La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/08/1992 | CANADA | N°[1992]_2_R.C.S._915

Canada | R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 (27 août 1992)


R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Arthur Larry Smith Intimé

Répertorié: R. c. Smith

No du greffe: 22281.

1992: 15 juin; 1992: 27 août.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1990), 11 W.C.B. (2d) 497, qui a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé relativement à une accusation de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rej

eté.

Milan Rupic, pour l'appelante.

D. Fletcher Dawson, pour l'intimé.

Version française du jugement de la Cour ...

R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Arthur Larry Smith Intimé

Répertorié: R. c. Smith

No du greffe: 22281.

1992: 15 juin; 1992: 27 août.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1990), 11 W.C.B. (2d) 497, qui a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé relativement à une accusation de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

Milan Rupic, pour l'appelante.

D. Fletcher Dawson, pour l'intimé.

Version française du jugement de la Cour rendu par

//Le juge en chef Lamer//

Le juge en chef Lamer — La principale question soulevée par ce pourvoi est celle de l'admissibilité de la preuve par ouï‑dire présentée par le ministère public dans un procès pour meurtre, lorsque le déclarant est décédé.

Les faits

L'intimé a été déclaré coupable du meurtre d'Aritha Monalisa King et condamné à l'emprisonnement à perpétuité sans possibilité d'obtenir une libération conditionnelle avant d'avoir purgé treize ans. L'intimé et Mme King étaient tous deux citoyens américains et vivaient habituellement à Detroit. Au procès, il a été prouvé que le 6 août 1986, l'intimé est allé chercher Mme King chez la mère de celle‑ci, à Detroit. Ensemble, ils se sont rendus au Canada en voiture. L'intimé a passé la fin de semaine du 9 au 10 août avec Mme King dans un hôtel, à London (Ontario). Le corps de Mme King a par la suite été découvert vers 1 h 30 le 11 août, près d'une station‑service, à Beechville (Ontario). Il gisait sur un drap qui pouvait provenir de l'hôtel où Mme King et l'intimé avaient passé la nuit. Certaines fibres trouvées sur le drap correspondaient aux fibres des vêtements de l'intimé et de Mme King. Les bras de la victime avaient été coupés et n'ont jamais été retrouvés.

Selon le ministère public, l'intimé était un trafiquant de drogue qui s'était rendu au Canada avec Mme King pour se procurer de la cocaïne. Le ministère public a formulé l'hypothèse selon laquelle l'intimé avait demandé à Mme King de rapporter aux États‑Unis de la cocaïne dissimulée dans son corps, mais cette dernière avait refusé. Selon le ministère public, l'intimé a alors abandonné Mme King à l'hôtel, à London. Toutefois, il est par la suite retourné la chercher et l'a conduite à un endroit où il l'a étranglée, lui a coupé les bras pour empêcher son identification et a abandonné son cadavre.

Pour appuyer cette thèse, le ministère public a invoqué la preuve de quatre appels téléphoniques que la victime avait faits à sa mère, à Detroit, à 22 h 21, à 23 h 21, à 23 h 54 et à 0 h 41, pendant la nuit du 10 au 11 août 1986. Il a été établi que les deux premiers appels avaient été faits depuis la chambre d'hôtel de Mme King, à London. La mère de Mme King a témoigné que, lors du premier appel, sa fille avait dit que Larry (l'intimé) l'avait abandonnée à l'hôtel, à London, et qu'elle voulait qu'on la ramène à la maison. Lors du deuxième appel, Mme King a dit à sa mère que Larry n'était toujours pas de retour. La mère de Mme King a témoigné avoir alors téléphoné, depuis Detroit, à une compagnie de taxis, à London, pour qu'on amène sa fille à la maison. Un taxi est arrivé à l'hôtel, mais le chauffeur a refusé de faire monter Mme King parce que la carte de crédit qu'elle avait utilisée avait été confisquée à l'hôtel.

Il a été établi que le troisième appel avait été fait depuis un téléphone public dans le hall de l'hôtel. La mère de Mme King a témoigné que, lors de cet appel, sa fille lui avait dit que Larry était revenu et qu'en fin de compte elle n'aurait pas besoin qu'on la ramène à la maison. Il a été établi que le quatrième appel provenait d'un téléphone public situé à la station‑service près de laquelle le corps de Mme King a été trouvé. La mère de Mme King a témoigné que, lors de cet appel, sa fille lui avait dit qu'elle [traduction] "s'en venait".

En plus de ces appels, il a été établi qu'un autre appel avait été fait peu de temps après 1 h, le 11 août, depuis un téléphone public situé dans la station‑service près de laquelle le corps de Mme King a par la suite été trouvé. On a établi que cet appel avait été fait à la résidence de l'intimé, à Detroit. Il n'existait aucune preuve directe quant à l'auteur de cet appel téléphonique ou quant à ce qui avait été dit. Toutefois, un témoin qui était à la station‑service a déclaré avoir vu l'intimé près des téléphones publics à peu près à ce moment-là.

Le ministère public a également fait témoigner une certaine Hope Denard, qui s'était rendue de Detroit au Canada avec l'intimé au cours du mois qui avait précédé le meurtre. Madame Denard a témoigné que l'intimé lui avait demandé de passer pour lui des drogues illégales aux États‑Unis et que, devant son refus, il l'avait conduite à Windsor pour l'abandonner dans un restaurant.

L'intimé n'a pas témoigné à son procès, mais il a invoqué comme moyen de défense un alibi corroboré par la déposition de divers témoins qui ont déclaré l'avoir vu à Windsor ou à Detroit au moment du meurtre ou à peu près au même moment. L'avocat de la défense ne s'est pas opposé à ce que la mère de Mme King témoigne au sujet de ce que sa fille lui avait dit lors des trois premiers appels téléphoniques. En fait, la thèse de la défense était apparemment que l'intimé avait réellement abandonné Mme King à l'hôtel, à London, et cette hypothèse était étayée par la preuve de ce que Mme King avait dit à sa mère les deux premières fois qu'elle l'avait appelée. Toutefois, la défense a soutenu qu'après avoir quitté Mme King, l'intimé s'était rendu à Detroit et n'était pas retourné à l'hôtel, et qu'il ne pouvait donc pas avoir été avec elle au moment où elle a été assassinée.

L'intimé a interjeté appel de sa déclaration de culpabilité à la Cour d'appel de l'Ontario, qui a accueilli l'appel et ordonné la tenue d'un nouveau procès. La Cour d'appel a conclu que la preuve de ce que Mme King avait dit à sa mère lors des appels téléphoniques, la nuit du meurtre, constituait du ouï‑dire, et que cette preuve était donc inadmissible à moins d'être visée par quelque exception reconnue à la règle du ouï‑dire. La Cour d'appel a ensuite décidé que la preuve de ce que Mme King avait dit lors des deux premières conversations téléphoniques était admissible en vertu d'une exception à la règle du ouï‑dire, mais uniquement pour établir son état d'esprit au moment où elle avait fait les appels, savoir qu'elle voulait rentrer à la maison. Toutefois, la preuve de ce qui avait été dit lors de la troisième conversation téléphonique n'était pas visée par une exception à la règle du ouï‑dire et n'était donc pas admissible, à quelque fin que ce soit.

La Cour d'appel a conclu que la preuve par ouï‑dire inadmissible avait causé un préjudice si grave à l'intimé qu'elle ne pouvait pas dire que, si cette preuve n'avait pas été admise, le verdict aurait nécessairement été le même. Par conséquent, même si l'avocat de la défense ne s'est pas opposé à la présentation de cette preuve au procès, la Cour d'appel a refusé d'appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, L.R.C. (1985) ch. C‑46, a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé et a ordonné la tenue d'un nouveau procès: (1990), 11 W.C.B. (2d) 497.

Le ministère public a demandé l'autorisation de se pourvoir devant notre Cour en vertu du par. 693(1) du Code criminel, autorisation qui lui a été accordée (le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin) le 9 mai 1991: [1991] 1 R.C.S. xiii.

