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22/02/1996 | CANADA | N°[1996]_1_R.C.S._325

Canada | Banque Royale du Canada c. Nord-Américaine, cie d'assurance-vie, [1996] 1 R.C.S. 325 (22 février 1996)


Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d'assurance‑vie, [1996] 1 R.C.S. 325

Banque Royale du Canada Appelante

c.

La Nord‑Américaine, compagnie d'assurance‑vie et

Balvir Singh Ramgotra Intimés

Répertorié: Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d'assurance‑vie

No du greffe: 24316.

1995: 8 novembre; 1996: 22 février.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de l

a Cour d'appel de la Saskatchewan (1994), 26 C.B.R. (3d) 1, 120 Sask. R. 277, 68 W.A.C. 277, 115 D.L.R. (4th) 536, [1994] 8 W.W.R. ...

Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d'assurance‑vie, [1996] 1 R.C.S. 325

Banque Royale du Canada Appelante

c.

La Nord‑Américaine, compagnie d'assurance‑vie et

Balvir Singh Ramgotra Intimés

Répertorié: Banque Royale du Canada c. Nord‑Américaine, cie d'assurance‑vie

No du greffe: 24316.

1995: 8 novembre; 1996: 22 février.

Présents: Les juges La Forest, L'Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d'appel de la saskatchewan

POURVOI contre un arrêt de la Cour d'appel de la Saskatchewan (1994), 26 C.B.R. (3d) 1, 120 Sask. R. 277, 68 W.A.C. 277, 115 D.L.R. (4th) 536, [1994] 8 W.W.R. 26, [1994] I.L.R. ¶ 1‑3089, qui a rejeté l'appel formé contre la décision du juge Baynton (1993), 18 C.B.R. (3d) 1, 108 Sask. R. 257. Pourvoi rejeté.

Robert G. Kennedy et Ian A. Sutherland, pour l'appelante.

Gary A. Meschishnick et Eric M. Singer, pour l'intimée la Nord‑Américaine, compagnie d'assurance‑vie.

Robert D. Jackson, pour l'intimé Balvir Singh Ramgotra.

//Le juge Gonthier//

Version française du jugement de la Cour rendu par

Le juge Gonthier --

I. La question en litige

1 Le présent pourvoi soulève une question importante et controversée relativement à l'interprétation de l'al. 67(1)b) et de l'art. 91 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3, et ses modifications, (ci‑après la «LFI»). Voici cette question: Si un failli a transféré des fonds d'un régime enregistré d'épargne‑retraite (REER) dans un fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) au cours des cinq années précédant la faillite, et que le FERR est exempt des réclamations des créanciers en vertu de mesures législatives provinciales incorporées à la LFI par l'al. 67(1)b), un créancier peut‑il faire annuler ce transfert pour le motif qu'il s'agit d'une «disposition» visée par l'art. 91, et, ainsi, avoir accès au FERR malgré l'exemption dont bénéficie ce bien?

II. Les faits

2 L'intimé, Ramgotra, est médecin, et il a exercé sa profession à Saskatoon, en Saskatchewan, de 1971 à 1991. Durant cette période, en tant que travailleur indépendant responsable de la planification financière de sa retraite, il a épargné et fait des placements, notamment en établissant deux REER. En mai 1989, il s'est associé à une clinique médicale de Saskatoon. Toutefois, comme sa part des dépenses de la clinique s'est révélée plus élevée que prévu, il a ouvert son propre cabinet en février 1990. Malheureusement, cette décision a été moins fructueuse qu'il avait espéré, en partie en raison d'une faible clientèle, mais également en raison du fait que, comme il est diabétique et doit être traité à l'insuline, il a dû réduire ses heures de travail.

3 En juin 1990, à la suggestion d'un conseiller financier, le Dr Ramgotra a transféré les fonds de ses deux REER dans un FERR dont son épouse a été désignée bénéficiaire. Le FERR devait rapporter au Dr Ramgotra un revenu mensuel brut de 1 066,20 $. Ces paiements ont commencé en août 1990. L'autre partie intimée, la Nord‑américaine, compagnie d'assurance‑vie, est l'institution financière chargée de la gestion du FERR.

4 Dix mois plus tard, soit en mai 1991, le Dr Ramgotra a postulé avec succès un poste permanent de médecin auprès de la ville de Dinsmore en Saskatchewan. Il a alors tenté de négocier avec le propriétaire de l'immeuble où il avait son cabinet à Saskatoon la résiliation du bail commercial qui le liait à ce dernier. Les négociations n'ont pas porté fruit et le propriétaire a obtenu, contre le Dr Ramgotra, un jugement d'environ 30 000 $. Cet événement a amené le Dr Ramgotra à faire cession de ses biens au profit de ses créanciers en février 1992. Lorsqu'il a obtenu sa libération absolue, en janvier 1993, il n'a conservé pour tous biens que ses vêtements, le contenu de sa maison et le FERR.

