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16/12/1993 | CANADA | N°[1993]_4_R.C.S._573

Canada | R. c. Jackson, [1993] 4 R.C.S. 573 (16 décembre 1993)


R. c. Jackson, [1993] 4 R.C.S. 573

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Paul Benjamin Davy Intimé

Répertorié: R. c. Jackson

No du greffe: 22808.

1993: 3 juin; 1993: 16 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1991), 51 O.A.C. 92, 68 C.C.C. (3d) 385, 9 C.R. (4th) 57, qui a accueilli l'appel interjeté par l'accusé contre sa déclarati

on de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

Kenneth L. Campbell et Jay Naster, pour l'appelan...

R. c. Jackson, [1993] 4 R.C.S. 573

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Paul Benjamin Davy Intimé

Répertorié: R. c. Jackson

No du greffe: 22808.

1993: 3 juin; 1993: 16 décembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1991), 51 O.A.C. 92, 68 C.C.C. (3d) 385, 9 C.R. (4th) 57, qui a accueilli l'appel interjeté par l'accusé contre sa déclaration de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Pourvoi rejeté.

Kenneth L. Campbell et Jay Naster, pour l'appelante.

Marc Rosenberg et Richard T. Crothers, pour l'intimé.

Version française des motifs rendus par

Le juge en chef Lamer — Je souscris à la façon dont le juge McLachlin propose de statuer sur le présent pourvoi et, d'une manière générale, à ses motifs. En particulier, je suis d'accord pour dire que, compte tenu des arrêts de notre Cour R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638, R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, et R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, il est possible de reconnaître coupable d'homicide involontaire coupable, en vertu du par. 21(2) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, l'accusé qui, ayant formé avec autrui le projet de poursuivre une fin illégale et d'aider l'auteur d'une infraction, savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration, par l'auteur de l'infraction, d'un acte dangereux qu'une personne raisonnable pourrait reconnaître comme créant un risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère.

En tirant cette conclusion, je soulignerais que la Cour n'est saisie en l'espèce d'aucune question relative à la Charte canadienne des droits et libertés, puisqu'aucune question de cette nature n'a été soulevée ou débattue.

Version française du jugement des juges La Forest, L'Heureux-Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major rendu par

Le juge McLachlin — Paul Benjamin Davy a été reconnu coupable du meurtre au deuxième degré de Eugene Rae. La Cour d'appel de l'Ontario a ordonné la tenue d'un nouveau procès pour le motif que les directives données au jury ne traitaient pas suffisamment de la possibilité de l'homicide involontaire coupable. Le ministère public se pourvoit maintenant devant notre Cour.

Deux questions se posent en l'espèce. La première concerne les principes qui régissent une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable. La seconde est de savoir si les directives données au jury par le juge du procès respectaient ces principes.

Historique

Davy et Ricky Allan Jackson ont tous les deux été accusés du meurtre au premier degré de Eugene Rae, survenu tôt le matin du 27 août 1986. Monsieur Rae était propriétaire de la boutique d'antiquités Raebenloft, située dans le village de Bobcaygeon. Il logeait dans le même bâtiment. Jackson avait travaillé pour Rae dans la boutique et avait été son amant.

Au cours de l'été de 1986, Rae a engagé un homme de 19 ans qui s'appelait Michael Pearson. Jackson a commencé à craindre de se voir supplanté par Pearson à la fois dans la boutique et dans le c{oe}ur de Rae. À la suite d'une querelle au sujet de Pearson, Rae a assuré à Jackson que celui‑ci allait partir.

La nuit du meurtre, Jackson rendait visite à Davy et à son épouse chez eux à Orillia quand il a décidé de téléphoner à Rae. Il a alors appris que, malgré la promesse de Rae, Pearson était encore avec lui à Raebenloft. Dépité, Jackson a demandé à Davy de le conduire à Bobcaygeon.

C'est ici que divergent les récits de Jackson et de Davy. D'après Jackson, Davy n'est jamais descendu de la voiture et ignorait ce qui s'est passé par la suite à l'intérieur de Raebenloft. Jackson a avoué être entré dans la boutique, avoir perdu la tête et avoir assené des coups de marteau à Rae, sans toutefois en préciser le nombre. Il se souvenait aussi d'avoir poursuivi Pearson dans l'escalier, de l'avoir rattrapé et frappé après avoir gravi environ les trois quarts des marches, et d'avoir ensuite vu Pearson allongé à côté du lit. Ce dont il se souvenait ensuite, c'est de s'être retrouvé dans la voiture de Davy et de lui avoir indiqué le chemin pour retourner à Orillia.

La version de Davy était fort différente. D'après lui, pendant qu'ils se dirigeaient vers Bobcaygeon, Jackson a parlé de tuer Rae, mais Davy a cru que c'était une blague. Arrivés à Bobcaygeon, ils ont stationné la voiture en face de la boutique Raebenloft, de l'autre côté de la rue. Jackson est sorti, marteau, cagoule et gants en main, et il a ordonné à Davy de le suivre. Jackson est entré dans la boutique et Davy est resté à l'extérieur, près de la porte. Il a aperçu une autre personne avec Jackson dans la maison, a entendu des échanges de propos bruyants ainsi que [traduction] «trois claques». Davy a alors pris peur et a descendu l'allée en courant vers la voiture. Jackson s'est lancé à sa poursuite, l'a frappé et l'a obligé à retourner dans la boutique. Il a dit à Davy de ramasser la caisse sur le plancher, puis ils ont regagné la voiture et Jackson a alors ordonné à Davy de repartir pour Orillia. En cours de route, Jackson s'est débarrassé du marteau et de certains objets volés.

