La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/11/1992 | CANADA | N°[1992]_3_R.C.S._615

Canada | R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615 (19 novembre 1992)


R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615

Theodore Mellenthin Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Mellenthin

No du greffe: 22508.

1992: 29 mai; 1992: 19 novembre.

Présents: Les juges Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1991), 80 Alta. L.R. (2d) 193, 117 A.R. 165, [1991] 5 W.W.R. 519, 2 W.A.C. 165, qui a annulé le verdict d'acquittement prononcé par le juge Conrad et ordonné la tenue d'un nouveau

procès. Pourvoi accueilli.

Harry M. Van Harten, pour l'appelant.

M. David Gates et Wesley W. Smart, pour l'i...

R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615

Theodore Mellenthin Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Mellenthin

No du greffe: 22508.

1992: 29 mai; 1992: 19 novembre.

Présents: Les juges Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin et Iacobucci.

en appel de la cour d'appel de l'alberta

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Alberta (1991), 80 Alta. L.R. (2d) 193, 117 A.R. 165, [1991] 5 W.W.R. 519, 2 W.A.C. 165, qui a annulé le verdict d'acquittement prononcé par le juge Conrad et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli.

Harry M. Van Harten, pour l'appelant.

M. David Gates et Wesley W. Smart, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Cory — La police peut‑elle, au cours d'une vérification routière au hasard et en l'absence de motifs raisonnables, interroger un conducteur sur autre chose que son véhicule et la conduite de celui‑ci, et le fouiller, lui et son véhicule? Telle est la question soulevée par le présent pourvoi.

I. Les faits

Le 4 septembre 1988, l'agent de police Watkins et deux autres membres de la Gendarmerie royale du Canada étaient affectés à un «point de contrôle en Alberta» dans le cadre d'un programme de vérification des véhicules. Vers minuit trente, le véhicule de l'appelant a été dirigé vers le point de contrôle. À ce moment là, rien d'anormal ne ressortait de la façon dont l'appelant conduisait son véhicule ou de son comportement. Après avoir remarqué que l'appelant n'avait pas bouclé sa ceinture de sécurité, l'agent Watkins lui a demandé son permis de conduire, le certificat d'immatriculation du véhicule et la preuve d'assurance. L'appelant a acquiescé à la demande sans résister. L'agent a alors éclairé l'intérieur du véhicule à l'aide de sa lampe de poche. Il l'a fait pour vérifier s'il y avait de la drogue dans le véhicule et pour assurer [traduction] «la sécurité des agents affectés au point de contrôle». Il n'a vu ni boisson alcoolisée ni drogue, mais il a aperçu un sac de sport ouvert sur la banquette avant près de l'appelant. Le sac de sport contenait un petit sac brun à l'intérieur duquel se trouvait un sac à sandwich en plastique.

Lorsque l'agent Watkins lui a demandé ce qu'il y avait à l'intérieur du sac, l'appelant a répondu, en l'ouvrant, qu'il contenait de la nourriture. L'agent a alors vu le reflet de ce qu'il a cru être du verre à l'intérieur du sac en plastique. Pour la première fois, il a éprouvé des soupçons et il a [traduction] «estimé qu'il pouvait y avoir des stupéfiants à l'intérieur». L'agent a demandé à l'appelant ce qu'il y avait dans le sac brun et l'appelant en a sorti le sac en plastique qui contenait des fioles de verre vides. L'agent a témoigné que, vu que ce genre de fioles étaient couramment utilisées pour garder de la résine de cannabis, il a jugé qu'il avait des motifs raisonnables et probables de croire que des stupéfiants s'y trouvaient.

L'agent Watkins a demandé à l'appelant de sortir de l'automobile. Il a fouillé le sac brun et a découvert qu'il contenait de la résine de cannabis. Il a arrêté l'appelant pour possession d'un stupéfiant et l'a informé correctement de ses droits. L'agent a fouillé l'automobile et y a trouvé des fioles d'huile de haschisch et des cigarettes de résine de cannabis. Un peu plus tard, au détachement de la G.R.C., l'appelant a fait une déclaration incriminante.

