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29/09/1994 | CANADA | N°[1994]_3_R.C.S._173

Canada | R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173 (29 septembre 1994)


R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173

Kenneth Bartle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Bartle

No du greffe: 23623.

1994: 2, 3 mars; 1994: 29 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1993), 81 C.C.C. (3d) 353, 63 O.A.C. 109, 22 C.R. (4th) 1, 45 M.V.R. (2d) 107, 15 C.R.R. (2d) 212, qui a accueilli l'appel d'un ju

gement du juge Cavarzan (1992), 41 M.V.R. (2d) 266, 12 C.R.R. (2d) 373, qui avait accueilli l'appel interjeté ...

R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173

Kenneth Bartle Appelant

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Bartle

No du greffe: 23623.

1994: 2, 3 mars; 1994: 29 septembre.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de l'ontario

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario (1993), 81 C.C.C. (3d) 353, 63 O.A.C. 109, 22 C.R. (4th) 1, 45 M.V.R. (2d) 107, 15 C.R.R. (2d) 212, qui a accueilli l'appel d'un jugement du juge Cavarzan (1992), 41 M.V.R. (2d) 266, 12 C.R.R. (2d) 373, qui avait accueilli l'appel interjeté de la déclaration de culpabilité prononcée par le juge Perozak de la Cour de l'Ontario (Division provinciale). Pourvoi accueilli, les juges L'Heureux‑Dubé et Gonthier sont dissidents.

Alan D. Gold, pour l'appelant.

Ian R. Smith, pour l'intimée.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Cory, Iacobucci et Major rendu par

//Le juge en chef Lamer//

Le juge en chef Lamer — Le présent pourvoi a été entendu en même temps que quatre autres qui portent aussi sur l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés. Ces quatre autres pourvois, rendus simultanément, sont les arrêts R. c. Pozniak, [1994] 3 R.C.S. 310; R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343; R. c. Matheson, [1994] 3 R.C.S. 328; et R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236. Bien que tous les pourvois relatifs à l'al. 10b) concernent la portée des obligations de l'État en ce qui a trait aux avocats de garde, en l'espèce comme dans les arrêts Pozniak et Harper, la question qui se pose au regard de l'al. 10b) est assez restreinte; elle se rapporte à la communication, au moment de l'arrestation ou de la mise en détention, de l'existence de services d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir. Plus précisément, les personnes détenues ou arrêtées ont‑elles, en conformité avec le volet information de l'al. 10b), le droit d'être informées systématiquement de l'existence d'un service qui leur permet d'obtenir des conseils juridiques préliminaires gratuitement, 24 heures par jour, et du fait qu'ils peuvent appeler sans frais à un numéro 1-800?

I. Les faits

Le 22 juin 1991, vers 1 h, l'agent Pray a arrêté l'appelant pour conduite avec facultés affaiblies après qu'il eut échoué à l'alcootest routier ALERT. L'agent lui a fait lecture des droits que la Charte lui garantit, en se servant d'un carton sur lequel était imprimée la mise en garde suivante:

Vous avez le droit de retenir les services d'un avocat et de le consulter sans délai.

Vous avez le droit de téléphoner à l'avocat de votre choix.

Vous avez également droit aux conseils gratuits d'un avocat de l'aide juridique.

Si une accusation est portée contre vous, vous pouvez faire une demande d'aide auprès du Régime d'aide juridique de l'Ontario.

L'agent Pray a ensuite demandé à l'appelant s'il comprenait et ce dernier a répondu affirmativement. L'agent Pray ne lui a pas parlé de la possibilité d'obtenir immédiatement des conseils juridiques préliminaires d'un avocat de garde ni de l'existence du numéro de l'aide juridique, pouvant être composé sans frais 24 heures par jour, qui était imprimé sur son carton de mise en garde. En outre, l'agent Pray n'a pas demandé à l'appelant s'il voulait appeler un avocat «maintenant», question qui était imprimée sur son carton de mise en garde, parce qu'il n'y avait pas de téléphone au bord de la route. Il lui a ensuite fait la deuxième mise en garde habituelle concernant les aveux et lui a lu la demande d'échantillon d'haleine. À ce moment‑là, l'appelant a dit qu'il avait pris cinq ou six bières dans la soirée après le baseball.

Lorsqu'il est arrivé au poste de police, l'agent Pray a de nouveau demandé à l'appelant s'il voulait appeler un avocat, en lui précisant bien qu'il pouvait le faire «maintenant». L'appelant a dit non, et il a été confié au technicien chargé de l'alcootest, l'agent Hildebrandt. Ce dernier lui a aussi demandé s'il voulait appeler un avocat (lui non plus ne lui a pas parlé du numéro 1‑800 ou de la possibilité d'obtenir immédiatement des conseils juridiques préliminaires d'un avocat de garde). L'appelant a refusé d'appeler un avocat, puis il a accepté de se soumettre aux deux alcootests, échouant de loin les deux fois. L'appelant a été inculpé d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 mg d'alcool par 100 ml de sang, infraction prévue à l'al. 253b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46.

L'appelant a témoigné qu'il pensait que la mise en garde que lui avait faite l'agent Pray signifiait qu'il pouvait communiquer avec un avocat [traduction] «lorsqu'il serait possible d'en joindre un, comme lundi matin peut‑être» (l'arrestation a eu lieu un vendredi soir). Il a expliqué qu'il avait refusé d'appeler un avocat parce qu'il ne savait pas qui appeler et qu'il ne savait absolument pas qui il aurait pu joindre. L'appelant a témoigné de plus qu'il avait indiqué à l'agent Hildebrandt qu'il voulait appeler un avocat, mais qu'il ne savait pas qui il aurait pu appeler. Quand ce dernier lui a demandé: «Pourquoi?», l'appelant a dit avoir répondu: [traduction] «eh bien, je ne vois pas qui je pourrais appeler, il est trop tard.» Il a dit que l'agent Hildebrandt n'avait pas répondu à cette remarque et que rien ne lui indiquait qu'il l'avait entendue. L'agent Hildebrandt a témoigné en revanche que l'appelant avait simplement dit «non» quand il lui a demandé s'il voulait appeler un avocat. L'appelant a témoigné qu'il avait joué au baseball le soir en question et qu'il avait pris quelques bières après le match. Il a admis au procès qu'il n'aurait probablement pas dû conduire ce soir‑là.

Le 6 décembre 1991, l'appelant a été déclaré coupable par le juge Perozak de la Cour de l'Ontario (Division provinciale). Le 14 septembre 1992, le juge Cavarzan de la Cour de l'Ontario (Division générale), a accueilli l'appel de l'appelant et annulé la déclaration de culpabilité, concluant que les droits de l'appelant garantis par l'al. 10b) de la Charte avaient été violés et que la preuve fournie par le technicien chargé de l'alcootest devait être écartée. Le 28 mai 1993, la Cour d'appel de l'Ontario a accueilli l'appel de l'intimée et rétabli la déclaration de culpabilité de l'appelant.

II. Les juridictions inférieures

La Cour de l'Ontario (Division provinciale) (le juge Perozak)

Le juge Perozak a examiné la décision de la Cour suprême du Canada dans R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190. Il a conclu qu'elle ne s'appliquait pas aux faits de l'espèce parce que l'appelant comprenait ce qui se passait et a dit qu'il ne voulait pas communiquer avec un avocat, [traduction] «puis, en réfléchissant après coup», a dit: [traduction] «eh bien, si j'avais su que je pouvais en appeler un, je l'aurais fait.» Le juge Perozak a conclu que ce témoignage était contredit par celui de l'agent Hildebrandt, qui a dit que l'appelant avait simplement répondu «non» quand il lui a demandé s'il voulait appeler un avocat. Le juge Perozak a ajouté:

[traduction] Je conclurais moi aussi, vu les circonstances, que c'est quand l'accusé s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat qu'il faut envisager d'imposer aux policiers l'obligation supplémentaire de lui expliquer le fonctionnement de l'aide juridique et la possibilité d'y recourir. En toute déférence, je dois exprimer mon désaccord [. . .] quant à l'obligation de lui donner le numéro 1‑800 et de l'informer de l'existence du service vingt-quatre heures par jour. Je crois que c'est aller trop loin.

En fin de compte, notre cour conclurait à l'absence de violation des droits de l'[appelant] et au rejet de la demande de l'avocat [visant à faire écarter les éléments de preuve].

La Cour de l'Ontario (Division générale) (1992), 41 M.V.R. (2d) 266 (le juge Cavarzan)

Le juge Cavarzan a étudié l'arrêt Brydges, précité, et a souligné, à la p. 270, qu'il [traduction] «existe en Ontario un service d'avocats de garde avec lequel on peut communiquer 24 heures par jour par un numéro 1‑800 connu de la police et qui devrait être systématiquement fourni aux prévenus en cas d'arrestation ou de détention dans le cadre de la mise en garde normalement faite en application de l'al. 10b)». Il a conclu, aux pp. 273 et 274:

[traduction] Le carton de mise en garde à l'aide duquel l'agent Pray a fait à [l'appelant] lecture de ses droits contenait le numéro 1‑800. Ce renseignement aurait dû être donné à [l'appelant] quand il a été arrêté et certainement au poste de police de Dundas, où il aurait eu facilement accès à un téléphone.

Il a ajouté qu'il ne croyait pas que le contenu de la conversation entre l'appelant et l'agent Hildebrandt était pertinent. Il a dit plutôt, à la p. 274:

[traduction] Pour ce qui est de décider si les droits garantis à [l'appelant] par l'al. 10b) ont été violés, le fait déterminant est que ni l'agent Pray, ni l'agent Hildebrandt n'avaient, dans leurs contacts avec [l'appelant], satisfait au volet information de l'al. 10b) de la Charte.

Quant à la réparation, le juge Cavarzan a décidé que l'utilisation de la preuve fournie par l'alcootest était susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Il a dit, à la p. 274, que la preuve constituait [traduction] «une preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même ou une preuve auto‑incriminante, dont l'utilisation rendrait le procès inéquitable». Puis, il a conclu, à la p. 274:

[traduction] C'était une erreur grave de ne pas informer [l'appelant] de la possibilité de consulter un avocat de garde 24 heures par jour. Je suis certain que les policiers ont agi de bonne foi et qu'ils croyaient qu'ils se conformaient, pour l'essentiel, aux obligations imposées par l'arrêt Brydges. À mon avis, leur action était basée sur une mauvaise interprétation de l'arrêt Brydges. Par surcroît, ils avaient le numéro 1‑800 en leur possession (l'agent Pray) ou sous la main (l'agent Hildebrandt) et ils n'ont pas communiqué ce renseignement à [l'appelant]. Enfin, l'omission d'informer complètement [l'appelant] des droits que lui garantit l'al. 10b) de la Charte est une violation grave de la Charte.

La Cour d'appel (1993), 81 C.C.C. (3d) 353 (les juges Grange, Finlayson et McKinlay)

La Cour d'appel de l'Ontario a entendu six appels en même temps, dont celui qui fait l'objet du présent pourvoi et l'affaire Pozniak, sur lesquels notre Cour se prononce simultanément. Dans les six appels, on a soutenu que la nouvelle mise en garde relative à l'al. 10b), utilisée par les policiers ontariens à la suite de l'arrêt Brydges, n'était pas conforme aux exigences en matière d'information énoncées dans cet arrêt.

a) Principes généraux

La cour a fait observer, à la p. 356, qu'en se penchant sur le volet information de l'al. 10b) de la Charte, la Cour suprême du Canada a décrété dans l'arrêt Brydges que la mise en garde qui doit être faite au moment de l'arrestation ou de la mise en détention doit comprendre la mention de l'existence et de l'accessibilité «des régimes applicables d'avocats de garde et d'aide juridique dans la province ou le territoire en cause». Elle a fait remarquer que, par suite de cet arrêt, une nouvelle mise en garde a été rédigée et utilisée en Ontario et qu'il existait une ligne téléphonique 1‑800 (sans frais), connue dans tous les postes de police, qui était offerte 24 heures par jour et qui permettait de joindre un avocat de garde compétent et d'obtenir des conseils immédiatement et sans frais.

De l'avis de la cour, l'information donnée à la personne détenue ne doit pas nécessairement comprendre la mention du numéro sans frais et de l'accès à des conseils juridiques immédiats et gratuits. Elle s'est reportée à l'arrêt R. c. Anderson (1984), 10 C.C.C. (3d) 417 (C.A. Ont.) et a fait remarquer, à la p. 357, que [traduction] «c'est seulement lorsqu'un élément de la situation indique que l'accusé n'a pas bien saisi la portée de ses droits qu'il faut lui donner des renseignements supplémentaires.» La cour s'est ensuite reportée, à la p. 358, au critère énoncé dans l'arrêt R. c. Parks (1988), 33 C.R.R. 1 (C.A. Ont.), qui citait le juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Brydges, selon lequel «lorsqu'un accusé s'inquiète de ce que le droit à l'assistance d'un avocat dépende de la capacité d'en assumer les frais, les policiers ont l'obligation de l'informer de l'existence de l'aide juridique ou des avocats de garde et de la possibilité d'y recourir.» La cour a conclu, à la p. 358:

[traduction] C'est là le bon critère, selon nous. De plus, à notre avis, la mise en garde faite dans toutes les affaires en cause précisait bien qu'il était possible de recourir à l'aide juridique pour obtenir conseil et peut‑être même pour se faire défendre si une accusation était portée. Si aucun élément de preuve n'indique que la personne détenue n'a pas bien saisi la portée de son droit à l'aide juridique immédiate et gratuite ou avait besoin de renseignements supplémentaires sur son droit, nous ne jugeons pas nécessaire que des renseignements additionnels lui soient donnés.

La cour s'est appuyée sur l'arrêt R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, pour dire que l'exclusion systématique d'éléments de preuve nécessaires à l'égard d'une inculpation est elle‑même susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Elle a conclu que, si elle avait tort et qu'il y avait eu violation des droits garantis par l'al. 10b), il ne convenait pas d'écarter les éléments de preuve en application du par. 24(2), parce que la police, dans les affaires dont elle était saisie, avait tenté de suivre la méthode préconisée dans l'arrêt Brydges.

b) Application à l'affaire Bartle

La cour a souscrit à l'interprétation donnée à l'arrêt Brydges par le juge Perozak et a désapprouvé l'opinion du juge Cavarzan selon qui les accusés devaient être systématiquement informés de la possibilité d'utiliser le numéro 1‑800 pour consulter un avocat. Elle a conclu, à la p. 369:

[traduction] Nous ne croyons pas que l'opinion incidente du juge en chef Lamer dans l'arrêt Brydges crée une obligation à cet égard, sauf naturellement si l'accusé, après avoir été informé de son droit, s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais ou de la possibilité de joindre un avocat promptement. Nous sommes d'avis que les versions contradictoires de l'[appelant] et de l'agent Hildebrandt étaient de fait pertinentes et que le juge du procès a accepté celle de Hildebrandt. Nous estimons qu'il n'y a pas eu de violation de l'al. 10b).

III. Les questions en litige

Deux points sont soulevés en l'espèce:

1.Étant donné le volet information de l'al. 10b) de la Charte, les policiers doivent‑ils informer systématiquement les personnes détenues ou arrêtées de l'existence de services d'avocats de garde qui donnent des conseils juridiques préliminaires gratuitement, 24 heures par jour, et qu'ils peuvent appeler sans frais à un numéro 1‑800?

2.Si la réponse est affirmative et si, eu égard aux circonstances de l'espèce, il y a eu violation des droits que l'al. 10b) de la Charte garantit à l'appelant, les éléments de preuve obtenus à l'occasion de cette violation doivent‑ils être écartés en application du par. 24(2) de la Charte?

