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19/11/1992 | CANADA | N°[1992]_3_R.C.S._475

Canada | McVey (Re); McVey c. États-Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475 (19 novembre 1992)


McVey (Re); McVey c. États‑Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475

États‑Unis d'Amérique Appelant

c.

Charles McVey II, alias Charles Julius McVey Intimé

et

États‑Unis d'Amérique Appelant

c.

Charles Julius McVey Intimé

Répertorié: McVey (Re); McVey c. États‑Unis d'Amérique

No du greffe: 21331, 21751.

1991: 30 octobre; 1992: 19 novembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑br

itannique

POURVOI (États‑Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331) contre un jugement de la Cour d'a...

McVey (Re); McVey c. États‑Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475

États‑Unis d'Amérique Appelant

c.

Charles McVey II, alias Charles Julius McVey Intimé

et

États‑Unis d'Amérique Appelant

c.

Charles Julius McVey Intimé

Répertorié: McVey (Re); McVey c. États‑Unis d'Amérique

No du greffe: 21331, 21751.

1991: 30 octobre; 1992: 19 novembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory et McLachlin.

en appel de la cour d'appel de la colombie‑britannique

POURVOI (États‑Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331) contre un jugement de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1988), 33 B.C.L.R. (2d) 28, 45 C.C.C. (3d) 413, [1989] 2 W.W.R. 673, rejetant l'appel d'un jugement du juge Bouck (1988), 30 B.C.L.R. (2d) 197, qui avait accordé une demande d'habeas corpus contre une ordonnance du juge Dohm (1988), 4 W.C.B. (2d) 388, pour l'incarcération de l'accusé aux fins d'extradition. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents.

POURVOI (États‑Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey, no du greffe: 21751) contre un jugement de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique (1989), 40 B.C.L.R. (2d) 273, 52 C.C.C. (3d) 34, accueillant l'appel d'un jugement du juge Paris qui avait rejeté une demande d'habeas corpus avec certiorari à l'appui contre une ordonnance du juge Macdonell pour l'incarcération de l'accusé aux fins d'extradition. Pourvoi accueilli, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents.

S. David Frankel, c.r., et Cheryl J. Tobias, pour l'appelant.

Robert S. Anderson et David Lunny, pour l'intimé.

I & II

IÉtats-Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey (21331)

et entre

IIÉtats-Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey (21751)

Version française des motifs du juge en chef Lamer et des juges Sopinka et McLachlin rendus par

//Le juge Sopinka//

Le juge Sopinka (dissident) — Les présents pourvois concernent les exigences à remplir pour qu'il y ait extradition en vertu de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, ch. E‑21, maintenant L.R.C. (1985), ch. E‑23 («la Loi») et du Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3 («le traité»). Plus particulièrement, la question est de savoir s'il faut établir devant le juge d'extradition que l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction inscrite sur la liste établie dans le traité, aussi bien en vertu du droit américain qu'en vertu du droit canadien. Dans l'hypothèse où la «double inscription» serait requise, se poserait alors à titre subsidiaire la question de savoir si la Cour d'appel a commis une erreur relativement à l'un des actes d'accusation faisant l'objet du présent pourvoi lorsqu'elle a conclu que l'infraction reprochée à l'intimé ne constituait pas en droit américain une infraction visée par le traité.

Je ne puis souscrire à l'interprétation de la Loi et du traité que propose mon collègue le juge La Forest dans ses motifs, ni au dispositif qu'il propose. Comme les motifs de mon collègue renferment un énoncé complet des faits et de l'historique de l'instance, je passe directement aux questions en litige.

I. Les questions en litige

Les États‑Unis interjettent appel contre deux arrêts de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique. La question principale, commune aux deux pourvois, peut se formuler ainsi:

Avant qu'un juge d'extradition ne délivre un mandat de dépôt, doit‑il avoir été établi que l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction inscrite à l'annexe du traité aussi bien selon le droit des États‑Unis que selon le droit du Canada?

Voilà l'unique fondement sur lequel les États‑Unis attaquent l'arrêt rendu par la Cour d'appel relativement aux accusations portées à Los Angeles. Dans le cas des accusations portées à San Jose, cependant, si cette question reçoit une réponse affirmative, une seconde question se pose: celle de savoir si la Cour d'appel a eu tort de conclure que l'infraction reprochée à l'intimé ne figurait pas, en droit américain, parmi les crimes énumérés à l'annexe du traité. Vu ma réponse à ces deux questions, je ne juge pas nécessaire de me pencher sur plusieurs autres questions qu'a soulevées l'intimé.

II. Les dispositions pertinentes de la Loi et du traité

Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, ch. E‑21, maintenant L.R.C. (1985), ch. E‑23.

2. Dans la présente loi

. . .

«crime entraînant l'extradition» peut signifier tout crime qui, s'il était commis au Canada, ou dans la juridiction du Canada, serait l'un des crimes énumérés à l'annexe I; et dans l'application de la présente loi à l'égard de toute convention d'extradition, un crime entraînant l'extradition signifie tout crime décrit dans cette convention, qu'il soit compris dans ladite annexe ou non;

. . .

«fugitif» ou «criminel fugitif» signifie un individu qui se trouve ou est soupçonné de se trouver au Canada, et qui est accusé ou convaincu d'un crime entraînant l'extradition commis dans la juridiction d'un État étranger;

3. Dans le cas de tout État étranger avec lequel il existe une convention d'extradition, la présente Partie s'applique durant l'existence de cette convention; mais nulle disposition de la présente Partie incompatible avec quelqu'une des conditions de la convention n'a d'effet à l'encontre de la convention; et la présente Partie doit se lire et s'interpréter de façon à faciliter l'exécution de la convention.

15. Le juge reçoit, de la même manière, tout témoignage offert pour prouver que le crime dont le fugitif est accusé, ou dont on allègue qu'il a été convaincu, est une infraction d'une nature politique, ou n'est pas, pour quelque autre motif, un crime entraînant l'extradition, ou que les procédures sont exercées dans le but de le poursuivre ou de le punir pour une infraction d'une nature politique.

18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcérer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,

. . .

b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.

Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis, R.T. Can. 1976 no 3

Article 1

Chaque Partie contractante s'engage à livrer à l'autre Partie, dans les circonstances et sous réserve des conditions indiquées au présent Traité, les individus trouvés sur son territoire qui ont été accusés ou déclarés coupables d'une des infractions couvertes par l'Article 2 du présent Traité commise sur le territoire de l'autre ou, aux conditions spécifiées au paragraphe (3) de l'Article 3 du présent Traité, hors de ce territoire.

Article 2

(1) Les individus seront livrés conformément aux dispositions du présent Traité pour l'une quelconque des infractions énumérées à l'Annexe jointe audit Traité, et qui en est partie intégrante, à condition que ces infractions soient punissables, en vertu des lois des deux parties contractantes, d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an.

(2) Sera également extradé tout individu qui aura tenté de commettre l'une des infractions énumérées à l'Annexe du présent Traité, aura comploté en vue de la commettre ou y aura été partie.

(3) L'extradition sera également accordée pour toute infraction à une loi fédérale des États‑Unis dont une des infractions énumérées à l'Annexe ci‑jointe ou justifiant l'extradition en vertu du paragraphe (2) du présent Article constitue un élément important, même si le transport ou l'utilisation de la poste ou des moyens de communication entre États sont également des éléments de cette infraction particulière.

Article 8

La décision d'accorder ou de refuser l'extradition doit être prise conformément à la loi de l'État requis et l'individu dont l'extradition est demandée aura droit à tous les recours prévus par ladite loi.

Article 12

(1) Un individu extradé en vertu du présent Traité ne doit être ni détenu, ni jugé, ni puni sur le territoire de l'État requérant pour une infraction autre que celle ayant motivé l'extradition et ne peut non plus être livré par ledit État à un État tiers, sauf:

(i)S'il a quitté le territoire de l'État requérant après son extradition et y est revenu volontairement;

(ii)S'il n'a pas quitté le territoire de l'État requérant dans un délai de trente jours après être devenu libre de le faire; ou

(iii)Si l'État requis a consenti soit à ce qu'il soit détenu, jugé et puni pour une infraction autre que celle ayant motivé son extradition, soit à ce qu'il soit livré à un État tiers, à condition que cette autre infraction soit couverte par l'Article 2.

III. Analyse

1. La double criminalité et la double inscription

L'approche

L'extradition de criminels fugitifs du Canada est régie par la Loi sur l'extradition. Suivant son art. 3, lorsqu'il existe un traité d'extradition avec un État étranger, la Loi doit s'interpréter de manière à assurer l'exécution du traité, lequel l'emporte sur toute disposition incompatible de la Loi. Ainsi, la réponse à la question actuellement en litige tient à l'analyse des dispositions pertinentes de la Loi et du traité entre le Canada et les États‑Unis. La Cour n'a pas à déterminer ce qui constituerait, selon elle, un traité d'extradition idéal entre ces deux pays; sa tâche consiste à interpréter le régime existant lorsque la procédure d'extradition en cause a été engagée. Les tribunaux de plusieurs ressorts ont reconnu que la bonne approche est celle axée sur le traité. Dans Riley c. Commonwealth of Australia (1985), 62 A.L.R. 497 (H.C. Aust.), le juge en chef Gibbs a fait les observations suivantes à la p. 504:

[traduction] La Cour suprême des État-Unis a statué dans l'affaire Factor c. Laubenheimer (1933) 290 U.S. 276, 78 Law Ed 315, que la nature et la portée du droit de demander l'extradition et de l'obligation d'extrader dépendent plutôt des dispositions du traité dont procèdent ce droit et cette obligation que des principes du droit international: voir p. 287 (p. 320 de Law Ed.). Lord Diplock semble être parti du même point de vue dans l'affaire Re Nielsen, [1984] A.C. 606, aux pp. 624 et 625. [Je souligne.]

Il ne faut pas oublier que les traités d'extradition, en dépit de leur caractère d'accords conclus entre gouvernements, ont néanmoins une incidence sur la liberté des particuliers. Bon nombre de ceux‑ci sont des citoyens canadiens qui, aux termes du par. 6(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, jouissent du droit constitutionnel de demeurer au Canada, à moins que n'y déroge une loi qui satisfait au critère énoncé à l'article premier de la Charte. Voir l'arrêt États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469. Si les parties au traité estiment qu'il n'atteint pas son but, qui est de faire traduire en justice les criminels, elles ont toute liberté de le modifier. Je signale à ce propos que, depuis l'audition du présent pourvoi, sont entrées en vigueur des modifications du traité entre le Canada et les États‑Unis, lesquelles remplacent l'annexe contenant l'énumération des infractions par une disposition prévoyant l'extradition de «tout auteur de faits qui constituent une infraction punissable par les lois des deux Parties contractantes d'une peine d'emprisonnement ou de détention d'autre nature de plus d'un an ou de toute autre peine plus sévère» (R.T. Can. 1991 no 37, art. 1).

Le régime établi par la Loi sur l'extradition et par le traité entre le Canada et les États‑Unis

La thèse de l'appelant, que retient mon collègue, se ramène essentiellement à ce qui suit. L'extradition du Canada tient exclusivement à la Loi et au traité. Ces textes définissent les conditions de l'extradition, qui, tout compte fait, sont au nombre de deux. Il faut établir d'abord que le fugitif est accusé ou a été reconnu coupable d'une infraction qui, selon le droit (1) de l'État requérant et (2) de l'État requis, constitue un crime figurant sur la liste. La Loi prévoit la tenue d'une audience afin de déterminer si le fugitif est sujet à l'extradition. Toutefois, bien qu'il puisse y être déterminé si la seconde exigence a été remplie, cette audience ne peut porter sur la première exigence. En effet, la décision sur cet aspect de la question de savoir s'il peut y avoir extradition relève exclusivement des autorités de l'État poursuivant. Cela me paraît plutôt curieux en ce sens qu'un citoyen canadien accusé d'une infraction qui n'existe peut‑être pas aux États‑Unis doit être appréhendé et expulsé du pays avant même de pouvoir discuter la première des deux exigences posées par le traité. Je ne doute pas que ce soit là un résultat que permettrait d'atteindre un langage approprié. À mon avis, toutefois, le traité en cause n'admet pas une telle interprétation.

La tâche du juge d'extradition saisi d'une demande d'extradition présentée par un État étranger est énoncée à l'art. 18 de la Loi. Aux termes de l'al. 18(1)b), le juge doit délivrer un mandat de dépôt dans le cas où le fugitif n'est qu'accusé d'un «crime donnant lieu à l'extradition», lorsque les éléments de preuve produits justifieraient en droit canadien sa citation à procès si le crime avait été commis au Canada. La même norme de preuve est prévue à l'article 10 du traité. À l'article 2 de la Loi, un «fugitif» est défini comme un individu qui se trouve au Canada ou qu'on soupçonne de s'y trouver et qui soit est accusé d'un crime donnant lieu à l'extradition et commis dans le ressort de l'État étranger, soit a été condamné pour ce crime. L'article 15 dispose que le juge reçoit les témoignages visant à établir que le crime dont le fugitif est accusé est une infraction à caractère politique ou, pour quelque autre raison, ne constitue pas un crime donnant lieu à l'extradition. De toute évidence, donc, la notion de «crime donnant lieu à l'extradition» constitue un élément fondamental de la tâche du juge d'extradition. Suivant l'art. 18 de la Loi, ce n'est qu'à l'égard de tels crimes que le juge d'extradition est autorisé à délivrer un mandat de dépôt.

L'expression «crime donnant lieu à l'extradition» est définie à l'art. 2. Lorsqu'il existe un traité d'extradition applicable, elle signifie tout crime prévu par celui‑ci. D'où la nécessité d'examiner les dispositions du traité en cause. Les parties s'engagent, à l'art. 1, à extrader les individus qui ont été accusés ou déclarés coupables d'une des infractions visées à l'art. 2. Visiblement, dans le cas d'un individu dont les États‑Unis cherchent à obtenir l'extradition du Canada, l'infraction dont cet individu a été accusé ou déclaré coupable est une infraction aux lois américaines. C'est ce que confirme d'ailleurs le mandat de dépôt que doit remplir le juge d'extradition dès lors qu'ont été remplies les exigences de l'art. 18 de la Loi (annexe II, formule 2). Le mandat de dépôt porte notamment:

. . . attendu que j'ai décidé que cette personne serait livrée conformément à la même loi, en raison de l'accusation de (ou de la condamnation pour) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . dans le ressort de . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les «infractions couvertes par l'Article 2 du présent Traité» doivent donc être incluses à l'art. 2 selon le droit américain. Le paragraphe 2(1) porte que les individus seront livrés conformément aux dispositions du Traité pour:

. . . l'une quelconque des infractions énumérées à l'Annexe jointe audit Traité [. . .] à condition que ces infractions soient punissables, en vertu des lois des deux parties contractantes, d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an.

Pris ensemble, les art. 1 et 2 exigent donc que l'infraction dont le fugitif est accusé figure à l'annexe pour que la demande d'extradition soit fondée. Puisque le fugitif en l'espèce est accusé d'une infraction à une loi américaine, cette infraction doit figurer à l'annexe. Si la même conduite constitue des infractions différentes dans les deux pays, elles doivent toutes les deux y figurer.

L'interrelation des art. 2 et 12 du traité confirme cette conclusion. L'article 12 interdit de poursuivre un fugitif pour une «infraction autre que celle ayant motivé l'extradition». Cette disposition représente pour les fugitifs une protection importante. Aux termes du par. 2(1), ces individus ne seront livrés que «pour l'une quelconque des infractions énumérées à l'Annexe». Il résulte de la combinaison de ces deux dispositions qu'un fugitif ne peut être poursuivi pour une infraction qui ne figure pas à l'annexe. Puisqu'un fugitif extradé aux États‑Unis ne sera poursuivi que pour des infractions aux lois des États‑Unis, force est de conclure que l'infraction fondant la demande d'extradition doit être une infraction inscrite sur la liste établie dans le traité, en vertu du droit des États‑Unis.

Rien dans l'arrêt Buck c. The King (1917), 55 R.C.S. 133, ni dans la décision United States c. Rauscher, 119 U.S. 407 (1886), ne contredit ces observations. Les passages tirés de ces décisions, sur lesquels s'appuie mon collègue, exigent que la personne accusée soit jugée relativement à l'infraction précise dont elle est inculpée et non pas pour «l'infraction à l'égard de laquelle elle a été livrée», comme le prétend mon collègue. Il est évident que les infractions sont celles prévues dans l'État requérant. Ainsi, dans l'affaire Buck c. The King, dans laquelle l'État requérant était le Canada, l'accusé ne pouvait être jugé que relativement à l'infraction pour laquelle il avait été extradé des États‑Unis, cette infraction, désignée par son nom canadien, étant celle prévue à l'art. 414 du Code criminel.

Le même raisonnement s'appliquerait dans un cas où aucun traité n'était invoqué. Suivant l'al. 18(1)b), le juge doit déterminer si le fugitif est accusé d'un crime donnant lieu à l'extradition selon la définition à l'art. 2 de la Loi, définition qui englobe «[t]out crime qui constituerait l'un des crimes figurant à l'annexe I s'il ressortissait à la compétence du Canada en matière de poursuites» (je souligne). L'expression «tout crime» vise nécessairement le crime dont le fugitif est accusé. Si ce n'est pas un crime, ce n'est pas un crime donnant lieu à l'extradition et le fait que les autres exigences de la définition aient été remplies est sans pertinence.

L'appelant prétend que cette conclusion va à l'encontre de l'art. 8 du traité, aux termes duquel la décision d'accorder ou de refuser l'extradition doit être prise conformément à la loi de l'État requis, en l'occurrence le Canada. Les articles 18 et 34 tiennent un langage analogue. Or, je ne partage pas l'avis que cette disposition exclut toute référence à la loi de l'État requérant. Une procédure peut se dérouler en conformité avec le droit canadien même s'il se pose une question quant au droit américain sur un point déterminé. Ce genre de situations ne se présentent pas que dans le droit de l'extradition. Par ailleurs, il est évident à la lecture des autres dispositions du traité que celles‑ci n'écartent pas la possibilité de se référer à la loi du pays requérant. Le paragraphe 2(1), par exemple, exige qu'on se reporte aux lois des deux États pour décider si une infraction est punissable, dans chacun d'eux, d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an. Aux fins de cette décision, le juge d'extradition doit d'abord déterminer quelle infraction précise la conduite reprochée au fugitif constitue dans chaque État. Il serait étrange qu'un juge conclue qu'une infraction est "punissable aux termes des lois" de l'État requérant alors qu'en réalité il n'existe aucune infraction en droit. On en trouve un autre exemple au par. 2(3), qui porte:

(3) L'extradition sera également accordée pour toute infraction à une loi fédérale des États‑Unis dont une des infractions énumérées à l'Annexe ci‑jointe [. . .] constitue un élément important . . .

Pour déterminer si les exigences de ce paragraphe ont été remplies, il faut évidemment analyser la loi américaine en question afin de décider si l'infraction figurant sur la liste en constitue un élément important. Je conclurais en conséquence qu'une exigence de double inscription ne va nullement à l'encontre de l'art. 8.

Je note en dernier lieu que l'exigence de double inscription concorde avec la déclaration liminaire du traité entre le Canada et les États‑Unis:

Le Canada et les États‑Unis d'Amérique, désireux de renforcer la coopération existant entre les deux pays pour la répression du crime en instituant des dispositions en vue de l'extradition réciproque des délinquants, sont convenus de ce qui suit: [Je souligne.]

Grâce à l'exigence de double inscription, il est certain que le Canada n'accordera l'extradition que dans les situations où il aurait pu lui‑même obtenir l'extradition si la même conduite avait eu lieu ici et que le fugitif se fût enfui aux États‑Unis.

La jurisprudence et la doctrine pertinentes

Quoique la Cour n'ait pas été saisie de la question précise de la double inscription dans l'affaire Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327, le juge Wilson, qui a rédigé les motifs de la majorité, y a formulé la question en litige, à la p. 339, dans des termes compatibles avec ma conclusion qu'un crime donnant lieu à l'extradition doit figurer, tant en droit américain qu'en droit canadien, parmi les infractions énumérées dans le traité:

La question fondamentale qui se pose pour déterminer la nature de la règle de la double criminalité est de savoir si cette règle exige que les éléments du crime entraînant l'extradition soient les mêmes dans l'État requérant et dans l'État requis ou s'il suffit que l'acte reproché constitue un crime énuméré dans la liste de l'un et l'autre pays. [Je souligne.]

Le juge Wilson a conclu, à la p. 342, que la règle de la double criminalité était «fondée sur la conduite», ce par quoi elle entendait que l'identité parfaite de l'infraction imputée dans l'État requérant et de l'infraction canadienne n'était pas requise, et que:

. . . si on pouvait établir que la conduite du fugitif constituait tant au Canada que dans l'État de Washington l'infraction de vol visée à l'annexe du Traité, on satisferait à l'exigence de double criminalité. [Je souligne.]

Pour parvenir à cette conclusion, le juge Wilson a cité -‑ et approuvé, semble‑t‑il -‑ la définition d'un crime entraînant l'extradition formulée par G. V. La Forest dans son ouvrage intitulé Extradition To and From Canada (2e éd. 1977), à la p. 42:

[traduction] Un crime entraînant l'extradition peut être généralement défini comme un acte qu'une personne est accusée ou est déclarée coupable d'avoir commis dans le ressort d'un État donné, un acte qui constitue un crime dans cet État‑là et dans celui où la personne en question a été trouvée et qui est mentionné ou décrit dans un traité d'extradition signé par ces États, par un nom ou une description sous lesquels il est connu dans chacun des États en question. Cette définition peut se décomposer en plusieurs propositions:

(1)l'acte reproché doit avoir été commis dans le ressort de l'État requérant;

(2)il doit être un crime dans l'État requérant;

(3)il doit également être un crime dans l'État requis;

(4)il doit en outre être mentionné dans un traité d'extradition entre les deux États, par un nom ou une description sous lesquels il est connu dans chacun de ces États. [Je souligne.]

Dans l'édition la plus récente de cet ouvrage, La Forest's Extradition To and From Canada (3e éd. 1991) de A. W. La Forest, cette définition est reformulée (à la p. 49) et la quatrième proposition développée comme suit (à la p. 74):

[traduction] Non seulement l'acte reproché doit être un crime dans les deux pays, il doit en outre équivaloir à un crime figurant sur la liste établie dans le traité entre les deux pays, et si l'acte reproché correspond à des crimes différents dans les deux pays, ces crimes doivent tous les deux être mentionnés dans le traité.

