelante en demeure de signer l'acte de vente, il est évident qu'une mise en demeure ne constitue pas toujours une condition préalable nécessaire à l'exercice de droits découlant d'une convention. Dans la décision Svatek c. Abony, [1986] R.D.I. 605, la Cour provinciale a statué que le demandeur vendeur du bien immeuble n'avait pas à mettre en demeure la défenderesse acquéresse avant d'entamer une action en dommages‑intérêts fondée sur l'omission de cette dernière de réaliser la vente convenue dans l'offre de vente. Il s'agit là d'une affaire où l'acquéresse avait clairement démontré qu'elle n'avait pas l'intention de réaliser la vente en question. La cour a affirmé (à la p. 608):

Le Tribunal considère donc que le demandeur n'avait pas à mettre en demeure la défenderesse demanderesse reconventionnelle à cause de son comportement, qui ne laissait aucun doute quant à ses intentions à l'effet de ne pas signer l'acte de vente conformément à l'offre d'achat dûment acceptée . . .

Ce principe de droit, admis aussi bien en droit civil qu'en common law, repose sur la règle du bon sens voulant que le droit n'exige pas l'accomplissement d'un acte qui ne sert à rien. (Voir British and Beningtons, Ld. v. North Western Cachar Tea Co., [1923] A.C. 48 (H.L.), et MacKiw v. Rutherford, [1921] 2 W.W.R. 329 (B.R. Man.).)

De même, en l'espèce, une mise en demeure n'aurait servi à rien, étant donné que les deux parties étaient au courant du litige en cours relativement au droit de propriété. En fait, l'avocat de l'appelante avait clairement indiqué que celle‑ci ne serait pas en mesure de fournir un droit de propriété incontestable.

En dernier lieu, l'appelante a fait valoir que l'avis d'expropriation avait pour effet de résilier la convention conformément à l'alinéa (f) de l'offre de vente. Il est utile de reproduire de nouveau l'alinéa (f):

(f) Tous les titres de propriété relatifs audit immeuble seront remis par le vendeur à l'acquéreur dans les dix (10) jours suivant la date de l'acceptation de la présente offre par ladite Ville. À compter de la date de la remise de tels titres de propriété, les aviseurs légaux de la Ville auront un délai de trente (30) jours pour en faire l'examen. Si les défauts de titres sont révélés, ceux‑ci devront être remédiés par le vendeur dans les quinze (15) jours de la date ou (sic) telle révélation lui aura été faite et à défaut par lui de se (sic) faire, l'acquéreur pourra s'il le juge à propos, au moyen d'un avis qu'il devra émettre au vendeur sous pli recommandé à cet effet, résilier et rescinder son acceptation de la présente offre et ce, sans nulle autre formalité ni autre mise en demeure. [Je souligne.]

Selon moi, l'avis d'expropriation est loin de constituer l'avis de résiliation envisagé à l'alinéa (f) de l'offre, qui, il convient de le souligner, est une stipulation en faveur de l'intimée. Or, l'avis d'expropriation ne fait aucune mention de l'intention de l'intimée de retirer son acceptation de l'offre de vente. Au contraire, comme je l'ai déjà signalé, l'intimée a expressément réservé ses droits découlant de toute convention pouvant exister entre les parties.

Dans ces circonstances, je suis d'avis que la convention intervenue entre les parties pour la vente du bien‑fonds au prix de 500 000 $ subsistait. Aux fins de déterminer s'il y a eu renonciation tacite de la part de l'intimée, il importe de se rappeler que c'est là une notion qu'il faut interpréter restrictivement. En effet, une cour devrait hésiter à conclure qu'une partie a renoncé à ses droits découlant d'une convention ayant force obligatoire, à moins que toute autre conclusion ne soit invraisemblable dans les circonstances. C'est ce qu'affirme de façon non équivoque la Cour d'appel dans l'arrêt Gingras c. Gagnon, [1972] C.A. 306, aux pp. 311 et 312:

L'on sait que la remise ou renonciation tacite s'induit de certains actes posés par le créancier: ces actes doivent être de nature à impliquer nécessairement la volonté de renoncer à l'hypothèque. Ils doivent présenter un caractère non équivoque de façon qu'il soit impossible de les interpréter dans un autre sens que celui d'une renonciation. Il faut rappeler que la renonciation ne se présume pas et qu'elle doit toujours être interprétée d'une façon étroite. [Je souligne.]

Je ne puis conclure en l'espèce que les circonstances sont telles qu'il serait "impossible de les interpréter dans un autre sens" que celui d'une renonciation de la part de l'intimée.

Ayant conclu qu'il existait, pendant toute la période en question, une convention qui liait les parties, je me range à l'avis de la Cour d'appel que le Tribunal de l'expropriation aurait dû prendre cela en considération en fixant le montant de l'indemnité. Ce facteur est crucial d'ailleurs pour déterminer la valeur du bien‑fonds. Au lieu de cela, le Tribunal a conclu (à la p. 115):

Il est clair ici que le montant de 500 000 $ ne représente pas une indemnité juste et adéquate et que c'est uniquement à la suite du harcèlement de M. Paré et sur l'assentiment incompréhensible de son avocat que madame Picotte s'était résignée à signer l'offre de vente. Heureusement que la ville de Longueuil a décidé de procéder par expropriation et, en agissant ainsi, la requérante a renoncé à passer un acte de vente notarié, tel que prévu à l'offre . . .

Cette conclusion comporte deux erreurs. Premièrement, il n'y a pas eu de renonciation. Deuxièmement, je ne puis accepter que le prix a été fixé par suite de harcèlement. En effet, si la tierce partie avait obtenu gain de cause dans son action contre l'appelante, la valeur du bien‑fonds pour cette dernière aurait fort bien pu être inférieure au prix que l'intimée était prête à payer. De plus, comme je l'ai déjà fait remarquer, ce n'est que grâce aux 500 000 $ reçus de l'intimée que l'appelante a pu en arriver à un règlement avec la tierce partie. En tout état de cause, il n'a pas été démontré que le harcèlement auquel on aurait eu recours a entraîné la nullité du contrat de vente.

Comme il n'y a pas eu de renonciation de la part de l'intimée, le Tribunal était tenu de respecter la convention intervenue entre les parties. Le principe qui doit guider le Tribunal de l'expropriation dans la détermination du montant de l'indemnité est celui de la valeur du bien‑fonds pour l'exproprié. Dans l'arrêt Corporation municipale de la ville de St‑Georges Ouest c. Comact Inc., [1980] C.A. 521, la Cour d'appel a confirmé ce principe (à la p. 524):

Pour fins d'expropriation, c'est la valeur à la partie expropriée de l'immeuble qu'il faut rechercher pour fixer l'indemnité, sur la base de son meilleur usage possible.

L'arrêt Comact Inc., et le principe y énoncé, a été suivi encore une fois par la Cour d'appel dans son arrêt récent Anjou (Ville) c. Krum (1990), 38 Q.A.C. 1, où le juge Proulx dit (à la p. 5):

Ce principe de la "valeur à l'exproprié" signifie que l'on doit tenir compte de la perte ou du préjudice que subit l'exproprié mais non pas en plus de l'avantage que peut représenter pour l'expropriant l'acquisition de la propriété. Procéder autrement constituerait pour l'exproprié un enrichissement au détriment de l'expropriant.

Une illustration possible de l'application de ce principe peut avoir trait à l'expropriation d'un bien‑fonds assujetti à un contrat de vente auquel n'est pas partie l'expropriant. Dans ces circonstances, le droit du vendeur est limité au prix d'achat. Si la valeur marchande du bien‑fonds excède le prix d'achat, la différence est la valeur du droit de l'acquéreur. Si l'acquéreur est l'expropriant lui‑même, il a alors droit au montant excédentaire et le vendeur n'a aucun recours en ce qui concerne ce montant. Voir, par exemple, Hillingdon Estates Co. v. Stonefield Estates Ld., [1952] Ch. 627, et Disposal Services Ltd. v. Municipality of Metropolitan Toronto (1973), 4 L.C.R. 242 (O.I.F. Ont.), à la p. 250, conf. par (1973), 5 L.C.R. 91 (C. div. Ont.).

Appliquant le principe aux faits de la présente espèce, la valeur maximale du bien‑fonds pour l'appelante était le prix de 500 000 $ stipulé dans le contrat de vente, par lequel cette dernière était encore liée lors de l'expropriation de son bien‑fonds. Puisque l'intimée est l'expropriante et l'acquéresse, la valeur marchande excédentaire du bien‑fonds revient à l'intimée et non à l'appelante. Par conséquent, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'arrêt de la Cour d'appel, avec dépens en faveur de l'appelante.

//Le juge La Forest//

Version française des motifs rendus par

Le juge La Forest — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues, les juges L'Heureux‑Dubé et Sopinka. En toute déférence, je suis d'avis de statuer sur le pourvoi de la manière proposée par le juge L'Heureux‑Dubé et je souscris entièrement à son opinion concernant la prétendue "transaction" et l'indemnité additionnelle.

En ce qui concerne la convention alléguée, étant donné l'avantage évident dont il disposait pour évaluer la preuve, je ne vois aucune raison de m'écarter de l'opinion du Tribunal selon laquelle Paré, qui agissait pour le compte de la ville, a persisté au point de faire du harcèlement dans ses négociations avec l'appelante. À supposer qu'on pourrait néanmoins dire qu'il y a eu contrat de vente, la façon dont la ville a exécuté les procédures d'expropriation indique clairement, à mon avis, qu'elle n'avait pas l'intention d'invoquer l'offre. Je fonde cette conclusion sur plusieurs facteurs: (1) la ville a choisi de ne pas signer l'offre de vente dans le délai de six mois, mais a déposé un avis d'expropriation le lendemain de la date d'expiration de ce délai; (2) dans l'avis d'expropriation, la ville a mentionné le montant de

500 000 $ comme une offre d'expropriation et n'a pas fait état de l'offre de vente; (3) dans sa requête de janvier 1976 visant à obtenir la possession du bien‑fonds, la ville a dit qu'elle avait offert 500 000 $ et que cette offre n'avait pas été acceptée par Lambert; (4) le 1er août 1977, Lambert a présenté une requête indiquant son refus d'accepter le prix de 500 000 $ et demandant que l'affaire soit renvoyée devant le Tribunal de l'expropriation pour qu'il fixe la juste indemnité et cette requête n'a pas été contestée par la ville; (5) la ville a soutenu qu'une transaction ayant force exécutoire avait été conclue pour la première fois plus de cinq ans après la signification de l'avis d'expropriation et presque trois ans après qu'elle eut fait sa déclaration initiale au Tribunal concernant l'indemnité convenable.

À l'encontre de ces facteurs, il y a le paragraphe 8 de l'avis d'expropriation qui précise que la procédure d'expropriation a pour objet d'obtenir, le plus rapidement possible, la possession des lieux et un titre de propriété, et que l'expropriation est faite sans préjudice des droits antérieurs de la ville. Ce paragraphe est quasiment le seul facteur sur lequel la Cour d'appel s'est fondée pour conclure qu'il y avait eu convention. En toute déférence, je suis d'avis que l'opinion de la Cour d'appel est contraire à la force de la preuve et aux conclusions de fait du Tribunal. À mon avis, une interprétation beaucoup plus plausible de ce qui s'est produit est que la ville a décidé d'insister sur le prix de 500 000 $ après que le Tribunal eut déterminé la valeur de quatre autres terrains liés au même projet en avril 1981 et accordé aux propriétaires des indemnités généreuses.

Citant l'arrêt Gingras c. Gagnon, [1972] C.A. 306, l'intimée soutient que la renonciation à un droit ne devrait jamais être présumée et doit être interprétée de façon étroite. Dans cet arrêt, le juge Turgeon affirme, aux pp. 311 et 312:

Ils [les actes des parties] doivent présenter un caractère non équivoque de façon qu'il soit impossible de les interpréter dans un autre sens que celui d'une renonciation. Il faut rappeler que la renonciation ne se présume pas et qu'elle doit toujours être interprétée d'une façon étroite.

Bien que je reconnaisse cela, j'estime néanmoins que les actes de la ville en l'espèce ont satisfait à ce critère et, par conséquent, je suis d'avis de conclure qu'elle a renoncé aux droits que lui conférait l'offre de vente.

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Le jugement des juges L'Heureux-Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin a été rendu par

Le juge L'Heureux‑Dubé — La présente affaire concerne l'expropriation par l'intimée, la ville de Longueuil (la "ville"), d'un immeuble, propriété de l'appelante dame Jeanne D'Arc Lambert, dont la valeur au moment où la ville en a pris possession a été fixée par le Tribunal de l'expropriation à 1 714 936 $. L'expropriation en question est régie par la Loi sur l'expropriation, L.R.Q., ch. E‑24 (la "Loi").

La question au c{oe}ur de ce pourvoi est de déterminer si, antérieurement aux procédures d'expropriation, les parties étaient liées par une transaction ou une convention quant à l'indemnité (500 000 $) à verser par la ville lors de l'expropriation de l'immeuble. Se pose, à titre subsidiaire, la question de l'attribution par le Tribunal de l'expropriation d'une indemnité additionnelle calculée en fonction de l'indemnité totale accordée.