Pearson a témoigné qu'il avait été réveillé par les hurlements de la victime et qu'il a ensuite entendu un bruit lourd et sourd. Il est resté à l'étage supérieur, caché derrière le lit jusqu'à ce qu'il aperçoive, dans la pièce, Jackson qui le regardait. Il s'est levé et a demandé à Jackson ce qui se passait. Il a témoigné qu'il n'avait vu personne d'autre dans la pièce et qu'il ne se souvenait de rien de ce qui s'était passé entre ce moment et celui où il s'est réveillé à l'hôpital avec des blessures à la tête.

D'après la preuve médico‑légale, il y avait sur les lieux les empreintes de deux paires différentes de chaussures de sport. Les semelles d'une paire étaient ondulées tandis que celles de l'autre paire étaient rainurées. Les empreintes des semelles ondulées, dont certaines laissées dans du sang, ont été constatées à divers endroits au rez‑de‑chaussée, tant dans le logement que dans la boutique. Les empreintes des semelles rainurées ont été découvertes à l'extrémité sud du lit, à mi‑chemin entre le lit et la porte qui communiquait avec la boutique. Ces empreintes ne comportaient aucune trace de sang.

Les chaussures aux semelles rainurées ont été découvertes dans la voiture de Jackson lors de son arrestation et celui‑ci a témoigné qu'elles lui appartenaient. Toutefois, Davy a témoigné que c'étaient les siennes, qu'il les avait portées la nuit du meurtre et qu'il les avait par la suite remises à Jackson sur l'ordre de ce dernier. Jackson, a‑t‑il dit, portait des chaussures à semelles ondulées. D'après un témoignage d'expert, les chaussures à semelles rainurées avaient été habituellement portées par Davy.

Compte tenu de cette preuve, il est possible de concevoir un certain nombre de scénarios. La solidité et la plausibilité de chacun dépend de la crédibilité de chaque témoin et du poids qui pourrait être accordé à chaque élément de preuve. Le jury aurait pu conclure que Davy n'avait été pour rien dans le meurtre et qu'il devait être acquitté, ou encore, il aurait pu conclure que Davy a aidé Jackson dans les activités qui ont abouti au meurtre ou au vol qualifié. Selon encore un autre scénario, avancé par le ministère public, Jackson et Davy sont tous deux entrés dans la boutique Raebenloft et ont tous deux participé pleinement aux agressions et au vol qualifié. Le sort de Davy au procès dépendait du scénario retenu ainsi que des conclusions tirées au sujet de la contrainte qu'il avait subie et de son état d'esprit.

Le juge du procès a donné au jury des directives sur les règles de droit applicables au meurtre et à l'homicide involontaire coupable. Ce faisant, il a souligné que le jury devrait examiner séparément la responsabilité de chaque accusé. Il a exposé un certain nombre de scénarios plausibles en indiquant pour chacun quelle serait la responsabilité de chaque accusé. Dans aucun cas n'a‑t‑il indiqué que Davy pourrait être coupable d'homicide involontaire coupable. Au contraire, le juge du procès a exprimé l'avis qu'il était peu probable que Davy soit coupable d'homicide involontaire coupable. Comme je l'ai déjà mentionné, le jury a reconnu Davy coupable de meurtre au deuxième degré.

La Cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité de Davy et a ordonné la tenue d'un nouveau procès pour le motif que les directives du juge ne traitaient pas suffisamment de la possibilité qu'il soit coupable d'homicide involontaire coupable: (1991), 51 O.A.C. 92, 68 C.C.C. (3d) 385, 9 C.R. (4th) 57.

Les dispositions législatives pertinentes

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46

21. (1) Participent à une infraction:

. . .

b) quiconque accomplit ou omet d'accomplir quelque chose en vue d'aider quelqu'un à la commettre;

c) quiconque encourage quelqu'un à la commettre.

(2) Quand deux ou plusieurs personnes forment ensemble le projet de poursuivre une fin illégale et de s'y entraider et que l'une d'entre elles commet une infraction en réalisant cette fin commune, chacune d'elles qui savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration de l'infraction, participe à cette infraction.

Analyse

(1) L'homicide involontaire coupable et son application en l'espèce

On reproche surtout au juge du procès de ne pas avoir donné au jury des directives suffisantes sur la possibilité que Davy soit responsable d'un homicide involontaire coupable en vertu des al. 21(1)b) et 21(1)c) et du par. 21(2) du Code criminel.

(i)Aider et encourager: al. 21(1)b) et c)

J'examine d'abord la possibilité que Davy soit responsable d'un homicide involontaire coupable pour avoir aidé ou encouragé à commettre une infraction, au sens des al. 21(1)b) et c). Participe à une infraction quiconque aide ou encourage quelqu'un à la commettre. En l'espèce, Jackson a commis l'infraction de meurtre. Compte tenu de la preuve produite, il était loisible au jury de conclure que Davy l'avait aidé et encouragé à la commettre et qu'il était coupable en vertu des al. 21(1)b) et c) du Code criminel. S'il possédait la mens rea requise pour le meurtre, il pouvait être coupable de cette infraction. Dans le cas où le jury n'aurait pas conclu à l'existence de l'intention requise pour le meurtre, il faut se demander si, et dans quelles circonstances, Davy pouvait être déclaré coupable de l'infraction moindre d'homicide involontaire coupable, en vertu du par. 21(1).