L'auteur se réfère également à la décision rendue par la Cour de comté de l'Ontario dans l'affaire Re United States of America and Smith (1984), 15 C.C.C. (3d) 16 (confirmée par (1984) 16 C.C.C. (3d) 10 (H.C.J.), où le juge Borins a dit à la p. 27:

[traduction] Si la conduite révèle une infraction prévue par une loi du Canada et si cette infraction est du nombre de celles énumérées à l'annexe du traité d'extradition et si l'infraction alléguée aux lois de l'État requérant figure elle aussi à l'annexe, on aura alors justifié l'extradition. [Je souligne.]

Ma conclusion que le traité en cause exige la double inscription est donc appuyée à la fois par la doctrine et la jurisprudence. Plusieurs autres décisions, qui pourraient sembler soutenir la conclusion contraire, nécessitent des commentaires. Dans l'arrêt États‑Unis c. Allard, [1991] 1 R.C.S. 861, le juge La Forest, qui a rédigé les motifs de la Cour, a porté son attention sur l'art. 34 de la Loi, qui est ainsi conçu:

34. La liste figurant à l'annexe I s'interprète selon l'état du droit canadien -‑ common law ou textes législatifs -‑ au moment de la perpétration du crime imputé et n'est censée comprendre que les crimes qui y figurent et qui sont des actes criminels.

Le juge La Forest fait remarquer que, selon ses termes, l'art. 34 ne s'applique qu'aux crimes énumérés à l'annexe I de la Loi. Il dit toutefois que le principe général énoncé dans cette disposition est évident et qu'il serait étrange d'appliquer une règle différente aux crimes énumérés à l'annexe I et à ceux mentionnés dans un traité. À mon avis, ni l'art. 34 ni l'arrêt Allard ne répondent à la question de savoir si le traité entre le Canada et les États‑Unis pose une exigence de double inscription. Dans l'affaire Allard, la question en litige était de savoir si le traité s'appliquait à un crime qui n'existait pas en droit canadien quand il avait été commis dans l'État requérant. La Cour a donc dû se pencher sur les exigences du droit canadien. Quant à savoir si la conduite reprochée devait également constituer en droit américain un crime figurant sur la liste, cette question n'a pas été abordée puisque les parties reconnaissaient que la conduite reprochée constituait en droit américain l'infraction de détournement d'avion, laquelle figurait sur la liste.

À examiner aussi sont les arrêts de la Chambre des lords In re Nielsen, [1984] A.C. 606, et United States Government c. McCaffery, [1984] 2 All E.R. 570. Dans l'affaire Nielsen, la Chambre des lords a statué que, suivant l'Extradition Act 1870, pour déterminer si une conduite reprochée constitue un «crime donnant lieu à l'extradition», un magistrat n'avait qu'à se demander si, en droit anglais, la conduite correspondait à l'un des crimes énumérés à l'annexe de la loi, et qu'il n'avait pas compétence pour s'enquérir du droit pénal substantiel de l'État étranger dans lequel l'acte avait été commis ni pour recevoir des éléments de preuve s'y rapportant. Toutefois, en arrivant à cette conclusion, lord Diplock a reconnu que la réponse à la question tenait à l'interprétation de la loi ou du traité en question, ou des deux. Il a dit aux pp. 618 et 621:

[traduction] Les définitions des termes «crime donnant lieu à l'extradition», «criminel fugitif», «criminel fugitif d'un État étranger» et «mandat» à l'article 26 de l'Extradition Act 1870, rapprochées des mots d'introduction de l'annexe 1, qui exigent que l'énoncé de chaque crime inscrit sur la liste s'interprète en fonction du droit d'Angleterre au moment du crime reproché, sont toutes importantes.

. . .

Dans le traité principal avec le Danemark, les crimes à l'égard desquels sera accordée l'extradition de criminels fugitifs se limitent à ceux figurant sur la liste de 1870, et ce n'était que relativement à des crimes énumérés dans cette liste que le Secrétaire d'État a donné les ordres d'engager la procédure en l'espèce. Voilà pourquoi le magistrat, selon moi, n'avait pas compétence en l'espèce pour tirer des conclusions de fait quant au droit substantiel danois en matière pénale ni pour entendre des témoignages d'expert s'y rapportant.

Une loi ou un traité différents, a précisé lord Diplock à la p. 621, auraient pu permettre la conclusion contraire:

[traduction] Il en aurait été autrement si la conduite dont Nielsen était accusé au Danemark n'avait pas correspondu à un crime anglais figurant sur la liste de 1870, mais avait été ajoutée à la liste des crimes donnant lieu à l'extradition dans des lois ultérieures en matière d'extradition, car, à ce moment‑là, cette conduite n'aurait été incluse sur la liste des crimes donnant lieu à l'extradition applicable aux criminels fugitifs du Danemark que par le traité supplémentaire de 1936, dont la disposition pertinente est celle qui prévoit l'adjonction des mots suivants à l'article I du traité principal:

«La haute Partie contractante à laquelle une demande a été adressée peut également, à sa discrétion, accorder l'extradition à l'égard de tout autre crime ou toute autre infraction qui, selon les lois des deux [Lord Diplock souligne] hautes Parties contractantes alors en vigueur, peut donner lieu à l'extradition.»

Si le gouvernement du Danemark s'était vu dans la nécessité d'invoquer le traité supplémentaire, il aurait fallu que le magistrat entende des témoignages concernant le droit danois afin de se convaincre que non seulement la conduite de l'accusé constituait en droit anglais un crime donnant lieu à l'extradition figurant parmi ceux subséquemment ajoutés à la liste de 1870, mais qu'elle constituait aussi une infraction considérée au Danemark comme un crime donnant lieu à l'extradition.

Pour ce qui est de savoir si, dans le cas d'une accusation, le magistrat a compétence pour tirer des conclusions quant au droit pénal substantiel de l'État étranger auteur de la demande d'extradition d'un criminel fugitif, cela dépendra des stipulations du traité d'extradition avec cet État. Certains traités peuvent contenir des dispositions qui ne permettent que l'extradition de personnes accusées d'une conduite qui constitue un crime d'un genre particulier (par exemple, un crime entraînant des peines minimales spécifiées) aussi bien en Angleterre que dans l'État étranger. Je désigne par le nom «cas d'accusation exceptionnels» les cas d'accusation relevant de traités qui stipulent ce type de restriction. Devant un cas d'accusation exceptionnel il faudra que le magistrat entende des témoignages d'expert sur le droit pénal substantiel de l'État étranger et qu'il tire à ce sujet ses propres conclusions de fait. [Je souligne.]

Dans l'arrêt McCaffery, la Chambre des lords a appliqué son arrêt Nielsen à une affaire mettant en cause le traité d'extradition entre le Royaume‑Uni et les États‑Unis. Lord Diplock a dit que ce traité faisait entrer l'instance dans la catégorie des cas d'accusation exceptionnels puisqu'il exigeait expressément que l'infraction soit punissable, aux termes des lois des deux parties, d'un emprisonnement de plus d'un an ou de la peine de mort et que l'infraction constitue une infraction majeure (felony) en droit américain. S'imposait en conséquence l'administration d'une preuve du droit américain relatif à ces deux points. Il n'était pas nécessaire de prouver que les infractions reprochées correspondaient en droit américain à des infractions énumérées dans les lois sur l'extradition de 1870 à 1935 ou dans le traité entre le Royaume‑Uni et les États‑Unis. Ce dernier point doit cependant être considéré à la lumière de l'article III de ce traité, qui porte:

[traduction] (1) L'extradition doit être accordée pour un acte ou une omission dont les faits révèlent une infraction visée à l'annexe du présent traité, laquelle annexe en fait partie intégrante, ou pour toute autre infraction, pourvu [. . .] b) que l'infraction donne lieu à l'extradition selon la loi pertinente, soit celle du Royaume‑Uni ou de tout autre territoire auquel s'applique le présent traité aux termes de l'alinéa (1)a) de l'article II . . .

J'estime en conséquence que, de par leurs faits, ces affaires anglaises diffèrent de la présente espèce. Dans l'une et l'autre, il s'agissait de dispositions prévoyant expressément que c'était la loi anglaise qui s'appliquait aux fins de déterminer si une infraction donnait lieu à l'extradition. Or, le traité entre le Canada et les États‑Unis ne renferme pas de disposition de ce genre et, comme je l'ai déjà indiqué, plusieurs de ses dispositions donnent à entendre que, pour constituer un crime donnant lieu à l'extradition aux fins du traité, la conduite reprochée doit, en droit américain, correspondre à l'une des infractions énumérées.

Compétence du juge d'extradition

Vu la conclusion que, suivant le traité d'extradition en vigueur entre le Canada et les États‑Unis lors de l'introduction de la présente instance, un crime donnant lieu à l'extradition en est un qui, aussi bien en droit canadien qu'en droit américain, figure parmi ceux énumérés à l'annexe du traité, il semblerait s'ensuivre logiquement que le juge d'extradition doit décider si cette exigence a été remplie avant de délivrer un mandat de dépôt en vertu de l'art. 18 de la Loi. On a toutefois soutenu que le juge d'extradition n'a pas compétence pour entreprendre une telle enquête. L'auteur de La Forest's Extradition To and From Canada, 3e éd., reproduit un passage traitant du rôle du juge d'extradition tiré de la décision Re United States of America and Smith, précitée, puis écrit ce qui suit à la p. 54:

[traduction] Une petite, mais importante, réserve s'impose. La clause indiquant que le crime tel qu'il est connu dans l'État requérant doit être mentionné dans le traité traduit la réalité, mais il ne faut pas en conclure que c'est là un point à décider par le juge d'extradition. Cela nécessiterait une preuve du droit étranger, ce qui ne ressortit nullement au juge d'extradition: (Re Neilsen, [1984] 1 A.C. 606 (H.L.)). Au contraire, il appartient à l'État requérant de déterminer si l'acte pour lequel l'extradition du fugitif est demandé constitue dans cet État un crime pouvant fonder une demande d'extradition en vertu du traité. La Loi n'habilite le juge d'extradition qu'à décider si l'acte reproché constitue en droit canadien un crime donnant lieu à l'extradition.

Je ne puis souscrire à ce point de vue. Dans l'affaire Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, le juge La Forest, qui a rédigé les motifs des majoritaires, a expliqué ainsi le rôle du juge d'extradition à la p. 553:

[L]a portée restreinte d'une audience d'extradition [. . .] (mis à part certaines exceptions insignifiantes prévues par la loi et le traité) vise simplement à déterminer si le crime en cause relève du traité applicable et si la preuve produite suffit pour justifier que l'exécutif livre le fugitif au pays requérant pour qu'il y subisse son procès. C'est évidemment l'exécutif qui est investi de la responsabilité de diriger nos relations étrangères, ce qui comprend l'exécution des obligations imposées au Canada par des traités d'extradition. Je le répète: le rôle d'un juge d'extradition est modeste; en l'absence d'une autorisation expresse découlant d'une loi ou d'un traité, l'unique but d'une audience d'extradition est de s'assurer que la preuve établit une apparence suffisante de la perpétration d'un crime donnant lieu à l'extradition. [Je souligne.]

Dans La Forest's Extradition To and From Canada, op. cit., le «crime donnant lieu à l'extradition» est défini dans le passage susmentionné, approuvé par le juge Wilson dans l'arrêt Washington (État de) c. Johnson, précité, à la p. 340, de façon à inclure les deux éléments suivants parmi les quatre requis:

2)il doit être un crime dans l'État requérant.

. . .

4)il doit en outre être mentionné dans un traité d'extradition entre les deux États, par un nom ou une description sous lesquels il est connu dans chacun de ces États.

Je suis entièrement d'accord que le juge d'extradition a un rôle limité. Toutefois, comme l'indiquent clairement ces textes, le concept de «crime donnant lieu à l'extradition» ou d'un crime qui relève du traité applicable en constitue un élément fondamental. Ces textes indiquent aussi que, dans le contexte du traité entre le Canada et les États‑Unis, la notion de «crime donnant lieu à l'extradition» comporte l'exigence que le crime soit une infraction aux États-Unis et une infraction mentionnée dans le traité selon le droit américain. Tant que cette exigence n'est pas remplie, le juge d'extradition n'a pas compétence pour délivrer un mandat de dépôt en vertu de l'art. 18 de la Loi. Le fait qu'il incombe au juge d'extradition de déterminer si l'on a satisfait aux exigences de la double criminalité et de la double inscription, est confirmé à l'art. 15 de la Loi, qui oblige le juge à recevoir les témoignages visant à établir que le crime dont le fugitif est accusé ne constitue pas, pour quelque raison, un crime donnant lieu à l'extradition.

Par ailleurs, l'arrêt Nielsen n'étaye pas la proposition générale selon laquelle la preuve du droit étranger ne ressortit aucunement au juge d'extradition. Au contraire, car la Chambre des lords, dans les arrêts Nielsen et McCaffery, a expressément reconnu que certaines lois et certains traités pourraient obliger le juge d'extradition à enquêter sur le droit pénal substantiel de l'État requérant et à entendre des témoignages à ce sujet. Bien que l'arrêt récent Sinclair c. Director of Public Prosecutions, [1991] 2 All E.R. 366 (H.L.) ait pu soulever en Angleterre quelques doutes quant à ce point de vue, on y réaffirme que le juge d'extradition a notamment pour fonction de déterminer s'il s'agit en fait d'un «crime donnant lieu à l'extradition» (à la p. 378). Lorsqu'un «crime donnant lieu à l'extradition» est assorti d'une exigence concernant le droit de l'État requérant, je conçois mal que le juge d'extradition n'ait pas compétence pour prendre ce droit en considération.

Considérations d'ordre pratique

Le dernier argument avancé pour ne pas exiger des juges d'extradition qu'ils déterminent si, selon le droit de l'État requérant, l'infraction figure sur la liste, consiste à dire que cela prolongerait indûment la procédure et la compliquerait inutilement. Cet argument se trouve bien résumé dans le passage suivant tiré de La Forest's Extradition To and From Canada, 3e éd., à la p. 170:

[traduction] Cela risquerait de ralentir, voire d'arrêter, la procédure d'extradition s'il fallait régulièrement citer des témoins experts étrangers pour permettre aux juges d'extradition de devenir des «experts instantanés» en droit étranger, surtout si le crime a été commis dans un pays dont le système de droit et la langue diffèrent des nôtres. Une preuve documentaire pourrait suffire dans certains cas, car il a été statué qu'une preuve peut être faite au moyen d'affidavits ou de dépositions authentifiés, de la même manière que sont établis les faits de l'affaire. Mais cette méthode ne convient pas toujours . . .

Tout à fait indépendamment de ma conclusion que le juge d'extradition doit mener une telle enquête afin de déterminer s'il peut délivrer un mandat en vertu de l'art. 18, ces craintes ne me paraissent pas concluantes. En effet, la preuve du droit étranger constitue souvent un élément des litiges de droit privé. Cette pratique n'a pourtant pas entraîné l'arrêt de telles instances. Par ailleurs, dans la plupart des affaires d'extradition, cette question ne suscitera aucune contestation et sera réglée sur le double fondement du texte de la disposition en vertu de laquelle le fugitif a été inculpé ou condamné et des affidavits produits à l'appui. Selon la pratique suivie depuis de nombreuses années au Canada, le juge d'extradition examine le droit relatif à l'infraction alléguée avoir été commise dans l'État requérant. Voir M. C. Blanchflower, «Examination of the Law of the Requesting State in Extradition Proceedings» (1992), 34 Crim. L.Q. 277, et «Interpretation and Application of Extradition Crime in the Extradition Act» (1992), 34 Crim. L.Q. 158, aux pp. 173 et 174. Aucune preuve n'indique que cette pratique a paralysé les procédures d'extradition. De plus, la pratique est apparemment la même aux États‑Unis dans les cas de demandes d'extradition présentées par le Canada. Voir par exemple Buck c. The King, précité, où le juge Anglin, dont les motifs sont cités par mon collègue, fait mention de ce que la preuve produite devant le commissaire à l'extradition aux États‑Unis comprend [traduction] «une preuve du droit canadien».

Conclusion

Je conclus en conséquence que, suivant le traité entre le Canada et les États‑Unis tel qu'il était rédigé lorsque la procédure en cause a été engagée, il fallait prouver au juge d'extradition que l'infraction à l'égard de laquelle l'extradition était demandée avait été inscrite sur la liste établie à l'annexe du traité aussi bien en vertu du droit américain qu'en vertu du droit canadien. Cela constitue un fondement suffisant pour le rejet du pourvoi des États‑Unis relatif aux accusations portées à Los Angeles (pourvoi no 21331). Toutefois en ce qui concerne celles portées à San Jose (pourvoi no 21751), les États‑Unis font valoir subsidiairement que c'est à tort que la Cour d'appel a statué que l'infraction reprochée à l'intimé ne relevait pas du traité, selon le droit américain. Passons donc à cette question.

2.Les accusations portées à San Jose font‑elles état d'infractions inscrites dans le traité en vertu du droit américain?

Les accusations portées à San Jose l'ont été en vertu du 18 U.S.C. {ss} 1343, qui dispose:

[traduction] Est passible d'une amende maximale de 1 000 $ ou d'une peine d'emprisonnement maximale de cinq ans, ou des deux, quiconque, ayant conçu ou eu l'intention de concevoir un projet ou un artifice en vue de commettre une fraude ou d'obtenir de l'argent ou des biens par le recours à de fausses prétentions, déclarations ou promesses, transmet ou fait transmettre par fil ou par radiodiffusion ou télédiffusion, dans le commerce entre États ou international, des écrits, des signes, des signaux, des images ou des sons aux fins d'exécuter un tel projet ou artifice.

L'intimé a été accusé d'avoir, de concert avec d'autres personnes:

[traduction] . . . sciemment conçu et eu l'intention de concevoir un projet et un artifice en vue de frustrer la Saxpy Computer Corporation:

A. de son droit à l'usage exclusif de son bien, à savoir des renseignements confidentiels concernant la conception et le fonctionnement de son superordinateur Saxpy Matrix‑1, et

B. de son droit à ce que ses employés rendent loyalement, honnêtement et fidèlement les services promis par eux, sans fraude, ni dissimulation, ni recherche de leur propre intérêt;

et d'avoir sciemment participé à ce projet et à cet artifice.

On lui reprochait en outre:

[traduction] . . . d'avoir sciemment, aux fins de l'exécution du projet susvisé et dans une tentative de l'exécuter, transmis et fait transmettre par fil dans le commerce entre États et international . . . certains signes, signaux et sons, à savoir un appel téléphonique.

Devant les juridictions inférieures, l'appelant a soutenu que les accusations relevaient en droit américain de la clause 27 de l'annexe du traité, qui est ainsi rédigée:

27. L'usage de la poste ou d'autres moyens de communication relativement à des projets conçus ou formés pour leurrer ou frauder le public ou dans le dessein d'obtenir de l'argent ou des biens par des faux‑semblants.

Dans son affidavit, M. Leland Altschuler, le témoin expert cité par l'appelant, avait initialement soutenu que le crime reproché dans l'acte d'accusation relevait de la clause 12 de l'annexe, à savoir:

12. L'obtention de biens et de sommes d'argent ou de valeurs par des faux‑semblants ou par menace de violence ou en fraudant le public ou une personne quelle qu'elle soit par supercherie, mensonge ou d'autres moyens dolosifs, que cette supercherie, ce mensonge ou ces autres moyens dolosifs constituent ou non un faux‑semblant.

Toutefois, comme l'a fait remarquer la Cour d'appel:

[traduction] Au cours du contre‑interrogatoire, Altschuler a semblé abandonner la clause 12, car il a dit notamment ce qui suit: «Je crois qu'il vaudrait mieux invoquer la clause 27 de l'annexe du traité.» À la suite de l'audition de l'appel, nous avons demandé si les États‑Unis ne s'appuyaient plus sur la clause 12 de l'annexe. Par lettre datée du 31 octobre 1989, Mlle Tobias nous a fait savoir que «les [États‑Unis] s'appuient exclusivement sur la clause 27 de l'annexe du traité».

La question est donc de savoir si, en droit américain, l'infraction reprochée à l'intimé relève de la clause 27. Celle‑ci exige que le projet vise à frauder «le public». Elle contraste en cela avec la clause 12, qui dit «le public ou une personne quelle qu'elle soit». En l'espèce, l'intimé était accusé d'avoir pris part à un projet de frauder une personne en particulier, soit la Saxpy Computer Corporation. Lors du contre‑interrogatoire, on a demandé à M. Altschuler si l'infraction reprochée comportait comme élément le fait d'avoir fraudé le public:

[traduction]

Q.Alors, M. Altschuler, en ce qui concerne l'infraction visée à la partie 5, il s'agirait d'un crime contre les États . . . contre les citoyens des États‑Unis d'Amérique en la personne de la Saxpy Corporation, est‑ce exact?

R.La victime, si vous voulez, de ce crime c'est la Saxpy Computer Corporation. Les poursuites, bien entendu, sont exercées par les États‑Unis.

Q.Non, mais ne s'agit‑il pas d'un crime, d'une fraude commise contre la Saxpy Computer Corporation, une personne privée?

R.Oui. Enfin, nous dirions que Saxpy est la victime de la fraude, mais je soupçonne que c'est ce que vous dites également.

Q.En effet. À vrai dire, ce n'est pas le public américain mais bien une personne aux États‑Unis qui a été fraudée, n'est‑ce pas, monsieur?

R.Oui.

Q.Monsieur, la clause 27 de l'annexe exige «l'usage de la poste ou d'autres moyens de communication relativement à des projets conçus ou formés pour leurrer ou frauder le public . . .» Si j'en reste là, conviendrez‑vous avec moi que cela ne s'applique pas en l'espèce parce qu'il ne s'agit pas d'un crime en vue de frauder le public?

R.C'est exact, il ne s'agit pas d'un crime en vue de frauder le public.

