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14/11/1991 | CANADA | N°[1991]_3_R.C.S._485

Canada | R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485 (14 novembre 1991)


R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Willy Arthur Goltz Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Manitoba Intervenants

Répertorié: R. c. Goltz

No du greffe: 21826.

1991: 7 juin; 1991: 14 novembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombieâ

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R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Willy Arthur Goltz Intimé

et

Le procureur général de l'Ontario et

le procureur général du Manitoba Intervenants

Répertorié: R. c. Goltz

No du greffe: 21826.

1991: 7 juin; 1991: 14 novembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Stevenson et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1990), 43 B.C.L.R. (2d) 161, 52 C.C.C. (3d) 527, 74 C.R. (3d) 78, 47 C.R.R. 247, 19 M.V.R. (2d) 89, qui a confirmé une décision de la Cour de comté de la Colombie‑Britannique (1988), 44 C.C.C. (3d) 166, 66 C.R. (3d) 236, 11 M.V.R. (2d) 120, jugeant cruelle et inusitée la peine minimale obligatoire en cause. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et Stevenson sont dissidents.

George H. Copley, pour l'appelante.

Kathryn Ford et Jack Thorhaug, pour l'intimé.

W. J. Blacklock, pour l'intervenant le procureur général de l'Ontario.

Lawrence McInnes et V. E. Toews, pour l'intervenant le procureur général du Manitoba.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci rendu par

Le juge Gonthier — Il s'agit dans le présent pourvoi de déterminer si la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, en tant qu'elle s'applique à l'al. 88(1)a) et au sous‑al. 86(1)a)(ii) de ladite Loi, viole l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

I -‑ Exposé des faits

Le 25 mai 1987 le Superintendent of Motor Vehicles de la Colombie‑Britannique ("le surintendant des véhicules automobiles"), en application du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Motor Vehicle Act ("la Loi"), a interdit à Willy Goltz de conduire pendant une période de trois mois. L'intimé avait accumulé de nombreux points d'inaptitude pour diverses infractions aux règles de conduite automobile, ce qui a amené le surintendant à conclure au caractère insatisfaisant du dossier de conducteur de l'intimé et à déclarer qu'il fallait, dans l'intérêt public, lui interdire de conduire. L'avis d'interdiction envoyé par le surintendant à l'intimé porte notamment ce qui suit:

[traduction] Je [. . .] SURINTENDANT DES VÉHICULES AUTOMOBILES, vous avise par les présentes que j'estime nécessaire dans l'intérêt public de vous interdire de conduire un véhicule automobile conformément au sous‑alinéa 86(1)a)(ii) de la Motor Vehicle Act.

Il vous est donc défendu de conduire pendant une période de trois mois à compter de la date où vous recevrez le présent avis.

. . .

Je prendrai en considération tous motifs écrits que vous pourrez souhaiter faire valoir en faveur soit de l'annulation de la présente interdiction, soit d'une interdiction de plus courte durée.

Vous trouverez ci‑joint votre dossier de conducteur pour les cinq dernières années.

La nature précise des infractions de l'intimé et le total de ses points d'inaptitude n'ont été en cause ni au procès ni en Cour d'appel.

Le 13 juin 1987, l'intimé s'est fait arrêter par un agent de la GRC alors qu'il se trouvait au volant d'un véhicule automobile qui, d'après l'agent, roulait à une vitesse excessive. L'intimé a reçu une contravention pour cette infraction et, quand on a découvert qu'il était sous le coup d'une interdiction de conduire, un "avis de comparaître" pour répondre à une accusation portée en vertu du par. 88(1) de la Loi lui a été remis.

À son procès en Cour provinciale, l'intimé a été reconnu coupable de conduite durant une interdiction et s'est vu infliger la peine minimale de sept jours d'emprisonnement, à purger de façon intermittente des fins de semaines consécutives de trois jours, et une amende de 300 $, à payer dans les trois mois de la date du jugement. En Cour provinciale, on a contesté la constitutionnalité de la peine minimale et la cour a conclu que le par. 88(1) de la Motor Vehicle Act de la Colombie‑Britannique ne violait pas l'art. 12 de la Charte.

L'intimé a porté la décision de la Cour provinciale en appel devant la Cour de comté de la Colombie‑Britannique, où le juge Hogarth a statué que la disposition de l'al. 88(1)c) prescrivant la peine violait l'art. 12 de la Charte et ne pouvait se justifier aux termes de l'article premier. Cette décision a subséquemment été maintenue par la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, dont l'arrêt fait l'objet du présent pourvoi.

II -‑ Les dispositions législatives pertinentes

Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288

[traduction] 86. (1) Indépendamment du fait qu'une personne est ou peut être frappée d'une autre interdiction de conduire, le surintendant peut, lorsqu'il le juge opportun dans l'intérêt public, et sans nécessairement tenir d'audience, interdire à cette personne de conduire un véhicule automobile

a) si elle . . .

(ii)a un dossier de conducteur que le surintendant estime insatisfaisant,

. . .

87. (1) Toute personne frappée d'une interdiction de conduire un véhicule automobile en vertu de l'article 86 peut, dans les 30 jours qui suivent la réception d'un avis d'interdiction, en appeler de cette interdiction devant la Cour de comté.

88. (1) Quiconque conduit un véhicule automobile sur la route ou sur un chemin industriel en sachant

a)soit qu'il lui est interdit aux termes des articles 84, 85, 86 ou 214 de conduire un tel véhicule,

b)soit que son permis de conduire ou son droit de demander ou d'obtenir un tel permis est suspendu en vertu des articles 25, 83, 87, 88, 94 ou 214X tel qu'il était rédigé avant d'être abrogé et remplacé ou modifié par l'entrée en vigueur de la Motor Vehicle Amendment Act, 1982,

commet une infraction et est passible,

c)pour la première condamnation, d'une amende d'au moins 300 $ et d'au plus 2 000 $ et d'un emprisonnement d'au moins 7 jours et d'au plus 6 mois . . .

Motor Vehicle Act Regulations, B.C. Reg. 26/58, et modifications, Division 28 ‑- Points d'inaptitude

[traduction] 28.01 Le surintendant, s'il est convaincu qu'une personne a commis une infraction ou une violation des règles de conduite automobile en contrevenant à une disposition visée à l'annexe, porte au dossier de conducteur de cette personne le nombre de points d'inaptitude qu'entraîne, selon l'annexe, la contravention susvisée.

Charte canadienne des droits et libertés

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

III -‑ Les jugements des instances inférieures

Cour provinciale de la Colombie‑Britannique, Surrey (C.‑B.)

La juridiction de première instance s'est estimée tenue, par la décision de la Cour de comté de Vancouver dans l'affaire R. v. Williams (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 67, et par l'arrêt de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique dans l'affaire R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233, de conclure que le par. 88(1) de la Loi était valide et ne prescrivait pas une peine cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte. L'intimé a donc été condamné à sept jours d'emprisonnement, à purger de façon intermittente au cours de fins de semaine consécutives de trois jours.

Cour de comté de Westminster ((1988), 44 C.C.C. (3d) 166)

Le juge Hogarth de la Cour de comté de Westminster a passé en revue la jurisprudence pertinente, y compris l'arrêt de la Cour suprême du Canada R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, puis a décidé que, tôt ou tard, il se présenterait assurément un cas où il serait scandaleux d'infliger la peine prescrite. Appliquant le critère de la disproportion exagérée établi par les juges majoritaires dans l'affaire Smith, le juge Hogarth a conclu que, pris ensemble, les al. 88(1)a) et c) violaient l'art. 12 de la Charte. Il a conclu en outre que cette violation ne pouvait se justifier aux termes de l'article premier de la Charte.

Cour d'appel de la Colombie‑Britannique ((1990), 43 B.C.L.R. (2d) 161)

La Cour d'appel, se prononçant unanimement par l'intermédiaire du juge Wood, a confirmé la décision du juge Hogarth de la Cour de comté. Dans ses motifs, la cour fait remarquer que le critère employé par la majorité dans l'affaire Smith pour déterminer ce qui constitue une peine cruelle et inusitée diffère nettement de celui appliqué dans l'arrêt Konechny, précité, et qu'il faut attacher une grande importance au fait que dans l'affaire Smith on a mis l'accent sur les caractéristiques personnelles du contrevenant et sur les circonstances particulières dans lesquelles l'infraction a été commise.

Bien qu'elle se soit arrêtée aux circonstances particulières de l'affaire, la Cour d'appel a comparé les dispositions de l'art. 88 relatives à son application et à la peine y prescrite et les dispositions analogues concernant d'autres infractions. Elle a conclu que l'infraction de conduite durant une interdiction ne présente que [traduction] "peu de danger intrinsèque pour l'ensemble de la collectivité" et que, par conséquent, un emprisonnement minimal de sept jours se justifie assez mal. Le juge Wood exprime ainsi ce point de vue, à la p. 170:

[traduction] Après tout, c'est la façon de conduire et non le fait que la conduite soit interdite qui représente un danger pour la société. Et pourtant, fait révélateur, pour bien des façons de conduire, tels l'excès de vitesse, le non-respect de la signalisation routière et la conduite imprudente, que la loi qualifie clairement de dangereuses, non seulement aucune peine d'emprisonnement minimale obligatoire n'est prévue en cas de déclaration de culpabilité, mais la peine maximale prescrite dans chaque cas est l'inscription d'un nombre déterminé de points d'inaptitude au dossier de conducteur du contrevenant . . .

Si l'on regarde le droit criminel, on constate qu'il existe un bon nombre de crimes graves, dont la perpétration présente un danger réel pour la société, à l'égard desquels aucune peine minimale obligatoire n'est prescrite par le Code criminel.

. . .

La comparaison de la gravité relative des nombreuses infractions en droit qui n'entraînent pas de peine d'emprisonnement obligatoire pour la première déclaration de culpabilité et de celle de l'infraction présentement en cause m'amène à conclure qu'il n'y a, en principe, pas de raison pour laquelle celle‑ci comporterait une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement.

La cour a souligné que l'infraction de conduite durant une interdiction doit être appréciée indépendamment, sans égard aux infractions aboutissant à l'interdiction de conduire (à la p. 173):

[traduction] Les circonstances de l'infraction qui sont pertinentes relativement aux critères que nous étudions sont celles liées à la conduite interdite et non celles qui ont mené à l'interdiction. Si une peine de sept jours d'emprisonnement est tout à fait disproportionnée dans un cas donné [. . .] sa constitutionnalité ne peut être sauvegardée du fait qu'il s'agit d'une peine qui se justifie en quelque sorte en tant que sanction supplémentaire d'infractions dont le contrevenant a déjà été reconnu coupable et pour lesquelles il a déjà été puni.

Réfléchissant aux situations hypothétiques susceptibles d'aller à l'encontre de l'art. 12 et insistant sur le nombre illimité des différentes circonstances dans lesquelles l'infraction en cause pourrait être commise, la cour a conclu à une violation de l'art. 12 en se fondant sur son opinion qu'il [traduction] "y aura inévitablement des cas où une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement assortie d'une amende de 300 $ sera si exagérément disproportionnée à ce qui aurait autrement été approprié que l'infliger contreviendra manifestement à l'art. 12 de la Charte" (p. 172). La cour a fait remarquer en outre que, si le moyen de défense fondé sur la nécessité peut dans certaines situations exceptionnelles permettre au rare contrevenant de se soustraire à la sanction prescrite à l'al. 88(1)a), cette défense n'écartera aucunement la certitude que se présentera tôt ou tard un cas de disproportion exagérée.

En dernier lieu, la cour a dit que, bien que l'objectif de la protection du public contre les mauvais conducteurs soit important et ait un lien rationnel avec le but législatif sous‑jacent à la peine minimale, soit de dissuader les conducteurs frappés d'interdiction de violer cette interdiction, la peine minimale de sept jours d'emprisonnement ne porte pas le moins possible atteinte au droit garanti par l'art. 12. Par conséquent, la peine ne peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte. D'après la cour, cette conclusion est renforcée par le fait qu'aucune autre province canadienne n'a jugé nécessaire d'infliger une peine d'emprisonnement minimale obligatoire aux conducteurs qui violent une interdiction officielle. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a en conséquence invalidé la peine minimale prévue à l'al. 88(1)c) et a ordonné que la question de la peine appropriée soit soumise au tribunal de première instance.

IV -‑ Les questions en litige

Les questions soulevées dans le présent pourvoi prennent la forme des questions constitutionnelles suivantes formulées par le juge en chef Lamer le 11 septembre 1990:

1.La peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende imposée, conformément à l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, pour une première déclaration de culpabilité de conduite sous le coup d'une interdiction porte‑t‑elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2.Si la peine minimale obligatoire imposée conformément à l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, pour une première déclaration de culpabilité de conduite sous le coup d'une interdiction porte atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 12 de la Charte, cette peine est‑elle justifiée par l'article premier de la Charte et donc compatible avec la Loi constitutionnelle de 1982?