Le juge du procès n'a pas précisé dans ses directives au jury que Davy pouvait être reconnu coupable d'homicide involontaire coupable pour avoir aidé et encouragé à commettre une infraction, au sens du par. 21(1) du Code criminel. La Cour d'appel a conclu que c'était là une erreur. Elle a statué que le juge du procès aurait dû dire au jury que l'application des al. 21(1)b) et c) du Code entraînerait un verdict de culpabilité d'homicide involontaire coupable dans l'hypothèse où Davy n'aurait pas eu l'état d'esprit requis pour le meurtre mais où il aurait su que l'acte illégal commis avec son aide ou son encouragement était de nature à causer des blessures, mais non la mort. Cela découle de l'arrêt R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74, à la p. 88 (motifs du juge Cory), où notre Cour a décidé que la personne qui aide ou encourage quelqu'un à commettre une agression qui se solde par la mort de la victime peut être coupable d'homicide involontaire coupable si elle n'a pas la mens rea requise pour le meurtre mais possède l'intention nécessaire pour l'homicide involontaire coupable, et si son coaccusé est coupable de meurtre. (Voir aussi les motifs du juge Wilson, aux pp. 96 et 97.)

Je suis d'accord avec la Cour d'appel pour dire que le jury aurait pu déclarer Davy coupable d'homicide involontaire coupable en vertu de ces dispositions, tout en déclarant Jackson coupable de meurtre.

Je ne partage toutefois pas l'avis de la Cour d'appel en ce qui concerne l'état d'esprit requis pour qu'il y ait culpabilité d'homicide involontaire coupable en vertu des al. 21(1)b) et c). La Cour d'appel a statué que le critère applicable était la conscience subjective que l'acte accompli était de nature à causer des blessures, mais non la mort. Depuis que la Cour d'appel a rendu son arrêt dans la présente affaire, notre Cour a décidé que l'homicide involontaire coupable résultant d'un acte illégal, c'est‑à‑dire l'homicide commis au cours de la perpétration d'un acte illégal, ne requiert pas la conscience subjective des conséquences de l'acte accompli. Le critère qui s'applique est un critère objectif — ce dont une personne raisonnable aurait été consciente compte tenu de toutes les circonstances. Il n'est pas nécessaire non plus que le risque de mort soit prévisible. Pourvu que l'acte illégal soit intrinsèquement dangereux et qu'il ait pour conséquence prévisible de causer à autrui des blessures qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère, la mort qui en résulte constitue un homicide involontaire coupable: R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3; voir aussi l'arrêt R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944.

Je conclus que la personne qui aide et encourage quelqu'un d'autre à commettre un meurtre peut être déclarée coupable d'homicide involontaire coupable si, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable se serait rendu compte que l'acte dangereux qui était accompli avait pour conséquence prévisible de causer des lésions corporelles. Je conclus en outre que, d'après la preuve produite au procès, cette règle pourrait s'appliquer à Davy.

(ii)La fin commune illégale: par. 21(2)

Je passe maintenant à la question de la possibilité que Davy soit responsable d'un homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2) du Code criminel, qui porte sur la «fin commune».

À mon avis, le juge du procès a bien instruit le jury sur la possibilité que Davy soit responsable d'un meurtre, en vertu du par. 21(2). Le juge a dit au jury que si Davy et Jackson avaient formé ensemble le projet de voler la victime et que Jackson avait commis un meurtre en exécutant ce vol qualifié, tout en sachant que le meurtre serait une conséquence probable de l'exécution du vol qualifié ou de la réalisation de l'intention commune, Davy serait alors coupable de meurtre au deuxième degré.

Le juge du procès n'a toutefois pas indiqué au jury qu'il pouvait déclarer Davy coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2). La Cour d'appel a conclu que c'était là une erreur et que le juge aurait dû informer le jury que, s'il déclarait Jackson coupable de meurtre, il pourrait, en vertu du par. 21(2), déclarer Davy coupable d'homicide involontaire coupable.

Voilà qui soulève la question de savoir si un participant à une infraction peut être reconnu coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2), dans le cas où l'auteur de l'infraction visée par ce paragraphe est déclaré coupable de meurtre. En d'autres termes, l'infraction mentionnée au par. 21(2) se limite‑t‑elle à l'infraction même dont l'auteur est reconnu coupable — en l'occurrence le meurtre — ou englobe‑t‑elle les infractions incluses comme l'homicide involontaire coupable? Si on conclut qu'elle englobe les infractions incluses, il faut alors se demander quelle est la mens rea requise pour qu'il y ait déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2)?

Les tribunaux canadiens se sont partagés sur la question de savoir si le par. 21(2) impose une responsabilité pour des infractions incluses. En Colombie‑Britannique et au Nouveau‑Brunswick, les cours d'appel ont jugé qu'un participant à une infraction ne peut être déclaré coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2), dans le cas où l'auteur de l'infraction est reconnu coupable de meurtre: R. c. Wong (1978), 41 C.C.C. (2d) 196 (C.A.C.‑B.), aux pp. 200 à 202, et Hébert c. R. (1986), 51 C.R. (3d) 264 (C.A.N.‑B.). Par contre, c'est le point de vue contraire qui a été retenu en Alberta et au Manitoba: R. c. Emkeit (1971), 3 C.C.C. (2d) 309 (C.A. Alb.), aux pp. 336 et 337, et R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405 (C.A. Man.), aux pp. 431 et 432.

En l'espèce, la Cour d'appel a estimé que, lorsqu'on a démontré l'existence d'une fin commune illégale et qu'un participant à la réalisation de cette fin a commis un meurtre, un autre participant à la réalisation de la même fin peut être déclaré coupable soit de meurtre soit d'homicide involontaire coupable. Ses motifs peuvent se résumer de la façon suivante.

Premièrement, la Cour d'appel a conclu que, même si l'arrêt Kirkness, précité, ne tranche pas définitivement la question, le raisonnement qu'on y trouve permet de conclure que la responsabilité fondée sur le par. 21(2) peut s'étendre aux infractions incluses.