IV. L'analyse

L'alinéa 10b) de la Charte dispose:

10.Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:

. . .

b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;

Il est maintenant bien établi que l'al. 10b) exige que la personne mise en état d'arrestation ou en détention (la «personne détenue») soit promptement informée de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat. Comme notre Cour a déjà étudié l'al. 10b) à maintes reprises, je me propose de résumer simplement certains des principes fondamentaux qui ont été énoncés relativement au droit à l'assistance d'un avocat garanti par la Charte. Cela fournira le cadre indispensable pour examiner la question de la communication que soulèvent la présente espèce et les pourvois Pozniak et Harper.

a) L'objet de l'al. 10b)

L'objet du droit à l'assistance d'un avocat que garantit l'al. 10b) de la Charte est de donner à la personne détenue la possibilité d'être informée des droits et des obligations que la loi lui reconnaît et, ce qui est plus important, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits et de remplir ces obligations: R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1242 et 1243. Cette possibilité lui est donnée, parce que, étant détenue par les représentants de l'État, elle est désavantagée par rapport à l'État. Non seulement elle a été privée de sa liberté, mais encore elle risque de s'incriminer. Par conséquent, la personne «détenue» au sens de l'art. 10 de la Charte a immédiatement besoin de conseils juridiques, afin de protéger son droit de ne pas s'incriminer et d'obtenir une aide pour recouvrer sa liberté: Brydges, à la p. 206; R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, aux pp. 176 et 177; et Prosper. L'alinéa 10b) habilite la personne détenue à recourir de plein droit à l'assistance d'un avocat «sans délai» et sur demande. Comme l'a dit notre Cour dans l'arrêt Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383, à la p. 394, le droit à l'assistance d'un avocat prévu à l'al. 10b) vise à assurer le traitement équitable dans le processus pénal des personnes arrêtées ou détenues.

b) Les obligations qu'entraîne l'al. 10b)

Notre Cour a dit à maintes reprises que l'al. 10b) de la Charte impose aux représentants de l'État qui arrêtent une personne ou qui la mettent en détention les obligations suivantes:

(1) informer la personne détenue de son droit d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et de l'existence de l'aide juridique et d'avocats de garde;

(2) si la personne détenue a indiqué qu'elle voulait exercer ce droit, lui donner la possibilité raisonnable de le faire (sauf en cas d'urgence ou de danger);

(3) s'abstenir de tenter de soutirer des éléments de preuve à la personne détenue jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable (encore une fois, sauf en cas d'urgence ou de danger).

(Voir, par exemple, Manninen, aux pp. 1241 et 1242; R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, à la p. 890; et Brydges, aux pp. 203 et 204.) La première obligation, qui est directement en cause en l'espèce, touche à l'information. Les deuxième et troisième participent davantage de l'obligation de mise en application et ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu'elle veut exercer son droit à l'assistance d'un avocat.

Il importe de souligner que le droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) n'est pas absolu. À moins que la personne détenue ne fasse valoir son droit et qu'elle ne l'exerce avec diligence, l'obligation correspondante des policiers de lui donner la possibilité raisonnable de l'exercer et de s'abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve, soit ne prendra pas naissance, soit sera suspendue: R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, à la p. 439, et R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, aux pp. 154 et 155. Au surplus, la personne détenue peut renoncer aux droits garantis par l'al. 10b), bien que la norme soit stricte, surtout lorsque la prétendue renonciation a été implicite: Clarkson, aux pp. 394 à 396; Manninen, à la p. 1244; Black, aux pp. 156 et 157; Brydges, à la p. 204; et Evans, aux pp. 893 et 894.

Vu ces circonstances, il est essentiel que le volet information du droit à l'assistance d'un avocat ait une portée large et que les policiers donnent les renseignements [traduction] «promptement et d'une manière compréhensible»: R. c. Dubois, [1990] R.J.Q. 681 (C.A.), (1990), 54 C.C.C. (3d) 166, aux pp. 697 et 196 respectivement. À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir s'ils communiqueront avec un avocat et, en outre, s'ils exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence: Hebert. Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières, notamment des problèmes de langues ou une déficience mentale notoire ou manifeste, indiquant que la personne détenue ne comprend peut‑être pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle la comprend bien; il importe que la mise en garde type faite aux personnes détenues soit aussi instructive et claire que possible: R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537, à la p. 540, et Evans, à la p. 891.

En fait, notre Cour a déjà reconnu la fonction essentielle du volet information initial de l'al. 10b). Dans l'arrêt Evans, par exemple, le juge McLachlin, au nom de la majorité, dit, à la p. 891, qu'une «personne qui ne comprend pas son droit n'est pas en mesure de l'exercer». Dans cet arrêt, la Cour a décidé que, si les circonstances indiquent que la personne détenue ne comprend peut‑être pas les renseignements que les autorités lui communiquent, celles‑ci ne peuvent pas se contenter de réciter mécaniquement le droit à l'assistance d'un avocat. Les autorités doivent prendre d'autres mesures afin que la personne détenue comprenne les droits que lui garantit l'al. 10b). De la même façon, notre Cour a souligné par le passé que l'on ne pouvait considérer que l'accusé avait renoncé à son droit à l'assistance d'un avocat que s'il possédait suffisamment de renseignements pour être en mesure de faire un choix éclairé quant à l'exercice de ce droit: R. c. Smith (Norman MacPherson), [1991] 1 R.C.S. 714, aux pp. 724 à 729, et Brydges, à la p. 205.

Pour conclure, puisque l'objet du droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) est de lui permettre de faire un choix valable, il s'ensuit que la personne détenue doit être informée de tous les services auxquels elle peut recourir avant d'avoir à faire valoir ce droit, surtout si l'on tient compte du fait que les autres obligations de l'État ne prennent naissance que si elle manifeste sa volonté de communiquer avec un avocat. À mon avis, ce serait aller à l'encontre du droit à l'assistance d'un avocat que d'obliger les policiers à informer la personne détenue de l'existence et de l'accessibilité de l'aide juridique et d'avocats de garde seulement après qu'elle a revendiqué ce droit. Par conséquent, je ne saurais souscrire aux avis du juge du procès et de la Cour d'appel selon lesquels l'information sur les avocats de garde et sur la manière d'y recourir ne doit être fournie à la personne détenue que si elle s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat ou de la possibilité d'en joindre un. En fait, en exprimant ce point de vue, je me trouve dans l'obligation de conclure, en toute déférence, que le juge du procès et la Cour d'appel ont mal interprété et mal appliqué l'arrêt Brydges. En conséquence, je dois maintenant examiner cet arrêt.

c) L'arrêt Brydges

Dans l'arrêt Brydges, l'accusé a demandé des renseignements sur l'aide juridique et s'est inquiété de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat, après que les policiers l'eurent informé du droit à l'assistance d'un avocat que lui garantit l'al. 10b) de la Charte. Notre Cour a décidé à l'unanimité que l'omission des policiers d'informer l'accusé de l'existence et de l'accessibilité de l'aide juridique et des avocats de garde, avait constitué une violation des droits que lui garantit l'al. 10b) et que les éléments de preuve obtenus par suite de cette violation — des déclarations inculpatoires — auraient dû être écartés. Notre Cour était convaincue qu'en n'informant pas l'accusé complètement de son droit à l'assistance d'un avocat, alors qu'il s'était inquiété de sa capacité d'en assumer le coût et que, en fait, il aurait pu obtenir sur demande des conseils juridiques préliminaires, sans frais, les policiers avaient à tort laissé l'accusé sous une fausse impression relativement à la nature et à la portée des droits qui lui garantit l'al. 10b).

Toutefois, notre Cour, à la majorité, est allée plus loin, décidant qu'en plus d'informer les personnes détenues de leur droit général d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat, dans tous les cas les policiers devaient les informer de l'existence et de l'accessibilité de l'aide juridique et d'avocats de garde. Au nom de la majorité, je dis ce qui suit, à la p. 215:

. . . dans la société canadienne contemporaine, le droit à l'assistance d'un avocat en est venu à signifier plus que le droit d'avoir recours aux services d'un avocat par ses propres moyens. Il s'entend maintenant aussi du droit d'avoir accès à un avocat sans frais si l'accusé satisfait à certains critères financiers établis par le régime d'aide juridique de la province et du droit de l'accusé d'avoir accès aux conseils immédiats, mais temporaires, d'un avocat de garde sans égard à sa situation financière. Ces considérations m'amènent donc à conclure que, dans le cadre de l'obligation d'informer prévue par l'al. 10b) de la Charte, il faut renseigner la personne détenue sur l'existence des régimes applicables d'avocats de garde et d'aide juridique dans la province ou le territoire en cause, afin de lui permettre de saisir pleinement son droit à l'assistance d'un avocat. [Je souligne.]

Par conséquent, l'arrêt Brydges a eu pour effet d'ajouter deux nouveaux éléments au volet information de l'al. 10b):

(1) des renseignements sur l'accès sans frais aux services d'un avocat lorsque l'accusé répond aux critères financiers établis par les régimes provinciaux d'aide juridique (l'«aide juridique»);

(2) des renseignements sur l'accès à des conseils juridiques immédiats, quoique temporaires, sans égard à la situation financière («avocats de garde»).

Par ailleurs, l'arrêt Brydges précise bien que la nature exacte des renseignements à donner aux personnes détenues dépendrait nécessairement de l'existence et de l'accessibilité de l'aide juridique et d'avocats de garde dans la province ou le territoire: arrêt Prosper.

Dans l'arrêt Brydges, la majorité a pris bien soin de faire la distinction entre les régimes d'aide juridique, qui offrent l'aide juridique à long terme aux accusés qui remplissent les conditions financières prescrites, et les «avocats de garde», qui donnent des conseils juridiques préliminaires et sommaires sur demande à toutes les personnes détenues, sans égard aux moyens financiers ou à l'heure du jour ou de la nuit. Voici l'explication que donne la majorité, à la p. 213:

. . . les avocats de garde ont pour rôle de fournir aux personnes incapables de se payer un avocat ou à celles qui ne connaissent pas d'avocat, des conseils et de l'aide immédiats mais temporaires. La connaissance de l'existence d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir est peut‑être de première importance puisque la situation financière n'est pas considérée généralement comme une condition préalable à l'obtention des services d'un avocat de garde.

Souvent l'avocat de garde fait le pont entre le moment de l'arrestation et celui du recours aux services d'un avocat qui prend le relais. Bien que sur le plan administratif, l'aide juridique et les avocats de garde aient tendance à relever du même programme global géré par les provinces, conformément à leur compétence en matière d'administration de la justice, l'aide juridique et «les avocats de garde selon Brydges» (que l'on désigne ainsi pour les différencier d'autres formes d'aide juridique sommaire, habituellement des conseils sur le plaidoyer, les demandes d'ajournement, les observations sur le cautionnement et la peine, les négociations avec le ministère public au sujet des mesures à prendre dans le contexte des poursuites pénales et des poursuites contre les jeunes contrevenants (les Rapports de P.R.A., ci‑après)) représentent deux formes distinctes de services juridiques.

C'est l'interprétation et l'application de l'obligation supplémentaire imposée aux policiers dans l'arrêt Brydges relativement aux renseignements à donner sur les avocats de garde qui est précisément en litige dans la présente espèce et dans les quatre autres pourvois entendus en même temps, sur lesquels notre Cour rend jugement simultanément.

L'imposition d'exigences supplémentaires aux autorités policières en matière d'information est justifiée par la nécessité de réaliser l'objectif sous‑jacent du droit à l'assistance d'un avocat que garantit la Charte. Comme l'exprime la majorité dans l'arrêt Brydges, à la p. 215:

. . . cette obligation supplémentaire est conforme à l'un des objets fondamentaux du droit garanti par l'al. 10b), qui est de faciliter la communication avec un avocat, puisque l'accusé a un besoin immédiat de conseils juridiques, surtout sur la manière d'exercer son droit de garder le silence. . .

Les motifs de la majorité dans l'arrêt Brydges contiennent implicitement la reconnaissance claire du caractère essentiel du volet information de l'al. 10b), qui s'entend de l'information à donner dans tous les cas aux personnes détenues et dont dépendent les obligations corrélatives de l'État. Avoir dit que l'obligation des autorités de fournir des renseignements sur l'existence et l'accessibilité des services d'aide juridique et des avocats de garde, ne prend naissance qu'après que la personne détenue a revendiqué le droit à l'assistance d'un avocat ou qu'elle a manifesté ses inquiétudes au sujet de sa capacité d'assumer le coût de ces services ou au sujet de la possibilité de rejoindre un avocat, aurait été contraire à l'objet de l'al. 10b) et aurait privé la personne détenue de la protection précise à laquelle la Charte lui donne droit.

En outre, comme l'explique la majorité dans l'arrêt Brydges, aux pp. 211 et 212, bien que l'imposition aux forces de police d'exigences supplémentaires en matière d'information puisse, à première vue, sembler être un fardeau pour elles, elle sert leurs intérêts à long terme. S'ils disposaient, pour satisfaire aux exigences de l'al. 10b), d'une mise en garde uniforme qui contienne une mention claire des services offerts et de la manière d'y avoir accès, les policiers auraient moins souvent à juger sur‑le‑champ si la personne détenue a les moyens de recourir aux services d'un avocat ou si elle croit à tort qu'elle ne peut pas recourir à l'aide juridique. Par surcroît, s'il existe effectivement un service d'avocats de garde, les policiers seront mieux en mesure d'exécuter leur tâche sans perdre de temps à attendre qu'un avocat de garde soit disponible. Selon la majorité dans l'arrêt Brydges, à la p. 215, il y va «de l'intérêt de tous ceux qui oeuvrent dans le système de justice criminelle» (je souligne) que l'al. 10b) de la Charte soit interprété de façon à exiger que toutes les personnes détenues soient informées de l'existence et de l'accessibilité des régimes d'aide juridique et des avocats de garde.

Pour terminer, l'arrêt Brydges énonce le principe que les autorités policières sont tenues d'informer les personnes qu'elles mettent en détention de l'existence dans leur province ou territoire de services d'aide juridique et d'avocats de garde. Pour dissiper tout doute, j'ajouterais ici que la mise en garde type faite en vertu de l'al. 10b) devrait comprendre des renseignements de base sur la façon d'avoir accès aux conseils juridiques préliminaires gratuits qui sont à leur disposition. Il suffirait de dire simplement à la personne détenue qu'on lui donnera un numéro de téléphone si elle veut communiquer avec un avocat immédiatement. L'omission de donner ces renseignements constitue en l'absence d'une renonciation valide (situation rare, comme je l'explique ci‑après), une violation de l'al. 10b) de la Charte. Il s'ensuit que, si les policiers ne se sont pas conformés à leurs obligations découlant de l'al. 10b), on n'a pas à demander si la personne détenue en cause a exercé avec diligence raisonnable son droit à l'assistance d'un avocat ou si elle a renoncé à ses droits de se voir faciliter le recours à cette assistance. Ces questions ne sont simplement pas pertinentes par rapport à l'al. 10b) (quoiqu'elles puissent l'être lorsqu'il faut décider s'il y a lieu d'écarter, conformément au par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus à l'occasion de la violation de la Charte). La violation de l'al. 10b) est complète, sauf dans les cas de renonciation ou d'urgence, quand les représentants de l'État n'informent pas la personne détenue comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat et ce, jusqu'à ce que cette omission ait été corrigée.

d) Les suites de l'arrêt Brydges

L'arrêt Brydges a imposé une période de transition de 30 jours pour permettre aux forces de police dans toutes les régions du pays de donner effet à la nouvelle mise en garde exigée par notre Cour. D'après une étude détaillée des systèmes d'avocats de garde au Canada demandée et financée par le ministère de la Justice fédéral, l'arrêt Brydges a eu au moins deux effets: Prairie Research Associates. Duty Counsel Systems: Summary Report (avril 1993) et Duty Counsel Systems: Technical Report (avril 1993) (les «Rapports de P.R.A.»). Premièrement, l'arrêt Brydges a amené l'ajout de renseignements plus précis à la mise en garde relative à la Charte faite systématiquement à toutes les personnes détenues. Deuxièmement, il a encouragé plusieurs provinces à respecter l'esprit de cet arrêt en veillant à ce que les personnes détenues puissent avoir accès, sur demande, à des conseils juridiques préliminaires, sans frais, même si aucune somme supplémentaire n'a été affectée à ce service par le gouvernement fédéral dans le cadre des accords sur le partage des frais de l'aide juridique. Dans son Technical Report, par exemple, P.R.A. fait observer, à la p. 3‑4:

[traduction] L'arrêt Brydges a suscité la création de systèmes d'«avocats de garde selon Brydges» permettant de consulter un avocat par téléphone. Certains services de police tiennent une liste des avocats de garde, et dans certaines provinces (par exemple, en Ontario, en Saskatchewan et en Colombie‑Britannique), un numéro sans frais (1‑800) est fourni.

Malheureusement, tous les gouvernements provinciaux et tous les barreaux n'ont pas réagi positivement à l'arrêt Brydges comme cela aurait été souhaitable. Il ressort nettement des Rapports de P.R.A., ainsi que des pourvois connexes Prosper et Matheson, qu'il n'existe pas de système d'«avocats de garde selon Brydges» en Nouvelle‑Écosse et à l'Île‑du‑Prince‑Édouard.