Les faits

Aux fins de l'établissement d'une base de plein air, la ville a adopté, le 3 septembre 1974, la résolution suivante autorisant son directeur du Service de la rénovation urbaine à faire l'acquisition des immeubles nécessaires:

Il est résolu unanimement: --

"De mandater Monsieur Roméo Paré, Directeur du Service de la Rénovation Urbaine, à négocier l'acquisition du terrain requis pour la base de plein air et à obtenir des options d'au moins six (6) mois."

Paré a entamé avec l'appelante des discussions concernant l'achat de son immeuble. Entre les mois de septembre 1974 et de janvier 1975, ils se sont rencontrés au moins dix fois. L'offre initiale de Paré était d'environ quatre cents le pied carré, même si les évaluateurs de la ville avaient évalué le terrain à trente‑cinq cents le pied carré. L'immeuble de l'appelante avait une superficie de plus de 4 500 000 pieds carrés. À la suite de négociations, l'offre a été portée à environ dix cents le pied carré et, sur cette base, l'appelante a signé le 30 janvier 1975 une offre de vendre l'immeuble à la ville pour la somme de 500 000 $.

L'offre de vente stipulait notamment:

(c) L'acte de vente notarié donnant suite aux présentes, si la présente offre est acceptée par ladite Ville, devra être exécuté et passé dans les six (6) mois de la date de telle acceptation . . . ;

. . .

(e) La possession et l'occupation de l'immeuble vendu en faveur de l'acquéreur auront lieu au moment de la signature de l'acte de vente;

(f) Tous les titres de propriété relatifs audit immeuble seront remis par le vendeur à l'acquéreur dans les dix (10) jours suivant la date de l'acceptation de la présente offre par ladite Ville. À compter de la date de la remise de tels titres de propriété, les aviseurs légaux de la Ville auront un délai de trente (30) jours pour en faire l'examen. Si les défauts de titres sont révélés, ceux‑ci devront être remédiés par le vendeur dans les quinze (15) jours de la date ou (sic) telle révélation lui aura été faite et à défaut par lui de se (sic) faire, l'acquéreur pourra s'il le juge à propos, au moyen d'un avis qu'il devra émettre au vendeur sous pli recommandé à cet effet, résilier et rescinder son acceptation de la présente offre et ce, sans nulle autre formalité ni autre mise en demeure;

. . .

DURÉE

La présente offre de vente devra être acceptée d'ici le 1er août 1975, au plus tard sinon elle deviendra "ipso facto" nulle et de nul effet sans avis ni mise en demeure. [Je souligne.]

Le 3 février 1975, la ville a adopté la résolution suivante:

Que le Conseil reçoit (sic) l'offre de [l'appelante] datée du 30 janvier 1975, pour la vente à la Ville de Longueuil des lots [. . .], pour le prix et somme de $500,000.00. [Je souligne.]

Le 20 mai 1975, la ville a adopté une autre résolution qui l'autorisait à acquérir des terrains dans le secteur en question par voie d'achat ou d'expropriation, et, le 2 juin 1975, elle a adopté la résolution suivante:

D'accepter l'offre de [l'appelante], datée du 30 janvier 1975, pour la vente à la Ville de Longueuil des lots [. . .], pour le prix et somme de $500,000.00, laquelle somme sera payable comptant à la signature de l'acte de vente. [Je souligne.]

Nonobstant la réception et l'acceptation de l'offre de vente, les deux parties étaient bien au courant que l'appelante ne pouvait donner un titre de propriété incontestable sur l'immeuble en cause vu le litige pendant entre l'appelante et un tiers, David Reich, qui prétendait avoir acheté cet immeuble du conjoint de fait de l'appelante. Le 19 novembre 1965, la Cour supérieure rejetait l'action de Reich. Durant l'appel contre cette décision, Reich a cédé ses droits à Mibra Investment Corporation ("Mibra"). Au moment où se déroulaient les discussions entre l'appelante et Paré, la Cour d'appel n'avait pas encore rendu jugement et, en fait, le titre de propriété de l'appelante sur l'immeuble n'est devenu parfait que par suite d'un règlement privé intervenu avec Mibra le 14 février 1977.

Comme la Cour d'appel demeurait saisie de la réclamation de Mibra après que la ville eut accepté l'offre de vente, le procureur de l'appelante adressait au notaire chargé par la ville de préparer l'acte de vente la lettre suivante datée du 23 juillet 1975:

Comme nous vous l'avons expliqué lors de notre conversation téléphonique du 26 juin dernier, il est impossible à notre cliente de signer un acte de vente en faveur de la Ville de Longueuil pour les lots mentionnés dans votre lettre avant d'obtenir la radiation de la promesse de vente consentie à David Reich, le 9 novembre 1954 ainsi que le transfert de celle‑ci à Mibra Investment Corporation, le 27 septembre 1966. Cette radiation ne peut être obtenue sans l'audition de la cause pendante à la Cour d'Appel du Québec entre les parties depuis le 17 décembre 1965. Il est à prévoir qu'il s'écoulera encore plusieurs mois sinon plusieurs années avant que l'on voit la fin de la cause.

Le représentant de la Ville de Longueuil, Monsieur Paré, connaissait tous ces faits lors de la signature de la promesse de vente du 30 janvier 1975. Malgré cela, il a insisté pour que Madame Lambert‑Picotte signe l'offre de vente quand même, alléguant qu'il avait consulté le contentieux de la Ville de Longueuil et qu'il avait la certitude que les avocats de la Ville pouvaient obtenir la radiation sans difficulté. Nous étions de l'avis contraire mais Monsieur Paré nous a assuré qu'il n'y avait (sic) de problème.

Il appartient donc à la Ville de Longueuil de prendre ses responsabilités: soit de procéder à cette radiation ou bien de procéder par expropriation. Quant à notre cliente, elle ne peut rien faire d'autre.

L'appelante a témoigné devant le Tribunal de l'expropriation que si elle a signé l'offre de vente, en dépit du fait qu'elle savait bien qu'elle ne pouvait pas transmettre un titre de propriété incontestable sur l'immeuble, c'est parce que son procureur lui avait dit que, même si elle le signait, le document serait entaché de nullité. Voici, selon elle, le langage que lui a tenu son procureur:

Ça ne vous engage à rien, ayez pas peur, qu'est‑ce qu'ils veulent faire là, c'est juste une idée de leur projet, ça vous engage à rien, c'est pour ça, ça finit là.

Son procureur a également témoigné dans le même sens:

J'avais beau dire c'est bon rien (sic) de faire signer quoique ce soit aujourd'hui, c'est illégal puis il [Paré] m'a répondu: "La Ville de Longueuil a de bons avocats" . . . J'ai dit: "Si c'est ça, Madame Lambert, signez‑le, c'est bon rien (sic).

La ville n'a pris aucune autre mesure au sujet de l'offre de vente. Le 1er décembre 1975, la ville a choisi de déposer un avis d'expropriation, signifié à l'appelante le 3 décembre 1975, soit le lendemain de la date d'expiration du délai de six mois fixé à l'alinéa (c) de l'offre de vente. La ville a procédé ainsi plutôt que d'exercer son droit de mettre l'appelante en demeure de respecter son obligation de fournir un titre de propriété incontestable. Bien qu'il ait été mentionné dans l'avis d'expropriation que des procédures d'expropriation avaient été engagées "sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée", aucune convention précise entre les parties n'a été alléguée, mentionnée ni produite et l'avis d'expropriation n'en a été accompagné d'aucune. Bien au contraire, l'avis requérait expressément l'appelante d'indiquer, dans un délai de quinze jours, si elle acceptait ou non l'offre de la ville:

SOYEZ PRÉVENUS que si dans les quinze (15) jours de la signification des présentes, vous n'avez pas accepté cette offre d'indemnité, l'expropriante s'adressera à la Cour Supérieure pour le district de Montréal, pour faire reconnaître ses droits d'expropriation précités;

À l'expiration de ce délai, le présent avis sera produit au greffe de la Cour Supérieure à Montréal, et faute par vous de comparaître dans les délais, l'expropriante procédera par défaut. [Je souligne.]

Or, l'appelante n'a pas répondu à l'avis dans le délai imparti et, le 13 janvier 1976, à la suite d'une requête non contestée devant la Cour supérieure du Québec, la ville s'est vu accorder la "possession préalable" de l'immeuble. La requête faisait expressément mention de l'offre de 500 000 $ et du fait que l'appelante ne l'avait pas acceptée:

5. Comme il appert à cet avis d'expropriation, l'expropriante a offert la somme de $ 500,000.00 à titre d'indemnité et l'expropriée n'a pas encore accepté cette offre; [Je souligne.]

Cette somme a été consignée à la cour le 4 février 1976 et aucune nouvelle mesure ne fut prise avant le 14 février 1977. Entre temps, soit le 28 janvier 1977, la Cour d'appel rejetait la réclamation de Mibra à l'égard de l'immeuble en question, permettant toutefois à Mibra de conserver son enregistrement de l'offre de vente de Reich. Après avoir composé avec Mibra, l'appelante déposait, le 14 février 1977, une requête en retrait du dépôt de 500 000 $, sans préjudice à son droit de réclamer une indemnité plus élevée dans le cadre des procédures d'expropriation. La requête était accueillie le 20 mai 1977.

Le 1er août 1977, alléguant qu'elle avait refusé l'offre de la ville, l'appelante présentait à la Cour supérieure du Québec une requête visant à faire renvoyer l'affaire devant le Tribunal de l'expropriation afin qu'il puisse "fixer l'indemnité juste et équitable à laquelle elle a droit". Le 9 août 1977, cette requête était accueillie avec le consentement des parties et, le 26 septembre, l'appelante produisait une réclamation détaillée totalisant 2 042 701,60 $, laquelle somme, à son avis, représentait la valeur de l'immeuble au moment de la prise de possession par la ville. En guise de réplique, la ville déposait, le 26 avril 1978, son offre précise de 500 000 $ comme étant l'indemnité à être fixée par le Tribunal de l'expropriation. L'appelante a, par la suite, porté sa réclamation à 3 175 000 $, compte tenu de la valeur que le Tribunal de l'expropriation, dans ses décisions en date du 28 avril 1981, avait attribuée à certains immeubles expropriés dans le même secteur. Le 4 décembre 1981, et ce pour la première fois depuis le dépôt de l'avis d'expropriation en 1975, la ville a saisi le Tribunal de l'expropriation d'une requête visant à faire déclarer qu'une transaction était intervenue entre les parties relativement à la valeur de l'immeuble en cas d'expropriation. Cette requête fut rejetée sans audition. Suite à l'obtention par la ville d'un bref d'évocation délivré par la Cour supérieure du Québec, les parties se sont alors entendues pour que la cause soit déférée au Tribunal de l'expropriation afin que celui‑ci tranche toutes les questions en litige et qu'il statue notamment sur la requête visant à faire déclarer qu'une transaction était intervenue entre les parties quant à l'indemnité à être versée pour l'immeuble exproprié.

Le Tribunal de l'expropriation ayant conclu qu'il n'y avait pas eu de telle transaction, a fixé la valeur de l'immeuble à 1 714 936 $ qu'il a ordonné à la ville de verser à l'appelante avec en plus une indemnité additionnelle établie en fonction du montant total accordé. L'indemnité définitive et l'indemnité additionnelle ont toutes les deux été contestées devant la Cour d'appel, comme elles le sont également en notre Cour, au seul motif que les parties avaient conclu une transaction ou une convention prévoyant le paiement d'une indemnité de 500 000 $ par la ville en cas d'expropriation de l'immeuble de l'appelante.

Les jugements

Tribunal de l'expropriation, [1984] T.E. 108 (le juge Dorion et le membre Montambeault)

En ce qui concerne la transaction, le Tribunal a conclu que l'offre de vente ne satisfaisait pas aux exigences de l'art. 1918 C.c.B.‑C. puisqu'elle ne réglait pas un litige en cours ou pendant entre les parties. C'est ce qui se dégage de l'extrait suivant des motifs du juge Dorion (à la p. 112):

Quand [. . .] Roméo Paré, représentant de la requérante [la ville], rencontre à au moins une dizaine de reprises [l'appelante], ce n'est aucunement à cause de l'existence d'un problème entre les deux parties et dans le but de prévenir une contestation à naître entre les deux. À ce moment‑là, il n'y a aucune relation juridique entre [la ville et l'appelante] . . .

Le Tribunal a conclu qu'au moment où Paré a fait l'offre à l'appelante, il ne pouvait être question d'expropriation parce que la ville n'avait adopté aucune résolution l'autorisant à y procéder. De fait, ce n'est qu'au mois de mai 1975 que le ministre des Affaires municipales et la Commission municipale du Québec ont approuvé cette expropriation.

La résolution de la ville portant acceptation de l'offre de vente ne réglait, elle non plus, aucun litige actuel ou éventuel entre les parties, car, dans les mots du juge Dorion (à la p. 113):

Au moment de la signature de l'offre de vente R‑1, la ville est au courant des problèmes de titres de [l'appelante] qui en a informé son représentant, M. Paré. Malgré cela, le 2 juin suivant, la ville passe sa résolution R‑5 acceptant cette offre et soumettant l'existence du contrat de vente et le paiement du prix à la confection d'un acte notarié.

De l'avis du Tribunal, ni l'une ni l'autre partie n'ont fait de concessions en ce qui concerne leurs droits ou leurs réclamations et, comme cet élément d'une transaction manquait également, le Tribunal a conclu que l'offre de vente n'était rien d'autre qu'une simple convention intervenue entre les parties indépendamment de tout litige et ne constituait donc pas une transaction.