Deuxièmement, la Cour d'appel a statué que le texte du paragraphe permet de tirer cette conclusion. Il est vrai que la mention, au par. 21(2), d'«une infraction» commise par l'auteur principal, suivie des expressions «l'infraction» et «cette infraction» utilisées pour décrire la responsabilité de la seconde personne porte à croire, à première vue, que cette seconde personne doit être responsable de la même infraction que l'auteur principal, cette infraction étant en l'occurrence le meurtre. Toutefois, si les expressions «l'infraction» et «cette infraction» sont interprétées comme englobant toutes les infractions incluses, une conclusion différente s'impose. Le juge Doherty de la Cour d'appel écrit (à la p. 420 C.C.C.):

[traduction] Le complice est responsable de «l'infraction» commise par l'auteur principal. Si ce dernier commet un meurtre, il commet nécessairement l'infraction d'homicide involontaire coupable, même si la responsabilité pour homicide involontaire coupable, qui est une infraction moindre et incluse dans le meurtre, est subsumée sous la déclaration de culpabilité de meurtre [. . .] Il convient d'aborder la question de la responsabilité du complice aux termes du par. 21(2) relativement à chacune des infractions accessoires commises par l'auteur principal, et non seulement en fonction de l'infraction dont l'auteur principal est finalement reconnu coupable.

Troisièmement, la Cour d'appel a jugé que pareille interprétation du par. 21(2) [traduction] «permet de maintenir un équilibre approprié entre la culpabilité morale et l'infraction dont un accusé est finalement reconnu coupable» (p. 420 C.C.C.). Le juge Doherty a cité les propos tenus par le juge Cooke (maintenant président de la Cour d'appel) dans l'arrêt R. c. Tomkins, [1985] 2 N.Z.L.R. 253 (C.A.), à la p. 255:

[traduction] La possibilité de prononcer un verdict d'homicide involontaire coupable dans de tels cas traduit le sentiment collectif que quiconque s'associe à une entreprise criminelle tout en sachant qu'on est muni de couteaux (ou d'autres armes comme des armes à feu chargées) devrait se voir imputer une partie de la responsabilité criminelle relative à un décès qui s'ensuit, mais qu'il peut être excessivement sévère de déclarer une telle personne coupable de meurtre si elle ne croyait pas qu'on se servirait intentionnellement de ces armes pour tuer quelqu'un.

Toutes ces considérations ont amené la Cour d'appel à conclure qu'une personne peut être déclarée coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2) du Code, lorsque l'auteur principal de l'infraction est coupable de meurtre. Même si des difficultés peuvent surgir à ce sujet, j'estime qu'en dernière analyse la Cour d'appel est arrivée au bon résultat, si l'on tient compte non seulement du texte du Code, mais aussi du fait qu'il est manifestement juste de permettre une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable dans ces circonstances. En tirant cette conclusion, je n'ai pas fait abstraction de l'historique du par. 21(2) qui, à une certaine époque, parlait de «toute infraction» (S.R.C. 1927, ch. 36, par. 69(2)). On peut soutenir que la modification apportée est tout aussi compatible avec la théorie selon laquelle le terme «infraction» englobe les infractions incluses qu'avec celle du ministère public voulant que les rédacteurs du Code criminel aient cherché à limiter ce terme à l'infraction commise par l'auteur principal.

Reste la question de la mens rea requise pour justifier une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable fondée sur le par. 21(2) du Code criminel. La Cour d'appel a jugé que, pour obtenir une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable en vertu de ce paragraphe, le ministère public doit prouver que l'accusé savait ou devait savoir qu'un homicide, mais non un meurtre, était une conséquence probable de la poursuite de la fin commune illégale. Cependant, comme je l'ai déjà souligné, depuis l'arrêt de la Cour d'appel en l'espèce, notre Cour a statué qu'il n'est pas nécessaire dans le cas de l'homicide involontaire coupable que le risque de mort soit prévisible; la prévisibilité du risque de blessures suffit: Creighton, précité. L'arrêt de notre Cour R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638, porte à croire qu'il n'y a rien dans le par. 21(2) qui exige un degré de mens rea plus élevé que celui qui serait par ailleurs nécessaire à une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable. Dans cet arrêt, la Cour a décidé à l'unanimité que, selon le par. 21(2) et l'art. 230 (alors l'art. 202) du Code criminel pris ensemble, un accusé pouvait être reconnu coupable de meurtre par imputation en tant que participant à cette infraction, et ce, sans que le ministère public ait à prouver que l'accusé savait ou devait savoir que la mort serait la conséquence probable de la réalisation de la fin commune illégale. Bien qu'il ne soit plus possible de prononcer une déclaration de culpabilité de meurtre fondée sur le par. 21(2) en l'absence d'une preuve de la conscience subjective du risque de mort (R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731), le raisonnement de l'arrêt Trinneer, conjugué à l'arrêt Creighton, précité, porte à croire que la mens rea requise pour déclarer quelqu'un coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2) est la conscience objective du risque de blessures. Il s'ensuit nécessairement qu'une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable fondée sur le par. 21(2) exige non pas la prévisibilité de la mort, mais seulement la prévisibilité de blessures qui, en fait, entraînent la mort.

D'après la preuve produite, l'un des scénarios qu'aurait pu retenir le jury est celui voulant que Jackson et Davy aient formé ensemble le projet de voler Rae et que, lors de la perpétration du vol qualifié, Jackson ait assassiné Rae. Même si Davy n'a pas participé au meurtre, sa responsabilité pourrait, selon ce scénario, être engagée en vertu du par. 21(2). S'il avait prévu que le meurtre serait une conséquence probable de la réalisation de la fin commune — en l'occurrence le vol qualifié —, il serait coupable de meurtre au deuxième degré. Par contre, dans le cas où il n'aurait pas prévu qu'un meurtre serait probablement commis mais où, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu au moins le risque de causer des blessures à autrui par suite de la réalisation de l'intention commune, Davy pourrait être déclaré coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2).

