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24/02/1994 | CANADA | N°[1994]_1_R.C.S._159

Canada | Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159 (24 février 1994)


Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159

Le Grand conseil des Cris (du Québec)

et l'Administration régionale crie Appelants

c.

Le procureur général du Canada, le procureur

général du Québec, Hydro‑Québec et

l'Office national de l'énergie Intimés

et

Sierra Legal Defence Fund, l'Association

canadienne du droit de l'environnement,

Survie culturelle (Canada), les Ami(e)s

de la Terre et Sierra Club of Canada Intervenants

Répertorié: Québec (Procureur

général) c. Canada (Office national de l'énergie)

No du greffe: 22705.

1993: 13 octobre; 1994: 24 février.

Présents: Le juge en chef L...

Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159

Le Grand conseil des Cris (du Québec)

et l'Administration régionale crie Appelants

c.

Le procureur général du Canada, le procureur

général du Québec, Hydro‑Québec et

l'Office national de l'énergie Intimés

et

Sierra Legal Defence Fund, l'Association

canadienne du droit de l'environnement,

Survie culturelle (Canada), les Ami(e)s

de la Terre et Sierra Club of Canada Intervenants

Répertorié: Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie)

No du greffe: 22705.

1993: 13 octobre; 1994: 24 février.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel fédérale

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel fédérale, [1991] 3 C.F. 443, 83 D.L.R. (4th) 146, 7 C.E.L.R. (N.S.) 315, 132 N.R. 214, qui a retranché certaines conditions des licences délivrées par l'Office national de l'énergie, [1991] 2 C.N.L.R. 70, et déclaré les licences par ailleurs valides. Pourvoi accueilli.

Robert Mainville, Peter W. Hutchins et Johanne Mainville, pour les appelants.

Jean‑Marc Aubry, c.r., et René LeBlanc, pour l'intimé le procureur général du Canada.

Pierre Lachance et Jean Robitaille, pour l'intimé le procureur général du Québec.

Pierre Bienvenu, Jean G. Bertrand et Bernard Roy, pour l'intimée Hydro‑Québec.

Judith B. Hanebury, pour l'intimé l'Office national de l'énergie.

Gregory J. McDade et Stewart A. G. Elgie, pour les intervenants.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Iacobucci — Il s'agit d'un pourvoi contre la décision de l'intimé l' Office national de l'énergie («l'Office») de délivrer à l'intimée Hydro‑Québec des licences d'exportation d'électricité à destination des États de New York et du Vermont. Cette décision a été prise après de longues audiences publiques au cours desquelles le Grand conseil des Cris, l'Administration régionale crie («les appelants») ainsi que d'autres groupes intéressés ont présenté de nombreux arguments.

Le procureur général du Québec, celui du Canada et l'Office ont comparu comme intimés dans le cadre du présent pourvoi. Notre Cour a également entendu le Sierra Legal Defence Fund, l'Association canadienne du droit de l'environnement, Survie culturelle (Canada), les Ami(e)s de la Terre et le Sierra Club of Canada («les intervenants»).

Les appelants ont soutenu devant la Cour d'appel fédérale que l'Office avait commis plusieurs erreurs en délivrant les licences. Les intimés Hydro‑Québec et le procureur général du Québec ont affirmé que l'Office avait commis une erreur en assujettissant la délivrance des licences au résultat favorable des évaluations environnementales des futures installations de production d'électricité envisagées par Hydro‑Québec. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'argument des appelants et a conclu que l'Office avait commis une erreur en imposant les conditions contestées par les intimés. La Cour d'appel a retranché ces conditions et déclaré que les licences étaient par ailleurs valides. Les appelants se pourvoient maintenant devant notre Cour.

I. Les faits

Le 28 juillet 1989, Hydro‑Québec s'adressait à l'Office pour obtenir des licences d'exportation de blocs de puissance à destination de New York et du Vermont. Il s'agissait de neuf blocs de puissance qui devaient être fournis durant des périodes variant de cinq à vingt‑deux ans, conformément à deux ententes signées avec des sociétés d'électricité américaines, portant sur une quantité totale de 1 450 MW et qui devaient rapporter près de 25 milliards de dollars à Hydro‑Québec. Celle‑ci visait à tirer de ces exportations suffisamment de revenus pour mettre en oeuvre son plan de développement dans le but de satisfaire à la demande sans cesse croissante de services d'électricité dans la province.

L'Office a tenu des audiences publiques au cours de février et mars 1990 relativement à la demande de licences d'exportation. Un certain nombre de parties intéressées, dont les appelants, y ont pris part. Au moment du dépôt des demandes de licences, l'Office devait, en vertu de l'art. 118 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7, s'assurer que l'électricité à exporter n'était pas requise pour satisfaire aux besoins normalement prévisibles du Canada à l'époque en cause, et que le prix à demander par la société d'électricité était juste et raisonnable. Après les audiences, mais avant la décision de l'Office, l'art. 118 a été modifié par la Loi modifiant la Loi sur l'Office national de l'énergie et abrogeant certaines lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 7 («Projet de loi C‑23»). Ces deux critères explicites ont été retranchés de la Loi; maintenant, l'Office doit seulement tenir compte des facteurs qu'il estime pertinents. Les parties ont présenté à l'Office des arguments quant à l'effet de ces modifications.

Le 27 septembre 1990, l'Office a délivré les licences d'exportation, sous réserve d'une liste de conditions. Les appelants ont interjeté appel contre la décision de l'Office devant la Cour d'appel fédérale. Les intimés Hydro‑Québec et le procureur général du Québec ont également interjeté appel contre la décision de l'Office, contestant la validité de deux des conditions des licences, qui portaient sur l'évaluation environnementale des futures installations de production. La Cour d'appel fédérale a rejeté à l'unanimité l'appel des appelants et accueilli celui d'Hydro‑Québec et du procureur général du Québec. La Cour d'appel a retranché les deux conditions en cause, mais a par ailleurs maintenu les licences délivrées.

II. Les dispositions législatives pertinentes

Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7 (mod. par L.C. 1990, ch. 7):

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

. . .

«exportation»

a) Dans le cas de l'électricité, le fait de transporter de l'électricité produite au Canada à l'extérieur du pays par une ligne de fil métallique ou un autre conducteur;

. . .

22. (1) Il peut être interjeté appel devant la Cour d'appel fédérale, avec l'autorisation de celle‑ci, d'une décision ou ordonnance de l'Office, sur une question de droit ou de compétence.

24. (1) . . . doivent faire l'objet d'audiences publiques les cas de délivrance, d'annulation ou de suspension de certificats ou de licences concernant l'exportation de gaz ou d'électricité ou l'importation de gaz, ainsi que les demandes de cessation d'exploitation d'un pipeline.

119.02 Il est interdit d'exporter de l'électricité sans un permis ou une licence, respectivement délivré en application des articles 119.03 ou 119.08, ou en contravention avec l'un ou l'autre de ces titres.

119.03 (1) Sauf si un décret a été pris au titre de l'article 119.07, l'Office délivre, sur demande et sans audience publique, les permis autorisant l'exportation d'électricité.

(2) Sont annexés à la demande les renseignements prévus par règlement et liés à celle‑ci.

119.06 (1) L'Office peut suggérer, par recommandation qu'il doit rendre publique, au ministre la prise d'un décret au titre de l'article 119.07 visant une demande d'exportation d'électricité et surseoir à la délivrance de permis pour la durée nécessaire à la prise du décret.

(2) Pour déterminer s'il y a lieu de procéder à la recommandation, l'Office tente d'éviter le dédoublement des mesures prises au sujet de l'exportation d'électricité par le demandeur et le gouvernement de la province exportatrice et tient compte de tous les facteurs qu'il estime pertinents et notamment:

. . .

b) des conséquences de l'exportation sur l'environnement;

. . .

d) de tout autre facteur qui peut être prévu par règlement.

119.07 (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret:

a) préciser que la demande d'exportation est assujettie à l'obtention de la licence visée à l'article 119.08;

b) annuler tout permis relatif à cette exportation.

. . .

(3) Le décret emporte l'impossibilité de délivrer tout permis relatif à la demande et l'assimilation de toute demande la visant à une demande de licence.

119.08 (1) Sous réserve de l'agrément du gouverneur en conseil et de l'article 24, l'Office peut délivrer une licence pour l'exportation de l'électricité visée par le décret.

(2) L'Office tient compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents.

119.09 (1) L'Office peut assortir le permis des conditions, en ce qui touche les données prévues par règlement, qu'il juge souhaitables dans l'intérêt public.

(2) L'Office peut assujettir la licence aux conditions qu'il juge souhaitables.

119.093 (1) L'Office peut annuler ou suspendre un permis ou une licence délivré pour l'exportation d'électricité [. . .] soit en cas de contravention par celui‑ci aux conditions de son titre.

Règlement sur l'Office national de l'énergie (Partie VI), C.R.C. 1978, ch. 1056:

6. (1) Tout requérant d'une licence pour l'exportation de force motrice doit fournir à l'Office les renseignements exigés par ce dernier.

(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), les renseignements que tout requérant décrit au paragraphe (1) est tenu de fournir doivent, sauf autorisation contraire de l'Office, comprendre

. . .

y) une preuve que le requérant a obtenu une licence, un permis ou une autre forme d'autorisation exigés par une loi du Canada ou d'une province à l'égard de la puissance électrique dont l'exportation est projetée;

z) une preuve démontrant que le prix que doit exiger le requérant pour la puissance et l'énergie électriques destinées par lui à l'exportation est juste et raisonnable par rapport à l'intérêt public et, en particulier, que le prix d'exportation

(i) permettra la récupération d'une bonne proportion des coûts assumés au Canada,

(ii) ne sera pas inférieur au prix exigé des Canadiens pour un service équivalent dans des régions connexes, et

(iii) n'entraînerait pas, dans le pays auquel la puissance est destinée, des prix qui soient sensiblement inférieurs à ceux de l'autre source la plus économique d'alimentation en puissance et en énergie qui existe au même endroit dans ce pays; et

aa) un témoignage quant aux répercussions que pourrait avoir sur l'environnement la production de la puissance destinée à l'exportation.