Les jugements des tribunaux d'instance inférieure

Cour d'appel de l'Ontario

La Cour d'appel de l'Ontario (le juge Brooke à l'avis duquel ont souscrit les juges Houlden et Labrosse) a fait remarquer que la preuve présentée au procès par le ministère public reposait sur deux hypothèses: en premier lieu, celle selon laquelle l'intimé avait abandonné Mme King à l'hôtel, à London, la nuit du 10 août, ce qui pouvait laisser croire qu'ils s'étaient querellés et, en second lieu, celle selon laquelle l'intimé était revenu plus tard cette nuit‑là, ou tôt le lendemain matin, de sorte qu'il était avec Mme King au moment où elle a été assassinée. La preuve par ouï‑dire de ce que Mme King avait dit à sa mère lorsqu'elle lui avait téléphoné la nuit où elle est décédée avait donc une grande importance pour le ministère public.

La Cour d'appel s'est fondée sur la prémisse selon laquelle, en tant que ouï‑dire, toute cette preuve était inadmissible à moins d'être visée par une exception reconnue à la règle du ouï‑dire. Mentionnant les arrêts Mutual Life Insurance Co. c. Hillmon 145 U.S. 285 (1892), et R. c. Moore (1984), 15 C.C.C. (3d) 541 (C.A. Ont.), la Cour d'appel a conclu qu'il existait une exception à la règle du ouï‑dire lorsque les déclarations étaient présentées pour indiquer l'intention ou l'état d'esprit du déclarant au moment où il les avait faites.

Toutefois, la Cour d'appel a rejeté l'argument du ministère public, selon lequel toute la preuve de ce que Mme King avait dit à sa mère au téléphone était visée par cette exception. Citant la décision R. c. P. (R.) (1990), 58 C.C.C. (3d) 334 (H.C. Ont.), la Cour d'appel a fait remarquer que même si la preuve par ouï‑dire pouvait être admissible pour établir l'état d'esprit du déclarant au moment où les déclarations ont été faites, celle‑ci n'était pas admissible pour établir les intentions ou l'état d'esprit de personnes autres que le déclarant, ou pour montrer que ces personnes ont agi conformément aux attentes du déclarant ou, en fait, pour établir l'exactitude des allégations de fait contenues dans les déclarations d'intention du déclarant. La Cour d'appel a donc conclu que la preuve par ouï‑dire concernant les deux premiers appels téléphoniques (Larry m'a quittée; j'ai besoin qu'on me ramène à la maison) était admissible, mais uniquement pour montrer l'état d'esprit de Mme King au moment où elle a téléphoné à sa mère, savoir qu'elle voulait rentrer à la maison. Toutefois, cette preuve n'était pas admissible pour établir l'exactitude de l'allégation de fait selon laquelle l'intimé avait abandonné Mme King. La Cour d'appel a en outre conclu que la preuve par ouï‑dire relative au troisième appel téléphonique (Larry est revenu) n'était pas admissible à quelque fin que ce soit et qu'elle ne pouvait pas être présentée pour établir que l'intimé était par la suite retourné chercher Mme King.

La Cour d'appel a ensuite conclu que la preuve par ouï‑dire inadmissible relative aux conversations téléphoniques avait été d'une importance cruciale pour le ministère public. En particulier, cette preuve avait servi à montrer que l'intimé était avec Mme King vers le moment de son décès, ce qui avait eu pour effet de renforcer une certaine preuve d'identification d'une fiabilité douteuse, selon laquelle l'intimé était à la station‑service près de laquelle le corps de la victime a été trouvé. Concluant donc que la preuve par ouï‑dire inadmissible avait causé un préjudice à l'intimé, la Cour d'appel a jugé qu'on ne pouvait pas dire que le verdict aurait nécessairement été le même si la preuve n'avait pas été admise; par conséquent, elle a refusé d'appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel pour rejeter l'appel malgré l'erreur.

Quant au témoignage de Mme Denard, la Cour d'appel a conclu que les antécédents de l'intimé, en tant que trafiquant de drogue, étaient pertinents, le cas échéant, pour illustrer le contexte dans lequel s'inscrivaient les événements qui s'étaient produits entre le 6 et le 11 août. Toutefois, la preuve n'a été présentée au jury que pour mettre en lumière le mobile du meurtre, de sorte qu'elle n'avait aucune valeur probante. En fait, la cour a conclu que ce problème avait été aggravé par les remarques que le ministère public avait faites dans son exposé final au jury, lesquelles auraient pu être interprétées comme laissant entendre que ce dernier devait conclure que l'intimé était plus susceptible d'avoir commis le meurtre puisqu'il avait la "moralité" d'un trafiquant de drogue.

La Cour d'appel a conclu que les directives du juge du procès au jury étaient insuffisantes pour remédier à cette lacune; elle a donc ordonné la tenue d'un nouveau procès pour ce motif additionnel également.

Moyens d'appel

Le ministère public se pourvoit maintenant devant notre Cour, en vertu du par. 693(1) du Code criminel, contre l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario qui a annulé la déclaration de culpabilité de l'intimé et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Les moyens d'appel sont les suivants:

[traduction]

1.La Cour d'appel de l'Ontario a‑t‑elle commis une erreur de droit en jugeant que la preuve des déclarations de la victime lors des première et deuxième conversations téléphoniques était admissible uniquement pour montrer son état d'esprit, et que la preuve de la déclaration que celle‑ci avait faite lors de la troisième conversation téléphonique constituait du ouï‑dire et était inadmissible à quelque fin que ce soit?

2.La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur de droit en jugeant qu'en l'occurrence la réserve du sous‑al. 686(1)b)(iii) ne s'appliquait pas?

Analyse

1.Preuve par ouï‑dire

Il n'est pas opportun en l'espèce de tenter de définir la "preuve par ouï‑dire" d'une manière exhaustive. Toutefois, pour les fins qui nous occupent, l'énoncé suivant, qui figure dans l'arrêt Subramaniam c. Public Prosecutor, [1956] 1 W.L.R. 965 (C.P.), à la p. 970, est utile pour établir les paramètres du débat:

[traduction] La preuve d'une déclaration faite à un témoin par une personne qui n'est pas elle‑même appelée à témoigner peut être ou ne pas être du ouï‑dire. Cette preuve constitue du ouï‑dire et est inadmissible lorsqu'elle vise à établir la véracité du contenu de la déclaration. Elle ne constitue pas du ouï‑dire et est admissible lorsqu'elle vise à établir non pas que la déclaration est exacte mais qu'elle a été faite. Le fait que la déclaration a été faite, indépendamment de son exactitude, est dans bien des cas pertinent lorsqu'il s'agit d'examiner l'état d'esprit et la conduite ultérieure du témoin ou d'une autre personne en présence de laquelle la déclaration a été faite.

Cette formulation de la "règle du ouï‑dire" illustre bien les circonstances dans lesquelles des déclarations faites par des personnes non appelées à témoigner ont été traditionnellement considérées comme inadmissibles. Quand elles sont présentées pour prouver la véracité de leur contenu, ces déclarations sont généralement considérées comme inadmissibles. Toutefois, lorsqu'elles sont présentées simplement pour prouver qu'elles ont été faites, ces déclarations sont traditionnellement considérées comme admissibles en vertu d'une "exception" à la règle du ouï‑dire, ou encore plus exactement, d'un point de vue analytique, parce qu'elles ne correspondent pas à la définition du ouï‑dire. Ce qui importe c'est que les dangers en matière de preuve traditionnellement associés aux déclarations faites par des personnes non appelées à témoigner, particulièrement l'impossibilité de contre‑interroger le déclarant, soient absents ou qu'ils soient présents à un degré beaucoup moindre, lorsque la seule pertinence de ces déclarations réside dans le fait qu'elles ont été faites.