Plus loin dans son témoignage, M. Altschuler s'est dit d'avis que Saxpy était membre du public. Selon le juge Macdonell, cela suffisait pour que l'accusation relève de la clause 27 de l'annexe. Quant à moi, je partage l'avis de la Cour d'appel que la question n'est pas de savoir si Saxpy était membre du public, mais bien de savoir si un accusé pouvait être reconnu coupable aux États‑Unis d'avoir fait usage du téléphone relativement à un projet de frauder le public alors que le projet ne visait qu'une seule personne, Saxpy. Comme l'a conclu la Cour d'appel, M. Altschuler n'a pas exprimé d'opinion sur cette question, quoiqu'elle lui ait été posée de différentes façons. Il n'y avait donc aucune preuve touchant une condition préalable essentielle de la délivrance d'un mandat en vertu de l'art. 18. Cela étant, le juge d'extradition n'avait pas compétence pour délivrer le mandat.

IV. Dispositif

Je suis en conséquence d'avis de rejeter les deux pourvois.

I

États-Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey (21331)

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory rendu par

//Le juge La Forest//

Le juge La Forest — La question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si, lors d'une audience d'extradition pour la remise d'un fugitif accusé d'avoir commis un crime dans l'État qui demande la remise, il est nécessaire de démontrer que l'acte reproché est un crime inscrit dans le traité d'extradition aux termes du droit de l'État requérant.

Les faits

L'intimé a été mis en accusation par un grand jury devant la Cour de district du district central de la Californie le 3 mars 1983. Dans l'acte d'accusation, l'intimé était inculpé de 23 infractions, mais seulement 11 nous intéressent, c'est‑à‑dire:

a. un chef de complot en vue de:

[traduction] (1) . . . sciemment exporter des composantes électroniques de haute technologie [. . .] des États‑Unis à l'U.R.S.S. sans d'abord avoir obtenu le permis d'exportation valide exigé du Département du commerce des États‑Unis, [. . .] et

(2) . . . sciemment et volontairement présenter de fausses déclarations au Département du commerce et au service des douanes des États‑Unis . . .

b. un chef portant qu'il:

[traduction] . . . a sciemment et volontairement fait une déclaration et une représentation fausses, fictives et frauduleuses concernant des faits importants qui relèvent de la compétence du service des douanes et du Département du commerce des États‑Unis [. . .] par le dépôt au service des douanes et au Département du commerce des États‑Unis d'une déclaration d'exportation selon laquelle les marchandises exportées étaient des générateurs, des pièces et des accessoires et dont la destination finale était Zurich (Suisse) alors qu'en réalité et dans les faits, [il] savait pertinemment, que les marchandises exportées étaient, notamment, trois lecteurs de disques Memorex 677 et un ensemble de pièces de rechange Digital Equipment Corporation SP 11‑FC PDP 11/70 et que la destination finale des marchandises était l'U.R.S.S.

et neuf autres chefs d'accusation identiques à l'exception des dates d'infraction et des marchandises exportées.

Bref, l'intimé a été accusé relativement à un chef de complot en vue d'exporter du matériel de haute technologie vers l'U.R.S.S. et à dix chefs portant qu'il a fait de fausses déclarations au Département du commerce et au service des douanes des États‑Unis en vue d'effectuer une telle exportation.

Les États‑Unis ont engagé des procédures d'extradition au Canada pour obtenir la remise de l'intimé et ce dernier a été arrêté en vertu d'un mandat d'arrestation délivré relativement aux accusations mentionnées précédemment le 4 février 1988 par le juge Spencer de la Cour suprême de la Colombie‑Britannique, aux termes de l'art. 10 de la Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, ch. E‑21 (maintenant L.R.C. (1985), ch. E‑23). Une audience d'extradition a eu lieu devant le juge Dohm de cette cour. À son avis, les exigences de la Loi concernant l'incarcération avaient été respectées. Des éléments de preuve identifiaient l'intimé comme la personne visée dans l'acte d'accusation américain; il y avait des éléments de preuve en vertu desquels un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait déclarer l'intimé coupable; les actes de l'intimé, s'ils avaient été commis au Canada, constitueraient le crime de faux défini aux art. 324 et 282 du Code criminel (maintenant L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 366 et 321) et le crime de faux est un crime donnant lieu à l'extradition au Canada parce qu'il est inscrit dans le traité conclu entre le Canada et les États‑Unis. Le juge Dohm était d'avis qu'il suffisait que l'acte reproché constitue un faux selon le droit canadien. Il a rejeté l'argument selon lequel il était également nécessaire pour les États‑Unis de démontrer que le crime était inscrit dans le traité aux termes du droit américain. Par conséquent, il a délivré un mandat de dépôt le 8 avril 1988.

Toutefois, l'intimé a présenté une demande de bref d'habeas corpus et, le 17 juin 1988, le juge Bouck y a fait droit ((1988), 30 B.C.L.R. (2d) 197). À son avis, il n'y avait pas lieu d'ordonner l'incarcération parce que les infractions reprochées ne constituent pas des «crimes donnant lieu à l'extradition» au sens de la Loi puisqu'on n'a pas démontré qu'ils constituent en droit américain des crimes inscrits dans le traité.

La Cour d'appel de la Colombie‑Britannique a souscrit à l'opinion du juge Bouck ((1988), 33 B.C.L.R. (2d) 28). Elle s'estimait liée par l'arrêt de notre Cour Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327, et tenue de conclure que les crimes à l'égard desquels l'extradition était demandée devaient constituer et en droit canadien et en droit américain des infractions inscrites dans l'annexe.

Notre Cour a accordé l'autorisation de pourvoi le 8 juin 1989 ([1989] 1 R.C.S. xvi), et le pourvoi a été entendu le 30 octobre 1991. L'intimé a maintenant quitté volontairement le Canada mais, en raison de l'importance de la question et parce qu'il pourrait revenir au Canada, l'appelant demande toujours à la Cour de trancher la question. L'intimé a soulevé un certain nombre de questions secondaires mais elles ont été rejetées de façon sommaire à l'audience.

Considérations d'ordre général

Au cours des débats et devant les tribunaux d'instance inférieure, on a parlé de «règles» et de principes abstraits d'extradition, comme ceux de la double criminalité, de la spécialité et de la réciprocité, comme s'ils s'appliquaient de façon indépendante. Les débats devant les tribunaux d'instance inférieure et les motifs de ceux‑ci font également ressortir à l'occasion certains malentendus au sujet de la fonction respective des traités et des lois en matière d'extradition et, par conséquent, des rôles distincts de l'exécutif et du judiciaire de notre pays et de l'État requérant. Cette interaction entre le traité et la loi a parfois été comparée, de manière incorrecte à mon avis, avec la situation en Grande‑Bretagne. Il semble donc utile d'examiner les éléments fondamentaux.

Tout d'abord, il est important de se rappeler que, selon le droit international coutumier, les États ne sont pas obligés de livrer à d'autres États les fugitifs qui se sont soustraits à la justice; voir États‑Unis c. Allard, [1991] 1 R.C.S. 861, à la p. 865. Pour que l'obligation existe, il faut un traité. Par conséquent, en ce qui concerne les obligations internationales du Canada (et d'ailleurs des autres États), elles doivent découler de traités. Naturellement, il peut être utile d'examiner les pratiques en vigueur dans d'autres États, lesquelles présentent de grandes ressemblances. Dans l'examen de ces pratiques, les auteurs en droit international ont par souci de commodité relevé certains principes ou «règles» comme, entre autres, la double criminalité. Ce sont des étiquettes commodes et cette pratique internationale, comme cela a été mentionné dans l'arrêt Allard (à la p. 865), «[peut], sans doute, être d'une certaine utilité dans l'interprétation de la loi», mais finalement, l'obligation internationale doit ressortir des modalités du traité applicable. Notre Cour a adopté cette position dans l'arrêt R. c. Parisien, [1988] 1 R.C.S. 950.

De même, ces principes et ces règles n'existent pas en common law, en vertu de laquelle l'exécutif n'a pas le pouvoir d'extrader les criminels. Une obligation découlant d'un traité conclu par le Canada n'autoriserait pas à elle seule l'exécutif à le faire. Un traité ne modifie pas le droit du pays. Il doit être mis en {oe}uvre par une loi. Par conséquent, du point de vue du droit interne, l'extradition est créée par la loi. Notre droit interne est contenu dans la Loi sur l'extradition; voir également Allard, précité, à la p. 865.

Les obligations internationales du Canada découlent donc du traité. La Loi a pour objet de rendre le droit du pays conforme au traité. En matière d'extradition, les tribunaux fondent leur compétence sur le texte législatif. La genèse de la loi actuelle remonte à la première loi britannique d'application générale sur le sujet, The Extradition Act, 1870 (R.‑U.), 33 & 34 Vict., ch. 52. La Loi s'est appliquée au Canada en raison de l'art. 17, mais parce que l'art. 27 conservait les mesures législatives canadiennes antérieures, elle a entraîné une grande confusion au Canada, qui a pris des mesures pour mettre en {oe}uvre sa propre procédure d'extradition par la Loi de 1877 sur l'extradition, S.C. 1877, ch. 25; voir Anne W. La Forest, La Forest's Extradition To and From Canada (3e éd. 1991), aux pp. 5 et 6 (ci‑après appelé «La Forest's Extradition, 3e éd.»).

La loi canadienne de 1877 s'inspirait très largement de la loi britannique de 1870. La plupart des modifications visaient l'ordre des articles et certaines modifications terminologiques sans conséquences ont été apportées; les dispositions comparables sont indiquées dans La Forest's Extradition, 3e éd., aux pp. 273 et suiv. Cette situation n'est pas vraiment surprenante. La Loi était destinée à appliquer des traités conclus par la Grande‑Bretagne, dont un bon nombre, je dois dire, continuent à s'appliquer au Canada. Le fait qu'à cette époque le Canada ne pouvait conclure de traités explique l'essentiel des différences entre la loi britannique et la loi canadienne. La loi britannique prévoyait que les crimes pour lesquels un prévenu pouvait être livré étaient ceux inscrits dans une annexe de la Loi. Lorsqu'un traité prévoyait la remise à l'égard d'un crime qui n'était pas inscrit, l'annexe était modifiée. La loi canadienne a conservé l'annexe mais, comme le Canada ne négociait pas les traités et était beaucoup plus favorable à l'extradition que ne l'était la Grande‑Bretagne, elle prévoyait simplement l'adjonction de nouveaux crimes dans les traités en définissant (à l'article premier, maintenant l'art. 2) les crimes donnant lieu à l'extradition comme comprenant non seulement ceux de l'annexe mais aussi ceux qui étaient énoncés dans un traité. Toutefois, il s'agit purement d'une question de procédure qui n'entraîne pas de modification importante. Comme la Cour l'a souligné dans l'arrêt Allard, précité, à la p. 867: «Il serait étrange d'appliquer une règle différente aux crimes énumérés à l'annexe I et à ceux mentionnés uniquement dans le traité.» Il convient de se rappeler que, dans cet arrêt, la Cour a appliqué une disposition de la Loi à des crimes inscrits uniquement dans le traité, même si cette disposition, selon ses termes, ne s'appliquait qu'à des crimes mentionnés à l'annexe I.

L'article 4 (maintenant l'art. 3) de la Loi de 1877 sur l'extradition fait ressortir une deuxième différence connexe qui découle du fait que le Canada ne pouvait pas négocier de traités au début de notre régime actuel d'extradition. En Grande‑Bretagne, un traité n'entrait en vigueur que lorsqu'il était appliqué par décret. Au Canada, il était prévu que les traités s'appliquaient tant qu'ils étaient en vigueur. Mais, comme c'est la Grande‑Bretagne et non le Canada qui négociait les traités, certaines dispositions prévues par les traités ne correspondaient pas précisément à la procédure établie dans la loi canadienne. Par conséquent, «[a]fin d'éviter tous doutes», le par. 4(2) ajoutait que toute disposition de la Loi susceptible de ne pas être jugée compatible avec une disposition du traité n'aurait pas pour effet d'y déroger; la Loi devait être interprétée de manière à assurer l'application du traité.

Cette disposition ne devrait pas être interprétée de manière à incorporer dans la Loi toutes les dispositions du traité. Un grand nombre des dispositions des traités visent à établir les obligations générales des hautes parties contractantes et les obligations du pouvoir exécutif et de ses fonctionnaires, mais n'ont rien à voir avec les audiences d'extradition. Par exemple, elles comprennent des dispositions détaillées concernant la forme des demandes d'extradition et les nombreux documents qui devraient les accompagner pour aider l'exécutif à prendre sa décision. L'intention n'a jamais été que les juges d'extradition devraient s'occuper de ces questions, et la Loi ne le prévoit pas. Les procédures judiciaires ne sont décrites dans les traités que dans les termes les plus généraux. Ces procédures sont expressément énoncées dans la Loi, et c'est principalement la Loi qui guide le juge d'extradition. L'article 4 (maintenant l'art. 3) de la Loi de 1877 sur l'extradition visait simplement à ce que les dispositions canadiennes soient conformes aux dispositions des traités qui avaient été négociés dans le cadre du droit de la Grande‑Bretagne. Il ne prévoyait pas l'incorporation générale des dispositions de traités dans des procédures judiciaires en matière d'extradition; il visait simplement à éviter des incompatibilités possibles. Toute autre interprétation serait contraire à l'objectif fondamental de la Loi. De toute façon, de telles incompatibilités étaient peu susceptibles de se produire. Notre Loi s'inspirait largement de la loi britannique. De toute évidence, l'art. 4(2) a été ajouté dans un excès de précaution; initialement, comme nous l'avons vu, il commençait par les termes «[a]fin d'éviter tous doutes . . .»

Un autre point connexe doit être mentionné. La Loi était destinée à fournir un régime général d'extradition. Jusqu'à la loi britannique de 1870, les quelques traités d'extradition britanniques alors en vigueur avaient été mis en {oe}uvre par des lois spéciales. La loi de 1870 était destinée à mettre sur pied un système général applicable à tous les traités d'extradition. Compte tenu de son libellé et de son historique, notre loi doit également être considérée comme établissant un régime général. Bien que la Loi doive être interprétée en conformité avec les traités touchant les mêmes questions, ce serait une erreur, étant donné l'objectif de la Loi de créer un système général, de rechercher systématiquement des incompatibilités, ou d'introduire dans les fonctions du juge d'extradition des questions qui doivent être tranchées par l'exécutif et que la Loi n'a pas conférées au juge d'extradition. En fait, on peut utiliser la loi dans une certaine mesure pour interpréter les traités; voir Re DeBaun (1888), 32 L.C. Jur. 281, et R. c. Governor of Brixton Prison, ex p. Minervini, [1958] 3 All E.R. 318 (B.R.).

De toute façon, la plupart des traités se ressemblent beaucoup. Depuis toujours, un grand nombre de traités contiennent des dispositions comme celles du traité visé en l'espèce qui font mention d'«extradition réciproque» ou qui exigent que les crimes soient punissables d'au moins un an d'emprisonnement dans les deux États. L'argument selon lequel l'existence de ces dispositions dans le traité visé en l'espèce en font un traité différent des autres n'est pas fondé. Certains autres règlent la question en limitant l'extradition aux actes criminels ou aux infractions de gravité équivalente dans l'État étranger. Les anciens traités sont reproduits en annexe de Pigott, Extradition: A Treatise on the Law Relating to Fugitive Offenders (1910); dans La Forest's Extradition, 3e éd., app. II, aux pp. 359 et suiv.; on y fait mention des traités en vigueur qui s'appliquent au Canada. Bien sûr, il y a certaines différences de forme et de fond mais, compte tenu de la nature de la loi habilitante, il n'y a pas lieu de présumer d'emblée que ces modifications sont fondamentalement en désaccord avec l'économie de la Loi. Cette affirmation est appuyée par la grande similarité entre des affaires concernant des traités différents tant au Canada qu'en Grande‑Bretagne.

Enfin, il convient en passant de mentionner une autre différence procédurale entre les pratiques britannique et canadienne. En Grande‑Bretagne, lorsqu'un État étranger présente une demande d'extradition d'un fugitif, c'est généralement l'administration politique qui identifie d'abord le crime britannique qui correspond à celui qui est énoncé dans le mandat étranger et c'est le crime visé par le droit britannique qui est inscrit sur le mandat d'arrestation présenté au juge à l'audience d'extradition. Au Canada, longtemps avant la Confédération, la pratique établie était d'aller directement devant un juge sans l'intervention préalable de l'administration politique; voir La Forest's Extradition, 3e éd., aux pp. 3 et 4. À cette époque, pratiquement tous les cas d'extradition visaient les États‑Unis, qui partageaient avec le Canada non seulement la même langue mais le même système de droit pénal. Il n'était donc pas vraiment difficile pour le juge d'extradition d'identifier le crime à l'égard duquel le fugitif était poursuivi selon le droit canadien. Compte tenu de l'étendue géographique du Canada, la position britannique ne convenait réellement pas; voir M. C. Blanchflower, «Interpretation and Application of Extradition Crime in the Extradition Act» (1992), 34 Crim. L.Q. 158, à la p. 171. Cette pratique antérieure à la Confédération, qui avait l'avantage d'accélérer le processus d'extradition, a généralement été appliquée jusqu'à nos jours. En pratique, semble‑t‑il, le crime selon sa définition dans l'État étranger est énoncé dans la dénonciation et dans le mandat d'arrestation et il incombe au juge d'extradition d'identifier à l'audience le crime canadien équivalent; voir ibid., à la p. 162. Comme le juge Borins, alors à la Cour de comté, l'a dit dans Re United States of America and Smith (1984), 15 C.C.C. (3d) 16 (C. cté Ont.), à la p. 27 (conf. par 16 C.C.C. (3d) 10 (H.C. Ont.)): [traduction] «Il incombe au tribunal d'extradition de faire correspondre les faits qui constituent la conduite du fugitif, non pas au cadre établi par le gouvernement requérant, mais à la loi canadienne pour déterminer si la conduite constituerait une infraction aux termes de cette loi.» Cette situation ne pose habituellement pas de problèmes parce que la plupart des affaires d'extradition visent les États‑Unis et, en règle générale, le même acte ou comportement criminel correspond à une infraction qui porte le même nom dans les deux pays. Toutefois, à mon avis, Blanchflower (loc. cit., aux pp. 171 à 174) a formulé une opinion très valable selon laquelle le nom de l'infraction canadienne devrait d'abord être indiqué dans la dénonciation à l'appui du mandat d'arrestation; ce serait une meilleure pratique qui éviterait la confusion. Cependant, le par. 10(1) n'est pas explicite à ce sujet et les deux pratiques sont valides. Conformément au principe général selon lequel les lois en matière d'extradition devraient faire l'objet d'une interprétation large de manière à atteindre les objectifs du traité, on a adopté une position beaucoup moins formaliste à l'égard des mandats d'extradition qu'à l'égard des mandats de common law; voir La Forest's Extradition, 3e éd., aux pp. 128 et 129.

Les dispositions pertinentes de la Loi et le traité

La Loi

J'examine maintenant les dispositions de la Loi concernant la compétence d'un juge lors d'une audience d'extradition. Dans le cas d'un fugitif accusé, ce qui est le cas en l'espèce, cette compétence est établie à l'al. 18(1)b) de la Loi. Puisque j'aurai également l'occasion de traiter de l'al. 18(1)a), voici le par. 18(1) au complet:

18. (1) Le juge doit lancer son mandat pour faire incarcérer le fugitif dans la prison convenable la plus rapprochée, afin qu'il y soit détenu jusqu'à ce qu'il ait été livré à l'État étranger ou élargi conformément à la loi,

a) dans le cas d'un fugitif que l'on prétend avoir été convaincu d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sous réserve de la présente Partie, établirait qu'il a été convaincu de ce crime, et

b) dans le cas d'un fugitif accusé d'un crime entraînant l'extradition, lorsqu'il est produit une preuve qui, d'après la loi du Canada, sauf les dispositions de la présente Partie, justifierait son incarcération préventive, si le crime avait été commis au Canada.

Simplement, l'al. 18(1)b) dit que le juge d'extradition est tenu d'ordonner l'incarcération en vue de la remise d'un fugitif accusé d'un crime donnant lieu à l'extradition lorsque les éléments de preuve produits justifieraient en droit canadien son incarcération.

Alors qu'est‑ce qu'un «crime donnant lieu à l'extradition»? Le terme est défini à l'art. 2 de la Loi comme tout crime qui constituerait l'un des crimes figurant à l'annexe I s'il était commis au Canada ou un crime prévu par un traité d'extradition, que le crime figure à cette annexe ou non. Voici le texte de cette disposition:

2. Dans la présente loi

. . .

«crime entraînant l'extradition» peut signifier tout crime qui, s'il était commis au Canada, ou dans la juridiction du Canada, serait l'un des crimes énumérés à l'annexe I; et dans l'application de la présente loi à l'égard de toute convention d'extradition, un crime entraînant l'extradition signifie tout crime décrit dans cette convention, qu'il soit compris dans ladite annexe ou non; [Je souligne.]

Qui plus est, l'art. 34 (qui reproduit le préambule de la première annexe de la loi britannique de 1870) prévoit que la liste de crimes de l'annexe doit être interprétée selon l'état du droit canadien. En voici le texte:

34. La liste des crimes énumérés dans l'annexe I doit s'interpréter conformément aux lois existantes au Canada à la date du crime imputé, soit d'après la common law, soit d'après une loi du Parlement édictée avant ou après le 28 avril 1877, et comme n'embrassant que les crimes, de la nature de ceux que comprend la liste, qui, en vertu de ces lois, sont des actes criminels.

Si l'on s'en tient aux crimes énumérés à l'annexe, qui comprennent la grande majorité de tous les crimes donnant lieu à l'extradition, il est difficile de ne pas conclure que le juge d'extradition doit trancher la question de savoir s'il existe une preuve prima facie que l'acte reproché constitue un crime en droit canadien. Je remarque que les crimes à l'égard desquels on cherche à obtenir l'extradition de l'intimé (outre le complot — qui n'est indiqué que dans le traité, par. 2(2)) sont inscrits à l'annexe I, à la rubrique 4: «Faux, contrefaçon ou altération, ou mise en circulation de ce qui est falsifié, contrefait ou altéré.» Cela étant, les dix actes de fausse représentation dont le fugitif est accusé constituent des crimes donnant lieu à l'extradition selon la définition de ce terme à l'art. 2 de la Loi.