15. Toute licence d'exportation de puissance et d'énergie électriques est assujettie aux termes et conditions que l'Office peut prescrire, y compris, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, toute stipulation dans ladite licence concernant

. . .

m) les exigences relatives à la protection de l'environnement.

Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467:

2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes lignes directrices.

. . .

«proposition» S'entend en outre de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions.

3. Le processus est une méthode d'auto‑évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.

4. (1) Lors de l'examen d'une proposition selon l'article 3, le ministère responsable étudie:

a) les effets possibles de la proposition sur l'environnement ainsi que les répercussions sociales directement liées à ces effets, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du territoire canadien; et

b) les préoccupations du public qui concernent la proposition et ses effets possibles sur l'environnement.

5. (1) Si, indépendamment du processus, le ministère responsable soumet une proposition à un règlement sur l'environnement, il doit veiller à ce que les examens publics ne fassent pas double emploi.

(2) Pour éviter la situation de double emploi visée au paragraphe (1), le ministère responsable doit se servir du processus d'examen public comme instrument de travail au cours des premières étapes du développement d'une proposition plutôt que comme mécanisme réglementaire, et rendre les résultats de l'examen public disponibles aux fins des délibérations de nature réglementaire portant sur la proposition.

6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux propositions

. . .

b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;

8. Lorsqu'une commission ou un organisme fédéral ou un organisme de réglementation exerce un pouvoir de réglementation à l'égard d'une proposition, les présentes lignes directrices ne s'appliquent à la commission ou à l'organisme que si aucun obstacle juridique ne l'empêche ou s'il n'en découle pas de chevauchement des responsabilités.

10. (1) Le ministère responsable s'assure que chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou à une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement.

(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.

12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque proposition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer:

a) si la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11a) [c.‑à‑d., qui ne produirait aucun effet néfaste sur l'environnement], auquel cas elle est réalisée telle que prévue;

b) la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11b) [c.‑à‑d., qui produirait des effets néfastes sur l'environnement], auquel cas elle est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;

c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues, auquel cas la proposition est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces mesures, selon le cas;

d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou évaluation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;

e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont importants, auquel cas la proposition est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission; ou

f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel examen ou évaluation initiale.

III.Les juridictions inférieures

A.L'Office national de l'énergie, Décision no EH-3-89, août 1990 (les membres Fredette, Gilmour et Bélanger)

L'Office a longuement étayé sa décision dans laquelle il décrit en détail la situation de la requérante, Hydro‑Québec, la nature des licences demandées par celle‑ci et son témoignage relativement à l'excédent, au prix et à l'accès équitable au marché, les trois critères expressément mentionnés dans l'ancienne disposition de la Loi sur l'Office national de l'énergie. L'Office a également examiné la nature des marchés d'exportation, la fiabilité du système proposé de mise en oeuvre des contrats d'exportation et les incidences environnementales des exportations visées par les demandes de licence.

L'Office a fait remarquer qu'Hydro‑Québec pourrait, dans l'éventualité où les licences seraient délivrées, produire suffisamment d'électricité pour satisfaire aux contrats en utilisant à la fois ses installations actuelles et celles envisagées dans son plan de développement. En d'autres mots, les exportations ne nécessitaient que l'utilisation des installations existantes ou déjà prévues. Toutefois, l'Office a conclu que certaines des installations envisagées dans le plan de développement devraient être construites plus tôt que dans le cas où il n'y aurait pas d'exportation d'électricité. L'Office a ensuite examiné les arguments des divers intervenants ainsi que ceux des appelants quant à l'opportunité de la délivrance de licences.

Dans sa décision, l'Office a indiqué que les modifications de la Loi sur l'Office national de l'énergie ont éliminé l'obligation explicite qu'il avait de s'assurer que l'électricité à exporter était excédentaire par rapport aux besoins d'utilisation raisonnablement prévisibles au Canada et que le prix devant être exigé était juste et raisonnable en fonction de l'intérêt public. Néanmoins, la Loi modifiée n'empêche aucunement l'Office de tenir compte de ces facteurs. L'Office a en conséquence explicitement examiné s'il devait y avoir récupération des coûts et si les prix fixés étaient concurrentiels à ceux exigés au Canada. Sur la question de la récupération des coûts, l'Office a conclu (à la p. 30):

L'Office constate qu'Hydro‑Québec a fourni l'information quant à l'importance des revenus qu'elle tirerait des ventes à l'exportation, lesquels seraient de l'ordre de 24 milliards de dollars [. . .]. En outre, Hydro‑Québec a fourni les renseignements concernant la méthodologie utilisée pour effectuer les études de rentabilité de même que les différentes hypothèses économiques, financières et autres qui sous‑tendent ces études. L'Office a examiné ces renseignements et juge que la méthodologie et les hypothèses utilisées sont raisonnables.

L'Office était en conséquence convaincu que les prix à l'exportation permettraient de récupérer les coûts applicables assumés au Canada.

Dans le cadre de l'évaluation des incidences environnementales de la demande, l'Office s'est estimé lié par sa propre loi habilitante et par le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467 («Décret sur le PEEE»). Il a conclu (aux pp. 37 et 38):

L'Office reconnaît que lorsque des services d'électricité négocient entre eux des contrats garantis à long terme, il peut y avoir des circonstances où de telles ententes impliquent de la puissance devant venir d'installations de production qui seront construites à une date ultérieure et pour lesquelles les évaluations environnementales nécessaires ne sont pas encore complétées au moment où les demandes d'exportation sont déposées. Les contrats visant les projets d'exportation présentement devant l'Office ont été négociés sur cette base. Néanmoins, pour arriver à prendre une décision sur les demandes d'Hydro‑Québec et à respecter ses obligations en vertu de la Loi et du Décret sur le PEEE, l'Office doit tenir compte des répercussions environnementales résultant de la construction de nouvelles installations.

L'Office a accueilli les demandes sous réserve de plusieurs conditions. En particulier, pour s'assurer que l'électricité devant être exportée proviendrait d'installations ayant fait l'objet des évaluations environnementales appropriées, il a assujetti la licence aux deux conditions suivantes:

10. La présente licence ne demeure valide que dans la mesure où

a)toute installation de production requise par Hydro‑Québec pour alimenter les exportations autorisées par la présente et dont la construction n'était pas encore autorisée conformément à la preuve faite devant l'Office lors de l'audience EH‑3‑89 terminée le 5 mars 1990, aura été soumise, préalablement à sa construction, aux évaluations et examens en matière d'environnement ainsi qu'aux normes environnementales applicables en vertu des lois et règlements du gouvernement fédéral.

b)Hydro‑Québec, suite à tout processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, mentionné à la sous‑modalité a), aura déposé auprès de l'Office

i) un sommaire de toutes les évaluations environnementales et de tous les rapports faisant état des conclusions et des recommandations de ces études et rapports;

ii) les autorisations gouvernementales reçues; et

iii) un énoncé des mesures qu'Hydro‑Qu­ébec entend prendre pour atténuer les impacts environnementaux défavorables.

11. La production de l'énergie thermique qui sera exportée en vertu de la présente ne doit pas contrevenir aux normes ni aux lignes directrices fédérales pertinentes en matière d'environnement.

B.La Cour d'appel fédérale, [1991] 3 C.F. 443 (les juges Pratte, Marceau et Desjardins)

S'exprimant au nom de la Cour d'appel fédérale, le juge Marceau a tout d'abord examiné la validité des conditions 10 et 11 de la licence. Il a fait remarquer que l'Office avait imposé ces conditions parce qu'il s'est estimé lié par le Décret sur le PEEE. À son avis, ceci a soulevé les questions de l'application de ce Décret à l'Office et à Hydro‑Québec en tant que mandataire de la Couronne du chef de la province ainsi que la question de la validité constitutionnelle du Décret même.

Toutefois, le juge Marceau a conclu qu'il n'avait pas à examiner ces questions puisque, de toute évidence, l'Office avait assujetti la licence à des conditions parce qu'il était préoccupé des effets possibles de l'éventuelle construction d'installations de production prévues pour répondre à la demande accrue d'électricité. Le juge Marceau a conclu que l'Office n'avait pas compétence pour assujettir la délivrance d'une licence d'exportation de certains biens à des conditions relatives à la production de ces biens. Il a affirmé, aux pp. 450 et 451:

Les facteurs qui peuvent être pertinents dans l'examen d'une demande d'autorisation d'exporter de l'électricité et les conditions auxquelles l'Office peut assujettir son autorisation ne peuvent évidemment se rapporter à autre chose qu'à l'exportation de l'électricité. Or, l'article 2 de la Loi définit ce qu'il faut entendre par exportation (en anglais «export») dans le cas d'électricité:

2. . . .

"exportation"

a) Dans le cas de l'électricité, le fait de transporter de l'électricité produite au Canada à l'extérieur du pays par une ligne de fil métallique ou un autre conducteur. . .

Il me paraît clair que l'exportation, telle que l'entend la Loi dans le cas de l'électricité, ne couvre pas la production elle‑même, et ce n'est que rationnel qu'il en soit ainsi. Bien sûr, celui qui veut exporter un bien doit le produire ou se le procurer ailleurs, mais quand il le produit ou se le procure ailleurs il ne l'exporte pas, et quand il l'exporte il ne le produit pas.

Personne, je pense, ne songerait un moment à contester qu'en considérant une demande d'autorisation d'exporter de l'électricité, l'Office soit tenu de s'inquiéter des conséquences environnementales, puisqu'il y va de l'intérêt public. [. . .] Mais ce sont les conséquences environnementales de l'exportation dont il peut uniquement s'agir, soit les conséquences sur l'environnement du «fait de transporter de l'électricité produite au Canada à l'extérieur du pays».

Le juge Marceau a statué que l'Office avait en conséquence clairement excédé sa compétence en imposant les conditions 10 et 11. Toutefois, cela ne voulait pas dire pour autant que l'ensemble de la décision était viciée. Il a conclu que les deux conditions pouvaient être retranchées du reste de la licence.

