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30/09/1994 | CANADA | N°[1994]_3_R.C.S._133

Canada | R. c. Kent, [1994] 3 R.C.S. 133 (30 septembre 1994)


R. c. Kent, [1994] 3 R.C.S. 133

Helen Marie Kent Appelante

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Kent

No du greffe: 23664.

1994: 30 mai; 1994: 30 septembre.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1993), 122 N.S.R. (2d) 348, 338 A.P.R. 348, qui a accueilli l'appel du ministère public contre l'acquittement de l'accusée relativement à un chef d'accusation d'avoir

gardé des dispositifs de jeu et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli et acquittement rétabli.

Ra...

R. c. Kent, [1994] 3 R.C.S. 133

Helen Marie Kent Appelante

c.

Sa Majesté la Reine Intimée

Répertorié: R. c. Kent

No du greffe: 23664.

1994: 30 mai; 1994: 30 septembre.

Présents: Les juges La Forest, Sopinka, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1993), 122 N.S.R. (2d) 348, 338 A.P.R. 348, qui a accueilli l'appel du ministère public contre l'acquittement de l'accusée relativement à un chef d'accusation d'avoir gardé des dispositifs de jeu et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Pourvoi accueilli et acquittement rétabli.

Ralph W. Ripley, pour l'appelante.

John C. Pearson, pour l'intimée.

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Major — Lors d'un procès devant un juge seul, l'appelante a été acquittée d'avoir gardé des dispositifs de jeu en contravention de l'al. 202(1)b) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46. La Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse a annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès.

Dans le cadre du présent pourvoi de plein droit, il s'agit de déterminer si la Cour d'appel a exercé correctement sa compétence en matière d'appel sur «une question de droit seulement» lorsqu'elle a annulé le verdict d'acquittement: al. 676(1)a) du Code criminel. Il s'agit tout particulièrement de savoir si le juge de première instance a commis une erreur de droit en exigeant du ministère public qu'il prouve que les dispositifs trouvés en la possession de l'appelante étaient réellement utilisés pour le jeu.

I. Les faits

Le 7 mai 1992, trois machines vidéos «Lucky Eight Line» ont été saisies à l'intérieur du dépanneur de l'appelante à River Hebert, en Nouvelle‑Écosse. L'Atlantic Lottery Commission n'avait pas délivré de licences pour ces machines. La police a aussi saisi une boîte de tablettes de chocolat dans laquelle il y avait 28 rouleaux de vingt‑cinq sous, cinq billets de vingt dollars et un billet de cinquante dollars. Les saisies ont été effectuées conformément à un mandat de perquisition valide.

L'appelante a été accusée, en vertu de l'al. 202(1)b) du Code criminel, d'avoir sciemment permis que soient gardés des dispositifs de jeu dans un endroit sous son contrôle.

Lors du procès devant le juge Cole de la Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse, le témoin expert du ministère public a affirmé que les machines pouvaient, compte tenu de leurs diverses caractéristiques, être qualifiées de dispositifs de jeu. À son avis, il ressortait de ces caractéristiques que les «crédits» accumulés par un joueur gagnant pouvaient être échangés contre de l'argent. Il a conclu que les faits établissaient l'existence des trois attributs essentiels d'une machine de jeu: une contrepartie, le hasard et une récompense. Cependant, l'expert a reconnu que les boutons «de remise à zéro» — qui permettaient à l'opérateur d'effacer les crédits accumulés qui avaient été encaissés — ne fonctionnaient pas bien sur deux des machines. Il n'était pas en mesure de déterminer si le bouton en question fonctionnait bien sur la troisième. Il a aussi reconnu que les machines auraient pu servir à des fins d'amusement seulement. On n'a présenté aucune preuve que les machines avaient réellement été utilisées pour le jeu.

II. Les tribunaux d'instance inférieure

La Cour provinciale de la Nouvelle‑Écosse

Dans un jugement rendu à l'audience, le juge Cole a fait remarquer que le ministère public n'avait pas fait la preuve de l'existence d'une récompense ou d'un paiement véritable. Il a conclu que les machines n'avaient pas de mécanisme indépendant pour indiquer qu'un joueur gagnant recevait une récompense. Il a précisé que les caractéristiques mentionnées par le témoin expert n'étaient pas concluantes et a affirmé que [traduction] «jusqu'à ce qu'une personne ait vu les enjeux, il est assez difficile de savoir exactement, je parle de certitude morale, à quoi elles servent». Le juge Cole a en conséquence exprimé une incertitude quant à savoir si l'appelante gardait les machines [traduction] «pour le jeu» et il l'a acquittée.