Somme toute, la preuve produite pouvait justifier une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable pour le motif que Davy avait aidé et encouragé à commettre une infraction, au sens du par. 21(1) du Code criminel, ou qu'il avait participé à un projet commun de poursuivre une fin illégale au sens du par. 21(2) du Code. Il reste à décider si le jury a reçu des directives appropriées relativement à ces deux options.

(iii)Le caractère suffisant des directives relatives à l'homicide involontaire coupable

Dans le cadre de ses directives générales concernant les règles de droit applicables, le juge du procès a dit ceci au jury:

[traduction] Supposons alors que vous ayez un doute raisonnable quant au meurtre au deuxième degré ou quant au meurtre, pour reprendre l'expression que j'ai utilisée. Nous allons examiner la question de l'homicide involontaire coupable.

Si vous décidez que Eugene Rae est mort par suite d'un acte illégal et que l'accusé a commis cet acte ou a participé à sa perpétration, sans toutefois être convaincus hors de tout doute raisonnable que l'un des accusés avait l'intention requise pour être reconnu coupable de meurtre, alors vous déclarerez cet accusé non coupable de meurtre mais coupable d'homicide involontaire coupable. Pour justifier un verdict d'homicide involontaire coupable, le ministère public n'a à prouver aucune intention de tuer — je le répète, aucune intention de tuer — ni aucune intention de causer des lésions corporelles comme celles que j'ai décrites. L'homicide involontaire coupable n'est rien d'autre qu'un homicide non intentionnel résultant de l'acte illégal, mais le ministère public doit vous convaincre hors de tout doute raisonnable que l'accusé a tué Rae en commettant sur lui un acte illégal, ou qu'il a participé à cet acte. En l'espèce, l'acte illégal consisterait en des voies de fait, en une utilisation non accidentelle de la force.

N'oubliez pas que Me Owen [l'avocat de l'accusé Jackson] a reconnu que Jackson est coupable tout au moins d'homicide involontaire coupable, c'est-à-dire que l'acte illégal consistant à se livrer à des voies de fait sur Rae a causé sa mort.

Le juge du procès a donné les directives suivantes au sujet de la responsabilité d'un participant à une infraction:

[traduction] Tous les participants à l'infraction sont coupables au même titre. Il y a deux accusés en l'espèce. Vous devez examiner la responsabilité de chacun d'eux séparément. Vous devez, à cet égard, décider si Jackson ou Davy ont participé à un meurtre au premier degré, à un meurtre au deuxième degré ou à un homicide involontaire coupable. Un participant se rend coupable de meurtre, qu'il soit l'auteur principal de l'infraction ou bien l'auteur secondaire.

En ce qui concerne l'aide et l'encouragement à commettre une infraction, le juge du procès a donné les directives suivantes:

[traduction] Je vais maintenant parler de l'aide et de l'encouragement à commettre une infraction. Il s'agit dans chaque cas d'une façon dont l'accusé peut participer accessoirement à une infraction commise en fait par quelqu'un d'autre. Pour pouvoir tenir une personne responsable pour avoir aidé ou encouragé à commettre une infraction, vous devez conclure qu'une infraction précise, en l'espèce un meurtre au premier degré, un meurtre au deuxième degré ou un homicide involontaire coupable, a été commise. Si vous décidez que l'infraction a été commise, alors l'accusé est coupable s'il a aidé ou encouragé à commettre cette infraction.

L'aide et l'encouragement doivent se rapporter à une infraction précise. On ne peut aider ni encourager dans l'abstrait. Il va sans dire que le mot «aider» signifie simplement «prêter son concours» ou «assister». L'aide peut consister à faire quelque chose. Le mot «encourager» a le sens d'inciter, de presser, de pousser, de provoquer.

Quiconque aide ou encourage réellement une autre personne à commettre une infraction est coupable de cette infraction, au même titre que la personne qui la commet réellement. Pour être coupable d'avoir aidé ou encouragé à commettre une infraction, il doit y avoir eu participation ou aide réelles, ou un encouragement ou une invitation à la commettre. Un simple observateur n'est pas quelqu'un qui aide ou encourage. L'acquiescement passif ne suffit pas.

Pour aider ou encourager l'entreprise, pour aider ou encourager à commettre un crime, une personne doit s'associer à l'entreprise criminelle soit en y participant et en tentant de la faire réussir, soit en l'encourageant activement ou en insistant pour qu'elle se réalise. Rappelez‑vous que le fait de rester là à ne rien faire ne constitue pas une infraction criminelle. Le simple observateur passif d'un crime, peu importe la gravité de ce crime, n'est coupable d'aucune infraction. Un accusé n'est coupable d'avoir aidé ou encouragé à commettre un crime que s'il a intentionnellement aidé ou encouragé quelqu'un à le commettre.

Pour que vous déclariez l'accusé coupable pour avoir aidé ou encouragé à commettre un crime, il ne suffit pas que le ministère public prouve que ses actes ont eu pour effet d'aider ou d'encourager à le commettre; le ministère public doit aussi prouver hors de tout doute raisonnable que c'est dans le but ou l'intention d'aider ou d'encourager à commettre une infraction que l'accusé a accompli les actes en question.

Ayant exposé les règles de droit applicables à ces égards, le juge du procès a ensuite passé en revue les crimes et les verdicts possibles:

[traduction] Chaque accusé et chaque infraction considérée doit faire l'objet d'un examen particulier et d'un verdict distinct. Chaque accusé a le droit de voir déterminer sa culpabilité ou son innocence relativement à chaque crime qui lui est imputé, en fonction de sa propre conduite et de la preuve qui s'applique à son cas, tout comme s'il subissait seul son procès.

. . .