Il est donc évident, suivant la conception traditionnelle du ouï‑dire, que les déclarations que Mme King a faites à sa mère la nuit de son décès — (1) [traduction] "Larry est parti", (2) "Larry n'est pas revenu et j'ai besoin qu'on me ramène à la maison", (3) "Larry est revenu et je n'ai plus besoin qu'on me ramène", et (4) "Je m'en viens" — constituent une preuve par ouï‑dire et sont inadmissibles si elles sont présentées pour prouver la véracité des affirmations qu'elles contiennent. Cependant, comme je l'ai déjà souligné, ces déclarations ne constituent pas du ouï‑dire si elles sont présentées simplement pour prouver qu'elles ont été faites. Le fait que la déclaration a été faite devrait cependant être lui-même pertinent pour que la déclaration soit reçue pour ce motif.

Une exception à la règle du ouï‑dire s'applique lorsque la déclaration du déclarant est présentée pour démontrer ses intentions ou son état d'esprit au moment où il l'a faite. L'exception dite des "intentions existantes" a été établie par la Cour suprême des États‑Unis dans l'arrêt Mutual Life Insurance Co. c. Hillmon, précité. Dans cette affaire, la compagnie d'assurances appelante avait refusé de verser une somme en vertu d'une police d'assurance sur la vie du mari de l'intimée, en soutenant qu'on avait comploté afin de faire croire que ce dernier était mort, et que le corps qui avait été découvert était en fait celui d'un tiers. Ce tiers avait écrit à sa famille une lettre dans laquelle il indiquait son intention de voyager avec le mari de l'intimée. Il avait été impossible de trouver la lettre, mais un témoin était prêt à déposer au sujet de son contenu. Il s'agissait donc de savoir si la preuve du contenu de la lettre était recevable. Le juge Gray, s'exprimant au nom de la cour, a conclu que le témoignage concernant le contenu de la lettre, bien qu'il constitue en théorie du ouï‑dire, était admissible à la fois pour établir l'intention du tiers de voyager avec le mari de l'intimée et pour étayer la conclusion qu'il avait donné suite à son intention.

Il semblerait qu'on a accepté au moins l'exception de l'"état d'esprit" à la règle du ouï‑dire dans la common law anglaise en matière de preuve. Il semble que, lorsque les intentions ou l'état d'esprit du déclarant sont pertinents relativement à un fait litigieux, la preuve par ouï‑dire est admissible et peut, en fait, constituer la meilleure preuve en la matière. Dans l'arrêt R. c. Blastland, [1986] A.C. 41 (H.L.), lord Bridge of Harwick affirme, à la p. 54:

[traduction] Il est bien sûr élémentaire que les déclarations faites à un témoin par un tiers ne sont pas exclues par la règle du ouï‑dire lorsqu'elles sont soumises en preuve uniquement pour établir l'état d'esprit du déclarant ou de la personne à qui la déclaration a été faite. Ce qu'une personne a dit ou entendu dire peut bien être la preuve la meilleure et la plus directe de l'état d'esprit de cette personne. Toutefois, ce principe ne peut s'appliquer que lorsque l'état d'esprit manifesté par la déclaration est en soi directement en cause au procès ou qu'il se rapporte d'une manière directe et immédiate à une question qui se pose au procès.

Cependant, la formulation, qu'on trouve dans l'arrêt Hillmon, de l'exception des "intentions existantes", qui permet de faire des déductions au sujet des actes subséquents du déclarant, ne paraît pas avoir été acceptée en droit anglais. Voir R. c. Kearley, [1992] 2 All E.R. 345 (H.L.).

L'exception des "intentions existantes" ou de l'"état d'esprit" à la règle du ouï‑dire a également été reconnue en droit canadien de la preuve: R. c. Wysochan (1930), 54 C.C.C. 172 (C.A. Sask.): les déclarations faites par un mourant ont été jugées admissibles pour établir les circonstances de sa mort; Home c. Corbeil, [1955] 4 D.L.R. 750 (H.C. Ont.): il a été jugé que les déclarations d'un ex‑mari sont pertinentes lorsqu'il s'agit d'établir son intention de reprendre la vie commune avec sa femme, et, par conséquent, l'intérêt financier qu'a cette dernière à ce que son mari reste en vie. Plus récemment, dans la décision R. c. P. (R.), précitée, le juge Doherty a résumé la jurisprudence et souligné l'étendue de l'exception et ses limites, aux pp. 343 et 344, lorsqu'il a dit:

[traduction] Une déclaration montrant qu'une personne décédée avait une certaine intention ou un certain dessein contribue à prouver que cette dernière a donné suite à cette intention ou à ce dessein explicite lorsqu'il est raisonnable de déduire qu'elle l'a fait. Le caractère raisonnable de la déduction est fonction d'un certain nombre de variables, dont la nature du dessein énoncé dans la déclaration et le délai qui s'est écoulé entre le moment où la déclaration a été faite et la réalisation projetée du dessein.

Les règles de preuve établies jusqu'à ce jour n'excluent pas la preuve des déclarations d'une personne décédée qui révèlent son état d'esprit, mais paraissent plutôt prévoir expressément leur admission lorsque cela est utile. Toutefois, la preuve n'est pas admissible pour montrer l'état d'esprit de personnes autres que la personne décédée (à moins que celles‑ci n'aient été au courant des déclarations) ou pour établir que des personnes autres que la personne décédée ont donné suite aux intentions explicites de cette dernière, sauf peut‑être dans le cas d'un acte que la personne décédée et une autre personne ont accompli ensemble. La preuve n'est pas non plus admissible pour établir que les actes ou événements mentionnés dans les déclarations se sont produits. [Je souligne.]

Compte tenu de cela, il est possible d'évaluer le premier argument de l'appelante selon lequel la preuve par ouï‑dire concernant les déclarations faites par Mme King au cours de conversations téléphoniques, la nuit du meurtre, était admissible en vertu de l'exception des "intentions existantes" ou de l'"état d'esprit" à la règle du ouï‑dire. En toute déférence, j'estime que la première déclaration ("Larry m'a quittée") et la deuxième ("Larry n'est pas revenu et j'ai besoin qu'on me ramène") ne sont pas admissibles en vertu de l'exception des "intentions existantes" ou, plus précisément, qu'elles ne sont certainement pas admissibles, en vertu de cette exception, pour établir l'exactitude de l'allégation de fait selon laquelle l'intimé avait abandonné Mme King à l'hôtel, à London, la nuit où cette dernière est décédée. Conclure autrement reviendrait à admettre les déclarations pour prouver [traduction] "que les actes ou événements mentionnés dans les déclarations se sont produits". Par conséquent, l'exception des "intentions existantes" à la règle du ouï‑dire, qu'invoque l'appelante, permettrait tout au plus d'admettre les deux premières déclarations en preuve afin d'établir que la victime voulait retourner chez elle.

À mon avis, la troisième déclaration ("Larry est revenu") n'aurait pas été admissible, à quelque fin que ce soit, en vertu de l'exception des intentions existantes à la règle du ouï‑dire. L'appelante a soutenu que la déclaration "Larry est revenu" était admissible pour montrer que Mme King avait l'intention de poursuivre son voyage avec l'intimé. En toute déférence, cela présuppose que l'allégation de fait antérieure, savoir que l'intimé était effectivement retourné à l'hôtel, était exacte. Selon l'exception des "intentions existantes", la preuve par ouï‑dire n'est pas admissible à cette fin. Par conséquent, je conclus que l'exception des "intentions existantes" à la règle du ouï‑dire n'aurait pas justifié l'admission de la troisième déclaration à la seule fin à laquelle le ministère public voulait la présenter. Vu que le ministère public n'a pas interjeté appel sur la question de l'admissibilité du contenu du quatrième appel téléphonique ("Je m'en viens"), il ne m'est pas nécessaire de l'examiner. Ici encore, cela équivaudrait à tirer d'une déclaration relatée une conclusion qui va au‑delà de ce qui peut être justifié en vertu de l'exception des "intentions existantes" à la règle du ouï‑dire. Je conclus donc qu'en ce qui concerne l'application de l'exception des "intentions existantes" ou de l'"état d'esprit" à la règle du ouï‑dire, la Cour d'appel n'a pas commis d'erreur.