Dans sa plaidoirie, le substitut du procureur général de la Colombie‑Britannique a limité sa défense de l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, aux ordonnances d'interdiction rendues en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii). Selon moi, rien n'empêchait le procureur général de la Colombie‑Britannique de limiter ainsi sa défense.

Les questions constitutionnelles se limitent au type particulier d'interdiction dont l'intimé a été frappé en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi. D'autres types d'interdictions, dont la violation entraîne également la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c), ne sont pas en cause dans le présent pourvoi.

V ‑- Analyse

1.La peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende imposée, conformément à l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, pour une première déclaration de culpabilité de conduite sous le coup d'une interdiction porte‑t‑elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés?

Historique de la disposition contestée

Le gouvernement de la Colombie‑Britannique a constitué en 1978 un Motor Vehicle Task Force ("groupe de travail"), dont le mandat était d'examiner les lois et les procédures applicables aux usagers des routes en Colombie‑Britannique et de recommander des changements destinés à favoriser la prudence au volant, et ce afin de réduire le nombre croissant d'accidents et de demandes d'indemnisation pour lésions corporelles. Après que le groupe de travail eut présenté son rapport en 1980, l'assemblée législative a édicté une peine obligatoire pour quiconque conduisait alors que son permis de conduire était suspendu. Il s'agissait d'une amende d'au moins 300 $ et d'une peine d'au moins sept jours d'emprisonnement (Miscellaneous Statutes Amendment Act (No. 2), 1981, S.B.C. 1981, ch. 21, art. 55). En 1982, l'assemblée a modifié la Motor Vehicle Act de manière à ce que la peine obligatoire prévue à l'art. 88 s'applique aux interdictions ainsi qu'aux suspensions (Motor Vehicle Amendment Act, 1982, S.B.C. 1982, ch. 36, art. 19). Cette disposition donnait suite à l'une des nombreuses recommandations du groupe de travail et c'est cette disposition modifiée qui est contestée en l'espèce.

Peu après l'entrée en vigueur de la disposition, le 15 août 1981, la peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement a été contestée dans l'affaire R. v. Konechny, précité, au motif qu'elle enfreignait les art. 9 et 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, à la majorité, a statué que la disposition prévoyant la peine ne violait pas la Charte parce que la peine n'était pas exagérément disproportionnée à l'infraction. Le juge Macdonald a indiqué, à la p. 248, que le concept d'une peine cruelle et inusitée [traduction] "se limite à une peine extrêmement sévère", et il a partagé l'avis du juge McFarlane que sept jours d'emprisonnement pour avoir conduit alors qu'on se savait sous le coup d'une interdiction n'avait rien d'excessif.

À la suite de l'arrêt rendu par notre Cour dans l'affaire R. c. Smith, précité, la peine minimale obligatoire prescrite par l'art. 88 de la Loi a de nouveau été contestée à la Cour de comté -- dans l'affaire R. v. Williams, précitée, et dans la présente espèce -- avec des résultats différents. Dans le cas qui nous occupe, le juge Wood de la Cour d'appel dit, à la p. 168, que, selon lui:

[traduction] . . . la décision des juges majoritaires dans l'affaire Smith doit, à ce point de vue‑là, être considérée comme ayant remis en cause la question qui semblait avoir été tranchée dans l'arrêt Konechny.

Il y a donc lieu d'examiner soigneusement l'arrêt Smith, car c'est le critère qui y est énoncé qui, en l'espèce, a amené la Cour d'appel à une conclusion différente de celle à laquelle elle était arrivée lors de son premier examen de l'al. 88(1)c) dans l'affaire Konechny, précitée.

Le critère général pour déterminer s'il y a violation de l'art. 12 de la Charte

Le critère actuellement employé pour déterminer si une loi prescrit une peine cruelle et inusitée a été posé par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt R. c. Smith, précité. Ce critère a été établi au terme d'une étude approfondie de l'histoire et de la portée du principe de l'interdiction des peines cruelles et inusitées, étude qu'il n'y a pas lieu de refaire ici. Le critère a depuis lors été confirmé dans les arrêts R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, et R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711.

Dans l'arrêt Smith, la Cour a invalidé une disposition fixant une peine minimale de sept ans d'emprisonnement pour l'infraction d'importation de stupéfiants prévue au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants. D'après la Cour, cette sanction obligatoire constituait une peine cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte. Chaque membre de la Cour qui a siégé dans l'affaire Smith a admis le principe général selon lequel une peine qui est exagérément ou excessivement disproportionnée à l'infraction va à l'encontre de l'art. 12. Le critère énoncé dans l'arrêt Smith tient fortement compte de la situation particulière du contrevenant et des circonstances spécifiques de l'infraction. La Cour a décidé qu'aux fins de déterminer la constitutionnalité d'une peine il faut porter une attention particulière aux effets de cette peine sur l'individu visé.

La norme générale à appliquer pour décider s'il y a eu violation de l'art. 12 se trouve énoncée dans le passage suivant tiré de l'arrêt Smith, à la p. 1072:

. . . la protection accordée par l'art. 12 régit la qualité de la peine et vise l'effet que la peine peut avoir sur la personne à qui elle est infligée. [. . .] Le critère qui doit être appliqué pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 de la Charte consiste, pour reprendre les termes utilisés par le juge en chef Laskin à la p. 688 de l'arrêt Miller et Cockriell, précité, à se demander "si la peine infligée est excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine." En d'autres termes, bien que l'État puisse infliger une peine, l'effet de cette peine ne doit pas être exagérément disproportionné à ce qui aurait été approprié.

. . . Le critère applicable à l'examen en vertu de l'art. 12 de la Charte est celui de la disproportion exagérée, étant donné qu'il vise les peines qui sont plus que simplement excessives. [Je souligne.]

Les éléments constitutifs du critère général de la disproportion exagérée

Suivant l'arrêt Smith, pour vérifier s'il y a disproportion exagérée, on doit prendre en considération les éléments essentiels suivants, exposés par le juge Lamer à la p. 1073:

. . . la gravité de l'infraction commise, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les circonstances particulières de l'affaire afin de déterminer quelles peines auraient été appropriées pour punir, réhabiliter ou dissuader ce contrevenant particulier ou pour protéger le public contre ce dernier . . .

Il faut également évaluer l'effet de la peine qui est effectivement infligée.

La portée de l'examen ne doit pas être élargie à ce stade‑ci. Comme l'indique le juge Lamer, à la p. 1073:

Ainsi, les autres objectifs que peut viser l'imposition d'une peine, en particulier la dissuasion d'autres contrevenants en puissance, sont sans importance à cette étape de l'analyse. Cela signifie non pas que le juge ou le législateur ne peut plus, en déterminant une peine, prendre en considération la dissuasion générale ou d'autres objectifs pénologiques qui vont au delà du contrevenant particulier, mais seulement que la peine qui résulte ne doit pas être exagérément disproportionnée à ce que mérite le contrevenant. Si une peine exagérément disproportionnée est prescrite "par une règle de droit", alors l'objectif qu'elle vise devra faire l'objet d'une évaluation en vertu de l'article premier. L'article 12 a pour effet d'assurer que chaque contrevenant se voie infliger une peine appropriée, ou tout au moins non exagérément disproportionnée, à sa situation particulière, alors que l'article premier permet de passer outre à ce droit afin de réaliser un objectif social important.

Bien qu'ils ne soient pas en soi déterminants pour décider s'il y a disproportion exagérée, d'autres facteurs peuvent légitimement entrer en ligne de compte. On peut se demander si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle repose sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine, s'il existe des solutions de rechange valables à la peine effectivement infligée et, dans une certaine mesure, si la comparaison avec des peines infligées pour d'autres crimes dans le même ressort révèle une grande disproportion. Une peine infligée arbitrairement n'entraîne pas nécessairement une disproportion exagérée et ne viole pas nécessairement l'art. 12. Le juge Lamer affirme que le caractère arbitraire constitue "un facteur minime pour ce qui est de déterminer si une peine ou un traitement est cruel et inusité" (à la p. 1076), parce que ce sont les art. 9 et 15 de la Charte qui sont les dispositions les mieux conçues pour protéger contre le caractère arbitraire et parce que l'art. 12 vise surtout l'effet d'une peine (à la p. 1075).

La disposition contestée de la Loi sur les stupéfiants a été jugée contraire à l'art. 12 puisque (à la p. 1078):

. . . dans certains cas, un verdict de culpabilité entraînera inévitablement l'imposition d'une peine d'emprisonnement qui sera exagérément disproportionnée.

C'est ce qui porte atteinte à l'art. 12, savoir la certitude et non simplement la potentialité.

Comme nous allons le voir plus loin, il ne ressort pas de ce passage que tous les cas imaginables où la peine serait exagérément disproportionnée à l'infraction commise justifient une conclusion de violation de l'art. 12.

Les éléments énoncés ci‑dessus régissent l'application du critère de la disproportion exagérée aux fins de l'art. 12 de la Charte. Ce critère n'est pas simple. Il nécessite que plusieurs facteurs soient minutieusement examinés et soupesés, l'un par rapport à l'autre, quoique chacun des facteurs subsidiaires énumérés par le juge Lamer dans l'arrêt Smith n'ait pas à être pris en considération dans chaque cas. Ce sont des lignes directrices qui, sans être décisives en elles-mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée (Smith, à la p. 1074).

De plus, il se dégage nettement des arrêts Smith et Lyons, précités, que le critère en question ne permet pas l'invalidation inconsidérée de peines établies par le législateur. Les moyens employés et les buts visés par les corps législatifs ne doivent pas être facilement contrecarrés dans le cadre d'une contestation fondée sur l'art. 12. Dans l'arrêt Smith, le juge Lamer au nom de la Cour explique, aux pp. 1077 et 1072:

Une peine minimale obligatoire d'emprisonnement n'est manifestement pas cruelle et inusitée en soi. Le législateur peut, à mon avis, prescrire une peine obligatoire d'emprisonnement dans le cas d'une déclaration de culpabilité de certaines infractions sans porter atteinte aux droits garantis par l'art. 12 de la Charte.

. . .

Il faut éviter de considérer que toute peine disproportionnée ou excessive est contraire à la Constitution et laisser au processus normal d'appel en matière de sentence la tâche d'examiner la justesse d'une peine. Il n'y aura violation de l'art. 12 que si, compte tenu de l'infraction et du contrevenant, la sentence est inappropriée au point d'être exagérément disproportionnée.

Ce principe a été confirmé par le juge La Forest au nom de la Cour, qui s'est prononcée à l'unanimité, dans l'arrêt Lyons, précité, à la p. 345:

Le mot "exagérément", me semble‑t‑il, traduit le souci qu'avait cette Cour de ne pas astreindre le législateur à une norme à ce point sévère, tout au moins dans le contexte de l'art. 12, qu'elle exigerait des peines parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant.

Parlant au nom de notre Cour, le juge en chef Lamer a de nouveau confirmé ce point de vue dans Luxton, précité, où l'on contestait en vertu de l'art. 12 un article du Code criminel qui augmentait de quinze années la partie minimale de leur peine que devaient purger comme condition d'admissibilité à la libération conditionnelle les personnes reconnues coupables d'un meurtre commis au cours d'une séquestration. En rejetant cette contestation, le juge en chef Lamer a cité un passage de la décision R. v. Guiller (1986), 48 C.R. (3d) 226 (C. dist. Ont.), qu'il avait déjà cité dans l'arrêt Smith. Ce passage, reproduit à la p. 725, porte:

[traduction] Il n'appartient pas au tribunal de se prononcer sur la sagesse du législateur fédéral en ce qui concerne la gravité de diverses infractions et les différentes peines qui peuvent être infligées aux personnes reconnues coupables de les avoir commises. Le législateur jouit d'une compétence discrétionnaire étendue pour interdire certains comportements considérés comme criminels et pour déterminer quelle doit être la sanction appropriée. Si le jugement définitif quant à savoir si une peine excède les limites constitutionnelles fixées par la Charte constitue à bon droit une fonction judiciaire, le tribunal devrait néanmoins hésiter à intervenir dans les vues mûrement réfléchies du législateur et ne le faire que dans les cas les plus manifestes . . .

Ce message s'applique également aux vues mûrement réfléchies d'une législature provinciale, car il n'y a aucune différence appréciable, en ce qui concerne l'examen fondé sur l'art. 12 de la Charte, entre les lois du Parlement et celles d'une assemblée législative provinciale. Au surplus, comme la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c) revêt la forme de la sanction grave qu'est l'emprisonnement, il est dès lors sans importance que l'art. 88 crée une infraction à une loi provinciale et non au Code criminel.

Le principe voulant qu'il soit difficile d'enfreindre l'art. 12 est en outre étayé par l'arrêt récent de notre Cour Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, le juge Cory. La Cour dit, à la p. 1417:

Il arrivera très rarement qu'une cour de justice conclura qu'une peine est si exagérément disproportionnée qu'elle viole les dispositions de l'art. 12 de la Charte. Le critère qui sert à déterminer si une peine est beaucoup trop longue est à bon droit strict et exigeant. Un critère moindre tendrait à banaliser la Charte.