Alors vous commencez par Jackson et la question du meurtre au deuxième degré. Vous arrivez à une décision. Si vous le jugez non coupable de meurtre au deuxième degré, vous considérez ensuite l'infraction moins grave d'homicide involontaire coupable. Il n'est coupable que d'homicide involontaire coupable. On en convient. Si toutefois vous concluez que Jackson est coupable de meurtre au deuxième degré, vous devez alors vous demander s'il s'agissait d'un homicide intentionnel commis avec préméditation. Si c'est le cas, il est coupable de meurtre au premier degré.

Il faut procéder de la même façon avec Davy. Examinez s'il est responsable de meurtre au deuxième degré. Si vous n'en êtes pas convaincus, vous pouvez considérer l'infraction d'homicide involontaire coupable. Il est peut‑être peu probable en l'espèce que Davy soit coupable d'homicide involontaire coupable. C'est seulement si vous le jugez coupable de meurtre au deuxième degré que vous allez examiner s'il est coupable de meurtre au premier degré.

. . .

En ce qui concerne Paul Benjamin Davy, on vous demandera d'abord si vous le jugez coupable de meurtre au premier degré, même si, dans vos délibérations, vous commencez par le meurtre au deuxième degré. Si la réponse est négative, on vous demandera alors s'il est coupable d'homicide involontaire coupable. Dans la négative, il n'est pas coupable et il est carrément acquitté.

. . .

Différentes définitions tirées du Code criminel vous seront fournies. Vous obtiendrez la définition du meurtre au deuxième degré figurant à l'art. 214 [maintenant l'art. 231]. Vous obtiendrez la définition du meurtre au premier degré énoncée au par. 214(2) [maintenant le par. 231(2)]. On vous donnera comme troisième possibilité le simple homicide involontaire coupable. Il n'existe pas de définition d'un acte illégal causant la mort et on a déjà reconnu que les voies de fait ont causé la mort, de sorte qu'il y a tout au moins homicide involontaire coupable. En ce qui concerne les participants réels à l'infraction, vous allez recevoir le texte intégral de l'art. 21. Rappelez‑vous que chacun des accusés est responsable s'il a participé à l'infraction. On peut participer à une infraction en la commettant réellement, en aidant ou en encourageant quelqu'un à la commettre, ou en ayant l'intention de commettre un vol dans un cas où il est probable qu'un meurtre résultera.

Enfin, le juge du procès a donné au jury cette ultime directive:

[traduction] En examinant séparément, dans chaque scénario, la responsabilité de chacun des accusés, appliquez l'art. 21 du Code criminel, qui est la disposition relative aux participants à une infraction. Appliquez ces dispositions, les dispositions relatives aux participants, au meurtre au deuxième degré, puis, s'il y a lieu, au meurtre au premier degré, et enfin à l'homicide involontaire coupable. Vous allez appliquer à chaque accusé dans chaque scénario d'abord l'al. 21(1)a) («commet réellement»), ensuite l'al. 21(1)b) («aider») et l'al. 21(1)c) («encourage»), et finalement le par. 21(2). Évidemment, il se pourra que certaines dispositions de l'art. 21 ne s'appliquent pas à chaque accusé dans des scénarios donnés.

Je suis persuadé que, si vous suivez cette méthode, vous allez parvenir à des verdicts exacts et justes.

Jamais le juge du procès n'a‑t‑il dit expressément au jury qu'il pouvait déclarer Jackson coupable de meurtre et Davy, coupable d'homicide involontaire coupable. Dans les scénarios qu'il a exposés au jury, aucun des verdicts possibles dans le cas de Davy n'était celui de culpabilité d'homicide involontaire coupable. De plus, ce qui est fort révélateur, le juge du procès a affirmé: «Il est peut‑être peu probable en l'espèce que Davy soit coupable d'homicide involontaire coupable.»

Le ministère public soutient que le juge du procès a bien exposé les conditions applicables à l'homicide involontaire coupable et qu'il n'a pas écarté la possibilité de prononcer un verdict de culpabilité de cette infraction dans le cas des deux accusés. En outre, le ministère public souligne que le juge du procès a recommandé au jury d'examiner la situation de chaque accusé séparément. Enfin, le ministère public fait remarquer que, si le jury avait suivi les directives du juge du procès, il ne serait arrivé au verdict de culpabilité d'homicide involontaire coupable que s'il avait été convaincu que Davy n'était pas coupable de meurtre. Cela, affirme le ministère public, n'était clairement pas le cas puisque le jury l'a déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Le ministère public affirme qu'il n'était pas nécessaire de dire expressément au jury qu'il pouvait déclarer Jackson coupable de meurtre et Davy, coupable d'homicide involontaire coupable.

Tout en accordant à ces arguments le poids qu'ils méritent, je doute néanmoins que le jury ait reçu des directives appropriées relativement à l'homicide involontaire coupable. Je conviens avec la Cour d'appel qu'il était essentiel que le jury reçoive des directives sur la possibilité que Davy soit responsable d'un homicide involontaire coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2) du Code criminel. Il n'aurait peut‑être pas été évident pour un jury qui aurait lu ces dispositions qu'elles lui permettaient de déclarer Jackson coupable de meurtre et Davy, coupable d'homicide involontaire coupable. Cette situation a été aggravée par le fait que le juge du procès a laissé entendre qu'il était peu probable que Davy soit coupable d'homicide involontaire coupable, et par certains termes employés par le juge du procès dans ses directives au jury. Par exemple, en donnant au jury des directives concernant les participants à l'infraction, il a affirmé que «[t]ous les participants à l'infraction sont coupables au même titre.» Si le jury avait conclu que l'infraction visée au par. 21(2) était le meurtre commis par Jackson, cela aurait bien pu l'amener à conclure que Davy devait lui aussi être coupable de meurtre alors que, comme je l'ai déjà indiqué, il n'était peut‑être coupable que d'homicide involontaire coupable en l'absence de l'intention requise pour l'infraction de meurtre. Cette ambiguïté dans les directives aurait facilement pu être dissipée en expliquant clairement que le jury pourrait déclarer Jackson coupable de meurtre et Davy, coupable d'homicide involontaire coupable. Cette directive n'a toutefois pas été donnée.