II. Les tribunaux d'instance inférieure

A. La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta

Après avoir tenu un voir‑dire, le juge du procès a écarté la preuve matérielle des stupéfiants et la déclaration. Elle a noté que rien dans la manière de conduire de l'appelant ou dans ses actes ne permettait de soupçonner que ses facultés étaient affaiblies par la drogue ou l'alcool. En outre, il n'y avait aucune preuve de la perpétration d'une infraction, si ce n'est que l'appelant n'avait pas bouclé sa ceinture de sécurité. Selon elle, la fouille a commencé, sinon lorsque l'agent a éclairé l'intérieur de l'automobile à l'aide de sa lampe de poche, à tout le moins lorsque l'agent a interrogé l'appelant. Elle a conclu qu'il n'y avait aucun motif raisonnable et probable d'effectuer la fouille qui, en conséquence, était contraire à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés. Elle a statué que la fouille abusive constituait une violation délibérée, par la police, des droits que la Charte garantissait à l'appelant.

Elle a décidé que l'utilisation de l'élément de preuve obtenu à la suite d'une violation délibérée de la Charte est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Elle a reconnu que les stupéfiants découverts au cours de la fouille constituaient une preuve matérielle. Toutefois, elle a conclu qu'il y avait lieu d'écarter le cannabis et toute la preuve obtenue à la suite de cette fouille abusive et illégale, et elle a acquitté l'appelant.

B. La Cour d'appel de l'Alberta (1991), 80 Alta. L.R. (2d) 193

(1) Le jugement majoritaire

Les juges formant la majorité étaient d'avis que, si l'utilisation d'une lampe de poche pour éclairer l'intérieur de l'automobile constituait une fouille, celle‑ci n'était pas envahissante et elle était certainement justifiable pour assurer la protection et la sécurité des agents de police. Toutefois, ils ont estimé que les questions que l'agent avait posées au sujet du sac de sport et qui avaient amené l'appelant à le lui montrer constituaient effectivement une fouille abusive et qu'il y avait eu ainsi violation de l'art. 8 de la Charte. Les juges formant la majorité ont décidé qu'aucune preuve ne permettait de conclure que l'agent avait délibérément, sciemment ou d'une manière flagrante violé les droits de l'appelant. De plus, ils étaient d'avis que la preuve matérielle des stupéfiants existait avant la fouille et qu'elle n'avait pas été créée par suite de la violation de l'art. 8 de la Charte. Dans ces circonstances, ils ont conclu que le juge du procès avait commis une erreur en écartant la preuve. À leur avis, l'utilisation de cette preuve n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

(2) Le jugement minoritaire

Selon le juge Kerans, la première question portant sur le contenu du sac ne devait pas forcément être considérée comme une fouille. Il a néanmoins conclu que le genre de questions posées au sujet du contenu du sac, la réponse de l'appelant consistant à présenter le sac à l'agent et l'examen de l'intérieur du sac par l'agent constituaient une fouille abusive à moins que l'appelant n'y ait d'abord consenti. Toutefois, il a partagé l'avis du juge du procès selon lequel l'accusé n'a pas consenti à la fouille, mais s'est plutôt senti obligé de répondre aux questions de l'agent. Le juge a conclu que la fouille était abusive puisque l'examen du sac de sport n'était ni autorisé par une loi ni le résultat raisonnable de la détention du véhicule au point de contrôle. Quant à l'admissibilité de la preuve, il a souligné qu'un tribunal d'appel ne doit substituer sa perception des faits à celle du juge du procès que si ce dernier a commis une erreur manifeste. Il était d'avis qu'on ne pouvait dire qu'une erreur manifeste avait été commise en l'espèce, et il aurait rejeté l'appel.

III. Les questions en litige

À mon avis, il faut répondre à trois questions pour trancher le présent pourvoi.

(1) L'appelant a‑t‑il été détenu au point de contrôle?

(2) La police a‑t‑elle effectué une fouille abusive?

(3) Si la fouille était abusive, l'utilisation de la preuve est‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice?