Le juge Marceau a ensuite examiné l'argument des appelants selon lequel l'Office aurait commis une erreur en délivrant les licences. Les appelants ont soutenu que l'Office a commis une erreur en tenant compte des modifications apportées à la Loi sur l'Office national de l'énergie, entrées en vigueur au cours de la prise en délibéré. Dans la version de la Loi en vigueur à l'époque de la demande, et au moment de l'audition subséquente, les demandeurs de licences devaient convaincre l'Office que le prix à l'exportation allait permettre de récupérer une bonne proportion des coûts assumés au Canada. Cette condition a été retranchée dans la version de la Loi en vigueur à l'époque de la décision. Les appelants ont soutenu que l'Office, en appliquant la nouvelle disposition, a incorrectement appliqué l'exigence en matière de récupération des coûts.

Le juge Marceau a précisé que la nouvelle Loi visait la déréglementation et la simplification du processus de demande de licences. On y a supprimé l'exigence explicite de récupération des coûts. Les nouvelles dispositions exigent simplement que l'Office tienne compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents. Le juge Marceau a affirmé que l'Office avait eu raison de se considérer lié par les nouvelles dispositions. Néanmoins, il a ajouté que, même s'il avait tort de tirer cette conclusion, l'argument des appelants ne pourrait conduire nulle part. L'Office a choisi, malgré les modifications, d'analyser la demande par rapport aux anciens critères relatifs au prix.

Subsidiairement, les appelants ont soutenu que l'Office, même s'il avait examiné la question de la récupération des coûts, ne pouvait conclure que cette exigence avait été respectée parce qu'il n'avait de cela aucune preuve directe devant lui. Le juge Marceau a reconnu que la preuve n'était pas directe en tous points. Tout particulièrement, les données financières sur les installations de production proposées ont été examinées par un comptable qui a ensuite témoigné de leur exactitude. Cependant, le juge Marceau a conclu que rien n'oblige l'Office à se fonder sur une preuve directe pour prendre une décision sur cette question. L'Office avait devant lui des éléments de preuve indirects convaincants. Il ne relevait pas des tribunaux de réévaluer le poids de cette preuve puisqu'un appel interjeté en vertu de l'art. 22 de la Loi sur l'Office national de l'énergie ne peut porter que sur des questions de droit et de compétence.

IV.Les questions en litige

Bien que les parties en l'espèce aient spécifiquement soulevé de nombreuses erreurs que l'Office et la Cour d'appel auraient commises, qui seront examinées séparément plus loin, trois questions se dégagent du présent pourvoi:

1.La Cour d'appel fédérale a‑t‑elle commis une erreur en statuant que l'Office national de l'énergie a agi dans les limites de sa compétence en délivrant les licences d'exportation à l'intimée Hydro‑Québec?

2.La Cour d'appel fédérale a‑t‑elle commis une erreur en statuant que l'Office national de l'énergie a commis une erreur dans l'exercice de sa compétence en imposant les conditions 10 et 11 des licences?

3.Si la Cour d'appel fédérale n'a pas commis d'erreur relativement à ces deux conclusions, en a‑t‑elle néanmoins commis une en statuant que les conditions 10 et 11 pouvaient être retranchées du reste des licences?

V.Analyse

Les appelants contestent pour un certain nombre de motifs la décision de l'Office de délivrer les licences d'exportation. Premièrement, l'Office n'aurait pas correctement procédé à l'analyse de rentabilité sociale nécessaire. Deuxièmement, en n'exigeant pas qu'Hydro‑Québec divulgue en totalité les hypothèses et la méthodologie à la base de l'analyse de rentabilité, l'Office aurait contrevenu aux exigences en matière d'équité procédurale en privant les appelants de la possibilité de participer pleinement au processus d'examen. Troisièmement, l'Office aurait, envers eux, dans l'exercice de son pouvoir décisionnel, une obligation fiduciaire et n'y aurait pas satisfait. Quatrièmement, la décision de l'Office toucherait leurs droits ancestraux et l'Office serait de ce fait tenu de satisfaire au critère de justification formulé par notre Cour dans l'arrêt R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075. Enfin, l'Office aurait omis de respecter les exigences de sa loi habilitante et du Décret sur le PEEE lorsqu'il a procédé à l'évaluation environnementale. J'examinerai maintenant chacun de ces arguments séparément.

A. L'analyse de rentabilité sociale

Les appelants soutiennent que l'Office était tenu de procéder à une analyse de rentabilité sociale devant tenir compte de tous les coûts directs et indirects (y compris des coûts économiques et sociaux) des exportations visées par les demandes de licences. À leur avis, en se fondant seulement sur les éléments de preuve indirects présentés par Hydro‑Québec et sur l'approbation de la proposition par le gouvernement du Québec, l'Office n'aurait pas correctement procédé à cette analyse. L'obligation de procéder à une telle analyse ressort clairement du sous‑al. 6(2)z)(i) du Règlement sur l'Office national de l'énergie (Partie VI):

6. (1) Tout requérant d'une licence pour l'exportation de force motrice doit fournir à l'Office les renseignements exigés par ce dernier.

(2) Sans restreindre la portée générale du paragraphe (1), les renseignements que tout requérant décrit au paragraphe (1) est tenu de fournir doivent, sauf autorisation contraire de l'Office, comprendre

. . .

z) une preuve démontrant que le prix que doit exiger le requérant pour la puissance et l'énergie électriques destinées par lui à l'exportation est juste et raisonnable par rapport à l'intérêt public et, en particulier, que le prix d'exportation

(i) permettra la récupération d'une bonne proportion des coûts assumés au Canada,

D'après La Politique canadienne de l'électricité, septembre 1988, et le rapport interne de l'Office intitulé: Réglementation fédérale des exportations d'électricité, paru en juin 1987, l'exigence en question signifierait qu'il y a lieu de tenir compte de tous les coûts directs et indirects, y compris les coûts environnementaux, l'utilisation des terres et les coûts économiques (les «coûts sociaux»). Cependant, je n'ai pas à déterminer si cette interprétation est correcte ou si l'exigence réglementaire imposée au demandeur de fournir ce genre de preuve signifie aussi que l'Office doit en tenir compte, particulièrement en raison du par. 119.08(2) de la Loi, qui lui donne le pouvoir discrétionnaire de déterminer quels facteurs sont pertinents relativement à sa décision et du libellé même du par. 6(2), qui lui donne le pouvoir de ne pas exiger la preuve des éléments qui y sont ensuite énumérés. En l'espèce, il est clair que l'Office a jugé que la preuve de la nature et de la récupération possible des coûts était pertinente relativement à sa décision (motifs de l'Office, à la p. 29).

Bien que les intimés aient raison de soutenir qu'il y a lieu de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de l'appréciation de la preuve faite par l'Office dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, ce principe ne peut être invoqué pour valider une décision non fondée sur la preuve ou fondée sur des facteurs non pertinents. Lorsque l'Office décide qu'un facteur particulier est pertinent pour les fins de sa décision, il doit exister certains éléments de preuve qui appuient la conclusion sur ce point. L'Office ne doit pas agir de façon déraisonnable dans l'examen des éléments de preuve qu'il demande pour rendre sa décision: Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722.

Cependant, en l'espèce, on peut affirmer que l'Office disposait d'éléments de preuve lui permettant de raisonnablement conclure que le facteur de la récupération des coûts avait été respecté. Dans sa décision, l'Office a résumé ainsi les éléments de preuve présentés par Hydro‑Québec sur ce point (à la p. 13):

Hydro‑Québec n'a pas remis à l'Office une copie des analyses des coûts de devancement des installations nécessaires pour remplir les obligations des deux contrats. Néanmoins, elle a fourni les renseignements concernant la méthodologie, les hypothèses et les revenus utilisés pour effectuer les études de rentabilité privée et sociale. Elle a aussi souligné que les coûts et bénéfices des impacts environnementaux associés au devancement des équipements de production ont été considérés, y compris les montants nécessaires pour indemniser, s'il y a lieu, ceux qui subiront des pertes économiques associées à la modification des forêts, des zones de trappage ou encore des terres agricoles.

Le demandeur a fourni une preuve additionnelle visant à démontrer que les prix à l'exportation permettraient la récupération de la proportion adéquate des coûts assumés au Canada, tout en respectant le caractère confidentiel de certaines données financières. À cette fin, Hydro‑Québec a confié à un comptable agréé le mandat de faire une vérification comptable . . .

Le comptable a témoigné devant l'Office et a été contre‑interrogé par les appelants.

Il ne suffit pas, bien entendu, qu'Hydro‑Québec demande simplement à l'Office d'accepter une simple affirmation qu'il y aura récupération de tous les coûts. Cependant, ce n'est pas ce qui s'est passé en l'espèce. Hydro‑Québec a fourni des éléments de preuve à partir desquels l'Office pouvait raisonnablement conclure que l'exigence visée au sous‑al. 6(2)z)(i) était satisfaite. Cela ressort des conclusions de l'Office (aux pp. 30 et 31):

L'Office constate qu'Hydro‑Québec a fourni l'information quant à l'importance des revenus qu'elle tirerait des ventes à l'exportation, lesquels seraient de l'ordre de 24 milliards de dollars [. . .]. En outre, Hydro‑Québec a fourni les renseignements concernant la méthodologie utilisée pour effectuer les études de rentabilité de même que les différentes hypothèses économiques, financières et autres qui sous‑tendent ces études. L'Office a examiné ces renseignements et juge que la méthodologie et les hypothèses utilisées sont raisonnables. [. . .] Le fait que le gouvernement provincial a donné son accord à Hydro‑Québec [. . .] indique à l'Office qu'il est prévu que les projets d'exportation vont se traduire en un bénéfice net pour le Québec.

Les intervenants ont fait part de leur inquiétude concernant les effets négatifs que ces projets pourraient avoir sur l'environnement hors du Québec, sans toutefois y associer des coûts spécifiques. Quant aux coûts des autres effets négatifs possibles [. . .], cette question n'a pas été soulevée. [. . .]

Finalement, l'Office est convaincu qu'il s'agit de contrats négociés entre deux parties indépendantes dans un marché de libre concurrence. Par conséquent, l'Office n'a pas lieu de croire que ces projets d'exportations ne rapporteraient pas de bénéfices nets.