Toutefois, cela ne porte pas un coup fatal à la preuve de l'appelante. Notre Cour n'a pas adopté le point de vue selon lequel la règle du ouï‑dire empêche de recevoir une preuve par ouï‑dire à moins qu'elle ne relève de certaines catégories établies d'exceptions, comme celle des "intentions existantes" ou de l'"état d'esprit". En fait, dans notre arrêt récent R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531, nous avons indiqué que le fait de s'en tenir à des catégories rigides d'exceptions à la règle du ouï‑dire risque de miner, plutôt que de favoriser, la politique qui consiste à éviter les faiblesses de certains types d'éléments de preuve que la règle du ouï‑dire visait initialement à éviter.

On reconnaît depuis longtemps que les principes qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire sont les mêmes que ceux qui en sous‑tendent les exceptions. En fait, l'ouvrage Wigmore on Evidence (2e éd. 1923), vol. III, décrit ainsi la règle et ses exceptions, à son § 1420:

[traduction] L'objet et la raison d'être de la règle du ouï‑dire sont la clé de ses exceptions. La règle du ouï‑dire repose sur la théorie [. . .] que c'est l'épreuve du contre‑interrogatoire qui peut le mieux révéler et dévoiler, le cas échéant, les nombreuses sources possibles d'inexactitude et de manque de fiabilité que peut receler la simple déclaration non vérifiée d'un témoin. Mais, dans une situation donnée, cette épreuve ou cette garantie peut être superflue; il peut être suffisamment clair, dans ce cas, que la déclaration ne comporte aucun risque d'inexactitude ou de manque de fiabilité, de sorte que le contre‑interrogatoire serait un exercice surérogatoire. De plus, cette épreuve peut être impossible à faire subir en raison, par exemple, du décès du déclarant, de sorte que, si on doit utiliser son témoignage, il faut l'accepter sans qu'il soit vérifié. Ces deux considérations, savoir une garantie circonstancielle de fiabilité et la nécessité de la preuve, peuvent être examinées de plus près . . .

Au sujet du critère de la nécessité, Wigmore affirme:

[traduction] Lorsque l'épreuve du contre‑interrogatoire est impossible à faire subir en raison du décès du déclarant ou d'une autre cause qui le rend incapable de témoigner, nous avons le choix de recevoir ses déclarations sans procéder à ce contre‑interrogatoire ou de ne pas utiliser ce qu'il sait. Alors se pose la question de savoir laquelle de ces deux possibilités nuirait le plus à la recherche de la vérité. [. . .] [I]l est au moins clair que, dans la mesure où, dans une situation donnée, on constate qu'il existait un certain substitut au contre‑interrogatoire, il y a lieu de faire exception. [En italique dans l'original.]

Et au sujet du principe connexe de la fiabilité, la garantie circonstancielle de fiabilité, il dit:

[traduction] Dans de nombreux cas, on peut facilement voir qu'une telle épreuve requise [c.‑à‑d. le contre‑interrogatoire] ajouterait peu comme garantie parce que ses objets ont en grande partie déjà été atteints. Si une déclaration a été faite dans des circonstances où même un sceptique prudent la considérerait comme très probablement fiable (en temps normal), il serait pédant d'insister sur une épreuve dont l'objet principal est déjà atteint.

Par conséquent, bien avant l'arrêt Khan de notre Cour, il était entendu que les circonstances dans lesquelles le déclarant fait une déclaration peuvent être telles qu'elles garantissent sa fiabilité, indépendamment de la possibilité de contre‑interroger. Le mot "garantie" qui figure dans l'expression "garantie circonstancielle de fiabilité" n'exige pas qu'on établisse la fiabilité de manière absolument certaine. Il laisse plutôt entendre que, lorsque les circonstances ne sont pas de nature à soulever les craintes traditionnellement associées à la preuve par ouï‑dire, cette preuve devrait être admissible même si le contre‑interrogatoire est impossible. Selon Wigmore, même s'il n'était pas possible de généraliser en ce qui concerne tous les cas où d'autres circonstances fourniraient un substitut pratique à l'épreuve du contre‑interrogatoire, on pouvait identifier certaines catégories générales:

[traduction] §1422 [. . .] Bien que les tribunaux n'aient pas généralisé, ils ont fait suffisamment d'affirmations pour qu'on puisse dégager les catégories suivantes de motifs d'exception:

a. Lorsque les circonstances sont telles qu'il serait naturel de faire une déclaration sincère et exacte et de ne former aucun projet de falsification;

b. Lorsque, même s'il pourrait exister une volonté de falsifier, d'autres considérations, comme le danger d'être découvert facilement ou la crainte d'être puni, en neutraliseraient probablement la force;

c. Lorsque la déclaration a été faite dans des conditions de publicité telles qu'une erreur, s'il y en avait eu, aurait probablement été décelée et corrigée.

Les commentateurs de la common law en matière de preuve comprenaient donc, au début du siècle, que la règle du ouï‑dire et ses exceptions étaient fondées sur des principes. L'arrêt Khan de notre Cour doit donc être perçu comme le triomphe d'une analyse fondée sur des principes sur un ensemble de catégories sclérosées conçues par les tribunaux. L'arrêt Khan portait sur une affaire d'agression sexuelle dans laquelle la plaignante, qui était une enfant en bas âge, avait décrit l'acte criminel à sa mère peu de temps après sa perpétration. On n'a pas permis à l'enfant de témoigner au procès et il s'agissait de déterminer si sa mère serait autorisée à témoigner au sujet des déclarations que l'enfant lui avait faites peu de temps après l'événement. Le juge McLachlin, s'exprimant au nom de la Cour, a conclu, à la p. 540, que la preuve par ouï‑dire des déclarations de l'enfant aurait dû être admise au procès et a rejeté la conception de la preuve par ouï‑dire fondée sur des catégories d'exceptions à une interdiction rigoureuse:

Traditionnellement, la règle du ouï‑dire a été considérée comme absolue, sous réserve de diverses catégories d'exceptions comme les aveux, les déclarations de mourants, les déclarations contre intérêt et les déclarations spontanées. Bien que cette attitude ait procuré un certain degré de certitude à la règle en matière de ouï‑dire, elle s'est souvent avérée trop rigide devant de nouvelles situations et de nouvelles exigences du droit. Au cours des dernières années, les tribunaux ont donc parfois adopté une attitude plus souple, fondée sur les principes qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire, plutôt que sur les restrictions des exceptions traditionnelles.

Le juge McLachlin a ajouté que même si, en Angleterre, la Chambre des lords avait décidé, dans l'arrêt Myers c. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001, que la création d'exceptions additionnelles à la règle du ouï‑dire exigeait l'intervention du législateur, notre Cour, dans l'arrêt Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608, a refusé de suivre l'avis exprimé par la majorité dans l'arrêt Myers, préférant plutôt souscrire à l'opinion exprimée en dissidence par lord Donovan, à la p. 1047, savoir que [traduction] "[c]e sont les juges qui façonnent la common law et il est toujours de leur compétence de l'adapter à l'occasion de manière à ce qu'elle serve les intérêts de ceux qu'elle lie". Après avoir conclu qu'il est loisible aux tribunaux de créer de nouvelles exceptions à la règle du ouï‑dire en se fondant sur des principes, le juge McLachlin a affirmé que les principes qui devraient régir la création de ces exceptions et l'admission de la preuve étaient la "nécessité" de cette preuve pour établir un fait litigieux et sa "fiabilité" (aux pp. 546 et 547):

La première question devrait être de savoir si la réception de la déclaration relatée est nécessaire. À ces fins, la nécessité doit être interprétée dans le sens de [traduction] "raisonnablement nécessaire". L'inadmissibilité du témoignage de l'enfant pourrait être une raison de conclure à l'existence de la nécessité. Mais une preuve solide fondée sur des évaluations psychologiques que le témoignage devant le tribunal pourrait être traumatisant pour l'enfant ou lui porter préjudice pourrait également être utile. Il peut y avoir d'autres exemples de circonstances qui pourraient établir l'exigence de la nécessité.