IV. Analyse

A. L'appelant a‑t‑il été détenu au point de contrôle?

Dans l'arrêt Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2, on a statué que l'interception d'un véhicule dans le cadre d'un programme R.I.D.E. constituait une détention. Bien que cette affaire ait pris naissance avant l'adoption de la Charte, son raisonnement a été invoqué dans des cas où des droits garantis par la Charte ont été pris en considération. Dans les arrêts R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, et R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, on a décidé que la détention de l'automobiliste au cours d'une interpellation au hasard pour fins de vérification constituait une détention arbitraire contraire à l'art. 9 de la Charte. Toutefois, on a conclu dans ces arrêts que les interpellations au hasard étaient justifiées en vertu de l'article premier puisqu'elles visaient à combattre le problème grave et urgent des décès et des blessures causés par la conduite dangereuse sur nos routes. Dans ces affaires, on a jugé opportun que les agents qui participent à un programme de contrôle routier posent des questions sur l'état mécanique du véhicule et demandent le permis de conduire, le certificat de propriété et la preuve d'assurance. Le contrôle routier n'en demeure pas moins une manifestation de l'autorité policière. Même les conducteurs les plus expérimentés et avertis auront un sentiment d'oppression. Cela découle non seulement de l'examen des motifs des arrêts Dedman, Hofsky et Ladouceur, mais encore c'est le bon sens qui le dicte. L'appelant a incontestablement été détenu et on pouvait donc raisonnablement s'attendre à ce qu'il se sente obligé de répondre aux questions de la police.

Il est vrai qu'une personne détenue peut toujours consentir à répondre aux questions de la police. Toutefois, son consentement doit être éclairé et donné en parfaite connaissance de ses droits. Ce n'était certainement pas le cas ici. On ne saurait dire en l'espèce que l'appelant a consenti aux questions portant sur le sac de sport ou à la fouille physique. Ce seront là des facteurs importants dans l'analyse subséquente.

B. Y a‑t‑il eu fouille et, dans l'affirmative, s'agissait‑il d'une fouille abusive?

Sa Majesté (l'intimée) soutient que ce qui s'est produit en l'espèce ne constitue pas une fouille. D'abord, on a affirmé qu'un examen visuel de l'intérieur du véhicule ne constituerait pas une fouille en soi. Ensuite, on a soutenu que l'art. 119 de la Highway Traffic Act de l'Alberta, R.S.A. 1980, ch. H‑7, permettait aux agents de police de poser des questions sur le sac de sport. Cet article se lit ainsi:

[traduction] 119 Lorsqu'un agent de la paix en uniforme fait signe ou demande au conducteur de s'arrêter, ce dernier doit aussitôt immobiliser son véhicule et fournir tout renseignement que l'agent de la paix lui demande à son sujet ou au sujet de son véhicule, et il ne doit mettre en marche son véhicule que si l'agent de la paix l'autorise à le faire.

On a fait valoir que les questions étaient visées par les mots [traduction] «tout renseignement que l'agent de la paix lui demande à son sujet ou au sujet de son véhicule». Ces termes, a‑t‑on affirmé, indiquent que les objectifs du programme de contrôle routier de l'Alberta sont plus généraux que ceux mentionnés dans le Code de la route de l'Ontario, L.R.O. 1980, ch. 198, dont il était question dans l'arrêt Ladouceur, précité. Je ne puis accepter cet argument.

On ne saurait reprocher aux agents de police d'avoir procédé à un examen visuel de l'automobile. Le soir, l'examen ne peut se faire qu'à l'aide d'une lampe de poche et il fait nécessairement partie d'un programme de contrôle routier effectué après la tombée de la nuit. L'examen est essentiel à la protection de ceux qui sont affectés au point de contrôle. Trop d'incidents de violence contre les agents de police se sont produits lors de l'interception de véhicules. Je ne puis non plus accorder d'importance particulière au fait que, selon l'appelant, l'agent n'a utilisé la lampe de poche qu'après avoir demandé à l'appelant de lui présenter les documents nécessaires et non pas lorsqu'il s'est d'abord approché de l'automobile. Bien que, pour assurer la sécurité des policiers, il puisse être préférable d'utiliser la lampe de poche le plus tôt possible, celle‑ci peut certainement être utilisée à tout moment comme un élément accessoire nécessaire de la procédure de contrôle routier.