Présumant, cependant, qu'il y avait eu une transaction ou une convention entre les parties, le Tribunal s'est ensuite demandé si la ville avait renoncé à ses droits en engageant les procédures d'expropriation. Pour les motifs ci‑après exposés, le Tribunal a répondu par l'affirmative (à la p. 115):

Comment l'expropriante peut‑elle aujourd'hui prétendre que le Tribunal n'a pas juridiction pour fixer l'indemnité d'expropriation entre elle et l'expropriée, alors que c'est elle‑même qui a institué l'instance d'expropriation, qui a allégué une offre de 500 000 $ et son refus par l'expropriée et que, sans ses allégués, l'instance d'expropriation ne pouvait être entreprise. Comment peut‑elle demander aujourd'hui, comme elle le fait dans sa requête, que le Tribunal déclare ne pas avoir juridiction pour fixer une indemnité sur la transaction intervenue entre les parties, alors qu'elle a renoncé à cette transaction, qui d'ailleurs n'a pas été prouvée, en instituant les procédures d'expropriation, et alors qu'elle a donné son consentement à ce que la requête pour que le dossier soit déféré au Tribunal pour faire fixer l'indemnité soit accordée par la Cour supérieure. [Je souligne dans les premier et deuxième cas; italique dans l'original dans le troisième cas.]

Le Tribunal a fait remarquer, en outre, que même si, avant l'engagement des procédures d'expropriation, l'appelante avait été disposée à signer l'offre de vente, c'est son incapacité de transmettre un titre de propriété incontestable sur l'immeuble en cause qui a entraîné la décision de la ville de ne pas donner suite à l'offre de vente, mais de procéder plutôt par voie d'expropriation. Comme le mentionne le juge Dorion (à la p. 115):

Elle [la ville] a renoncé à faire le paiement de la somme convenue de 500 000 $ à la signature de cet acte notarié, tel que toujours prévu à la pièce R‑1 [l'offre de vente]. Quant à [l'appelante], en suivant l'expropriante sur le terrain de l'expropriation, elle a renoncé à exiger le paiement d'un montant convenu de 500 000 $ pour la vente de gré à gré de sa propriété.

Les parties se trouvent donc replacées dans le même état qu'avant l'offre de vente et ceci non seulement pour la fourniture d'un titre de propriété mais également pour l'indemnité à être payée à l'expropriée.

Le Tribunal a, en conséquence, fixé à 1 714 936 $ l'indemnité à verser par la ville à l'appelante et a accordé à celle‑ci une indemnité additionnelle basée sur l'indemnité totale représentant la différence entre le taux d'intérêt légal et celui fixé suivant l'art. 28 de la Loi sur le ministère du Revenu, L.R.Q., ch. M‑31. Ce faisant, le Tribunal a tenu compte, notamment, du faible montant de l'offre initiale de la ville ainsi que du harcèlement exercé par Paré et de ses déclarations trompeuses selon lesquelles d'autres propriétaires fonciers avaient accepté dix cents le pied carré sachant pertinemment toutefois que les évaluateurs de la ville avaient fixé à trente‑cinq cents le pied carré la valeur marchande de l'immeuble en question.

Cour supérieure (le juge Vaillancourt)

La Cour supérieure a homologué la décision du Tribunal de l'expropriation comme l'exige l'art. 68 de la Loi.

Cour d'appel (1988), 30 Q.A.C. 168 (les juges Jacques et Tourigny et le juge Meyer (ad hoc))

En conformité avec l'art. 32 de la Loi, la ville a interjeté appel de la décision du Tribunal de l'expropriation devant la Cour d'appel du Québec, qui a accueilli l'appel. La cour a statué que les parties avaient convenu du prix d'achat. Elle a conclu, en outre, que la ville avait eu recours à la procédure d'expropriation à la seule fin de régler la question du titre de propriété et que le Tribunal de l'expropriation devait, en conséquence, tenir compte de telle convention. La cour observe à ce propos (aux pp. 170 et 171):

Que ce soit une transaction ou un contrat entre les parties, il est intervenu entre elles une entente sur le montant à être versé.

. . .

Reste donc l'expropriation, comme recours ouvert à la ville. D'ailleurs, c'est le procureur de Madame Picotte [l'appelante] qui, selon la preuve, a suggéré cette solution. Si la ville prend l'initiative des procédures d'expropriation, elle y précise cependant, au paragraphe 8 de son avis, que l'objet de la procédure est d'obtenir la possession de l'immeuble le plus rapidement possible et que cette procédure "est faite sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée".

Dans un tel contexte, l'avis d'expropriation a‑t‑il pour effet de mettre complètement de côté toute entente intervenue entre les parties? Avec égards pour l'opinion contraire, je ne le crois pas. En alléguant l'existence d'une convention intervenue et en expropriant, sans préjudice à ses droits, la ville n'a fait qu'exercer le seul recours dont elle disposait pour donner suite à l'entente, prendre possession rapidement des terrains requis pour constituer la base de plein air et clarifier les titres.

J'en viens donc à la conclusion que, dans ces circonstances, les parties se sont entendues sur le montant en jeu et que le Tribunal de l'expropriation devait tenir compte de cette entente et des circonstances particulières qui prévalaient quant aux titres de propriété.

La Cour d'appel ne s'est pas prononcée sur la question de l'indemnité additionnelle étant donné sa conclusion quant à l'existence d'une convention liant les parties. Elle a toutefois exprimé l'avis que cette indemnité additionnelle, bien qu'accordée, ne peut être calculée que sur la différence entre le montant de l'indemnité provisionnelle et celui de l'indemnité définitive.

Analyse

Au c{oe}ur du présent litige, il s'agit de savoir si une transaction ou une convention est intervenue entre les parties concernant l'indemnité à verser en cas d'expropriation car, en l'absence d'une telle convention, la valeur de l'immeuble fixée par le Tribunal de l'expropriation n'est pas en débat. C'est sur cette question qu'ont porté tant l'ordonnance du Tribunal de l'expropriation que l'arrêt de la Cour d'appel. Dans l'hypothèse où l'on en viendrait à la conclusion qu'aucune telle convention ou transaction n'est intervenue, l'indemnité accordée par le Tribunal demeure.

Avant d'aborder cette question, il convient peut‑être d'exposer dès maintenant le cadre législatif dans lequel s'insère la présente affaire. Les fonctions et les pouvoirs du Tribunal de l'expropriation (maintenant la Chambre de l'expropriation de la Cour du Québec) étaient énoncés dans la Loi en vigueur à l'époque:

19. Le tribunal a pour fonction principale de fixer le montant des indemnités qui découlent de l'imposition des réserves pour fins publiques et de l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers.

Il exerce aussi les autres pouvoirs qui lui sont conférés par la loi. [Je souligne.]

20. Le tribunal a tous les pouvoirs nécessaires à l'exercice de sa juridiction et il peut notamment rendre toute ordonnance qu'il estime propre à sauvegarder les droits des intéressés. Il statue quant aux dépens dans toute affaire dont il est appelé à décider.

Il a en outre compétence pour fixer le montant de l'indemnité et pour accorder une indemnité additionnelle:

68. Le tribunal fixe le montant de l'indemnité définitive et statue sur les dépens par une décision motivée, dont il doit transmettre sans délai copie au protonotaire.

Lorsque le montant de l'indemnité d'expropriation est moindre que le montant de l'indemnité provisionnelle, le tribunal ordonne la restitution de la différence.

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de la date de la prise de possession du bien exproprié ou à compter de la date du jugement homologuant l'ordonnance, suivant la date la plus ancienne, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du revenu (chapitre M‑31) sur le taux légal d'intérêt.

L'ordonnance est homologuée par la Cour supérieure, à la demande de l'une ou l'autre des parties.

Le rôle du Tribunal de l'expropriation est peut‑être le mieux décrit par le juge Montgomery dans l'arrêt D. Dupéré Inc. v. Procureur général du Québec, C.A. Québec, no 200-09‑000397‑74, 1er septembre 1977, à la p. 1:

[traduction] Le devoir du tribunal était alors de fixer l'indemnité en conformité avec l'article 57 de la Loi . . .

La responsabilité du tribunal en pareil cas est double: éviter toute injustice envers l'exproprié et veiller à ce que le public ne soit pas lésé par le paiement d'indemnités excessives. Le tribunal n'était pas lié, à mon avis, par les opinions d'experts ni par des offres non acceptées.

Il convient peut‑être aussi de rappeler les principes qui doivent guider les tribunaux d'appel dans ce domaine. L'arrêt de principe est Cité de Ste‑Foy v. Société Immobilière Enic Inc., [1967] R.C.S. 121, où il s'agissait d'un pourvoi contre une décision de la Régie des Services publics, l'organisme qui a précédé le Tribunal de l'expropriation. La Cour s'exprime ainsi, à la p. 126:

D'une façon générale, c'est la Régie qui fixe l'indemnité dans tous les cas d'expropriation de la province de Québec, à moins qu'il en soit autrement prescrit par des lois particulières. Je suis d'avis qu'en conférant cette juridiction arbitrale à la Régie, la Législature a reconnu la qualité d'expert, la compétence et l'expérience particulière des membres qui la composent et voulu l'utilisation, la mise en {oe}uvre de ces qualifications spéciales dans l'exercice de cette juridiction arbitrale.

En accueillant le pourvoi et en rétablissant la décision de la Régie, la Cour fait remarquer, à la p. 128:

[I]l n'a pas été demontré (sic) que la Régie des Services Publics a erré en droit ou commis une erreur manifeste en fait.

Un long courant de jurisprudence québécoise avait déjà établi les principes directeurs relatifs à la compétence des tribunaux d'appel de modifier les décisions de tribunaux de l'expropriation. Le juge Bissonnette, à la p. 644 de l'arrêt Bellerose v. Talbot, [1957] B.R. 637 (confirmé par [1958] R.C.S. 261), s'est référé à ses motifs dans l'affaire Isabelle v. Procureur général du Québec, [1953] B.R. 747n:

Avant de considérer la réclamation de l'exproprié, il me paraît opportun de rappeler que la Cour d'appel est circonspecte à ne pas réformer la sentence de la Régie des services publics et que son intervention ne se justifie que là où il y a erreur de droit ou application d'une mauvaise règle ou d'un principe illégal ou illégitime ou encore une appréciation de la preuve tellement erronée qu'elle entraîne fatalement une injustice. [Je souligne.]

Plus récemment, le juge Turgeon a exprimé la même réserve dans l'arrêt Ministre des Transports du Québec c. Texaco Canada Ltée, C.A. Québec, no 200‑09‑000765‑795, 15 février 1983 (résumé dans J.E. 83‑389), aux pp. 6 et 7:

Cette Cour a souvent décidé qu'elle ne doit pas intervenir dans l'appréciation que fait le Tribunal de l'expropriation de la preuve, à moins qu'il n'y ait erreur de droit ou application d'une mauvaise règle ou d'un principe illégal, ou encore d'une appréciation de la preuve tellement erronée qu'elle entraîne une injustice.

(Pour des décisions plus anciennes, voir en outre Robitaille v. Cité de Québec, [1948] B.R. 787, Amusement Realty Corp. v. Minister of Roads of Quebec, [1949] B.R. 562n, Bellerose v. Talbot, précitée, et Yves Germain Inc. v. Ministre de la Voirie du Québec, [1974] C.A. 184. Pour une jurisprudence plus récente, voir Labbé v. Ministre des Transports du Québec, [1980] C.A. 518, à la p. 519, Lemieux v. Ville de Granby, [1980] R.P. 285 (C.A.), à la p. 286, Procureur général du Québec v. Marois, C.A. Québec, no 200‑09‑000272‑796, 7 mars 1983 (résumé dans J.E. 83‑475), à la p. 5, Société d'aménagement de l'Outaouais v. Dumouchel, [1984] C.A. 571, aux pp. 571 et 572, et Immeubles P.J. Ltée v. Laval (Ville de), C.A. Montréal, no 500‑09‑001185‑792, 7 mai 1985 (résumé dans J.E. 85‑676), à la p. 4.)

Le professeur Giroux, dans son article intitulé "L'expropriation en droit québécois" (1980), 10 R.D.U.S. 629, fait les observations suivantes, à la p. 647:

La Cour d'appel s'est toujours montrée réservée dans ses interventions comme tribunal d'appel, dans les décisions du Tribunal de l'expropriation et de la Régie des services publics à laquelle il a succédé. Cette retenue judiciaire vient du fait que la Cour d'appel a reconnu qu'en confiant aux membres de Tribunal le soin de fixer l'indemnité à laquelle un exproprié peut avoir droit, le législateur a voulu que les causes en expropriation soient entendues par des gens ayant des connaissances techniques et une expérience particulière. Pour ce motif, les décisions du Tribunal en matière d'expropriation ne doivent pas être modifiées que dans les cas où la fixation de l'indemnité est manifestement insuffisante ou excessive, ou encore lorsque la décision est erronée sur un principe de droit. [Références omises.] [Je souligne.]

Dans le cas qui nous occupe, le Tribunal de l'expropriation a conclu, à l'issue de l'audition complète des parties et de leurs témoins, qu'aucune transaction ni convention préalable n'était intervenue entre les parties concernant le montant de l'indemnité à verser en cas d'expropriation. Pour écarter ces conclusions de fait, la Cour d'appel devait démontrer que le Tribunal avait ou si grossièrement erré dans son interprétation de la preuve au point de constituer une injustice, ou commis une erreur de droit ou mal appliqué le droit.