D'après les intervenants, la dernière phrase de ce passage laisse entendre que l'Office a pris sa décision sans aucune preuve positive de la récupération des coûts. Toutefois, lorsqu'on la lit dans son contexte, cette phrase indique plutôt que l'Office était convaincu, à partir de la preuve, qu'il y aurait récupération des coûts pertinents. L'Office ne peut pas simplement se fier aux conclusions de l'intimé quant à la récupération des coûts sans en évaluer la validité, mais ce ne semble pas être ce qui s'est produit en l'espèce. En outre, l'interdiction de se fier à des affirmations non corroborées du demandeur ne devrait pas devenir pour l'Office une obligation de procéder à sa propre analyse dans les cas où cela n'est pas nécessaire.

Outre les éléments de preuve présentés par Hydro‑Québec, l'Office a considéré comme pertinent, relativement à la question de la récupération des coûts, le fait que la province avait autorisé les contrats d'exportation. La preuve d'une telle autorisation est explicitement mentionnée à l'al. 6(2)y) du Règlement (Partie VI) comme facteur dont l'Office peut tenir compte. Toutefois, les appelants soutiennent que cette autorisation n'a aucun rapport avec l'analyse de rentabilité visée au sous‑al. 6(2)z)(i), puisque les décrets pris conformément à la Loi sur l'Hydro‑Québec, L.R.Q., ch. H‑5, en vertu desquels l'autorisation de la province a été donnée, exigent seulement que les contrats soient compatibles avec les bonnes pratiques de gestion financière, et non qu'ils soient dans l'intérêt public. L'article 24 de la Loi sur l'Hydro‑Québec exige qu'Hydro‑Québec maintienne ses taux d'énergie à un niveau suffisant pour couvrir les frais d'exploitation et l'intérêt du capital engagé. À mon avis, les bonnes pratiques de gestion financière d'une entreprise de service public font partie de l'intérêt public. Bien que la preuve d'une autorisation gouvernementale constitue un facteur parmi tant d'autres à considérer, on ne peut affirmer que cette preuve n'a aucun rapport avec la récupération des coûts et que l'Office, en l'examinant, a commis une erreur dans l'exercice de sa compétence.

Je rejette également l'argument des appelants que le simple fait que tous les contrats en la matière doivent être ainsi autorisés au Québec a pour effet que l'examen de ce facteur par l'Office devient une délégation incorrecte de son pouvoir décisionnel. Il va sans dire que l'Office doit prendre sa propre décision quant à savoir si l'on a satisfait à l'exigence relative à l'analyse de rentabilité. Il ne peut déléguer cette responsabilité au gouvernement du Québec ni à aucun autre organisme. Pour qu'il y ait eu une telle délégation en l'espèce, il aurait fallu que l'Office considère que la simple existence d'une autorisation gouvernementale suffit en soi pour satisfaire à l'exigence de l'analyse de rentabilité, sans examen distinct de la question. Toutefois, tel n'a pas été le cas en l'espèce. En conséquence, on ne peut soutenir que l'Office a commis une erreur dans l'exercice de sa compétence relativement à cet aspect de sa décision.

B. La possibilité de participer de façon équitable au processus d'examen

Vu mes conclusions sur la nature et l'étendue de l'analyse de rentabilité effectuée par l'Office, les arguments des appelants relatifs à l'équité procédurale peuvent être écartés de façon plutôt succincte. À leur avis, l'Office aurait contrevenu aux exigences en matière d'équité procédurale en n'exigeant pas d'Hydro‑Québec qu'elle divulgue aux appelants tous les renseignements se rapportant à la question de la récupération des coûts. Ils font tout particulièrement ressortir que l'Office n'a pas exigé d'Hydro‑Québec qu'elle révèle de façon exhaustive les hypothèses et la méthodologie à la base de l'analyse de rentabilité.

En général, les exigences en matière d'équité procédurale comportent le droit de l'intéressé à la divulgation par le décideur administratif de suffisamment de renseignements pour lui permettre de véritablement participer au processus d'audition: voir In re le Conseil de la Radio‑Télévision canadienne et in re la London Cable TV Ltd., [1976] 2 C.F. 621 (C.A.), aux pp. 624 et 625. L'étendue de la divulgation requise pour satisfaire aux règles de justice naturelle variera en fonction des faits, plus particulièrement du type de décision à prendre et de la nature de l'audition à laquelle ont droit les parties concernées.

La question en litige n'est pas de savoir si les faits divulgués par Hydro‑Québec étaient suffisants. Cette question se rattache en fait à celle de savoir, comme nous l'avons déjà analysé, si le décideur avait devant lui des éléments de preuve à partir desquels il pouvait raisonnablement prendre la décision qu'il a prise: Parke, Davis & Co. c. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219, à la p. 223, le juge Rand. La question est plutôt de savoir si l'Office a fait aux appelants une divulgation suffisante pour leur permettre de véritablement participer à l'audition, leur accordant ainsi un traitement équitable dans toutes les circonstances: Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602, aux pp. 630 et 631; Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643, à la p. 654; Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165, à la p. 226, le juge McLachlin (dissidente pour un autre motif).

Dans l'exercice de sa fonction décisionnelle, l'Office a le pouvoir discrétionnaire de déterminer la preuve qui est pertinente relativement à sa décision. On n'a pas démontré en l'espèce que ce pouvoir a été exercé illégitimement de façon à entraîner une divulgation insuffisante aux appelants. Comme je l'ai déjà signalé, l'Office disposait d'une preuve suffisante pour conclure validement qu'il y aurait récupération de tous les coûts. Les appelants ont eu accès à tous les documents déposés devant l'Office. Ce dernier a tout particulièrement fait remarquer que les appelants n'avaient pas présenté de preuve de l'existence de coûts sociaux additionnels et qu'ils n'ont pas mis en doute la véracité du rapport d'Hydro‑Québec. En conséquence, on ne peut affirmer pour ce motif que l'Office a commis une erreur dans sa décision de délivrer les licences.

C. L'obligation fiduciaire

Les appelants soutiennent que l'Office a à leur égard, compte tenu de leur statut d'autochtones, une obligation fiduciaire dont il devrait tenir compte dans l'examen des demandes de licences d'exportation. Selon les appelants, l'obligation fiduciaire de l'État envers les peuples autochtones, comme notre Cour l'a reconnu dans l'arrêt R. c. Sparrow, précité, existe aussi pour l'Office, à titre de mandataire du gouvernement et de création du législateur, dans l'exercice des pouvoirs qui lui ont été délégués. Cette obligation existe chaque fois qu'une décision prise conformément à un processus de réglementation fédérale est susceptible de toucher les droits ancestraux des peuples autochtones.

Les appelants soutiennent qu'il s'agit d'une double obligation: celle d'assurer une participation complète et équitable des appelants à l'audience et celle de tenir compte, dans le cadre du processus décisionnel, de ce qui est dans l'intérêt des appelants. Les appelants affirment que cette obligation comporte des droits qui outrepassent ceux créés par les règles de justice naturelle et que l'Office aurait dû, tout au moins, exiger que soient divulgués aux appelants tous les renseignements nécessaires à l'établissement de leur défense. Par contre, les intimés contestent que cette obligation existe et soutiennent, advenant qu'elle existe, que l'Office ne s'en est pas acquitté.

Il est maintenant bien établi qu'il existe des rapports fiduciaires entre l'État fédéral et les peuples autochtones du Canada: voir l'arrêt Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335. Néanmoins, il faut se rappeler qu'il n'y a pas une obligation fiduciaire pour chaque aspect des rapports entre fiduciaire et bénéficiaire: voir l'arrêt Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574. La nature des rapports entre les parties définit l'étendue, voire les limites, des obligations imposées. Les cours de justice doivent veiller à ne pas porter atteinte à l'indépendance des tribunaux quasi judiciaires et des organismes décisionnels en leur imposant des obligations fiduciaires exigeant d'eux qu'ils prennent des décisions comme s'ils avaient une obligation fiduciaire.

Lors des plaidoiries, les avocats des appelants ont reconnu que l'on ne pouvait soutenir que les cours de justice, en tant que création du gouvernement, avaient une telle obligation dans l'exercice de leurs fonctions judiciaires. À mon avis, les facteurs qui servent à déterminer si une telle obligation régit le processus décisionnel de l'Office en matière de délivrance de licences d'exportation diffèrent peu de ceux qui sont appliqués aux cours de justice. L'Office remplit à cet égard une fonction quasi judiciaire: Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 385. Bien que cette caractérisation ne soit peut‑être pas assortie de toutes les exigences de nature procédurale et autres applicables à une cour de justice, elle est en soi incompatible avec l'exigence voulant qu'il existe des rapports d'une extrême bonne foi entre l'Office et une partie qui comparaît devant lui.

C'est pour ce motif que je ne trouve pas utile les décisions que les appelants m'ont citées à titre indicatif de l'évolution de la tendance: Gitludahl c. Minister of Forests, C.S.C.-B., le 13 août 1992, Vancouver A922935, inédit, et Dick c. La Reine, C.F. 1ère inst., le 3 juin 1992, Ottawa, T‑951‑89, inédit. Ces décisions portaient, respectivement, sur le pouvoir de décision du ministre des Forêts et la conduite de l'État lorsqu'il se trouve partie adverse dans un litige avec les peuples autochtones. Les facteurs susceptibles d'entraîner l'application d'une obligation fiduciaire dans ces contextes sont fort différents de ceux soulevés dans le contexte d'une demande de licence présentée à un organisme décisionnel indépendant sans lien de dépendance avec le gouvernement.

En conséquence, je conclus que les rapports fiduciaires entre l'État et les appelants n'imposent pas à l'Office une obligation de prendre des décisions dans l'intérêt des appelants, ou encore de modifier son processus d'audience de façon à imposer des exigences additionnelles de divulgation. Lorsque l'on définit ainsi l'obligation fiduciaire, elle n'incombe pas davantage à ces tribunaux qu'aux cours de justice. Ainsi, l'Office n'avait aucune obligation de cette nature dans l'exercice de son pouvoir décisionnel.