La Cour d'appel de la Nouvelle‑Écosse (1993), 122 N.S.R. (2d) 348 (les juges Jones, Hallett et Pugsley)

Le juge Hallett a statué que le juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation de l'al. 202(1)b) du Code criminel en exigeant du ministère public qu'il prouve que les machines en question étaient réellement utilisées [traduction] «pour le jeu». À son avis, en l'absence de preuve quant à la façon dont les machines étaient utilisées, la perpétration de l'infraction serait établie si le ministère public prouvait hors de tout doute raisonnable que l'appelante [traduction] «gardait dans le magasin des dispositifs destinés au jeu, sachant qu'il s'agissait de dispositifs de jeu» (p. 350): R. c. Laniel Canada Inc. (1991), 63 C.C.C. (3d) 574 (C.A. Qué.), autorisation de pourvoi refusée, [1991] 3 R.C.S. ix. Le juge Hallett a ordonné la tenue d'un nouveau procès relativement à la question de savoir si les machines «Lucky Eight Line» étaient des dispositifs de jeu. Il a dit (à la p. 351):

[traduction] Avant que la Cour d'appel ne puisse exercer sa compétence en vertu du sous‑al. 686(4)b)(ii) et inscrire un verdict de culpabilité au lieu d'ordonner la tenue d'un nouveau procès, il doit être établi que toutes les conclusions susceptibles d'appuyer un verdict de culpabilité ont été tirées explicitement ou implicitement ou qu'il n'existe pas de désaccord à ce sujet: R. c. Cassidy, [1989] 2 R.C.S. 345 [. . .] Le juge de première instance n'a pas conclu explicitement ou implicitement que le ministère public avait prouvé hors de tout doute raisonnable que les machines étaient des dispositifs de jeu et que l'intimée le savait. En conséquence, je suis d'avis d'accueillir l'appel et d'ordonner la tenue d'un nouveau procès.

III. La question en litige

La seule question soulevée dans le présent pourvoi est de savoir si la Cour d'appel a exercé correctement sa compétence en matière d'appel sur «une question de droit seulement», lorsqu'elle a annulé l'acquittement de l'appelante: al. 676(1)a) du Code criminel. Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur de droit en exigeant du ministère public qu'il prouve que les machines étaient réellement utilisées pour le jeu?

IV. Analyse

En vertu de l'al. 202(1)b) du Code criminel, commet un acte criminel quiconque garde, dans quelque endroit sous son contrôle, une machine ou un dispositif de jeu:

202. (1) Commet une infraction quiconque, selon le cas:

. . .

b) importe, fait, achète, vend, loue, prend à bail ou garde, expose, emploie ou sciemment permet que soit gardé, exposé ou employé, dans quelque endroit sous son contrôle, un dispositif ou appareil destiné à inscrire ou à enregistrer des paris ou la vente d'une mise collective, ou une machine ou un dispositif de jeu ou de pari; [Je souligne.]

Pour obtenir une déclaration de culpabilité relativement à l'infraction de «garder» au sens de l'al. 202(1)b), le ministère public devait établir (1) que l'appelante gardait des dispositifs dans un endroit sous son contrôle (actus reus) ; (2) que ces dispositifs étaient des dispositifs de jeu (actus reus); et (3) que l'appelante savait que les dispositifs étaient des dispositifs de jeu et qu'elle les gardait sciemment (mens rea).

Le ministère public n'avait pas à établir que les machines étaient réellement utilisées pour le jeu. L'alinéa 202(1)b) interdit que soient gardées des machines de jeu («une machine ou un dispositif de jeu ou de pari» ou «machine or device for gambling or betting»), quelle que soit la manière dont elles sont utilisées: R. c. Laniel Canada Inc., précité. L'interdiction est semblable à une interdiction de possession: voir le par. 197(1) du Code criminel; R. c. Kerim, [1963] R.C.S. 124, et R. c. Karavasilis (1980), 54 C.C.C. (2d) 530 (C.A. Ont.).