La question suivante devrait porter sur la fiabilité du témoignage. Plusieurs considérations comme le moment où la déclaration est faite, le comportement, la personnalité de l'enfant, son intelligence et sa compréhension des choses et l'absence de toute raison de croire que la déclaration est le produit de l'imagination peuvent être pertinentes à l'égard de la question de la fiabilité. [Je souligne].

La grande ressemblance du critère identifié par le juge McLachlin dans l'arrêt Khan avec le principe de la nécessité et la garantie circonstancielle de fiabilité mentionnés par Wigmore, n'est pas fortuite. De toute évidence, les faits de l'affaire Khan ne sont pas semblables à ceux du présent pourvoi. L'arrêt Khan portait sur la preuve par ouï‑dire des déclarations faites par une enfant, qui aurait été victime d'agression sexuelle et qui n'a pas été jugée suffisamment mûre pour être habile à témoigner. En l'espèce, la déclarante aurait été habile à témoigner si elle avait pu témoigner, mais elle est décédée. Cependant, l'arrêt Khan doit être considéré non pas comme un cas d'espèce, mais plutôt comme une expression particulière des principes fondamentaux qui sous‑tendent la règle du ouï‑dire et ses exceptions. Ce qui importe, à mon avis, c'est que l'arrêt Khan s'est écarté d'une conception de la preuve par ouï‑dire caractérisée par une interdiction générale de la réception d'une telle preuve, sous réserve d'un nombre restreint de catégories d'exceptions définies, et qu'il représente une évolution vers une conception régie par les principes qui sous‑tendent la règle ainsi que ses exceptions. L'évolution vers une conception souple est motivée par le fait qu'on s'est rendu compte qu'en règle générale la preuve qui est fiable ne devrait pas être exclue simplement parce qu'elle ne peut être vérifiée au moyen d'un contre‑interrogatoire. La détermination préliminaire de la fiabilité doit être faite exclusivement par le juge des faits avant l'admission de la preuve.

L'arrêt Khan de notre Cour a donc annoncé la fin de l'ancienne conception, fondée sur des catégories d'exceptions, de l'admission de la preuve par ouï‑dire. L'admission de la preuve par ouï‑dire est désormais fondée sur des principes, dont les principaux sont la fiabilité de la preuve et sa nécessité. Quelques précisions sur ces critères s'imposent.

Le critère de la "fiabilité" — ou, suivant la terminologie employée par Wigmore, la garantie circonstancielle de fiabilité — dépend des circonstances dans lesquelles la déclaration en question a été faite. Si une déclaration qu'on veut présenter par voie de preuve par ouï‑dire a été faite dans des circonstances qui écartent considérablement la possibilité que le déclarant ait menti ou commis une erreur, on peut dire que la preuve est "fiable", c'est‑à‑dire qu'il y a une garantie circonstancielle de fiabilité. C'est sur ce fondement qu'on a conclu à la fiabilité du témoignage de l'enfant en bas âge dans l'affaire Khan.

Le critère connexe de la "nécessité" renvoie à la nécessité de la preuve par ouï‑dire pour établir un fait litigieux. Ainsi, le juge du procès dans l'affaire Khan a conclu que l'enfant en bas âge n'était pas habile à témoigner. En ce sens, la preuve par ouï‑dire de ses déclarations était nécessaire parce qu'elle ne pouvait pas elle‑même présenter les déclarations qu'elle avait faites à sa mère. C'est son inhabilité à témoigner qui régissait la situation.

Le critère de la nécessité n'a cependant pas le sens de "nécessaire à la preuve de la poursuite". Si c'était le cas, la preuve par ouï‑dire non corroborée qui satisfait au critère de la fiabilité serait admissible si elle n'était pas corroborée, mais pourrait ne plus être "nécessaire" à la preuve de la poursuite si elle était corroborée par une autre preuve indépendante. Pareille interprétation du critère de la "nécessité" aurait donc pour résultat illogique que la preuve par ouï‑dire non corroborée serait admissible, mais deviendrait inadmissible si elle était corroborée. Telle n'était pas l'intention de l'arrêt Khan de notre Cour.

Comme je l'ai déjà dit, il faut donner au critère de la nécessité une définition souple, susceptible d'englober différentes situations. Ces situations auront comme point commun que, pour différentes raisons, la preuve directe pertinente n'est pas disponible. Un certain nombre de situations peuvent engendrer pareille nécessité. Sans tenter de faire une énumération exhaustive, Wigmore propose les catégories suivantes au §1421:

[traduction] (1) Il se peut que l'auteur de la déclaration présentée soit maintenant décédé, hors du ressort, aliéné ou, pour quelque autre motif, non disponible aux fins de la vérification [par contre‑interrogatoire]. C'est la raison la plus courante et la plus évidente . . .

(2) La déclaration peut être telle qu'on ne peut pas, de nouveau ou à ce moment‑ci, obtenir des mêmes ou d'autres sources une preuve de même valeur. [. . .] La nécessité n'est pas aussi grande; il s'agit peut‑être à peine d'une nécessité; on peut supposer qu'il s'agit d'une simple commodité. Mais le principe demeure le même.

Il est évident que les catégories de nécessité ne sont pas limitées. Dans l'arrêt Khan, par exemple, notre Cour a reconnu la nécessité de recevoir la preuve par ouï‑dire des déclarations d'une enfant qui n'était pas elle‑même habile à témoigner. Nous avons également dit que cette preuve par ouï‑dire pourrait devenir nécessaire lorsque l'obligation de témoigner de vive voix causerait un traumatisme important à l'enfant. La question de savoir s'il y a une nécessité de ce genre est une question de droit qui doit être tranchée par le juge du procès.

Il est maintenant nécessaire d'appliquer ces principes à la preuve dont il est question en l'espèce. À mon avis, la preuve par ouï‑dire de ce que Mme King a dit à sa mère au cours des deux premières conversations téléphoniques, la nuit où elle a été assassinée, satisfait aux critères de nécessité et de fiabilité que notre Cour a énoncés dans l'arrêt Khan. À mon avis, les mêmes principes s'appliquent à cette preuve. Madame King est décédée et ne sera jamais en mesure de témoigner au sujet de ce qui est arrivé au cours de la nuit du 10 au 11 août 1986. La preuve directe pertinente n'est donc pas disponible. Le témoignage de la mère de Mme King quant à ce que sa fille lui a dit au téléphone cette nuit‑là était clairement nécessaire, en ce sens qu'il n'y avait aucune possibilité que la preuve de ce qui a été dit soit présentée par la déclarante.

De plus, il n'y a aucune raison de douter de la véracité de ce qu'a dit Mme King au cours des deux premières conversations téléphoniques. Elle n'avait aucune raison connue de mentir. À mon avis, le jury pouvait raisonnablement s'appuyer sur la preuve par ouï‑dire relative aux deux premières conversations téléphoniques entre Mme King et sa mère, étant donné que les dangers traditionnellement associés à la preuve par ouï‑dire, savoir les problèmes de perception, de mémoire et de crédibilité, étaient dans une large mesure inexistants.

À mon avis, il ne serait ni sensé ni juste de priver le jury de cet élément de preuve fort pertinent en raison d'une règle mystérieuse qui interdit le ouï‑dire et qui est fondée sur un manque de confiance en la capacité du juge des faits d'apprécier comme il se doit la preuve d'une déclaration faite dans des circonstances qui ne soulèvent aucune crainte quant à sa fiabilité, simplement parce que le déclarant ne peut pas être contre‑interrogé. Lorsque les critères de nécessité et de fiabilité sont respectés, l'absence de vérification par contre‑interrogatoire touche à la valeur probante et non à l'admissibilité, et un jury ayant reçu une mise en garde appropriée devrait être en mesure d'apprécier la preuve sur ce fondement.