La retenue à l'égard des peines établies par voie législative dont témoignent ces passages se comprend particulièrement bien quand ont tient compte des objectifs généraux et divers que visent les sanctions pénales. Dans l'arrêt Lyons, précité, le juge La Forest exprime l'opinion courante selon laquelle les peines, bien que punitives en partie, sont infligées surtout pour la protection du public. Ce point de vue concorde avec l'objet du droit criminel en général et des peines en particulier. Le juge La Forest affirme, à la p. 329:

Dans un système rationnel de détermination des peines, l'importance respective de la prévention, de la dissuasion, du châtiment et de la réinsertion sociale variera selon la nature du crime et la situation du délinquant.

Cette reconnaissance du fait que les sanctions servent à de nombreuses fins vient souligner la légitimité du souci du législateur de voir à ce que les peines soient destinées en grande partie à assurer de façon permanente le bien‑être du public grâce à leurs aspects dissuasifs et protecteurs. Ce point de vue est expressément confirmé par le juge en chef Lamer dans l'arrêt R. c. Luxton, précité, à la p. 721. Donc, les divers facteurs qui constituent le critère formulé dans l'arrêt Smith visent surtout à garantir aux particuliers qu'ils ne se verront pas infliger des peines exagérément disproportionnées, mais le critère traduit en outre un souci de maintenir d'autres valeurs légitimes qui justifie l'application de sanctions pénales. Ces valeurs jouent inévitablement un rôle dans l'appréciation des éléments qui se fait dans le cadre d'une analyse fondée sur l'art. 12.

L'application de ces éléments du critère posé dans l'arrêt Smith aux faits du présent pourvoi

Concilier les "circonstances particulières" et les "caractéristiques personnelles" d'une part et la nécessité d'une appréciation générale de la validité d'une loi contestée d'autre part

Il ressort nettement de l'arrêt Smith qu'en déterminant s'il y a disproportion exagérée, il faut tenir bien compte à la fois de la situation particulière dans laquelle l'infraction a eu lieu et des caractéristiques personnelles du contrevenant, quoique cet arrêt n'aille pas jusqu'à l'individualisation totale des peines, laquelle pourrait mettre en doute la constitutionnalité des peines minimales obligatoires en général. Par ailleurs, quand c'est la constitutionnalité d'une disposition législative qui est en jeu, et non pas simplement l'équité d'une peine particulière prononcée par un juge lors du procès, il s'avérera souvent nécessaire d'aller au delà des faits précis sur lesquels portent l'appel pour évaluer la proportionnalité de la peine prescrite par la loi. Ainsi, dans l'hypothèse où il serait jugé que la peine minimale infligée à Willy Goltz en l'espèce n'était pas, dans les circonstances particulières de l'affaire, exagérément disproportionnée à l'infraction qu'il a commise, il ne s'ensuivrait pas que l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, en tant que loi de portée générale applicable à tous les automobilistes de la Colombie‑Britannique, satisfait aux exigences de l'art. 12 de la Charte. Cela soulève toutefois une question: Comment le critère énoncé dans l'arrêt Smith concilie‑t‑il le souci de tenir compte des circonstances particulières de l'infraction et le caractère nécessairement plus général de l'appréciation de la disposition contestée fixant la peine, considérée dans son ensemble?

Il n'y a à cette question aucune réponse immédiate ni évidente. Jusqu'à maintenant la jurisprudence traduit une confusion certaine quant à l'utilisation d'exemples hypothétiques qui permettraient de démontrer facilement que, dans certaines circonstances concevables, une peine minimale pourrait représenter un châtiment dont les effets seraient exagérément ou excessivement disproportionnés à l'infraction particulière dont il s'agit dans un cas donné.

Les deux aspects d'une analyse de l'application de l'art. 12

Dans l'arrêt Smith, la Cour s'est servie d'un exemple hypothétique qui faisait ressortir le caractère éventuellement inéquitable de la peine minimale de sept ans d'emprisonnement pour l'infraction d'importation de stupéfiants prévue au par. 5(1) de la Loi sur les stupéfiants. Elle a évoqué le cas d'un touriste qui retourne au Canada avec une seule cigarette de marihuana et a mis la situation de ce "petit contrevenant" face à celle du vendeur de drogues dures reconnu coupable d'avoir importé une grande quantité d'héroïne (aux pp. 1056 et 1078). D'après la Cour, la peine contestée serait exagérément disproportionnée à ce qui serait approprié dans le cas de ce petit contrevenant imaginaire. La disposition avait donc une portée trop large, indépendamment du caractère approprié possible d'une peine de sept ans d'emprisonnement pour le contrevenant en cause dans l'affaire Smith ‑- un individu âgé de 27 ans, dont le casier judiciaire faisait état de deux déclarations de culpabilité antérieures, qui, à son retour de Bolivie, a été surpris en possession de cocaïne d'une valeur marchande supérieure à 100 000 $ et qui a plaidé coupable à l'accusation portée contre lui. Elle était entachée d'invalidité parce que ses effets possibles étaient excessifs au point d'être contraire à ce qui est acceptable.

Dans la présente affaire également, la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a, d'une manière abstraite, étudié certaines situations hypothétiques avant de conclure à l'invalidité de l'al. 88(1)c) de la Loi pour cause d'incompatibilité avec l'art. 12. Bien que je sois d'avis que la démarche adoptée par la Cour d'appel était erronée à certains égards, il était néanmoins approprié qu'elle prenne en considération des circonstances hypothétiques.

L'analyse de l'invalidité faite en vertu de l'art. 12 comporte deux aspects. L'un d'eux concerne l'appréciation de la peine ou de la sanction contestée dans l'optique de la personne à qui elle a en fait été infligée, en soupesant la gravité de l'infraction elle‑même d'une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part. Si l'on décide que la disposition contestée prévoit, et infligerait en réalité au contrevenant, une sanction à ce point excessive ou exagérément disproportionnée qu'elle irait à l'encontre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particulières, elle constituera alors à première vue une violation de l'art. 12 et fera l'objet d'un examen visant à déterminer si elle peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte. Il peut ne pas s'avérer nécessaire d'étudier des situations hypothétiques ou des contrevenants imaginaires. Tel n'a pas été le cas dans l'affaire Smith. C'est pourquoi la Cour s'est trouvée dans l'obligation d'examiner d'autres circonstances raisonnablement imaginables dans lesquelles la disposition contestée pourrait violer l'art. 12.

Si les faits particuliers de l'espèce ne justifient pas une conclusion de disproportion exagérée, il peut y avoir un autre aspect à examiner, savoir, une contestation fondée sur la Charte ou une question constitutionnelle concernant la validité d'une disposition législative fondée sur la disproportion exagérée démontrée par des circonstances hypothétiques raisonnables, par opposition à des situations invraisemblables ou difficilement imaginables. (Voir d'une manière générale C. Robertson, "The Judicial Search for Appropriate Remedies under the Charter: The Examples of Overbreadth and Vagueness", dans R. Sharpe, Charter Litigation (1987).)

Il s'agit donc maintenant d'entreprendre l'analyse fondée sur l'art. 12 en tenant compte des deux aspects. Nous devons, dans la partie "particularisée" de l'analyse, examiner à la lumière des faits de la présente espèce la gravité de l'infraction, les circonstances particulières de l'affaire, les caractéristiques personnelles du contrevenant et les effets de la peine.

Premier aspect: l'application au contrevenant en cause du critère établi dans l'arrêt Smith

(i) La gravité de l'infraction

L'interdiction prononcée en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Motor Vehicle Act de la Colombie‑Britannique vise dans une large mesure à protéger la santé et la vie des personnes qui circulent sur les routes de la province. Ce but se manifeste directement au sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi, qui énonce les deux conditions principales à remplir pour que le surintendant puisse exercer son pouvoir d'interdire à une personne de conduire. La première exige que l'individu frappé d'interdiction ait un "dossier de conducteur insatisfaisant", la seconde, que l'interdiction soit "dans l'intérêt public".

Seuls les mauvais conducteurs dont le dossier est insatisfaisant se voient interdits en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi parce que ce sont surtout ces conducteurs qui présentent un danger pour les citoyens innocents qui utilisent les routes d'une manière responsable. Ainsi que l'a fait valoir le ministère public, l'objet de l'al. 88(1)c) est simple: [traduction] "Empêcher de circuler sur la route ceux qui sont des mauvais conducteurs avérés. Au moyen d'une dissuasion à la fois générale et particulière, cette disposition décourage la conduite durant une interdiction et elle sert ainsi à favoriser la sécurité routière d'une manière générale."

Le régime administratif prévoyant l'interdiction des mauvais conducteurs et prescrivant des peines minimales obligatoires a été adopté par suite d'une étude exhaustive, réalisée par le Motor Vehicle Task Force, d'où il se dégageait que plus un conducteur avait accumulé de points d'inaptitude résultant d'infractions aux règles de conduite automobile, plus il était probable qu'il n'était pas un conducteur responsable et prudent.

Que favoriser la conduite responsable et punir la conduite irresponsable soient les points sur lesquels insiste la Loi se dégage en outre de l'exigence, pour qu'il y ait infraction, qu'une personne conduise sciemment alors qu'elle est sous le coup d'une interdiction. C'est ce que prévoit expressément le par. 88(1), qui porte: [traduction] "Quiconque conduit un véhicule automobile sur la route ou sur un chemin industriel en sachant a) qu'il lui est interdit [. . .] de conduire un tel véhicule [. . .] commet une infraction". [Je souligne.] Ce paragraphe a été interprété en conséquence (R. v. Alston (1985), 36 M.V.R. 67 (C.A.C.‑B.)). Un conducteur qui conduit sous le coup d'une interdiction de conduire dont il ignore l'existence n'est pas irresponsable au même degré qu'une personne qui, par mépris, conduit en sachant que cela lui est interdit. À cet égard, conduire alors qu'on se sait sous le coup d'une interdiction représente une infraction plus grave que de conduire alors que l'on est sous le coup d'une interdiction dont on n'est pas au courant.

De plus, comme l'infraction en question est difficile à détecter -- car un policier ne se rendra compte qu'un conducteur est sous le coup d'une interdiction qu'après l'avoir arrêté et interrogé --, beaucoup de conducteurs frappés d'interdiction éprouveront une forte tentation de commettre l'infraction. Cela étant, le législateur peut rationnellement conclure que, pour assurer la dissuasion, cette infraction doit entraîner une peine sévère.

Se fondant sur ce qu'a dit la Cour d'appel, l'intimé a fait valoir qu'il faut faire une distinction entre l'infraction de conduite durant une interdiction et les infractions dont elle procède. Il affirme que la gravité de ces dernières infractions ne saurait contribuer à la gravité de l'infraction prévue au par. 88(1) puisqu'il s'agit d'infractions distinctes assorties de peines distinctes. L'intimé a soutenu également que l'al. 88(1)c) vise non pas à bannir les mauvais conducteurs de la route, mais à punir les individus qui, étant déchus du droit de conduire, décident simplement de conduire. Avec égards, je ne puis admettre ce raisonnement.

On ne peut arriver à une compréhension rationnelle de l'objet et de l'effet de la peine minimale de sept jours d'emprisonnement sans tenir compte des infractions aux règles de conduite automobile ou au Code criminel dont elle découle commises par une personne reconnue coupable en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii). C'est le dossier faisant état de ces infractions qui constitue à la fois la principale justification de la sanction et la preuve de la menace pour la sécurité du public que présenterait le conducteur interdit s'il continuait à conduire. Quoiqu'il soit théoriquement possible de tracer une ligne de démarcation entre l'infraction, prise isolément, de conduite alors qu'on se sait sous le coup d'une interdiction et les infractions aux règles de conduite automobile sur lesquelles repose la première infraction, ni le bon sens ni les objets du régime législatif n'admettent une telle distinction. Apprécier, sans prendre en considération les motifs de l'interdiction, la gravité de l'infraction consistant à conduire en se sachant sous le coup d'une interdiction serait de la pure abstraction ‑- une appréciation faite en dehors de tout contexte. Analyser l'al. 88(1)c) sans tenir compte du comportement dont procède sa justification reviendrait à tenter de comprendre une disposition portant que "X est assujetti à la définition figurant au paragraphe (1)" sans examiner d'abord ledit par. (1). Le sens de "X" ne peut être déterminé que si l'on sait ce qui le précède.

On a produit au procès des éléments de preuve dont il ressort que, dans l'ensemble, un petit nombre de mauvais conducteurs sont impliqués dans un nombre disproportionné d'accidents reliés à la circulation routière. Selon une estimation produite par le substitut du procureur général, 5 pour 100 des conducteurs en Colombie‑Britannique sont impliqués dans 44 pour 100 des accidents signalés. Comme le note le surintendant des véhicules automobiles dans son rapport de 1987:

[traduction] En Colombie‑Britannique, les accidents de la circulation et les infractions au code de la route représentent la plus lourde charge financière qu'aient à supporter les citoyens et le gouvernement de la province. [. . .] Le coût sur le plan humain est incommensurable.