Toutefois, je ne voudrais pas qu'on croie qu'il existe un régime différent pour les crimes (comme le complot qui est reproché) qui figurent dans le traité mais non à l'annexe I. J'ai déjà expliqué que l'adjonction de ce qui constitue maintenant l'al. b) de la définition de crime donnant lieu à l'extradition (L.R.C. (1985), ch. E-23, art. 2) visait à ce que la Loi s'applique automatiquement aux crimes supplémentaires établis dans les nouveaux traités, tout comme ces nouveaux traités sont automatiquement mis en oeuvre par la Loi. En fait, il ne serait pas normal que des régimes différents soient établis à l'égard des crimes énumérés à l'annexe et ceux énumérés dans le traité seulement. En fait, notre Cour a récemment décidé que ce n'est pas le cas. Lorsqu'elle a interprété l'art. 34 (qui prévoit que les crimes énumérés à l'annexe I doivent être interprétés selon le droit canadien), notre Cour a dit dans l'arrêt Allard, précité, à la p. 867:

Il est vrai que l'art. 34 ne s'applique selon ces termes qu'aux crimes qui figurent à l'annexe I de la Loi, mais il ne faut pas oublier que quand l'art. 34 est entré en vigueur, ces crimes étaient les seuls donnant lieu à l'extradition. La loi canadienne avait suivi de près la loi britannique à l'exception que, contrairement à celle‑ci, elle prévoyait l'ajout de nouveaux crimes sans pourtant ajouter à l'annexe. Bien que l'article ait été rédigé de façon un peu maladroite, le principe général s'en dégage clairement. Il serait étrange d'appliquer une règle différente aux crimes énumérés à l'annexe I et à ceux mentionnés uniquement dans le traité.

Bref, aux termes de la Loi un «crime donnant lieu à l'extradition» est celui qui, s'il était commis au Canada, serait décrit dans l'annexe ou dans le traité, interprété selon le droit canadien. La Loi n'exige pas de preuve que l'acte reproché constitue un crime aux termes du droit étranger.

Mon collègue le juge Sopinka soutient que la Loi comporte une disposition, l'art. 15, qui limite l'application de l'expression «crime donnant lieu à l'extradition» définie dans la Loi. À mon avis, il est plus exact de dire que la disposition reconnaît la possibilité qu'un traité puisse la limiter. Voici le texte de l'art. 15 (art. 9 de la loi britannique):

15. Le juge reçoit, de la même manière, tout témoignage offert pour prouver que le crime dont le fugitif est accusé, ou dont on allègue qu'il a été convaincu, est une infraction d'une nature politique, ou n'est pas, pour quelque autre motif, un crime entraînant l'extradition, ou que les procédures sont exercées dans le but de le poursuivre ou de le punir pour une infraction d'une nature politique. [Je souligne.]

Lorsqu'il a adopté l'art. 15, le législateur a principalement mis l'accent sur les infractions à caractère politique à l'égard desquelles l'extradition est interdite en vertu de tous les traités. Toutefois, par cette disposition, le législateur semble également avoir reconnu que les traités pourraient apporter d'autres restrictions à l'expression «crime donnant lieu à l'extradition». Il convient cependant de souligner que l'art. 15 ne fait qu'autoriser le juge d'extradition à recevoir des témoignages. Il n'accorde au juge aucun autre pouvoir. Sauf pour ce qui est des infractions à caractère politique, le seul autre pouvoir expressément conféré au juge est, aux termes de l'al. 19b), de transmettre les éléments de preuve au ministre de la Justice pour qu'il les examine. Dans le cas des infractions à caractère politique, mais uniquement dans ce cas, la Loi est un peu plus explicite. L'article 21 prévoit qu'aucun fugitif ne peut être livré relativement à des infractions à caractère politique et les al. 22a) et b) permettent au ministre de refuser de livrer le fugitif pour de telles infractions. Toutefois, même dans le cas des infractions à caractère politique, il reste à déterminer si le juge d'extradition est compétent pour examiner si l'infraction reprochée a un caractère politique. À quelques occasions les tribunaux canadiens ont présumé l'existence d'une telle compétence, mais en 1973, la Cour d'appel fédérale a conclu que cette question relève uniquement de la compétence du pouvoir exécutif, la fonction du juge d'extradition étant limitée à la réception des éléments de preuve pertinents et à leur transmission au ministre de la Justice; voir Re State of Wisconsin and Armstrong (1973), 10 C.C.C. (2d) 271; pour une analyse, voir La Forest's Extradition, 3e éd., aux pp. 84, 85, 185 et 186. Je dois dire qu'en Angleterre, le par. 3(1), l'équivalent de l'art. 21 et des al. 22a) et b), prévoit explicitement que le magistrat d'extradition peut examiner la question des infractions à caractère politique, mais les tribunaux anglais ont clairement indiqué que ce pouvoir se limite aux infractions à caractère politique et ne s'applique pas aux autres questions à l'égard desquelles le magistrat peut recevoir des éléments de preuve aux termes de l'équivalent de notre art. 15 (art. 9); l'arrêt le plus récent est R. c. Governor of Pentonville Prison, ex p. Sinclair, [1991] 2 A.C. 64 (H.L.) (ci-après Sinclair).

Il n'est pas nécessaire aux fins de l'espèce de trancher la question en ce qui concerne les infractions à caractère politique. La solution repose sur une interprétation de dispositions particulières de la Loi dont nous ne sommes pas saisis. Je remarque simplement que, même dans ce cas, le plus clair de ceux auxquels l'art. 15 s'applique, il n'est pas du tout certain que le juge d'extradition ait d'autres pouvoirs que celui de recevoir les éléments de preuve et de les transmettre au ministre. Quelle que puisse être la situation quant aux infractions à caractère politique, je doute très sérieusement qu'on ait voulu que le juge d'extradition surveille les nombreuses conditions, réserves et restrictions dont les États ont assorti leurs obligations à l'égard des autres États pour l'extradition des criminels fugitifs. Lord Bridge of Harwich, parlant au nom de tous les lords dans Government of Belgium c. Postlethwaite, [1987] 3 W.L.R. 365 (H.L.), à la p. 390, a exprimé un doute semblable. Cette surveillance pourrait entraîner des retards interminables dans une procédure censée être expéditive. Comme l'a dit lord Templeman dans Postlethwaite, à la p. 392: [traduction] «Le bon déroulement des procédures d'incarcération dépend du magistrat qui, en pratique, traite les procédures d'extradition avec la plus grande célérité en tenant compte des besoins de la poursuite et des exigences de la défense.» Plus récemment dans l'arrêt Sinclair, lord Ackner, également au nom de tous les lords, a dit clairement (à la p. 89) que [traduction] «le contrôle des dispositions du traité relève du pouvoir exécutif et non de la compétence du juge». Au Canada, bien qu'on ait peu discuté du fondement théorique de la question, on a rarement invoqué en pratique les subtilités des dispositions du traité. Les avocats et les juges s'en sont tenus à juste titre au cadre de la Loi. Récemment toutefois les avocats ont étendu leurs argumentations à des questions relevant des dispositions des traités. Il ressort de l'espèce elle‑même qu'il peut y avoir d'interminables retards quand les avocats et les juges tentent de naviguer dans des eaux qu'ils connaissent mal. En Angleterre, il y a eu une tendance (bien qu'assez récente) à présenter ces arguments fondés sur les traités lors d'audiences d'extradition, ce qui a donné lieu à des affaires extrêmement difficiles que seuls les plus déterminés peuvent lire ou comprendre. Un certain nombre de cas sont décrits dans l'arrêt Sinclair. Il ressort de la jurisprudence récente que la Loi ou les traités n'ont jamais eu pour objet d'incorporer les dispositions du traité dans la Loi. Il n'y a aucune disposition de la Loi qui le prévoit et les tribunaux anglais ont récemment mis fin à la pratique qui s'était développée. Lord Ackner conclut la partie pertinente de ses motifs de la manière suivante (aux pp. 91 et 92): [traduction] «De toute évidence, pour l'avenir, si vos seigneuries sont d'avis que le magistrat n'a pas la compétence pour trancher [. . .] la question de savoir si les exigences du traité ont été respectées, ses pouvoirs étant limités à ceux que prévoient le par. 3(1) et les art. 8, 9 et 10, il en résultera une grande économie de temps pour la Cour de magistrat et la Cour divisionnaire.»

Un examen de ce qu'est un traité d'extradition permet de mieux comprendre la situation. Il s'agit d'un accord entre deux États souverains en vertu duquel chacun accepte de livrer sur demande des personnes qui auraient commis des crimes dans l'État requérant. Les États ajoutent souvent des modalités à cette obligation générale. Lorsqu'une demande est présentée, les autorités politiques de l'État requis examinent les documents pour voir si la demande respecte ces modalités. Les traités prévoient également que l'État requérant doit fournir certains documents qui permettent à l'État requis de déterminer que la demande est valide et conforme aux modalités du traité (voir l'art. 9 du traité en l'espèce (R.T. Can. 1976 no 3)), et il est raisonnable qu'il s'agisse des documents qu'il faudra examiner pour trancher la question. Essentiellement, les obligations qui découlent du traité ont un caractère politique et doivent être traitées par les autorités politiques en l'absence de loi. Toutefois, comme le juge Laskin le fait remarquer dans l'arrêt Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228, à la p. 245, la liberté de la personne n'a pas été oubliée dans ces procédures spéciales. Les traités, qui tiennent compte des droits à la liberté des personnes, comportent des dispositions pour leur protection. Le plus important est l'exigence qu'il y ait une preuve prima facie que l'acte reproché constituerait un crime au Canada. Cette question précise, à l'égard de laquelle les juges sont les plus compétents, est la tâche que la Loi sur l'extradition confie à un juge. Il va sans dire que d'autres tâches peuvent être confiées aux juges d'extradition, mais il faut trouver un fondement législatif, et les tribunaux ne devraient pas se déclarer compétents à l'égard de questions que la Loi ne leur a pas confiées. Sauf disposition législative, l'exécution des obligations découlant des traités internationaux est une tâche qui incombe aux autorités politiques et qui est exécutée par les ministres et les ministères dans le cadre de leurs mandats respectifs. La Loi sur l'extradition, il va sans dire, confère au ministre de la Justice la compétence pour la remise d'un fugitif; voir les art. 20 à 22 et 25. Les conditions du traité visent les obligations des parties et non les procédures internes de mise en {oe}uvre. L'esprit dans lequel les traités devraient être abordés est bien énoncé par lord Bridge dans l'arrêt Postlethwaite, précité, aux pp. 383 et 384:

[traduction] . . . un traité d'extradition est «un contrat entre deux États souverains et doit être interprété comme tel. Ce serait une erreur de penser qu'il doit être interprété comme une loi intérieure»: Reg. c. Governor of Ashford Remand Centre, Ex parte Beese [1973] 1 W.L.R. 969, à la p. 973, le lord juge en chef Widgery. Lorsqu'on applique ce [. . .] principe, [. . .] il faut se rappeler que les droits et les obligations réciproques que les hautes parties contractantes confèrent et acceptent visent à citer à procès ceux qui sont coupables de crimes graves commis dans l'un ou l'autre des États contractants. Appliquer aux traités d'extradition des règles strictes qui conviennent à l'interprétation des lois intérieures aurait souvent tendance à faire échouer plutôt qu'à servir cet objet.

Je n'ai trouvé dans la Loi aucune indication que les dispositions du traité invoquées par les avocats relèvent des tribunaux et il ressort clairement d'une lecture soigneuse de ces dispositions que l'intention était de confier leur application au pouvoir exécutif.

Enfin, mon collègue semble croire que l'espace laissé en blanc sur le formulaire de mandat d'arrestation prévu dans la Loi afin d'y inscrire le nom du crime pertinent doit être rempli par le nom du crime en droit américain. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, la meilleure manière de décrire le crime serait d'utiliser le nom approprié inscrit dans l'annexe de la Loi ou du traité. En Angleterre, la pratique consiste à décrire le crime qui est précisé par le secrétaire d'État, c.‑à‑d. le crime donnant lieu à l'extradition décrit en droit anglais; voir Sinclair, précité, à la p. 84. Toutefois, je crois qu'il suffit de connaître la nature du crime. Comme dans le cas du mandat d'arrestation, les tribunaux n'ont pas exigé de désignation précise. Ils ont, par exemple, estimé suffisants des mandats décrivant le crime visé comme une [traduction] «fraude par un mandataire» ou un «vol»: Ex p. Piot (1883), 48 L.T. 120; Re Gross (1898), 2 C.C.C. 67 (C.A. Ont.); Ex parte Thomas (1917), 28 C.C.C. 396. Si on ne trouve de discussions sur ce point que dans des affaires anciennes, c'est probablement parce que les tribunaux ont maintenant bien compris le principe selon lequel les formalités du droit pénal n'ont qu'une application limitée dans les affaires d'extradition.

J'examine maintenant les dispositions du traité.

Les dispositions pertinentes du traité

Comme la plupart des traités, celui qui est visé en l'espèce (Traité d'extradition entre le Canada et les États-Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3) ne prévoit qu'en termes généraux les procédures à suivre par l'État requis pour s'acquitter des obligations que lui impose le traité. Il laisse au droit de l'État requis le soin de déterminer les détails. Voici le texte de l'art. 8, dans la mesure où il est pertinent:

Article 8

La décision d'accorder ou de refuser l'extradition doit être prise conformément à la loi de l'État requis . . .

Le paragraphe 9(3) qui traite des motifs d'arrestation et le par. 10(1) qui traite du caractère suffisant de la preuve mentionnent également le droit de l'État requis. En fait, on pourrait conclure, en considérant ensemble le traité et la Loi, que le par. 10(1) reproduit en résumé le par. 18(1) de la Loi. Voici la partie pertinente du par. 10(1):

Article 10

(1) L'extradition ne doit être accordée que si la preuve est jugée suffisante, selon les lois du lieu où l'individu recherché est trouvé, soit pour justifier une mise en jugement si l'infraction dont il est accusé avait été commise sur le territoire dont ce lieu fait partie, soit pour établir qu'il est bien l'individu condamné par les tribunaux de l'État requérant.

À tout le moins, il n'y a en l'espèce aucune incompatibilité avec les dispositions de la Loi. Rien dans le texte du traité lui‑même n'exige de manière précise qu'on fasse la preuve du droit étranger à une audience d'extradition. Toutefois, on a soutenu que deux dispositions l'exigent. La première (le par. 2(1)) prévoit que les infractions pertinentes doivent être punissables d'au moins un an d'emprisonnement aux termes du droit des deux pays. L'autre (le par. 2(3)) traite des infractions aux lois fédérales des États‑Unis.

Voici le texte du par. 2(1):

Article 2

(1) Les individus seront livrés conformément aux dispositions du présent Traité pour l'une quelconque des infractions énumérées à l'Annexe jointe audit Traité, et qui en est partie intégrante, à condition que ces infractions soient punissables, en vertu des lois des deux parties contractantes, d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an.

On s'attendrait à ce que les hautes parties contractantes prévoient de permettre à l'État requis de surveiller cette obligation. C'est ce qu'elles font. En ce qui a trait à l'exigence que l'acte reproché constitue un crime dans l'État requis, l'art. 10 prévoit que l'extradition ne sera accordée que si la preuve est jugée suffisante, selon les lois de l'État requis, pour justifier une mise en jugement du fugitif si l'infraction avait été commise dans l'État requis ou pour établir qu'il est bien l'individu reconnu coupable par les tribunaux de l'État requérant. Cette fonction importante relativement à la liberté d'une personne est attribuée par la Loi sur l'extradition à un juge d'extradition aux termes d'une procédure semblable à une enquête préliminaire. C'est une question qui relève davantage de la compétence du juge. Toutefois, pour accélérer la procédure et réduire les coûts, les dépositions doivent être admises en preuve en remplacement de la comparution des témoins à l'audience, lorsqu'elles sont bien attestées et authentifiées (par. 10(2)). Quant à leur validité, nous devons donc nous fonder sur l'équité et la bonne foi des autorités judiciaires et politiques de l'État requérant.

Pour surveiller l'application de l'obligation à l'égard du droit étranger, on adopte une procédure différente. La preuve que l'infraction est un crime dans l'État étranger est déterminée par le pouvoir exécutif de l'État requis par l'examen de la validité de la demande. L'article 9 du traité le lui permet et exige que la demande d'extradition soit accompagnée, notamment, d'un énoncé des faits et «du texte des dispositions des lois de l'État requérant décrivant l'infraction et stipulant la peine à infliger à cet égard» (par. 9(2)) (je souligne). De même, dans le cas d'un fugitif accusé (comme en l'espèce), l'État requérant doit fournir «un mandat d'arrêt émis par un juge ou une autre autorité judiciaire de l'État requérant» (par. 9(3)) (je souligne), et, dans le cas d'un fugitif condamné, le «jugement de culpabilité et [. . .] la sentence prononcée» (je souligne). Voici le texte de l'article 9:

Article 9

(1) La demande d'extradition doit se faire par la voie diplomatique.

(2) La demande doit être accompagnée du signalement de l'individu recherché, d'un énoncé des faits, du texte des dispositions des lois de l'État requérant décrivant l'infraction et stipulant la peine à infliger à cet égard ainsi que d'un énoncé de la loi relative à la prescription en matière de procédures judiciaires.

(3) Lorsque la demande vise un individu qui n'a pas encore été déclaré coupable, elle doit en outre être accompagnée d'un mandat d'arrêt émis par un juge ou une autre autorité judiciaire de l'État requérant et de tout élément de preuve qui, selon les lois de l'État requis, justifierait l'arrestation et la mise en jugement dudit individu si l'infraction y avait été commise, notamment la preuve que l'individu dont on demande l'extradition est bien celui qui est visé par le mandat d'arrêt.

(4) Lorsque la demande vise un individu déjà déclaré coupable, elle doit être accompagnée du jugement de culpabilité et de la sentence prononcée contre lui dans le territoire de l'État requérant, d'une déclaration indiquant quelle partie de la peine reste à purger et de la preuve que l'individu dont l'extradition est demandée est bien celui qui doit purger la peine.

Ce texte ne prévoit nullement que le juge d'extradition est tenu d'examiner le droit étranger. Comme je l'ai mentionné précédemment, en common law cette tâche incombe aux autorités politiques et elle est maintenant attribuée par la loi au ministre de la Justice. Le ministre peut raisonnablement se fonder sur les documents qui accompagnent la demande comme preuve du droit étranger, comme le démontre le fait qu'ils ont été admis à cette fin à la Chambre des lords et devant notre Cour; voir Postlethwaite, précité, aux pp. 390 et 391, et Washington (État de) c. Johnson, précité.

La position que j'ai adoptée en l'espèce est essentiellement la même que celle de la Chambre des lords dans les arrêts Postlethwaite et Sinclair, précités. Il faut se rappeler qu'en Angleterre, on commence par examiner la demande, après quoi l'affaire est présentée au commissaire à l'extradition par arrêté du secrétaire d'État. Au Canada, comme nous l'avons vu, la procédure est moins rigide; l'affaire est souvent présentée au juge d'extradition avant que la demande officielle soit faite. Toutefois, la situation est essentiellement la même; le ministre de la Justice peut refuser l'extradition et ordonner la libération du fugitif (art. 22 de la Loi).

Je m'attarderai moins longtemps à la deuxième disposition qui, a-t-on soutenu, exige la preuve du droit étranger, parce que je doute qu'elle s'applique en l'espèce. Voici le texte de cette disposition, le par. 2(3):

Article 2

. . .

(3) L'extradition sera également accordée pour toute infraction à une loi fédérale des États‑Unis dont une des infractions énumérées à l'Annexe ci‑jointe ou justifiant l'extradition en vertu du paragraphe (2) du présent Article constitue un élément important, même si le transport ou l'utilisation de la poste ou des moyens de communication entre États sont également des éléments de cette infraction particulière.

Cette disposition a été adoptée non pas pour compliquer le droit mais pour le simplifier. Aux États‑Unis, on sait que chaque État est compétent en matière de droit pénal, et que les infractions fédérales doivent s'inscrire dans le cadre de la compétence législative fédérale. L'article 2(3) permet l'extradition relativement à une infraction inscrite dans le traité, bien qu'elle comporte des éléments destinés à assurer le respect des exigences constitutionnelles des États‑Unis qui, il va sans dire, ne figurent pas dans les infractions canadiennes comparables.

En outre, les infractions inscrites ne mentionnent nullement le droit de l'État requérant, sauf dans le cas des infractions d'ordre sexuel contre les enfants (la clause 6), qui vise certainement à ce que ces infractions particulières ne fassent pas l'objet de poursuites en vertu de dispositions plus générales. Cette exigence, comme celle du par. 2(1), pourrait, à mon avis, être établie de façon adéquate, en ce qui concerne le droit étranger, par le texte de la loi qui accompagne la demande d'extradition.

Il me semble que ce sont là des exceptions qui confirment la règle. Ces exceptions mises à part, il n'y a rien à mon avis qui porte atteinte à la directive de l'art. 8 du traité que la décision d'accorder l'extradition devrait être prise conformément au droit canadien. Autrement dit, il n'y a rien d'incompatible (ce qu'exige l'art. 3) avec la Loi sur l'extradition qui comme nous l'avons vu, exige seulement qu'il y ait une preuve prima facie d'un acte qui constitue en droit canadien un crime inscrit dans le traité. En fait, la Loi ne traite absolument pas de la preuve du droit étranger. Comme je l'ai dit, cette question relève du pouvoir exécutif.

Je ne suis pas du tout convaincu par l'argument selon lequel le régime ainsi appliqué ne permet pas l'extradition réciproque de contrevenants, qui est envisagée dans le préambule du traité et dans la plupart des autres traités d'extradition. Évidemment, il existe une entente de réciprocité en matière d'échange des criminels de certaines catégories, et cette entente fonctionne relativement bien de façon constante. Exiger la preuve du droit étranger lors d'une audience d'extradition (pour assurer le respect du droit étranger) ne serait pas utile, comme je vais tenter de le démontrer, et porterait gravement atteinte à l'objectif énoncé dans le préambule du traité qui vise à renforcer la coopération existant entre les deux pays pour la répression du crime. Toutefois, cela mis à part, il serait étrange qu'il faille accorder plus d'importance aux termes généraux d'un préambule qu'aux dispositions qui traitent spécifiquement de la question. Je remarque que le raisonnement que j'ai adopté relativement au par. 2(1) s'applique également à cette disposition de telle manière que, en fin de compte, il s'agit d'une question qui relève de l'exécutif et non du juge d'extradition. J'ajouterais que les traités, dans les affaires qui appuient mon opinion à l'égard du par. 2(1), comportaient également une clause de réciprocité comme celle qui nous préoccupe en l'espèce; voir In re Nielsen, [1984] A.C. 606 (H.L.), United States Government c. McCaffery, [1984] 2 All E.R. 570 (H.L.), Postlethwaite, Johnson et Sinclair, précités.