Le juge du procès a certes donné au jury des directives claires et justes concernant l'état d'esprit requis pour déclarer Davy coupable de meurtre. Il est vrai aussi que le jury a reconnu Davy coupable de meurtre. Je conviens néanmoins avec la Cour d'appel qu'on ne saurait être convaincu que ce verdict est juste étant donné l'omission du juge du procès de dire sur quoi on pouvait se baser pour déclarer Davy coupable d'homicide involontaire coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2), et compte tenu de l'absence de toute directive voulant qu'un participant à une infraction puisse être coupable d'homicide involontaire coupable même si l'auteur principal est coupable de meurtre. Comme l'affirme lord Tucker dans l'arrêt Bullard c. The Queen, [1957] A.C. 635, à la p. 644:

[traduction] Quiconque subit un procès pour meurtre a droit à ce que la question de l'homicide involontaire coupable soit soumise à l'appréciation du jury, s'il existe des éléments de preuve susceptibles de justifier un verdict de culpabilité de cette infraction. Priver une telle personne de ce droit constitue nécessairement une erreur judiciaire grave et il ne sert à rien de conjecturer sur le verdict qu'aurait rendu le jury.

Force m'est de conclure qu'en l'espèce on n'a pas tenu compte de l'avertissement de lord Tucker et que la question de l'homicide involontaire coupable n'a pas été correctement soumise à l'appréciation du jury.

(2) Le sous‑alinéa 686(1)b)(iii) du Code criminel s'applique‑t‑il?

Je ne suis pas convaincue qu'il est évident qu'un jury, ayant reçu des directives appropriées, aurait nécessairement prononcé contre Davy un verdict de culpabilité de meurtre au deuxième degré. Davy avait droit à ce que la possibilité d'un verdict de culpabilité d'homicide involontaire coupable soit clairement soumise à l'appréciation du jury. Nous ne pouvons être certains que, si cela avait été fait et malgré l'existence des directives justes en matière de meurtre, le verdict n'aurait pas pu être différent. Il ne s'agit donc pas d'un cas où il convient d'appliquer le sous‑al. 686(1)b)(iii).

Conclusion

Je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer l'ordonnance d'un nouveau procès.

Pourvoi rejeté.

Procureur de l'appelante: Le ministère du Procureur général de l'Ontario, Toronto.

Procureurs de l'intimé: Greenspan, Rosenberg & Buhr, Toronto.


Synthèse
Référence neutre : [1993] 4 R.C.S. 573 ?
Date de la décision : 16/12/1993
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Participants à des infractions - Aider et encourager à commettre une infraction - Meurtre ou homicide involontaire - La partie qui aide et encourage à commettre une infraction peut‑elle être reconnue coupable d'homicide involontaire en vertu de l'art. 21(1) du Code criminel dans le cas où l'auteur principal est coupable de meurtre? - Mens rea requise pour qu'il y ait déclaration de culpabilité d'homicide involontaire en vertu de l'art. 21(1) du Code - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 21(1).

Droit criminel - Participants à des infractions - Intention commune - Meurtre ou homicide involontaire - Un participant à la réalisation d'une fin commune illégale peut‑il être reconnu coupable d'homicide involontaire en vertu de l'art. 21(2) du Code criminel dans le cas où l'auteur principal est coupable de meurtre? - Mens rea requise pour qu'il y ait déclaration d'homicide involontaire en vertu de l'art. 21(2) du Code - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 21(2).

Droit criminel - Participants à des infractions - Directives au jury - Preuve susceptible de justifier une déclaration de culpabilité de meurtre ou d'homicide involontaire - Le juge du procès aurait‑il dû dire au jury qu'un participant à une infraction, au sens de l'art. 21(1) ou 21(2) du Code criminel, peut être coupable d'homicide involontaire, même si l'auteur principal est coupable de meurtre? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 21.

J et l'accusé ont été inculpés de meurtre au premier degré à la suite de l'homicide commis sur la personne de l'employeur de J. J croyait que la victime, avec laquelle il entretenait des relations homosexuelles, avait engagé un nouvel employé pour le remplacer. La nuit du meurtre, l'accusé a conduit J à la boutique d'antiquités de la victime. D'après J, l'accusé n'est jamais descendu de la voiture et ignorait ce qui s'est passé à l'intérieur de la boutique. J a avoué être entré dans la boutique, avoir perdu la tête et avoir assené des coups de marteau à la victime. La version de l'accusé était différente. D'après lui, pendant qu'ils se dirigeaient vers la boutique, J a parlé de tuer la victime, mais l'accusé a cru que c'était une blague. J est sorti de la voiture, marteau, cagoule et gants en main, et il a ordonné à l'accusé de le suivre. J est entré dans la boutique et l'accusé est resté à l'extérieur, près de la porte, où il a entendu des échanges de propos bruyants ainsi que des bruits qui lui ont fait croire que quelqu'un recevait des coups. L'accusé a pris peur et a descendu l'allée en courant vers la voiture. J s'est lancé à sa poursuite, l'a frappé et l'a obligé à retourner dans la boutique. Il a alors dit à l'accusé de ramasser la caisse. Selon la thèse du ministère public, J et l'accusé sont tous deux entrés dans la boutique et ont tous deux participé pleinement aux agressions et au vol qualifié. Le juge du procès a donné au jury des directives à la fois sur le meurtre et sur l'homicide involontaire coupable. Il a exposé un certain nombre de scénarios plausibles, mais dans aucun cas n'a‑t‑il indiqué que l'accusé pourrait être coupable d'homicide involontaire coupable. Au contraire, le juge du procès a exprimé l'avis que cela était peu probable. Le jury a reconnu J coupable de meurtre au premier degré, et l'accusé, coupable de meurtre au deuxième degré. La Cour d'appel a annulé la déclaration de culpabilité de l'accusé et a ordonné la tenue d'un nouveau procès pour le motif que le juge du procès n'a pas donné au jury des directives suffisantes sur la possibilité que l'accusé soit responsable d'un homicide involontaire coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2) du Code criminel.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major: Quiconque aide et encourage quelqu'un à commettre l'infraction de meurtre peut être coupable de cette même infraction en vertu des al. 21(1)b) et c) du Code s'il possède la mens rea requise pour le meurtre. Si toutefois cette personne n'a pas la mens rea requise pour le meurtre mais possède celle nécessaire pour l'infraction moindre d'homicide involontaire coupable, elle peut être coupable de cette dernière infraction. En vertu des al. 21(1)b) et c), l'homicide involontaire coupable résultant d'un acte illégal ne requiert pas la conscience subjective des conséquences de l'acte accompli. Le critère qui s'applique est un critère objectif. Il n'est pas nécessaire non plus que le risque de mort soit prévisible. Pourvu que l'acte illégal soit intrinsèquement dangereux et qu'il ait pour conséquence prévisible de causer à autrui des blessures qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère, la mort qui en résulte constitue un homicide involontaire coupable. Ainsi, la personne qui aide et encourage quelqu'un d'autre à commettre un meurtre peut être déclarée coupable d'homicide involontaire coupable si, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable se serait rendu compte que l'acte dangereux qui était accompli avait pour conséquence prévisible de causer des lésions corporelles.