Si les arrêts R. c. Smith (1985), 26 C.C.C. (3d) 53 (C.A.N.‑B.), et R. c. Volante (1993), 14 O.R. (3d) 682 (C.A. Ont.), avis de désistement produit, [1993] 4 R.C.S. vii, signifient que le ministère public doit établir à quoi sont destinées les machines, on ne peut plus les considérer comme bien fondés en droit.

En disant que le ministère public n'avait pas à démontrer que les machines servaient réellement au jeu pour établir l'infraction prévue à l'al. 202(1)b), on n'affirme pas pour autant que la preuve de l'usage des machines n'était pas pertinente. Cette preuve était pertinente et probante quant à savoir si les machines en cause étaient en fait des dispositifs de jeu. Comme la cour l'a affirmé dans l'arrêt R. c. Laniel Canada Inc., précité, «[l]a question de la destination de l'appareil se pose au niveau de l'actus reus, à savoir si l'appareil est véritablement destiné au jeu» (p. 575). On constate dans la jurisprudence que les tribunaux examineront souvent quel est l'usage réel d'un dispositif pour déterminer s'il s'agit d'une «machine ou [d']un dispositif de jeu» au sens de l'al. 202(1)b). Dans la décision R. c. Gardiner (1971), 2 C.C.C. (2d) 463 (C.S. Alb., sect. app.), la cour a statué que neuf jeux de cartes en soi prêtaient à équivoque, et qu'il fallait tenir compte des [traduction] «circonstances» pour déclarer un accusé coupable de l'infraction de garder des dispositifs de jeu. Dans l'arrêt R. c. Greenberg (1942), 78 C.C.C. 145 (C.A. Ont.), en l'absence de preuve de l'usage ou de l'usage prévu de machines susceptibles d'être utilisées à des fins de jeu ou d'amusement, la cour a conclu qu'elle ne pouvait inférer que ces machines étaient des dispositifs de jeu.

Dans sa décision, le juge de première instance a fait mention de la destination et de l'usage des machines gardées. Ces mentions semblent appuyer la position du ministère public que le juge de première instance a introduit dans l'infraction un élément supplémentaire de «destination». Cependant, ailleurs, dans sa décision, le juge précise qu'il n'est pas certain si les machines étaient en soi «[des] machine[s] ou [des] dispositif[s] de jeu» au sens du Code. Le passage qui suit fait clairement ressortir la confusion entre ces deux concepts (le caractère inhérent des machines gardées et leur destination):

[traduction] . . . il est bien possible que je ne puisse écarter que les machines auraient pu être utilisées à la fin mentionnée sur les machines elles‑mêmes ou qu'elles pourraient être utilisées à des fins d'amusement seulement. Pour me permettre de conclure hors de tout doute raisonnable que le jeu constituait la destination et la seule des machines gardées, les éléments de preuve devraient, à mon avis, être plus solides.

Certes, les éléments de preuve que l'on m'a cités ou présentés tendent à laisser penser qu'il s'agirait de dispositifs de jeu, notamment le mécanisme de calcul et le peu d'aptitudes requises pour s'en servir. Cependant, le mécanisme de calcul pourrait aussi servir à diviser les profits accumulés par la machine, sans que celle‑ci ne soit pour autant un dispositif de jeu, mais tout simplement une machine d'amusement. [Je souligne.]

On peut résoudre les ambiguïtés contenues dans la décision du juge de première instance en la lisant dans le contexte de l'ensemble du dossier du procès. Comme dans les décisions Gardiner et Greenberg, précitées, il est clair que, tout au long du procès, le juge de première instance n'était pas préoccupé par une exigence externe de «destination» des machines, mais qu'il voulait plutôt déterminer si les machines étaient des «machine[s] ou [des] dispositif[s] de jeu» au sens du Code. Pour qu'il y ait «jeu», il doit y avoir une chance de gain et un risque de perte: R. c. Wilkes (1930), 55 C.C.C. 1 (C.A. Ont.), et Roberts c. The King, [1931] R.C.S. 417. La preuve d'expert reposait sur la prémisse que les crédits obtenus seraient encaissés. Cependant, les éléments de preuve quant aux caractéristiques de la machine n'ont pas réussi à convaincre le juge de première instance qu'il y avait une chance de récompense ou de gain. L'expert a reconnu que l'examen de la machine n'indiquait pas clairement qu'il était possible d'obtenir une récompense:

[traduction] LA COUR: Simplement en regardant ces machines, comment savez‑vous que le propriétaire du magasin va honorer les crédits?