Les accidents de véhicules automobiles ne cessent d'augmenter depuis 1984 et les chiffres pour l'année 1987 sont les plus élevés depuis 1981. L'année dernière en Colombie‑Britannique pas moins de 622 personnes ont perdu la vie dans des accidents de la route et le nombre des blessés a été de 41 291. Cela équivaut en moyenne à 113 blessés par jour et à un mort toutes les 14 heures.

L'importance d'infliger un châtiment sévère aux mauvais conducteurs qui, méprisant ouvertement la loi et en contravention d'une ordonnance directe du gouvernement, choisissent de conduire alors qu'ils sont sous le coup d'une interdiction, a déjà été soulignée dans un arrêt de notre Cour. En effet, dans Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486, le juge Lamer (maintenant Juge en chef) écrit au nom de la majorité, à la p. 521:

Je ne conteste pas le fait qu'il est tout à fait souhaitable d'éliminer les "mauvais conducteurs" de la route. Je ne conteste pas non plus l'utilité de punir sévèrement les mauvais conducteurs qui prennent le volant malgré l'interdiction de le faire.

Quoique ces observations interviennent au cours d'une analyse fondée sur l'article premier, effectuée dans une affaire où l'on contestait une infraction de responsabilité absolue entraînant une peine minimale obligatoire, et qu'elles ne soient pas en conséquence directement pertinentes lorsqu'il s'agit d'examiner la gravité d'une infraction en vertu de l'art. 12, la déclaration n'en reconnaît pas moins que l'infraction de conduite alors qu'on est sous le coup d'une interdiction découlant d'un dossier de mauvais conducteur est très grave et peut justifier une peine sévère. Dans cette mesure la déclaration en question appuie le point de vue du ministère public.

La gravité de l'infraction de conduite durant une interdiction devient plus évidente à l'examen des mesures protectrices d'ordre procédural prévues par la Loi. On saisit mieux la gravité de cette infraction quand on examine le régime administratif solide établi par le surintendant et permettant d'identifier les mauvais conducteurs, car, grâce aux mesures protectrices réglementaires que comporte ce régime, seuls les mauvais conducteurs se verront interdits de conduire en vertu de l'al. 88(1)a) en tant qu'il s'applique au sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi.

En premier lieu, la Motor Vehicle Act prévoit l'attribution de points d'inaptitude qui s'accumulent à raison de deux à dix par infraction, selon la gravité de celle‑ci. Quand les points accumulés atteignent certains niveaux, le surintendant en est avisé. Ce dernier fait alors tenir au conducteur une lettre d'avertissement lui faisant savoir que, si les points d'inaptitude continuent de s'accumuler, il pourra prendre des mesures correctives. Dès qu'un conducteur atteint 15 points d'inaptitude, le surintendant en est de nouveau informé et il décide à ce moment‑là soit d'imposer au conducteur une période probatoire, soit de l'aviser de son intention de prononcer l'interdiction laissant au conducteur un délai de 21 jours pour présenter des raisons pour lesquelles son permis ne devrait pas être suspendu, soit de lui faire parvenir en fait un avis d'interdiction.

Si le surintendant finit par envoyer un avis d'interdiction, il invite habituellement l'intéressé à lui présenter des observations écrites exposant les raisons pour lesquelles l'ordonnance d'interdiction devrait être annulée ou la durée de l'interdiction réduite. Le surintendant indique en outre qu'il étudiera le cas de cette personne sur réception de ces observations. En l'espèce, une telle lettre a été envoyée à l'intimé. Il s'agit d'une lettre qui, en outre, informe le conducteur de son droit de porter la décision finale du surintendant en appel devant un juge de la Cour de comté conformément à l'art. 87 de la Loi, et le met au courant aussi de la peine minimale dont il devient passible s'il est reconnu coupable de conduite durant une interdiction. Si le conducteur conteste l'exactitude de son dossier, le surintendant suspend normalement l'interdiction pendant qu'il détermine si une erreur a été commise dans le calcul des points. Bien sûr, il est également loisible au conducteur de contester au fond, au moment où elle aurait été commise, toute infraction aux règles de conduite automobile qui a pu lui être imputée. Finalement, en exerçant son pouvoir d'interdire à une personne de conduire dans l'intérêt public, le surintendant doit toujours agir en conformité avec les principes de justice naturelle (Hundal v. Superintendent of Motor Vehicles (1985), 64 B.C.L.R. 273 (C.A.), le juge en chef Nemetz, aux pp. 275 et 276, Motor Vehicle Act Regulations, division 28).

Bien que, comme l'indique l'arrêt Smith, le critère de la disproportion exagérée ne dépende pas de l'inclusion de mesures protectrices d'ordre procédural dans l'énoncé de l'infraction, il ressort nettement de l'examen de ces mesures en l'espèce que l'infraction n'est pas insignifiante et n'a rien d'arbitraire. Au contraire, la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c) et applicable dans le cas envisagé au sous‑al. 86(1)a)(ii) procède directement du souci du législateur d'isoler les mauvais conducteurs afin de mieux protéger le public. Fait encore plus important, il en découle que la personne qui bénéficie de cet ensemble de mesures protectrices contre l'interdiction injustifiée ou inopportune et qui pourtant omet sciemment de tenir compte de l'avis au mépris de l'intérêt public et de la sanction destinée à protéger cet intérêt, commet une infraction plus grave que celle qui viole inconsciemment l'interdiction et à qui n'ont pas été accordées toutes ces possibilités d'améliorer son comportement, de demander les motifs de l'interdiction et d'interjeter appel de la décision du surintendant.

Bien entendu, tant le surintendant que le juge siégeant en appel sont au courant des conséquences de l'interdiction. On peut donc être raisonnablement certain que l'interdiction ne résultera pas d'une infraction insignifiante. Poser comme principe que l'interdiction peut être prononcée pour une vétille revient à supposer l'échec du système. Or, rien ne prouve qu'une telle chose se soit jamais produite et personne ne prétend que c'est ce qui s'est passé en l'espèce.

En résumé partiel, il faut dire que la perpétration de l'infraction prévue au sous‑al. 86(1)a)(ii) et au par. 88(1) de la Motor Vehicle Act est grave. Elle peut mettre en danger même la vie d'innocents usagers des routes de la province du fait que des personnes désignées mauvais conducteurs dans le cadre d'un système juste et prudent d'identification désobéissent sciemment à la loi.

(ii) Les circonstances particulières de l'affaire, et

(iii) Les caractéristiques personnelles du contrevenant

En l'espèce, les circonstances particulières de l'infraction sont simples. Bien qu'on n'ait pas fait connaître à la Cour le nombre de points d'inaptitude accumulés par l'intimé antérieurement à son interdiction, nous avons déjà constaté que la pratique administrative suivie par le surintendant des véhicules automobiles de la Colombie‑Britannique est d'attendre que beaucoup de points se soient accumulés avant de décider finalement si l'interdiction s'impose dans l'intérêt public. Le substitut du procureur général a indiqué qu'il faut un bon nombre d'infractions aux règles de conduite automobile, ou plusieurs déclarations de culpabilité d'infractions au Code criminel, témoignant d'un manque de prudence au volant, pour que soit délivré un avis d'interdiction. La décision de prononcer l'interdiction est prise normalement dans le cas d'un conducteur qui amasse 15 points sur une période de deux ans. Il n'est pas contesté que l'intimé se soit montré un conducteur irresponsable ou mauvais. Il ressort du dossier qu'il ne s'est pas prévalu de la possibilité de contester l'exactitude du nombre de points d'inaptitude retenus comme établissant le caractère insatisfaisant de sa façon de conduire. À aucun moment au cours des débats l'intimé ne s'est opposé à cette prémisse fondamentale.

Du point de vue de la stricte primauté du droit, il pourrait être préférable que les règlements pris sous le régime de la Motor Vehicle Act soient énoncés dans une espèce de code hiérarchisé où serait prévu le nombre exact de points d'inaptitude résultant de différentes combinaisons d'infractions aux règles de conduite automobile qui donnerait lieu à l'interdiction. Un tel code aurait certes pour effet d'exclure de la décision tout pouvoir discrétionnaire, mais entraînerait la perte des avantages de la souplesse et rendrait en fait impossible le fonctionnement du système. En fait, le Motor Vehicle Branch (le "bureau des véhicules automobiles") serait ainsi dans l'impossibilité de prendre en considération le mélange unique d'incidents de mauvaise conduite qui constituent le dossier particulier d'un conducteur.

Les règlements pris en vertu de la Loi énumèrent 148 types différents de violations des règles de conduite automobile et d'infractions au Code criminel, chacune assortie d'un certain nombre de points d'inaptitude. Il y en a toute une gamme, à partir de [traduction] "traverser des lignes fraîchement peintes" (deux points d'inaptitude) jusqu'à [traduction] "causer la mort par négligence criminelle" (dix points d'inaptitude). Entre ces exemples il existe un éventail incroyable d'infractions. Il serait en conséquence irrationnel et pratiquement impossible de tenter d'établir des seuils obligatoires pour chacune des combinaisons — dont le nombre est astronomique — d'infractions susceptibles d'entraîner l'interdiction. Comme nous l'avons déjà vu, avant de décider si une interdiction servira l'intérêt public et avant de délivrer un avis d'interdiction, le surintendant et le bureau des véhicules automobiles ont pour pratique de permettre que s'accumulent un bon nombre de violations des règles de conduite automobile et d'infractions au Code criminel. Cette pratique administrative, mise en {oe}uvre selon les principes de justice naturelle, est à la fois souhaitable et raisonnable.

En tout état de cause, l'intimé a sciemment et impudemment violé l'interdiction dont il était frappé. De fait, l'agent de la GRC qui l'a appréhendé a prétendu que l'intimé conduisait à une vitesse excessive. C'est la raison pour laquelle l'intimé s'est fait arrêter sur le bord de la route. Rien ne permettait à la cour de croire que l'intimé faisait face à une situation critique ou qu'une urgence quelconque le contraignait à conduire sa voiture le jour en question. De plus, on n'a présenté à la cour aucun élément relevant d'une caractéristique personnelle pertinente de l'intimé qui aurait justifié une peine atténuée ou une peine moindre que la peine minimale obligatoire. Il est évident que ces facteurs ne font aucunement contrepoids à la gravité de l'infraction commise par l'intimé. Ce dernier ne saurait par ailleurs invoquer les "effets de la peine" pour soutenir son point de vue.

(iv) L'effet de la peine

Suivant l'arrêt Smith, il faut aussi examiner l'effet de la peine afin de déterminer si celle‑ci est exagérément disproportionnée. L'effet de la peine est "souvent le produit de plusieurs facteurs et ne se limite pas à l'importance ou à la durée de cette peine, mais comprend sa nature et les circonstances dans lesquelles elle est imposée" (à la p. 1073). On indique dans l'arrêt Smith, à titre d'illustration, qu'une peine de vingt ans d'emprisonnement pour une première infraction contre les biens serait exagérément disproportionnée et violerait l'art. 12.

En l'espèce, l'effet de la peine infligée diffère, de par sa nature, de celui dont il s'agit dans l'exemple susmentionné et de celui d'une peine de sept ans d'emprisonnement contestée dans l'affaire Smith. Il n'y a en effet aucune commune mesure entre une peine de sept jours pour avoir conduit en se sachant sous le coup d'une interdiction pour mauvaise conduite et une peine de sept ans d'emprisonnement pour avoir importé une seule cigarette de marihuana ou de vingt ans pour avoir commis une infraction contre les biens. Cette différence devient encore plus évidente quand on examine dans tout son contexte la peine de sept jours d'emprisonnement.

Comme l'a fait valoir dans son argumentation écrite l'intervenant le procureur général de l'Ontario, la peine de sept jours d'emprisonnement prévu à l'al. 88(1)c) est moins sévère qu'il ne le paraît peut‑être à première vue puisqu'un tribunal pourrait faire en sorte qu'elle soit purgée au cours de seulement quelques fins de semaine. D'ailleurs, en l'espèce, la peine devait être purgée de façon intermittente sur des fins de semaine consécutives de trois jours, afin que l'intimé puisse continuer à travailler sans interruption. En Colombie‑Britannique, les peines d'emprisonnement peuvent être réduites par suite d'une réduction de peine méritée (Correction Act, R.S.B.C. 1979, ch. 70, art. 18). La loi permettrait qu'une peine de sept jours soit purgée en cinq jours seulement. Si toutefois la peine entraîne de véritables problèmes, le contrevenant incarcéré peut, à certaines conditions, être mis temporairement en liberté pour des raisons humanitaires ou médicales ou pour des raisons liées aux études (Offence Act, R.S.B.C. 1979, ch. 305, art. 77, 122; Correction Act, art. 1, 15, 16, 18, 19 et 47).