Toutefois, les questions subséquentes portant sur le sac de sport étaient déplacées. Au moment où il a posé les questions, l'agent n'avait pas le moindre soupçon que de la drogue ou de l'alcool se trouvait dans le véhicule ou en la possession de l'appelant. Les propos de ce dernier, ses actes et sa façon de conduire n'étaient pas symptomatiques de facultés affaiblies. Les programmes de contrôle routier entraînent la détention arbitraire d'automobilistes. Ces programmes sont justifiés dans la mesure où ils visent à réduire le nombre effroyable de décès et de blessures si souvent causés par des conducteurs dont les facultés sont affaiblies ou par des véhicules dangereux. Le programme vise donc principalement à vérifier la sobriété des conducteurs, leur permis, leur certificat de propriété, leurs assurances et l'état mécanique de leur automobile. Dans son recours aux contrôles routiers, la police devrait s'en tenir à ces objectifs. Les programmes d'interpellation au hasard ne doivent pas permettre d'effectuer une enquête générale dénuée de tout fondement ou une fouille abusive.

L'intimée a ensuite soutenu que l'appelant avait consenti à présenter le sac de sport et son contenu. Encore une fois, je ne puis accepter cet argument.

On a vu que le contrôle routier a entraîné la détention de l'appelant. La détention arbitraire a été imposée dès qu'il a rangé son véhicule sur le côté de la route. En raison de cette détention, on peut raisonnablement déduire que l'appelant s'est senti obligé de répondre aux questions de l'agent de police. Dans ces circonstances, il appartient au ministère public de prouver que la personne détenue a effectivement donné un consentement éclairé à la fouille tout en connaissant son droit de refuser de répondre aux questions ou de consentir à la fouille. En l'espèce, il n'y a aucune preuve en ce sens. À mon avis, le juge du procès a eu raison de conclure que l'appelant s'est senti obligé de répondre aux questions de la police. Dans les circonstances, on ne saurait dire que la fouille était consensuelle.

Les questions de la police sur le sac de sport de l'appelant et la fouille de son sac et de son véhicule étaient tous des éléments d'une fouille. De plus, cette fouille a été effectuée sans la justification requise des motifs raisonnables et probables. Elle était donc abusive et contraire à l'art. 8 de la Charte.

C. La preuve obtenue grâce à la fouille abusive devrait‑elle être admise?

La décision d'écarter un élément de preuve pour le motif qu'il est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, conformément au par. 24(2) de la Charte, est une question de droit (voir R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la p. 275). On a également conclu qu'en général on fera preuve de retenue dans l'examen d'une décision d'un tribunal d'appel provincial relative à l'exclusion d'un élément de preuve conformément au par. 24(2) de la Charte. À la page 783 de l'arrêt R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, le juge Lamer, maintenant Juge en chef, écrit:

Je souligne qu'en l'absence d'erreur manifeste quant aux principes ou aux règles de droit applicables, ou en l'absence de conclusion déraisonnable, il n'appartient pas vraiment à notre Cour de réviser les conclusions tirées par les tribunaux d'instance inférieure en vertu du par. 24(2) de la Charte et de substituer son opinion à celle de la Cour d'appel: voir R. c. Duguay, [1989] 1 R.C.S. 93, à la p. 98.

Voir aussi R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527.

Toutefois, il importe de souligner que, dans l'arrêt R. c. Collins, précité, le juge Lamer a également averti les tribunaux d'appel provinciaux qu'ils ne devraient pas s'ingérer trop promptement dans les décisions des juges de première instance sur les questions relatives au par. 24(2). À la page 283 de cet arrêt, on lit ceci:

En effet, le juge aura satisfait à ce critère si les juges d'appel refusent de s'ingérer dans sa décision en utilisant la déclaration bien connue qu'ils sont d'avis que cette décision n'est pas déraisonnable, même s'il se peut qu'ils aient tranché la question différemment.