C'est dans cette optique que je me propose d'examiner les conclusions du Tribunal de l'expropriation et de la Cour d'appel sur la question de savoir si les parties ont conclu une transaction ou une convention quant à l'indemnité à verser par la ville pour l'immeuble devant faire l'objet de l'expropriation. Je m'empresse de souligner que ne nous concerne pas ici le prix convenu en cas de vente de gré à gré, car aucune telle vente n'a eu lieu en l'espèce.

Les parties ne contestent pas, en effet, qu'elles ont conclu une convention relativement à la vente de l'immeuble de l'appelante avant que la ville n'entame les procédures d'expropriation. L'offre de vente a été dûment signée par l'appelante et a été acceptée par la ville dans le délai prescrit. On ne conteste pas non plus qu'au moment où l'offre a été faite, l'une et l'autre partie envisageaient l'acquisition de gré à gré de l'immeuble par la ville et que ce n'est que par la suite, en raison de l'impossibilité dans laquelle se trouvait l'appelante de donner un titre de propriété incontestable sur cet immeuble, que les procédures d'expropriation ont été entreprises. La question est donc de savoir si, dans les faits de l'espèce, le prix de 500 000 $, convenu dans le cadre d'une vente de gré à gré, liait également les parties, ainsi que le prétend la ville, dans l'éventualité d'une expropriation.

La ville avance alternativement deux arguments sur ce point. Premièrement, elle allègue qu'une transaction est intervenue entre les parties et, deuxièmement, elle fait valoir que, même s'il n'y a pas eu de transaction, les parties ont conclu une convention que le Tribunal de l'expropriation n'avait pas le droit d'annuler. D'abord, y a‑t‑il eu transaction?

1. La transaction

L'article 1918 C.c.B.‑C. définit ainsi le terme "transaction":

1918. La transaction est un contrat par lequel les parties terminent un procès déjà commencé, ou préviennent une contestation à naître, au moyen de concessions ou de réserves faites par l'une des parties ou par toutes deux.

En l'espèce, il n'y avait pas de litige entre les parties au moment de la signature de l'offre de vente en janvier 1975. La ville prétend, en conséquence, que l'entente avait plutôt pour but d'éviter une contestation à naître, c.‑à‑d. l'expropriation. La ville, s'appuyant sur les témoignages de Paré et de l'appelante, soutient que les deux parties savaient que, dans l'hypothèse où l'offre de vente ne serait pas acceptée, la ville procéderait à l'expropriation de l'immeuble. Ceci, de l'avis de la ville, constitue une mesure destinée à prévenir un litige éventuel, de sorte que l'appelante est liée en ce qui concerne la valeur fixée à l'offre de vente.

Une transaction doit, toutefois, régler des questions litigieuses entre les parties au moment de la conclusion du contrat. C'est ce dont discute Mignault dans Le droit civil canadien (1909), t. 8, aux pp. 302 et 303:

Aussi les commentateurs proposent‑ils de définir la transaction comme étant un contrat par lequel les parties tranchent, à l'aide de sacrifices réciproques, une question qui leur paraît litigieuse. [Je souligne.]

Selon moi, il ne peut y avoir de question "litigieuse" entre les parties que s'il existe entre elles un lien juridique quelconque qui fait l'objet d'un différend, c.‑à‑d. une question de droit litigieuse pouvant être tranchée par les tribunaux. Au moment de la convention présentement en cause, il n'y avait pas de tel lien. La ville ne possédait alors aucun pouvoir d'exproprier l'immeuble de l'appelante: la résolution l'y autorisant n'avait pas encore été adoptée lorsque l'offre de vente a été signée. Bien que Paré ait pu menacer de procéder à une expropriation, il avait pour seul mandat de tenter d'acquérir l'immeuble. Par conséquent, lors de la signature de l'offre de vente, il n'existait entre les parties aucun différend, aucune question litigieuse ni aucune procédure judiciaire susceptible de règlement devant les tribunaux. C'est avec raison, à mon avis, que le juge Dorion a conclu (à la p. 112):

Quant au premier élément voulant que la transaction termine un procès déjà commencé ou prévienne une contestation à naître, ni les faits allégués à la requête ni ceux mis en preuve ne l'établissent. Qu'il n'y ait pas, à la date du document R‑1 [l'offre de vente] ou de l'acceptation, par la ville, de procès entre [la ville et l'appelante], cela ressort bien clairement du dossier.

Et, aux pp. 112 et 113:

Quand, à compter du mois de septembre 1974 jusqu'au 30 janvier 1975, date de la signature de R‑1, Roméo Paré, représentant de [la ville], rencontre à au moins une dizaine de reprises [l'appelante], ce n'est aucunement à cause de l'existence d'un problème entre les deux parties et dans le but de prévenir une contestation à naître entre les deux. À ce moment‑là, il n'y a aucune relation juridique quelconque entre [la ville et l'appelante]. La pièce R‑1 [l'offre de vente] ne termine aucune relation juridique entre les deux, non plus que R‑5, l'acceptation faite plus tard par la ville, mais ne fait que donner naissance à une situation juridique absolument inexistante auparavant. [Je souligne.]

Il importe, en outre, de souligner la mention de "concessions ou de réserves" au texte de l'art. 1918 C.c.B.‑C. L'expression "au moyen de concessions ou de réserves faites par l'une des parties ou par toutes deux" est modifiée par le membre de phrase qui la précède, à savoir: "terminent un procès déjà commencé, ou préviennent une contestation à naître". Les concessions ou les réserves doivent donc être faites à l'égard des droits contestés visés par la transaction. En l'espèce, ni l'une ni l'autre partie n'ont fait de concessions touchant leurs droits respectifs. L'appelante a convenu de vendre son immeuble et la ville a accepté de l'acheter, mais il n'y a pas eu de concessions ou de réserves visant à prévenir une contestation à naître, ainsi que l'exigent les termes mêmes de l'art. 1918 C.c.B.‑C. Comme l'a conclu le juge Dorion, à la p. 113:

Rien dans la pièce R‑1 [l'offre de vente] ni dans la pièce R‑5 [l'acceptation de l'offre par la ville] n'établit qu'il y avait entre les deux parties des prétentions ou des droits sur lesquels celle‑ci ou l'une d'elle (sic) a fait des concessions ou des réserves.

La ville fait valoir que les négociations relatives au prix de l'immeuble constituent des concessions ou des réserves. Le juge Kaufman de la Cour d'appel a traité du terme "concessions" dans l'arrêt Sylvestre c. Procureur général du Québec, [1980] C.A. 508, et a conclu, avec raison, que ce terme doit se rapporter aux droits litigieux visés par la transaction (à la p. 510):

[traduction] J'insiste sur les mots "concessions ou . . . réserves", car, à mon avis, c'est exactement ce qu'il y a eu: le père de l'appelant était disposé à prévenir une contestation à naître en acceptant 26 000 $ et l'intimé a convenu d'acheter le bien‑fonds à ce prix . . . [Je souligne.]

Comme je l'ai déjà mentionné, rien dans la preuve n'indique que le prix stipulé dans l'offre de vente visait à "prévenir une contestation à naître". D'une part, la ville n'avait pas le pouvoir d'exproprier l'immeuble de l'appelante au moment où cette dernière a signé l'offre de vente et, d'autre part, on n'a introduit aucun autre élément de preuve établissant que des négociations avaient été entreprises, et qu'une convention avait été conclue à ce sujet.

Nul ne conteste que les parties à des procédures d'expropriation peuvent conclure une transaction dès que les procédures ont été engagées, ou même avant (à titre d'exemples, voir les affaires Sylvestre, précitée, Club athlétique Champlain Ltée c. Ministre de la Voirie du Québec, [1979] C.A. 161, Louis Donolo Inc. c. Ville de Laval, [1979] R.P. 17 (C.A.), et Allard c. Ville de Québec, [1978] T.E. 463). Toutefois, dans les faits de la présente instance il n'y a tout simplement pas de preuve de l'existence d'une telle transaction. Je souscris entièrement à la conclusion du Tribunal de l'expropriation qu'il n'y a pas eu de telle transaction. Le Tribunal de l'expropriation en est arrivé à sa conclusion à la suite d'un examen minutieux des faits de l'affaire et en y appliquant les principes de droit appropriés. Je ne puis, en conséquence, trouver aucune erreur pouvant justifier que soit écartée sa conclusion sur cet aspect du litige. La Cour d'appel n'a pas fait d'étude approfondie de cette question et n'a pas relevé d'erreur commise par le Tribunal de l'expropriation, vu que, selon elle (à la p. 170):

Que ce soit une transaction ou un contrat entre les parties, il est intervenu entre elles une entente sur le montant à être versé.

Voilà qui nous amène à l'examen du second moyen avancé par la ville, soit que les parties avaient conclu une convention qui les liait quant au montant à verser par la ville en cas d'expropriation.

2. La convention

La ville soutient que, même si l'offre de vente ne constituait pas une transaction, il existait une preuve suffisante pour conclure que les parties s'étaient entendues sur le prix à payer en cas d'expropriation. De ce point de vue, les procédures d'expropriation avaient pour seul but de régler la question du titre de propriété et ne visaient nullement à fixer le montant de l'indemnité. La ville invoque trois arguments à l'appui de cette proposition. Premièrement, une convention orale quant au prix à payer en cas d'expropriation est intervenue avant ou après la signature de l'offre de vente. Deuxièmement, sa prétention est étayée par la lettre proposant l'expropriation, adressée par le procureur de l'appelante au notaire de la ville. Troisièmement, l'avis d'expropriation et, en particulier, la réserve énoncée au paragraphe 8 de celui‑ci viennent confirmer l'existence d'une telle convention.

Ayant examiné les faits de la présente affaire dans le contexte de la requête alléguant l'existence d'une transaction, le Tribunal de l'expropriation n'a pas abordé explicitement la question de savoir s'il y a eu convention. À tout événement, la requête dont il était saisi ne nécessitait pas qu'il se prononce sur ce point. Or, il semble que la ville ait adopté une position différente en Cour d'appel, comme elle l'a fait d'ailleurs devant nous, et qu'elle ait invoqué la convention alléguée plutôt que la transaction. La Cour d'appel a retenu ce moyen, fondant sa conclusion sur les deux éléments suivants: la lettre de l'avocat de l'appelante et la réserve, énoncée dans l'avis d'expropriation, selon laquelle les procédures étaient "sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée". Ce faisant, la Cour d'appel a implicitement conclu que le Tribunal de l'expropriation avait commis une erreur en fixant une indemnité plus élevée que le prix convenu. L'appelante prétend qu'en cela la Cour d'appel a eu tort tandis que la ville reprend devant nous les arguments qu'elle a avancés en Cour d'appel et que je vais maintenant examiner.

Il faut préciser, au départ, que l'offre de vente elle‑même ne fait aucune mention d'une convention orale préalable concernant l'expropriation, qui aurait été conclue au moment de la signature de l'offre de vente ou avant cette signature. Il s'agit d'une formule standard intitulée "Offre de vente". L'appelante ne fait que promettre de vendre franc et quitte de toutes charges et à un prix déterminé, son immeuble à la ville si jamais celle‑ci acceptait son offre. Aucune mention n'est faite à l'offre de procédures d'expropriation envisagées ni qu'on devait y avoir recours pour clarifier le titre de propriété au cas où la venderesse appelante ne pourrait le faire. Encore moins y est‑il question de l'indemnité à verser lors de cette expropriation. Vu que les deux parties connaissaient les problèmes reliés au titre de propriété, s'il y avait eu une telle convention l'offre de vente aurait fourni une excellente occasion soit de discuter de cette convention accessoire ou d'en faire mention.

Il n'y a rien non plus dans l'acceptation de l'offre de vente par la ville qui permette de conclure à l'existence de la convention alléguée. La résolution de la ville autorisant l'acceptation de l'offre ne mentionne pas la convention, mais précise simplement:

D'accepter l'offre de M.J.A. Lambert‑Picotte [l'appelante], datée du 30 janvier 1975, pour la vente à la Ville de Longueuil des lots [. . .] pour le prix et somme de $500,000.00, laquelle somme sera payable comptant à la signature de l'acte de vente.

En fait, la résolution réfère expressément à la vente de l'immeuble au prix de 500 000 $, à payer lors de la signature de l'acte de vente et non à un autre moment comme lors de l'expropriation, par exemple. Malgré l'absence d'une convention écrite concernant la possibilité d'exproprier et bien que l'offre ne mentionne rien à ce sujet, la ville s'appuie comme preuve de l'existence d'une telle convention, sur le témoignage de son propre représentant Paré et, en particulier, sur le passage suivant:

Q.Maintenant, quand vous avez mentionné tout à l'heure, qu'il avait été question des titres, qu'est‑ce que vous a dit Madame Picotte [l'appelante]?

R.C'est là qu'elle m'a conté ce qui était arrivé vingt‑cinq (25) ans auparavant, comme de quoi il y avait quelqu'un qui avait vendu la terre pour elle, puis il n'avait pas le droit. Elle m'a décrit à peu près le gros, c'était revenu en appel, à laquelle j'ai dit: "Si c'est ça le problème, si vous êtes d'accord de notre entente, vous allez signer, je vais faire un rapport au conseil pour qu'il m'entende", pour que le contentieux pour (sic) prendre les procédures nécessaires pour aller en expropriation pour clarifier les titres.