Objet de l'audience

L'audience d'extradition a donc une fonction modeste, comme notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536. Cette fonction consiste à déterminer s'il y a suffisamment de preuve qu'un fugitif accusé a commis un acte dans l'État requérant qui, s'il avait été commis au Canada, constituerait un crime inscrit ou décrit dans le traité. Bref, et j'y reviendrai, le juge d'extradition doit déterminer si l'acte de l'accusé constituerait un crime s'il avait été accompli dans notre pays. Cette fonction, même si elle n'a pas une grande portée, est importante pour la liberté de la personne. Notre Cour a ainsi formulé ce point dans Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500, à la p. 515:

L'audience protège donc une personne qui se trouve au Canada contre l'extradition en vue d'un procès pour un crime commis dans un pays étranger, à moins qu'on ne produise une preuve prima facie établissant qu'elle a fait dans ce pays étranger un acte qui constituerait un crime visé par le traité s'il avait été accompli ici.

La déclaration de lord Ackner dans Sinclair, précité, à la p. 82, que le juge d'extradition [traduction] «a des fonctions importantes mais très limitées à remplir», décrit bien la situation.

La protection accordée au fugitif ne se termine pas là. J'ai mentionné que le traité prévoit que la demande doit être accompagnée du texte des dispositions de la loi de l'État requérant qui décrit l'infraction et qui prescrit la peine ainsi que d'un mandat d'arrêt émis par un juge ou une autre autorité judiciaire de cet État. À moins de remettre en cause la bonne foi ou la compétence du pouvoir judiciaire et des autres autorités de ce pays (ce contre quoi les tribunaux, dont notre Cour, nous ont à maintes reprises mis en garde; voir par exemple l'arrêt Schmidt à la p. 516), je ne comprends pas la crainte de mon collègue que nous puissions envoyer une personne dans un pays étranger relativement à un crime qui n'existe pas.

Ce n'est pas non plus la seule protection qui est accordée au fugitif. Le traité prévoit en outre (et c'est le cas pour tous les traités) que la personne livrée ne doit pas être détenue, jugée ou punie pour une infraction autre que celle pour laquelle l'extradition a été accordée (par. 12(1)). Bref, elle ne peut être poursuivie par l'État requérant que pour l'infraction à l'égard de laquelle elle a été livrée. Le juge Anglin l'a clairement souligné dans l'arrêt Buck c. The King (1917), 55 R.C.S. 133, où, en traitant des infractions pour lesquelles une personne qui avait été extradée au Canada pouvait faire l'objet de poursuites, il a dit à la p. 145:

[traduction] . . . «l'infraction pour laquelle (l'accusé) a été livré» signifie l'infraction précise dont il a été inculpé devant le commissaire d'extradition [dans l'État qui livre le fugitif] et à l'égard de laquelle ce fonctionnaire a jugé qu'une preuve prima facie avait été faite et a ordonné son extradition, et non une autre infraction ou un autre crime, même s'il est de caractère juridique identique et s'il a été commis à peu près à la même époque et dans des circonstances semblables.

C'est la même chose aux États‑Unis où un fugitif qui a été livré jouit du droit d'être jugé uniquement à l'égard du crime pour lequel il a été livré. L'arrêt de principe est l'arrêt United States c. Rauscher, 119 U.S. 407 (1886) (sur lequel s'est fondé le juge Anglin dans l'arrêt Buck), dans lequel le juge Miller exprime l'opinion de la Cour suprême à la majorité en ce qui concerne les droits d'un fugitif qui fait l'objet d'une extradition, à la p. 424:

[traduction] Ce droit, selon notre interprétation, prévoit qu'il ne doit être jugé que pour l'infraction dont il est accusé dans la procédure d'extradition et pour laquelle il a été livré, et s'il n'est pas jugé pour cette infraction ou s'il est jugé et acquitté il doit pouvoir disposer d'un délai raisonnable pour quitter le pays avant d'être arrêté en vertu d'une accusation relative à tout autre crime commis avant son extradition.

Voir également Johnson c. Browne, 205 U.S. 309 (1907); United States c. Sobell, 142 F.Supp. 515 (1956), conf. par 244 F.2d 520 (1957) (cert. refusé 355 U.S. 873 (1956)) à la p. 524; United States c. Alvarez‑Machain, 119 L. Ed. 2d 441 (1992).

Évidemment, le juge de première instance aux États‑Unis traite l'infraction selon le droit de ce pays. L'identité de cette infraction peut être déterminée par renvoi au texte de la loi qui accompagne la demande. Par ailleurs, au Canada, le juge d'extradition doit examiner si les faits sous‑jacents de l'accusation constitueraient, à première vue, un crime inscrit dans le traité s'ils s'étaient produits au Canada. C'est ce que signifie l'affirmation que la double criminalité est fondée sur la conduite. Les tribunaux des deux pays traitent des infractions selon leur propre droit, celui qu'ils connaissent, mais chacun doit vérifier si aux termes de ce droit les faits appuient l'accusation.

Je ne vois pas de quelle façon la preuve du droit étranger peut favoriser l'objet de l'audience d'extradition tel que je l'ai déterminé, sauf peut‑être dans de rares cas, comme les infractions à caractère politique qui peuvent être expressément attribuées au juge d'extradition. Par ailleurs, exiger une preuve du droit étranger autre que celle fournie par les documents qui accompagnent la demande risque de nuire au fonctionnement des procédures en matière d'extradition. Il est impensable que cela ait même pu être envisagé au moment de l'adoption de la Loi et de la négociation d'un grand nombre des traités encore en vigueur. Le transport de témoins, quelquefois à l'autre bout du monde, aurait semblé impossible. À notre époque moderne, des motifs tout à fait différents sont invoqués contre cette possibilité. De nos jours, le crime ne s'arrête pas aux frontières. Une grande partie du crime organisé a une portée internationale. Comme notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469, à la p. 1485: «La communauté criminelle internationale ne respecte les frontières nationales que lorsqu'elles peuvent permettre de contrecarrer les efforts des autorités judiciaires et des organismes chargés d'appliquer la loi.» Cette communauté criminelle serait certainement en faveur de l'obligation de faire la preuve du droit étranger. Faire venir des témoins pour participer à des débats obscurs sur des questions de droit qui découlent d'un système juridique que le juge connaît mal entraînerait inévitablement des retards et créerait de la confusion inutilement, surtout s'il faut envisager les pièges de la traduction et des structures tout à fait différentes de systèmes juridiques étrangers. Dans son ouvrage Extradition in International Law (1971), I. A. Shearer a exposé le problème de la manière suivante aux pp. 139 et 140:

[traduction] . . . il serait théoriquement mauvais d'assujettir l'extradition au risque supplémentaire inutile de la preuve de la criminalité établie selon un droit que connaît mal le tribunal chargé de juger le fugitif. L'enquête que le tribunal de l'État requis est compétent pour mener, c.‑à‑d. déterminer si l'acte à l'égard duquel l'extradition est demandée, s'il avait été commis dans l'État requis, constituerait une infraction aux termes du droit de cet État, répond adéquatement aux objectifs véritables de la règle de la double criminalité.

Lord Ackner a exprimé son opinion de la manière suivante dans l'arrêt Sinclair, précité, à la p. 91:

[traduction] Leurs seigneuries doivent traiter de l'interprétation d'une loi adoptée il y a plus de cent ans. Je ne peux admettre que le législateur ait voulu que le [juge d'extradition] dans le cadre de ses fonctions préside de longues instances durant des semaines, voire, à l'occasion, des mois, pour entendre des éléments de preuve très contestés de droit étranger quant à savoir si les nombreuses et diverses obligations qui découlent du traité pertinent ont été respectées. L'espèce démontre bien l'inconvénient d'une telle procédure.

On peut dire la même chose de l'espèce. Sauf, peut-être, dans le cas exceptionnel des infractions à caractère politique que j'ai mentionnées précédemment, je souscris à l'opinion de lord Ackner (citant le lord juge Goff) que le juge d'extradition [traduction] «ne doit pas s'occuper du tout du droit étranger» (à la p. 84).

La jurisprudence

Bien que les arrêts de principe récents concernant la Loi traitent également des dispositions du traité, je les examinerai séparément, pour plus de clarté, d'abord sur le plan de la loi puis sur le plan du traité.

La Loi

La jurisprudence canadienne sur la question de savoir si la preuve du droit étranger est exigée dans une audience d'extradition est restée longtemps confuse. Les premières affaires étaient en majorité favorables à l'opinion selon laquelle il suffisait que l'audience d'extradition établisse que l'acte reproché était une infraction en droit canadien; on était d'avis qu'il fallait déduire de la présentation de la demande que l'acte reproché était également une infraction dans l'État requérant; voir la jurisprudence citée dans La Forest's Extradition, 3e éd., à la p. 165, no 153. Toutefois, l'opinion selon laquelle il fallait apporter la preuve du droit étranger à l'audience d'extradition a graduellement pris de l'importance en raison de l'influence du droit anglais à l'époque; voir ibid., à la p. 165, no 149. Toutefois, les juges cherchaient quand même à éviter cette situation en concluant qu'un acte d'accusation constituait une solide preuve par inférence du droit étranger; voir ibid., p. 165, no 152. De même, certains juges ont proposé la position de compromis que les crimes de common law n'exigeaient pas la preuve du droit étranger, mais que les crimes prévus par un texte de loi l'exigeaient; voir ibid., p. 165, no 154. À ce sujet, je dois dire que, probablement parce que la plupart de nos affaires venaient des États‑Unis qui comme le Canada est un pays de common law et dans lequel les crimes sont semblables, peu d'affaires soulevaient de toute façon la question de la preuve du droit étranger. La confusion a régné longtemps car pendant de nombreuses années il n'y a pas eu d'appel fondé sur l'habeas corpus et les juges ont adopté des positions différentes.

Malgré cette confusion, aucun arrêt n'a décidé qu'il était nécessaire de démontrer à l'audience d'extradition qu'un crime s'inscrivait dans le cadre du traité selon le droit de l'État requérant. Il est vrai que des déclarations dans certains arrêts indiquent que le crime doit être visé dans le traité selon l'interprétation que lui donne le droit des deux pays (voir La Forest's Extradition, 3e éd., p. 74, nos 126 et 127), mais cela ne signifie pas nécessairement, et j'y reviendrai, que la question du droit étranger doit être tranchée par le juge d'extradition. De toute façon, ces déclarations ne sont que de simples opinions incidentes et il n'est pas nécessaire que je les examine en détail. Elles contredisent l'analyse précédente de la Loi et du traité qui m'a amené à conclure qu'il n'est absolument pas nécessaire d'examiner le droit étranger lors d'une audience d'extradition. Toutefois, je reviendrai sur ces affaires ultérieurement.

En Angleterre, la pratique consistant à obtenir la preuve du droit étranger a commencé avec deux décisions de la Cour divisionnaire qui traitaient de demandes d'habeas corpus à la fin du XIXe siècle: In re Bellencontre, [1891] 2 Q.B. 122 et In re Arton (No. 2), [1896] 1 Q.B. 509. Comme lord Diplock, au nom de la Chambre des lords, l'a dit dans In re Nielsen, précité, à la p. 622: [traduction] «La caractéristique curieuse des jugements dans chacune de ces deux affaires est que ni l'une ni l'autre ne mentionne les termes des articles des lois qui étaient le seul fondement de la compétence du magistrat [au Canada, le juge d'extradition] . . .» Ils paraissent avoir taillé la pratique en plein drap. La commission royale de 1878 sur l'extradition qui a examiné de façon approfondie le fonctionnement de la Loi, n'a pas constaté qu'un juge d'extradition avait un tel rôle. Ainsi, elle a fait l'observation suivante à la p. 8 de son rapport (British Digest of International Law, appendice, à la p. 810):

[traduction] Si l'on se demandait comment vérifier qu'une infraction reprochée est reconnue comme telle, il faudrait répondre que notre propre droit fournit un critère suffisant en ce qu'il est très complet à l'égard des infractions contre la personne et contre les biens.

En outre, il y a une autre raison pour vérifier que l'accusation pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction en vertu de notre propre droit. Il est et sera toujours nécessaire d'établir à première vue une cause d'action devant un magistrat pour appuyer une demande d'extradition. Toutefois, on ne peut s'attendre à ce que le magistrat anglais connaisse ou interprète le droit étranger. Il n'est pas souhaitable qu'il soit tenu de faire autre chose que de veiller à ce que les faits démontrés constituent à première vue une infraction qui aurait relevé de la compétence des tribunaux si elle avait été perpétrée dans ce pays.

Pour être juste à l'égard des juges qui ont entendu ces affaires, il faut dire qu'ils répondaient à un argument des fugitifs et l'ont rejeté (après avoir examiné des textes de droit étranger). Les décisions ont été critiquées sur ce point par sir F. T. Piggott, le spécialiste du domaine à cette époque, et ont été attaquées depuis par les experts dans ce domaine; voir Piggott, op. cit., aux pp. 124 et 125; Shearer, op. cit., aux pp. 139 à 141; M. C. Blanchflower, «State of Washington v. Johnson» (1989), 31 Crim. L.Q. 197; La Forest's Extradition (1re éd. 1961), à la p. 72, (2e éd. 1977), aux pp. 108 à 110, (3e éd. 1991), aux pp. 51 à 55, 164 à 174; voir également M. C. Blanchflower, «Examination of the Law of the Requesting State in Extradition Proceedings» (1992), 34 Crim. L.Q. 277. Néanmoins, la pratique (que les décisions n'ont jamais justifiée — voir lord Diplock dans Nielsen à la p. 623) a persisté et a été adoptée par certains juges au Canada. Le caractère uniforme de la pratique en Grande‑Bretagne, par rapport à la situation au Canada, reflète le système judiciaire centralisé de la Grande‑Bretagne et le respect des décisions de juges de même niveau. Comme au Canada, il n'y avait pas d'appel contre le bref d'habeas corpus, de sorte que la question ne s'est posée que récemment en appel.

La Chambre des lords a eu l'occasion d'examiner la question dans l'arrêt Nielsen, précité, et a conclu que la pratique suivie dans Bellencontre et Arton (No. 2) n'était pas fondée. Dans l'arrêt Nielsen, le fugitif était accusé au Danemark d'avoir abusé de manière frauduleuse de son poste d'actionnaire majoritaire d'une société pour aider financièrement une autre société sous son contrôle. Dans le mandat d'arrestation et les ordonnances subséquentes préparées par le ministre de l'Intérieur selon la pratique anglaise, l'infraction était décrite conformément à certaines infractions anglaises auxquelles correspondait le crime allégué. Le magistrat a refusé de livrer le fugitif parce que, après avoir examiné le droit danois, il a conclu que l'infraction danoise n'était pas suffisamment semblable aux infractions anglaises. Toutefois, en appel devant une cour divisionnaire, l'ordonnance du magistrat a été annulée. L'appel de la décision de cette cour a été rejeté par la Chambre des lords qui a confirmé que le magistrat avait eu tort. Les lords ont jugé que, mises à part les infractions de nature politique et certaines exceptions précises dans le traité, la seule compétence du magistrat pour connaître de l'affaire était énoncée à l'art. 10 de l'Extradition Act, 1870. Voici ce qu'il prévoit à l'égard d'un accusé fugitif:

[traduction] 10. Le magistrat de police ordonne l'incarcération ou la libération d'un criminel fugitif dans le cas où il est accusé d'un crime donnant lieu à l'extradition, lorsque le mandat étranger est dûment authentifié et que les éléments de preuve produits (sous réserve des dispositions de la présente loi) justifieraient en droit anglais sa citation à procès si le crime avait été commis en Angleterre.

Il convient de souligner que cette disposition est quant au fond (sinon la forme) la même que l'al. 18(1)b) de la loi canadienne, que la définition de crime donnant lieu à l'extradition à l'art. 26 correspond à celle de l'art. 2 de notre loi et que le préambule de la liste des crimes énumérés à l'annexe 1 a le même objet que notre art. 34, tous précités. Aux termes de ces dispositions, les lords ont conclu que le magistrat est uniquement tenu d'examiner s'il y a une apparence suffisante que le fugitif a commis dans l'État requérant un acte qui constitue, selon la définition du droit anglais, un crime figurant dans le traité. Si tel est le cas, le magistrat doit ordonner l'incarcération de l'accusé en vue de son extradition. Lord Diplock, au nom de tous les lords juges a dit dans l'arrêt Nielsen, aux pp. 624 et 625:

[traduction] . . . à la conclusion de la preuve, le magistrat doit décider si cette preuve, selon le droit anglais, justifierait la citation à procès de l'accusé relativement à une infraction qui est décrite dans la liste de 1870 (avec les adjonctions ou les modifications des lois sur l'extradition subséquentes) à la condition qu'une telle infraction soit également inscrite dans les crimes donnant lieu à l'extradition dans le texte anglais du traité d'extradition. Aux fins de cette décision, seul le droit anglais est pertinent. Le fait qu'il soit tenu de rendre une telle décision ne lui confère pas le pouvoir d'examiner le droit pénal substantiel de l'État étranger où l'acte a, en fait, été accompli ou de recevoir des éléments de preuve à l'égard de celui‑ci. [En italique dans l'original.]

Mon collègue le juge Sopinka a mentionné un passage de cet arrêt qui appuie une décision différente aux termes de certaines dispositions du traité, mais comme je l'ai déjà dit, je traiterai de cette question plus tard.

Lord Diplock est revenu à la charge dans McCaffery, précité, où il a précisé le rôle du magistrat de la manière suivante, aux pp. 572 et 573 :

[traduction] . . . le critère qui permet de déterminer si une personne visée par un mandat d'arrestation délivré dans un État étranger relativement à une infraction qui aurait été commise dans cet État devait être livrée en tant que criminel fugitif n'était pas de savoir si l'infraction mentionnée dans le mandat d'arrestation étranger pour laquelle il avait été délivré était essentiellement semblable à un crime aux termes du droit anglais qui s'inscrit dans la liste des infractions décrites à l'annexe I de la Loi de 1870 sur l'extradition et ses modifications (c.‑à‑d. le soi‑disant critère de la «double criminalité»). Le bon critère [. . .] était de savoir si la conduite de l'accusé, si elle avait eu lieu en Angleterre aurait constitué un crime correspondant à au moins une des descriptions comprises dans cette liste. [En italique dans l'original.]

Les tribunaux anglais ont maintenu cette position jusqu'à présent. J'ai mentionné plus haut l'affirmation du lord juge Goff dans l'arrêt Sinclair, précité, à la p. 84, que «le magistrat ne doit pas s'occuper du tout du droit étranger», et qui est citée par lord Ackner lorsqu'il examine d'autres affaires au même effet.

Comme je l'ai dit plus haut, la disposition pertinente de la loi canadienne, l'al. 18(1)b) a précisément le même effet que la disposition anglaise, l'art. 10. Il n'est donc pas surprenant que notre Cour ait exprimé une opinion semblable dans des arrêts récents. Ainsi, dans l'arrêt Mellino, précité, la Cour a souligné à la p. 553:

Je le répète: le rôle d'un juge d'extradition est modeste; en l'absence d'une autorisation expresse découlant d'une loi ou d'un traité, l'unique but d'une audience d'extradition est de s'assurer que la preuve établit une apparence suffisante de la perpétration d'un crime donnant lieu à l'extradition.

Comme je l'ai dit plus haut, un "crime donnant lieu à l'extradition" aux fins de la Loi désigne un acte commis dans l'État requérant qui constituerait un crime décrit dans le traité s'il était commis dans notre pays. Cette définition constitue le fondement du raisonnement dans un certain nombre de passages de l'arrêt Canada c. Schmidt, précité, notamment le passage cité précédemment pour déterminer l'objet de la procédure, c'est‑à‑dire (à la p. 515):

L'audience protège donc une personne qui se trouve au Canada contre l'extradition en vue d'un procès pour un crime commis dans un pays étranger, à moins qu'on ne produise une preuve prima facie établissant qu'elle a fait dans ce pays étranger un acte qui constituerait un crime visé par le traité s'il avait été accompli ici.

Voir également les pp. 514 et 515.