En outre, même si notre Cour devait supposer que l'Office, dans le cadre de son analyse, aurait dû tenir compte de l'existence de rapports fiduciaires entre l'État et les appelants, je suis convaincu, pour les motifs que j'ai mentionnés relativement à la procédure suivie par l'Office, que les mesures qu'il a prises auraient permis de satisfaire aux exigences d'une telle obligation. Rien n'indique que les appelants n'ont pas eu pleinement l'occasion d'être entendus. Ils ont eu accès à tous les éléments de preuve déposés devant l'Office, ont pu présenter des arguments et une réplique et ont également eu le droit de contre‑interroger les témoins assignés par l'intimée Hydro‑Québec. Cet argument doit, en conséquence, échouer pour les mêmes motifs que les arguments relatifs à la nature de l'examen réalisé par l'Office.

D. Les droits ancestraux

Dans l'arrêt R. c. Sparrow, précité, notre Cour a reconnu la relation qui existe entre la reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux inscrits au par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 d'une part, et les rapports fiduciaires traditionnels entre l'État et les peuples autochtones. Ce sont ces rapports qui indiquent que l'exercice du pouvoir souverain peut être restreint lorsqu'il constitue une atteinte injustifiable aux droits ancestraux. En l'espèce, les appelants soutiennent que la décision de l'Office de délivrer les licences aura une incidence négative sur leurs droits ancestraux et que l'Office était tenu de satisfaire au critère de la justification formulée dans l'arrêt Sparrow.

De toute évidence, l'Office doit exercer son pouvoir décisionnel, y compris celui d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante, conformément aux principes de la Constitution, y compris le par. 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Par conséquent, il faut tout d'abord déterminer si la décision prise par l'Office, en vertu du par. 119.08(1) de la Loi sur l'Office national de l'énergie, pourrait avoir pour effet de porter atteinte aux droits ancestraux existants des appelants de façon à équivaloir à première vue à une violation du par. 35(1).

Les intimés sont d'avis qu'elle ne le pourrait pas. Ils soutiennent que les appelants, en adhérant à la Convention de la Baie James et du Nord québécois, incorporée dans la Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, S.C. 1976‑77, ch. 32 («Loi sur la Baie James»), ont cédé tous leurs droits ancestraux et y ont renoncé, sauf dans la mesure prévue dans la Convention. Puisqu'en soi la délivrance d'une licence ne nécessite ni ne permet la construction des nouvelles installations de production qui, selon les appelants, empiéteront sur leurs droits et que la Convention prévoit un processus d'examen en commun lorsqu'il s'agit d'autoriser une telle construction, Hydro‑Québec et le procureur général du Québec soutiennent que la décision de l'Office ne présente pas d'atteinte à première vue.

Pour évaluer ces arguments opposés, il est nécessaire d'examiner et d'interpréter la Convention incorporée dans la Loi sur la Baie James. Toutefois, les appelants ont demandé que cette question soit tranchée sans renvoi à la Convention ou à la Loi, puisqu'il existe entre les parties d'autres procédures judiciaires relativement à l'interprétation et à l'application du document en question. C'est pourquoi les appelants ne se sont pas servis de ce document pour faire valoir qu'il y aurait eu violation de leurs droits ancestraux.

À mon avis, on ne peut établir d'une façon réaliste l'incidence de la décision de l'Office sur les droits des appelants sans examiner la Loi sur la Baie James. Les intimés soutiennent que les droits des appelants se limitent à ceux mentionnés dans ce document. La validité de cet argument ne peut être vérifiée sans une interprétation des dispositions de la Convention.

En outre, même en supposant que la décision de l'Office a, à première vue, une incidence sur les droits ancestraux des appelants, et que ceux-ci ont raison de soutenir que, pour justifier son intervention, l'Office doit, à tout le moins, procéder à une analyse de rentabilité rigoureuse, approfondie et appropriée, je suis d'avis, pour les motifs que j'ai exprimés, que l'analyse effectuée en l'espèce n'était pas déficiente sur ce point.

E. L'évaluation environnementale

Puisque l'analyse de rentabilité sociale paraît avoir été raisonnable, l'évaluation environnementale effectuée par l'Office représente le dernier moyen d'attaquer la décision qu'il a prise. Il faut déterminer à la fois si l'Office a suivi les modalités prévues dans la Loi sur l'Office national de l'énergie et dans le Décret sur le PEEE et si l'imposition des conditions 10 et 11 constituait une façon valide de satisfaire à ces exigences. Si l'on estime que l'Office, en imposant ces conditions, a excédé, ou subsidiairement a omis d'exercer, sa compétence, il faudra ensuite déterminer si ces conditions peuvent être retranchées et si l'ordonnance de l'Office demeure par ailleurs valide.

a) La Loi sur l'Office national de l'énergie

Il est évident, et cela ne semble pas avoir été sérieusement contesté par les parties, que l'Office était lié par la Loi modifiée et qu'il avait néanmoins le droit d'exiger une preuve des facteurs énumérés dans l'ancienne loi puisque le par. 119.08(2) de la Loi modifiée lui donne le mandat d'examiner tous les facteurs qui lui semblent pertinents dans les circonstances.

L'interprétation qu'il faut donner à la portée de l'examen de l'Office nécessite l'analyse de la procédure créée par l'ensemble de la Loi. La procédure de délivrance des permis d'exportation d'électricité est prévue à la Section II de la Partie VI de la Loi. Dans la version de la Loi en vigueur à l'époque de la demande initiale d'Hydro‑Québec, tout requérant devait présenter une demande de licence, et les facteurs que l'Office devait prendre en considération étaient explicitement énumérés.

D'après le libellé de la Loi, modifiée par le Projet de loi C‑23, l'Office est maintenant en général tenu de délivrer, sur demande et sans audience publique, les permis autorisant l'exportation (art. 119.03). Toutefois, l'Office peut suggérer par recommandation au ministre de surseoir à la délivrance de permis et de tenir une telle audience. Le paragraphe 119.06(2) prévoit que, pour déterminer s'il y a lieu de procéder à la recommandation

. . . l'Office tente d'éviter le dédoublement des mesures prises au sujet de l'exportation d'électricité par le demandeur et le gouvernement de la province exportatrice et tient compte de tous les facteurs qu'il estime pertinents et notamment:

. . .

b) des conséquences de l'exportation sur l'environnement;

. . .

d) de tout autre facteur qui peut être prévu par règlement.

Si le ministre accepte la recommandation, la demande devient alors une demande à laquelle s'applique l'art. 119.08, et une licence, plutôt qu'un permis, sera alors exigée. Les modifications apportées à la Loi ont eu pour effet d'éliminer les facteurs énumérés dont l'Office devait tenir compte à cette étape, relativement à la délivrance d'une licence. L'article prévoit maintenant:

119.08 . . .

(2) L'Office tient compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents.

L'article 6 du Règlement (Partie VI) prévoit les renseignements qui doivent être fournis à l'Office par le demandeur d'une licence. En vertu de cette disposition, l'Office peut demander les renseignements dont il peut avoir besoin ou ne pas exiger la présentation d'éléments de preuve qu'il juge inutiles. Cependant, le par. 6(2) dresse néanmoins une longue liste de renseignements que le requérant doit fournir à l'Office, sauf autorisation contraire de celui‑ci. Les dispositions pertinentes sont les al. 6(2)z) et 6(2)aa):

z) une preuve démontrant que le prix que doit exiger le requérant pour la puissance et l'énergie électriques destinées par lui à l'exportation est juste et raisonnable par rapport à l'intérêt public et, en particulier, que le prix d'exportation

(i)permettra la récupération d'une bonne proportion des coûts

assumés au Canada,

(ii)ne sera pas inférieur au prix exigé des Canadiens pour un

service équivalent dans des régions connexes . . .

aa) un témoignage quant aux répercussions que pourrait avoir sur l'environnement la production de la puissance destinée à l'exportation.

En l'espèce, l'Office a examiné les effets sur l'environnement du transport même d'électricité aux États‑Unis, ainsi que ses effets sur l'environnement américain, et les a considérés comme neutres ou avantageux. Comme l'ont indiqué les appelants et les autres parties qui ont comparu lors des audiences publiques, la véritable préoccupation avait trait aux incidences environnementales négatives des futures installations de production, prévues dans le plan de développement et destinées à satisfaire à la demande accrue d'électricité. L'Office a spécifiquement reconnu que ces installations devraient être construites pour répondre à l'accroissement prévu de la demande intérieure d'électricité, même si les licences n'étaient pas accordées. L'Office a également conclu que, advenant la délivrance des licences, la construction de certaines des installations envisagées aurait lieu plus tôt qu'il ne serait autrement nécessaire. Enfin, l'Office a statué que les effets additionnels sur l'environnement liés seulement au devancement de la construction des installations seraient négligeables.

Toutefois, l'Office a conclu que les effets sur l'environnement de la construction même des futures installations n'étaient pas vraiment connus. C'est pourquoi il a imposé les conditions 10 et 11 des licences pour exiger le respect des normes fédérales ainsi que l'accomplissement des processus d'examen déjà en place. En l'espèce, le principal point en litige en ce qui concerne les incidences environnementales est de savoir si l'Office avait le droit de considérer comme pertinentes, relativement à sa décision de délivrer les licences demandées, les incidences de la construction des futures installations par Hydro‑Québec.

La Cour d'appel en l'espèce a conclu que l'Office, dans sa décision de délivrer une licence, devait seulement examiner les effets des exportations sur l'environnement, au sens de la Loi sur l'Office national de l'énergie. L'article 2 de cette loi dispose:

«exportation»

a) Dans le cas de l'électricité, le fait de transporter de l'électricité produite au Canada à l'extérieur du pays par une ligne de fil métallique ou un autre conducteur;

Comme il a déjà été mentionné, la Cour d'appel a interprété ainsi cette disposition (aux pp. 450 et 451)

. . . ce sur quoi porte la juridiction de l'Office est encore et a toujours été l'autorisation d'exporter de l'électricité. Les facteurs qui peuvent être pertinents dans l'examen d'une demande d'autorisation d'exporter de l'électricité et les conditions auxquelles l'Office peut assujettir son autorisation ne peuvent évidemment se rapporter à autre chose qu'à l'exportation de l'électricité . . .

Il me paraît clair que l'exportation, telle que l'entend la Loi dans le cas de l'électricité, ne couvre pas la production elle‑même, et ce n'est que rationnel qu'il en soit ainsi. Bien sûr, celui qui veut exporter un bien doit le produire ou se le procurer ailleurs, mais quant il le produit ou se le procure ailleurs il ne l'exporte pas, et quand il l'exporte il ne le produit pas.