En revanche, en Ontario, province d'où proviennent le présent pourvoi et le pourvoi connexe Pozniak, l'arrêt Brydges a eu un impact certain. Dans son article «Police Implementation of Supreme Court of Canada Charter Decisions: An Empirical Study» (1992), 30 Osgoode Hall L.J. 547, Kathryn Moore explique, aux pp. 564 à 567, qu'avant l'arrêt Brydges rendu en février 1990, le Régime d'aide juridique de l'Ontario avait établi un numéro 1‑800 dans la Communauté urbaine de Toronto, donnant aux personnes détenues dans les postes de police de l'agglomération torontoise accès à un avocat de garde 24 heures par jour. Par suite de l'arrêt Brydges, ce système a été mis en place à l'extérieur de la Communauté urbaine de Toronto. L'auteur décrit de façon assez détaillée le processus par lequel la mise en garde faite par les policiers ontariens a été révisée suivant les exigences de l'arrêt Brydges.

L'un des paragraphes qui a été ajouté à la mise en garde uniforme en Ontario et auquel on a donné le plus de publicité est le suivant: «Vous avez également droit aux conseils gratuits d'un avocat de l'aide juridique.» De plus, le numéro 1‑800 pour joindre les avocats de garde de l'aide juridique 24 heures par jour a été imprimé sur tous les cartons utilisés par les policiers pour la mise en garde. Au début, toutefois, il semble que les policiers ontariens n'aient pas donner systématiquement aux personnes détenues le numéro 1‑800 imprimé sur leurs cartons. Cela ressort de toute évidence non seulement du présent pourvoi et du pourvoi connexe Pozniak, mais également de six pourvois (dont le présent et le pourvoi Pozniak) qui ont été entendus en même temps par la Cour d'appel de l'Ontario, ainsi que de plusieurs décisions de tribunaux ontariens d'instance inférieure. D'après Moore, loc. cit., à la p. 566, en juin 1992, après que deux décisions de tribunaux d'instance inférieure eurent été rendues, dans lesquelles il a été décidé que la mise en garde faite en Ontario en réponse à l'arrêt Brydges n'était pas suffisante parce qu'elle n'informait pas clairement les personnes détenues que l'aide juridique était gratuite et immédiatement accessible, le solliciteur général de l'Ontario a conseillé aux forces de police ontariennes de modifier la mise en garde uniforme en y incluant le numéro 1‑800 de l'aide juridique préimprimé sur leurs cartons. Ce fait a été corroboré par l'avocat du ministère public, intimé, dans la présente espèce et dans l'arrêt Pozniak.

Il semble aussi que mieux les gens sont informés des droits que leur garantit l'al. 10b), plus ils sont susceptibles de les exercer. D'après le Summary Report de P.R.A., à la p. 35:

[traduction] [L'arrêt Brydges] a amené un accroissement de la demande d'avocats de garde, parce que la police est obligée d'informer tous les prévenus de leur droit à l'assistance d'un avocat. Qu'il s'agisse de consultation par téléphone, de service le soir ou la fin de semaine, l'arrêt Brydges a incité plus de prévenus à recourir aux services immédiatement après leur arrestation. Après cet arrêt, on a constaté une augmentation importante du nombre d'appels faits sur les lignes 24 heures par jour déjà établies.

Ce fait est également confirmé par Moore qui, à la p. 565, cite les statistiques fournies par le directeur adjoint du Régime d'aide juridique de l'Ontario, qui montrent que, avant l'arrêt Brydges et la mise à disposition sur tout le territoire de la province du numéro des avocats de garde, le numéro 1‑800 à Toronto recevait en moyenne 300 appels par mois. Après l'arrêt Brydges, de 550 à 600 appels en moyenne ont été reçus mensuellement au numéro de Toronto, tandis qu'à l'extérieur de Toronto, la moyenne mensuelle au numéro 1‑800 était de 700 à 800 appels.

e) Le résumé des principes dérivés de l'al. 10b)

En application du volet information de l'al. 10b) de la Charte, une personne détenue a le droit d'être informée de l'existence de tout système permettant d'obtenir des conseils juridiques préliminaires, sans frais, dans la province ou le territoire, et de la manière d'y avoir accès (par exemple, en appelant à un numéro 1‑800 ou en se voyant remettre une liste de numéros de téléphone d'avocats qui remplissent la fonction d'avocat de garde). La question qu'il reste à trancher, alors, est de savoir si la mise en garde faite à l'appelant par la police en l'espèce respectait les exigences en matière d'information découlant de l'al. 10b) ou si l'appelant a renoncé aux droits d'être informé que lui garantit l'al. 10b). C'est la question que je vais maintenant étudier.

f) L'application des principes

Au moment où l'appelant a été arrêté et mis en détention, il existait en Ontario un service d'avocats de garde accessible 24 heures par jour au moyen d'un numéro sans frais. Les policiers connaissaient ce service et, de fait, le numéro 1-800 figurait sur le carton préimprimé servant à faire la mise en garde. L'alinéa 10b) exigeait que l'existence de ce système d'avocats de garde, ainsi que la manière d'y avoir accès, soient communiquées systématiquement par la police aux personnes détenues promptement et d'une manière compréhensible. Après avoir examiné ce qui a été dit à l'appelant, sur le bord de la route où il a été arrêté et plus tard, au poste de police, je suis d'avis que ce dernier n'a pas été bien informé de ses droits garantis par l'al. 10b). En conséquence, il a peut‑être été induit en erreur au sujet de la nature et de la portée de son droit à l'assistance d'un avocat, surtout étant donné qu'il a été mis en détention le samedi au petit jour, moment où toute personne estimera raisonnablement qu'il n'est pas possible d'obtenir immédiatement l'assistance d'un avocat.

À première vue, la mise en garde faite à l'appelant tant au bord de la route qu'au poste de police ne l'a pas informé de l'existence et de l'accessibilité d'un service d'«avocats de garde», et elle ne lui a pas fourni le numéro sans frais permettant d'avoir accès au service. Toutefois, il s'agit de déterminer si, malgré l'absence de précisions à cet effet, l'essence du droit de l'appelant d'obtenir immédiatement et gratuitement des conseils juridiques temporaires lui a été communiquée de manière adéquate ou, subsidiairement, si l'appelant a pleinement compris ses droits et a renoncé au droit qu'il avait d'en être expressément informé par les autorités.

À mon avis, la mise en garde faite à l'appelant en application de l'al. 10b) tant au bord de la route qu'au poste de police ne lui a pas bien fait comprendre qu'il pouvait immédiatement avoir recours à l'assistance d'un avocat et que cette assistance était accessible à tout le monde. Premièrement, quand l'appelant a été arrêté sur la route, on ne l'a pas informé de l'existence du numéro 1‑800 des avocats de garde et on ne lui a pas dit qu'il pourrait communiquer avec un avocat dès son arrivée au poste de police, où il y avait des téléphones. Bien qu'on lui ait bien précisé plus tard, à son arrivée au poste, qu'il pouvait faire un appel téléphonique «maintenant», l'appelant avait, dans l'intervalle entre sa mise en détention sur le bord de la route et son arrivée au poste, fait une déclaration auto‑incriminante. Deuxièmement, la mention de l'aide juridique était de nature à l'induire en erreur, car elle impliquait qu'il ne pourrait obtenir des conseils juridiques gratuits que s'il en faisait la demande après qu'une accusation aurait été portée contre lui — processus qui prend du temps et qui est assorti de conditions financières. La mise en garde qu'il a reçue ne l'a pas informé du fait qu'avant qu'une accusation ait été portée contre lui, il avait la possibilité, dans le cadre du régime ontarien de services juridiques immédiats, de communiquer avec un avocat de garde et d'obtenir des conseils juridiques préliminaires avant de s'incriminer.

Le numéro 1‑800, ou du moins l'existence d'un numéro de téléphone sans frais, aurait dû lui être communiqué au moment de son arrestation sur le bord de la route, même s'il n'y avait aucun téléphone sur les lieux. En fait, le policier aurait dû lui expliquer que, dès qu'ils seraient arrivés au poste de police, il serait autorisé à utiliser le téléphone pour appeler un avocat, y compris un avocat de garde disponible qui lui aurait donné immédiatement des conseils juridiques gratuits. On ne peut guère qualifier de difficulté excessive pour les policiers l'obligation de donner ces renseignements de base aux personnes détenues, surtout si le numéro sans frais figure déjà sur leur carton préimprimé. Je suis convaincu que le numéro 1‑800 fait partie de l'information dont la communication est exigée par l'al. 10b) de la Charte. Je souscris à l'argument de l'avocat de l'appelant selon lequel, à l'heure de la technologie et de l'informatique, les numéros 1‑800 sont des moyens simples et efficaces de faire comprendre aux personnes détenues qu'elles peuvent immédiatement avoir recours à l'assistance d'un avocat et que cette assistance est accessible à tout le monde, ce qui, comme l'a dit notre Cour à la majorité dans l'arrêt Brydges, devrait faire partie de la mise en garde type faite en vertu de l'al. 10b) dans les provinces et territoires où ce service existe.

En outre, l'appelant n'a pas renoncé à son droit de recevoir une mise en garde visant à l'informer pleinement de son droit à l'assistance d'un avocat. Bien qu'une personne détenue puisse renoncer aux droits que lui garantit l'al. 10b), il sera, à mon avis, rare qu'elle renonce validement au volet information de l'al. 10b). Comme je l'ai fait remarquer dans l'arrêt Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41, à la p. 49, pour qu'une renonciation à un droit procédural soit valide, «. . . il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger . . .» (souligné dans l'original). Ce critère s'applique également à une renonciation aux droits garantis par la Charte, y compris les droits garantis par l'al. 10b): Evans, précité, à la p. 894. Dans le cas du volet information de l'al. 10b), pour qu'une personne renonçant au droit le fasse en «pleine connaissance», elle doit être déjà pleinement informée des renseignements qu'elle est en droit de recevoir. On ne peut certainement pas dire qu'une personne possède une «pleine connaissance» de ses droits si elle renonce au droit d'être informée de quelque chose sans savoir ce dont elle a le droit d'être informée. Pour ce motif, si une personne détenue indique qu'elle ne désire pas entendre lecture des renseignements figurant sur la «mise en garde» habituelle que la police est tenue de donner en vertu de l'al. 10b), ce fait ne constituera pas en soi une renonciation valide au volet information de l'al. 10b).

Comme notre Cour l'a affirmé dans l'arrêt Evans (à la p. 892), les autorités de l'État ont, en vertu de l'al. 10b), l'obligation «de prendre des moyens raisonnables d'expliquer à l'accusé son droit à l'assistance d'un avocat». Dans la plupart des cas, il sera suffisant de lire à l'accusé une mise en garde qui satisfait aux critères que j'ai mentionnés. Cependant, lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer que cette personne saisit les droits que lui garantit l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer: Evans, à la p. 892, et Baig, à la p. 540. Par contre, il peut à l'occasion y avoir des cas où l'obligation des autorités de prendre des moyens raisonnables d'informer la personne détenue des droits que lui garantit l'al. 10b) sera respectée même s'il y a omission de certains éléments de la mise en garde habituelle. J'estime cependant que cela sera possible seulement si la personne détenue renonce explicitement à son droit de recevoir la mise en garde habituelle (par exemple, dans le cas où elle interrompt le policier pour lui dire qu'il n'a pas à poursuivre la lecture de la mise en garde) et si les circonstances révèlent qu'il existe des motifs raisonnables de croire que cette personne connaît ses droits, les a invoqués et est au courant des moyens de les exercer. Le fait qu'une personne détenue indique simplement qu'elle connaît ses droits n'établira pas en soi l'existence de motifs raisonnables de croire qu'elle en comprend pleinement l'ampleur ou qu'elle est au courant des moyens de les mettre en oeuvre. Par exemple, la personne détenue qui dit être au courant du droit qu'elle a de consulter un avocat et qui renonce à son droit d'en être informé, pourrait bien ne pas savoir qu'elle a le droit de le faire sans délai ou qu'elle peut faire appel à un service d'«avocats de garde selon Brydges». Dans ce cas, les autorités de l'État ont l'obligation de prendre des mesures raisonnables pour s'assurer que la personne détenue est au courant de tous les renseignements qu'elle est en droit de recevoir (c'est‑à‑dire, les renseignements contenus dans une mise en garde constitutionnellement valide). Dans la plupart des cas, la lecture de la mise en garde habituelle sera la façon la plus simple pour les autorités de s'acquitter de cette obligation.

Cependant, dans certaines circonstances, il peut exister des motifs raisonnables de croire qu'une personne détenue qui renonce au volet information de l'al. 10b) est véritablement au courant de la totalité ou d'une partie des renseignements contenus dans la mise en garde habituelle. Dans ce cas, il pourrait ne pas y avoir violation de l'al. 10b) si l'on omet les renseignements en question dans la lecture de la mise en garde habituelle. Par exemple, prenons le cas d'une personne détenue initialement accusée d'une infraction, qui communique avec un avocat avant d'être accusée d'une infraction additionnelle. Comme notre Cour l'a fait remarquer dans l'arrêt Black, précité, s'il y a un tel changement dans la nature de la détention, les autorités de l'État auront de nouveau l'obligation d'informer la personne détenue des droits que lui garantit l'al. 10b). Dans cet exemple, il serait nécessaire que la police informe de nouveau la personne détenue qu'elle a le droit de consulter sans délai un avocat, mais elle n'aurait peut‑être pas à lui rappeler l'existence des services d'avocats de garde. Dans le cas où la personne détenue a parlé à l'avocat de garde quelques heures plus tôt, il peut être raisonnable de supposer qu'elle se rappelle l'existence de ce service. Dans ce cas, on pourrait considérer comme valide la renonciation que la personne détenue fait à l'égard de ce volet de son droit d'être informée.

Il y a toutefois lieu de souligner que la norme relative à la renonciation au droit d'être informé est, comme je l'ai déjà expliqué, stricte. À mon avis, toute norme moindre ne serait pas compatible avec l'analyse fondée sur l'objet de l'al. 10b) que notre Cour a constamment appuyée (voir les arrêts Brydges, à la p. 215; Black, à la p. 152; et Clarkson, à la p. 394). Comme je l'ai mentionné, notre Cour a reconnu la fonction essentielle du volet information de l'al. 10b). Compte tenu de l'importance de ce volet pour que les objectifs de l'al. 10b) soient atteints, on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure que la personne détenue prendra une décision éclairée si elle renonce à son droit à l'assistance d'un avocat, après avoir renoncé à son droit d'être informée. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) imposent aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas, à mon avis, déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude susceptible d'exister relativement à la connaissance que la personne détenue a de ses droits, ce qui peut être accompli par une simple lecture de la mise en garde habituelle, comme elles sont tenues de le faire dans les cas où la personne détenue n'indique pas clairement et de façon non équivoque son désir de renoncer à son droit d'être informée.

Les faits en l'espèce n'indiquent pas que l'appelant aurait exprimé un désir quelconque de renoncer à ses droits d'être informé, y compris son droit d'être informé de l'existence des services d'avocats de garde selon Brydges. Par conséquent, bien qu'il ne soit pas nécessaire de vérifier si l'appelant était en fait au courant de l'existence des services d'avocats de garde, je tiens à faire remarquer que les éléments de preuve au dossier n'appuient pas l'inférence qu'il l'était. Je suis donc d'avis de conclure que l'appelant n'a pas renoncé aux droits que lui garantit l'al. 10b) et que les autorités ont contrevenu à cet alinéa en ne l'informant pas convenablement de l'existence des services d'avocats de garde.

Puisque j'ai conclu que l'appelant aurait dû être informé dès le début de l'existence et de l'accessibilité des avocats de garde et du numéro de téléphone 1‑800, il n'est pas nécessaire que j'étudie, au regard de l'al. 10b), les témoignages contradictoires sur la question de savoir si l'appelant a manifesté en présence des policiers son inquiétude au sujet de la possibilité de joindre un avocat tard dans la nuit. En outre, comme l'appelant n'a pas été bien informé de son droit à l'assistance d'un avocat, sa conduite ne saurait être assimilée à une renonciation à ses droits de se voir faciliter le recours à cette assistance. La norme relative à la renonciation à un droit garanti par la Charte est stricte. Pour qu'une renonciation soit valide, la personne doit savoir ce à quoi elle renonce. En l'espèce, puisque l'appelant ne savait pas qu'il avait accès par téléphone à des conseils juridiques préliminaires, sans frais et sans délai, il n'était pas à même de renoncer validement à son droit. Toutefois, il peut arriver qu'une personne détenue manifeste avec tellement de clarté sa volonté de ne communiquer avec aucun avocat que, même si les policiers n'ont pas donné tous les renseignements exigés par l'al. 10b), sa conduite sera un facteur militant en faveur de l'utilisation des éléments de preuve en conformité avec le par. 24(2) de la Charte.