La Cour d'appel en l'espèce a refusé de suivre l'arrêt In re Nielsen, précité. Elle l'a fait pour deux raisons. Premièrement, elle était d'avis que l'al. b) de la définition de «crime donnant lieu à l'extradition» dans la Loi lui donnait une définition entièrement différente de celle du droit anglais. J'ai déjà expliqué comment à mon avis, il faut aborder cette définition et je n'ai pas à y revenir. Deuxièmement, la Cour d'appel n'a pas suivi l'arrêt Nielsen parce qu'elle s'estimait tenue d'adopter cette position en raison de l'arrêt de notre Cour Washington (État de) c. Johnson, précité. Toutefois, elle a admis que la question centrale dans l'arrêt Johnson était le contraire de celle qu'elle devait trancher. En bref, notre Cour a décidé dans l'arrêt Johnson qu'il fallait établir que le crime à l'égard duquel la remise d'une personne est demandée constituerait en droit canadien un crime énuméré dans le traité. À mon avis, ce point est très important. La conclusion de la Cour d'appel en l'espèce a de toute évidence été influencée par un renvoi à la définition de crime donnant lieu à l'extradition dans mon texte (2e éd.), op. cit., à la p. 42, qui a été citée par le juge Wilson. Je n'écarte pas cette définition comme une description générale interprétée du point de vue de l'ensemble du processus d'extradition, mais la modestie (ainsi que les règles ordinaires d'interprétation législative) m'empêche de l'utiliser pour interpréter la Loi au lieu de la définition contenue dans la Loi elle‑même. Je reviendrai plus tard sur la question de ce genre de définitions globales. Elles concernent l'ensemble du processus de l'extradition et ne se limitent pas aux procédures devant le juge d'extradition. Toutefois, pour l'instant, il est important de souligner que mon ancienne collègue n'a pas cité la définition de mon livre pour remplacer celle de la Loi. Elle a toujours été trop avisée pour me faire cet honneur. Sous la rubrique «Les crimes entraînant l'extradition», elle ne mentionne que la définition de cette expression dans la Loi; de même, comme nous le verrons, lorsqu'elle a traité de la question qui lui était posée directement, elle s'est fondée sur la définition de la Loi. En revanche, elle cite la définition de mon ouvrage avec Shearer, op. cit., p. 137, à l'appui de l'argument principal de son arrêt que la règle de la «double criminalité» vise la conduite d'une personne; elle n'implique pas une comparaison des infractions dans les deux pays. À son avis, pour qu'un crime donne lieu à l'extradition, il doit s'agir d'un acte qui est non seulement une infraction dans l'État requérant mais en est également une dans l'État requis qui est inscrite dans le traité. Toutefois, elle n'a jamais dit qu'il incombait au juge d'extradition de déterminer que l'acte reproché constitue un crime dans l'État requérant. Lorsqu'elle traite de la fonction du juge d'extradition, ce qui était évidemment la question à laquelle elle devait répondre directement, elle mentionne la définition contenue dans la Loi sur l'extradition. C'est ce qu'elle fait lorsqu'elle discute de l'application de la «règle de la double criminalité» (aux pp. 342 et 343). Elle se limite à déterminer si l'acte reproché correspond à un crime inscrit dans le traité selon le droit canadien. Cette position correspond à ce qu'elle estime être l'objectif sous‑jacent de la règle de la double criminalité, c.‑à‑d. que nul ne doit être livré en raison d'un acte (ou d'un comportement) dans un autre pays à moins que cet acte ou ce comportement ne soit considéré être un crime au pays. À l'appui de cet argument, elle cite (aux pp. 341 et 342) le passage suivant de Shearer aux pp. 137 et 138:

[traduction] La règle de la double criminalité n'a jamais été sérieusement contestée car elle repose en partie sur le principe fondamental de la réciprocité qui est à la base même de l'extradition, et en partie sur la maxime nulla poena sine lege. En effet la règle de la double criminalité remplit une fonction des plus importantes en assurant qu'il ne sera pas porté atteinte à la liberté d'une personne pour des infractions qui ne sont pas considérées comme criminelles par l'État requis. Par ailleurs, la conscience sociale d'un État ne sera pas mise dans l'embarras par l'obligation d'extrader une personne qui, selon les normes de cet État, ne s'est pas rendue coupable d'actes méritant une sanction. En ce qui concerne le principe de réciprocité, la règle joue de manière à dispenser un État d'avoir à extrader des catégories de délinquants dont il n'aura jamais lui‑même l'occasion de demander l'extradition. C'est là un point qui loin d'être uniquement théorique, même à une époque où les normes tendent vers l'uniformité; rien qu'en Europe occidentale on constate des variations marquées dans les règles de droit criminel applicables notamment en matière d'avortement, d'adultère, d'euthanasie, d'homosexualité et de suicide. [Le juge Wilson souligne.]

Il convient de souligner que ce passage est tout à fait conforme à la position que notre Cour a énoncée dans l'arrêt Schmidt, à la p. 515, dont j'ai déjà parlé. Il convient de mentionner également l'arrêt Allard, précité, à la p. 868, et l'arrêt Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, où la Cour à la majorité a dit, selon les termes du juge McLachlin, à la p. 845: «Il n'y aura pas d'extradition pour des actes qui ne constituent pas des infractions dans notre pays» (je souligne).

Le juge Wilson a traité de la question dont elle était saisie sur le fondement de la rubrique théorique de la «règle de la double criminalité». Toutefois, il est essentiel de souligner son interprétation de la double criminalité, appliquée à une audience d'extradition, que j'ai déjà décrite. En bref, lorsqu'elle applique cette règle, elle le fait à bon droit en conformité avec les définitions et les exigences de la Loi sur l'extradition. Nous avons déjà vu que ce qui est exigé dans le cas d'un accusé fugitif aux termes de l'al. 18(1)b) de la Loi est une preuve prima facie que le fugitif a commis un acte qui constitue un «crime donnant lieu à l'extradition» tel que défini dans la Loi, c.‑à‑d. inscrit dans le traité interprété selon le droit canadien.

Pour bien saisir le raisonnement du juge Wilson dans l'arrêt Johnson, il faut souligner qu'elle ne traitait pas dans cette affaire d'un fugitif qui avait simplement été accusé d'un crime donnant lieu à l'extradition mais qui avait été déclaré coupable d'un tel crime. La Loi traite des fugitifs déclarés coupables à l'al. 18(1)a). Cette procédure est assez semblable à celle qui vise les accusés fugitifs aux termes de l'al. 18(1)b). L'alinéa 18(1)a) exige la preuve que le fugitif a été déclaré coupable dans le pays requérant d'un «crime donnant lieu à l'extradition» tel que défini dans la Loi, ce qui, encore une fois, signifie qu'il faut établir que l'acte pertinent constituerait en droit canadien un crime énuméré. Toutefois, parce que ce qui doit être démontré aux termes de l'al. 18(1)a) est différent, la preuve que le crime est considéré comme tel au Canada n'est pas faite de la même manière et peut comporter un examen du droit étranger pour déterminer si l'acte qui a donné lieu à une déclaration de culpabilité dans un État étranger constituait une infraction selon le droit canadien. Il est possible de le constater par un examen plus approfondi des parties pertinentes de l'arrêt Johnson.

Dans l'arrêt Johnson, le fugitif avait été déclaré coupable de «vol au deuxième degré» dans l'État de Washington. Le «vol» était inscrit dans le traité. Toutefois, la définition de l'infraction dans l'État de Washington ne mentionnait pas l'élément d'intention frauduleuse qui est exigé en droit canadien. Étant donné que le fugitif avait été déclaré coupable, le juge Wilson a conclu que l'al. 18(1)a) s'appliquait. À son avis, on pouvait démontrer de deux façons que la conduite du fugitif satisfaisait aux exigences de cette disposition, c.‑à‑d. qu'il avait été déclaré coupable dans l'État requérant d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait un crime en droit canadien. Une façon de le démontrer était que l'infraction dans l'État de Washington exigeait une intention frauduleuse; l'autre façon, qui se rapproche plus de l'examen aux termes de l'al. 18(1)b), était d'établir que, en vertu des faits précis de l'affaire, il y avait eu intention frauduleuse. Comme je l'ai souligné, elle traite de cette question selon sa description de la double criminalité aux fins de l'al. 18(1)a).

Utilisant la première méthode, elle a conclu qu'un examen du droit américain n'indiquait pas que le fugitif avait été déclaré coupable dans l'État de Washington d'une infraction qui constituerait le crime de vol pertinent donnant lieu à l'extradition selon la définition du droit canadien. Le vol aux termes du droit canadien exigeait l'intention frauduleuse, mais le texte américain qui accompagnait la demande ne mentionnait pas cette intention frauduleuse qu'exigeait le droit canadien et cette exigence n'avait pas été démontrée d'une autre façon. Il n'avait donc pas été démontré que la déclaration de culpabilité dans l'État de Washington constituait la preuve que la conduite du fugitif aurait correspondu à un vol selon le droit canadien, comme l'exige la définition de «crime donnant lieu à l'extradition» dans la Loi.

Le juge Wilson a pris ensuite la deuxième méthode utilisée pour démontrer que l'infraction dont l'accusé avait été déclaré coupable serait un crime énuméré en droit canadien — l'examen des faits de l'affaire. Après examen de ces faits, elle a conclu qu'il n'y avait «aucun élément de preuve» de l'intention frauduleuse comme l'exigeait le droit canadien.

La méthode du juge Wilson, que j'ai déjà décrite, est énoncée clairement aux pp. 345 et 346 de la manière suivante:

Je suis d'accord avec l'intimé qu'il existe deux moyens d'établir la double criminalité aux fins de l'al. 18(1)a). En premier lieu, on pourrait prouver que la loi du Washington exige une intention frauduleuse pour qu'il y ait déclaration de culpabilité de l'infraction imputée. On pourrait le faire en démontrant que le texte de l'infraction requiert l'intention frauduleuse ou encore en citant des témoins experts pour témoigner que, bien que la loi du Washington ne requière pas expressément une intention frauduleuse, cette intention doit néanmoins être présente selon le droit applicable au Washington. Si on établissait l'un ou l'autre de ces faits, la preuve d'une déclaration de culpabilité en vertu de la loi du Washington prouverait que la conduite du fugitif aurait constitué un vol en droit canadien. En l'espèce, cependant, il ne ressort pas du texte de la loi étrangère produit par l'État requérant en conformité avec l'article 9(2) du Traité que la loi de l'État de Washington requiert une intention frauduleuse. Par ailleurs, aucun expert n'a été cité pour déposer relativement à cette question.

La seconde méthode pour démontrer que l'exigence de la double criminalité a été remplie consiste à établir que les faits particuliers sur lesquels repose l'accusation portée dans l'État de Washington, s'ils avaient eu lieu au Canada, auraient constitué une infraction soit au par. 283(1) soit au par. 290(1) du Code criminel. On ne l'a pas fait non plus. Les événements donnant lieu à l'accusation portée dans l'État de Washington se trouvent exposés dans les affidavits déposés devant le juge d'extradition. Celui‑ci n'a toutefois pas jugé que ces faits témoignaient d'une intention frauduleuse. [Je souligne.]

Bref, le juge Wilson voulait déterminer si la conduite de l'accusé constituait un crime donnant lieu à l'extradition en droit canadien. S'il avait été démontré que l'accusé avait été déclaré coupable aux États‑Unis d'une infraction qui incorporait toutes les composantes d'un crime énuméré tel que défini au Canada, cela aurait suffi. Il aurait également suffi d'établir que les faits qui ont entraîné la déclaration de culpabilité, s'ils avaient été commis au Canada, auraient constitué un crime inscrit dans le traité. Dans de telles circonstances, il n'était pas nécessaire de se reporter au droit des États‑Unis pour conclure que l'acte reproché constituait un crime selon le droit canadien, ce qui est tout ce que la Loi sur l'extradition exige du juge d'extradition. Dans l'arrêt Johnson, tous les juges étaient d'accord sur ce point et auraient incarcéré l'accusé sans preuve que le crime reproché était une infraction aux termes du traité selon le droit de l'État requérant. Les juges de la majorité et ceux de la minorité étaient simplement en désaccord sur les faits.

Il convient de noter que l'arrêt Nielsen, visait un accusé aux termes de l'équivalent britannique de l'al. 18(1)b) plutôt que de l'al. 18(1)a), mais il faut souligner que lord Diplock était dans cet arrêt du même avis que le juge Wilson relativement aux exigences de la disposition équivalente à l'al. 18(1)a) qui traite des personnes déclarées coupables et, à mon avis, leurs raisonnements sont fondamentalement les mêmes. La seule différence entre eux réside dans la méthode judiciaire. Le juge Wilson dans l'arrêt Johnson traite de l'affaire sur le plan du principe sous‑jacent, la «règle de la double criminalité», incorporé dans l'al. 18(1)a) de la Loi. Lord Diplock préfère s'en tenir au texte précis de la disposition comparable de la loi britannique qu'il mentionne dans l'arrêt McCaffery, à la p. 573, précité, comme «le soi‑disant critère de la «double criminalité»». Je dois avouer que lorsque je traite de l'extradition dans le cadre de la Loi sur l'extradition, je suis plus à l'aise avec la démarche concrète qu'adopte lord Diplock. Elle évite de troubler le juge d'extradition avec des questions théoriques et des questions qui ne relèvent pas de ses fonctions. Mais en réalité, il n'y a pas de différence. En fin de compte, le juge Wilson et lord Diplock souscrivent à la dernière phrase de la citation de McCaffery qui (adaptée au Canada) est la suivante: «Le bon critère [. . .] était de savoir si la conduite de l'accusé, si elle avait eu lieu [au Canada] aurait constitué un crime correspondant à au moins une des descriptions comprises dans cette liste». Comme je l'ai déjà indiqué, notre Cour a dit essentiellement la même chose dans les arrêts Mellino et Schmidt.

En résumé, il faut démontrer que l'acte ou le comportement du fugitif, s'il avait eu lieu au Canada, aurait constitué un crime inscrit dans le traité selon le droit canadien, qu'il s'agisse d'un fugitif simplement accusé du crime ou d'un fugitif déclaré coupable. La définition de «crime donnant lieu à l'extradition» et l'art. 34 de la Loi sur l'extradition l'exigent. Toutefois, la manière de démontrer cette proposition varie selon que le fugitif est déclaré coupable ou simplement accusé.

L'alinéa 18(1)a) avait pour but de simplifier la manière de démontrer que l'infraction motivant la démarche d'extradition d'une personne déclarée coupable est un crime donnant lieu à l'extradition aux termes de la Loi. C'est certainement le cas lorsque la définition du crime dans l'État étranger comprend les mêmes éléments que le crime canadien. Il suffit de fournir simplement le texte du droit étranger, comme l'a conclu le juge Wilson. Mais si cette concordance est absente, le problème devient plus difficile à résoudre. Dans ce cas, le fait que la conduite sous‑jacente constituerait un crime au Canada ne peut être démontré que par la preuve que le droit étranger contient les éléments exigés aux termes du droit canadien ou par la preuve que les faits indiquent que la conduite du fugitif équivaudrait à un crime au Canada; voir Nielsen, précité, aux pp. 621 et 622.

Les dispositions du traité: par. 2(1)

Je passe maintenant à la jurisprudence concernant les dispositions du traité qui apportent des réserves à l'obligation d'un État de livrer les fugitifs. Je m'attacherai tout particulièrement au par. 2(1), vu que c'est celui sur lequel l'intimé s'est appuyé principalement, mais le même raisonnement s'applique aux autres dispositions pertinentes.

À ma connaissance, la première décision traitant d'une disposition semblable au par. 2(1) est l'arrêt McCaffery, précité, dans lequel lord Diplock examine dans une remarque incidente, une disposition de ce genre d'un traité conclu par le Royaume‑Uni et les États‑Unis. Avant d'étudier cette décision, il convient d'examiner la genèse de la pensée de lord Diplock, qui ressort d'un passage de l'arrêt Nielsen, précité, cité par le juge Sopinka.

Dans l'arrêt Nielsen, on le rappellera, lord Diplock, au nom de la Chambre des lords, a statué que, sauf disposition expresse du traité, tout ce qu'il fallait prouver à l'audience d'extradition, c'est une apparence suffisante que la conduite du fugitif dans l'État requérant constituerait, si elle avait été adoptée en Angleterre, un crime visé par le droit anglais. Dans l'arrêt Nielsen, aucune disposition du traité ne s'appliquait à l'affaire de sorte que le fugitif a été livré. Dans une remarque incidente, toutefois, lord Diplock dit qu'un traité peut exiger expressément une preuve du droit étranger à l'audience d'extradition et constate que cela aurait été le cas si la demande avait été présentée en vertu du traité supplémentaire conclu avec le Danemark. Ce traité avait simplement modifié le traité principal dont il était question dans l'arrêt Nielsen par l'ajout de la disposition assez inhabituelle (citée par mon collègue) selon laquelle les parties au traité peuvent, à leur discrétion, livrer des fugitifs pour d'autres crimes que ceux visés par le traité, mais seulement dans le cas où, selon le droit des deux pays, la conduite constitue un crime donnant lieu à l'extradition. Dans un tel cas, il faudrait, selon lord Diplock, entendre des témoignages concernant le droit danois. Compte tenu de la suite des événements, je dois faire observer que les commentaires de lord Diplock apportent une réserve aux motifs du lord juge Robert Goff en Cour divisionnaire (1983), 79 Cr. App. R. 1, pour lesquels il avait pris la peine de [traduction] «marquer [s]on admiration respectueuse» (à la p. 620). La Cour divisionnaire avait indiqué clairement que, à l'audience d'extradition, le magistrat ne se préoccupait pas du tout du droit étranger. Elle a cependant reconnu que des questions de droit étranger se poseraient naturellement devant le secrétaire d'État, dans le cadre de l'application du traité.

Peu après, dans l'arrêt McCaffery, lord Diplock a réitéré son interprétation du droit, cette fois en rapport avec un traité contenant une disposition, l'art. III(1)a), qui, comme le par. 2(1) du traité en l'espèce, prévoyait que l'extradition est accordée seulement si [traduction] «l'infraction est punissable en vertu du droit des deux parties d'une peine d'emprisonnement ou d'une autre forme de détention de plus d'un an . . .» Comme il avait été établi à l'audience d'extradition, au moyen d'affidavits, que ces deux exigences étaient respectées (c'est‑à‑dire que l'acte constituait un crime aux États‑Unis et qu'il était punissable de la manière prévue à l'al. III(1)a)), rien ne reposait sur ce point. C'est également le cas en l'espèce. On ne prétend pas que l'acte reproché n'est pas un crime en Californie ou qu'il y est punissable d'une peine d'emprisonnement de moins d'un an. Ainsi que je l'ai mentionné au début, il s'agit uniquement de savoir s'il est nécessaire d'apporter la preuve que l'acte reproché est un crime visé par le traité en vertu de la loi de l'État requérant. Comme l'a décidé l'arrêt McCaffery, ce n'est pas nécessaire et, si l'on accepte les arrêts Nielsen et McCaffery, cela suffit pour trancher le présent pourvoi.

Je ne veux pas fonder ma décision sur ce motif restreint uniquement, car, en toute déférence pour lord Diplock, à mon avis il n'est pas nécessaire que le juge d'extradition se préoccupe du droit étranger même en présence d'une clause comme le par. 2(1) du présent traité. C'est la position adoptée dans les affaires qui suivent.

La Chambre des lords a porté un coup oblique à l'opinion de lord Diplock dans l'arrêt Postlethwaite, précité, aux pp. 390 et 391, qui concernait une clause du traité conclu par le Royaume‑Uni avec la Belgique interdisant la remise des fugitifs à moins que le crime ne soit [traduction] «punissable selon le droit en vigueur dans les deux pays». Le fugitif était accusé d'homicide involontaire coupable en Belgique, et on a soutenu que le témoignage d'expert d'un avocat belge, présenté à l'audience d'extradition afin de prouver que ce genre d'homicide demeure un crime en Belgique, n'avait pas été présenté dans les deux mois de l'arrestation du fugitif comme l'exigeait le traité, malgré le dépôt d'un affidavit, durant l'instance en Cour divisionnaire, pour combler [traduction] «la prétendue lacune». Lord Bridge a conclu que cette prétention n'était nullement fondée. Il a commencé son analyse en disant qu'il doutait qu'il appartienne au magistrat de trancher ce point (à la p. 390): [traduction] «À supposer qu'il s'agisse d'une question relevant du magistrat et non du secrétaire d'État, ce dont je doute mais que je ne prendrai pas le temps d'examiner davantage la question . . .» La raison pour laquelle il n'estimait pas nécessaire d'examiner à fond la question était que, à son avis, on pouvait certainement supposer qu'un crime aussi grave entraînait une peine. Mais, de toute façon, a‑t‑il statué, il existait des éléments de preuve. C'étaient le mandat d'arrestation belge, qui décrivait la nature de l'infraction en Belgique, et la déposition d'un fonctionnaire belge accompagnant la demande, indiquant que l'infraction contrevenait au Code pénal belge. Il y a naturellement de tels éléments de preuve en l'espèce. Ce qu'on retient de l'arrêt Postlethwaite, c'est que la question de savoir s'il s'agit d'un crime en vertu du droit étranger doit être tranchée par le secrétaire d'État à partir des documents qui, selon le traité, doivent accompagner la demande.

La Chambre des lords a rejeté carrément les opinions incidentes de lord Diplock, dans l'arrêt récent (1991) Sinclair, précité, dans lequel elle a adopté l'opinion exprimée par le lord juge Robert Goff en Cour divisionnaire dans l'affaire Nielsen, qui est abondamment citée par lord Ackner (aux pp. 83 à 85). Je ne reproduis pas les extraits cités, qui sont assez longs, mais, exception faite des différences susmentionnées sur le plan de la procédure avec la loi canadienne, ils me semblent en parfait accord avec le régime d'extradition du Canada comme je l'ai expliqué précédemment. Ce n'est guère surprenant. Comme j'ai essayé de le souligner, la loi britannique et la loi canadienne sont essentiellement les mêmes, les traités sont les mêmes ou similaires et les rapports entre les deux lois et les traités sont les mêmes. Je pourrais cependant résumer brièvement les conclusions pertinentes. Les motifs sont naturellement formulés selon la procédure anglaise qui, en général, exige que le secrétaire d'État examine au début si les conditions prévues par le traité pour la remise du fugitif sont respectées. Si le secrétaire d'État conclut qu'elles le sont, il délivre une ordonnance pour passer à l'étape du magistrat. Celui‑ci détermine alors s'il y a une apparence suffisante d'une conduite qui constituerait en Angleterre un crime visé par l'annexe de la Loi et le traité. Ce faisant, le magistrat applique le droit anglais uniquement; exception faite des infractions de nature politique qui, comme nous l'avons constaté, relèvent de dispositions spéciales dans la Loi, le magistrat [traduction] «ne se préoccupe pas du tout du droit étranger» (à la p. 84). La surveillance de l'application du traité, et notamment de la production des documents requis pour prouver que l'infraction est un crime dans l'État requérant, incombe au pouvoir exécutif, plus précisément au Secrétaire d'État. La légalité de l'action de l'exécutif peut, comme l'arrêt le fait observer, être contestée par une procédure d'habeas corpus. La principale différence sous le régime de la procédure canadienne, ainsi que nous l'avons vu, est que l'audience d'extradition a lieu sans qu'il soit nécessaire que l'exécutif rende une ordonnance et qu'elle a lieu le plus souvent avant la demande formelle. Mais l'exécutif a la même fonction de surveiller l'application du traité, et chaque fois que le ministre de la Justice conclut que les exigences du traité n'ont pas été respectées, elle peut libérer le fugitif. Il ne fait pas de doute non plus que la légalité des actions du ministre peut être révisée dans le cadre d'une procédure d'habeas corpus et, je pense, au moyen d'une instance en Cour fédérale.