Je crois qu'il est évident qu'on ne saurait raisonnablement affirmer que les effets de la peine vont à l'encontre de ce qui est acceptable ou qu'ils peuvent être considérés comme exagérément disproportionnés à l'infraction commise. Ils ne constituent pas en l'espèce un traitement cruel ou inusité au sens de l'art. 12.

Résumé portant sur le premier aspect

Compte tenu des considérations qui précèdent, je conclus que, étant donné l'infraction particulière en cause et la situation personnelle de l'intimé, la disposition contestée de la Motor Vehicle Act ne viole pas l'art. 12 de la Charte. Point n'est donc besoin à ce stade‑ci d'examiner d'autres facteurs énumérés par le juge Lamer dans l'arrêt Smith. Toutefois, il faut aussi se demander si l'al. 88(1)c) violerait l'art. 12 dans d'autres circonstances qui méritent d'être prises en considération par notre Cour. Il reste une question constitutionnelle à laquelle il faut répondre. Donc, il nous faut entreprendre, à la lumière de circonstances hypothétiques raisonnables, un bref examen de la disposition contestée prescrivant la peine, en vue de déterminer s'il est probable que l'application générale de la disposition créant l'infraction entraînerait une peine exagérément disproportionnée équivalant à une peine cruelle et inusitée.

Second aspect: Évaluation générale de l'al. 88(1)c) à la lumière de circonstances hypothétiques raisonnables

Constitue un exemple hypothétique raisonnable celui qui n'est ni invraisemblable ni difficilement imaginable. Bien que la Cour se trouve inévitablement contrainte de prendre en considération des ensembles de faits qui diffèrent de ceux qui se présentent dans le cas de l'intimé, on ne saurait en prendre prétexte pour invalider des lois sur le fondement d'exemples extrêmes ou n'ayant qu'un faible rapport avec l'espèce. Les lois sont destinées normalement à régir d'une manière générale un domaine en particulier, de façon à ce qu'elles s'appliquent à toute une gamme de personnes et de circonstances. Notre Cour a certes veillé autant que possible à s'assurer de l'existence d'une base factuelle appropriée avant d'évaluer une loi en fonction de la Charte (Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la p. 1099, et MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357, aux pp. 361 et 362). Pourtant, comme nous l'avons indiqué plus haut, la jurisprudence portant sur l'art. 12 n'envisage pas une norme d'examen qui repose dans chaque cas sur ce genre de base factuelle. La norme applicable doit être centrée sur des circonstances imaginables qui pourraient se présenter couramment dans la vie quotidienne.

Les faits particuliers en l'espèce sont une indication importante de ce qui constitue un exemple raisonnable dans le contexte du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi. Cela tient à ce qu'ils représentent un cas réel d'application de la disposition législative contestée. Conclure à l'absence de violation de la Charte en se fondant seulement sur ces faits particuliers vient donc appuyer une conclusion que la disposition contestée n'enfreint pas l'art. 12. Dans le présent pourvoi, cette indication est particulièrement importante parce que les directives administratives et le système de contrôle interne qui permettent de dépister les conducteurs qui sont vraiment mauvais garantissent aux conducteurs responsables qu'ils ne seront pas frappés d'interdiction, et aussi parce que les faits du présent pourvoi sont très représentatifs des manifestations communément imaginables de l'infraction.

Le régime réglementaire consistant à attribuer des points d'inaptitude et à effectuer des contrôles internes garantit que les cas où un "petit contrevenant" comme celui imaginé dans l'arrêt Smith se verra infliger la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c) seront extrêmement rares. C'est cet aspect de la Motor Vehicle Act et de ses règlements d'application qui permet de distinguer la disposition contestée en l'espèce d'avec celle en cause dans l'affaire Smith, dont la portée était vraiment large étant donné les nombreuses façons dont l'infraction d'importation de stupéfiants pouvait être commise. Dans l'affaire Smith il était possible de prévoir des situations où la peine minimale sévère serait infligée vraiment à des "petits contrevenants". Or, il n'en est pas ainsi en l'espèce.

S'il n'avait pas été possible de retrancher les autres infractions donnant lieu à l'interdiction en vertu de l'al. 88(1)a), la portée du par. 88(1) aurait certainement été plus large, ce qui aurait rendu peut‑être plus douteuse la validité de ce paragraphe du fait qu'il y aurait eu une plus grande possibilité que se présente une situation raisonnablement imaginable où la peine de sept jours d'emprisonnement serait vraiment excessive par rapport à la gravité de l'infraction. Néanmoins, dans le présent pourvoi, l'al. 88(1)c) n'est en cause que dans la mesure où il s'applique aux mauvais conducteurs visés au sous‑al. 86(1)a)(ii) et à l'al. 88(1)a) de la Loi. Le seuil à atteindre pour qu'il y ait perpétration de l'infraction est élevé. Un dossier de conducteur insatisfaisant doit avoir été constitué. Le surintendant doit conclure que permettre à cette personne de continuer à conduire va à l'encontre de l'intérêt public. Toutes les possibilités de révision interne et d'appel doivent avoir été épuisées. De plus, la personne doit, se sachant sous le coup d'une interdiction, avoir quand même conduit, au mépris de l'interdiction. Mais, même dans ces circonstances, la peine n'est que de sept jours d'emprisonnement, et est donc bien différente de celle de sept ans dont il est question dans l'affaire Smith. En dernier lieu, même si le processus minutieux de révision interne qui se déroule au bureau des véhicules automobiles devait avoir des ratés, la Cour de comté pourrait, dans le cadre de l'appel prévu à l'art. 87, annuler l'interdiction s'il y avait erreur dans le calcul des points, ou si la cour jugeait satisfaisant le dossier de conducteur de l'intéressé ou si elle estimait que l'intérêt public ne commandait pas l'interdiction.

En ce qui concerne le caractère représentatif des faits particuliers en l'espèce, nous nous trouvons en présence d'un conducteur adulte qui a accumulé un grand nombre de points d'inaptitude, qui a été frappé d'une interdiction de conduire, qui a sciemment désobéi à cette interdiction sans autre motif, semble‑t‑il, que la commodité, et qui s'est fait prendre sur la route par un policier à qui il semblait conduire à une vitesse excessive. Il n'y a pas de circonstances inusitées qui viennent brouiller les cartes. C'est un cas typique de perpétration de l'infraction en cause. Dans cette mesure, la présente espèce a ceci d'utile qu'elle indique que, dans des circonstances raisonnablement imaginables, la peine minimale ne sera pas exagérément disproportionnée à l'infraction commise.

Reste à examiner s'il existe des circonstances hypothétiques raisonnables dans lesquelles la peine minimale serait exagérément disproportionnée. La Cour d'appel a traité cette question de la manière suivante (à la p. 172):

[traduction] Il y a en fait un nombre illimité de circonstances différentes dans lesquelles l'infraction de conduite durant une interdiction peut être commise. De plus, il semble que les différentes circonstances particulières à un contrevenant donné seront aussi nombreuses et diverses que le nombre même des contrevenants. Ces faits et une modeste expérience de la vie mènent à la conclusion qu'il y aura inévitablement des cas où une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement assortie d'une amende de 300 $ sera si exagérément disproportionnée à ce qui aurait autrement été approprié que l'infliger contreviendra manifestement à l'art. 12 de la Charte.

Il semble que la Cour d'appel a pu arriver à cette conclusion en séparant l'infraction de conduite durant une interdiction des différentes infractions aboutissant à l'interdiction. C'est ainsi qu'elle n'a pas attaché suffisamment d'importance à la gravité de l'infraction ni au seuil relativement élevé à atteindre pour qu'il y ait perpétration de l'infraction. Par conséquent, elle a pu supposer sans plus qu'il était possible d'invoquer l'existence d'un "petit contrevenant" ou d'un contrevenant "le moins répréhensible" afin de justifier une conclusion à la disproportion exagérée. À mon avis, cette distinction ne traduit pas la réalité et elle ne devrait pas être faite.

De plus, l'arrêt de la Cour d'appel lui étant de peu de secours, l'intimé n'est pas parvenu par lui‑même à s'acquitter de l'obligation de prouver la disproportion exagérée. Il a fait valoir que parmi les art. 25, 83, 84, 85, 86, 87, 94 et 214 de la Loi il est des dispositions qui prévoient la suspension ou l'interdiction pour des infractions relativement mineures, telles que le non‑paiement des frais de l'examen en vue de l'obtention du permis de conduire (art. 85), ou l'omission de rembourser à l'Insurance Corporation of British Columbia (I.C.B.C.) une somme versée à titre d'indemnité (par. 83(3)), infractions qui ne sont pas suffisamment graves pour justifier une peine minimale de sept jours d'emprisonnement. Selon une hypothèse de l'intimé, un parent seul, frappé d'une suspension pour ne pas avoir remboursé l'I.C.B.C. et devant conduire à l'hôpital un enfant gravement malade, se verrait infliger, en application de l'al. 88(1)c), une peine exagérément disproportionnée s'il était condamné à sept jours d'emprisonnement du fait d'avoir été reconnu coupable de conduite pendant une suspension.

Que cet exemple particulier démontre ou non une disproportion exagérée n'est pas pertinent pour les fins du présent pourvoi. Cela n'a en effet rien à voir avec les interdictions visées au sous‑al. 86(1)a)(ii) et à l'al. 88(1)a) de la Loi. Il incombait à l'intimé de fournir un exemple raisonnable se rapportant à la disposition précise contestée. Il ne l'a pas fait.

Même si l'intimé avait présenté un exemple pertinent, il est douteux que celui‑ci eût détruit la forte indication de validité découlant de la première étape "particularisée" de l'analyse fondée sur l'art. 12. D'autre part, même à supposer que soit présenté un exemple du type "contrevenant le moins répréhensible" et que — contre toute vraisemblance — cet exemple soit accepté à titre de cas hypothétique raisonnable, il n'est pas certain que l'intimé puisse alors alléguer avec succès la disproportion exagérée.

On peut imaginer, par exemple, le cas d'une personne âgée, peut‑être un grand‑père, qui fait l'objet d'une interdiction de conduire du fait d'avoir accumulé un grand nombre de points d'inaptitude pour l'infraction de [traduction] "lenteur excessive au volant", prévue au par. 150(1) de la Loi. Si cette personne se voyait contrainte par une urgence médicale, n'ayant aucun autre moyen de transport, de conduire son petit‑fils d'une cabane à pêche éloignée, sur le bord d'un lac, jusqu'à un hôpital situé dans un ville avoisinante, et qu'elle le fasse en se sachant sous le coup d'une interdiction de conduire, elle pourrait être accusée d'une violation de l'art. 88 et devenir passible de la peine minimale de sept jours d'emprisonnement, même s'il s'agissait de sa première déclaration de culpabilité pour cette infraction. La plupart des gens raisonnables tiendraient probablement cette peine pour exagérément disproportionnée à l'infraction commise. Mais cela ne veut assurément pas dire que l'art. 88 est inconstitutionnel aux termes de l'art. 12. Ainsi que le dit le juge La Forest dans l'arrêt Lyons, précité, il n'est simplement pas nécessaire que les peines prescrites par des textes législatifs soient "parfaitement adaptées aux nuances morales qui caractérisent chaque crime et chaque délinquant" (p. 345).

Dans une affaire de ce genre, il serait permis d'invoquer la défense de nécessité reconnue par notre Cour dans l'arrêt Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232. Il s'agit d'une défense exonératoire, qui s'applique dans des circonstances très précises. Grâce à ce moyen de défense, un comportement par ailleurs illégal et donnant lieu à une sanction est excusé et soustrait à toute sanction parce qu'il est considéré, à bon droit, comme résultant d'une décision "involontaire du point de vue moral" d'accomplir un acte qui, aux yeux de la société, a une valeur sociale positive qui l'emporte sur l'effet préjudiciable de l'infraction. C'est une défense qui ne peut être invoquée que dans des cas de risque imminent, où l'acte accompli visait à éviter un péril direct et immédiat et où il n'existait aucune solution de rechange raisonnable qui ne soit pas entachée d'illégalité (Perka, précité, à la p. 259). Il semble presque certain qu'un jury composé de ses pairs jugerait que les actes du conducteur frappé d'interdiction dans l'exemple ci‑dessus satisfont aux exigences de ce moyen de défense, auquel cas la peine prévue à l'al. 88(1)c) ne serait pas infligée. La question d'une peine exagérément disproportionnée ne serait donc pas soulevée.

Selon le second aspect de l'analyse fondée sur l'art. 12, c'est encore à la partie qui conteste la validité de la disposition en cause qu'incombe la charge d'établir l'existence d'une situation hypothétique raisonnable dans laquelle l'application de la loi irait à l'encontre de l'art. 12 en raison du caractère excessif ou exagérément disproportionné de la peine. En l'espèce, l'intimé ne s'est pas acquitté de cette charge. Par conséquent, la contestation fondée sur le second volet, le volet hypothétique, de l'examen fondé sur l'art. 12 doit être rejetée également.