En l'espèce, le juge du procès ne semble pas avoir tiré une conclusion de fait déraisonnable ni commis une erreur de droit. Néanmoins, la Cour d'appel à la majorité a renversé sa décision. En toute déférence, je suis d'avis que la Cour d'appel à la majorité a commis une erreur à cet égard et s'est ingérée trop promptement dans les conclusions du juge du procès.

Il ressort de l'arrêt R. c. Collins, précité, qu'il faut soupeser trois ensembles de facteurs pour déterminer s'il y a lieu d'admettre des éléments de preuve conformément au par. 24(2). Premièrement, il y a les facteurs qui sont pertinents pour déterminer si l'utilisation de la preuve portera atteinte à l'équité du procès. Il s'agit sans doute de la question la plus importante, à laquelle il y a lieu d'accorder le plus de poids. Deuxièmement, il y a les facteurs qui démontrent la gravité de la violation ou son caractère négligeable. Troisièmement, il y a les facteurs qui touchent à l'effet de l'exclusion de la preuve sur la considération dont jouit l'administration de la justice. Il convient d'examiner maintenant certains de ces facteurs.

(1) Les facteurs qui portent atteinte à l'équité du procès

Il ressort de l'arrêt Collins, précité, que l'utilisation d'une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte aura rarement pour effet de rendre le procès inéquitable. En l'espèce, il est indubitable que le cannabis découvert constituait une preuve matérielle. Toutefois, il faut également se rappeler que, dans l'arrêt R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, on a dit, à la p. 16, que:

. . . l'utilisation de tout élément de preuve qu'on n'aurait pas pu obtenir sans la participation de l'accusé à la constitution de la preuve aux fins du procès est susceptible de rendre le procès inéquitable.

Le juge du procès a reconnu l'existence de ces principes opposés. Elle a conclu que la preuve, quoique matérielle, n'aurait jamais pu être découverte sans la fouille illégale. La Cour d'appel à la majorité a rejeté cette conclusion. Les juges formant la majorité étaient d'avis que, puisque l'appelant transportait la drogue dans un sac de sport ouvert sur la banquette avant de son automobile, il ne pouvait s'être soucié de protéger sa propre vie privée ni avoir cherché à éviter de se faire prendre. Ils ont conclu que tant qu'une personne demeure en possession d'une substance prohibée, il n'est pas invraisemblable que cette substance sera découverte. Quoi qu'il en soit, il est indéniable que la conclusion du juge du procès était raisonnable. N'eût été la fouille illégale, la drogue n'aurait pu être découverte.

Dans l'arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, aux pp. 552, 553 et 555, le juge La Forest a fait remarquer que, dans le cas d'une preuve matérielle, il faut établir une distinction entre la preuve que l'accusé a été forcé de créer et celle qu'il a été forcé simplement à situer ou à identifier. Il a pris soin d'établir une distinction entre la preuve qui existe indépendamment et qui pourrait avoir été découverte sans le témoignage forcé et la preuve qui existe indépendamment et qui aurait été découverte sans le témoignage forcé. Il a expliqué ainsi sa position:

Je soulignerais d'abord que je ne crois pas qu'en faisant cette distinction, le juge Lamer a voulu établir une ligne de démarcation stricte entre une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte et tous les autres types de preuve qui peuvent être obtenus ainsi [. . .] Je crois que cela indique clairement que le juge Lamer avait à l'esprit la distinction beaucoup plus générale entre la preuve que l'accusé a été forcé de créer et celle qu'il a été forcé simplement à situer ou à identifier.

. . .

. . . lorsque la violation de la Charte a simplement pour effet de situer ou d'identifier une preuve déjà existante, la valeur ultime de la preuve de la poursuite n'est pas nécessairement renforcée de cette façon. Le fait que la preuve existait déjà signifie qu'elle aurait pu être découverte de toute façon.

. . .