Personne, je pense, ne songerait un moment à contester qu'en considérant une demande d'autorisation d'exporter de l'électricité, l'Office soit tenu de s'inquiéter des conséquences environnementales, puisqu'il y va de l'intérêt public. Le mandat de l'Office à cet égard est d'ailleurs confirmé dans plusieurs textes. Mais ce sont les conséquences environnementales de l'exportation dont il peut uniquement s'agir, soit les conséquences sur l'environnement du «fait de transporter de l'électricité produite au Canada à l'extérieur du pays».

Le paragraphe 119.06(2) de la Loi sur l'Office national de l'énergie autorise expressément l'Office à tenir compte des effets de l'exportation d'électricité sur l'environnement et, comme le prévoit le Règlement, des effets sur l'environnement de la production de l'électricité destinée à l'exportation, lorsqu'il détermine s'il y a lieu de recommander au ministre d'exiger le dépôt d'une demande de licence, avec audience publique, plutôt que de procéder par délivrance d'un permis. Une fois commencé le processus d'examen d'une demande de licence, le par. 119.08(2) de la Loi accorde à l'Office le pouvoir de tenir compte de tous les facteurs qui lui semblent pertinents. À mon avis, puisque l'Office peut, à l'étape préliminaire tenir compte des facteurs qu'il juge pertinents, il serait illogique d'interdire à l'Office d'en tenir compte à l'étape ultérieure, même si ces préoccupations continuent d'être pertinentes.

Je suis d'avis que la Cour d'appel a commis une erreur en limitant l'examen de l'Office sur les incidences environnementales aux effets sur l'environnement du transport d'électricité par une ligne de fil métallique au‑delà de la frontière. Limiter l'examen aux effets résultant du transport physique même constitue une interprétation indûment restrictive de l'activité envisagée. Le processus de réglementation détaillé qui a été constitué fait bien ressortir le caractère restrictif de cette interprétation. Je serais fort étonné qu'un processus si détaillé soit créé aux fins d'un examen si restrictif. Comme la Cour d'appel l'a reconnu, l'électricité à fournir dans le cadre du contrat d'exportation doit être produite par les installations actuelles ou nécessitera la construction de nouvelles installations. En fin de compte, il convient que l'Office tienne compte, dans son processus décisionnel, de l'ensemble des coûts environnementaux de la délivrance d'une licence.

Toutefois, cette tâche est particulièrement difficile en l'espèce puisque l'Office a conclu que les installations existantes ne permettaient pas de répondre à la demande prévue dans les contrats, mais qu'il faudrait de toute façon procéder à la construction des nouvelles installations pour répondre à l'accroissement de la demande intérieure. L'approbation de la demande de licences aurait alors simplement pour effet de devancer la construction de ces installations, et l'on a considéré comme négligeables les effets sur l'environnement attribuables au seul devancement des travaux. Néanmoins, à mon avis, l'Office n'a pas commis d'erreur en accordant un certain poids aux effets sur l'environnement de la construction des installations prévues. Soutenir que l'Office ne peut tenir compte de ces effets, sauf s'il conclut que la construction de ces installations ne serait pas nécessaire en l'absence des contrats d'exportation, crée une situation où la construction d'une centrale électrique pourrait être envisagée seulement en réponse à la demande résultant d'un certain nombre de contrats d'exportation, mais que, parce que l'on ne peut dire qu'un contrat d'exportation particulier est la cause de la construction de la centrale, on n'aura jamais à tenir compte de ses effets sur l'environnement.

Il vaut mieux se demander simplement si la construction de nouvelles installations est nécessaire, entre autres, pour répondre à la demande créée par un contrat d'exportation. Dans l'affirmative, les effets sur l'environnement de la construction de ces installations ont un lien avec l'exportation. Dans ces circonstances, il devient alors approprié pour l'Office de tenir compte de la source de l'énergie électrique à exporter et des coûts environnementaux associés à la production de cette énergie.

Les intimés craignent que l'on amène ainsi l'Office à examiner des domaines qui relèvent davantage de la réglementation et du contrôle des provinces. Je m'empresse d'ajouter que le présent pourvoi ne soulève aucune question constitutionnelle, et je m'abstiens explicitement de me prononcer sur l'interprétation des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, dans la détermination des limites de la compétence de l'Office, il importe néanmoins de tenir compte des craintes exprimées. De toute évidence, bien que les questions d'exportation relèvent clairement de la compétence fédérale en matière de réglementation des échanges et du commerce, conformément au par. 91(2) de la Loi constitutionnelle de 1867, on ne saurait nier qu'un projet d'exportation peut avoir des ramifications sur le fonctionnement des entreprises provinciales ou sur d'autres questions de compétence provinciale.

En définissant les limites de la compétence de l'Office, notre Cour doit s'assurer que l'exercice des pouvoirs de l'Office se limite vraiment aux questions d'intérêt fédéral. Cependant, il ne faut pas non plus circonscrire l'étendue de l'examen à effectuer à un tel point que la fonction de l'Office devienne dénuée de sens ou privée d'efficacité. À cet égard, je trouve utiles les motifs de notre Cour dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3, rendu après le jugement de la Cour d'appel fédérale en l'espèce.

Dans l'arrêt Oldman River, notre Cour a notamment examiné la constitutionnalité du Décret sur le PEEE. Le juge La Forest, s'exprimant au nom de la majorité, a conclu en des termes que j'estime fort pertinents pour les fins du présent pourvoi à la p. 64:

Il faut reconnaître que l'environnement n'est pas un domaine distinct de compétence législative en vertu de la Loi constitutionnelle de 1867 et que c'est, au sens constitutionnel, une matière obscure qui ne peut être facilement classée dans le partage actuel des compétences, sans un grand chevauchement et une grande incertitude.

En conséquence (à la p. 65):

. . . on peut plus facilement trouver la solution applicable à l'espèce en examinant tout d'abord l'énumération des pouvoirs dans la Loi constitutionnelle de 1867 et en analysant comment ils peuvent être utilisés pour répondre aux problèmes environnementaux ou pour les éviter. On pourra alors se rendre compte que, dans l'exercice de leurs pouvoirs respectifs, les deux paliers de gouvernement peuvent toucher l'environnement, tant par leur action que leur inaction.

Comme je l'ai déjà fait remarquer, la validité de la Loi sur l'Office national de l'énergie n'est pas contestée dans le présent pourvoi. En appliquant la Loi, l'Office peut tenir compte des effets sur l'environnement à l'intérieur d'une province s'il les considère pertinents aux fins de sa décision de délivrer une licence d'exportation, matière de compétence fédérale. La province peut, quant à elle, examiner les effets sur l'environnement des aspects d'un projet donné qui relèvent de la réglementation provinciale. Cette coexistence de responsabilité n'est ni inhabituelle ni impossible. Il y a, bien entendu, lieu de minimiser le double emploi de directives et les contradictions entre ces dernières, et c'est précisément le problème que le Décret sur le PEEE, tout particulièrement ses art. 5 et 6, cherche à éviter, et que l'Office a tenté de réduire en imposant les conditions 10 et 11 de la licence.

Il convient également de signaler que l'Office est la tribune où seront examinés les effets sur l'environnement attribuables seulement à l'exportation, c'est‑à‑dire les effets de l'augmentation d'électricité produite pour respecter les contrats d'exportation. Une évaluation centrée sur ces effets peut s'avérer inutile si elle est subsumée sous une évaluation globale par la province des effets sur l'environnement de l'ensemble des projets. De cette façon, les deux paliers de gouvernement ont chacun leur domaine dans lequel ils peuvent contribuer à l'évaluation environnementale.

En conséquence, je conclus que l'Office n'a pas excédé sa compétence en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie en tenant compte des effets sur l'environnement de la construction des futures installations de production dans la mesure où ils se rapportent aux exportations proposées, domaine de compétence fédérale. L'article 15 du Règlement permet à l'Office d'assortir les licences qu'il délivre de conditions, notamment en ce qui concerne la protection de l'environnement: al. 15m). Il reste maintenant à savoir si l'Office, en imposant les conditions 10 et 11, a omis de respecter ses obligations en vertu du Décret sur le PEEE.

b) Le Décret sur le PEEE et la validité des conditions 10 et 11

On ne paraît pas contester sérieusement que le Décret sur le PEEE est applicable à l'Office lorsqu'il décide de délivrer une licence d'exportation. Le Décret sur le PEEE s'applique à tout «ministère responsable», que l'art. 2 définit de la façon suivante: «Ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition.» L'article 2 donne la définition suivante du terme «proposition» «S'entend en outre de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions».

Le principal élément qui se dégage de ces définitions plutôt circulaires est que le Décret sur le PEEE s'applique à l'Office pour ce qui est de l'aspect des entreprises d'Hydro‑Québec à l'égard desquelles il a un pouvoir décisionnel, c'est‑à‑dire la décision de délivrer une licence d'exportation. On ne se trouve pas ainsi à limiter artificiellement l'étendue de l'examen aux répercussions environnementales du transport d'électricité par une ligne de fil métallique, ni d'ailleurs à autoriser un examen de l'ensemble du plan opérationnel d'Hydro‑Québec. L'alinéa 6b) du Décret sur le PEEE précise clairement que «[l]es présentes lignes directrices s'appliquent aux propositions [. . .] pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale». On se rendra compte dans les motifs qui suivent que je suis d'avis que l'Office a, dans sa décision, établi un équilibre approprié entre ces deux extrêmes.

Le processus créé par le Décret sur le PEEE vise principalement à ce que «le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision» (art. 3). Le Décret sur le PEEE vise avant tout à éviter que l'on fasse abstraction de la question fondamentalement importante de la protection de l'environnement, dans les cas où de multiples paliers de réglementation touchent une entreprise ou une proposition.