J'arrive toutefois à une conclusion différente quant au contenu de la troisième conversation téléphonique ("Larry est revenu et je n'ai plus besoin qu'on me ramène"). Comme dans le cas des deux premières conversations téléphoniques, la non‑disponibilité de la déclarante comme témoin satisfait au critère de la nécessité, mais, à mon avis, les conditions dans lesquelles la déclaration a été faite ne fournissent pas la garantie circonstancielle de fiabilité qui justifierait son admission sans possibilité de contre‑interroger. La preuve ne me permet pas de dire que je ne crains pas que Mme King ait pu se tromper, ou même qu'elle ait pu vouloir tromper sa mère sur ce point.

La preuve soumise au procès révèle qu'après le deuxième appel téléphonique à sa mère, on a vu Mme King quitter l'hôtel et monter dans un taxi que sa mère avait appelé pour aller la chercher. Elle a tenté de négocier un prix pour se rendre à Detroit, mais le chauffeur a refusé de l'y conduire parce qu'elle n'avait plus de carte de crédit à ce moment‑là. On l'a alors vue descendre du taxi et se rendre immédiatement à la cabine téléphonique d'où elle a fait le troisième appel téléphonique. Il n'est donc pas déraisonnable de se demander si elle a réellement eu le temps de constater le retour de l'intimé. Il est à tout le moins possible qu'elle se soit trompée et qu'elle ait vu une voiture qui ressemblait à celle de l'intimé. Quoi qu'il en soit, il est quelque peu étrange qu'elle ait affirmé "Larry est revenu et je n'ai plus besoin qu'on me ramène" avant d'avoir parlé à l'intimé pour vérifier s'il comptait lui permettre de continuer à voyager avec lui.

À mon avis, il est très révélateur qu'on ait proposé, au cours des conversations téléphoniques antérieures, qu'un certain Philip aille chercher Mme King et la ramène à Detroit. Elle était fortement opposée à cette proposition et, suivant certains éléments de preuve, Philip l'avait déjà agressée. Ayant à choisir entre, d'une part, retourner à la maison avec une personne qu'elle détestait beaucoup apparemment et qui très vraisemblablement l'effrayait, et, d'autre part, dire à sa mère que Larry la ramènerait à la maison, Mme King a bien pu préférer la dernière solution.

Il faut se rappeler en outre, en toute déférence, que Mme King voyageait sous un nom d'emprunt et utilisait une carte de crédit qu'elle savait volée ou contrefaite. Elle était donc à tout le moins capable de tromper. Elle a pu décider de mentir à sa mère pour cacher un aspect de ses activités ou de sa situation, ou, encore, simplement pour dissiper les craintes de sa mère.

Je tiens à souligner que je n'affirme pas que ces hypothèses sont des reconstitutions exactes de ce qui s'est passé la nuit du meurtre de Mme King. Je les formule à seule fin de montrer que les circonstances dans lesquelles Mme King a fait le troisième appel téléphonique à sa mère ne sont pas de nature à fournir la garantie circonstancielle de fiabilité qui justifierait l'admission de son contenu par voie de preuve par ouï‑dire sans possibilité de contre‑interroger. En fait, on peut dire au mieux que la preuve par ouï‑dire du troisième appel téléphonique est aussi compatible avec l'exactitude des déclarations de Mme King qu'avec un certain nombre d'autres hypothèses. Je ne suis pas en mesure de dire qu'on n'aurait pas pu raisonnablement s'attendre à ce que cette preuve change sensiblement si Mme King avait pu témoigner en personne et être contre‑interrogée. Je conclus donc que la preuve par ouï‑dire du contenu de la troisième conversation téléphonique ne satisfaisait pas au critère de fiabilité formulé dans l'arrêt Khan et qu'elle n'est donc pas admissible sur ce fondement.

En conclusion, comme notre Cour l'a clairement fait comprendre dans les arrêts Ares c. Venner et R. c. Khan, précités, il ne convient plus d'adopter la méthode qui consiste à exclure la preuve par ouï‑dire, même lorsqu'elle a une forte valeur probante, de crainte que le juge des faits ne comprenne pas comment l'apprécier. À mon avis, la preuve par ouï‑dire des déclarations faites par des personnes non disponibles pour témoigner au procès devrait généralement être admissible, lorsque les circonstances dans lesquelles les déclarations ont été faites satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité énoncés dans l'arrêt Khan, et sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel que possède le juge du procès d'exclure la preuve lorsque sa valeur probante est faible et que l'accusé pourrait subir un préjudice indu. Le jury, à qui le juge du procès a fait la mise en garde appropriée, est parfaitement en mesure de déterminer le poids qu'il faut accorder à cette preuve et d'en tirer des conclusions raisonnables.

En définitive, je conclus que la preuve par ouï‑dire de ce que Mme King a dit à sa mère lors des deux premiers appels téléphoniques satisfaisait aux critères de nécessité et de fiabilité formulés dans l'arrêt Khan et était admissible sur ce fondement. Bien que le contenu du troisième appel téléphonique satisfasse lui aussi au critère de nécessité, les événements entourant cet appel sont insuffisants pour fournir la garantie circonstancielle de fiabilité qui justifierait son admission sans contre‑interrogatoire. Le ministère public n'a pas interjeté appel concernant la quatrième conversation téléphonique et je ne fais donc aucun commentaire quant à l'admissibilité de la preuve par ouï‑dire de son contenu, si ce n'est que, dans l'éventualité d'un nouveau procès, elle sera régie par les mêmes principes.

(2)Autres moyens d'appel

Il faut, à mon avis, confirmer l'ordonnance de nouveau procès en raison d'au moins un des deux moyens d'appel supplémentaires soulevés par l'intimé et en raison de la conclusion que j'ai tirée plus haut au sujet de la preuve par ouï‑dire du troisième appel téléphonique qui a été reçue au procès.

a) Le témoignage de Hope Denard

Comme je l'ai déjà mentionné, le ministère public a fait témoigner Hope Denard qui a déclaré que, pendant le mois qui avait précédé le meurtre, elle s'était rendue au Canada avec l'intimé. Pendant ce voyage, l'intimé l'a apparemment abandonnée dans un restaurant après qu'elle eut refusé de l'aider à faire passer des drogues illégales du Canada à Detroit. Dans ses observations finales au jury, le substitut du procureur général a déclaré ceci:

[traduction] À mon avis, l'accusé allait utiliser Aritha King [la défunte], comme il avait utilisé Hope Denard, pour faire passer un paquet de cocaïne du Canada aux États‑Unis. Le style de vie de cet accusé est important en l'espèce. Nous parlons de meurtre. Nous parlons d'un meurtre crapuleux et d'une mutilation.

L'intimé a soutenu que le témoignage de Hope Denard n'avait rien à voir avec le mobile du crime et avait uniquement pour effet de laisser entendre au jury qu'une personne ayant le "style de vie" ou la "moralité" de l'intimé était plus susceptible de commettre un meurtre de ce genre. Par contre, l'appelante soutient que cet élément de preuve est fort pertinent pour établir le "contexte" dans lequel le crime a été commis, puisqu'il indique une raison pour laquelle Mme King pourrait s'être rendue de Detroit au Canada avec l'intimé.

Dans ses directives au jury, le juge du procès a fait la mise en garde suivante au sujet du témoignage de Hope Denard:

[traduction] Membres du jury, vous avez entendu le témoignage dans lequel on a décrit M. Smith comme une personne dont les activités et la conduite ne sont peut‑être pas entièrement acceptables à vos yeux et qui se livre peut‑être à des activités illégales. Mentionnons le fait reconnu qu'il s'occupait de filles et de drogues, etc. Membres du jury, je tiens à vous avertir que le fait qu'il s'est occupé de drogues, etc., ne justifie pas une déclaration de culpabilité de meurtre. Cet homme subit un procès pour meurtre. Il ne subit pas un procès pour quelque autre activité. Pareille conduite ne peut en aucun cas influer sur le verdict que vous rendrez à l'égard de l'accusation de meurtre. Je ne puis vous demander de faire totalement abstraction de cette conduite étant donné qu'elle fait partie de la thèse du ministère public. Vous vous rappellerez les mentions de Menard (sic) par le ministère public, etc. Par conséquent, sa conduite ne doit être considérée qu'avec tous les autres éléments de preuve pour déterminer s'il a bel et bien tué Mme King, comme le laisse entendre la thèse du ministère public. Le fait que l'accusé s'occupait de filles ou de drogues ne veut pas dire qu'il pouvait tuer ni qu'il a tué quelqu'un. Comme je le dis, vous ne devez en tenir compte qu'avec tous les autres éléments de preuve relatifs au meurtre et uniquement dans la mesure où cela fait partie de la thèse du ministère public. Comme je l'ai dit, et je le répète, il n'est pas jugé pour s'être occupé de drogues ou de filles. Il est jugé pour meurtre.