La seule réserve qui doit être apportée à l'analyse précédente a trait à la différence entre la preuve qui existe indépendamment et qui pourrait avoir été découverte sans le témoignage forcé et la preuve qui existe indépendamment et qui aurait été découverte sans le témoignage forcé. Comme je l'ai déjà reconnu à maintes reprises dans les présents motifs, il y aura des situations où la preuve dérivée sera tellement dissimulée ou inaccessible qu'elle ne pourra pratiquement pas être découverte sans l'aide de l'auteur du méfait. À toutes fins pratiques, l'utilisation ultérieure de cette preuve ne pourrait se distinguer de l'utilisation ultérieure d'un témoignage préalable au procès obtenu par contrainte. [Souligné dans l'original.]

En l'espèce, on ne saurait certainement pas dire que le juge du procès a agi déraisonnablement en concluant que la preuve (la marijuana) n'aurait pas été découverte sans le témoignage forcé (la fouille) de l'appelant. La fouille d'une personne interpellée à un point de contrôle, sans motif raisonnable ou probable, dépasse de loin l'objectif et le but des ces interpellations et constitue une violation très grave de la Charte. Comme je l'ai déjà fait remarquer, les contrôles routiers violent les droits, garantis par la Charte, à la protection contre la détention arbitraire. Ils sont permis dans la mesure où ils sont destinés à répondre au besoin urgent de prévenir les décès et les blessures inutiles résultant de la conduite dangereuse de véhicules à moteur. Les droits conférés à la police de mettre en {oe}uvre des programmes de contrôle routier ou d'interpellation au hasard d'automobilistes ne devraient pas être élargis. C'est ce qu'a souligné l'opinion majoritaire dans l'arrêt R. c. Ladouceur, précité, où, à la p. 1287, on peut lire ceci:

Finalement, il faut démontrer que la vérification de routine ne porte pas atteinte gravement au droit garanti par l'art. 9 au point de l'emporter sur l'objectif législatif. Ce qui nous préoccupe à ce stade‑ci, c'est la perception du risque d'abus de ce pouvoir par les fonctionnaires chargés d'appliquer la loi. À mon avis, ces craintes ne sont pas fondées. Il y a déjà des mécanismes en place pour empêcher les abus. Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi, en l'espèce des motifs relatifs à la conduite d'une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que de l'état mécanique du véhicule. Lorsque l'interpellation est effectuée, les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation. Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables. Lorsqu'une interpellation est jugée illégale, les éléments de preuve ainsi obtenus pourraient bien être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte. [Je souligne.]

La fouille abusive effectuée en l'espèce est exactement le genre de fouille qui, d'après ce que la Cour a voulu préciser, est inacceptable. Un contrôle routier ne constitue pas et ne saurait constituer un mandat de perquisition général permettant de fouiller les conducteurs à qui l'on demande de s'immobiliser, leur véhicule et les passagers. L'élément de preuve obtenu grâce à une telle fouille ne devrait être admis que s'il existe des motifs raisonnables et probables d'effectuer la fouille ou si de la drogue, de l'alcool ou des armes sont exposés à la vue de tous à l'intérieur du véhicule.

Si on acceptait les contrôles routiers comme justifiant des fouilles sans mandat et si la preuve qui en découle était automatiquement admise, l'équité du procès en souffrirait certainement. L'utilisation d'éléments de preuve obtenus au cours d'une fouille abusive et injustifiée alors qu'un automobiliste était détenu à un point de contrôle nuirait injustement au procès et serait très certainement susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Il s'ensuit que les conclusions du juge du procès à cet égard ne sont pas déraisonnables et ne constituent pas une erreur de droit. Il est évident que l'utilisation de la preuve rendrait le procès inéquitable et qu'il n'est pas nécessaire d'étudier les autres facteurs mentionnés dans l'arrêt Collins, précité. Voir R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, aux pp. 207 et 208. Cela est vraiment suffisant pour trancher la question.

Pourtant, compte tenu de l'importance de l'argument avancé au sujet de la gravité de la violation de la Charte, il pourrait convenir de formuler de brefs commentaires à ce sujet.