Q. Qu'est‑ce qu'a été sa réaction?

R. Elle a dit: "Je vais en parler à mon avocat, Me Boissonneault".

Ce témoignage a, toutefois, été directement contredit par l'appelante:

Q.Est‑ce que vous avez mentionné à Monsieur Paré les problèmes que vous aviez, que vous venez de dire en Cour?

R.Oui, je lui ai mentionné que je ne pouvais pas vendre, que j'étais pas la réelle propriétaire parce que vu que c'était en Cour, il fallait que ça détermine le réel propriétaire.

Q.Est‑ce que Monsieur Paré vous a mentionné: si on s'entend sur un prix, on s'organisera pour faire clairer (sic) le titre pour purger le titre?

R. Non.

Q. Il n'a jamais mentionné qu'il était important de . . . (interrompu)

R. Non. [Je souligne.]

Quoique le Tribunal de l'expropriation se soit penché principalement sur la question de savoir s'il y avait eu transaction, il a entendu une preuve élaborée, parfois tout à fait contradictoire, concernant la convention qu'auraient conclue les parties. C'est sur cette même preuve que la ville s'appuie pour tenter de démontrer l'existence de la convention alléguée. Ayant examiné cette preuve testimoniale sous l'angle de la convention et sans me prononcer sur la crédibilité des témoins (le Tribunal de l'expropriation ne s'est pas exprimé expressément à cet égard), la prépondérance de la preuve, selon la balance des probabilités, dont la ville avait la charge, n'appuie pas les prétentions de la ville.

Mis à part le mutisme de l'offre de vente elle‑même et le caractère non concluant de la preuve testimoniale, il n'y a dans les documents versés au dossier rien qui justifie la prétention de la ville qu'antérieurement à l'offre de vente, les parties aient même discuté, et encore moins convenu, de la valeur de l'immeuble aux fins d'expropriation ou du montant de l'indemnité à payer par la ville dans cette éventualité. Ceci, selon moi, permet d'écarter cet aspect de l'argument de la ville.

Dans l'hypothèse de l'inexistence d'une telle convention antérieure, la ville soutient qu'une convention subséquente a été conclue dans le même sens. Ce moyen repose sur deux éléments: premièrement, la lettre, reproduite plus haut, adressée par le procureur de l'appelante au notaire de la ville, et deuxièmement, l'avis d'expropriation. Je traite d'abord de la lettre du procureur de l'appelante. Bien que proposant l'expropriation comme mode d'acquisition d'un titre de propriété incontestable, cette lettre, prétend la ville, appuie aussi sa prétention que le prix déjà convenu s'appliquerait également dans l'éventualité de procédures d'expropriation. La ville fait valoir, dans son mémoire, à la p. 13:

Il est donc clair que l'intention des parties de procéder par expropriation était de clarifier le titre et ceci, à un moment où une entente était intervenue quant au montant.

Quoique le Tribunal de l'expropriation n'ait pas analysé cette lettre dans le contexte de la conclusion d'une convention, il en a tout de même parlé (à la p. 114):

La lettre subséquente de l'avocat de madame Picotte [l'appelante] du 23 juillet 1975 [. . .] ne constitue pas, elle non plus, un refus de l'intimée [l'appelante] de donner suite à son offre de vente.

Quant à la Cour d'appel, elle en a fait grand état (à la p. 170):

Reste donc l'expropriation, comme recours ouvert à la ville. D'ailleurs, c'est le procureur de Madame Picotte qui, selon la preuve, a suggéré cette solution.

La Cour d'appel a conclu, du texte de la lettre, que les parties s'étaient entendues sur le versement d'une indemnité de 500 000 $ en cas d'expropriation. À mon avis, sur la seule foi de cette lettre on ne saurait tirer une telle inférence. Dans le contexte de l'ensemble de la preuve, cette inférence ne tient pas.

Bien qu'il se dégage nettement de cette lettre que l'avocat de l'appelante a indiqué que la ville pouvait procéder par voie d'expropriation pour l'obtention d'un titre de propriété incontestable, c'est tout ce qui s'en dégage d'après moi. En particulier, la lettre ne fait de quelque façon que ce soit allusion à une entente quant au prix à payer si la ville décidait de procéder à l'expropriation. De l'avis de la ville, le seul fait de proposer l'expropriation confirme l'existence d'une convention entre les parties fixant le prix de 500 000 $. Selon moi, en l'absence d'autres indices de la volonté des parties, le fait que le procureur ait proposé le recours à l'expropriation n'a pas la moindre pertinence. En effet, l'expropriation avait déjà été envisagée par la ville au départ et elle l'a envisagée de nouveau par la suite lorsque des procédures d'expropriation ont été expressément autorisées par résolution. La résolution ne faisait mention d'aucune convention de ce genre et n'énonçait aucune restriction quant à l'objet de l'expropriation, comme, par exemple, simplement de clarifier le titre de propriété. De plus, la ville n'était pas liée par une telle lettre et était bien au courant qu'il n'y avait aucun autre moyen d'obtenir un titre de propriété incontestable dans un délai relativement bref. La ville ne semblait pas disposée à attendre plus longtemps pour prendre possession de l'immeuble, et c'est surtout cela, en réalité, qui l'a incitée à procéder à l'expropriation.

Certes, la lettre en question a bien pu laisser entendre que si elle avait été en mesure de transmettre un titre de propriété incontestable, l'appelante aurait été prête à respecter le contrat de vente de gré à gré, mais on peut également se demander si, dans l'hypothèse où elle avait possédé un titre de propriété incontestable, l'appelante aurait même conclu ce contrat. D'après les conclusions que le Tribunal de l'expropriation a tirées de la preuve, l'appelante a signé, d'une part, en raison de l'insistance de Paré et, d'autre part, parce que son procureur lui avait dit que l'offre de vente était nulle vu qu'elle ne pouvait donner un titre de propriété incontestable, tel que stipulé dans l'offre. Étant donné l'écart de plus d'un million de dollars entre l'offre de la ville et la valeur estimée de l'immeuble à l'époque et compte tenu également des fausses représentations de Paré à ce sujet (une conclusion de fait expresse du Tribunal de l'expropriation), ce serait de la pure spéculation que de supposer qu'une convention de vendre au prix de 500 000 $ serait jamais intervenue entre les parties si l'appelante avait possédé un titre de propriété incontestable ou, dans l'affirmative, si une telle convention aurait su résister à un examen judiciaire. Vu ce contexte, la suggestion du procureur relativement à l'expropriation ne saurait être considérée comme autre chose que la proposition d'une solution au problème de l'acquisition de l'immeuble par la ville.

Le procureur de l'appelante a témoigné précisément sur cette question, devant le Tribunal de l'expropriation:

R.Ça disait [la lettre du notaire de la ville concernant les problèmes de titre] que le notaire voulait examiner les titres. D'ailleurs, vous allez voir que je lui ai donnée, j'ai écrit au notaire que c'est pas la peine d'examiner les titres, c'est facile à comprendre, Madame Lambert a des procès à la Cour d'Appel tant et aussi longtemps que la Cour d'Appel ne se sera pas prononcée, on ne peut pas penser à passer quoique ce soit sur la terre de Madame Lambert. [Je souligne.]

Puis:

R.J'ai dit au notaire: "Il y a deux (2) fois où la Cour Supérieure par radiation, c'est ce que j'avais dit à Monsieur Paré pour enlever la promesse de vente puis la cession des droits [du tiers contestant le droit de propriété], il faut une radiation devant la Cour Supérieure." C'est là qu'il avait dit: "On a des bons avocats", je savais qu'il ne pouvait pas passer par‑dessus la Cour d'Appel, j'ai dit: "Procédez par radiation devant la Cour Supérieure ou par expropriation, que la Ville prenne ses responsabilité (sic), qu'elle fasse son choix, mais qu'on ne peut pas procéder comme vous l'entendez dans votre lettre du seize (16) juillet."

Q.On n'est pas capable de vous donner un titre clair, si vous voulez un titre clair?

R.On ne peut pas faire de transaction avec vous, faire affaires avec vous, c'est ça que j'avais en tête.

. . .

R.Alors vous pouvez constater dans cette opinion légale ce que je vous répète encore qu'on ne peut pas faire d'affaires. [Je souligne.]

J'en déduis que, selon le procureur de l'appelante, une convention entre les parties était impossible dès le tout début de toute cette histoire et il était inutile de tenter d'en conclure une. En ce qui le concernait, il n'y avait plus rien à faire.

Il est difficile, voire impossible, de conclure, à la lumière du témoignage du procureur de l'appelante et compte tenu de l'ensemble de la preuve, que la lettre en cause peut s'interpréter comme une convention quant au prix à payer par la ville en cas d'expropriation. Si telle était l'intention des parties, rien ne les empêchait de conclure une nouvelle convention en ce sens avant l'expropriation ou même à n'importe quel moment après le début des procédures d'expropriation.

Outre cette lettre, la ville invoque le paragraphe 8 de son avis d'expropriation, qu'il convient de reproduire encore une fois ici:

La présente procédure de l'expropriante a pour objet d'obtenir le plus rapidement possible, la possession des lieux et un titre clair de propriété, et est faite sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée . . . [Je souligne.]

J'estime qu'une réserve aussi vague que "sans préjudice à ses droits . . ." n'établit pas en soi l'existence d'une convention quant au montant de l'indemnité. Il n'y est fait mention expresse d'aucune convention en particulier; on ne retrouve pas de précisions concernant la date, le contenu et, surtout, le prix. Or, on aurait pu s'attendre normalement qu'une partie invoquant une telle convention eût, à tout le moins, explicitement allégué l'existence de cette convention, à défaut d'en donner les détails. Non seulement la ville n'a pas invoqué une convention précise mais, dans sa requête en possession préalable, elle a affirmé sans équivoque qu'il n'y avait pas de telle convention:

[L]'expropriante a offert la somme de $ 500,000.00 à titre d'indemnité et l'expropriée n'a pas encore accepté cette offre; [Je souligne.]

Cet aveu judiciaire n'a jamais été rétracté. Comment alors la ville peut‑elle prétendre maintenant que l'appelante avait accepté, antérieurement aux procédures d'expropriation, une indemnité de 500 000 $? Dans ce contexte, le simple emploi, dans l'avis d'expropriation, de l'expression "sans préjudice . . ." tient plutôt de la réserve d'usage que les avocats insèrent automatiquement dans les actes de procédure et on ne saurait en l'espèce, compte tenu particulièrement des événements subséquents révélés par la preuve, accorder à cette expression l'importance que lui ont prêtée la ville et la Cour d'appel.

L'appelante fait remarquer à ce propos que dès que la ville a entamé les procédures d'expropriation, cette dernière a renoncé à tout droit auquel elle aurait pu prétendre aux termes de l'offre de vente de gré à gré. C'est ce qu'a expressément conclu le Tribunal de l'expropriation (à la p. 115):

Elle [la ville] a renoncé à faire le paiement de la somme convenue de 500 000 $ à la signature de cet acte notarié, tel que toujours prévu à la pièce R‑1 [l'offre de vente]. Quant à [l'appelante], en suivant l'expropriante sur le terrain de l'expropriation, elle a renoncé à exiger le paiement d'un montant convenu de 500 000 $ pour la vente de gré à gré de sa propriété.

Les parties se trouvent donc replacées dans le même état qu'avant l'offre de vente et ceci non seulement pour la fourniture d'un titre de propriété mais également pour l'indemnité à être payée à l'expropriée.

La Cour d'appel a rejeté ce point de vue en ces termes (aux pp. 170 et 171):

Si la ville prend l'initiative des procédures d'expropriation, elle y précise cependant, au paragraphe 8 de son avis, que l'objet de la procédure est d'obtenir la possession de l'immeuble le plus rapidement possible et que cette procédure "est faite sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée".

Dans un tel contexte, l'avis d'expropriation a‑t‑il pour effet de mettre complètement de côté toute entente intervenue entre les parties? Avec égards pour l'opinion contraire, je ne le crois pas. En alléguant l'existence d'une convention intervenue et en expropriant, sans préjudice à ses droits, la ville n'a fait qu'exercer le seul recours dont elle disposait pour donner suite à l'entente, prendre possession rapidement des terrains requis pour constituer la base de plein air et clarifier les titres.

La Cour d'appel semble s'être fondée sur ce seul élément de preuve pour écarter les conclusions du Tribunal de l'expropriation sur ce point. Un certain nombre d'autres faits importants, dont je vais maintenant discuter, ont toutefois influé sur la décision du Tribunal de l'expropriation.

L'avis d'expropriation était un acte unilatéral de la ville. Les allégations y contenues ne représentent que l'opinion d'une partie et il se peut bien que l'autre partie ne partage pas cette opinion. Que la ville affirme avoir voulu procéder à l'expropriation afin d'acquérir "un titre clair de propriété" et qu'elle allègue l'existence d'une convention quant au montant de l'indemnité, c'est une chose. C'est une toute autre chose, cependant, que de conclure que l'appelante était d'accord avec cette assertion. Il importe, en conséquence d'examiner ce qui s'en est suivi pour jeter de la lumière sur l'interprétation à donner à l'intention des parties en ce qui concerne l'avis susmentionné.