Vu les circonstances du présent pourvoi où aucune urgence n'entrait en jeu et où l'appelant n'a pas fait une renonciation valide au volet information de l'al. 10b), la violation des droits que cet alinéa garantit à l'appelant était complète dès qu'il n'a pas été informé de l'existence du service ontarien d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir au moyen du numéro sans frais y donnant accès. Je conclus donc que la police a porté atteinte aux droits que l'al. 10b) de la Charte garantit à l'appelant. Par conséquent, il est nécessaire de décider si les éléments de preuve obtenus par suite de cette violation doivent être écartés en application du par. 24(2) de la Charte.

g) L'exclusion des éléments de preuve

Les éléments de preuve en cause sont les résultats de deux alcootests auxquels l'appelant a échoué et sa déclaration incriminante faite au policier sur le bord de la route, selon laquelle il avait consommé cinq ou six bières ce soir‑là.

Le paragraphe 24(2) de la Charte est ainsi conçu:

24. . . .

(2) Lorsque [. . .] le tribunal a conclu que des éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions qui portent atteinte aux droits ou libertés garantis par la présente charte, ces éléments de preuve sont écartés s'il est établi, eu égard aux circonstances, que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Deux conditions doivent être remplies pour que des éléments de preuve puissent être écartés conformément au par. 24(2): Strachan, le juge en chef Dickson, à la p. 1000, et R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, le juge Le Dain, à la p. 648. Premièrement, il faut qu'il y ait eu violation de la Charte à l'occasion de l'obtention des éléments de preuve. Deuxièmement, le tribunal doit conclure qu'eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Ce qu'exige d'abord la première condition, c'est qu'il y ait un lien ou un rapport quelconque entre la violation du droit ou de la liberté en question et l'obtention de la preuve que la demande vise à faire écarter. Toutefois, il n'est pas nécessaire d'établir l'existence d'un lien strict de causalité entre la violation de la Charte et la découverte des éléments de preuve: Therens, le juge Le Dain, à la p. 649; Strachan, le juge en chef Dickson, aux pp. 1000 à 1006 et le juge Lamer (maintenant Juge en chef), à la p. 1009; et Brydges, à la p. 210. De façon générale, s'ils ne sont pas trop éloignés de la violation, tous les éléments de preuve obtenus pendant la «suite des événements» qui se rapportent à la violation de la Charte sont visés par le par. 24(2): Strachan, le juge en chef Dickson, à la p. 1006, et le juge Lamer, à la p. 1009. Cela signifie que les tribunaux doivent adopter une approche libérale relativement à la première étape de l'examen prévu au par. 24(2) quant à savoir si des éléments de preuve ont été «obtenus dans des conditions qui portent atteinte» aux droits garantis par la Charte. Cependant, il ne faut pas oublier que l'existence et la force du lien de causalité entre les éléments de preuve et la violation de la Charte peuvent être des facteurs à prendre en considération en vertu du second volet, plus important, du par. 24(2): Strachan, le juge en chef Dickson, à la p. 1006; et R. c. I. (L.R.) et T. (E.) [1993] 4 R.C.S. 504, le juge Sopinka, à la p. 530.

En l'espèce, je suis convaincu que les éléments de preuve fournis par l'alcootest ainsi que la déclaration auto‑incriminante ont été obtenus dans le contexte de la violation du droit de l'appelant à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) et que, par conséquent, ils remplissent la première condition posée par le par. 24(2).

L'analyse doit porter ensuite sur la seconde étape de l'examen prévu au par. 24(2), qui consiste à déterminer si, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve serait susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. Pour décider de ce point, le tribunal doit soupeser des facteurs touchant l'effet de leur utilisation sur l'équité du procès, la gravité de la violation et l'effet de l'exclusion sur la considération dont jouit l'administration de la justice: R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, aux pp. 284 à 286. La charge de persuasion générale, au regard du par. 24(2), incombe à la partie qui demande que des éléments de preuve soient écartés: Collins, à la p. 280; R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, le juge en chef Dickson, à la p. 532; et R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30, à la p. 59. Celui qui demande la réparation prévue au par. 24(2) assume donc la charge ultime de démontrer au tribunal suivant la prépondérance des probabilités que l'utilisation des éléments de preuve risque de déconsidérer l'administration de la justice.

Toutefois, le fait que celui qui demande l'exclusion prévue au par. 24(2) assume la charge ultime de persuasion ne signifie pas qu'il doive supporter cette charge à l'égard de tous les aspects de l'examen. En pratique, la charge relative à un élément de preuve donné aura tendance à se déplacer entre celui qui demande l'exclusion et le ministère public, selon la nature de la question en litige, selon que l'une ou l'autre partie veut l'invoquer et, bien sûr, selon la nature du droit garanti par la Charte qui a été violé. Comme le disent Sopinka, Lederman et Bryant dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, à la p. 397:

[traduction] La charge de celui qui demande l'exclusion en application du par. 24(2) est tout à fait distincte de la norme civile ordinaire de preuve des faits. Une fois prouvées la violation de la Charte et les circonstances de cette violation, l'examen cesse de porter sur les simples faits pour concerner des éléments qui ne sont pas susceptibles d'être prouvés suivant la norme courante, tels que l'effet possible de l'utilisation sur l'équité du procès, la gravité relative de la violation de la Charte et la notion même de considération dont jouit l'administration de la justice. Par surcroît, la charge véritable glissera sûrement, en pratique, vers le ministère public car celui‑ci est le seul qui puisse apporter des éléments de preuve concernant de nombreux facteurs à prendre en considération (par exemple, la bonne foi, l'urgence, la possibilité d'employer d'autres méthodes d'enquête) et, ce qui est peut‑être plus important, l'administration de la justice est une fonction qu'il appartient au ministère public d'exercer.

La validité de ces observations est confirmée par la jurisprudence. Par exemple, il ressort clairement des affaires relatives à une violation de l'art. 8 de la Charte, où des éléments de preuve ont été obtenus par suite d'une fouille, d'une perquisition ou d'une saisie abusive, qu'à moins que le ministère public n'ait montré que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables d'agir comme ils l'ont fait, notamment qu'ils étaient fondés à croire que l'accusé transportait de la drogue ou qu'il s'agissait d'un cas d'urgence ou de nécessité, il existe une présomption qu'en ce qui a trait au par. 24(2) la violation est grave, et le ministère public doit la réfuter: R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755, le juge Lamer, pour la majorité.

L'une des questions qui a tendance à se poser dans les causes où il y a eu violation de l'al. 10b) de la Charte est celle de savoir si l'accusé aurait agi différemment si son droit à l'assistance d'un avocat n'avait pas été violé. En l'espèce, par exemple, on se pose la question de savoir si l'appelant aurait communiqué avec un avocat si on l'avait bien informé de son droit à l'assistance d'un avocat de garde et de l'existence du numéro 1‑800. Cette question se rapporte à la force du lien de causalité qui existe entre la violation et les éléments de preuve obtenus, question qui a été mentionnée ci‑dessus dans le contexte du premier volet de l'examen effectué dans le cadre du par. 24(2). Inévitablement, la question du lien de causalité déborde sur celle de la charge de la preuve. C'est‑à‑dire, à qui doit incomber le risque de non‑persuasion dans ces circonstances? Si on formule la question positivement, le ministère public a‑t‑il la charge de prouver que l'accusé n'aurait pas agi différemment si les droits que lui garantit l'al. 10b) avaient été respectés (de manière que la preuve aurait quand même été obtenue), ou le requérant qui invoque le par. 24(2) a‑t‑il la charge de prouver qu'il aurait exercé son droit à l'assistance d'un avocat si les policiers s'étaient acquittés de leur obligation en matière d'information?

À mon avis, le ministère public devrait avoir la charge ultime (la charge de persuasion) d'établir, à partir de la preuve, que le requérant qui invoque le par. 24(2) n'aurait pas agi différemment si les droits que lui garantit l'al. 10b) avaient été pleinement respectés et que, par conséquent, les éléments de preuve auraient été obtenus, malgré la violation de l'al. 10b). Il y a au moins deux raisons pour lesquelles cette charge de présentation devrait incomber au ministère public.

Premièrement, les violations de l'al. 10b) tendent à se répercuter directement sur l'équité de la décision. En effet, notre Cour a invariablement dit que, dans les cas où une preuve auto‑incriminante (par opposition à une preuve matérielle) a été obtenue par suite de la violation de l'al. 10b), son utilisation nuira généralement à l'équité du procès. Comme l'explique la majorité dans l'arrêt Collins, aux pp. 284 et 285:

Une preuve matérielle obtenue d'une manière contraire à la Charte sera rarement de ce seul fait une cause d'injustice. La preuve matérielle existe indépendamment de la violation de la Charte et son utilisation ne rend pas le procès inéquitable. Il en est toutefois bien autrement des cas où, à la suite d'une violation de la Charte, l'accusé est conscrit contre lui‑même au moyen d'une confession ou d'autres preuves émanant de lui. Puisque ces éléments de preuve n'existaient pas avant la violation, leur utilisation rendrait le procès inéquitable et constituerait une attaque contre l'un des principes fondamentaux d'un procès équitable, savoir le droit de ne pas avoir à témoigner contre soi‑même. Ce genre de preuve se trouvera généralement dans le contexte d'une violation du droit à l'assistance d'un avocat. C'est ce qu'illustrent nos arrêts Therens, précité, et Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383. L'utilisation d'une preuve auto‑incriminante obtenue dans le contexte de la négation du droit à l'assistance d'un avocat compromettra généralement le caractère équitable du procès même et elle doit en général être écartée. [Je souligne.]

La raison pour laquelle la preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même, par la violation de son droit à l'assistance d'un avocat, est intrinsèquement plus suspecte qu'une preuve matérielle est que son utilisation peut porter atteinte au privilège de l'accusé de ne pas s'incriminer, droit qui aurait pu être protégé si l'accusé avait eu la possibilité, comme il en avait le droit, de consulter un avocat: R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3; Black, aux pp. 159 et 160; Evans, à la p. 896; et R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24, à la p. 40.

Deuxièmement, étant donné les mises en garde qu'a souvent faites notre Cour au sujet des dangers des conjectures sur les conseils qu'un avocat aurait donnés à la personne détenue si son droit à l'assistance d'un avocat n'avait pas été violé (ci‑après, aux pp. 215 et suiv.), il n'est que logique que tout doute sur ce que l'accusé aurait fait si les droits que lui garantit l'al. 10b) n'avaient pas été violés soit dissipé à son avantage et que, au regard de l'effet de l'utilisation des éléments de preuve sur l'équité du procès, les tribunaux présument que la preuve auto‑incriminante n'aurait pas été obtenue sans la violation. L'État est responsable de la violation des droits constitutionnels de l'accusé. Si l'État prétend par la suite qu'il n'y avait aucun lien de causalité entre la violation et l'obtention de la preuve en question, il lui incombe de prouver son affirmation.

Les requérants qui invoquent le par. 24(2) n'ont donc pas la charge de prouver qu'ils auraient consulté un avocat s'il n'y avait pas eu violation des droits que leur garantit l'al. 10b). Naturellement, si une preuve positive appuie l'inférence selon laquelle une personne accusée n'aurait pas agi différemment si les droits que lui garantit l'al. 10b) avaient été pleinement respectés, le requérant qui ne peut prouver qu'il aurait agi différemment (chose qu'il est bien placé pour savoir) court le risque que la preuve au dossier soit suffisante pour que le ministère public s'acquitte de sa charge ultime (la charge de persuasion). Bien que, à la p. 423 de mes motifs dans l'arrêt R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398, j'aie donné à entendre que la charge de la preuve sur cette question incombe à l'accusé, après réflexion, j'ai décidé que la position que j'adopte en l'espèce est préférable.

Il appert des arrêts de notre Cour que ce n'est pas toute violation du droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) qui entraîne l'exclusion des éléments de preuve, même de ceux qui sont auto‑incriminants: voir, par exemple, les arrêts Strachan, le juge en chef Dickson, à la p. 1008; Tremblay; Black; Schmautz, le juge Lamer, aux pp. 422 et 423; et R. c. Mohl, [1989] 1 R.C.S. 1389. Si la partie qui s'oppose à l'utilisation des éléments de preuve n'est pas en mesure de démontrer d'une manière générale que leur utilisation est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice, ils devraient être utilisés.

(i)La preuve fournie par l'alcootest et la question de la contraignabilité prévue par la loi

En l'espèce, non seulement la déclaration de l'appelant selon laquelle il avait consommé cinq ou six bières, mais aussi les résultats des alcootests, sont nettement auto‑incriminants. Les échantillons d'haleine fournis par l'appelant émanaient de son corps et, contrairement aux éléments de preuve matérielle, n'auraient pas pu être obtenus sans sa participation à la constitution de ces éléments de preuve: Ross, à la p. 16. Compte tenu de la tendance à tenter de minimiser ou même de nier l'importance de la nature auto‑incriminante des échantillons d'haleine, il est justifié que nous examinions plus à fond le fait que la preuve fournie par l'alcootest dans le contexte de la conduite en état de facultés affaiblies est de nature à mobiliser l'accusé contre lui‑même. Non seulement ce raisonnement reçoit de plus en plus l'approbation des cours d'appel (voir, par exemple, les motifs de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse dans l'arrêt Prosper), mais encore son acceptation est préconisée par le ministère public intimé dans le présent pourvoi et dans le pourvoi connexe Pozniak. On peut résumer ce raisonnement comme suit: puisque l'accusé était contraint par la loi de fournir des échantillons d'haleine, qu'il ait ou non communiqué avec un avocat, ces échantillons n'auraient pas pu compromettre l'équité du procès et, par voie de conséquence, ils devraient être admis en vertu du par. 24(2) de la Charte.

L'un des arrêts de principe qui appuie ce point de vue sur la preuve fournie par l'alcootest est l'arrêt R. c. Jackson (1993), 15 O.R. (3d) 709 (C.A.). Dans cette affaire, la cour d'appel à l'unanimité a conclu à une violation de l'al. 10b) de la Charte parce que la police n'avait pas, dans les circonstances, expliqué à l'accusé qu'il avait le droit de communiquer avec son avocat en privé. En application du par. 24(2), la cour a reconnu que les échantillons d'haleine n'existaient pas au moment de la violation et qu'ils pouvaient, par conséquent, être assimilés à des éléments de preuve émanant de l'accusé (p. 718). Toutefois, la cour ne croyait pas que l'utilisation de ces éléments de preuve rendrait le procès inéquitable. Contrairement aux autres types de preuve émanant de l'accusé, dans le cas des échantillons d'haleine, il existe une obligation légale de les fournir, en vertu de l'al. 254(3)a) du Code, si les conditions de cette disposition sont remplies. En fait, commet l'infraction prévue au par. 254(5) du Code quiconque fait défaut ou refuse, sans excuse raisonnable, de fournir un échantillon. Dans l'arrêt Jackson, précité, la cour a fait remarquer que la preuve présentée lors du voir‑dire avait établi que les policiers avaient des motifs raisonnables et probables, d'exiger les échantillons d'haleine. Vu les faits, elle a jugé qu'aucun élément de preuve n'indiquait que l'accusé avait une excuse raisonnable pour faire défaut ou refuser de fournir des échantillons, peu importe les conseils de son avocat. Au nom de la cour, le juge Goodman a conclu, à la p. 719:

[traduction] Il me semble que l'utilisation de la preuve constituée par les résultats de l'alcootest effectué après la violation de l'al. 10b), test auquel la loi obligeait l'accusé à se soumettre dans les circonstances de l'espèce, ne saurait être tenue pour nuisible au caractère équitable du procès.