En outre, le Décret sur le PEEE précise explicitement, comme je l'ai déjà mentionné, qu'il faut veiller à ce que les examens ne fassent pas double emploi (par. 5(1) et art. 8); toutefois, il est interdit au ministère responsable de déléguer à un autre organisme l'examen préalable ou l'évaluation initiale: par. 10(2). En l'espèce, l'Office était tenu en vertu de l'art. 12 du Décret sur le PEEE de déterminer si la proposition n'aurait aucun effet néfaste sur l'environnement, aurait des effets néfastes importants sur l'environnement, était susceptible d'avoir sur l'environnement des effets minimes ou pouvant être atténués par l'application de mesures techniques connues, ou si les effets qu'elle pouvait avoir sur l'environnement étaient inconnus. Selon l'Office (aux pp. 34 et 35):

En faisant cette première évaluation, l'Office étudie les effets possibles sur l'environnement et les répercussions sociales correspondantes causés par la production, le transport et l'utilisation finale de l'électricité qui serait exportée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du Canada. Une telle évaluation initiale a pour but de permettre à l'Office d'arriver à l'une des conclusions prévues à l'article 12 du Décret sur le PEEE.

L'Office a fait remarquer que, d'après les renseignements fournis par Hydro‑Québec, l'approbation des modalités d'exportation signifierait que les installations envisagées dans le plan général de développement devraient être construites de deux à six ans plus tôt que prévu. D'après Hydro‑Québec, l'effet des exportations sur les incidences environnementales de la mise en oeuvre du plan serait peu important. C'est pourquoi elle n'a pas fourni de renseignements sur l'incidence générale de la construction et du fonctionnement des installations prévues. L'Office a fait remarquer (aux pp. 37 et 38):

Hydro‑Québec a maintenu que seul le devancement de la construction des installations qui serviraient à alimenter les exportations ne causeraient (sic) pas d'impact environnemental important et par conséquent elle n'a pas fourni de preuve à l'appui de cet argument. Précisément, Hydro‑Québec n'a pas produit d'études exhaustives des incidences environnementales de la construction et de l'exploitation des installations nécessaires pour satisfaire aux exportations proposées. À cet égard, l'Office est d'avis que la question des répercussions environnementales ne tient pas au fait de savoir si, oui ou non, il doit considérer l'impact de la construction et de l'exploitation des installations ou seulement l'impact de leur devancement. Une preuve suffisante a été déposée à l'effet que les grandes installations hydroélectriques, telles celles qui seront nécessaires pour alimenter les exportations proposées, auront des impacts environnementaux. Ce qu'Hydro‑Québec n'a pas nié. La question est plutôt de savoir si les répercussions environnementales sont acceptables ou atténuables. C'est ce que l'Office ne sait pas pour le moment.

L'Office reconnaît que lorsque des services d'électricité négocient entre eux des contrats garantis à long terme, il peut y avoir des circonstances où de telles ententes impliquent de la puissance devant venir d'installations de production qui seront construites à une date ultérieure et pour lesquelles les évaluations environnementales nécessaires ne sont pas encore complétées au moment où les demandes d'exportation sont déposées. Les contrats visant les projets d'exportation présentement devant l'Office ont été négociés sur cette base. Néanmoins, pour arriver à prendre une décision sur les demandes d'Hydro‑Québec et à respecter ses obligations en vertu de la Loi et du Décret sur le PEEE, l'Office doit tenir compte des répercussions environnementales résultant de la construction de nouvelles installations.

Cependant, il était évident que toutes les installations en cause seraient ultérieurement soumises soit au processus d'évaluation provincial en vertu de la Convention de la Baie James, soit à une évaluation effectuée par d'autres ministères fédéraux en vertu du Décret sur le PEEE ou d'autres textes législatifs. En conséquence, l'Office a statué (aux pp. 39 et 40):

L'Office est d'opinion que dans la mesure où les projets d'équipement d'Hydro‑Québec se réaliseront conformément au processus d'évaluation du Décret sur le PEEE ou à un processus équivalent, les impacts environnementaux et sociaux de ces projets et les préoccupations du public auront fait l'objet d'examen public adéquat. [. . .] L'Office est donc convaincu que dans la mesure où ces examens se feront et où la construction des installations sera autorisée, l'impact environnemental de la construction et de l'exploitation des installations nécessaires pour satisfaire aux projets d'exportation sera alors connu et pourra être atténué par l'application de mesures techniques connues.

Pour s'assurer de la réalisation de ces examens, l'Office a rattaché les conditions 10 et 11 aux licences.

Les intimés contestent la validité des conditions 10 et 11 au motif que l'Office, lorsqu'il examine une demande de licence d'exportation, n'a pas la compétence d'examiner les effets sur l'environnement de la construction et du fonctionnement des installations de production de l'électricité destinée à l'exportation. Comme je l'ai déjà mentionné, je suis d'avis que la compétence de l'Office englobe un tel examen. Cependant, les appelants contestent également la validité de ces conditions. À leur avis, si l'on approuve le transfert à ces processus futurs de la responsabilité qu'il possède en matière d'examen environnemental, on autorise l'Office à se dégager des responsabilités que lui impose le Décret sur le PEEE.

Il n'est donc pas étonnant que l'Office paraisse avoir conclu que les effets sur l'environnement de la construction et du fonctionnement des installations prévues étaient inconnus. Dans un tel cas, l'Office est tenu, en vertu de l'al. 12d) du Décret sur le PEEE, de veiller à ce qu'une telle proposition soit soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou qu'elle fasse l'objet d'un examen public. À mon avis, l'Office a, pour l'essentiel, satisfait à cette obligation en imposant les conditions. Celles‑ci ne constituent pas une délégation erronée de la responsabilité de l'Office en vertu du Décret sur le PEEE. Elles tentent plutôt d'éviter le double emploi dont fait mention le Décret, tout en préservant la compétence de l'Office sur cette question.

Tout comme il n'exige pas d'un ministère responsable qu'il attende les résultats d'un examen public avant d'entreprendre un projet (voir l'arrêt Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1989), 4 C.E.L.R. (N.S.) 201 (C.F. 1re inst.), conf. par [1991] 1 C.F. 641 (C.A.)), le Décret sur le PEEE n'exige pas qu'il suspende l'exercice de son pouvoir décisionnel jusqu'à ce que soit terminée l'évaluation environnementale de toutes les futures installations de production. En l'espèce, on ne sait pas exactement quand et dans quelle mesure les installations envisagées seront utilisées pour satisfaire aux exigences des contrats d'exportation. Il faudra attendre au moment de la réalisation de ces portions du contrat pour savoir exactement à quoi s'en tenir. Il est raisonnable que l'Office exerce un certain contrôle sur l'ordonnancement du processus, tout en attendant les résultats des évaluations environnementales qui seront réalisées en fonction des devis des installations au moment où elles seront construites.

Le présent pourvoi me semble être précisément un cas où, compte tenu de la nature de la proposition, la souplesse du processus prévu dans le Décret sur le PEEE est utile. Sur ce point, je fais miens les propos du juge Reed de la Section de première instance de la Cour fédérale dans la décision Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229, dans laquelle elle affirme, à la p. 264:

Tous s'accordent pour dire qu'il est préférable de cerner les effets sur l'environnement que peut avoir un projet avant que les promoteurs du secteur privé (ou du secteur public, quant à cela) ne dressent les plans définitifs. Il est également souhaitable d'utiliser le processus comme instrument de travail au cours de l'étape de la planification et d'éviter le double emploi. Je ne suis cependant pas convaincue qu'il soit utile de décider si le Décret sur les lignes directrices exige l'évaluation de la proposition au stade conceptuel ou durant une autre étape de conception plus détaillée. Ce qui est exigé peut très bien dépendre du type de projet examiné. Ce qui semble clair, c'est que l'évaluation doit être faite durant une étape où les répercussions environnementales peuvent être examinées (art. 3) et où il est possible de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'environnement (par. 10(1)).

L'Office conserve, en vertu du par. 119.093(1) de la Loi sur l'Office national de l'énergie, le pouvoir d'annuler une licence en cas de contravention aux conditions qu'elle renferme. Les conditions ont trait à l'évaluation et à la réglementation de nature environnementale dans la sphère fédérale. En procédant ainsi, l'Office est au courant de tous les effets des propositions sur l'environnement avant le début des travaux de construction et avant que la décision de délivrer les licences ne devienne irrévocable. Il se trouve en même temps à minimiser le double emploi; en outre, Hydro‑Québec n'aura pas, avant plusieurs années, à fournir de preuve tangible quant aux effets des projets de construction. L'Office a en conséquence rempli le mandat que lui confie le Décret sur le PEEE d'une façon qui est, je tiens à le préciser, raisonnable dans les circonstances.

VI. Conclusion et dispositif

La question en litige porte sur des faits attributifs de compétence. Bien qu'il appartienne à notre Cour de déterminer si l'Office a commis une erreur dans l'exercice de sa compétence, elle ne modifiera pas les conclusions de fait sur lesquelles il s'est fondé s'il existe certains éléments de preuve à l'appui. Je conclus que les appelants ont eu pleinement et équitablement la possibilité d'être entendus par l'Office, et que celui‑ci avait suffisamment d'éléments de preuve pour conclure comme il l'a fait. Plus particulièrement, j'estime que l'ordonnance rendue par l'Office n'outrepassait ni ne contournait la portée de l'examen en matière d'incidences environnementales des exportations proposées.

Ni les appelants ni les intimés Hydro‑Québec et le procureur général du Québec n'ont demandé le rétablissement de l'ordonnance rendue par l'Office. Cela ne signifie toutefois pas que notre Cour n'a pas compétence pour ordonner son rétablissement. Les appelants et les intimés ont interjeté appel contre la décision de l'Office devant la Cour fédérale du Canada. Ces appels ont été fusionnés, et la cour a statué que l'appel des appelants actuels devrait être rejeté et celui des intimés accueilli. C'est contre cette décision, dans sa totalité, que les appelants ont interjeté appel devant notre Cour.

Je suis d'avis que la Cour d'appel a commis une erreur en accueillant l'appel des intimés et qu'elle aurait dû rejeter les deux appels. Notre Cour a compétence pour rendre l'ordonnance que le tribunal de juridiction inférieure aurait dû rendre. En conséquence, le pourvoi est accueilli, le jugement de la Cour d'appel fédérale est annulé et l'ordonnance de l'Office est rétablie. Compte tenu de la nature de la décision, chacune des parties assumera ses dépens dans toutes les cours.

Pourvoi accueilli.