(2) La gravité de la violation

Le juge du procès n'a pas agi déraisonnablement en concluant que la violation était grave. Il est vrai qu'en l'espèce il n'y a pas eu de mauvaise foi de la part des policiers. Ils ont effectué la fouille avant que les motifs de notre Cour dans l'arrêt Ladouceur soient rendus. Néanmoins, la violation doit être considérée comme grave. La fouille a été effectuée dans le cadre du contrôle routier et n'était fondée sur aucun soupçon, et encore moins sur un motif raisonnable et probable. C'est la tentative d'élargir les programmes d'interpellation au hasard de manière à inclure le droit de fouiller sans mandat ou sans motif raisonnable qui constitue la violation grave de la Charte.

V. Conclusion

L'appelant a été détenu à un point de contrôle. Au cours de sa détention, il a été soumis à une fouille abusive. L'utilisation de la preuve obtenue grâce à la fouille abusive d'un automobiliste à un point de contrôle rendrait inéquitable le procès de l'appelant. L'utilisation de cette preuve serait donc susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. La preuve obtenue grâce à la fouille abusive ne saurait être admise.

VI. Dispositif

En définitive, le pourvoi est accueilli, l'ordonnance de la Cour d'appel enjoignant de tenir un nouveau procès est annulée et l'acquittement de l'appelant est rétabli.

Pourvoi accueilli.

Procureurs de l'appelant: McCormick, Van Harten, Calgary.

Procureur de l'intimée: Le ministère de la Justice, Edmonton.


Synthèse
Référence neutre : [1992] 3 R.C.S. 615 ?
Date de la décision : 19/11/1992
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits ‑ Fouilles et perquisitions abusives - Automobiliste interpellé dans le cadre d'un programme de contrôle routier ponctuel - Aucun motif de détention autre que l'application du programme de contrôle routier - Interrogation de l'automobiliste et fouille du véhicule - L'automobiliste a‑t‑il été détenu au point de contrôle? - La police a‑t‑elle effectué une fouille abusive? - Dans l'affirmative, l'utilisation de la preuve est‑elle susceptible de déconsidérer l'administration de la justice? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2) - Highway Traffic Act, R.S.A. 1980, ch. H‑7, art. 119.

La police a dirigé le véhicule de l'appelant vers un point de contrôle établi dans le cadre d'un programme de vérification des véhicules. L'un des agents a éclairé l'intérieur du véhicule de l'appelant à l'aide d'une lampe de poche. Il s'agissait d'une mesure appropriée pour assurer la sécurité des agents affectés au point de contrôle. L'inspection au moyen de la lampe de poche a permis de voir un sac de sport ouvert sur la banquette avant. À l'agent qui demandait ce qu'il y avait à l'intérieur du sac, on a répondu qu'il contenait de la nourriture et on lui a montré un sac de papier à l'intérieur duquel se trouvait un sac à sandwich en plastique. Lorsque l'agent a remarqué la présence de fioles de verre vides, du genre de celles qui sont couramment utilisées pour garder de la résine de cannabis, il a demandé à l'appelant de sortir de l'automobile. Il a alors fouillé l'automobile et y a trouvé des fioles d'huile de haschisch et des cigarettes de résine de cannabis. Plus tard, au poste de police, l'appelant a fait une déclaration incriminante.

Après avoir tenu un voir‑dire, le juge du procès a écarté la preuve matérielle des stupéfiants et la déclaration, et a acquitté l'accusé. La Cour d'appel a annulé le verdict d'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès. En l'espèce, il s'agit de savoir (1) si l'appelant a été détenu au point de contrôle, (2) si la police a effectué une fouille abusive, et (3) dans l'affirmative, si l'utilisation de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli.

L'appelant a été détenu et on pouvait donc raisonnablement s'attendre à ce qu'il se sente obligé de répondre aux questions de la police. Une personne détenue peut toujours consentir à répondre aux questions de la police. Toutefois, son consentement doit être éclairé et donné en parfaite connaissance de ses droits. Ce n'était pas le cas ici. L'appelant n'a pas consenti aux questions portant sur le sac de sport ou à la fouille physique.

Un examen visuel de l'intérieur du véhicule ne constituerait pas une fouille en soi. Le soir, l'examen ne peut se faire qu'à l'aide d'une lampe de poche et il fait nécessairement partie d'un programme de contrôle routier effectué après la tombée de la nuit.