Comme je l'ai déjà mentionné, la ville, tout en se réservant ses droits découlant de "tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée", n'a pas déposé cette convention ni n'y a référé en détail. Par ailleurs, dans sa requête en possession préalable, comme je l'ai indiqué précédemment, la ville a expressément mentionné le refus de l'appelante d'accepter la somme de 500 000 $ "à titre d'indemnité", un fait que le juge Dorion n'a pas manqué de commenter (à la p. 115):

Comment conclure raisonnablement à une autre solution juridique [autre que la renonciation], alors que dans sa requête pour fins de possession préalable, dans le cadre de la procédure d'expropriation, la ville de Longueuil mentionne, au paragraphe 4, que son droit d'expropriation est établi, vu le défaut de l'expropriée de l'avoir contesté dans les délais. Au paragraphe 5, elle offre la somme de 500 000 $ à titre d'indemnité et que l'expropriée n'a pas encore accepté cette offre. Dans les conclusions de cette requête elle demande qu'il y soit donné acte du dépôt de 500 000 $ "soit le montant de l'indemnité offerte." Il est à noter que tous les faits allégués dans cette requête sont supportés de l'affidavit de l'avocat de l'expropriante, que cette requête n'a pas été contestée et que tous les faits y sont allégués sont tenus pour avérés. [Italique dans l'original dans les premier et deuxième cas; je souligne dans le troisième cas.]

De plus, en février 1977, l'appelante a saisi la Cour supérieure d'une requête visant à faire "retirer l'indemnité suivant l'article 55 de la Loi de l'expropriation" L.Q. 1973, ch. 38. Dans cette requête, l'appelante a demandé expressément que sa demande de retrait du montant provisionnel offert soit sans préjudice à son droit de réclamer une indemnité plus élevée dans le cadre des procédures d'expropriation. Or, si la ville entendait invoquer sa convention antérieure quant au montant de l'indemnité, elle aurait dû contester cette conclusion et ne permettre le retrait du dépôt que sous réserve de la prétendue convention liant les parties. Mais la requête n'a pas été contestée, de sorte que l'appelante était en droit de croire que c'était le Tribunal de l'expropriation qui fixerait le montant de l'indemnité.

Fait le plus révélateur peut‑être: le 1er août 1977, l'appelante a présenté en Cour supérieure une requête visant à faire déférer l'affaire au Tribunal de l'expropriation. Sa requête portait notamment:

5. L'expropriée refuse d'accepter cette offre et désire déférer la présente cause au Tribunal d'Expropriation pour faire fixer l'indemnité juste et équitable à laquelle elle a droit; [Je souligne.]

La requête conclut ainsi:

DÉFÉRER la présente cause au Tribunal d'Expropriation pour faire fixer l'indemnité à laquelle l'expropriée a droit; [Je souligne.]

Ici, l'appelante demande carrément au Tribunal de l'expropriation de déterminer la juste valeur de l'immeuble, sans mention de quelque convention, et pourtant la ville, une fois de plus, ne s'y est pas opposée. De fait, la requête a été "accordée de consentement" par un jugement de la Cour supérieure. J'ai peine à comprendre comment la ville a pu donner son consentement à une requête visant uniquement à faire déterminer la juste valeur de l'immeuble en cause par le Tribunal de l'expropriation, pour soutenir, quatre ans plus tard, qu'il existait entre les parties une convention qu'elle entendait invoquer.

Finalement, quand l'appelante a déposé sa réclamation détaillée, le 26 septembre 1977, la ville n'a pas protesté. Elle n'a pas non plus mentionné la prétendue convention lorsque, le 26 avril 1978, elle a déposé son offre précise de 500 000 $ comme montant de l'indemnité à fixer par le Tribunal de l'expropriation, un fait que commente le juge Dorion (à la p. 116):

D'ailleurs, même trois ans après l'ouverture du dossier d'expropriation, en déposant sa déclaration d'indemnité au Tribunal le 26 avril 1978, l'expropriante n'allègue même pas, encore là, qu'il y a eu transaction, mais elle se comporte comme une véritable expropriante de bonne foi offrant une indemnité de 500 000 $ à être fixée par le Tribunal.

Aucune des procédures qui ont suivi l'avis d'expropriation ne traduit une intention de la part de la ville d'invoquer sa prétendue convention. Après avoir choisi la voie de l'expropriation et avoir continué résolument dans cette voie pendant six ans, la ville ne saurait guère prétendre maintenant qu'une convention est intervenue quant à l'indemnité à payer en cas d'expropriation et qu'elle a toujours eu l'intention d'invoquer cette convention. Examinée dans le contexte de l'ensemble de la preuve et, en particulier, des six années pendant lesquelles ont duré les procédures d'expropriation, la réserve qui est exprimée dans l'avis d'expropriation, et dont la Cour d'appel a fait grand état, n'appuie pas sa conclusion. Au contraire, elle étaye pleinement les constatations de fait et les conclusions du Tribunal de l'expropriation.

En outre, la ville ne pouvait modifier unilatéralement les termes de la convention, laquelle visait uniquement l'acquisition de l'immeuble en cause de gré à gré. Elle ne peut davantage, après avoir choisi de ne pas exiger l'application de la convention, en extraire la partie qui lui convient, c'est‑à‑dire le prix très avantageux, sans en accepter l'inconvénient, à savoir l'impossibilité d'acquérir par ce moyen un titre de propriété incontestable. On ne saurait ainsi se prévaloir sélectivement d'un contrat. Il n'y a absolument rien qui indique que l'appelante a accepté de modifier le contrat de vente de gré à gré de cette façon. Vu ce qui précède, les arguments avancés par la ville au soutien de ses allégations concernant la transaction ainsi que la convention doivent être rejetés.

Bref, je conclus que c'est à tort que la Cour d'appel a écarté les conclusions de fait du Tribunal de l'expropriation, puisque ce dernier n'a commis aucune erreur de droit ni mal interprété la preuve. Par conséquent, comme la ville n'a pu établir qu'il y a eu entre les parties soit une transaction soit une convention en ce qui a trait à l'indemnité à verser en cas d'expropriation de l'immeuble de l'appelante, il y a lieu de maintenir la décision du Tribunal de l'expropriation fixant la valeur de l'immeuble exproprié, la façon de la calculer n'étant pas en litige devant nous. La question de savoir si, et dans quelle mesure, une telle convention, à supposer qu'elle eût existé, aurait lié le Tribunal de l'expropriation, doit être laissée pour une autre occasion et il y a lieu de passer maintenant à l'examen de la question subsidiaire de l'indemnité additionnelle.

L'indemnité additionnelle

C'est l'art. 68 de la Loi, dont, par souci de commodité, je reproduis ici les dispositions pertinentes, qui habilite le Tribunal de l'expropriation à accorder une indemnité additionnelle:

68. Le tribunal fixe le montant de l'indemnité définitive et statue sur les dépens par une décision motivée, dont il doit transmettre sans délai copie au protonotaire.

. . .

Il peut être ajouté au montant ainsi accordé une indemnité calculée en appliquant à ce montant, à compter de la date de la prise de possession du bien exproprié ou à compter de la date du jugement homologuant l'ordonnance, suivant la date la plus ancienne, un pourcentage égal à l'excédent du taux d'intérêt fixé suivant l'article 28 de la Loi sur le ministère du revenu (chapitre M‑31) sur le taux légal d'intérêt. [Je souligne.]

Comme je l'ai déjà fait remarquer, étant donné sa conclusion sur la question principale, la Cour d'appel ne s'est pas penchée sur la question de savoir s'il y avait lieu en l'espèce d'accorder à l'appelante une indemnité additionnelle. Elle s'est concentrée uniquement sur la question du calcul de cette indemnité additionnelle (à la p. 170):

Il y aurait donc lieu de tenir compte de l'indemnité provisoire, si l'indemnité additionnelle devait être accordée.

Cette question comporte deux aspects qui doivent être examinés. Premièrement, le Tribunal de l'expropriation a‑t‑il eu raison d'accorder une indemnité additionnelle à l'appelante? Deuxièmement, quelle est la méthode de calcul appropriée de l'indemnité additionnelle?

1. L'attribution de l'indemnité additionnelle

La décision du Tribunal de l'expropriation d'accorder une indemnité additionnelle est discrétionnaire. L'emploi du mot "peut" à l'art. 68 de la Loi constitue l'indication la plus claire de ce caractère discrétionnaire. C'est là un point qu'a abordé directement le juge Proulx de la Cour d'appel dans l'arrêt récent Anjou (Ville) c. Krum (1990), 38 Q.A.C. 1. S'exprimant au nom d'une cour unanime, il écrit, à la p. 9:

. . . le Tribunal d'expropriation jouit d'une discrétion que la Cour d'appel ne peut réviser que si les motifs sont frivoles ou ne sont pas appuyés par la preuve.

Le juge Monet a exprimé le même point de vue dans l'arrêt Ville de Montréal c. Lerner, [1979] C.A. 152, à la p. 160:

La jurisprudence de notre Cour a consacré le pouvoir discrétionnaire du juge de première instance en la matière [l'attribution d'une indemnité additionnelle].

Et le juge Dorion a fait observer dans l'affaire Corporation de la ville de Princeville c. Houle, [1985] T.E. 186, à la p. 194:

Encore une fois, cette discrétion d'accorder ou non l'indemnité additionnelle a toujours été reconnue. Elle résulte du texte même de la Loi, alors que le deuxième alinéa de l'article 68 en 1981 se lisait: "Il peut être ajouté . . ."

Je suis d'accord que le texte est clair et la jurisprudence constante, c'est pourquoi je ne vois aucune nécessité de m'étendre sur le sujet.

Quoique l'art. 68 de la Loi ne formule pas les principes devant présider à l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire, les avis exprimés par Dorion et Savard, dans Loi commentée de l'expropriation du Québec (1979), n'ont jamais été contestés. Ils énoncent les critères principaux qui doivent guider le Tribunal dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, à la p. 220:

Cette indemnité, même si le Tribunal peut l'accorder d'office, n'est pas octroyée automatiquement: il faut qu'il y ait eu retard indu, négligence de l'expropriant à parfaire les procédures, ou encore offre insuffisante, sans proportion raisonnable avec l'indemnité fixée.

La position ci‑dessus exposée a été uniformément confirmée par la Cour d'appel du Québec (voir Commission scolaire de la Jeune Lorette c. Fédération des Caisses populaires Desjardins de Québec, C.A. Québec, no 200‑09‑000354‑834, 28 août 1985 à la p. 4, et Anjou (Ville) c. Krum, précité), et elle a été adoptée dans de nombreuses décisions du Tribunal de l'expropriation. L'étude la plus fouillée de la question a été faite, quoique dans le contexte du calcul de l'indemnité additionnelle, par le juge Dorion dans la décision Corporation de la ville de Princeville, précitée, où, à la p. 199, il a accordé une indemnité additionnelle parce que:

[L]'écart entre l'indemnité provisionnelle et l'indemnité définitive est tel qu'il y a eu un abus de droit flagrant de la part de l'expropriante de s'emparer de cette propriété sur paiement d'une si minime indemnité.

Appliquant ces critères à la présente instance, le Tribunal a conclu que l'écart entre l'indemnité provisionnelle de 500 000 $ et l'indemnité définitive de 1 714 936 $ (l'indemnité provisionnelle était inférieure de 30 p. 100 à l'indemnité définitive et allait également à l'encontre de l'art. 53.11 de la Loi qui exige que l'indemnité provisionnelle soit fixée à au moins 70 p. 100 de l'évaluation municipale de l'immeuble ou de l'offre de l'expropriant, le montant le plus élevé étant celui à retenir) était si grand qu'il justifiait l'attribution d'une indemnité additionnelle. Je signale, à ce propos, l'arrêt de la Cour d'appel Cemp Investments Ltd. v. Lakeshore School Board, [1985] C.A. 584, où le juge Nichols a conclu, au nom d'une cour unanime, à la p. 593:

Une différence de 60 % entre le montant du dépôt et l'indemnité, à sa face même, n'est pas raisonnable.

De plus, le juge Dorion a conclu, d'après les faits de l'espèce, que (à la p. 114):

. . . Paré lui a représenté faussement, à plusieurs reprises, que tous les autres propriétaires voisins avaient accepté 10¢ le pi2, ce qui était absolument faux.

Il a conclu également:

C'est après un véritable harcèlement de la part du représentant de la ville, M. Paré, et à la suite de très mauvais conseils de la part de son procureur [. . .] qu'elle [l'appelante] s'est résignée à signer cette offre de vente . . . [Je souligne.]

La ville soutient qu'aucune indemnité additionnelle n'aurait dû être accordée parce qu'une question de droit sérieuse se posait quant à la valeur réelle de l'immeuble et quant à la valeur prévue à la prétendue convention. Compte tenu des conclusions de fait que le juge Dorion a tirées relativement à cette question et vu le montant de l'indemnité qu'il a fixée comme représentant la valeur réelle de l'immeuble, je ne vois aucune raison d'intervenir dans sa conclusion à l'effet que (à la p. 123):

[L]'expropriante a sûrement tenté d'obtenir la propriété de l'expropriée sur paiement d'une indemnité ridicule, nettement insuffisante et ne correspondant en aucune façon à la valeur réelle de l'immeuble. Pour ce motif et le motif que l'offre était ridicule et insuffisante et que la possession a été accordée sur paiement d'une indemnité provisionnelle beaucoup trop basse, le Tribunal considère qu'il doit ici accorder cette indemnité additionnelle.