Résumé

Rien ne permet de conclure que l'al. 88(1)c), appliqué sélectivement à l'al. 88(1)a) et au sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi, viole l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ni les circonstances factuelles particulières de la présente espèce ni des circonstances hypothétiques raisonnables ne justifient une telle conclusion. Le seuil élevé de la disproportion exagérée établi dans l'arrêt Smith et confirmé dans les arrêts Lyons, Luxton et Établissement Mountain n'a pas été franchi. Les dispositions pertinentes de la loi provinciale ne vont pas à l'encontre de ce qui est acceptable. Au contraire, elles favorisent par des formes classiques de sanction pénale la réalisation d'objectifs sociaux légitimes et importants. Cela étant, il n'y a aucune raison d'entreprendre l'étude de la seconde question constitutionnelle concernant l'article premier de la Charte.

Vu la nature relativement mineure de certaines autres infractions visées à l'al. 88(1)a), et qui peuvent donner lieu à une interdiction qui entraînera la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c), il se peut que cette conclusion ne s'applique pas à ces infractions. Celles qui revêtent un caractère purement administratif et qui n'ont aucun lien direct avec la mauvaise conduite au volant paraissent particulièrement suspectes. Comme toutefois leur constitutionnalité n'a pas été mise en cause dans le présent pourvoi, je me borne à ces quelques observations.

VI -- Dispositif

Les questions constitutionnelles reçoivent les réponses suivantes:

1.La peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende imposée, conformément à l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, pour une première déclaration de culpabilité de conduite sous le coup d'une interdiction porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés?

R.Non, lorsque l'interdiction de conduire est prononcée en vertu du sous-al. 86(1)a)(ii) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288. Les autres interdictions de conduire, dont la violation entraîne également la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c), ne sont pas en cause en l'espèce et aucune réponse n'est requise ou donnée à leur égard.

La seconde question constitutionnelle ne se pose pas. Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi. La peine de sept jours d'emprisonnement à purger de façon intermittente par l'intimé au cours de fins de semaine consécutives de trois jours doit être maintenue.

//Le juge McLachlin//

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges McLachlin et Stevenson rendus par

Le juge McLachlin (dissidente) — J'ai lu les motifs du juge Gonthier et, avec égards, je suis en désaccord avec lui quant à la caractérisation de la question soulevée par le présent pourvoi et quant au fondement de l'arrêt de la Cour d'appel en l'espèce. Je suis d'avis de rejeter le pourvoi pour les raisons fondamentales exposées par le juge Wood de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique.

Les motifs de la Cour d'appel

Les motifs de la Cour d'appel (1990), 43 B.C.L.R. (2d) 161, rédigés par le juge Wood, peuvent se résumer ainsi:

1.La question est de savoir si la peine minimale obligatoire prescrite par l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, viole la garantie de protection contre les peines cruelles et inusitées, énoncée à l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés.

2.Le critère pour déterminer si une disposition prévoyant une peine viole l'art. 12 de la Charte consiste à se demander si elle est exagérément disproportionnée eu égard à la gravité de l'infraction commise, aux caractéristiques personnelles du contrevenant et aux circonstances particulières de l'affaire, facteurs énumérés dans l'arrêt de notre Cour R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045.

3.Sans donner d'exemples de cas hypothétiques, la Cour d'appel a conclu que l'al. 88(1)c) entraînerait assurément, dans certains cas, une peine exagérément disproportionnée et, partant, contraire à l'art. 12.

4.Les violations ne pourraient être considérées comme portant "le moins possible" atteinte aux droits garantis à l'art. 12, pas plus que leurs effets ne seraient, dans toutes les circonstances, proportionnels aux objectifs visés; l'al. 88(1)c) ne pourrait donc pas être sauvegardé par l'article premier.

5.Plutôt que de faire échapper certains intimés aux aspects cruels et inusités d'une peine de sept jours d'emprisonnement et de conserver tel quel l'art. 88, il est préférable d'invalider la peine minimale obligatoire et de maintenir une gamme complète de peines à appliquer au besoin et selon que le juge du procès l'estime à propos.

Si je comprends bien les motifs du juge Gonthier, c'est relativement aux points 1 et 3 que son opinion diverge de celle de la Cour d'appel. Étant donné ses conclusions sur ces points, il n'a pas eu à examiner les points 2, 4 et 5.

La question à trancher

L'alinéa 88(1)c) de la Motor Vehicle Act prescrit la peine minimale obligatoire dans le cas d'une personne qui conduit en sachant qu'il lui est interdit de le faire aux termes de l'un de quatre articles de la Loi, savoir les art. 84, 85, 86 et 214. Selon la Cour d'appel, la question en litige était la constitutionnalité de l'al. 88(1)c) de la Loi dans toutes ses applications. Il s'agissait de savoir si la peine minimale obligatoire, prescrite par cette disposition pour une première déclaration de culpabilité de conduite durant une interdiction pour l'une des raisons énumérées, va à l'encontre de la Charte.

Le juge Gonthier, par contre, limite son analyse à certaines interdictions visées à l'art. 86 et fait comme si il n'était pas question à l'al. 88(1)a) des autres interdictions visées au même article et aux art. 84, 85 et 214 et comme si elles ne donnaient pas lieu à la peine obligatoire prévue à l'al. 88(1)c) de la Loi. En ce qui concerne quelques interdictions déterminées visées à l'art. 86, conclut le juge Gonthier, la peine minimale obligatoire ne constituerait pas une violation de la Charte. Il ajoute que si on tenait compte d'autres interdictions dont il est question à l'art. 88, il se pourrait bien que la peine minimale obligatoire prescrite par l'al. 88(1)c) soit inconstitutionnelle. Le juge Gonthier dit en réalité que, dans une application en particulier, l'al. 88(1)c) ne viole pas la Charte, tout en reconnaissant que dans d'autres applications il pourrait être contraire à la Charte.

Cette différence d'optique représente, selon moi, la distinction fondamentale entre les motifs du juge Gonthier et ceux de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. La Cour d'appel a examiné l'al. 88(1)c) dans toutes ses applications possibles et a conclu que certaines d'entre elles violeraient inévitablement l'interdiction des peines cruelles et inusitées énoncée dans la Charte. Elle a en conséquence déclaré l'al. 88(1)c) inconstitutionnel. Le juge Gonthier, au contraire (à la p. 000) n'étudie l'art. 88 que par rapport "au type particulier d'interdiction dont l'intimé a été frappé en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii)". Comme il l'affirme lui‑même, il limite son analyse à la mention de l'art. 86 faite à l'al. 88(1)c) et "retranche" les autres types d'interdictions qui y sont visées. Ayant ainsi écarté de prime abord les applications potentiellement invalides, il conclut à la constitutionnalité de l'al. 88(1)c).

Pour séduisant que puisse être ce résultat, j'estime pour ma part qu'on ne saurait retenir une analyse qui consiste à retrancher de la disposition contestée les applications susceptibles de la rendre inconstitutionnelle. Une telle analyse, selon moi, élude la question constitutionnelle dont nous sommes saisis : celle de la constitutionnalité de l'al. 88(1)c) dans son ensemble, tel qu'il a été adopté par le législateur. En outre, comme je le soutiendrai ci‑après, cette analyse s'écarte nettement de la méthode suivie jusqu'ici par notre Cour dans l'évaluation de textes législatifs en vertu de la Charte en général et de sa façon de voir la garantie de protection contre les peines cruelles et inusitées en particulier.

Premièrement, une analyse qui comporte le retranchement de dispositions potentiellement inconstitutionnelles de l'art. 88 n'apporte pas de réponse à la question soulevée dans le présent pourvoi. La première question constitutionnelle adressée à notre Cour est la suivante: "La peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende imposée, conformément à l'al. 88(1)c) de la [Loi] [. . .], pour une première déclaration de culpabilité de conduite sous le coup d'une interdiction porte‑t‑elle atteinte aux droits et libertés garantis par l'art. 12 [. . .]?" L'expression "sous le coup d'une interdiction" ne limite pas la portée de la question à un type particulier d'interdiction. Bien qu'elle ne soit pas tenue de répondre aux questions constitutionnelles telles qu'elles sont formulées, notre Cour doit se rappeler que ces questions constituent une formulation précise de l'aide demandée et qu'elles servent habituellement de base à l'analyse et aux débats de la Cour. Devant notre Cour, le procureur général de la Colombie‑Britannique a tenté de restreindre l'examen de l'al. 88(1)c) à la suspension du permis de conduire de l'intimé Goltz en vertu du sous-al. 86(1)a)(ii). Toutefois, l'intimé a insisté pour que la Cour examine l'ensemble de l'al. 88(1)c), conformément à la question constitutionnelle dont nous sommes saisis. Dans son argumentation, l'avocat de l'intimé a traité de la constitutionnalité de la peine minimale prévue à l'al. 88(1)c) dans son application aux personnes frappées d'une interdiction de conduire en vertu tant des art. 84, 85 et 214 de la Motor Vehicle Act que du sous‑al. 86(1)a)(ii). Dans cette perspective, il me semble préférable de répondre à la question constitutionnelle telle qu'elle a été posée.

Mais même si notre Cour était disposée à se pencher sur la question en lui donnant une portée plus restreinte que celle de la question posée, débattue et examinée en Cour d'appel, elle ne pourrait le faire, selon moi, sans s'écarter de sa propre jurisprudence bien établie. Retrancher de l'art. 88 la mention d'interdictions autres que certains cas prévus à l'art. 86 de la Loi revient en fait à donner à celle‑ci une interprétation atténuée ou, pour employer une autre expression courante, à appliquer la théorie de l'exemption constitutionnelle. Donc, aux fins du présent pourvoi, l'art. 88 est interprété comme s'il ne contenait pas de dispositions pouvant se révéler inconstitutionnelles. En d'autres termes, l'article prescrivant la peine obligatoire est maintenu, mais on dit aux juges que lorsque se présenteront des applications inconstitutionnelles de cet article, ils devront le déclarer inconstitutionnel en ce qui concerne ces applications et ne pas l'appliquer.

On a incité notre Cour à adopter une approche analogue dans l'affaire R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577. Dans cette affaire, les juges majoritaires de la Cour d'appel, ayant conclu que l'art. 276 du Code criminel dans certaines de ses applications violait la Charte, se sont abstenus d'invalider l'article pour le motif que la réparation appropriée consistait dans la non‑application de cet article par le juge du procès dans les cas où il y aurait violation de la Constitution. Sans décider que les théories de l'interprétation atténuée ou de l'exemption constitutionnelle ne pourraient jamais s'appliquer de manière à sauvegarder un texte législatif, notre Cour à la majorité a décidé qu'il ne convenait pas de les appliquer dans cette affaire, notamment parce que cela aurait eu pour effet de modifier sensiblement la loi en cause et équivaudrait à déléguer aux juges de futurs procès la tâche de déterminer les cas d'inapplication du texte législatif. Suivant ce raisonnement, a‑t‑on fait remarquer, aucune loi n'aurait à être jugée incompatible avec la Charte. La loi serait déclarée valide, seules certaines de ses applications étant invalides.

Les mêmes considérations jouent en l'espèce. Aborder l'art. 88 comme s'il ne parlait que des interdictions visées à l'art. 86 c'est se pencher sur un régime qui diffère de celui que le législateur a établi. De plus, malgré le fait que l'al. 88(1)c) serait déclaré "valide", sa constitutionnalité demeurerait incertaine, étant à déterminer selon que les juges du procès dans des causes futures verraient ou non dans son application une violation de la Charte. Voilà qui va à l'encontre du principe fondamental suivant lequel les lois, particulièrement celles dont la violation peut entraîner l'emprisonnement, doivent être claires, certaines et vérifiables. Notre Cour a uniformément préconisé une analyse stricte et rigoureuse, en fonction de la Charte, des dispositions comportant comme sanction une peine privative de liberté. Laisser les juges statuer au cas par cas dans les affaires d'infractions criminelles et quasi criminelles priverait les gens de la possibilité de savoir d'avance ce que prévoit la loi. Ce n'est alors qu'après avoir subi un procès que l'on saurait si on a enfreint une loi valide. À mon avis, il ne faudrait pas adopter cette approche à l'égard d'infractions susceptibles d'entraîner l'emprisonnement. Il vaut mieux aborder directement la question de savoir dans quelle mesure une loi est incompatible avec la Charte et, partant, invalide aux termes de l'art. 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, chaque fois qu'elle se pose dans un pourvoi comme celui‑ci.