Les questions subséquentes portant sur le sac de sport étaient déplacées. Au moment où il a posé les questions, l'agent ne soupçonnait pas que de la drogue ou de l'alcool se trouvait dans le véhicule ou en la possession de l'appelant. Les propos de ce dernier, ses actes et sa façon de conduire n'indiquaient pas un état de facultés affaiblies. Les programmes de contrôle routier, qui entraînent la détention arbitraire d'automobilistes, visent principalement à vérifier la sobriété des conducteurs, leur permis, leur certificat de propriété, leurs assurances et l'état mécanique de leur automobile. Dans son recours aux contrôles routiers, la police devrait s'en tenir à ces objectifs. Les programmes d'interpellation au hasard ne doivent pas permettre d'effectuer une enquête générale dénuée de tout fondement ou une fouille abusive.

L'appelant n'a pas consenti à présenter le sac de sport et son contenu. Une détention arbitraire a été imposée dès que l'appelant a rangé son véhicule sur le côté de la route. On peut raisonnablement déduire qu'il s'est senti obligé de répondre aux questions de l'agent de police. Dans ces circonstances, le ministère public doit prouver que la personne détenue a effectivement donné un consentement éclairé à la fouille tout en connaissant son droit de refuser de répondre aux questions ou de consentir à la fouille. En l'espèce, il n'y a aucune preuve en ce sens. Vu que l'appelant se sentait obligé de répondre aux questions de la police, la fouille n'était pas consensuelle.

Les questions de la police sur le sac de sport de l'appelant et la fouille de son sac et de son véhicule étaient tous des éléments d'une fouille. Étant donné qu'elle a été effectuée sans la justification requise des motifs raisonnables et probables, cette fouille était abusive et contraire à l'art. 8 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Le juge du procès a agi raisonnablement en concluant que la preuve (la marijuana) n'aurait pas été découverte sans le témoignage forcé (la fouille) de l'appelant. La fouille d'une personne interpellée à un point de contrôle, sans motif raisonnable ou probable, dépasse de loin l'objectif et le but des ces interpellations et constitue une violation très grave de la Charte. Les droits conférés à la police de mettre en {oe}uvre des programmes de contrôle routier ou d'interpellation au hasard d'automobilistes ne devraient pas être élargis.

La fouille abusive effectuée en l'espèce est exactement le genre de fouille qui, d'après ce que la Cour a voulu préciser, est inacceptable. Un contrôle routier ne constitue pas et ne saurait constituer un mandat de perquisition général permettant de fouiller les conducteurs à qui l'on demande de s'immobiliser, leur véhicule et les passagers. L'élément de preuve obtenu grâce à une telle fouille ne devrait être admis que s'il existe des motifs raisonnables et probables d'effectuer la fouille ou si de la drogue, de l'alcool ou des armes sont exposés à la vue de tous à l'intérieur du véhicule.

Si on acceptait les contrôles routiers comme justifiant des fouilles sans mandat et si la preuve qui en découle était automatiquement admise, l'équité du procès en souffrirait. L'utilisation d'éléments de preuve obtenus au cours d'une fouille abusive et injustifiée alors qu'un automobiliste était détenu à un point de contrôle nuirait injustement au procès et serait très certainement susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Même en l'absence de mauvaise foi de la part des policiers, la violation était grave. La fouille a été effectuée dans le cadre du contrôle routier et n'était fondée sur aucun soupçon, et encore moins sur un motif raisonnable et probable. C'est la tentative d'élargir les programmes d'interpellation au hasard de manière à inclure le droit de fouiller sans mandat ou sans motif raisonnable qui constitue la violation grave de la Charte.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Mellenthin

Références :

Jurisprudence
Arrêts examinés: R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
arrêts mentionnés: Dedman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 2
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755
R. c. Wise, [1992] 1 R.C.S. 527
R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 8, 9, 24(2).
Code de la route, L.R.O. 1980, ch. 198.
Highway Traffic Act, R.S.A. 1980, ch. H‑7, art. 119.

Proposition de citation de la décision: R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615 (19 novembre 1992)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1992-11-19;.1992..3.r.c.s..615 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award