J'ai gardé pour la fin la seule décision canadienne qui fasse allusion au par. 2(1), l'arrêt Washington (État de) c. Johnson rendu par notre Cour en 1988. Cet arrêt a naturellement précédé l'arrêt Sinclair, mais il est postérieur aux arrêts Nielsen, McCaffery et Postlethwaite. Il ne fait aucune mention de ces arrêts, sauf une allusion indirecte et, aux fins des présentes, un renvoi non pertinent (à la p. 344) à l'arrêt Nielsen. Le juge Wilson ne fait que brièvement allusion au par. 2(1), probablement parce que l'affaire n'était pas réellement débattue en ces termes. Voici tout ce que le juge Wilson dit directement à ce sujet (à la p. 339): «Il s'agit de la règle de la double criminalité dont la nature précise fait l'objet du présent pourvoi». Lorsqu'elle traite de l'application de la règle de la double criminalité, elle ne se préoccupe pas de savoir si c'est un crime dans l'État requérant (sauf dans le cas de la procédure spéciale relative aux condamnés pour déterminer si le crime dont le fugitif a été reconnu coupable en serait un en droit canadien). Elle se préoccupe encore moins de savoir s'il appartient au juge d'extradition ou à l'exécutif de déterminer si l'acte reproché est un crime dans l'État requérant. Elle traite seulement de la question de savoir si la conduite de l'accusé constituerait un crime au Canada, car c'est tout ce que la Loi sur l'extradition, sur laquelle elle s'appuyait, exigeait qu'elle fasse. J'ajoute qu'elle aurait été disposée à incarcérer le fugitif si la conduite reprochée, si elle était survenue au Canada, avait constitué un crime contre la loi canadienne, sans renvoi au droit américain. Je le répète: tout ce qu'elle a examiné, et c'était réellement la seule question dont elle était saisie, c'est la question de savoir si la conduite en cause constituait un crime au Canada. Elle a conclu que cela n'avait pas été prouvé et, par conséquent, que le fugitif devait être remis en liberté. Les juges formant la minorité ont estimé, quant à eux, que les faits propres à l'espèce révélaient l'existence d'une infraction en vertu du droit canadien et auraient ordonné l'incarcération du fugitif sur ce fondement. En bref, le juge Wilson et, quant à cela, les juges formant la minorité n'ont pas vraiment examiné s'il appartenait au juge d'extradition, par opposition à l'exécutif, d'étudier l'aspect «droit étranger» de la notion de double criminalité.

Comme je l'ai déjà indiqué, je suis tout à fait d'accord avec la décision de la Chambre des lords dans l'arrêt Sinclair. Après tout, il est bien reconnu en droit qu'un traité n'est pas exécutoire par lui‑même sauf en ce qui concerne les fonctions exécutives et les questions déjà prévues par la loi. S'il faut modifier la loi, cela doit se faire au moyen d'une disposition législative, et une analyse de la loi en cause montre que l'on n'avait pas l'intention — et généralement je puis dire que ce serait inhabituel — de conférer à un juge le pouvoir de surveiller les obligations contractées par des États souverains.

L'opinion selon laquelle il entre dans les pouvoirs du juge d'extradition d'examiner si l'infraction reprochée est une infraction dans l'État requérant crée un certain nombre de paradoxes. Interprétée seule, la Loi paraît traiter de la conclusion selon laquelle les infractions sont punissables selon le droit canadien seulement. Des clauses comme le par. 2(1) sont apparues couramment dans les traités depuis le tout début de la Loi sur l'extradition. Il ressort de la lecture des premiers traités, qui sont reproduits dans l'annexe de l'ouvrage de Piggott, op. cit., que des variantes de cette clause figuraient dans des traités dès le tout début. Il est alors surprenant qu'une question aussi fondamentale n'ait pas été prévue par la Loi. Qui plus est, si la clause vise à faire une telle dérogation fondamentale à ce qui figure dans la Loi, elle soulève la question de savoir pourquoi elle ne figure pas dans tous les traités. Cette question devient d'autant plus complexe qu'il ne paraît y avoir aucun modèle permettant de pressentir pourquoi une telle clause est incluse dans un traité et pas dans un autre. À quel motif, par exemple, pouvons‑nous penser pour assujettir les États‑Unis à des contraintes plus sévères que d'autres pays avec lesquels le Canada a des liens beaucoup moins étroits? Ce mystère est encore plus impénétrable du fait que le traité conclu initialement avec les États‑Unis, l'art. X du Traité entre Sa Majesté et les États-Unis d'Amérique pour déterminer et définir les frontières entre les possessions de Sa Majesté Britannique en Amérique du Nord et les Territoires des États-Unis; pour la supression définitive de la traite des Noirs africains; et, en certains cas, pour la reddition des criminels fugitifs recherchés par la justice. (Traité Ashburton‑Webster) (1842), ne contenait pas une telle clause; voir R.T. Can. 1952 no 12. Enfin, je souligne que le présent traité vise à «renforcer la coopération existant entre les deux pays pour la répression du crime».

Ces anomalies apparentes disparaissent si l'on prend en considération que les traités sont des contrats conclus entre des pays souverains et que, sauf dans la mesure où les traités exigent une modification du droit du pays, ils sont appliqués par l'exécutif et ses fonctionnaires. L'article 2 ne traite pas d'audiences judiciaires mais de l'obligation en vertu du traité de livrer le fugitif selon les dispositions du traité. Si les documents requis par l'art. 9 sont présentés, il devient suffisamment évident que la conduite en cause est un crime dans l'État étranger comme l'exige l'art. 2. Mais c'est naturellement au Canada qu'il incombe de déterminer s'il existe une apparence suffisante que la conduite est un crime au Canada. Étant donné son importance pour la liberté de l'individu, cette obligation est confiée par la Loi sur l'extradition à un juge d'extradition qui a la compétence de trancher la question.

On ne peut douter que, même en l'absence d'une clause comme le par. 2(1), les États insisteraient pour obtenir des documents comme ceux énumérés à l'art. 9 (par ex. le texte de la loi étrangère et le mandat d'arrestation) de façon que, par l'intermédiaire de leurs fonctionnaires, ils puissent déterminer si leur obligation de livrer le fugitif dans un cas particulier est déclenchée et que les traités prévoient tous que des documents de ce genre doivent accompagner la demande. Ce que fait le par. 2(1), c'est de rendre la question explicite. Il importe donc vraiment peu que la clause figure ou non dans le traité et, comme nous l'avons vu, environ la moitié des traités négociés ne contiennent pas de clause de ce genre. En pratique, tout ce qu'il paraît ajouter est que l'infraction doit être punissable d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an, question qui peut facilement être déterminée par l'examen du texte de la loi que l'État requérant est tenu de fournir.

Les définitions globales

Les juridictions inférieures ont accordé une grande attention à des définitions globales de la double criminalité et des crimes donnant lieu à l'extradition énoncés par des spécialistes. Essentiellement, selon ces définitions, pour qu'une personne soit extradée, l'acte reproché doit constituer un crime dans l'État requérant et être inscrit ou décrit dans le traité, doit correspondre à son appellation ou description dans le traité selon l'interprétation de l'État requérant et doit également constituer, dans l'État requis, un crime correspondant à l'appellation ou à la description d'un crime énuméré dans cet État. Ces définitions générales («descriptions» conviendrait mieux) ne visent pas uniquement le rôle du juge d'extradition mais tentent de décrire la théorie générale sur laquelle se fonde tout le processus en matière de poursuite, de diplomatie et de pouvoir judiciaire. Si on les considère de ce point de vue, ces définitions sont fondamentalement correctes et peuvent servir d'outils de démonstration. Ainsi, l'acte doit être un crime dans l'État requérant. Autrement, pourquoi ferait‑il l'objet de poursuites? Initialement cette question est posée à l'administration qui poursuit et finalement aux tribunaux de l'État requérant, en l'espèce les États‑Unis. De même, les fonctionnaires du Département d'État des États‑Unis doivent conclure que l'acte reproché s'inscrit dans le cadre du traité selon le droit de ce pays. Ils ne connaissent pas bien nos lois. L'État requis voudra naturellement surveiller le traité pour s'assurer que ses obligations sont engagées et, à cette fin, l'État requérant est tenu par le traité de fournir la documentation qui permettra à l'État requis de le faire. L'acte reproché doit également constituer dans l'État requis, le Canada, un crime qui est inscrit ou décrit dans le traité selon notre droit, c'est ce qu'on appelle la règle de la double criminalité. C'est la composante — et en l'absence de disposition expresse, la seule composante — de la définition globale de crime donnant lieu à l'extradition qui relève de la décision du juge d'extradition. L'article 18 de la Loi sur l'extradition confère cette compétence au juge d'extradition. Comme je l'ai indiqué, cette fonction est très limitée mais d'une grande importance. Elle garantit qu'aucune personne ne sera extradée de notre pays à moins qu'un juge ne soit convaincu que cette personne a été déclarée coupable relativement à un acte qui, s'il avait été accompli dans notre pays, y aurait constitué un crime qui est décrit dans le traité, (ou qu'il existe une preuve à première vue que cette personne a accompli un tel acte). La notion selon laquelle le juge d'extradition devrait se préoccuper du droit étranger pour trancher toutes les questions qui découlent de la description théorique du processus d'extradition, résulte du raisonnement faux qui a pris naissance avec la pratique adoptée dans les arrêts Re Bellencontre et Re Arton (No. 2), précités, qui comme l'a fait remarquer lord Diplock n'est pas justifiée. La rédactrice de La Forest's Extradition, 3e éd., Anne W. La Forest, a brièvement décrit le rôle de la définition globale de la manière suivante à la p. 51:

[traduction] L'analyse qui précède se situe au niveau du principe général. Il n'y a rien au sujet du processus, plus précisément en ce qui a trait à l'institution ou à l'organisme qui détermine si on a satisfait aux composantes de la définition mentionnée précédemment. Pendant un grand nombre d'années, la jurisprudence a paru indiquer que le juge à une audience d'extradition traitait de chacune de ces composantes. Cette conception erronée, car c'était le cas, a des lettres d'ancienneté car elle remonte à deux arrêts bien connus de la fin du XIXe siècle, Re Bellencontre et Re Arton (No. 2), et particulièrement à ce dernier.

Elle indique clairement que le juge d'extradition doit uniquement déterminer s'il y a une preuve prima facie que la conduite dont l'accusé est inculpé dans l'État requérant constituerait, si elle était survenue au Canada, un crime énuméré dans le traité.

Je pourrais sans doute ajouter que, dans la préparation des premières éditions de cet ouvrage dans un contexte antérieur à l'arrêt Nielsen, je ne pouvais ignorer ce qui paraissait être la position dominante (admise en Angleterre) dans les arrêts Bellencontre et Arton (No. 2), mais on peut difficilement dire que j'étais d'avis que cette position était correcte. J'ai fait valoir sur des fondements semblables à ceux que j'ai adoptés en l'espèce que la Loi n'exigeait pas la preuve du droit étranger et que, si la manière de procéder que j'ai proposée était adoptée, le droit substantiel serait considérablement simplifié (y compris l'élimination de problèmes comme celui qui s'est posé en l'espèce); voir 1re éd., pp. 37 et 72; 2e éd., pp. 52, 109 et 110. La question n'était peut‑être pas aussi préoccupante dans une période plus tranquille lorsque la position adoptée dans les arrêts Bellencontre et Arton (No. 2) prédominait et qu'il y avait peu d'affaires d'extradition. Toutefois, de nos jours, l'extradition est souvent demandée. De plus, en raison de la croissance exponentielle du crime international, il serait maintenant facile pour les organisations criminelles d'empêcher l'application des lois en matière d'extradition établies mutuellement par les États pour combattre les activités criminelles, en faisant venir un régiment d'experts en droit étranger chaque fois que l'un des participants à ces entreprises louches risque d'être traîné en justice. Le juge Sopinka soutient que le droit étranger est démontré dans un grand nombre de procès qui portent sur des activités transnationales. Toutefois les procédures d'extradition ne sont pas des procès. Elles sont conçues comme des procédures expéditives pour déterminer s'il doit y avoir un procès; même la preuve contre le fugitif est présentée par écrit sans qu'il y ait de contre‑interrogatoire.

Par conséquent, je conclus que la preuve du droit étranger en l'espèce n'aurait pas dû être admise par le juge d'extradition et n'était pas pertinente. Il incombait aux poursuivants aux États‑Unis de trancher la question de savoir si l'acte reproché était un crime en droit américain et il leur incombait ainsi qu'au Département d'État de déterminer si, à leur avis, il était visé par le traité, sous réserve de la surveillance exercée par le Canada aux termes du traité. Puisque le travail de surveillance n'a pas, pour de bonnes raisons, été confié au juge d'extradition, il relève donc de l'exécutif. Outre l'exception possible des infractions à caractère politique, une seule tâche a été confiée au pouvoir judiciaire et elle est importante — c'est d'évaluer s'il y a suffisamment d'éléments de preuve que l'infraction alléguée constituerait, si elle avait été commise au Canada, un crime mentionné dans le traité. C'est l'obligation que confère la Loi sur l'extradition au juge d'extradition.

J'ajouterais que la preuve du droit américain en l'espèce était non seulement sans pertinence, mais qu'elle était en plus déplacée. La question n'est pas de savoir si le crime reproché est désigné ou non sous le nom de faux dans l'un ou l'autre pays, mais de savoir si on peut dire avec justesse que la conduite reprochée est visée par les expressions «faux» et «complot» dans le traité. Lors de l'examen de cette question, il convient de se rappeler que les crimes énumérés dans le traité ne doivent pas être interprétés selon les subtilités des lois applicables de l'un ou l'autre pays. Ils sont plutôt décrits en des termes concis de manière à viser de larges catégories de conduites; voir La Forest's Extradition, 3e éd., à la p. 76 et la jurisprudence qui y est citée. En d'autres termes, les crimes donnant lieu à l'extradition sont décrits d'une manière globale et générale. Il est évident que si l'administration américaine se fondait sur une description trop large, la question pourrait être soulevée au niveau diplomatique. Comme lord Ackner l'a souligné dans l'arrêt Sinclair, précité, à la p. 89, la tâche de surveillance des traités est une fonction du pouvoir exécutif et non du pouvoir judiciaire. Toutefois, je dois dire qu'il serait mal venu pour le Canada de dire aux États‑Unis que l'acte reproché n'est pas visé par le faux alors qu'il s'inscrit dans la définition de faux selon le droit canadien. Je ne comprends pas pourquoi le fugitif serait mieux protégé si le crime était également désigné sous le nom de faux aux États‑Unis. Comme cela a souvent été dit, c'est l'essence de l'infraction qui importe, voir par exemple, Cotroni c. Procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 219, à la p. 222.

Ce qui précède est conforme au principe maintes fois répété que les distinctions subtiles ou fines en matière de droit pénal n'ont pas leur place en droit de l'extradition. Notre Cour l'a dit clairement dans l'arrêt Mellino, précité, à la p. 551:

En étudiant la question en litige, un tribunal ne doit pas perdre de vue la nécessité dans des procédures d'extradition de viser à respecter les obligations internationales du Canada. À maintes reprises, les tribunaux ont souligné que les exigences et les formalités du droit criminel ne s'appliquent que dans une mesure restreinte à des procédures d'extradition.

Agir autrement serait revenir à la position adoptée en Angleterre au XIXe siècle lorsque les juges, par une interprétation stricte et étroite, ont empêché l'application des quelques traités d'extradition qui avaient été conclus. La loi britannique de 1870 qui a servi de modèle à notre Loi avait pour but de changer cette position. Lord Diplock l'a expliqué dans l'arrêt Nielsen, précité, aux pp. 614 et 615:

[traduction] Toutefois, il convient à ce stade d'attirer l'attention sur le fait que lorsqu'on décrit les crimes commis dans un État étranger qui sont considérés au Royaume‑Uni comme suffisamment graves pour justifier l'extradition d'un contrevenant qui les a commis, on décrit la manière dont des êtres humains se sont conduits et l'état d'esprit dans lequel ils se trouvaient au moment où ils ont eu une telle conduite. Étant donné qu'une conduite de ce genre est composée d'actes mauvais qu'accomplissent les gens dans la vraie vie, il est possible de les décrire d'une manière générale et au moyen de termes populaires ou avec divers degrés de précision comme cela a été fait de manière détaillée neuf ans avant l'adoption de la Loi de 1870, dans les cinq lois de 1861 qui ont refondu et modifié la législation anglaise relativement aux infractions criminelles de vol qualifié, de préjudice intentionnel aux biens, de faux, de fabrication de monnaie et d'infractions contre la personne respectivement. Ces lois ont décrit de manière détaillée les nombreuses infractions distinctes comprises dans la catégorie générale que, comme son titre l'indique, vise chaque loi. Les cinq lois réunies comptent 380 articles.

La liste de 1870 utilise la première technique. Elle décrit chacun des 19 «crimes donnant lieu à l'extradition» en des termes généraux et populaires, sans tenir compte de savoir si (comme le précise le préambule de l'annexe 1 de la Loi de 1870) la conduite décrite est criminelle en raison de la common law ou d'une loi adoptée avant ou après l'adoption de la Loi de 1870. La liste de 1870 visait donc toutes les infractions que prévoyaient les lois codificatives et modificatives de 1861 qui s'inscrivaient dans le cadre des 19 genres de conduites décrites dans la liste; et également toute infraction criminelle créée par une loi subséquente mais seulement si elle s'inscrivait dans un genre qui avait été décrit. [En italique dans l'original].

Comme je l'ai mentionné précédemment, sauf dans le cas d'exceptions précises, le juge d'extradition n'est pas compétent pour examiner le droit étranger et, en dehors de l'espèce, je ne connais aucune autre affaire dans laquelle on a refusé l'incarcération parce qu'il n'avait pas été démontré au juge d'extradition que l'acte reproché constituait un crime énuméré dans le traité selon l'interprétation du droit étranger. Il serait ironique qu'on le fasse à ce stade relativement à un traité conclu en vue de «renforcer la coopération existant entre les deux pays pour la répression du crime». C'est d'autant plus vrai quand les États écartent progressivement la méthode d'énumération des crimes dans les traités et conviennent au lieu de cela de livrer une personne à l'égard de tout acte criminel dont elle est accusée dans l'État requérant s'il s'agit également d'un crime dans l'État requis. Le Canada et les États‑Unis ont maintenant conclu un tel traité «sans liste»; voir R.T. Can. 1991 no 37. Cette évolution découle de la constatation du fait qu'il est vraiment important de ne pas livrer une personne à un autre pays à l'égard d'une conduite qui n'est pas considérée comme un crime grave dans l'État requis. Si cette tâche importante et fondamentale est accomplie et que sont interdites les poursuites relatives à d'autres infractions par suite de la remise, je ne vois aucune raison de compliquer le processus de l'extradition en exigeant la preuve du droit étranger devant le juge d'extradition. La surveillance du traité pour assurer le respect par l'État étranger des obligations qui découlent du traité peut en toute sécurité être confiée à l'exécutif comme l'envisage le régime canadien en matière d'extradition. Toutefois, il faut souligner que le par. 2(1) du nouveau traité est essentiellement le même que le traité en question en l'espèce, de sorte que, si l'on accepte l'opinion de mon collègue à l'égard de cette disposition, les parties contractantes n'ont alors pas encore réussi à écarter la preuve du droit étranger de l'audience d'extradition.

Dispositif

Le juge Dohm a conclu qu'on avait fait la preuve d'une conduite aux États‑Unis qui serait suffisante pour incarcérer l'accusé relativement aux crimes de complot et de faux selon le droit canadien, crimes qui sont énumérés dans le traité. Il a jugé que c'était suffisant pour justifier l'incarcération de l'intimé et il a refusé d'examiner la preuve du droit des États‑Unis. Par conséquent, il a ordonné l'incarcération de l'intimé afin qu'il soit livré. À mon avis, il avait parfaitement raison. Par conséquent, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'annuler l'arrêt de la Cour d'appel et la décision du juge quant à l'habeas corpus et de rétablir l'ordonnance d'incarcération.

II

États-Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey (21751)

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Gonthier et Cory rendu par

//Le juge La Forest//

Le juge La Forest — Le présent pourvoi soulève la même question fondamentale que l'arrêt connexe opposant les mêmes parties et rendu en même temps. Il s'agit de la question de savoir si, à l'audience d'extradition, il est nécessaire de prouver que l'acte reproché constitue un crime énuméré dans le traité d'extradition selon le droit du pays demandant l'extradition du fugitif.

L'intimé a été mis en accusation le 26 janvier 1988 par un grand jury devant la Cour de district des États‑Unis du district du Nord de la Californie. Les chefs 5 à 12 inclusivement de l'acte d'accusation inculpaient McVey d'avoir sciemment et intentionnellement, de concert avec d'autres personnes, combiné et participé à un projet en vue de frustrer la Saxpy Computer Corporation notamment de [traduction] «son droit à l'usage exclusif de son bien, à savoir des renseignements confidentiels concernant la conception et le fonctionnement de son superordinateur Saxpy Matrix‑1», et de l'avoir fait au moyen de [traduction] «communications par fil». En raison de l'emploi du réseau téléphonique reliant les États, les infractions étaient du ressort fédéral des États‑Unis.

Une procédure d'extradition visant à la remise de l'intimé aux États‑Unis a été engagée en Cour suprême de la Colombie‑Britannique et une audience d'extradition a eu lieu devant le juge Macdonell. Selon lui, la preuve aurait largement suffi pour justifier la citation à procès si l'infraction avait été perpétrée au Canada. Le crime analogue au Canada est prévu à l'actuel art. 380 du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46 (à l'époque l'art. 338), qui interdit de frustrer le public ou toute personne, par supercherie, mensonge ou autre moyen dolosif, de quelque bien, argent ou valeur. Le juge Macdonell a conclu que cette infraction, ou du moins le complot en vue de la commettre, figurait sur la liste du traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis, apparemment à la clause 27 visant l'usage d'un moyen de communication relativement à des projets en vue de frauder le public ou d'obtenir des biens par des faux‑semblants. L'important à nos fins est qu'il a également entendu et retenu le témoignage d'un expert en matière de droit américain, selon lequel, en dépit du fait que la mise en accusation prononcée par le grand jury mentionne la fraude commise envers la Saxpy Computer Corporation, Saxpy était en droit américain un membre du public, de sorte que l'accusation relevait des termes du traité. Par conséquent, toutes les conditions devant être remplies pour l'extradition de l'intimé l'avaient été et le juge Macdonell a ordonné qu'il soit incarcéré en vue de l'extradition.

Sur demande de bref d'habeas corpus appuyé d'un certiorari, le juge Paris s'est dit essentiellement d'accord avec le juge Macdonell. Quand l'affaire est parvenue devant la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique, celle‑ci a convenu que la conduite de l'intimé aurait constitué un crime au Canada, mais son opinion a divergé de celles des juridictions inférieures en ce qui concerne le droit américain. Selon la Cour d'appel, la preuve d'expert n'établissait pas que l'accusé pourrait être reconnu coupable aux États‑Unis d'avoir conçu un projet de frauder le public puisque, suivant cette preuve, le projet ne visait qu'une seule personne, soit la société Saxpy. Le témoin expert, a dit la cour, n'avait jamais abordé directement cette question. En l'absence de preuve quant au droit du pays étranger, la cour a conclu qu'il fallait supposer ce droit identique à celui du Canada et, selon la cour, une seule société ne serait pas considérée comme «le public» en droit canadien. La conduite de l'intimé ne relevait donc pas, en droit américain, de la clause 27 de la liste des crimes dressée dans le traité.