R. Quand vous regardez la machine, vous ne pouvez pas le savoir.

LA COUR: Alors, si le propriétaire du magasin n'honore pas les crédits, y a‑t‑il un problème à ce qu'une personne continue de mettre de l'argent dans cette machine?

R. Le problème devient la conception même de la machine. Elle est conçue pour . . .

LA COUR: Non, sur le plan du jeu. Où est le jeu? Si une personne peut mettre de l'argent dans la machine, obtenir des crédits, et s'il n'y a pas de garantie, une personne ne sait pas si quelqu'un va la payer ou non pour les crédits.

R. Bien, comme je l'ai dit auparavant, ce que je prétends c'est que les crédits ont une valeur.

LA COUR: Uh‑hmmm.

R. Parce que les personnes, lorsqu'elles obtiennent un nombre gagnant de crédits . . .

LA COUR: Mais, vous ne pouvez le savoir en regardant la machine?

R. Non, pas en regardant la machine, il faut pratiquement jouer avec. [Je souligne.]

Ce passage établit clairement que le juge de première instance entretenait un doute quant à savoir si les machines trouvées en la possession de l'appelante étaient des «machine[s] ou [des] dispositif[s] de jeu» au sens de l'al. 202(1)b). Ce doute touchait au caractère suffisant de la preuve, notamment pour ce qui est de savoir si la machine offrait une chance de récompense. Les propos du juge qui suivent sur la destination et l'usage des machines faisaient tout simplement partie de son observation plus générale qu'il aurait été plus facile pour lui d'inférer que les machines étaient des dispositifs de jeu s'il y avait eu une preuve qu'elles servaient réellement au jeu. À cet égard, le juge de première instance a affirmé:

[traduction] Comme je l'ai dit au cours des débats, il pourrait s'agir d'un moyen fastidieux, mais néanmoins bien reconnu et simple, de faire la preuve de possession de machines de jeu, en démontrant qu'elles étaient utilisées à cette fin, parce qu'il serait alors facile d'inférer que c'était bien ce qu'elles étaient. Cette inférence ne peut être tirée aussi facilement et de façon aussi concluante à partir du seul examen de la machine même et de ses caractéristiques, dont l'une est qu'elle ne permet pas de verser d'elle‑même une récompense comme on le prétend.

Le juge de première instance n'a à aucun moment conclu que le ministère public était tenu en droit de prouver que les machines étaient en fait utilisées pour le jeu. En fait, le juge de première instance a rejeté l'argument de l'avocat de la défense qu'il devrait suivre l'arrêt R. c. Smith, précité, dans lequel le tribunal a conclu que le ministère public devait prouver la «destination» de la machine pour obtenir une déclaration de culpabilité en vertu de l'al. 202(1)b). Voici comment le juge de première instance a répondu à cet argument:

[traduction] LA COUR: En tout déférence pour la Cour d'appel du Nouveau‑Brunswick [dans l'arrêt Smith], je crois qu'elle a pris certaines libertés relativement aux termes clairs de la loi, mais peu importe.

Il existait des éléments de preuve à partir desquels le juge de première instance aurait pu inférer que les machines étaient des «machine[s] ou [des] dispositif[s] de jeu ou de pari». Mentionnons tout particulièrement le témoignage de l'expert relativement aux caractéristiques des machines. Cependant, ce témoignage comportait des points faibles; par exemple, l'expert a reconnu que les boutons de remise à zéro sur deux des machines ne fonctionnaient pas bien, et qu'il n'était pas en mesure de déterminer si ce bouton fonctionnait sur la troisième. En fin de compte, le témoignage d'expert n'a pas réussi à convaincre le juge de première instance que les machines offraient [traduction] «une chance de récompense». Le juge a conclu que la preuve quant à la nature des machines était équivoque et que les machines pouvaient bien être tout simplement des dispositifs d'amusement. Après avoir fait remarquer qu'une preuve d'usage pour le jeu pourrait lui permettre d'inférer que les machines étaient des dispositifs de jeu, le juge de première instance s'exprime ainsi:

[traduction] La Cour ne devrait pas avoir à pousser ses spéculations et ses inférences aussi loin [. . .] qu'elle aurait à le faire en l'espèce. Je ne crois pas que l'opinion de quelque expert, tirée de son expérience de ces machines, puisse remplacer une interprétation raisonnable de ce que constate objectivement la cour. Je répète qu'il peut y avoir de nombreux cas où des machines possédant toutes ces caractéristiques sont des machines de jeu et sont utilisées à cette fin, mais on peut aussi concevoir, avec un peu plus de difficulté, qu'elles pourraient servir à des fins d'amusement seulement. En l'espèce, rien n'indique avec certitude de quel type de machine il s'agit.

Je me dois de commenter la preuve importante présentée sous forme de témoignages d'expert en vue d'expliquer les différences qui existent entre les dispositifs de jeu et les dispositifs d'amusement. À mon avis, les critères établis ne sont pas des critères juridiques, mais des critères formulés par des enquêteurs et des personnes qui en ont une certaine expérience. Ces critères peuvent convaincre des enquêteurs, dans leur domaine d'expertise respectif, qu'ils se trouvent en présence, dans la plupart des cas, de dispositifs de jeu; cependant, cela ne signifie pas que ces critères doivent satisfaire la Cour puisque, si l'on examine la situation, on arrive encore à la conclusion (ou c'est ce qui se passe en l'espèce) que la machine peut servir à deux fins.

Le refus du juge de première instance d'inférer que les machines «Lucky Eight Line» étaient en fait des dispositifs de jeu relevait de sa compétence exclusive. En appel d'un acquittement, une cour d'appel n'a pas compétence pour examiner le caractère raisonnable du verdict du juge de première instance. L'alinéa 676(1)a) du Code criminel limite la compétence d'une cour d'appel aux questions de droit seulement:

676. (1) Le procureur général ou un avocat ayant reçu de lui des instructions à cette fin peut introduire un recours devant la cour d'appel:

a) contre un jugement ou verdict d'acquittement d'un tribunal de première instance à l'égard de procédures sur acte d'accusation pour tout motif d'appel qui comporte une question de droit seulement;

C'est une question de fait que de déterminer si un juge de première instance a tiré l'inférence qui convient à partir des faits établis en preuve: Lampard c. The Queen, [1969] R.C.S. 373. Le caractère suffisant de la preuve est aussi une question de fait: R. c. Warner, [1961] R.C.S. 144. Il n'existait donc aucune question de droit sur laquelle pouvait intervenir la Cour d'appel. Elle a en conséquence commis une erreur en annulant l'acquittement de l'appelante.

Je suis d'avis d'accueillir le pourvoi et de rétablir l'acquittement.

Pourvoi accueilli et acquittement rétabli.

Procureurs de l'appelante: Ripley, MacCuish, Sydney.

Procureur de l'intimée: Le procureur général de la Nouvelle‑Écosse, Halifax.


Synthèse
Référence neutre : [1994] 3 R.C.S. 133 ?
Date de la décision : 30/09/1994
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est accueilli et l'acquittement de l'accusée est rétabli

Analyses

Droit criminel - Garde de dispositifs de jeu - Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur de droit en exigeant du ministère public qu'il fasse la preuve que les dispositifs servaient réellement au jeu? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 202(1)b).

Droit criminel - Appels - Appel du ministère public - Question de droit - Le juge de première instance a‑t‑il commis une erreur de droit en exigeant du ministère public qu'il fasse la preuve que les dispositifs servaient réellement au jeu? - La Cour d'appel a‑t‑elle commis une erreur en annulant l'acquittement et en ordonnant la tenue d'un nouveau procès? - Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 676(1)a).