En l'espèce, l'analyse restrictive de la disposition en question par le juge Gonthier a pour conséquence que les juges saisis d'affaires mettant en cause des parties de l'al. 88(1)a) dont il n'a pas été traité ici se verront contraints de déterminer au cas par cas si ces applications de l'al. 88(1)c) violent la Charte. Cela aboutira à la longue à un mélange désordonné et incertain de droit prétorien et de textes législatifs. L'automobiliste désireux de connaître les risques inhérents à la conduite durant une interdiction sera dans l'impossibilité de déterminer sa situation par la seule consultation de la loi. À la lecture de celle‑ci, l'automobiliste conclurait raisonnablement à la validité de l'art. 88, particulièrement s'il existe un jugement qui réponde par la négative à la question constitutionnelle posée en l'espèce, mais il aurait tort. Ainsi que le fait remarquer le juge Gonthier, l'emprisonnement par suite de la violation de certaines interdictions pourrait bien aller à l'encontre de la Charte, ce qui rendrait la loi invalide dans cette mesure . Si l'automobiliste conclut que dans son cas l'emprisonnement obligatoire pour la violation de l'interdiction contrevient à la Charte et qu'il décide de conduire, il risque de se faire dire subséquemment par un juge que c'est là une interprétation erronée de la loi et de se retrouver sous les verrous.

Au moyen de la question constitutionnelle posée en l'espèce on demande à notre Cour, et pour de bonnes raisons, de statuer de façon générale sur la constitutionnalité du régime punitif établi par l'art. 88 pour les violateurs de l'interdiction de conduire; on ne lui demande pas d'attendre des litiges futurs pour déterminer son degré d'invalidité. À mon avis, cette façon de procéder est à la fois juste et judicieuse compte tenu de l'intérêt qu'a le public à connaître avec quelque certitude l'état du droit en ce qui concerne les infractions susceptibles d'entraîner l'emprisonnement.

Dans le passé, quand on lui a demandé de déterminer si une loi donnée est invalide, notre Cour a analysé la question en fonction de toutes les applications possibles de la disposition en cause et elle n'a pas "sauvegardée" la loi en n'examinant que l'application particulière dont il s'agissait d'après les faits de l'affaire. En fait, l'analyse comportant deux aspects préconisée par le juge Gonthier, qui nécessite que soient prises en considération à la fois la situation de l'accusé particulier et d'autres applications hypothétiques, reconnaît implicitement cet état de choses. Prenons la méthode adoptée par le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Smith, à la p. 1078:

. . . la loi fait que, dans certains cas, un verdict de culpabilité entraînera inévitablement l'imposition d'une peine d'emprisonnement qui sera exagérément disproportionnée. [Je souligne.]

Le juge Lamer ne préconise pas dans l'arrêt Smith que la peine minimale de sept ans d'emprisonnement pour trafic de stupéfiants constituerait une violation de la Charte dans tous les cas. Plutôt, comme la peine infligée en vertu de la disposition en question aurait été cruelle et inusitée dans certains cas, la disposition au complet a été jugée invalide.

Il faudrait adopter la même approche à l'égard de l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act. La peine obligatoire infligée en application de l'art. 88 peut souvent ne revêtir aucun caractère cruel et inusité. Mais si, pour reprendre les termes employés par le juge Lamer dans l'arrêt Smith, "dans certains cas, un verdict de culpabilité entraînera inévitablement l'imposition d'une peine d'emprisonnement qui sera exagérément disproportionnée" (à la p. 1078), alors l'alinéa au complet doit être invalidé.

Il arrive parfois qu'une disposition législative puisse être sauvegardée par le retranchement d'une condition invalide, par exemple les mots "elle [la personne inculpée] prouve que", qui opèrent l'inversion de la charge de la preuve; voir l'arrêt R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 2 R.C.S. 154. Le retranchement des mots dans un cas semblable ne va pas à l'encontre de l'objet principal de la disposition législative ni n'a pour conséquence qu'une loi soit déclarée valide même si elle peut en réalité être invalide sous certains aspects, laissant ainsi la question de sa constitutionnalité à une détermination future au cas par cas.

En dernier lieu, je suis d'avis que la question soumise à la Cour est de savoir si la peine minimale obligatoire prescrite par l'al. 88(1)c) sera "dans certains cas", pour emprunter l'expression utilisée dans l'arrêt Smith, exagérément disproportionnée et, par conséquent, contraire à l'art. 12 de la Charte. On ne saurait déclarer l'article valide en partie, sous réserve de la possibilité que certaines de ses autres applications se révèlent invalides dans des causes futures. Il s'ensuit donc que nous devons examiner non seulement certaines interdictions et procédures applicables visées à l'al. 86(1)a), mais aussi toute la gamme des interdictions énoncées à l'art. 86, ainsi qu'à l'art. 84 (autorisant par exemple l'interdiction de conduire pour le non‑paiement d'un examen en vue de l'obtention du permis de conduire), à l'art. 85 (autorisant par exemple l'interdiction de conduire pour l'omission d'acquitter une somme supérieure à 400 $ en vertu d'un jugement définitif rendu à la suite d'un accident de la route) et à l'art. 214.

La violation de la Charte

La Cour d'appel a conclu que la peine minimale d'un emprisonnement obligatoire assorti de 300 $ d'amende viole la protection contre les peines cruelles et inusitées garantie à l'art. 12 du fait que cette peine serait dans certains cas exagérément disproportionnée. La question est de savoir si cette conclusion est bien fondée. D'après le juge Gonthier, la Cour d'appel a commis une erreur.

Pour arriver à cette conclusion, le juge Gonthier a limité son analyse à la question de l'application de l'al. 88(1)c) à l'interdiction particulière imposée dans les circonstances plutôt que d'examiner toute la gamme des interdictions donnant lieu à la peine minimale obligatoire d'emprisonnement. Puisque j'estime, comme la Cour d'appel, qu'il faut prendre en considération toute la gamme des interdictions visées à l'al. 88(1)c), je dois décider si c'est avec raison qu'elle a conclu que certaines applications de cet alinéa mèneraient inéluctablement à des peines disproportionnées qui violeraient l'art. 12.

Comme première étape de son analyse, la Cour d'appel a examiné la gravité de l'infraction en cause par rapport aux peines obligatoires d'emprisonnement et a conclu, à la p. 170:

[traduction] La comparaison de la gravité relative des nombreuses infractions en droit qui n'entraînent pas de peine d'emprisonnement obligatoire pour la première déclaration de culpabilité et de celle de l'infraction présentement en cause m'amène à conclure qu'il n'y a, en principe, pas de raison pour laquelle celle‑ci comporterait une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement.

La Cour d'appel s'est penchée ensuite sur les circonstances de l'infraction et sur la situation personnelle du contrevenant. Le juge Wood a commencé par souligner que la Cour d'appel n'avait pas à se demander [traduction] "si la peine infligée à l'intimé est appropriée compte tenu des circonstances de l'affaire"; elle avait [traduction] "simplement à décider si l'exigence légale d'une peine qui ne soit, dans aucun cas, moindre viole la garantie constitutionnelle invoquée" (à la p. 164). Partant de cette prémisse, le juge Wood a abordé ces questions globalement, les rattachant aux circonstances particulières d'éventuels contrevenants visés par la disposition en cause. Se refusant à toute conjecture quant à un cas hypothétique précis, il s'est appuyé sur l'observation faite par le juge Lamer dans l'arrêt Smith, à la p. 172:

[traduction] . . . ce n'est pas la certitude d'un cas donné qui préoccupait le juge Lamer dans l'arrêt Smith, c'était la certitude que, compte tenu de la multiplicité de situations qui pourraient se présenter, une peine exagérément disproportionnée était inévitable dans au moins une d'entre elles.

Il a conclu ensuite, à la p. 172:

[traduction] Il y a en fait un nombre illimité de circonstances différentes dans lesquelles l'infraction de conduite durant une interdiction peut être commise. De plus, il semble que les différentes circonstances particulières à un contrevenant donné seront aussi nombreuses et diverses que le nombre même des contrevenants. Ces faits et une modeste expérience de la vie mènent à la conclusion qu'il y aura inévitablement des cas où une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement assortie d'une amende de 300 $ sera si exagérément disproportionnée à ce qui aurait autrement été approprié que l'infliger contreviendra manifestement à l'art. 12 de la Charte.

Je ne souscris pas au point de vue du juge Gonthier selon lequel l'analyse du juge Wood est faite dans l'abstrait, elle s'appuie sur des suppositions faciles concernant des "petits contrevenants" ou des "contrevenants le moins répréhensibles"et elle est donc insuffisante pour maintenir une conclusion que l'al. 88(1)c) viole l'art. 12 de la Charte. Si le juge Gonthier a besoin d'autres situations hypothétiques qui "traduisent la réalité", il est facile d'en trouver. Prenons l'exemple donné lors du procès par le juge Hogarth de la Cour de comté (et cité par le juge Wood en appel), de la situation d'un [traduction] "accusé, frappé d'une interdiction de conduire, [qui] avait, à la suite d'un accident survenu sur une autoroute, déplacé de quelques pieds un véhicule automobile dont le conducteur n'était pas en état de le faire, afin de laisser passer d'autres voitures prises dans un embouteillage s'étendant sur plusieurs milles" ((1988), 44 C.C.C.(3d) 166, à la p. 172). Je conviens enfin avec le juge Hogarth que [traduction] "une peine de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende qui pourrait entraîner la perte d'un emploi occupé depuis longtemps et la perte d'autres agréments serait ridicule".

Prenons en outre le cas des personnes qui conduisent durant une interdiction et qui plaident des circonstances atténuantes qui, bien que ne fondant pas un moyen de défense en droit (c.‑à‑d. la défense de nécessité reconnue par la common law), devraient à juste titre être prises en considération aux fins de la détermination de la peine parce qu'elles tendent à diminuer la culpabilité morale de l'accusé. (Je signale à ce propos les possibilités limitées d'invoquer la défense de nécessité suivant le critère énoncé par notre Cour dans l'arrêt Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.)

Revenant toutefois à la question principale, si je comprends bien, la Cour d'appel dit simplement que, lorsque la gravité de l'infraction est prise en considération en même temps que la gamme possible de situations dans lesquelles des contrevenants pourraient se trouver, l'existence d'une peine minimale obligatoire pourrait empêcher la cour chargée de la détermination de la peine d'aboutir à un résultat équitable et, dans certains cas, obligerait même le juge à infliger une peine exagérément disproportionnée. Autrement dit, la peine minimale obligatoire prescrite par l'al. 88(1)c) prive le juge du large pouvoir discrétionnaire qu'il convient d'exercer eu égard à la gravité de l'infraction et aux circonstances dans lesquelles elle a été commise. Bref, les peines minimales obligatoires doivent être appropriées compte tenu à la fois de la gravité de l'infraction et des circonstances pouvant se présenter. Je ne vois dans cette conclusion aucune erreur. Je ne vois pas non plus ce qu'il peut y avoir d'erroné à parler d'une "modeste expérience de la vie". L'expérience d'un juge qui a eu l'occasion de fixer des peines pour différentes infractions lui permet d'acquérir une conscience aiguë de la variété infinie de circonstances dans lesquelles une peine moins sévère que l'emprisonnement peut s'imposer pour toutes les infractions sauf les plus graves.

Le juge Gonthier affirme que la Cour d'appel n'a pu arriver à ces conclusions qu'"en séparant l'infraction de conduite durant une interdiction des différentes infractions aboutissant à l'interdiction" (à la p. 000). Avec égards, je crois qu'il s'agit peut‑être là d'une interprétation erronée du raisonnement du juge Wood. En effet, ce dernier a parlé de la nécessité de prendre en considération les circonstances [traduction] "liées à la conduite interdite" plutôt que celles menant à l'interdiction seulement après avoir énoncé sa conclusion principale et à seule fin de réfuter l'argument voulant que les peines infligées en vertu de l'al. 88(1)c) ne peuvent pas être jugées disproportionnées parce que les personnes reconnues coupables de conduite durant une interdiction ne seraient pas des "petits" contrevenants. Il a conclu (à la p. 173):

[traduction] Si une peine de sept jours d'emprisonnement est tout à fait disproportionnée dans un cas donné, compte tenu des circonstances de l'infraction et des circonstances personnelles du contrevenant, sa constitutionnalité ne peut être sauvegardée du fait qu'il s'agit d'une peine qui se justifie en quelque sorte en tant que sanction supplémentaire d'infractions relativement auxquelles le contrevenant a déjà été reconnu coupable et pour lesquelles il a déjà été puni.

Si je comprends bien, le juge Wood dit simplement que c'est l'infraction de conduite durant une interdiction ainsi que toutes les circonstances pertinentes relativement à cette infraction qui doivent être prises en considération. Cela étant, le simple fait que l'accusé a déjà commis des infractions aux règles de conduite automobile ne vient pas sauvegarder la peine obligatoire prescrite par l'al. 88(1)c).