En toute déférence, je ne saurais être d'accord avec l'argument selon lequel la preuve fournie par l'alcootest devrait être traitée ainsi. Il est vrai que le Code crée une série d'infractions exceptionnelles concernant la conduite avec facultés affaiblies, qui limitent le nombre d'options de la personne à qui est intimé l'ordre de fournir des échantillons d'haleine. C'est‑à‑dire qu'elle peut soit «souffler» dans l'instrument comme on le lui demande, soit risquer d'échouer à l'alcootest et d'être inculpée de l'infraction prévue à l'al. 253b) du Code, savoir le cas où l'alcoolémie dépasse 80 mg, ou encore refuser et être accusée d'avoir «refusé de fournir un échantillon d'haleine», infraction prévue au par. 254(5) du Code. Comme notre Cour l'a dit dans l'arrêt Therens, par l'entremise du juge Le Dain, à la p. 643, c'est une erreur de croire qu'en pareil cas, la personne détenue est «libre» de choisir de ne pas fournir d'échantillon:

Suivant le par. 235(2) [maintenant le par. 254(5)], est coupable d'un acte criminel quiconque, sans excuse raisonnable, refuse d'obtempérer à une sommation faite en vertu du par. 235(1) [maintenant le par. 254(3)]. Il est irréaliste de dire d'une personne qui est passible d'arrestation et de poursuites pour refus d'obtempérer à une sommation faite par un agent de la paix dans l'exercice du pouvoir que lui confère la loi, qu'elle est libre de refuser d'obtempérer à cette sommation. La responsabilité criminelle qu'entraîne le refus d'obtempérer constitue une contrainte réelle. [Je souligne.]

C'est pourquoi on parle souvent de «contraignabilité prévue par la loi» à propos de la preuve obtenue par alcootest.

Ce qu'il y a de singulier dans le cas de l'infraction consistant à refuser de fournir un échantillon dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies, c'est qu'elle punit une personne qui refuse de s'incriminer. À cet égard, il faut noter que la constitutionnalité du par. 254(5) du Code n'a pas été soulevée en l'espèce. Si l'on prend, par exemple, la personne inculpée de meurtre, il est clair que la loi ne l'oblige pas à se conformer à l'ordre de fournir des échantillons d'haleine qui lui serait intimé en vue de riposter à un moyen de défense possible basé sur l'état d'ébriété. L'ordre de fournir des échantillons d'haleine ne peut être fondé que sur l'al. 254(3)a) du Code, selon lequel les policiers doivent avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu'une personne est en train de commettre, ou a commis au cours des deux heures précédentes, par suite d'absorption d'alcool, une infraction à l'art. 253. Cet article en retour ne concerne précisément que la conduite ou la garde et le contrôle «d'un véhicule à moteur, d'un bateau, d'un aéronef ou de matériel ferroviaire».

Étant donné le nombre limité d'options de la personne détenue qui a reçu l'ordre de fournir des échantillons d'haleine conformément à l'al. 254(3)a) du Code, il s'ensuit que les conseils d'un avocat en pareilles circonstances seront limités eux aussi. C'est‑à‑dire que l'avocat peut conseiller à son client de souffler dans l'instrument (en fait, il serait mal venu de lui conseiller de ne pas fournir d'échantillon simplement pour le plaisir de refuser ou pour un autre motif quelconque, parce qu'il lui conseillerait alors de commettre une infraction). En revanche, dans le cas où un avocat croirait que son client peut faire valoir un moyen de défense contre l'accusation d'avoir refusé d'obtempérer à un ordre, soit l'infraction prévue au par. 254(5), entre autres parce que les policiers n'avaient pas de motifs raisonnables et probables de lui donner cet ordre, l'avocat pourrait lui conseiller de refuser d'obtempérer. Cette situation s'oppose au cas du meurtre dans l'hypothèse précédente dans lequel l'avocat conseillerait probablement à son client de ne pas risquer de s'incriminer en fournissant des échantillons d'haleine.

Bien que l'éventail des conseils juridiques susceptibles d'être donnés dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies soit nécessairement limité, il faut tenir compte du fait que notre Cour a dit clairement dans le passé que, si le droit à l'assistance d'un avocat a été violé, il ne convient pas de conjecturer sur la nature des conseils qu'une personne détenue aurait reçus et sur la question de savoir si les éléments de preuve auraient été découverts si le droit n'avait pas été violé: Strachan, le juge en chef Dickson, à la p. 1002, et Elshaw, aux pp. 43 et 44.

Dans l'arrêt Elshaw, qui concernait des accusations de tentative d'agression sexuelle, le juge Iacobucci, au nom de la majorité, a décidé que certaines déclarations obtenues de l'accusé par suite de la violation des droits que lui reconnaît l'al. 10b) devaient être écartées. Dans ses motifs, le juge Iacobucci a rejeté la conclusion de la Cour d'appel de la Colombie‑Britannique selon laquelle l'utilisation des éléments de preuve ne s'avérerait pas très préjudiciable à l'accusé, parce qu'il aurait probablement fourni des éléments de preuve auto‑incriminants même si les policiers s'étaient conformés à l'al. 10b) de la Charte. Pour étayer sa position, le juge Iacobucci a cité les propos du juge Wilson dans l'arrêt Black, à la p. 153, selon qui «il ne convient pas qu'une cour de justice se demande quel genre d'avis juridique aurait été donné si l'accusée avait réussi à communiquer avec son avocat après le changement de l'accusation». Le juge Iacobucci conclut en ces termes, à la p. 44:

Ce raisonnement s'applique tout aussi bien à l'hypothèse formulée par la Cour d'appel, selon laquelle une preuve auto‑incriminante aurait été obtenue de toute façon. Nul ne peut conjecturer sur ce que l'appelant aurait pu dire ou faire au moment de sa détention s'il avait été informé de son droit à l'assistance d'un avocat ou même de son droit de garder le silence. Motiver l'utilisation des éléments de preuve par le fait qu'il aurait pu faire un aveu, c'est miner complètement le droit à l'assistance d'un avocat consacré dans la Charte. [Souligné dans l'original.]

Je suis convaincu que l'éventail des conseils juridiques qui peuvent être donnés à la personne détenue qui a reçu l'ordre de fournir un échantillon d'haleine en conformité avec l'al. 254(3)a) du Code est suffisant pour qu'on puisse dire que les tribunaux ne doivent pas conjecturer sur la nature de ces conseils et sur la question de savoir s'ils influeraient sur l'issue de la cause. En outre, en toute déférence, je ne puis souscrire à l'avis de la Cour d'appel de l'Ontario, qui décide de trancher, avec l'avantage du recul, la question de savoir si, d'après les faits, l'accusé pouvait effectivement faire valoir le moyen de défense de [traduction] «l'absence de motifs raisonnables et probables». L'alinéa 10b) vise notamment à fournir aux personnes détenues la possibilité de faire des choix éclairés au sujet des droits et des obligations que la loi leur reconnaît. Cette possibilité n'est pas moins importante quand des accusations relatives à l'alcootest sont en cause. Je ne suis donc pas disposé à conclure, par voie de conséquence, soit que la preuve fournie par l'alcootest dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies ne constitue pas une preuve auto‑incriminante, soit, si elle en constitue une, que son utilisation ne compromet pas l'équité du procès.

(ii) Les éléments de preuve contestés

Pour revenir aux faits de l'espèce, je suis convaincu que l'utilisation des résultats de l'alcootest auquel l'appelant a échoué et de la déclaration auto‑incriminante de ce dernier selon laquelle il avait consommé cinq ou six bières nuirait à l'équité du procès, qui est le premier facteur à prendre en considération selon le critère de l'arrêt Collins, précité. L'agent Hildebrandt, technicien qui a administré l'alcootest, a témoigné que l'appelant avait simplement répondu «non» quand il lui a demandé s'il voulait communiquer avec un avocat. L'appelant, en revanche, a témoigné qu'il avait dit à l'agent Hildebrandt qu'il voulait appeler un avocat, mais qu'il ignorait qui appeler parce qu'il était très tard. En dépit du fait que le juge du procès ait semblé préférer le témoignage de l'agent (je ferai remarquer que, contrairement à ce que la cour d'appel laisse entendre dans la décision portée en appel, aucune conclusion défavorable à l'appelant n'a été tirée expressément sur la question de la crédibilité), je conclus qu'étant donné les faits de l'espèce, c'est conjecturer que de tenter de tirer des conclusions dans un sens ou dans l'autre sur ce que l'appelant aurait fait s'il avait été mis en garde de façon appropriée. Vu mes propos quant à la charge ultime (la charge de persuasion) qui incombe au ministère public, l'incertitude en l'espèce doit être dissipée au détriment du ministère public intimé. En conséquence, je dois conclure que la preuve fournie par l'alcootest n'aurait peut‑être pas été obtenue s'il n'y avait pas eu de violation des droits que l'al. 10b garantit à l'appelant et que, par conséquent, son utilisation compromettrait l'équité du procès.

Quant au deuxième groupe de facteurs concernant la gravité de la violation de la Charte, je ferai observer que les renseignements sur les avocats de garde et, surtout, sur le numéro 1‑800 qui était imprimé en fait sur le carton de mise en garde, étaient à portée de la main. Toutefois, je ne suis pas disposé à modifier la conclusion du juge Cavarzan selon laquelle les policiers ont agi de bonne foi et conformément à ce qu'ils ont cru être à ce moment‑là la bonne façon de procéder. Bien que ce deuxième groupe de facteurs milite en faveur de l'utilisation des éléments de preuve dans la présente espèce, cela ne saurait remédier à l'atteinte à l'équité du procès que représenterait leur utilisation. Comme le dit notre Cour dans l'arrêt Elshaw, à la p. 45, les deux premiers facteurs énoncés dans l'arrêt Collins sont des moyens facultatifs d'écarter la preuve et non de l'utiliser. Si les éléments de preuve contestés se heurtent au facteur de l'«équité du procès», l'admissibilité de ces éléments ne peut être sauvegardée par un recours au facteur de la «gravité de la violation».

Pour ce qui est du troisième élément — soit la question de savoir si l'exclusion des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice — je ferai remarquer que l'appelant a reconnu au procès qu'il n'aurait probablement pas dû conduire ce soir‑là, ce qui correspond à un aveu de culpabilité. Toutefois, malgré cela et malgré le fait que la conduite en état d'ébriété présente un danger important pour la sécurité publique, je suis d'avis que l'exclusion des éléments de preuve en l'espèce sert à long terme l'intérêt de l'administration de la justice. Nous devons faire en sorte que le par. 24(2) et l'al. 10b) aient pour effet combiné d'assurer, dans notre système de justice criminelle, le respect et la protection du privilège de ne pas s'incriminer et du principe de l'équité du processus décisionnel.

Pour les motifs qui précèdent, je conclus qu'à tout prendre et après avoir pesé l'ensemble des circonstances, la considération dont jouit l'administration de la justice penche en faveur de l'exclusion, et non de l'utilisation, de la preuve fournie par l'alcootest et de la déclaration incriminante.

h) Conclusion

Je suis convaincu que le droit à l'assistance d'un avocat que l'al. 10b) de la Charte garantit à l'appelant a été violé et que, eu égard aux circonstances de l'espèce, les éléments de preuve contestés doivent être écartés en conformité avec le par. 24(2) de la Charte.

En conséquence, je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et d'annuler la déclaration de culpabilité. Comme il ne convient pas en l'espèce d'ordonner la tenue d'un nouveau procès, je suis d'avis d'inscrire un verdict d'acquittement.

Version française des motifs rendus par

//Le juge la Forest//

Le juge La Forest — J'ai eu l'avantage de lire les motifs de mes collègues. Je suis d'accord avec le Juge en chef quant à l'étendue de l'obligation que la police a d'informer une personne arrêtée ou détenue de l'existence de services d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir.

Je suis également d'accord avec lui, essentiellement pour les mêmes motifs, qu'il y a lieu d'écarter en vertu du par. 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés la preuve obtenue par alcootest; cependant, je tiens à faire les observations qui suivent relativement à l'argument portant sur la distinction entre la preuve auto‑incriminante et la preuve matérielle. Cette distinction n'est pas toujours utile comme l'ont démontré des arrêts antérieurs; en outre, les règles de droit ont évolué depuis: voir l'arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615. Ces expressions ne s'excluent pas mutuellement; une preuve pourrait bien être les deux à la fois. En l'espèce, la preuve est sans équivoque auto‑incriminante (quoique par application de la loi), mais je prends note de l'intéressante observation de ma collègue le juge L'Heureux‑Dubé selon laquelle cette preuve pourrait également, en l'absence d'autres considérations, constituer une preuve matérielle.

Il existe une situation à peu près similaire relativement à la prise des empreintes digitales qui peut être exigée d'un accusé (procédure que notre Cour a jugée constitutionnelle dans l'arrêt R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387). Il est difficile de croire que la preuve que constitue les empreintes digitales prises dans le contexte d'une violation de l'al. 10b) de la Charte pourrait être écartée en vertu du par. 24(2). À mon avis, cette conclusion n'est pas tant liée au fait qu'il s'agit d'une preuve matérielle; il s'agit également d'une preuve auto‑incriminante. Ce genre de preuve existera toujours, mais son utilisation est plus facile à justifier si son obtention n'a eu aucun rapport avec la violation de la Charte; voir l'arrêt R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140, à la p. 1149, le juge Lamer. En l'espèce, la violation de l'al. 10b) a privé l'accusé de la possibilité de faire un choix quant à l'alcootest. Certes, comme l'explique le Juge en chef, les conseils qu'un avocat pouvait donner dans les circonstances étaient limités, mais ils auraient pu changer le choix fait par l'accusé; ce qui me convainc, c'est le fait que cette absence de choix était imputable au non‑respect par la police de l'obligation formulée par notre Cour à la majorité dans l'arrêt R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190. Bien que, à mon avis, les motifs pour écarter la preuve ne soient pas très convaincants, compte tenu de la nécessité de faire ressortir qu'il est important pour la police de se conformer aux obligations imposées quant au droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat, je suis d'accord avec le Juge en chef pour dire que l'exclusion des éléments de preuve en l'espèce sert à long terme l'intérêt de l'administration de la justice.

Pour ces motifs, je suis d'avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le Juge en chef.

Version française des motifs rendus par

//Le juge L'Heureux-Dubé//

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente) — Cet appel et les quatre autres entendus en même temps (R. c. Pozniak, [1994] 3 R.C.S. 310; R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343; R. c. Matheson, [1994] 3 R.C.S. 328; et R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236), dont les jugements sont rendus simultanément, soulèvent la question de la portée de la garantie énoncée à l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, soit le droit de toute personne, en cas d'arrestation ou de détention, «d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit».

Selon la jurisprudence de notre Cour, l'al. 10b) de la Charte oblige les policiers qui arrêtent une personne ou qui la mettent en détention (la «personne détenue») à l'informer de son droit de consulter un avocat de son choix et, si la personne détenue exprime le désir de consulter un avocat, à lui fournir une possibilité raisonnable de le faire et à s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable (sauf en cas d'urgence, de danger ou autres circonstances particulières), le tout à la condition que la personne exerce son droit avec diligence raisonnable (R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, à la p. 644 (le juge Le Dain); R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233, aux pp. 1241 à 1244 (le juge Lamer (maintenant Juge en chef)); R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435, aux pp. 438 et 439 (le juge Lamer); R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537, à la p. 540 (la Cour); R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980, aux pp. 998 et 999 (le juge en chef Dickson); R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3, aux pp. 10 à 13 (le juge Lamer); R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138, aux pp. 154 et 155 (le juge Wilson); R. c. Smith (Joey Leonard), [1989] 2 R.C.S. 368, aux pp. 384 et 385 (le juge Lamer); R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190, aux pp. 203 et 206 (le juge Lamer); R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398, aux pp. 413 à 417 (le juge Gonthier); R. c. Smith (Norman MacPherson), [1991] 1 R.C.S. 714, aux pp. 725 à 730 (le juge McLachlin); R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869, aux pp. 890 à 894 (le juge McLachlin); R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139, à la p. 151 (le juge en chef Lamer); et R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504, à la p. 519 (le juge Sopinka)). En outre, si la personne détenue s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat, les policiers sont également tenus de l'informer de l'existence des services d'aide juridique et d'avocats de garde (voir l'arrêt Brydges, précité).

Ce qui précède est, à mon avis, une description exacte de l'étendue des droits d'une personne détenue en vertu de l'al. 10b) de la Charte. Je ne suis donc pas d'accord avec le Juge en chef ni avec le juge McLachlin, qui imposeraient aux policiers une obligation plus étendue d'information en vertu de l'al. 10b). Tout particulièrement, s'il est souhaitable, à mon avis, qu'une personne mise en état d'arrestation ou en détention soit informée de l'existence des services d'avocats de garde 24 heures par jour, je ne crois pas, contrairement au Juge en chef et au juge McLachlin, qu'il s'agisse là d'une exigence constitutionnelle requise par l'al. 10b) de la Charte. Par conséquent, j'inscris ma dissidence pour les motifs qui suivent.