2. Le calcul de l'indemnité additionnelle

Cette question semble avoir soulevé une certaine controverse, du moins en ce qu'il existe un conflit entre la décision du Tribunal de l'expropriation et un arrêt récent de la Cour d'appel du Québec, et il convient donc que nous nous y arrêtions.

Pour les motifs longuement exposés par le juge Dorion dans l'affaire Corporation de la ville de Princeville, précitée, à la p. 197, je souscris à son avis que l'indemnité additionnelle constitue un dédommagement et non pas un paiement d'intérêts. Comme l'affirment Dorion et Savard, op. cit., à la p. 219:

Il nous semble ne faire aucun doute que dans le cas du dernier alinéa de l'article 67 [maintenant l'art. 68], comme dans celui de l'article 1056c) du Code civil [du Bas-Canada], cet intérêt est une indemnité.

Tel que mentionné dans le passage précité, l'art. 68 de la Loi présente une certaine similarité avec l'art. 1056c C.c.B.‑C. Le juge Chouinard a discuté de ce dernier article dans l'arrêt Compagnie d'assurance Travelers du Canada c. Corriveau, [1982] 2 R.C.S. 866, à la p. 871:

Ce qui est appelé intérêt est plus exactement un dommage dû au retard dont le législateur a voulu qu'il soit établi sous forme d'un pourcentage du montant accordé en capital, calculé sur une base annuelle. Il faut ajouter que ce dommage est attribué pour le retard depuis l'institution de l'action jusqu'au jugement. Les intérêts sur le jugement lui‑même, une fois qu'il est rendu, ne sont pas en cause ici.

Cette restriction soulève la question suivante touchant le calcul de l'indemnité additionnelle: le Tribunal de l'expropriation est‑il tenu de calculer l'indemnité additionnelle en fonction du montant total de l'indemnité définitive ou a‑t‑il le pouvoir discrétionnaire de déduire de l'indemnité définitive les sommes déjà versées à l'exproprié?

En l'espèce, le juge Dorion a calculé l'indemnité additionnelle en fonction de l'indemnité totale, sans en défalquer les sommes déjà payées à l'expropriée. Cette même question s'est posée dans l'affaire Corporation de la ville de Princeville, précitée, où le juge Dorion en a fait une étude approfondie. Il y a conclu, au terme d'une analyse du texte de l'art. 68 de la Loi, que cet article commandait une telle décision (voir la p. 198). Bien que, d'après les faits de cette affaire, le juge Dorion puisse avoir eu raison de conclure qu'il n'aurait pas dû y avoir de déduction, je ne puis souscrire à son opinion que l'art. 68 de la Loi exige que l'indemnité additionnelle soit calculée en fonction de l'indemnité totale, de sorte qu'aucune déduction ne devrait être permise en fonction de l'indemnité provisionnelle versée.

L'arrêt Commission scolaire de la Jeune Lorette, précité, de la Cour d'appel du Québec, est pertinent à cet égard. Il s'agit là d'une affaire dans laquelle le Tribunal de l'expropriation, tout comme le juge Dorion dans l'affaire Corporation de la ville de Princeville, précitée, a calculé l'indemnité additionnelle en fonction de l'indemnité totale, en prétendant qu'il n'avait aucun pouvoir discrétionnaire à cet égard. Le Tribunal a conclu:

De l'avis du Tribunal, il n'y a pas lieu de soustraire à cette indemnité définitive les avances versées par l'expropriante pour en arriver à calculer l'indemnité additionnelle suivant les modalités de l'article 68 de la Loi sur l'expropriation. Le Tribunal est d'avis qu'il n'est pas de son ressort de modifier la loi mais qu'il doit l'interpréter tel qu'elle lui est présentée par le législateur.

La Cour d'appel, en désaccord avec le Tribunal de l'expropriation sur cette question, a statué que la décision de déduire ou non de l'indemnité définitive les sommes déjà versées par l'expropriant est discrétionnaire et non mandatoire. Au terme d'une analyse minutieuse de la question, le juge Vallerand, à l'avis duquel je me suis rangée, a conclu, à la p. 8:

[J]e retiens donc qu'il est loisible au tribunal de défalquer la somme versée à titre d'indemnité provisoire, lorsque vient le temps de chiffrer l'indemnité additionnelle. Cela dit il nous revient maintenant d'exercer le pouvoir discrétionnaire qu'en l'espèce le tribunal s'est dit inhabilité à exercer. Compte tenu de toutes les circonstances et particularités de l'affaire, je suis d'avis qu'il y a lieu en l'espèce à défalcation de l'acompte versé. [Je souligne.]

Or, la jurisprudence subséquente semble être contradictoire. Certaines décisions portent en effet qu'il n'existe aucun pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne le calcul de l'indemnité additionnelle et l'on y conclut soit que les sommes déjà versées doivent être déduites (voir l'affaire Ville de Laval c. Entreprises Lagacé Inc., T.E., no 34‑001811‑76M, 16 janvier 1986, à la p. 32), soit que ces sommes ne peuvent être déduites (voir l'affaire Corporation de la ville de Princeville, précitée). Il est difficile de comprendre à quoi tient cette confusion, car la Cour d'appel, dans l'arrêt Commission scolaire de la Jeune Lorette, précité, précise clairement la nature discrétionnaire de la décision de déduire de l'indemnité définitive les sommes déjà payées. Pour ma part, j'estime toujours que c'est le point de vue à retenir.

Outre le délai, un grand nombre d'autres facteurs peuvent être pris en considération dans le calcul de l'indemnité additionnelle en tant que dédommagement. En particulier, la conduite de l'expropriant peut souvent s'avérer pertinente. Dans un cas où l'unique "dommage" donnant lieu à indemnisation résulterait d'un délai excessif de la part de l'expropriant, il serait absurde de calculer l'indemnité additionnelle en fonction de l'indemnité totale accordée puisque l'exproprié, qui a déjà retiré l'indemnité provisionnelle offerte, a pu utiliser ces fonds au cours des années pendant lesquelles se sont déroulées les procédures d'expropriation. Par ailleurs, lorsque des indemnités additionnelles sont accordées pour d'autres raisons que le délai, il peut être illogique de déduire de l'indemnité définitive, aux fins du calcul de l'indemnité additionnelle, les sommes déjà versées. On en trouve un bon exemple dans l'affaire Restaurants et Motels Châtelaine International Ltée c. Procureur général du Québec, [1980] C.A. 511. Analysant précisément cette question, le juge Turgeon, s'exprimant au nom de la cour, a basé l'indemnité additionnelle sur l'indemnité totale, sans en défalquer les sommes déjà versées. Il motive ainsi sa décision, à la p. 517:

Il faut se rappeler que l'expropriée appelante a été privée de son commerce sur le boulevard Laurier. Pour une chaîne naissante, son établissement sur le boulevard Laurier lui donnait un grand prestige et beaucoup de publicité. Ayant perdu cet établissement, elle a subi une perte de prestige et de publicité qu'il est difficile d'évaluer et dont il faut tenir compte. Dans les circonstances, me basant sur l'article 67 [maintenant l'art. 68], j'accorderais à l'expropriée appelante le plein montant de l'indemnité additionnelle réclamée. [Je souligne.]

Dans ces circonstances, le pouvoir discrétionnaire de calculer l'indemnité additionnelle en fonction du montant total accordé par le Tribunal de l'expropriation a été bien exercé. Il n'existe pas de critères exhaustifs et le pouvoir discrétionnaire en matière de déduction doit être exercé en fonction des circonstances particulières de chaque cas. À cet égard, il y a lieu de retenir l'analyse très convaincante du juge Proulx de la Cour d'appel, dans l'affaire Anjou (Ville) c. Krum, précitée. Dans cette affaire, tenant compte d'actes commis par la ville ayant influé sur la valeur de l'immeuble de l'exproprié, le juge Proulx a confirmé la décision du Tribunal de l'expropriation de calculer l'indemnité additionnelle en fonction de l'indemnité totale. Sur la question du calcul de l'indemnité additionnelle, le juge Proulx a conclu, à la p. 10:

Si l'indemnité additionnelle devait représenter en principe des intérêts additionnels, il m'apparaîtrait alors étrange que le calcul se fasse en tenant compte du dépôt provisionnel qu'a en mains l'exproprié: l'expropriante serait condamnée au paiement d'un intérêt sur le capital remis à l'expropriée (soit le dépôt provisionnel) et l'expropriée s'enrichirait à ses dépens. Dans cette hypothèse, il serait juste de déduire le dépôt provisionnel.

Plutôt, je suis d'avis que l'indemnité additionnelle demeure une mesure compensatoire et c'est implicitement ce qu'a reconnu cette cour dans l'arrêt La Commission scolaire de la Jeune Lorette en décidant qu'il est "loisible au Tribunal de défalquer la somme versée à titre d'indemnité provisoire" de l'indemnité totale. En effet, si le Tribunal a discrétion pour soustraire, c'est qu'il a aussi compétence pour ne pas le faire.

. . .

L'appelante plaide à nouveau que l'indemnité additionnelle demeure tout au plus en l'espèce une indemnité pour retard et qu'ainsi, il est injuste de ne pas défalquer le montant versé. Comme je l'ai démontré ci‑haut, l'appelante omet de considérer les autres motifs retenus par le Tribunal.

À mon avis, l'appelante n'a pas démontré que le Tribunal a mal exercé sa discrétion sur cette question et, en conséquence, ce moyen devrait être rejeté. [Je souligne.]

Comme, en l'espèce, les deux parties ont convenu, à l'audience, que l'indemnité provisionnelle aurait dû être déduite de l'indemnité totale aux fins du calcul de l'indemnité additionnelle, point n'est besoin de s'étendre davantage sur cette question. L'indemnité additionnelle accordée par le Tribunal de l'expropriation devrait donc être réduite en conséquence.

Conclusion

Vu ma conclusion que, dans les circonstances de la présente affaire, le Tribunal de l'expropriation n'a pas commis d'erreur en décidant qu'aucune transaction ni aucune convention n'est intervenue entre les parties quant à l'indemnité à verser par la ville à l'appelante en cas d'expropriation, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'ordonnance du Tribunal de l'expropriation. Je modifierais le quantum de l'indemnité additionnelle accordée uniquement, cependant, en soustrayant de l'indemnité définitive le montant offert par la ville à titre d'indemnité provisionnelle (500 000 $), le tout avec dépens en faveur de l'appelante dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli avec dépens, le juge en chef Lamer et le juge Sopinka sont dissidents.

Procureurs de l'appelante: Bergeron, Gaudreau & Pinet, Hull.

Procureurs de l'intimée: Montgrain, McClure, St‑Germain, Marois, Chandonnet, Gibeau, Longueuil.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 2 R.C.S. 401 ?
Date de la décision : 27/06/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Expropriation - Indemnité - Est‑il intervenu entre les parties une transaction ou une convention quant à l'indemnité à verser en cas d'expropriation? - La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en modifiant la décision du Tribunal de l'expropriation? - Loi sur l'expropriation, L.R.Q., ch. E‑24, art. 19, 68 - Code civil du Bas‑Canada, art. 1918.

Expropriation - Indemnité - Indemnité additionnelle - Indemnité provisionnelle de moins d'un tiers de l'indemnité définitive - L'attribution d'une indemnité additionnelle est‑elle justifiée? - L'indemnité provisionnelle devrait‑elle être prise en considération dans le calcul du montant de l'indemnité additionnelle? - Loi sur l'expropriation, L.R.Q., ch. E‑24, art. 68.

En 1974, la ville de Longueuil a entamé des négociations avec l'appelante en vue d'acheter son immeuble afin d'y établir une base de plein air. À la suite de plusieurs rencontres, les parties ont signé une offre de vente qui fixait à 500 000 $ le prix d'achat. Les deux parties étaient, à l'époque, bien au courant du fait que l'appelante ne pouvait donner un titre de propriété incontestable sur l'immeuble en raison d'un litige pendant entre l'appelante et un tiers. La ville n'a pris aucune autre mesure relativement à l'offre de vente. Elle a choisi plutôt de déposer un avis d'expropriation le lendemain de la date d'expiration du délai de six mois fixé dans l'offre pour signer l'acte de vente. Aux termes du paragraphe 8 de l'avis d'expropriation, cette expropriation se faisait "sans préjudice à ses droits et procédures résultant de tout acte ou convention déjà intervenu avec l'expropriée".

À la suite d'une requête présentée à la Cour supérieure, la ville s'est vu accorder la possession préalable de l'immeuble. La requête précisait que la ville avait offert une indemnité de 500 000 $, mais que l'appelante ne l'avait pas encore acceptée. La ville a déposé la somme de 500 000 $ et, un an plus tard, la requête de l'appelante en retrait de cette somme a été accueillie sans préjudice de son droit de réclamer une indemnité plus élevée dans le cadre des procédures d'expropriation. Quand l'affaire a été finalement déférée au Tribunal de l'expropriation, la ville a fait valoir qu'une transaction était intervenue entre les parties relativement à la valeur de l'immeuble en cas d'expropriation. Le Tribunal a rejeté cet argument, a fixé la valeur de l'immeuble à 1 714 936 $ et a ordonné à la ville de verser cette somme à l'appelante avec une indemnité additionnelle établie en fonction du montant total accordé. La décision du Tribunal a été homologuée par la Cour supérieure. La Cour d'appel l'a toutefois infirmée, disant que, peu importe qu'il s'agisse d'une transaction ou d'un contrat entre les parties, il existait entre elles une convention exécutoire quant à l'indemnité à accorder en cas d'expropriation.