Après la saisie à l'intérieur de son dépanneur de trois machines vidéos, pour lesquelles aucune licence n'avait été délivrée, l'accusée a été inculpée d'avoir, en contravention de l'al. 202(1)b) du Code criminel, sciemment permis que soient gardés des dispositifs de jeu dans un endroit sous son contrôle. On n'a présenté aucune preuve que les machines avaient réellement été utilisées pour le jeu. Au procès, le témoin expert du ministère public a affirmé qu'il était évident que les «crédits» accumulés par un joueur gagnant pouvaient être échangés contre de l'argent. Cependant, il a reconnu que les boutons «de remise à zéro», qui permettaient à l'opérateur d'effacer les crédits accumulés qui avaient été encaissés, ne fonctionnaient pas bien sur deux des machines et qu'il n'était pas en mesure de déterminer si le bouton en question fonctionnait bien sur la troisième. Il a aussi reconnu que les machines auraient pu servir à des fins d'amusement seulement. Le juge de première instance a fait remarquer que le ministère public n'avait pas fait la preuve de l'existence d'une récompense ou d'un paiement véritable. Il a précisé que les caractéristiques mentionnées par le témoin expert n'étaient pas concluantes et a exprimé une incertitude quant à savoir si l'accusée gardait les machines [traduction] «pour le jeu». Il l'a en conséquence acquittée. La Cour d'appel a annulé l'acquittement et ordonné la tenue d'un nouveau procès. Elle a statué que le juge de première instance avait commis une erreur dans son interprétation de l'al. 202(1)b) du Code en exigeant du ministère public qu'il prouve que les machines en question étaient réellement utilisées «pour le jeu».

Arrêt: Le pourvoi est accueilli et l'acquittement de l'accusée est rétabli.

Le juge de première instance entretenait clairement un doute quant à savoir si les machines trouvées en la possession de l'accusée étaient des «machine[s] ou [des] dispositif[s] de jeu» au sens de l'al. 202(1)b). Ce doute touchait au caractère suffisant de la preuve, notamment pour ce qui est de savoir si les machines offraient une chance de récompense. Les propos du juge sur la destination et l'usage des machines faisaient tout simplement partie de son observation plus générale qu'il aurait été plus facile pour lui d'inférer que les machines étaient des dispositifs de jeu s'il y avait eu une preuve qu'elles servaient réellement au jeu. Le ministère public n'a pas à établir ce pourquoi les machines étaient gardées; cependant, le juge de première instance n'a à aucun moment conclu que le ministère public était tenu en droit de prouver que les machines étaient en fait utilisées pour le jeu. En appel d'un acquittement, l'al. 676(1)a) du Code limite la compétence d'une cour d'appel aux questions de droit seulement. C'est une question de fait que de déterminer si un juge de première instance a tiré l'inférence qui convient à partir des faits établis en preuve, et le caractère suffisant de la preuve est aussi une question de fait. Le refus du juge de première instance d'inférer que les machines étaient en fait des dispositifs de jeu relevait de sa compétence exclusive. Puisqu'il n'existait aucune question de droit sur laquelle pouvait intervenir la Cour d'appel, celle‑ci a commis une erreur en annulant l'acquittement de l'accusée.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Kent

Références :

Jurisprudence
Arrêts critiqués: R. c. Smith (1985), 26 C.C.C. (3d) 53
R. c. Volante (1993), 14 O.R. (3d) 682
arrêts mentionnés: R. c. Laniel Canada Inc. (1991), 63 C.C.C. (3d) 574, autorisation de pourvoi refusée, [1991] 3 R.C.S. ix
R. c. Kerim, [1963] R.C.S. 124
R. c. Karavasilis (1980), 54 C.C.C. (2d) 530
R. c. Gardiner (1971), 2 C.C.C. (2d) 463
R. c. Greenberg (1942), 78 C.C.C. 145
R. c. Wilkes (1930), 55 C.C.C. 1
Roberts c. The King, [1931] R.C.S. 417
Lampard c. The Queen, [1969] R.C.S. 373
R. c. Warner, [1961] R.C.S. 144
Lois et règlements cités
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 197(1), 202(1)b), 676(1)a).

Proposition de citation de la décision: R. c. Kent, [1994] 3 R.C.S. 133 (30 septembre 1994)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1994-09-30;.1994..3.r.c.s..133 ?
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