Procureurs des appelants: Robert Mainville & Associés, Montréal.

Procureur de l'intimé le procureur général du Canada: Jean‑Marc Aubry, Ottawa.

Procureurs de l'intimé le procureur général du Québec: Pierre Lachance et Jean Bouchard, Ste‑Foy.

Procureurs de l'intimée Hydro‑Québec: Ogilvy Renault, Montréal.

Procureur de l'intimé l'Office national de l'énergie: Judith B. Hanebury, Calgary.

Procureur des intervenants: Gregory J. McDade, Vancouver.


Synthèse
Référence neutre : [1994] 1 R.C.S. 159 ?
Date de la décision : 24/02/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l'ordonnance de l'office est rétablie

Analyses

Services publics - Électricité - Licences - Délivrance par l'Office national de l'énergie de licences d'exportation d'électricité à destination des États‑Unis - Licences assujetties aux évaluations environnementales des futures installations de production - L'Office a‑t‑il commis une erreur en délivrant les licences? - Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7 - Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467.

Après de longues audiences publiques au cours desquelles les appelants ont présenté de nombreux arguments, l'Office national de l'énergie a délivré à Hydro‑Québec des licences d'exportation d'électricité à destination des États de New York et du Vermont. Au moment du dépôt des demandes de licences, l'Office devait s'assurer que l'électricité à exporter n'était pas requise pour satisfaire aux besoins normalement prévisibles du Canada à l'époque en cause et que le prix à demander par la société d'électricité était juste et raisonnable par rapport à l'intérêt public. Après les audiences, mais avant la décision de l'Office, ces deux critères explicites ont été retranchés de la Loi sur l'Office national de l'énergie; l'Office doit maintenant tenir compte seulement des facteurs qu'il estime pertinents. Dans le cadre de l'évaluation des incidences environnementales des demandes, l'Office s'est estimé lié par sa propre loi habilitante modifiée et par le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. Les licences ont été délivrées sous réserve de deux conditions, qui portaient sur le résultat favorable des évaluations environnementales des futures installations de production. La Cour d'appel fédérale a rejeté l'argument des appelants que l'Office avait commis plusieurs erreurs en délivrant les licences, mais a accueilli celui d'Hydro‑Québec et du procureur général du Québec, concluant que l'Office avait excédé sa compétence en imposant les conditions relatives aux évaluations environnementales. Elle a retranché ces deux conditions et a maintenu les licences délivrées. Le présent pourvoi vise à déterminer (1) si l'Office a correctement procédé à l'analyse de rentabilité sociale nécessaire; (2) si, en n'exigeant pas qu'Hydro‑Québec divulgue en totalité les hypothèses et la méthodologie à la base de l'analyse de rentabilité, l'Office a contrevenu aux exigences en matière d'équité procédurale; (3) si l'Office a une obligation fiduciaire, envers les appelants, dans l'exercice de son pouvoir décisionnel et, dans l'affirmative, s'il y a satisfait; (4) si la décision de l'Office touche les droits ancestraux des appelants, et (5) si l'Office a omis de respecter les exigences de sa loi habilitante et du Décret lorsqu'il a procédé à l'évaluation environnementale.

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et l'ordonnance de l'Office est rétablie.

Hydro‑Québec a fourni des éléments de preuve permettant à l'Office de raisonnablement conclure que le facteur de la récupération des coûts avait été respecté. L'Office n'a pas commis d'erreur en considérant comme pertinent, relativement à cette question, le fait que la province avait autorisé les contrats d'exportation. En outre, comme il ne s'agissait que de l'un des facteurs considérés, l'Office n'a pas délégué de façon illégitime son pouvoir décisionnel. On n'a pas démontré que le pouvoir discrétionnaire de l'Office de déterminer la preuve qui est pertinente relativement à sa décision a été exercé illégitimement de façon à entraîner une divulgation insuffisante aux appelants. L'Office disposait d'une preuve suffisante pour conclure validement qu'il y aurait récupération de tous les coûts, et les appelants ont eu accès à tous les documents déposés devant l'Office. Bien qu'il existe des rapports fiduciaires entre l'État fédéral et les peuples autochtones du Canada, l'Office, lorsqu'il décide de délivrer une licence d'exportation, remplit une fonction quasi judiciaire, qui est en soi incompatible avec l'exigence voulant qu'il existe des rapports d'une extrême bonne foi entre l'Office et une partie qui comparaît devant lui. Les rapports fiduciaires entre l'État et les appelants n'imposent pas à l'Office une obligation de prendre des décisions dans l'intérêt des appelants, ou encore de modifier son processus d'audience de façon à imposer des exigences additionnelles de divulgation. En outre, même si l'on suppose que l'Office aurait dû tenir compte de l'existence de rapports fiduciaires entre l'État et les appelants, les mesures qu'il a prises auraient permis de satisfaire aux exigences d'une telle obligation. Les appelants ont eu accès à tous les éléments de preuve déposés devant l'Office, ils ont pu présenter des arguments et une réplique et ils ont également eu le droit de contre‑interroger les témoins assignés par Hydro‑Québec. Quant à savoir si la décision de l'Office aura une incidence négative sur les droits ancestraux des appelants, on ne peut établir d'une façon réaliste l'incidence de la décision de l'Office sur les droits des appelants sans examiner la Convention de la Baie James, dont les appelants n'ont pas voulu se servir. En outre, même en supposant que la décision de l'Office a, à première vue, une incidence sur les droits ancestraux des appelants, et que ceux‑ci ont raison de soutenir que, pour justifier son intervention, l'Office doit, à tout le moins, procéder à une analyse de rentabilité rigoureuse, approfondie et appropriée, l'analyse effectuée en l'espèce n'était pas déficiente sur ce point.

L'Office n'a pas excédé sa compétence en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie en tenant compte des effets sur l'environnement de la construction des futures installations de production dans la mesure où ils se rapportent aux exportations proposées, domaine de compétence fédérale. La Cour d'appel a commis une erreur en limitant l'examen de l'Office sur les incidences environnementales aux effets sur l'environnement du transport d'électricité par une ligne de fil métallique au‑delà de la frontière. Bien que l'Office ait conclu qu'il faudrait de toute façon procéder à la construction des nouvelles installations pour répondre à l'accroissement de la demande intérieure, les effets sur l'environnement de la construction de ces installations ont un lien avec l'exportation si la construction de nouvelles installations est nécessaire, entre autres, pour répondre à la demande créée par un contrat d'exportation. Dans ces circonstances, il devient alors approprié pour l'Office de tenir compte de la source de l'énergie électrique à exporter et des coûts environnementaux associés à la production de cette énergie. En définissant les limites de la compétence de l'Office, notre Cour doit s'assurer que l'exercice des pouvoirs de l'Office se limite vraiment aux questions d'intérêt fédéral. Cependant, il ne faut pas circonscrire l'étendue de l'examen à effectuer à un tel point que la fonction de l'Office devienne dénuée de sens ou privée d'efficacité. L'Office a respecté ses obligations en vertu du Décret en assortissant la licence des deux conditions contestées. Lorsqu'elle a conclu que les effets sur l'environnement de la construction et du fonctionnement des installations prévues étaient inconnus, l'Office était tenu, en vertu de l'al. 12d) du Décret de veiller à ce que la proposition soit soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou qu'elle fasse l'objet d'un examen public. L'Office a, pour l'essentiel, satisfait à cette obligation en imposant les conditions. Celles‑ci ne constituent pas une délégation erronée de la responsabilité de l'Office en vertu du Décret, mais tentent plutôt d'éviter le double emploi dont le Décret fait mention, tout en préservant la compétence de l'Office sur cette question.


Parties
Demandeurs : Québec (Procureur général)
Défendeurs : Canada (Office national de l'énergie)

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075
Bell Canada c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes), [1989] 1 R.C.S. 1722
In re le Conseil de la Radio‑Télévision canadienne et in re la London Cable TV Ltd., [1976] 2 C.F. 621
Parke, Davis & Co. c. Fine Chemicals of Canada Ltd., [1959] R.C.S. 219
Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui, [1980] 1 R.C.S. 602
Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent, [1985] 2 R.C.S. 643
Lakeside Colony of Hutterian Brethren c. Hofer, [1992] 3 R.C.S. 165
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574
Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369
Gitludahl c. Minister of Forests, C.S.C.‑B., Vancouver A922935, 13 août 1992
Dick c. La Reine, C.F. 1re inst., T‑951‑89, 3 juin 1992
Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [1992] 1 R.C.S. 3
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (1989), 4 C.E.L.R. (N.S.) 201 (C.F. 1re inst.), conf. par [1991] 1 C.F. 641 (C.A.)
Friends of the Island Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics), [1993] 2 C.F. 229.
Lois et règlements cités
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84‑467, art. 2, 3, 4(1), 5(1), 6, 8, 10(2), 12.
Loi constitutionnelle de 1867, art. 91(2).
Loi constitutionnelle de 1982, art. 35(1).
Loi modifiant la Loi sur l'Office national de l'énergie et abrogeant certaines lois en conséquence, L.C. 1990, ch. 7, art. 32.
Loi sur l'Hydro‑Québec, L.R.Q., ch. H‑5, art. 24.
Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), ch. N‑7 [mod. 1990, ch. 7], art. 2, 22(1), 24, 118, 119.02, 119.03, 119.06(2), 119.07, 119.08, 119.09, 119.093.
Loi sur le règlement des revendications des autochtones de la Baie James et du Nord québécois, S.C. 1976‑77, ch. 32.
Règlement sur l'Office national de l'énergie (Partie VI), C.R.C. 1978, ch. 1056, art. 6, 15m).
Doctrine citée
Canada. Énergie, Mines et Ressources Canada. La politique canadienne de l'électricité. Ottawa: Énergie, Mines et Ressources Canada, 1988.
Canada. Office national de l'énergie. Réglementation fédérale des exportations d'électricité: Rapport concernant une enquête par un comité de l'Office national de l'énergie suite à une audience en novembre et décembre 1986, Ottawa: L'Office, 1987.

Proposition de citation de la décision: Québec (Procureur général) c. Canada (Office national de l'énergie), [1994] 1 R.C.S. 159 (24 février 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-02-24;.1994..1.r.c.s..159 ?
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