Le présent pourvoi vise à déterminer si, antérieurement aux procédures d'expropriation, les parties avaient conclu une transaction ou une convention quant à l'indemnité à verser par la ville lors de l'expropriation de l'immeuble. Se pose, à titre subsidiaire, la question du pouvoir discrétionnaire du Tribunal de l'expropriation d'accorder une indemnité additionnelle calculée en fonction de l'indemnité totale accordée ou en fonction du solde restant après défalcation des sommes déjà versées.

Arrêt (le juge en chef Lamer et le juge Sopinka sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

(1) Y a‑t‑il eu transaction ou convention?

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin: Pour écarter les conclusions de fait du Tribunal de l'expropriation, la Cour d'appel devait décider que le Tribunal avait si grossièrement erré dans son interprétation de la preuve que cela constituait une injustice, qu'il avait commis une erreur de droit ou qu'il avait mal appliqué le droit. Le Tribunal de l'expropriation n'a pas commis d'erreur en concluant qu'aucune transaction n'est intervenue entre les parties, car les exigences de l'art. 1918 C.c.B.‑C. n'étaient pas remplies. Quand l'offre a été signée, il n'y avait entre les parties aucune poursuite judiciaire, aucun lien juridique, ni aucune question de droit litigieuse qui pouvait faire l'objet d'une transaction au sens de l'art. 1918. De plus, ni l'une ni l'autre partie n'a fait des "concessions" ou des "réserves" visant à prévenir une contestation à naître relativement à des droits contestés. Au moment où la transaction serait intervenue, la ville n'avait pas encore adopté de résolution visant l'expropriation de l'immeuble et elle n'était donc pas habilitée à l'exproprier. Il n'y a aucune preuve de l'existence d'une transaction en l'espèce.

Les juges L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin: Le Tribunal de l'expropriation a conclu avec raison qu'aucune convention n'est intervenue entre les parties quant à l'indemnité à verser en cas d'expropriation. La preuve n'établit pas l'existence d'une convention orale concernant l'indemnité. L'offre elle‑même est muette sur ce point et les témoignages ne sont nullement concluants. Il n'y a, dans les documents versés au dossier, rien qui justifie la prétention de la ville qu'antérieurement à l'offre de vente, ou postérieurement à celle‑ci, les parties aient même discuté, et encore moins convenu, de la valeur de l'immeuble aux fins de l'expropriation ou du montant de l'indemnité à payer dans cette éventualité. Bien qu'une lettre adressée subséquemment par le procureur de l'appelante au notaire de la ville indique que cette dernière pouvait procéder par voie d'expropriation pour obtenir un titre de propriété incontestable, cette lettre ne fait pas allusion à une entente quant au prix à payer. La réserve énoncée au paragraphe 8 de l'avis d'expropriation n'établit pas l'existence d'une convention quant au montant de l'indemnité. Il n'y est pas fait mention d'une convention, d'une date, du contenu ni du prix quant à une indemnité. Dans sa requête en possession préalable, la ville a reconnu sans équivoque qu'il n'y avait pas de convention et a affirmé que l'appelante n'avait "pas encore accepté" l'offre de la ville. La ville n'a pas prétendu s'appuyer sur une convention quelconque: elle n'a pas contesté la requête en retrait de la somme de 500 000 $, c'est avec le consentement des parties qu'a été présentée la requête visant à faire déférer le dossier au Tribunal de l'expropriation pour qu'il fixe le montant de l'indemnité, et la ville n'a jamais contesté la demande d'indemnité détaillée de l'appelante. Il s'ensuit qu'aucune convention n'est intervenue et que c'est à tort que la Cour d'appel a écarté les conclusions du Tribunal de l'expropriation.

En conséquence, le pourvoi est accueilli. La décision du Tribunal de l'expropriation fixant la valeur de l'immeuble exproprié n'a pas été contestée et il y a lieu de la maintenir.

Le juge La Forest: Étant donné l'avantage évident dont il disposait pour évaluer la preuve, il n'y a aucune raison de s'écarter de l'opinion du Tribunal de l'expropriation selon laquelle le représentant de la ville a persisté au point de faire du harcèlement dans ses négociations avec l'appelante. À supposer qu'on pourrait néanmoins dire qu'il y a eu contrat de vente, la façon dont la ville a exécuté les procédures d'expropriation indique clairement qu'elle n'avait pas l'intention d'invoquer l'offre de vente. L'opinion de la Cour d'appel voulant qu'il y a eu convention, qui repose presque exclusivement sur le paragraphe 8 de l'avis d'expropriation, est contraire à la force de la preuve et aux conclusions de fait du Tribunal. Il est vrai que la renonciation à un droit ne devrait jamais être présumée et doit être interprétée de façon étroite. En l'espèce, toutefois, les actes de la ville ont satisfait à ce critère et ne sauraient être interprétés autrement que comme une renonciation aux droits que lui conférait l'offre de vente.

Le juge en chef Lamer et le juge Sopinka (dissidents): Bien que les conditions de l'existence d'une transaction n'aient pas été remplies en l'espèce et même si les parties n'ont pas expressément conclu une convention en matière d'indemnité, il subsistait toujours un contrat valide et exécutoire de vente du bien‑fonds en question. Une cour ne devrait pas conclure qu'une partie a renoncé tacitement à ses droits découlant d'une convention ayant force obligatoire, à moins que toute autre conclusion ne soit invraisemblable dans les circonstances. La notion de renonciation doit être interprétée restrictivement. En l'espèce, le Tribunal de l'expropriation a commis une erreur en concluant que la ville avait renoncé à ses droits découlant de la convention quand elle a engagé les procédures d'expropriation. Le simple fait que l'avis d'expropriation a été envoyé le lendemain de l'expiration du délai de six mois fixé pour la signature de l'acte de vente n'est pas suffisant pour entraîner la nullité de l'offre. À moins que ce ne soit expressément stipulé, le délai imparti pour la signature de l'acte de vente n'est pas, en règle générale, de rigueur. Il n'y a pas de stipulation expresse en ce sens dans la présente affaire. En outre, la ville n'a pas renoncé à ses droits découlant de l'offre en ne tentant pas de faire exécuter la convention avant de procéder à l'expropriation. La mise en demeure ne constitue pas toujours une condition préalable nécessaire à l'exercice de droits découlant d'une convention. En l'espèce, une mise en demeure n'aurait servi à rien étant donné que l'on savait bien que l'appelante ne pouvait pas fournir un droit de propriété incontestable. Enfin, l'avis d'expropriation ne constituait pas l'avis de résiliation envisagé dans l'offre de vente. L'avis d'expropriation ne fait aucune mention de l'intention de la ville de retirer son acceptation de l'offre. Au contraire, elle a expressément réservé ses droits découlant de toute convention pouvant exister entre les parties.

Comme il n'y a pas eu de renonciation de la part de la ville, le Tribunal était tenu de respecter la convention intervenue entre les parties. Il n'a pas été démontré que le harcèlement auquel on aurait eu recours a entraîné la nullité de la convention. Le principe qui doit guider le Tribunal dans la détermination du montant de l'indemnité est celui de la valeur du bien‑fonds pour l'exproprié. En l'espèce, la valeur maximale du bien‑fonds pour l'appelante était le prix de 500 000 $ stipulé dans le contrat de vente, par lequel cette dernière était encore liée lors de l'expropriation de son bien‑fonds.

(2) L'indemnité additionnelle

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier, Cory et McLachlin: Suivant l'art. 68 de la Loi sur l'expropriation, la décision d'accorder une indemnité additionnelle est discrétionnaire. L'indemnité additionnelle constitue un dédommagement et non pas un paiement d'intérêts. Bien qu'il n'existe pas de critères exhaustifs pour que soit accordée une telle indemnité, on doit se demander surtout s'il y a eu retard indu, négligence de l'expropriant à parfaire les procédures, ou encore offre insuffisante, sans proportion raisonnable avec l'indemnité fixée. La conduite de l'expropriant peut aussi s'avérer pertinente. En l'espèce, le Tribunal de l'expropriation a conclu que l'écart entre l'indemnité provisionnelle et l'indemnité définitive était si grand qu'il justifiait l'attribution d'une indemnité additionnelle. Il n'y a donc aucune raison de modifier sa conclusion que la ville a tenté d'obtenir la propriété sur paiement d'une "indemnité ridicule" et "nettement insuffisante".

En vertu de l'art. 68, le Tribunal de l'expropriation a aussi le pouvoir discrétionnaire de déduire l'indemnité provisionnelle de l'indemnité définitive afin de déterminer le montant de l'indemnité additionnelle. Sur ce point, l'interprétation donnée à l'art. 68 par le Tribunal est rejetée. Comme il n'existe pas de critères exhaustifs, le pouvoir discrétionnaire d'effectuer une déduction doit être exercé en fonction des circonstances particulières de chaque cas. En l'espèce, les parties ont convenu que l'indemnité provisionnelle devrait être déduite aux fins du calcul de l'indemnité additionnelle. L'indemnité accordée par le Tribunal devrait être réduite en conséquence.


Parties
Demandeurs : Longueuil (Ville)
Défendeurs : Lambert-Picotte

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé
Arrêts mentionnés: D. Dupéré Inc. v. Procureur général du Québec, C.A. Québec, no 200‑09‑000397‑74, 1er septembre 1977
Cité de Ste‑Foy v. Société Immobilière Enic Inc., [1967] R.C.S. 121
Bellerose v. Talbot, [1957] B.R. 637, conf. [1958] R.C.S. 261
Isabelle v. Procureur général du Québec, [1953] B.R. 747n
Ministre des Transports du Québec c. Texaco Canada Ltée, J.E. 83‑389
Robitaille v. Cité de Québec, [1948] B.R. 787
Amusement Realty Corp. v. Minister of Roads of Quebec, [1949] B.R. 562n
Yves Germain Inc. v. Ministre de la Voirie du Québec, [1974] C.A. 184
Labbé c. Ministre des Transports du Québec, [1980] C.A. 518
Lemieux c. Ville de Granby, [1980] R.P. 285
Procureur général du Québec c. Marois, J.E. 83‑475
Société d'aménagement de l'Outaouais c. Dumouchel, [1984] C.A. 571
Immeubles P.J. Ltée c. Laval (Ville de), J.E. 85‑676
Sylvestre c. Procureur général du Québec, [1980] C.A. 508
Club athlétique Champlain Ltée c. Ministre de la Voirie du Québec, [1979] C.A. 161
Louis Donolo Inc. c. Ville de Laval, [1979] R.P. 17
Allard c. Ville de Québec, [1978] T.E. 463
Anjou (Ville) c. Krum (1990), 38 Q.A.C. 1
Ville de Montréal c. Lerner, [1979] C.A. 152
Corporation de la ville de Princeville c. Houle, [1985] T.E. 186
Commission scolaire de la Jeune Lorette c. Fédération des Caisses populaires Desjardins de Québec, C.A. Québec, no 200‑09‑000354‑834, 28 août 1985
Cemp Investments Ltd. c. Lakeshore School Board, [1985] C.A. 584
Compagnie d'assurance Travelers du Canada c. Corriveau, [1982] 2 R.C.S. 866
Ville de Laval c. Entreprises Lagacé Inc., T.E., no 34‑001811‑76M, 16 janvier 1986
Restaurants et Motels Châtelaine International Ltée c. Procureur général du Québec, [1980] C.A. 511.
Citée par le juge La Forest
Arrêt mentionné: Gingras v. Gagnon, [1972] C.A. 306.
Citée par le juge Sopinka (dissident)
Sosiak c. Marto Construction Inc., [1976] C.A. 286
Lipari c. Hébert, C.A. Montréal, no 500‑09‑000414‑888, 19 février 1991
Svatek c. Abony, [1986] R.D.I. 605
British and Beningtons, Ltd. v. North Western Cachar Tea Co., [1923] A.C. 48
MacKiw v. Rutherford, [1921] 2 W.W.R. 329
Gingras v. Gagnon, [1972] C.A. 306
Corporation municipale de la ville de St‑Georges Ouest c. Comact Inc., [1980] C.A. 521
Anjou (Ville) c. Krum (1990), 38 Q.A.C. 1
Hillingdon Estates Co. v. Stonefield Estates Ld., [1952] Ch. 627
Disposal Services Ltd. v. Municipality of Metropolitan Toronto (1973), 4 L.C.R. 242 (O.I.F. Ont.), conf. (1973), 5 L.C.R. 91 (C. div. Ont.).
Lois et règlements cités
Code civil du Bas‑Canada, art. 1056c, 1918.
Loi sur l'expropriation, L.R.Q., ch. E‑24, art. 19, 20, 32 [mod. 1983, ch. 21, art. 7], 53.11 [aj. idem, art. 12], 68 [mod. idem, art. 18].
Doctrine citée
Dorion, Guy et Roger Savard. Loi commentée de l'expropriation du Québec. Québec: Presses de l'université Laval, 1979.
Giroux, Lorne. "L'expropriation en droit québécois" (1980), 10 R.D.U.S. 629.
Mignault, Pierre Basile. Le droit civil canadien, t. 8. Montréal: Wilson & Lafleur, 1909.

Proposition de citation de la décision: Longueuil (Ville) c. Lambert-Picotte, [1991] 2 R.C.S. 401 (27 juin 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-06-27;.1991..2.r.c.s..401 ?
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