De même, en vertu du par. 21(2) du Code, lorsqu'on a démontré l'existence d'une fin commune illégale et qu'un participant à la réalisation de cette fin a commis un meurtre, un autre participant à la réalisation de la même fin peut être déclaré coupable soit de meurtre soit d'homicide involontaire coupable. L'infraction mentionnée au par. 21(2) ne se limite pas à l'infraction même dont l'auteur est reconnu coupable, mais englobe les infractions incluses. La mens rea requise pour déclarer quelqu'un coupable d'homicide involontaire coupable en vertu du par. 21(2) est la conscience objective du risque de blessures. Il s'ensuit qu'une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable fondée sur le par. 21(2) exige non pas la prévisibilité de la mort, mais seulement la prévisibilité de blessures qui, en fait, entraînent la mort. Quiconque participe à un projet commun de poursuivre une fin illégale au sens du par. 21(2) peut donc être coupable d'homicide involontaire coupable, même si l'auteur de l'infraction s'est rendu coupable de meurtre, dans le cas où ce participant n'a pas prévu qu'un meurtre serait probablement commis mais où, compte tenu de toutes les circonstances, une personne raisonnable aurait prévu au moins le risque de causer des blessures à autrui par suite de la réalisation de l'intention commune.

En l'espèce, l'accusé avait droit à ce que la possibilité d'un verdict de culpabilité d'homicide involontaire coupable soit clairement soumise à l'appréciation du jury. La preuve produite au procès pouvait justifier une déclaration de culpabilité d'homicide involontaire coupable pour le motif que l'accusé avait aidé et encouragé à commettre une infraction, au sens du par. 21(1), ou qu'il avait participé à un projet commun de poursuivre une fin illégale au sens du par. 21(2). Il était donc essentiel que le jury reçoive des directives sur la possibilité que l'accusé soit responsable d'un homicide involontaire coupable en vertu de ces paragraphes. On ne saurait être convaincu que le verdict était juste étant donné l'omission du juge du procès de dire sur quoi on pouvait se baser pour déclarer l'accusé coupable d'homicide involontaire coupable en vertu des par. 21(1) et 21(2), et compte tenu de l'absence de toute directive voulant qu'un participant à une infraction puisse être coupable d'homicide involontaire coupable même si l'auteur principal est coupable de meurtre. Il ne s'agissait pas d'un cas où il convenait d'appliquer le sous‑al. 686(1)b)(iii) du Code.

Le juge en chef Lamer: Les motifs du juge McLachlin sont généralement acceptés. En particulier, il est possible de reconnaître coupable d'homicide involontaire coupable, en vertu du par. 21(2) du Code criminel, l'accusé qui, ayant formé avec autrui le projet de poursuivre une fin illégale et d'aider l'auteur d'une infraction, savait ou devait savoir que la réalisation de l'intention commune aurait pour conséquence probable la perpétration, par l'auteur de l'infraction, d'un acte dangereux qu'une personne raisonnable pourrait reconnaître comme créant un risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère. Aucune question relative à la Charte n'a été soulevée en l'espèce.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Jackson

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge McLachlin
Arrêts appliqués: R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74
R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3
R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638
arrêts approuvés: R. c. Emkeit (1971), 3 C.C.C. (2d) 309
R. c. Kent (1986), 27 C.C.C. (3d) 405
arrêts désapprouvés: R. c. Wong (1978), 41 C.C.C. (2d) 196
Hébert c. R. (1986), 51 C.R. (3d) 264
arrêts mentionnés: R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944
R. c. Tomkins, [1985] 2 N.Z.L.R. 253
R. c. Logan, [1990] 2 R.C.S. 731
Bullard c. The Queen, [1957] A.C. 635.
Citée par le juge en chef Lamer
Arrêts appliqués: R. c. Trinneer, [1970] R.C.S. 638
R. c. Kirkness, [1990] 3 R.C.S. 74
R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 21, 686(1)b)(iii).
Code criminel, S.R.C. 1927, ch. 36, art. 69(2).

Proposition de citation de la décision: R. c. Jackson, [1993] 4 R.C.S. 573 (16 décembre 1993)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1993-12-16;.1993..4.r.c.s..573 ?
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