À mon avis, le témoignage de Hope Denard était inadmissible parce qu'il n'avait rien à voir avec l'accusation de meurtre portée contre l'intimé. Il s'agissait d'une preuve concernant la moralité et on laissait entendre qu'une personne qui avait la "moralité" d'un trafiquant de drogue était plus susceptible d'avoir commis ce meurtre. À mon avis, cette preuve n'est pas admissible pour établir que l'intimé a commis le meurtre.

Dans l'arrêt Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709, l'appelant était accusé d'avoir importé un stupéfiant au Canada. Le juge du procès a refusé d'admettre en preuve certains objets saisis chez l'appelant, notamment un texte manuscrit où l'on vantait les mérites de la marihuana, une balance métrique, des pincettes et trois pipes. L'appelant a été acquitté et la Cour d'appel a ordonné un nouveau procès. Un pourvoi a été formé devant notre Cour qui a décidé que les objets en question n'étaient pertinents que pour montrer que l'appelant avait utilisé de la marihuana et, par conséquent, que ceux‑ci n'avaient aucune valeur probante en ce qui concernait l'accusation précise d'importation de stupéfiant. Le juge Pratte affirme, au nom de la Cour à la majorité, aux pp. 730 et 731:

La règle générale en matière d'admissibilité de preuve est que celle‑ci doit être pertinente. . .

Pour qu'un fait soit pertinent à un autre, il faut qu'il existe entre les deux un lien ou une connexité qui permette d'inférer l'existence de l'un à raison de l'existence de l'autre. Un fait n'est pas pertinent à un autre s'il n'a pas par rapport à celui‑ci une valeur probante véritable . . .

Ainsi, sauf certaines exceptions qui n'ont pas d'application ici, une preuve n'est pas admissible si son seul objet est de prouver que l'accusé est le type d'homme qui est plus susceptible qu'un autre de commettre un crime du genre de celui dont il est accusé; l'on dit que telle preuve n'a pas de valeur probante véritable par rapport au crime spécifique qui est reproché à l'accusé: il n'y a pas entre l'un et l'autre de lien suffisamment logique.

Puis, à la p. 734, le juge Pratte applique ce principe à l'affaire dont il est saisi:

La question qu'il faut résoudre dans l'espèce est donc celle de savoir si le fait que l'accusé soit un usager de marihuana permet logiquement d'inférer qu'il savait ou aurait dû savoir que le vaisselier contenait un stupéfiant au moment de son importation. Pour moi, il n'y a aucun lien ni connexité entre l'un et l'autre de ces deux faits. L'usage par l'accusé de la marihuana établit certes qu'il connaît ce stupéfiant, qu'il est en mesure de l'identifier, mais cela n'a aucune valeur probante par rapport à la connaissance coupable qui doit être prouvée par la poursuite. La preuve que veut faire la poursuite ne peut avoir qu'un effet: faire naître des soupçons contre l'accusé pour la seule raison qu'un usager de la marihuana est plus susceptible d'en importer illégalement que celui qui ne fait pas usage de ce stupéfiant. C'est précisément là, à mon point de vue, le genre de preuve qui ne peut être admis.

En toute déférence, je suis d'avis que le raisonnement de la majorité dans l'arrêt Cloutier s'applique en l'espèce. La preuve des activités antérieures de l'intimé relativement à des drogues illégales ne pouvait avoir qu'un seul effet: susciter des soupçons contre lui pour l'unique raison qu'une personne qui fait la contrebande de drogues est plus susceptible de commettre un meurtre qu'une personne qui ne se livre pas à ce genre d'activité. À mon avis, il n'existait pas de lien suffisant entre les activités alléguées de contrebande de drogues de l'intimé et la question fondamentale qui se posait à son procès, celle de savoir s'il avait tué Aritha King. Par conséquent, cet élément de preuve n'aurait pas dû être admis.

Toutefois, le témoignage de Hope Denard a été admis et son effet sur le jury a pu être fort préjudiciable. J'estime, en outre, que la mise en garde que le juge du procès a faite au jury était insuffisante pour éliminer cette possibilité de préjudice. En fait, ce préjudice n'aurait pu être éliminé que si le jury avait reçu comme directive de ne pas tenir compte de la thèse du ministère public en ce qui concerne le témoignage de Hope Denard dans son ensemble. Or, le juge du procès n'est pas allé aussi loin.

Je ne puis dire que, si le témoignage de Hope Denard n'avait pas été reçu au procès, le verdict aurait nécessairement été le même. Par conséquent, je n'appliquerais pas la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel et je confirmerais l'ordonnance de la Cour d'appel enjoignant la tenue d'un nouveau procès.

b) Utilisation des déclarations antérieures de témoins

Certains témoins, appelés par les deux parties, avaient déjà fait des déclarations aux policiers ou avaient déposé à l'enquête préliminaire. Dans son mémoire, l'intimé a soutenu que le juge du procès n'avait pas donné au jury des directives adéquates au sujet de l'utilisation à faire des déclarations et dépositions antérieures non adoptées de ces témoins.

En particulier, Amy King, mère d'Aritha King, a témoigné, à l'enquête préliminaire et au procès, que sa fille lui avait dit au téléphone que l'intimé était revenu auprès d'elle à l'hôtel. Avant l'enquête préliminaire, elle avait fait aux policiers des déclarations qui étaient peut‑être incompatibles avec sa déposition subséquente. Le juge du procès n'a pas donné de directives au jury au sujet de la façon dont il pourrait utiliser ces déclarations faites à la police.

Deux des témoins sur lesquels l'intimé comptait, au procès, pour étayer son moyen de défense fondé sur un alibi ont fait, à l'enquête préliminaire, une déposition qui était peut‑être également incompatible avec celle qu'ils ont faite au procès. Lorsqu'on leur a fait remarquer les contradictions apparentes pendant le contre‑interrogatoire, les deux témoins ont maintenu que leur déposition au procès constituait un compte rendu exact des événements en question. Dans ses directives, le juge du procès n'a pas informé le jury qu'il ne pouvait pas s'appuyer sur la déposition antérieure de ces témoins à moins que ces derniers ne l'aient adoptée dans leur déposition au procès.

Enfin, le juge du procès a correctement informé les jurés qu'ils pouvaient retenir les parties des déclarations que l'intimé avait faites aux policiers qu'ils estimaient véridiques, et qu'ils pouvaient s'y fier. Toutefois, en l'absence des directives restrictives appropriées, il se peut que le jury ait considéré qu'il s'agissait d'une directive générale lui permettant de s'appuyer sur les dépositions et déclarations antérieures d'autres témoins, et ce, qu'elles aient ou non été adoptées au procès, pourvu qu'il les juge véridiques.

Ce moyen d'appel supplémentaire n'a pas été soulevé devant nous pendant l'argumentation orale et, compte tenu des conclusions que j'ai tirées au sujet de la preuve par ouï‑dire et du témoignage de Hope Denard, il n'est pas nécessaire non plus de rendre une décision sur ce moyen. En fait, comme on ne nous a pas demandé de réexaminer les principes régissant l'utilisation différente qui peut être faite des déclarations antérieures d'un accusé et d'autres témoins, j'estime qu'il ne serait pas souhaitable de rendre ici une décision sur cette question.