L'alinéa 10b) de la Charte prévoit que «[c]hacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention [. . .] d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit . . .» (je souligne). Il s'ensuit inévitablement que le droit d'être informé inclus à l'al. 10b) vise seulement l'information relative au droit à l'assistance d'un avocat comme le mentionne cet alinéa. En conséquence, puisque l'al. 10b) n'exige pas des provinces qu'elles établissent des programmes d'aide juridique ou d'avocats de garde, il ne saurait non plus exiger des policiers qu'ils fournissent aux personnes détenues des renseignements sur ces programmes même lorsqu'ils existent.

En d'autres termes, l'al. 10b) ne pourrait exiger des policiers qu'ils informent toute personne détenue de l'existence de programmes d'avocats de garde que si l'établissement même de ces programmes était prévu par cet alinéa. Toutefois, dans l'arrêt Prosper, précité, le Juge en chef et moi‑même avons clairement reconnu que l'al. 10b) de la Charte n'impose pas comme obligation constitutionnelle d'établir des services d'avocats de garde dans tout le pays. Puisqu'il n'existe pas d'obligation constitutionnelle d'établir ces services, la police n'a pas, en vertu de la Constitution, l'obligation de renseigner une personne détenue sur ces programmes, s'il en existe, à moins que la personne détenue ne s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat.

À partir de ces prémisses, puisque les policiers ont par ailleurs satisfait aux exigences, examinées précédemment, que leur impose l'al. 10b), c'est‑à‑dire de mettre en garde et d'informer la personne mise en détention et de lui faciliter le recours à un avocat, ce pourvoi devrait être rejeté.

Exiger, comme le font le Juge en chef et le juge McLachlin que les policiers soient constitutionnellement tenus d'informer une personne détenue des programmes d'aide juridique et d'avocats de garde dans tous les cas où de tels programmes existent revient à accepter la proposition selon laquelle, lorsqu'un gouvernement, en l'occurrence celui de l'Ontario, crée ou offre un service ou, quant à cela, prend quelque disposition que ce soit qui va au delà de l'exigence constitutionnelle minimale, une obligation constitutionnelle peut être créée. C'est là, à mon sens, inviter clairement les provinces, d'une part, à s'abstenir de faire plus que ce qui est strictement exigé par la Constitution et, d'autre part, à abandonner les pratiques qui vont au delà des exigences constitutionnelles minimales. Il s'agit là d'une étrange proposition, qui ne peut tout simplement pas être étayée par les principes d'interprétation de la Constitution ni par la jurisprudence.

Ces considérations m'amènent à l'examen de l'arrêt Brydges, précité, que le Juge en chef et le juge McLachlin citent à l'appui de leur proposition selon laquelle les autorités sont constitutionnellement tenues d'informer toute personne détenue des services temporaires d'avocats de garde 24 heures par jour qui existent. La ratio decidendi de l'arrêt Brydges, précité, n'impose toutefois pas aux policiers d'autre obligation que celle d'informer une personne détenue de la possibilité d'obtenir des conseils gratuits de l'aide juridique et d'avocats de garde lorsque la personne détenue s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat. L'opinion du juge Lamer (maintenant Juge en chef) dans l'arrêt Brydges relativement à la nécessité d'informer une personne détenue dans toutes les circonstances des services d'aide juridique ou d'avocats de garde qui existent était purement obiter, comme l'indique le juge La Forest, aux motifs duquel le juge McLachlin et moi‑même avons souscrit, à la p. 218:

Je suis d'accord avec le juge Lamer pour dire que, d'après les faits de la présente affaire, le pourvoi doit être accueilli et le verdict d'acquittement rétabli, mais je juge inutile d'examiner les questions plus générales soulevées par mon collègue dans la dernière partie de ses motifs.

Par ailleurs, la Constitution n'impose pas de norme de perfection relativement aux droits garantis par la Charte. Comme l'affirme le Juge en chef dans l'arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, à la p. 142, «la Constitution ne garantit pas toujours la situation "idéale"». Ce passage a été cité avec approbation dans les arrêts R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154 (le juge en chef Lamer, dissident quant au résultat); R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3, à la p. 53 (le juge McLachlin); et R. c. Finlay, [1993] 3 R.C.S. 103, à la p. 114 (le juge en chef Lamer). À titre d'exemple, notre Cour a décidé que l'al. 11d) de la Charte, en ce qui concerne l'indépendance judiciaire, ne garantit pas la «situation idéale» (Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, aux pp. 692, 698, 706, 711 et 712 (le juge Le Dain); R. c. Lippé, précité, aux pp. 142 et 143 (le juge en chef Lamer)). Depuis l'arrêt R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, il est bien clair que, si l'art. 7 de la Charte exige l'équité procédurale, cela ne donne pas à l'accusé le droit «de bénéficier des procédures les plus favorables que l'on puisse imaginer» (le juge La Forest, à la p. 362). (Voir aussi R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la p. 412 (le juge La Forest); Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, à la p. 540 (le juge La Forest); Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053, à la p. 1077 (le juge Iacobucci); R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419, à la p. 454 (le juge L'Heureux‑Dubé); R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475, à la p. 492 (le juge L'Heureux‑Dubé); et R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701, à la p. 774 (le juge La Forest, dissident pour d'autres motifs)). Appliquant ici le même critère et, je le répète, même s'il est souhaitable que la police informe les personnes détenues de l'existence des services d'aide juridique et d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir, cette information n'est pas requise par les dispositions de l'al. 10b) de la Charte, sauf si la personne détenue exprime une préoccupation quant à sa capacité d'assumer les frais d'un avocat. Rendre constitutionnelle l'exigence que les policiers informent toute personne détenue de la possibilité de recourir à un service d'avocats de garde 24 heures par jour lorsqu'un tel service existe, même si la personne ne manifeste pas de préoccupation à cet égard, reviendrait à imposer une norme constitutionnelle de perfection que n'exige pas l'al. 10b) de la Charte.

Cela étant dit, même si j'étais d'accord avec le Juge en chef et le juge McLachlin pour dire que l'al. 10b) impose aux policiers l'obligation d'informer les personnes détenues de leur droit à un service d'avocats de garde assuré 24 heures par jour quand il en existe un, comme en l'espèce, je conclurais néanmoins que la preuve obtenue au moyen de l'alcootest et la déclaration de l'appelant selon laquelle il avait pris cinq ou six bières le soir où il a été arrêté ne devraient pas être écartées en application du par. 24(2) de la Charte. Dans l'arrêt Strachan, précité, le juge en chef Dickson affirme (à la p. 1008) que «[c]e n'est pas toute violation du droit à l'assistance d'un avocat qui entraîne l'exclusion des éléments de preuve». J'accepte cet énoncé comme représentant l'état du droit. En outre, je suis tout à fait d'accord avec la Cour d'appel quand elle dit, aux pp. 358 et 359:

[traduction] Les faits des appels portés devant nous diffèrent considérablement [de ceux de l'arrêt Brydges, précité]. Dans les présentes espèces, les policiers avaient manifestement l'intention de donner aux accusés accès à un avocat: ils ont suivi la procédure spécialement établie en conformité avec l'arrêt Brydges de la Cour suprême du Canada. Si nous avons tort et que l'omission de la police de donner le numéro 1‑800 et d'informer les accusés de la possibilité d'avoir recours à un avocat de garde 24 heures par jour constitue une violation des droits que leur garantit l'al. 10b), nous sommes d'avis que les faits de toutes ces affaires correspondent précisément au passage cité ci‑dessus du juge en chef Dickson [R. c. Strachan, précité] et que c'est l'exclusion des éléments de preuve obtenus dans les circonstances et non leur utilisation qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. [Je souligne.]

Compte tenu du critère énoncé dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, les résultats des deux alcootests auxquels l'appelant a échoué et la déclaration incriminante de ce dernier ne devraient pas être écartés en application du par. 24(2) de la Charte car, à mon avis, la violation, s'il y en avait eu une, n'était pas grave et l'utilisation de ces éléments de preuve n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et de rendre le procès inéquitable.

Quant à l'équité du procès, premièrement, les résultats des alcootests ne sont pas vraiment des éléments de preuve auto‑incriminants dans le même sens qu'un aveu, même s'ils sont souvent ainsi qualifiés. Comme l'a affirmé le juge Chipman de la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle‑Écosse dans l'arrêt R. c. Prosper (1992), 113 N.S.R. (2d) 156, à la p. 166:

[traduction] . . . bien que l'échantillon d'haleine puisse plus correctement être qualifié de preuve auto‑incriminante plutôt que de preuve matérielle, il faut faire une distinction entre celui‑ci et un aveu; dans ce dernier cas, l'accusé agit contre lui‑même et crée un élément de preuve qui n'existait pas auparavant et qu'il n'était pas tenu de fournir.

L'alcootest est simplement un appareil qui permet de rendre compte d'un certain état d'affaiblissement des facultés. Il est conçu pour remplacer les observations faites par les policiers, qui peuvent être moins exactes, et pour faciliter leur travail. De plus, il réduit les frais qu'occasionne le témoignage des policiers en cour. Dire que les résultats des alcootests constituent une «preuve obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même», pour reprendre l'expression du Juge en chef, élargit considérablement cette notion, à mon sens. Les résultats produits par l'alcootest sont plutôt des indices d'une condition physique préexistante, que les policiers peuvent en fait observer et dont ils peuvent prendre note. En effet, comme le couteau dans l'arrêt Black, précité, la preuve fournie par l'alcootest ne dépend pas d'une déclaration de l'appelant. Les policiers auraient obligé l'appelant à subir l'alcootest, sans égard au fait qu'il leur ait parlé à eux ou à un avocat puisque l'al. 254(3)a) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, oblige l'appelant à se soumettre à l'alcootest. Vu ces circonstances, l'admission des résultats des deux alcootests ne rendrait pas le procès inéquitable.

Deuxièmement, bien que, comme le donne à entendre le Juge en chef, la déclaration incriminante de l'appelant selon laquelle il avait pris cinq ou six bières ce soir‑là n'aurait peut‑être pas été faite comme telle n'eût été la violation de la Charte, je ne crois pas que son admission en preuve causerait un préjudice grave à l'appelant puisqu'elle fournit des éléments de preuve qu'on aurait pu obtenir par ailleurs de façon indépendante, grâce aux résultats des deux alcootests (pour une situation analogue, voir l'arrêt Smith (Norman MacPherson), précité, aux pp. 731 et 732 (le juge McLachlin)). Pour reprendre les mots du Juge en chef dans l'arrêt Collins, précité, la déclaration n'est pas «essentiel[le] pour justifier l'accusation» (p. 286). Dans les circonstances, je ne peux conclure que son admission causerait un préjudice grave à l'appelant. Par surcroît, contrairement au Juge en chef, je ne me perdrais pas en conjectures pour décider si l'appelant aurait agi autrement si son droit à l'assistance d'un avocat n'avait pas été violé et je ne ferais pas de commentaire sur la charge de la preuve dans le cadre de cette partie de l'analyse fondée sur le par. 24(2).

Le deuxième groupe de facteurs à prendre en considération selon l'arrêt Collins, précité, dans le cadre d'une analyse fondée sur le par. 24(2) porte sur la gravité de la violation de la Charte. À mon avis, ce deuxième groupe de facteurs milite aussi en faveur de l'admission des éléments de preuve en question. En l'espèce, comme l'a conclu le juge Cavarzan ((1992), 41 M.V.R. (2d) 266, à la p. 274), la preuve n'indique aucune mauvaise foi de la part des policiers, qui ont demandé à deux reprises à l'appelant s'il voulait communiquer avec un avocat et qui l'ont entendu deux fois refuser. L'agent Pray s'est appuyé sur le libellé révisé de la mise en garde faite en vertu de l'al. 10b) qui avait été remise à tous les policiers par suite de l'arrêt Brydges, précité, et il a cru qu'il s'acquittait ainsi de ses obligations constitutionnelles. Par conséquent, comme le Juge en chef le fait remarquer lui‑même, le deuxième groupe de facteurs milite en faveur de l'admission de la preuve.

Suivant l'arrêt R. c. Collins, précité, le dernier groupe de facteurs à examiner est «l'effet de l'exclusion sur la considération dont jouit l'administration de la justice» (pp. 74 (je souligne) et 77 et 78), pour employer les termes de mon collègue le juge La Forest dans l'arrêt R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20. Dans son article «Update: R. v. Colarusso» (1994), 4 N.J.C.L. 223, Cassandra Kirewskie fait les observations suivantes sur cette formulation du troisième volet du critère énoncé dans l'arrêt Collins (à la p. 230):

[traduction] Peut‑être l'élément le plus étrange du jugement de la majorité [dans l'arrêt R. c. Colarusso, précité] réside‑t‑il dans la manière dont elle a traité du troisième volet du critère énoncé dans l'arrêt Collins. Alors que ce critère consiste d'ordinaire à se demander si l'admission de la preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et que la question est normalement examinée dans l'optique du droit et non de la société en général, dans l'arrêt Colarusso, la majorité a reformulé le critère, disant qu'il consiste à étudier «l'effet de l'exclusion sur la considération dont jouit l'administration de la justice.» C'est une modification d'importance, quoiqu'elle n'ait pas été expliquée.

Je ne suis pas d'accord. Dans l'arrêt R. c. Collins, précité, le juge Lamer (maintenant Juge en chef), s'exprimant au nom de la majorité, décrit de la façon suivante le troisième volet du critère, aux pp. 285 et 286:

Le dernier groupe pertinent de facteurs comprend ceux qui se rapportent à l'effet de l'exclusion de la preuve. La question qui se pose en vertu du par. 24(2) est de savoir si la considération dont jouit le système sera mieux servie par l'admission ou par l'exclusion de la preuve et il devient donc nécessaire d'examiner la déconsidération qui peut découler de l'exclusion de la preuve. [Je souligne.]

Par conséquent, la formulation que le juge La Forest a faite du troisième volet du critère énoncé dans l'arrêt Collins est, à mon avis, conforme à la formulation initiale de cet arrêt.

En l'espèce, l'appelant a été inculpé de l'infraction prévue à l'al. 253b) du Code, c'est‑à‑dire d'avoir eu la garde ou le contrôle d'un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait 80 mg d'alcool par 100 ml de sang. Il a été déclaré coupable. Les infractions créées par l'al. 253b) sont très graves; notre Cour l'a invariablement reconnu. Dans l'arrêt R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, aux pp. 654 et 655, le juge Le Dain a fait siens les propos qui suivent du juge Finlayson dans l'arrêt R. c. Seo (1986), 25 C.C.C. (3d) 385 (C.A. Ont.), aux pp. 398 et 399:

[traduction]

(1)Les ministres fédéraux de la Justice et les experts en matière de recherche sur les accidents de la circulation ont reconnu depuis de nombreuses années l'existence du problème de l'alcool au volant.

(2)Le problème de l'alcool au volant n'a pas été enrayé. Il est très grave et doit faire l'objet de mesures urgentes.

(3)Il existe un lien direct entre l'alcool au volant et les accidents d'automobile.

(4)La gravité des accidents augmente presque proportionnellement avec la quantité d'alcool consommé.

(5)On constate la fréquence la plus élevée de conduite avec facultés affaiblies tard dans la soirée et tôt le matin, et le degré d'ébriété ainsi que la gravité des accidents sont encore une fois presque directement proportionnels au moment de la journée.

(6)Le nombre d'accidents augmente d'une manière spectaculaire lorsque l'alcoolémie atteint 80 mg par 100 ml de sang.

(7)Le nombre et la gravité des accidents sont très élevés au niveau d'alcoolémie dit modéré situé entre 80 et 120 mg.

(8)La découverte des conducteurs aux facultés modérément affaiblies au moyen de l'observation par des policiers entraînés est inefficace.

(9)L'augmentation des peines n'a pas été un moyen de dissuasion efficace.

(10)La forte possibilité d'être découvert constitue le moyen de dissuasion le plus efficace.

(Voir aussi l'arrêt R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621, aux pp. 635 à 637 (le juge Le Dain)).