Je conclus que la Cour d'appel a appliqué correctement les critères énoncés par notre Cour dans l'arrêt Smith et qu'elle a eu raison de conclure que l'al. 88(1)c) viole l'art. 12 de la Charte. Je partage l'avis du juge Wood de la Cour d'appel, selon lequel, dans certains cas visés par le régime établi par les al. 88(1)a) et (1)c) de la Motor Vehicle Act, la peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et d'une amende serait manifestement disproportionnée et choquerait la conscience des Canadiens, de sorte qu'elle constituerait une violation de la garantie de protection contre les peines cruelles et inusitées prévue à l'art. 12 de la Charte. Je souscris également à la conclusion du juge Wood que l'al. 88(1)c) ne peut, en raison de sa portée excessive, être sauvegardé par l'article premier de la Charte. Comme l'a dit le juge Wood, à la p. 176: [traduction] "Il ne se dégage des documents aucune nécessité évidente ou probable d'une mesure de dissuasion qui s'applique ainsi sans distinction."

Enfin, je conviens avec la Cour d'appel que, plutôt que de procéder au cas par cas pour soustraire des infractions particulières à l'application de l'al. 88(1)c), ce qui serait nécessaire pour que celui‑ci soit conforme à la Charte, il faut supprimer la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c). Ainsi que je l'ai déjà indiqué, la certitude qui doit exister en ce qui concerne les infractions pouvant entraîner une peine d'emprisonnement commande au moins cela.

Dispositif

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de renvoyer l'affaire au tribunal de première instance.

Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et Stevenson sont dissidents.

Procureur de l'appelante: Le ministère du procureur général, Victoria.

Procureur de l'intimé: Kathryn Ford, New Westminster.

Procureur de l'intervenant le procureur général de l'Ontario: Le ministère du Procureur général, Toronto.

Procureur de l'intervenant le procureur général du Manitoba: Le ministère de la Justice, Winnipeg.


Synthèse
Référence neutre : [1991] 3 R.C.S. 485 ?
Date de la décision : 14/11/1991
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli. La peine minimale obligatoire infligée en application de l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act pour une première déclaration de culpabilité de conduite durant une interdiction ne viole pas l'art. 12 de la Charte lorsque l'interdiction de conduire est prononcée en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi. D'autres interdictions de conduire, dont la violation entraîne également la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c), ne sont pas en cause dans le présent pourvoi

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Peine cruelle et inusitée - Peine minimale - Loi provinciale relative aux véhicules automobiles prévoyant une peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et d'une amende pour une première déclaration de culpabilité de conduite durant une interdiction - La peine minimale obligatoire viole‑t‑elle l'art. 12 de la Charte? - Dans l'affirmative, la violation est‑elle justifiée aux termes de l'article premier de la Charte? - Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, art. 88(1)c) - Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 12.

L'intimé a été reconnu coupable d'avoir enfreint l'al. 88(1)a) en conduisant alors qu'il était sous le coup d'une interdiction prononcée en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Motor Vehicle Act de la Colombie‑Britannique. L'alinéa 88(1)c) prescrit une peine minimale de sept jours d'emprisonnement et de 300 $ d'amende pour une première déclaration de culpabilité de conduite durant une interdiction fondée sur les art. 84, 85, 86 ou 214. La Cour provinciale a conclu que la disposition en cause ne violait pas la garantie de protection contre les peines cruelles et inusitées énoncée à l'art. 12 de la Charte canadienne des droits et libertés, et a infligé la peine minimale. En appel, la Cour de comté a statué que la disposition prescrivant la peine violait l'art. 12 de la Charte et ne pouvait se justifier aux termes de l'article premier. Cette décision a été maintenue par la Cour d'appel. Les questions constitutionnelles soulevées dans le pourvoi sont de savoir si l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act viole l'art. 12 de la Charte et, dans l'affirmative, si la violation est justifiée aux termes de l'article premier.

Arrêt (le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et Stevenson sont dissidents): Le pourvoi est accueilli. La peine minimale obligatoire infligée en application de l'al. 88(1)c) de la Motor Vehicle Act pour une première déclaration de culpabilité de conduite durant une interdiction ne viole pas l'art. 12 de la Charte lorsque l'interdiction de conduire est prononcée en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi. D'autres interdictions de conduire, dont la violation entraîne également la peine minimale obligatoire prévue à l'al. 88(1)c), ne sont pas en cause dans le présent pourvoi.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et Iacobucci: Le critère général pour déterminer si une peine est cruelle et inusitée au sens de l'art. 12 est celui de la disproportion exagérée, critère qui doit tenir compte de la gravité de l'infraction, des caractéristiques personnelles du contrevenant et des circonstances particulières de l'affaire. D'autres facteurs peuvent légitimement entrer en ligne de compte. On peut se demander si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle repose sur des principes reconnus en matière de détermination de la peine, s'il existe des solutions de rechange valables à la peine effectivement infligée et, dans une certaine mesure, si la comparaison avec des peines infligées pour d'autres crimes dans le même ressort révèle une grande disproportion. Le critère en question ne permet pas l'invalidation inconsidérée de peines établies par le législateur. Il arrivera rarement qu'une cour de justice conclura qu'une peine est si exagérément disproportionnée qu'elle viole l'art. 12 de la Charte.

L'analyse de l'invalidité en vertu de l'art. 12 comporte deux aspects. Le premier comporte l'appréciation de la peine ou de la sanction contestée dans l'optique de la personne à qui elle a en fait été infligée, en soupesant la gravité de l'infraction elle‑même d'une part et les circonstances particulières de cette infraction et les caractéristiques personnelles du contrevenant d'autre part. Si l'on décide que la disposition contestée prévoit, et infligerait en réalité au contrevenant, une sanction à ce point excessive ou exagérément disproportionnée qu'elle irait à l'encontre de ce qui est acceptable dans ces circonstances réelles et particulières, elle constituera alors à première vue une violation de l'art. 12 et fera l'objet d'un examen visant à déterminer si elle peut se justifier aux termes de l'article premier de la Charte. Si les faits particuliers de l'espèce ne justifient pas une conclusion de disproportion exagérée, il peut y avoir un autre aspect à examiner, savoir une contestation fondée sur la Charte ou une question constitutionnelle concernant la validité d'une disposition législative fondée sur la disproportion exagérée démontrée par des circonstances hypothétiques raisonnables.

Les questions constitutionnelles en l'espèce se limitent au type particulier d'interdiction dont l'intimé a été frappé en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) de la Loi. Étant donné l'infraction particulière en cause et la situation personnelle de l'intimé, l'al. 88(1)c), appliqué sélectivement à l'al. 88(1)a) et au sous‑al. 86(1)a)(ii), ne viole pas l'art. 12 de la Charte. La perpétration de l'infraction prévue au sous‑al. 86(1)a)(ii) et au par. 88(1) est grave. La gravité de l'infraction doit être appréciée en fonction de l'objet de la loi et en fonction des infractions aux règles de conduite automobile qui donnent lieu à l'interdiction. L'interdiction prononcée en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) vise dans une large mesure à protéger la santé et la vie des personnes qui circulent sur les routes de la province, comme l'indiquent les exigences que l'individu frappé d'interdiction ait un "dossier de conducteur insatisfaisant" et que l'interdiction soit "dans l'intérêt public". Seuls les mauvais conducteurs dont le dossier est insatisfaisant se voient interdits en vertu du sous‑al. 86(1)a)(ii) parce que ce sont surtout ces conducteurs qui présentent un danger pour les citoyens innocents qui utilisent les routes d'une manière responsable. Que favoriser la conduite responsable et punir la conduite irresponsable soient les points sur lesquels insiste la Loi se dégage en outre de l'exigence, pour qu'il y ait infraction, qu'une personne conduise en sachant qu'il lui est interdit de conduire. De plus, comme l'infraction en question est difficile à détecter, beaucoup de conducteurs frappés d'interdiction seront fortement tentés de la commettre et, cela étant, le législateur peut rationnellement conclure qu'aux fins de la dissuasion, cette infraction doit entraîner une peine sévère. La gravité de l'infraction de conduite durant une interdiction devient plus évidente à l'examen des mesures protectrices d'ordre procédural prévues par la Loi, mesures grâce auxquelles seuls les mauvais conducteurs se verront interdits de conduire en vertu de l'al. 88(1)a) en tant qu'il s'applique au sous‑al. 86(1)a)(ii).

L'intimé a sciemment et impudemment violé l'interdiction dont il était frappé. Rien n'indique qu'une urgence quelconque le contraignait à conduire sa voiture le jour en question. De plus, on n'a présenté aucun élément relevant d'une caractéristique personnelle pertinente de l'intimé qui aurait justifié une peine atténuée ou une peine moindre que la peine minimale obligatoire. On ne saurait raisonnablement affirmer que les effets de la peine vont à l'encontre de ce qui est acceptable ou qu'ils peuvent être considérés comme exagérément disproportionnés à l'infraction commise. La peine de sept jours d'emprisonnement est moins sévère qu'il ne le paraît peut‑être à première vue puisqu'elle peut être purgée au cours de quelques fins de semaine, comme c'est le cas en l'espèce.

Il est peu probable que l'application générale de la disposition créant l'infraction entraîne une peine exagérément disproportionnée équivalant à une peine cruelle et inusitée. L'intimé ne s'est pas acquitté de la charge d'établir l'existence d'une situation hypothétique raisonnable dans laquelle l'application de la loi irait à l'encontre de l'art. 12. Le régime réglementaire consistant à attribuer des points d'inaptitude et à effectuer des contrôles internes garantit que les cas où un "petit contrevenant" se verra infliger la peine minimale prescrite par l'al. 88(1)c) seront extrêmement rares. En séparant l'infraction de conduite durant une interdiction des différentes infractions aboutissant à l'interdiction, la Cour d'appel n'a pas attaché suffisamment d'importance à la gravité de l'infraction ni au seuil relativement élevé à atteindre pour qu'il y ait perpétration de cette infraction.

Le juge en chef Lamer et les juges McLachlin et Stevenson (dissidents): Dans certains cas la peine minimale obligatoire de sept jours d'emprisonnement et d'une amende serait manifestement disproportionnée et choquerait la conscience des Canadiens, de sorte qu'elle constituerait une violation de la garantie de protection contre les peines cruelles et inusitées prévue à l'art. 12 de la Charte. La disposition en cause ne peut, en raison de sa portée excessive, être sauvegardée par l'article premier de la Charte: aucune nécessité évidente ou probable d'une mesure de dissuasion qui s'applique ainsi sans distinction n'a été démontrée.

Plutôt que de procéder au cas par cas pour soustraire des infractions particulières à l'application de l'al. 88(1)c), la Cour devrait supprimer la peine minimale obligatoire. Une analyse qui comporte le retranchement de dispositions potentiellement inconstitutionnelles de l'art. 88 n'apporte pas de réponse à la question soulevée dans le présent pourvoi.

De plus, retrancher de l'art. 88 la mention d'interdictions autres que certains cas prévus à l'art. 86 de la Loi revient en fait à donner à celle‑ci une interprétation atténuée ou à appliquer la théorie de l'exemption constitutionnelle. Aborder l'art. 88 comme s'il ne parlait que des interdictions visées à l'art. 86 c'est traiter d'un régime différent de celui que le législateur a établi. Cela laisserait planer de l'incertitude quant à la constitutionnalité du régime, ce qui va à l'encontre du principe fondamental suivant lequel les lois dont la violation peut entraîner l'emprisonnement doivent être claires, certaines et vérifiables.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Goltz

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Gonthier
Arrêt examiné: R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045
arrêts mentionnés: R. v. Williams (1988), 26 B.C.L.R. (2d) 67
R. v. Konechny (1983), 10 C.C.C. (3d) 233
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Luxton, [1990] 2 R.C.S. 711
R. v. Guiller (1986), 48 C.R. (3d) 226
Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385
R. v. Alston (1985), 36 M.V.R. 67
Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.‑B., [1985] 2 R.C.S. 486
Hundal v. Superintendent of Motor Vehicles (1985), 64 B.C.L.R. 273
Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086
MacKay c. Manitoba, [1989] 2 R.C.S. 357
Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
R. c. Wholesale Travel Inc., [1991] 2 R.C.S. 154
Perka c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 232.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 12.
Correction Act, R.S.B.C. 1979, ch. 70, art. 1, 15, 16, 18, 19, 47.
Loi constitutionnelle de 1982, art. 52.
Miscellaneous Statutes Amendment Act (No. 2), 1981, S.B.C. 1981, ch. 21, art. 55.
Motor Vehicle Act, R.S.B.C. 1979, ch. 288, art. 25, 83, 84, 85, 86(1)a)(ii), 87, 88(1)a), c), 94, 150(1), 214.
Motor Vehicle Act Regulations, B.C. Reg. 26/58, Division 28.
Motor Vehicle Amendment Act, 1982, S.B.C. 1982, ch. 36, art. 19.
Offence Act, R.S.B.C. 1979, ch. 305, art. 77, 122.
Doctrine citée
British Columbia. Motor Vehicle Task Force. Report. Victoria: The Task Force, 1980.
Robertson, Carol. "The Judicial Search for Appropriate Remedies Under the Charter: The Examples of Overbreadth and Vagueness". In Charter Litigation. Edited by Robert J. Sharpe. Toronto: Butterworths, 1987.

Proposition de citation de la décision: R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S. 485 (14 novembre 1991)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1991-11-14;.1991..3.r.c.s..485 ?
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