Conclusion

En définitive, compte tenu des conclusions que j'ai tirées au sujet de l'admissibilité de la preuve par ouï‑dire du contenu de la troisième conversation téléphonique et du témoignage de Hope Denard, je suis d'avis que la déclaration de culpabilité devrait être annulée et un nouveau procès ordonné. Le pourvoi du ministère public est rejeté.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelante: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureurs de l'intimé: Cohen, Highley, Vogel & Dawson, London.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 2 R.C.S. 915 ?
Date de la décision : 27/08/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Preuve - Ouï‑dire - Admissibilité - Appels téléphoniques de la victime à sa mère la nuit de son assassinat - Les déclarations de la victime sont‑elles admissibles à titre d'exception à la règle du ouï‑dire? - Y a‑t‑il lieu de confirmer la déclaration de culpabilité? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii).

L'accusé a été inculpé de meurtre. La victime et lui étaient tous deux citoyens américains et vivaient habituellement aux États‑Unis. Au procès, il a été prouvé que l'accusé était allé chercher la victime chez la mère de celle‑ci et qu'ils s'étaient rendus en voiture au Canada où ils ont passé la fin de semaine ensemble dans un hôtel. Le corps de la victime a par la suite été découvert près d'une station‑service. Selon le ministère public, l'accusé était un trafiquant de drogue qui s'était rendu au Canada avec la victime pour se procurer de la cocaïne; il lui avait alors demandé de rapporter aux États‑Unis de la cocaïne dissimulée dans son corps, mais cette dernière avait refusé. Selon le ministère public, l'accusé a alors abandonné la victime à l'hôtel, mais il est par la suite retourné la chercher et l'a conduite à un endroit où il l'a étranglée. Pour appuyer cette thèse, le ministère public a invoqué la preuve de quatre appels téléphoniques que la victime avait faits à sa mère. La mère de la victime a témoigné que, lors du premier appel, sa fille avait dit que l'accusé l'avait abandonnée à l'hôtel et qu'elle voulait qu'on la ramène à la maison. Lors du deuxième appel, la victime a dit à sa mère que l'accusé n'était toujours pas de retour. La mère de la victime a témoigné que, lors du troisième appel, sa fille lui avait dit que l'accusé était revenu et qu'en fin de compte elle n'aurait pas besoin qu'on la ramène à la maison. Il a été établi que le quatrième appel provenait d'un téléphone public situé à la station‑service près de laquelle le corps de la victime a été trouvé. Sa mère a témoigné que, lors de cet appel, sa fille lui avait dit qu'elle "s'en venait". Le ministère public a également fait témoigner une femme qui s'était rendue au Canada avec l'accusé au cours du mois qui avait précédé le meurtre. Elle a témoigné que l'accusé lui avait demandé de passer pour lui des drogues illégales aux États‑Unis et que, devant son refus, il l'avait conduite à un restaurant où il l'avait abandonnée. L'accusé a été reconnu coupable. La Cour d'appel a accueilli son appel. Elle a conclu que la preuve de ce que la victime avait dit lors des deux premières conversations téléphoniques était admissible en vertu d'une exception à la règle du ouï‑dire, mais uniquement pour établir son état d'esprit au moment où elle avait fait les appels. Toutefois, la preuve de ce qui avait été dit lors des troisième et quatrième conversations téléphoniques n'était pas visée par une exception à la règle du ouï‑dire et n'était donc pas admissible, à quelque fin que ce soit. Même si l'avocat de la défense ne s'est pas opposé à la présentation de cette preuve au procès, la Cour d'appel a refusé d'appliquer la disposition réparatrice du sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code criminel, a annulé la déclaration de culpabilité de l'accusé et a ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les déclarations faites par la victime au cours des deux premières conversations téléphoniques ne sont pas admissibles, en vertu de l'exception des "intentions existantes" ou de l'"état d'esprit" à la règle du ouï‑dire pour établir l'exactitude de l'allégation de fait selon laquelle l'accusé avait abandonné la victime à l'hôtel la nuit où cette dernière est décédée. La déclaration faite lors du troisième appel téléphonique n'aurait pas été admissible, à quelque fin que ce soit, en vertu de l'exception des intentions existantes. La quatrième conversation téléphonique n'est pas en cause ici. Bien que la Cour d'appel n'ait donc pas commis d'erreur en ce qui concerne l'application de l'exception des "intentions existantes", la règle du ouï‑dire n'empêche pas de recevoir une preuve par ouï‑dire qui ne relève pas de certaines catégories établies d'exceptions. Il est entendu depuis longtemps que les circonstances dans lesquelles le déclarant fait une déclaration peuvent être telles qu'elles garantissent sa fiabilité, indépendamment de la possibilité de contre‑interroger. L'arrêt R. c. Khan de notre Cour doit être perçu comme le triomphe d'une analyse fondée sur des principes sur un ensemble de catégories sclérosées concues par les tribunaux. Cet arrêt s'est écarté d'une conception de la preuve par ouï‑dire caractérisée par une interdiction générale de la réception d'une telle preuve, sous réserve d'un nombre restreint d'exceptions définies, et il représente une évolution vers une conception régie par les principes qui sous‑tendent la règle ainsi que ses exceptions. La preuve par ouï‑dire des déclarations faites par des personnes non disponibles pour témoigner au procès devrait généralement être admissible, lorsque les circonstances dans lesquelles les déclarations ont été faites satisfont aux critères de nécessité et de fiabilité énoncés dans l'arrêt Khan, et sous réserve du pouvoir discrétionnaire résiduel que possède le juge du procès d'exclure la preuve lorsque sa valeur probante est faible et que l'accusé pourrait subir un préjudice indu. En l'espèce, la preuve par ouï‑dire de ce que la victime a dit à sa mère lors des deux premiers appels téléphoniques satisfaisait aux critères de nécessité et de fiabilité et était admissible sur ce fondement. Bien que le contenu du troisième appel téléphonique satisfasse lui aussi au critère de nécessité, les événements entourant cet appel ne fournissent pas la garantie circonstancielle de fiabilité qui justifierait son admission sans possibilité de contre‑interroger. Cette preuve n'était donc pas admissible. Le témoignage de l'autre femme qui s'était rendue au Canada avec l'accusé était également inadmissible, parce qu'il s'agissait d'une preuve concernant la moralité qui n'avait rien à voir avec l'accusation de meurtre. Il a toutefois été admis et son effet sur le jury a pu être fort préjudiciable. La mise en garde que le juge du procès a faite au jury était insuffisante pour éliminer cette possibilité de préjudice. Il faut donc confirmer l'ordonnance de nouveau procès.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Smith

Références :

Jurisprudence
Arrêt examiné: R. c. Khan, [1990] 2 R.C.S. 531
arrêts mentionnés: Mutual Life Insurance Co. c. Hillmon, 145 U.S. 285 (1892)
R. c. Moore (1984), 15 C.C.C. (3d) 541
R. c. P. (R.) (1990), 58 C.C.C. (3d) 334
Subramaniam c. Public Prosecutor, [1956] 1 W.L.R. 965
R. c. Blastland, [1986] A.C. 41
R. c. Kearley, [1992] 2 All E.R. 345
R. c. Wysochan (1930), 54 C.C.C. 172
Home c. Corbeil, [1955] 4 D.L.R. 750
Myers c. Director of Public Prosecutions, [1965] A.C. 1001
Ares c. Venner, [1970] R.C.S. 608
Cloutier c. La Reine, [1979] 2 R.C.S. 709.
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 686(1)b)(iii), 693(1).
Doctrine citée
Wigmore, John Henry. A Treatise on the Anglo‑American System of Evidence in Trials at Common Law, vol. III, 2nd ed. Boston: Little, Brown & Co., 1923, §§ 1420‑22.

Proposition de citation de la décision: R. c. Smith, [1992] 2 R.C.S. 915 (27 août 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-08-27;.1992..2.r.c.s..915 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award