Plus récemment, dans l'arrêt R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257, mon collègue le juge Cory a mis l'accent sur le «carnage» sur nos routes (à la p. 1280) et souligné la gravité des infractions relatives à la conduite en état d'ébriété (à la p. 1282):

La réduction du nombre de conducteurs en état d'ébriété constitue un autre volet de l'objectif légitime de la loi concernant la sécurité sur les routes. Les études sur ce sujet ont reçu beaucoup de publicité au cours des dernières années. Encore une fois, une preuve écrasante confirme le rapport entre les accidents graves et la conduite sous l'influence de l'alcool ou d'autres drogues. En 1984, le pourcentage du nombre d'accidents dus à la consommation d'alcool ou de drogue est passé de 8 pour 100 de tous les accidents à 10 pour 100 des accidents causant des blessures et même encore plus à 31 pour 100 des accidents mortels (Ontario Motor Vehicle Accident Facts: 1984). Cette corrélation est devenue la justification de vastes campagnes qui visent à éduquer les gens au sujet de l'alcool au volant et comportent des programmes structurés d'interpellations au hasard comme le programme R.I.D.E. dans les centres plus importants, qui ont pour objet de réduire la conduite en état d'ébriété. [Je souligne.]

(Voir également l'arrêt connexe rendu simultanément: R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291, aux pp. 1296 et 1297 (le juge Cory)).

Dans l'arrêt R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615, le juge Cory a souligné à la p. 622 que, d'après les arrêts Hufsky et Ladouceur, précités, les interpellations au hasard étaient justifiées en vertu de l'article premier de la Charte «puisqu'elles visaient à combattre le problème grave et urgent des décès et des blessures causés par la conduite dangereuse sur nos routes». Puis, il a ajouté, à la p. 624:

Les programmes de contrôle routier entraînent la détention arbitraire d'automobilistes. Ces programmes sont justifiés dans la mesure où ils visent à réduire le nombre effroyable de décès et de blessures si souvent causés par des conducteurs dont les facultés sont affaiblies ou par des véhicules dangereux. Le programme vise donc principalement à vérifier la sobriété des conducteurs, leur permis, leur certificat de propriété, leurs assurances et l'état mécanique de leur automobile. [Je souligne.]

En l'espèce, le Juge en chef reconnaît lui‑même «que la conduite en état d'ébriété présente un danger important pour la sécurité publique» (p. 219). Vu tout ce qui précède, je suis d'avis que, compte tenu de l'équité du procès et de la nature de la violation de la Charte, la gravité des infractions prévues à l'al. 253b) du Code signifie que c'est l'exclusion, et non l'admission, des éléments de preuve qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

En conséquence, si j'avais conclu à la violation de l'al. 10b), ce qui n'est pas le cas, je n'écarterais pas, en vertu du par. 24(2) de la Charte, la preuve obtenue au moyen des alcootests ni la déclaration de l'appelant.

Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi et de maintenir la déclaration de culpabilité de l'appelant.

Version française des motifs rendus par

//Le juge Gonthier//

Le juge Gonthier (dissident) — Je souscris aux propos du Juge en chef quant à l'étendue de l'obligation qu'a la police d'informer toute personne arrêtée ou mise en détention de l'existence de services d'avocats de garde et je conclus comme lui qu'il y a eu violation des droits que l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à l'appelant.

Cependant, à l'instar du juge L'Heureux‑Dubé, je n'écarterais pas, en application du par. 24(2) de la Charte, la preuve obtenue au moyen de l'alcootest ni la déclaration de l'appelant.

Je suis donc d'avis de rejeter le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité de l'appelant.

Version française des motifs rendus par

//Le juge McLachlin//

Le juge McLachlin — Je suis d'accord avec l'analyse et la conclusion du Juge en chef; cependant, je tiens à ajouter quelques commentaires relativement au volet information de l'al. 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés, compte tenu de la démarche que j'ai adoptée à ce sujet dans l'arrêt R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, rendu simultanément.

Dans Prosper, j'affirme que toute personne mise en détention doit, tout au moins, être informée qu'elle a le droit de communiquer immédiatement avec un avocat et que ce droit lui est accordé même si elle ne peut pas assumer les frais d'un avocat de cabinet privé. Ces renseignements doivent être fournis à toute personne détenue, qu'il y ait ou non un système d'avocats de garde dans le ressort au moment de la mise en détention. Toutes les personnes détenues au Canada ont des droits égaux en vertu de l'al. 10b); cependant, les moyens d'exercice de ces droits pourraient bien ne pas exister dans tous les ressorts. S'il n'existe aucun moyen de mettre en application le droit à l'assistance d'un avocat en vertu de l'al. 10b), toute personne détenue a néanmoins le droit d'être informée de l'étendue de ses droits, après quoi elle peut faire un choix éclairé quant à leur exercice. Dans les ressorts où a été mis en oeuvre un système d'avocats de garde, il existe une obligation supplémentaire d'informer toute personne détenue de l'existence de ce service, y compris de la façon d'y avoir accès.

En l'espèce, l'appelant a été arrêté le 22 juin 1991, vers 1 h, après qu'il eut échoué à l'alcootest routier ALERT. Il a reçu lecture de la mise en garde suivante, qui était imprimée sur un carton:

Vous avez le droit de retenir les services d'un avocat et de le consulter sans délai.

Vous avez le droit de téléphoner à l'avocat de votre choix.

Vous avez également droit aux conseils gratuits d'un avocat de l'aide juridique.

Si une accusation est portée contre vous, vous pouvez faire une demande d'aide auprès du Régime d'aide juridique de l'Ontario.

À mon avis, la mise en garde donnée à l'appelant n'a même pas réussi à satisfaire aux deux exigences minimales du volet information de l'al. 10b), que j'ai formulées dans l'arrêt Prosper. Premièrement, cette mise en garde n'a pas réussi à lui communiquer qu'il avait le droit, à l'étape préliminaire à la mise en accusation, de communiquer avec un avocat avant de s'incriminer. Deuxièmement, la mise en garde n'a pas indiqué à la personne détenue l'étendue de son droit à l'assistance d'un avocat, c'est‑à‑dire que l'appelant n'a pas été adéquatement informé qu'il avait le droit d'obtenir immédiatement l'assistance d'un avocat, quelle que soit sa capacité d'assumer les frais d'un avocat de cabinet privé. Qui plus est, comme il y avait un système d'avocats de garde en service 24 heures par jour à l'époque de la détention de l'appelant, la police devait aussi l'informer de l'existence et de l'accessibilité de ce service et aurait dû lui fournir le numéro sans frais lui permettant d'avoir accès à un avocat.

De toute évidence, on n'a satisfait à aucune des trois exigences du volet information de l'al. 10b), que j'ai formulées dans mes motifs de l'arrêt Prosper. Je souscris à la conclusion du Juge en chef qu'il y a eu en l'espèce manquement au volet information de l'al. 10b); cependant, parce que les deux exigences minimales n'ont pas été respectées, je suis d'avis que la violation s'est produite avant que la police omette d'informer l'appelant de l'existence d'un service d'avocats de garde. Une fois établi que la personne détenue n'a pas été informée comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat, je suis d'accord avec le Juge en chef pour dire que la violation de l'al. 10b) est complète et que les questions de renonciation et de diligence raisonnable ne se posent pas.

Pour les motifs donnés par le Juge en chef, je suis d'avis que l'exclusion des éléments de preuve attaqués, en application du par. 24(2) de la Charte, sert l'intérêt de l'administration de la justice.

En définitive, je suis d'avis de trancher le pourvoi de la façon proposée par le juge en chef Lamer.

Pourvoi accueilli*, les juges L'Heureux-Dubé et Gonthier dissidents.

Procureurs de l'appelant: Gold & Fuerst, Toronto.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de l'Ontario, Toronto.

* Voir Erratum [1994] 3 R.C.S. iv


Synthèse
Référence neutre : [1994] 3 R.C.S. 173 ?
Date de la décision : 29/09/1994
Sens de l'arrêt : (les juges l'heureux‑dubé et gonthier sont dissidents)

Analyses

Droit constitutionnel - Charte des droits - Droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit - Services gratuits d'avocats de garde - Mention faite au moment de l'arrestation de la possibilité de recourir à l'aide juridique mais non de l'accessibilité de services juridiques gratuits et immédiats par appel téléphonique sans frais - Arrestation après les heures de bureau - La personne arrêtée ne sait pas qui appeler - Déclaration incriminante - Faut‑il écarter la déclaration? - Charte canadienne des droits et libertés, art. 10b), 24(2) - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 253b), 254(3)a), b), (5).

L'appelant a été arrêté un samedi vers 1h du matin pour conduite avec facultés affaiblies après avoir échoué à un alcootest routier. L'agent qui l'a arrêté lui a fait lecture des droits que l'al. 10b) de la Charte lui garantit, en se servant d'un carton préimprimé de mise en garde qui mentionnait la possibilité d'obtenir l'aide juridique. Toutefois l'agent ne lui a pas parlé de la possibilité d'obtenir gratuitement et immédiatement des conseils juridiques préliminaires d'un avocat de garde qu'il pouvait joindre en composant un numéro de téléphone sans frais imprimé sur le carton. Peu après la mise en garde, l'appelant a fait une déclaration incriminante. Au poste de police, on lui a demandé deux fois s'il voulait appeler un avocat, mais là encore sans mentionner le numéro sans frais des services d'avocats de garde. Les deux fois, l'appelant a refusé. Il a témoigné plus tard qu'il pensait qu'il ne pouvait communiquer avec un avocat que durant les heures de bureau, et qu'il avait dit à un agent qu'il ne savait pas qui appeler à cette heure de la nuit. L'agent a témoigné en revanche que l'appelant avait simplement dit «non» quand il lui avait demandé s'il voulait appeler un avocat.

La déclaration de culpabilité de l'appelant a été annulée par la Cour de l'Ontario, Division générale, puis rétablie par la Cour d'appel. Il s'agit de décider si le volet information de l'al. 10b) de la Charte oblige les policiers à mentionner systématiquement l'existence de services d'avocats de garde donnant des conseils juridiques préliminaires gratuits, 24 heures par jour, par appel téléphonique sans frais, et dans l'affirmative, si les éléments de preuve obtenus par suite du manquement des policiers à leur obligation d'informer doivent être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte.

Arrêt: (Les juges L'Heureux‑Dubé et Gonthier sont dissidents): Le pourvoi est accueilli.

Les réponses aux questions soumises sont les suivantes:

L'alinéa 10b) de la Charte a été violé: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major (le juge L'Heureux‑Dubé est dissidente).

Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, Sopinka, Gonthier, Cory, Iacobucci et Major concluent qu'il existe une obligation d'informer les personnes détenues de l'existence de services d'avocats de garde. Le juge McLachlin conclut qu'il existe une obligation d'informer du droit de communiquer immédiatement avec un avocat sans égard aux moyens financiers, même quand il n'y a pas de système d'avocats de garde. Le juge L'Heureux‑Dubé conclut qu'il n'existe pas d'obligation d'informer les personnes détenues de l'existence de services d'avocats, qu'il en existe ou non.

______________________________

(1) L'alinéa 10b) de la Charte

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory, Iacobucci et Major: L'alinéa 10b) impose trois obligations aux représentants de l'État: informer la personne détenue de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, lui donner la possibilité raisonnable d'exercer ce droit et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable. La première obligation touche à l'information. Les deuxième et troisième sont des obligations de mise en application qui ne prennent naissance que si la personne détenue indique qu'elle veut exercer son droit à l'assistance d'un avocat. Le droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b) n'est pas absolu. À moins que la personne détenue ne fasse valoir son droit et qu'elle ne l'exerce avec diligence, l'obligation correspondante des policiers de lui donner la possibilité raisonnable de l'exercer et de s'abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve, soit ne prendra pas naissance, soit sera suspendue. La personne détenue peut renoncer aux droits garantis par l'al. 10b), mais la norme est stricte, surtout lorsque la renonciation alléguée a été implicite. Le volet information du droit à l'assistance d'un avocat doit donc avoir une portée large et les policiers doivent donner les renseignements «promptement et d'une manière compréhensible». À moins d'être clairement et complètement informées de leurs droits dès le début, les personnes détenues ne sauraient faire des choix et prendre des décisions éclairées quant à savoir si elles communiqueront avec un avocat et, en outre, si elles exerceront d'autres droits, comme celui de garder le silence. Qui plus est, étant donné la règle selon laquelle, en l'absence de circonstances particulières indiquant que la personne détenue ne comprend pas la mise en garde prévue à l'al. 10b), les policiers ne sont pas tenus de s'assurer qu'elle comprend pleinement ses droits, il importe que la mise en garde type soit aussi instructive et claire que possible.

La jurisprudence a ajouté deux éléments au volet information: les renseignements sur l'accès à l'aide juridique et à des avocats de garde.

L'imposition d'exigences supplémentaires aux policiers en matière d'information est justifiée par la nécessité de réaliser l'objectif sous‑jacent du droit à l'assistance d'un avocat que garantit la Charte. Le volet information de l'al. 10b), c.‑à‑d. l'information donnée dans tous les cas aux personnes détenues et dont dépendent les obligations corrélatives de l'État, revêt un caractère essentiel.

L'arrêt R. c. Brydges énonce le principe que les autorités policières sont tenues d'informer les personnes en détention de l'existence dans leur province ou territoire de services d'aide juridique et d'avocats de garde. La mise en garde type faite en vertu de l'al. 10b) devrait comprendre des renseignements de base sur la façon d'avoir accès aux conseils juridiques préliminaires gratuits qui sont à la disposition de ces personnes. L'omission de donner ces renseignements constitue une violation de l'al. 10b). Si les policiers ne se sont pas conformés à leurs obligations découlant de l'al. 10b), on n'a pas à se demander si la personne détenue a exercé son droit de se voir faciliter le recours à l'assistance d'un avocat (toutefois ces questions peuvent être pertinentes lorsqu'il faut décider s'il y a lieu d'écarter, conformément au par. 24(2) de la Charte, les éléments de preuve obtenus par suite de la violation de la Charte). La violation de l'al. 10b) est complète, sauf dans les cas de renonciation ou d'urgence, quand les représentants de l'État n'informent pas la personne détenue comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat et ce, jusqu'à ce que cette omission ait été corrigée.

Pour qu'une renonciation à un droit procédural soit valide, il faut qu'il soit bien clair que la personne renonce au moyen de procédure conçu pour sa protection et qu'elle le fait en pleine connaissance des droits que cette procédure vise à protéger. Ce critère s'applique également aux droits garantis par la Charte. Dans le cas du volet information de l'al. 10b), pour qu'une personne renonçant au droit le fasse en «pleine connaissance», elle doit être déjà pleinement informée des renseignements qu'elle est en droit de recevoir. Si une personne détenue indique qu'elle ne désire pas entendre lecture des renseignements figurant sur la «mise en garde» habituelle donnée en vertu de l'al. 10b), ce fait ne constituera pas en soi une renonciation valide au volet information de l'al. 10b).

Lorsque les circonstances révèlent qu'une personne détenue ne comprend pas la mise en garde habituelle, les autorités doivent prendre des mesures additionnelles pour s'assurer qu'elle comprend ses droits en vertu de l'al. 10b) et les moyens qui lui permettront de les exercer. Par contre, il peut à l'occasion y avoir des cas où l'obligation des autorités de prendre des moyens raisonnables d'informer la personne détenue des droits que lui garantit l'al. 10b) sera respectée même s'il y a omission de certains éléments de la mise en garde habituelle. Cela sera possible seulement si la personne détenue renonce explicitement à son droit de recevoir la mise en garde habituelle et si les circonstances révèlent des motifs raisonnables de croire qu'elle connaît ses droits, les a invoqués et est au courant des moyens de les exercer. Le fait qu'une personne détenue indique simplement qu'elle connaît ses droits n'établira pas en soi l'existence de motifs raisonnables de croire qu'elle en comprend pleinement l'ampleur ou qu'elle est au courant des moyens de les mettre en oeuvre. Il doit exister des motifs raisonnables de croire qu'une personne détenue qui renonce au volet information de l'al. 10b) est véritablement au courant de la totalité ou d'une partie des renseignements contenus dans la mise en garde habituelle. Dans ce cas, il peut ne pas y avoir violation de l'al. 10b) si l'on omet les renseignements en question dans la lecture de la mise en garde habituelle.

La norme relative à la renonciation au droit d'être informé est stricte. Compte tenu de l'importance du volet information dans l'atteinte des objectifs de l'al. 10b), on ne devrait reconnaître la validité d'une renonciation que dans les cas où il est évident que la personne détenue comprend pleinement les droits que lui garantit l'al. 10b) ainsi que les moyens qui lui sont offerts pour les exercer, et qu'elle invoque ces droits. En exigeant le respect de ces conditions, on s'assure qu'une renonciation au droit à l'assistance d'un avocat, qui suit une renonciation au droit d'être informé, est une décision prise en pleine connaissance de cause. Puisque les obligations d'informer que l'al. 10b) impose aux autorités de l'État ne sont pas écrasantes, il n'est pas déraisonnable d'insister pour que ces autorités dissipent toute incertitude quant à la connaissance que la personne détenue a de ses droits.