En appel devant notre Cour, l'appelant fait valoir principalement que la Cour d'appel a commis une erreur en concluant qu'un crime donnant lieu à l'extradition doit figurer sur la liste établie dans le traité aussi bien selon le droit américain que selon le droit canadien. Pour les motifs exposés dans l'affaire connexe, l'appelant doit avoir gain de cause sur ce moyen. L'appelant a établi, prima facie, un crime donnant lieu à l'extradition, c.‑à‑d. d'un acte qui, s'il avait été commis au Canada, aurait constitué en droit canadien un crime énuméré dans le traité. Cela étant, le juge d'extradition était tenu de livrer l'intimé conformément à l'al. 18(1)b) de la Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, lu avec l'art. 2 (la définition de l'expression «crime donnant lieu à l'extradition») et avec l'art. 34. La procédure prévue par ces dispositions protège l'accusé contre l'extradition à un autre pays pour une conduite qui n'est pas considérée comme criminelle au Canada. Comme s'y ajoute la disposition du traité portant que le fugitif ne peut être poursuivi dans l'État requérant que relativement à l'infraction donnant lieu à l'extradition, l'accusé bénéficie d'une protection suffisante. Dans ces circonstances, il est inutile que le juge d'extradition procède à un examen du droit étranger et, comme nous le rappelle l'arrêt Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536, aux pp. 554 et 555, il n'appartient pas à ce juge de prendre sur lui de contrôler les décisions des fonctionnaires et des autorités judiciaires de l'État étranger.

Vu cette conclusion sur le moyen principal d'appel, il est dès lors inutile, voire malvenu, de se pencher sur la question de la divergence d'opinions entre la Cour d'appel, d'une part, et le juge d'extradition et le juge statuant en matière de habeas corpus, d'autre part, quant à l'interprétation du droit des États‑Unis. Pour ce qui est des quelques points subsidiaires soulevés par l'intimé, ils ont été sommairement rejetés à l'audience.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi, d'infirmer l'arrêt de la Cour d'appel et de rétablir l'ordonnance d'incarcération.

Pourvois accueillis, le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents.

Procureur de l'appelant: John C. Tait, Ottawa.

Procureurs de l'intimé: Farris, Vauchan, Wills & Murphy, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 3 R.C.S. 475 ?
Date de la décision : 19/11/1992
Sens de l'arrêt : Les pourvois sont accueillis

Analyses

Extradition - Audience d'extradition - Le "crime donnant lieu à l'extradition" doit‑il être établi non seulement selon le droit canadien mais aussi selon le droit du pays requérant? - Le juge d'extradition doit‑il déterminer que le crime est inscrit sur la liste du traité en vertu du droit du pays requérant? - Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, ch. E‑21, art. 18(1).

L'intimé a été accusé de complot en vue d'exporter du matériel de haute technologie vers l'U.R.S.S. et d'avoir fait de fausses déclarations au Département du commerce et au service des douanes des États‑Unis en vue d'effectuer une telle exportation (no du greffe: 21331). Il a été accusé également d'avoir sciemment et intentionnellement, de concert avec d'autres personnes, combiné un projet en vue de frustrer une société d'ordinateur de son droit à l'usage exclusif de son bien concernant la conception et le fonctionnement d'un de ses ordinateurs (no du greffe: 21751). Les États‑Unis ont engagé des procédures d'extradition au Canada, en vertu du traité conclu par le Canada et les États‑Unis (R.T. Can. 1976 no 3). Dans les deux cas, le juge d'extradition a ordonné l'incarcération de l'intimé aux fins de l'extradition. L'intimé a présenté des demandes d'habeas corpus, soutenant que les infractions reprochées ne donnaient pas lieu à extradition en droit américain. Il a eu gain de cause dans le premier dossier et cette décision a été maintenue en appel. Dans le deuxième dossier, le juge en chambre a conclu que l'infraction pouvait donner lieu à extradition selon le droit américain, mais la Cour d'appel a infirmé sa décision. L'intimé est retourné volontairement aux États‑Unis mais, en raison de l'importance de la question soulevée et parce que l'intimé pourrait revenir au Canada, l'appelant a demandé à la Cour de rendre sa décision dans ces affaires.

La question principale dans les deux pourvois est de savoir s'il faut établir devant le juge d'extradition que l'infraction pour laquelle l'extradition est demandée est une infraction inscrite sur la liste établie dans le traité, aussi bien en vertu du droit américain qu'en vertu du droit canadien. Si la «double inscription» était requise, se poserait la question subsidiaire de savoir si la Cour d'appel a commis une erreur relativement à l'un des actes d'accusation (dossier no 21751) lorsqu'elle a conclu que l'infraction reprochée à l'intimé ne constituait pas en droit américain une infraction visée par le traité.

Arrêt (Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin sont dissidents): Les pourvois sont accueillis.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Gonthier et Cory.

I

États‑Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331

La Loi et le traité créent ensemble le régime applicable aux présentes procédures d'extradition. Dans le cadre de ce régime, le rôle du juge d'extradition est limité, mais important: il lui incombe de déterminer s'il y a apparence suffisante que la conduite du fugitif constitue un "crime donnant lieu à l'extradition" en vertu du droit canadien. La Loi et le traité n'attribuent pas au juge le devoir de déterminer si elle constitue un crime donnant lieu à l'extradition en vertu du droit étranger. Il appartient aux autorités américaines de le faire, sous réserve de la surveillance exercée par le pouvoir exécutif canadien pour assurer que la demande d'extradition est conforme aux modalités du traité.

Les principes et règles applicables à l'extradition doivent tous figurer dans la Loi sur l'extradition et les traités; les principes abstraits du droit de l'extradition ne s'appliquent pas de façon indépendante. Notre loi suit le modèle de la loi britannique et, de ce fait, le droit et la pratique de ce pays ont une importance convaincante quant à la question en litige.

Selon notre loi, un "crime donnant lieu à l'extradition" est un crime qui, s'il était commis au Canada, constituerait un des crimes inscrits dans la Loi ou le traité pertinent. La Loi n'exige pas de preuve que l'acte reproché est un crime aux termes du droit étranger; l'art. 34 exige, au lieu de cela, que la liste de crimes soit interprétée selon l'état du droit canadien. Le crime selon sa définition dans l'État étranger est énoncé dans la dénonciation et le mandat d'arrestation, et il incombe donc aux autorités canadiennes, normalement au juge d'extradition, d'identifier le crime canadien équivalent.

L'article 15 de la Loi reconnaît la possibilité qu'un traité restreigne la portée de l'expression "crime donnant lieu à l'extradition". Mais l'article 15 autorise seulement le juge d'extradition à recevoir des témoignages qu'il doit transmettre, en vertu de l'al. 19b), au ministre, pour examen. L'intention de la Loi n'est pas de confier au juge d'extradition la surveillance des nombreuses conditions, réserves et restrictions différentes dont les États, par l'intermédiaire des traités d'extradition, ont assorti leurs obligations à l'égard d'autres États pour l'extradition des criminels fugitifs. Cela pourrait entraîner des retards interminables dans une procédure censée être expéditive, et les tribunaux ne devraient pas se déclarer compétents à l'égard de questions que la Loi ne leur a pas confiées. Sauf disposition législative, la surveillance des obligations découlant des traités internationaux est une tâche qui incombe aux autorités politiques et qui est exécutée par les ministres et les ministères dans le cadre de leurs mandats respectifs. La Loi attribue cette tâche au ministre de la Justice.

Pour ce qui concerne le traité en cause, aucun de ses termes n'est incompatible avec les dispositions de la Loi prévoyant que le juge d'extradition s'occupe uniquement du droit canadien. Rien dans le traité n'exige la preuve du droit étranger à l'audience d'extradition, et les dispositions isolées qui mentionnent le droit de l'État requérant ont simplement pour but d'aider l'exécutif dans son devoir de s'assurer que l'État requérant a respecté les modalités du traité.

Bien que la fonction de l'audience d'extradition soit modeste, elle a une importance cruciale en ce qui concerne la liberté de l'individu. Le fugitif bénéficie d'autres protections. Le traité prévoit que la personne livrée ne doit pas être détenue, jugée ou punie pour une infraction autre que celle pour laquelle l'extradition a été accordée. Les tribunaux des deux pays traitent des infractions selon leur propre droit, celui qu'ils connaissent, mais chacun doit vérifier si aux termes de ce droit les faits appuient l'accusation. Exiger une preuve du droit étranger autre que celle fournie par les documents qui accompagnent maintenant la demande risque de nuire au fonctionnement des procédures d'extradition.

La jurisprudence canadienne sur la question est restée longtemps confuse en partie à cause de la pratique anglaise consistant à obtenir la preuve du droit étranger au cours des audiences d'extradition. Il est maintenant établi en Angleterre cependant que, sauf disposition législative le prévoyant, le juge d'extradition ne doit pas s'occuper du tout du droit étranger. De la même manière que dans la jurisprudence anglaise, certains arrêts récents de notre Cour indiquent aussi que la seule question soumise au juge d'extradition est de savoir si la conduite du fugitif constituerait, si elle était survenue au Canada, un crime donnant lieu à l'extradition selon le droit canadien.

Les dispositions du traité concernant le droit du pays requérant, en particulier l'art. 2(1) exigeant que le crime soit punissable d'une peine d'emprisonnement de plus d'un an, en vertu des lois des deux pays, ne modifie pas le rôle du juge d'extradition. L'article 2 ne traite pas d'audiences judiciaires mais de l'obligation pour l'exécutif de livrer le fugitif selon les dispositions du traité. Interpréter cette disposition comme ayant une incidence sur l'audience d'extradition revient à ignorer totalement le fait que les traités sont des contrats entre des pays souverains dont l'application, sauf dans la mesure où le traité exige la modification de la loi du pays, est confiée à l'exécutif et à ses fonctionnaires.

La preuve du droit américain en l'espèce était non seulement sans pertinence, mais elle était en plus déplacée. La question n'est pas de savoir si le crime reproché est désigné ou non sous le nom de faux dans l'un ou l'autre pays, mais de savoir si on peut dire avec justesse que la conduite reprochée est visée par les expressions «faux» et «complot» dans le traité. Les crimes énumérés dans le traité ne doivent pas être interprétés selon les subtilités des lois applicables de l'un ou l'autre pays. Ils sont plutôt décrits d'une manière globale et générale: c'est l'essence de l'infraction qui importe. Si l'administration américaine se fondait sur une description trop large, la question pourrait être soulevée au niveau diplomatique. Toutefois, il serait mal venu pour le Canada de dire aux États‑Unis que l'acte reproché en l'espèce n'est pas visé par le faux alors qu'il s'inscrit dans la définition de faux selon le droit canadien.

II

États‑Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey, no du greffe: 21751

Pour les motifs qui précèdent, il n'était pas nécessaire pour le juge d'extradition, dans cette deuxième affaire, de prendre en considération la question de savoir si le crime donnant lieu à l'extradition était inscrit dans le traité selon le droit américain. L'appelant ayant établi qu'à première vue, il y a eu perpétration d'un crime donnant lieu à l'extradition en droit canadien, le juge d'extradition était tenu de livrer l'intimé conformément à l'al. 18(1)b) de la Loi sur l'extradition, lu avec l'art. 2 (la définition de l'expression «crime donnant lieu à l'extradition») et avec l'art. 34. Vu les mesures de protection du fugitif prévues dans la Loi et le traité, il est inutile que le juge d'extradition procède à un examen du droit étranger. Il n'appartient pas à ce juge de prendre sur lui de contrôler les décisions des fonctionnaires et des autorités judiciaires de l'État étranger.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka et McLachlin (dissidents):

I & II

États‑Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331, et États‑Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey, no du greffe: 21751.

Suivant le traité entre le Canada et les États‑Unis tel qu'il était rédigé lorsque la procédure en cause a été engagée, il fallait prouver au juge d'extradition que l'infraction à l'égard de laquelle l'extradition était demandée avait été inscrite sur la liste établie à l'annexe du traité aussi bien en vertu du droit américain qu'en vertu du droit canadien.

Le concept de «crime donnant lieu à l'extradition» est un élément fondamental de la tâche du juge d'extradition. Aux termes de l'al. 18(1)b) de la Loi, le juge doit délivrer un mandat de dépôt dans le cas d'un fugitif accusé d'un «crime donnant lieu à l'extradition», lorsque les éléments de preuve justifieraient en droit canadien sa citation à procès si le crime avait été commis au Canada. La même norme de preuve est prévue à l'article 10 du traité. Le juge reçoit les témoignages visant à établir que le crime dont le fugitif est accusé est une infraction à caractère politique ou, pour quelque autre raison, ne constitue pas un crime donnant lieu à l'extradition.

Pris ensemble, les art. 1 et 2 du traité exigent que le fugitif soit accusé d'une infraction selon le droit américain, inscrite à l'annexe. Si la même conduite constitue des infractions différentes dans les deux pays, elles doivent toutes les deux y figurer. L'interrelation des art. 2 et 12 du traité confirme cette conclusion. Un fugitif ne peut être poursuivi pour une infraction qui ne figure pas à l'annexe. Puisqu'un fugitif extradé aux États‑Unis ne sera poursuivi que pour des infractions aux lois des États‑Unis, force est de conclure que l'infraction fondant la demande d'extradition doit être une infraction inscrite sur la liste établie dans le traité en vertu du droit des États‑Unis. Le même raisonnement s'applique dans le cas où aucun traité n'est invoqué.

L'article 8 du traité, aux termes duquel la décision d'accorder ou de refuser l'extradition doit être prise conformément à la loi de l'État requis, n'exclut pas toute référence à la loi de l'État requérant. Une procédure peut se dérouler en conformité avec le droit canadien même s'il se pose une question quant au droit américain sur un point déterminé. Ce genre de situations ne se présentent pas que dans le droit de l'extradition.

Une exigence de double inscription n'est pas incompatible avec l'art. 8 ni la déclaration liminaire du traité entre le Canada et les États‑Unis. Elle permet de garantir que le Canada n'accordera l'extradition que dans les cas où il aurait pu lui‑même obtenir l'extradition si la même conduite avait eu lieu ici et que le fugitif se fût enfui aux États‑Unis.

Puisqu'un crime donnant lieu à l'extradition en est un qui, aussi bien en droit canadien qu'en droit américain, figure à l'annexe du traité, le juge d'extradition doit décider si cette exigence a été remplie avant de délivrer un mandat de dépôt en vertu de l'art. 18 de la Loi. Il n'appartient pas à l'État requérant de déterminer si l'acte pour lequel l'extradition du fugitif est demandée constitue dans cet État un crime pouvant fonder une demande d'extradition en vertu du traité.

Quoique le juge d'extradition ait un rôle limité, le concept de «crime donnant lieu à l'extradition» ou d'un crime qui relève du traité applicable en constitue un élément fondamental. Il incombe au juge d'extradition de déterminer si l'on a satisfait aux exigences de la double inscription. L'article 15 de la Loi oblige le juge à recevoir les témoignages visant à établir que le crime dont le fugitif est accusé ne constitue pas, pour quelque raison, un crime donnant lieu à l'extradition.

Exiger qu'il soit déterminé que l'infraction figure sur la liste, selon le droit de l'État requérant, ne prolongerait pas indûment la procédure et ne la compliquerait pas inutilement. La preuve du droit étranger constitue souvent un élément des litiges de droit privé. Cette pratique n'a pourtant pas entraîné l'arrêt de telles instances. Par ailleurs, dans la plupart des affaires d'extradition, cette question ne suscitera aucune contestation et sera réglée sur le double fondement du texte de la disposition en vertu de laquelle le fugitif a été inculpé ou condamné et des affidavits produits à l'appui.

Dans le dossier no 21751, la question n'était pas de savoir si la société lésée était membre du public, mais de savoir si un accusé pouvait être reconnu coupable aux États‑Unis d'avoir fait usage du téléphone relativement à un projet de frauder le public alors que le projet ne visait qu'une société. On n'a présenté aucune preuve touchant cette condition préalable essentielle de la délivrance d'un mandat en vertu de l'art. 18. Cela étant, le juge d'extradition n'avait pas compétence pour délivrer le mandat.


Parties
Demandeurs : McVey (Re); McVey
Défendeurs : États-Unis d'Amérique

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge La Forest (États‑Unis d'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331)
Arrêts examinés: Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327
R. c. Governor of Pentonville Prison, ex p. Sinclair, [1991] 2 A.C. 64
Government of Belgium c. Postlethwaite, [1987] 3 W.L.R. 365
In re Nielsen, [1984] A.C. 606
United States Government c. McCaffery, [1984] 2 All E.R. 570
Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536
Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500
Buck c. The King (1917), 55 R.C.S. 133
United States c. Rauscher, 119 U.S. 407 (1886)
États‑Unis d'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
In re Bellencontre, [1891] 2 Q.B. 122
In re Arton (No. 2), [1896] 1 Q.B. 509
arrêts mentionnés: États‑Unis c. Allard, [1991] 1 R.C.S. 861
R. c. Parisien, [1988] 1 R.C.S. 950
Re DeBaun (1888), 32 L.C. Jur. 281
R. c. Governor of Brixton Prison, ex p. Minervini, [1958] 3 All E.R. 318
Re United States of America and Smith (1984), 15 C.C.C. (3d) 16 (C. Cté Ont.), conf. (1984), 16 C.C.C. (3d) 10 (H.C. Ont.)
Re State of Wisconsin and Armstrong (1973), 10 C.C.C. (2d) 271
Commonwealth de Puerto Rico c. Hernandez, [1975] 1 R.C.S. 228
Ex p. Piot (1883), 48 L.T. 120
Re Gross (1989), 2 C.C.C. 67
Ex parte Thomas (1917), 28 C.C.C. 396
Johnson c. Browne, 205 U.S. 309 (1907)
United States c. Sobell, 142 F.Supp. 515 (1956), conf. 244 F.2d. 520 (1957), cert. ref. 355 U.S. 873 (1957)
United States c. Alvarez‑Machain, 11 L. Ed. 2d 441 (1992)
Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779
Cotroni c. Procureur général du Canada, [1976] 1 R.C.S. 219.
Citée par le juge Sopinka (États‑Unis de l'Amérique c. Charles McVey II, alias Charles Julius McVey, no du greffe: 21331 et États‑Unis d'Amérique c. Charles Julius McVey, no du greffe: 21751) (dissident)
Riley c. Commonwealth of Australia (1985), 62 A.L.R. 497
États‑Unis de l'Amérique c. Cotroni, [1989] 1 R.C.S. 1469
Buck c. The King (1917), 55 R.C.S. 133
United States c. Rauscher, 119 U.S. 407 (1886)
Washington (État de) c. Johnson, [1988] 1 R.C.S. 327
Re United States of America and Smith (1984), 15 C.C.C. (3d) 16, conf. 984), 16 C.C.C. (3d) 10 (H.C.J.)
États‑Unis c. Allard, [1991] 1 R.C.S. 861
In re Nielsen, [1984] A.C. 606
United States Government c. McCaffery, [1984] 2 All E.R. 570
Argentine c. Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536
Sinclair c. D.P.P., [1991] 2 All E.R. 366.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 1, 6(1).
Code criminel, S.R.C. 1970, ch. C‑34, art. 282, 324, 338 [maintenant L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 321, 366, 380].
Extradition Act, 1870 (R.-U.), 33 & 34 Vict., ch. 52, art. 1, 3(1), 9, 10, 26.
Loi de 1877 sur l'extradition, S.C. 1877, ch. 25, art. 1, 4.
Loi sur l'extradition, L.R.C. (1985), ch. E‑23, art. 2b).
Loi sur l'extradition, S.R.C. 1970, ch. E‑21, art. 2 "crime entraînant l'extradition", "fugitif" ou "criminel fugitif", 3, 15, 18(1)a), b), 19b), 21, 22a), b), 34, Annexe I rubrique 4, Annexe II Formule 2.
Traité d'extradition entre le Canada et les États‑Unis d'Amérique, R.T. Can. 1976 no 3, Art. 1, 2(1), (2), (3), 8, 9(1), (2), (3), (4), 10(1), (2), 12(1), Annexe, clauses 6, 12, 27.
Traité entre Sa Majesté et les États-Unis d'Amérique pour déterminer et définir les frontières entre les possessions de Sa Majesté Britannique en Amérique du Nord et les Territoires des États-Unis
pour la supression définitive de la traite des Noirs africains
et, en certains cas, pour la reddition des criminels fugitifs recherchés par la justice. (Traité Ashburton‑Webster), 1842, R.T. Can. 1952 no 12, Art. X.
United States Code, titre 18, {ss} 1343.
Doctrine citée
Blanchflower, Michael C. "Examination of the Law of the Requesting State in Extradition Proceedings" (1992), 34 Crim. L.Q. 277.
Blanchflower, Michael C. "Interpretation and Application of Extradition Crime in the Extradition Act" (1992), 34 Crim. L.Q. 158.
Blanchflower, Michael C. "State of Washington and Johnson" (1989), 31 Crim. L.Q. 197.
La Forest, Anne Warner. La Forest's Extradition To and From Canada, 3rd ed. Aurora: Canada Law Book, 1991.
La Forest, Gérard V. Extradition To and From Canada, 1st ed. New Orleans: The Hauser Press, 1961.
La Forest, Gérard V. Extradition To and From Canada, 2nd ed. With the assistance of Sharon A. Williams. Toronto: Canada Law Book, 1977.
Piggott, Sir Francis. Extradition: A Treatise on the Law Relating to Fugitive Offenders. London: Butterworths, 1910.
Shearer, Ivan Anthony. Extradition in International Law. Manchester: University Press, 1971.
United Kingdom. Royal Commission on Extradition, 1878. In Appendix to A British Digest of International Law, Part IV. Edited by Clive Parry. London: Stevens & Sons, 1965.

Proposition de citation de la décision: McVey (Re); McVey c. États-Unis d'Amérique, [1992] 3 R.C.S. 475 (19 novembre 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-11-19;.1992..3.r.c.s..475 ?
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