L'appelant en l'espèce n'a pas exprimé un désir quelconque de renoncer à ses droits d'être informé, y compris son droit d'être informé de l'existence de services d'avocats de garde selon Brydges, et, de plus, la preuve n'appuie pas l'inférence qu'il était au courant de leur existence. L'appelant n'a donc pas renoncé au droit d'être informé que lui garantit l'al. 10b); les autorités ont donc contrevenu à cet alinéa en ne l'informant pas convenablement de l'existence des services d'avocats de garde.

Le juge La Forest: L'opinion du juge en chef Lamer est acceptée quant à l'étendue de l'obligation que la police a d'informer une personne arrêtée ou détenue de l'existence de services d'avocats de garde et de la possibilité d'y recourir.

Le juge Gonthier: L'opinion du juge en chef Lamer est acceptée quant à l'étendue de l'obligation qu'a la police d'informer toute personne arrêtée ou mise en détention de l'existence de services d'avocats de garde et quant à la conclusion qu'il y a eu violation des droits que l'al. 10b) garantit à l'appelant.

Le juge McLachlin: Toute personne mise en détention doit, au minimum, être informée qu'elle a le droit de communiquer immédiatement avec un avocat et que ce droit lui est accordé même si elle ne peut pas assumer les frais d'un avocat de cabinet privé. Ces renseignements doivent être fournis à toute personne détenue, qu'il y ait ou non un système d'avocats de garde dans le ressort au moment de la mise en détention. Toutes les personnes détenues au Canada ont des droits égaux en vertu de l'al. 10b); cependant, les moyens d'exercice de ces droits pourraient bien ne pas exister dans tous les ressorts. S'il n'existe aucun moyen de mettre en application le droit à l'assistance d'un avocat en vertu de l'al. 10b), toute personne détenue a néanmoins le droit d'être informée de l'étendue de ses droits, après quoi elle peut faire un choix éclairé quant à leur exercice. Dans les ressorts où a été mis en oeuvre un système d'avocats de garde, il existe une obligation supplémentaire d'informer toute personne détenue de l'existence de ce service, y compris de la façon d'y avoir accès.

La mise en garde donnée en l'espèce n'a même pas réussi à satisfaire aux deux exigences minimales du volet information de l'al. 10b), et encore moins à l'exigence supplémentaire d'informer la personne détenue des services disponibles. Une fois établi que la personne détenue n'a pas été informée comme il se doit de son droit à l'assistance d'un avocat, la violation de l'al. 10b) est complète et les questions de renonciation et de diligence raisonnable ne se posent pas.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): L'alinéa 10b) de la Charte oblige les policiers à informer une personne en état d'arrestation ou en détention de son droit de consulter un avocat de son choix. Si la personne exprime le désir de consulter un avocat, les policiers doivent lui fournir une possibilité raisonnable de le faire et s'abstenir de l'interroger jusqu'à ce qu'elle ait eu cette possibilité raisonnable, à la condition toutefois que la personne fasse preuve de diligence raisonnable lorsqu'elle tente de consulter un avocat.

S'il est souhaitable dans tous les cas d'informer une personne détenue de l'existence des services d'avocats de garde, ce n'est pas une exigence constitutionnelle imposée par l'al. 10b) de la Charte. Puisque l'al. 10b) n'exige pas des provinces qu'elles établissent des programmes d'aide juridique ou d'avocats de garde, il n'est pas constitutionnellement exigé des policiers qu'ils fournissent aux personnes détenues des renseignements sur ces programmes, même lorsqu'ils existent. L'arrêt Brydges n'impose pas aux policiers d'autre obligation que celle d'informer une personne détenue de la possibilité d'obtenir des conseils gratuits de l'aide juridique et d'avocats de garde lorsque cette personne s'inquiète de sa capacité d'assumer les frais d'un avocat.

Par conséquent, puisque les policiers ont satisfait aux exigences que leur impose l'al. 10b), c'est‑à‑dire de mettre en garde et d'informer la personne mise en détention et de lui faciliter le recours à un avocat, ce pourvoi devrait être rejeté.

(2) Le paragraphe 24(2) de la Charte

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Cory, Iacobucci et Major: Pour écarter des éléments de preuve en vertu du par. 24(2), il faut d'abord qu'il y ait eu violation de la Charte à l'occasion de l'obtention des éléments de preuve et que le tribunal conclue que, eu égard aux circonstances, l'utilisation des éléments de preuve est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice. En l'espèce, tant les éléments de preuve fournis par l'alcootest que la déclaration auto‑incriminante ont été obtenus dans le contexte de la violation du droit de l'appelant à l'assistance d'un avocat garanti par l'al. 10b).

Bien que celui qui demande l'exclusion prévue au par. 24(2) assume la charge ultime de persuasion, la charge relative à certains éléments de preuve revient au ministère public. À la seconde étape du par. 24(2), la question se pose de savoir si l'accusé aurait agi différemment sans la violation de l'al. 10b). Le ministère public a la charge ultime (la charge de persuasion) d'établir que le requérant qui invoque le par. 24(2) n'aurait pas agi différemment. Si une preuve a été obtenue en mobilisant l'accusé contre lui‑même, il faut en conclure qu'une atteinte a été portée à l'équité du procès, parce que la preuve n'aurait peut‑être pas été obtenue en l'absence de violation. Cette conclusion repose sur deux motifs. Premièrement, les violations de l'al. 10b) tendent à se répercuter directement sur l'équité du procès. Dans les cas où une déclaration auto‑incriminante (par opposition à une preuve matérielle) a été obtenue par suite de la violation de l'al. 10b), son utilisation nuira généralement à l'équité du procès. Deuxièmement, étant donné les mises en garde qu'a faites notre Cour au sujet des dangers des conjectures sur les conseils qu'un avocat aurait donnés à la personne détenue si l'al. 10b) n'avait pas été violé, tout doute sur ce que l'accusé aurait fait doit être dissipé à son avantage. Au regard de l'effet de l'utilisation des éléments de preuve sur l'équité du procès, les tribunaux présument que la preuve auto‑incriminante n'aurait pas été obtenue sans la violation.

Si l'État prétend qu'il n'y avait aucun lien de causalité entre la violation de la Charte et l'obtention de la preuve, il lui incombe de prouver son affirmation.

Bien que l'éventail des conseils juridiques susceptibles d'être donnés dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies soit nécessairement limité, l'éventail des conseils juridiques qui peuvent être donnés à la personne détenue qui a reçu l'ordre de fournir un échantillon d'haleine en conformité avec l'al. 254(3)a) du Code est suffisant pour dire que les tribunaux ne doivent pas conjecturer sur la nature de ces conseils et sur la question de savoir s'ils influeraient sur l'issue de la cause. Il faut éviter de trancher avec l'avantage du recul la question de savoir si, d'après les faits, l'accusé pouvait effectivement faire valoir le moyen de défense de «l'absence de motifs raisonnables et probables». L'alinéa 10b) vise notamment à fournir aux personnes détenues la possibilité de faire des choix éclairés au sujet des droits et des obligations que la loi leur reconnaît. Cette possibilité n'est pas moins importante quand des accusations relatives à l'alcootest sont en cause. On ne saurait affirmer que la preuve fournie par l'alcootest dans le contexte de la conduite avec facultés affaiblies ne constitue pas ipso facto une preuve auto‑incriminante. De la même façon, on ne peut pas dire que son utilisation ne compromet pas l'équité du procès.

Les éléments de preuve doivent être écartés en vertu du par. 24(2) de la Charte. L'utilisation des résultats de l'alcootest et de la déclaration auto‑incriminante nuirait à l'équité du procès. C'est conjecturer que de tenter de tirer des conclusions dans un sens ou dans l'autre sur ce que l'appelant aurait fait s'il avait été mis en garde de façon appropriée; l'incertitude doit donc être dissipée au détriment du ministère public. Si les éléments de preuve contestés se heurtent au facteur de l'«équité du procès», l'admissibilité de ces éléments ne peut être sauvegardée par un recours au facteur de la «gravité de la violation». Quoique la bonne foi des policiers et les questions touchant la gravité de la violation militent en faveur de l'utilisation des éléments de preuve, cela ne saurait remédier à l'atteinte à l'équité du procès que représenterait leur utilisation. Malgré le quasi‑aveu de culpabilité et la gravité du problème que pose la conduite en état d'ébriété, l'exclusion des éléments de preuve en l'espèce sert à long terme l'intérêt de l'administration de la justice. Il faut que le par. 24(2) et l'al. 10b) aient pour effet combiné d'assurer, dans notre système de justice criminelle, le respect et la protection du privilège de ne pas s'incriminer et du principe de l'équité du processus décisionnel.

Le juge La Forest: La preuve obtenue par alcootest doit être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte, essentiellement pour les motifs donnés par le juge en chef Lamer; mais la distinction entre la preuve auto‑incriminante et la preuve matérielle mérite quelques observations. Cette distinction n'est pas toujours utile; ces expressions ne s'excluent pas mutuellement car une preuve peut être les deux à la fois. En l'espèce, la preuve est évidemment auto‑incriminante (quoique par application de la loi), mais on pourrait aussi dire qu'elle constitue une preuve matérielle. Plutôt que de se fonder sur cette distinction, il est plus utile de se demander si l'obtention de la preuve a un lien avec la violation de la Charte.

En l'espèce, la violation de l'al. 10b) a privé l'accusé de la possibilité de faire un choix quant à l'alcootest. Les conseils qu'un avocat pouvait donner dans les circonstances étaient limités, mais ils auraient pu changer le choix fait par l'accusé. Le fait que cette absence de choix était imputable au non‑respect, par la police, de l'obligation formulée dans l'arrêt Brydges, est décisif. Bien que les arguments tendant à l'exclusion de la preuve ne soient pas totalement convaincants, son exclusion en l'espèce sert à long terme l'intérêt de l'administration de la justice, compte tenu de la nécessité de faire ressortir qu'il est important pour la police de se conformer aux obligations imposées quant au droit de l'accusé à l'assistance d'un avocat.

Le juge McLachlin: L'exclusion des éléments de preuve attaqués, en application du par. 24(2), sert l'intérêt de l'administration de la justice.

Le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente): Même s'il y avait eu violation de l'art. 10b), la preuve obtenue au moyen de l'alcootest et la déclaration de l'appelant ne devraient pas être écartées en vertu du par. 24(2) de la Charte, car, selon le critère énoncé dans Collins, la violation n'était pas une violation grave et l'utilisation de ces éléments de preuve n'était pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice et de rendre le procès inéquitable.

Pour ce qui est du premier groupe de facteurs, selon le critère établi dans Collins, l'utilisation des résultats des alcootests ne rendrait pas le procès inéquitable. Ce ne sont pas vraiment des éléments de preuve auto‑incriminants dans le même sens qu'un aveu. Ce sont plutôt des indices d'une condition physique préexistante que les policiers peuvent en fait observer et dont ils peuvent prendre note. Les policiers auraient obligé l'appelant à subir l'alcootest, sans égard au fait qu'il leur ait parlé à eux ou à un avocat puisque le Code criminel oblige l'appelant à se soumettre à l'alcootest.

L'utilisation de la déclaration incriminante, même si elle n'aurait pas été faite sans la violation de la Charte, ne causerait pas un préjudice grave à l'appelant puisqu'elle fournit des éléments de preuve qu'on aurait pu obtenir par ailleurs de façon indépendante, grâce aux résultats des deux alcootests.

Pour ce qui est de la gravité de la violation de la Charte, la preuve indique que les policiers ont agi de bonne foi. En conséquence, le deuxième groupe de facteurs selon Collins milite aussi en faveur de l'utilisation des éléments de preuve en question.

Suivant Collins, le dernier groupe de facteurs à examiner est l'effet de l'exclusion de la preuve sur la considération dont jouit l'administration de la justice. Les infractions créées par l'al. 253b) sont très graves; notre Cour l'a invariablement reconnu. Par conséquent, compte tenu de l'équité du procès et de la nature de la violation de la Charte, la gravité de l'infraction signifie que c'est l'exclusion, et non l'admission, des éléments de preuve qui est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

Le juge Gonthier (dissident): En accord avec le juge L'Heureux‑Dubé, la preuve obtenue n'aurait pas dû être écartée en vertu du par. 24(2) de la Charte.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Bartle

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge en chef Lamer
R. c. Pozniak, [1994] 3 R.C.S. 310
R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343
R. c. Matheson, [1994] 3 R.C.S. 328
R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, inf. (1992), 113 N.S.R. (2d) 156
R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190
R. c. Anderson (1984), 10 C.C.C. (3d) 417
R. c. Parks (1988), 33 C.R.R. 1
R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980
R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233
R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151
Clarkson c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 383
R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869
R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435
R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138
R. c. Dubois, [1990] R.J.Q. 681, (1990), 54 C.C.C. (3d) 166
R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537
R. c. Smith (Norman MacPherson), [1991] 1 R.C.S. 714
Korponay c. Procureur général du Canada, [1982] 1 R.C.S. 41
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495
R. c. Duarte, [1990] 1 R.C.S. 30
R. c. Greffe, [1990] 1 R.C.S. 755
R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3
R. c. Elshaw, [1991] 3 R.C.S. 24
R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398
R. c. Mohl, [1989] 1 R.C.S. 1389
R. c. Jackson (1993), 15 O.R. (3d) 709.
Citée par le juge La Forest
Arrêts mentionnés: R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
R. c. Debot, [1989] 2 R.C.S. 1140
R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190.
Citée par le juge McLachlin
Arrêt suivi: R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236.
Citée par le juge L'Heureux‑Dubé (dissidente)
R. c. Pozniak, [1994] 3 R.C.S. 310
R. c. Harper, [1994] 3 R.C.S. 343
R. c. Matheson, [1994] 3 R.C.S. 328
R. c. Prosper, [1994] 3 R.C.S. 236, inf. (1992), 113 N.S.R. (2d) 156
R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613
R. c. Manninen, [1987] 1 R.C.S. 1233
R. c. Tremblay, [1987] 2 R.C.S. 435
R. c. Baig, [1987] 2 R.C.S. 537
R. c. Strachan, [1988] 2 R.C.S. 980
R. c. Ross, [1989] 1 R.C.S. 3
R. c. Black, [1989] 2 R.C.S. 138
R. c. Smith (Joey Leonard), [1989] 2 R.C.S. 368
R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190
R. c. Schmautz, [1990] 1 R.C.S. 398
R. c. Smith (Norman MacPherson), [1991] 1 R.C.S. 714
R. c. Evans, [1991] 1 R.C.S. 869
R. c. Grant, [1991] 3 R.C.S. 139
R. c. I. (L.R.) et T. (E.), [1993] 4 R.C.S. 504
R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114
R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154
R. c. Creighton, [1993] 3 R.C.S. 3
R. c. Finlay, [1993] 3 R.C.S. 103
Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673
R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309
R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387
Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425
Dehghani c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053
R. c. L. (D.O.), [1993] 4 R.C.S. 419
R. c. Levogiannis, [1993] 4 R.C.S. 475
R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701
R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265
R. c. Colarusso, [1994] 1 R.C.S. 20
R. c. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640
R. c. Seo (1986), 25 C.C.C. (3d) 385
R. c. Hufsky, [1988] 1 R.C.S. 621
R. c. Ladouceur, [1990] 1 R.C.S. 1257
R. c. Wilson, [1990] 1 R.C.S. 1291
R. c. Mellenthin, [1992] 3 R.C.S. 615.
Lois et règlements cités
Charte canadienne des droits et libertés, art. 7, 8, 10b), 11d), 24(2).
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 253b), 254(3)a), (5).
Doctrine citée
Kirewskie, Cassandra. «Update: R. v. Colarusso» (1994), 4 N.J.C.L. 223.
Moore, Kathryn. «Police Implementation of Supreme Court of Canada Charter Decisions: An Empirical Study» (1992), 30 Osgoode Hall L.J. 547.
Prairie Research Associates. Duty Counsel Systems: Summary Report (April 1993).
Prairie Research Associates. Duty Counsel Systems: Technical Report (April 1993).
Sopinka, John, Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant. The Law of Evidence in Canada. Toronto: Butterworths, 1992.

Proposition de citation de la décision: R. c. Bartle, [1994] 3 R.C.S. 173 (29 septembre 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-09-29;.1994..3.r.c.s..173 ?
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