5 Alors que les REER du Dr Ramgotra auraient été touchés par les réclamations de ses créanciers, le FERR, parce qu'il constituait une rente d'assurance‑vie, était à l'abri de leurs réclamations par l'effet conjugué de l'al. 67(1)b) LFI ainsi que du sous‑al. 2kk)(vii) et du par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26. Cependant, le syndic a demandé, conformément à l'art. 89 des Règles régissant la faillite, C.R.C. 1978, ch. 368, un jugement déclaratoire portant que, en vertu du par. 91(2) LFI, le transfert des fonds des REER dans le FERR était nul. Ce paragraphe énonce notamment que sont inopposables au syndic les «dispositions» de biens faites au cours des cinq ans qui précèdent la faillite si «les intérêts du disposant dans ces biens n'ont pas cessé» lorsque fut faite la disposition.

6 Au procès, la demande du syndic a été rejetée pour le motif que le Dr Ramgotra avait agi de bonne foi en transférant les fonds des REER dans le FERR et non dans le but de frustrer ses créanciers. L'appel à la Cour d'appel de la Saskatchewan interjeté par l'appelante, la Banque Royale, créancier principal du Dr Ramgotra, a lui aussi été rejeté.

III. Les dispositions législatives pertinentes

The Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26:

[traduction] 2. -- ...

kk) «assurance‑vie» Assurance par laquelle un assureur s'engage à verser une somme assurée:

(i) lorsque survient un décès,

(ii) lorsque survient un événement ou une éventualité se rattachant à la vie humaine,

(iii) lorsqu'arrive une date ultérieure déterminée ou déterminable,

(iv)pendant une période se rattachant à la vie humaine,

et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, «assurance‑vie» s'entend également:

. . .

(vii) d'un engagement conclu par un assureur, avant ou après l'entrée en vigueur du présent article, de verser une rente dont le montant des versements périodiques peut varier;

158. -- (1) Lorsqu'un bénéficiaire est désigné, les sommes assurées ne font pas partie de la succession de l'assuré et ne peuvent être réclamées par les créanciers de l'assuré, dès la survenance de l'événement qui rend les sommes assurées exigibles.

(2) Tant qu'est en vigueur la désignation en faveur du conjoint, d'un enfant, d'un petit‑enfant ou du père ou de la mère de la personne dont la vie est assurée, ou de l'un d'eux, les droits et les intérêts de l'assuré dans les sommes assurées et dans le contrat sont exempts d'exécution ou de saisie.

Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3, et ses modifications:

67. (1) Les biens d'un failli, constituant le patrimoine attribué à ses créanciers, ne comprennent pas les biens suivants:

. . .

b) les biens qui, à l'encontre du failli, sont exempts d'exécution ou de saisie sous le régime de lois de la province dans laquelle sont situés ces biens et où réside le failli,

91. (1) Toute disposition est inopposable au syndic, si le disposant devient failli durant l'année qui suit la date de la disposition.

(2) Si le disposant devient failli au cours des cinq ans qui suivent la date de la disposition, toute disposition de biens est inopposable au syndic, si ce dernier peut prouver que le disposant était, lorsqu'il a fait la disposition, incapable de payer toutes ses dettes sans l'aide des biens compris dans la disposition, ou que les intérêts du disposant dans ces biens n'ont pas cessé lorsque fut faite la disposition.

(3) Le présent article ne s'applique pas à une disposition faite:

. . .

b) soit de bonne foi et pour contrepartie valable, en faveur d'un acheteur ou d'un créancier hypothécaire; . . .

IV. Les décisions des juridictions inférieures

1. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan (1993), 18 C.B.R. (3d) 1

7 Dans ses motifs, le juge Baynton a tiré deux conclusions de fait: (1) le Dr Ramgotra était solvable au moment où il a transféré les fonds des REER dans le FERR, et (2) le transfert a été effectué de bonne foi et non dans le but de frustrer les créanciers. Vu la première conclusion de fait, le syndic ne pouvait s'appuyer sur le premier volet du par. 91(2) LFI pour considérer le transfert inopposable à son endroit. Il pouvait toutefois invoquer le second volet, ce qui soulevait la question de savoir si le transfert était une «disposition» n'ayant pas eu pour effet de faire cesser les intérêts du disposant dans les biens en cause au moment où elle a été faite.

8 Se fondant sur des décisions récentes établissant que le remplacement de biens non exempts par des biens exempts (c.‑à‑d. une «disposition à soi‑même») pouvait constituer une disposition visée à l'art. 91 LFI, le juge Baynton est arrivé à la conclusion préliminaire que, en l'espèce, le transfert relevait du second volet du par. 91(2) puisqu'il s'agissait d'une disposition dans le cadre de laquelle, par définition, les intérêts du disposant dans les biens visés n'avaient pas cessé. Il a toutefois refusé de déclarer la disposition inopposable au syndic, mentionnant à cet effet sa décision antérieure dans Royal Bank c. Oliver (1992), 11 C.B.R. (3d) 82 (B.R. Sask.), affaire où il était question d'une disposition analogue. Dans Oliver, il a conclu qu'un remplacement de biens fait de bonne foi ne devait pas être considéré comme une disposition inopposable en vertu du par. 91(2). En fait, il a «emprunté» le concept de la bonne foi prévu à l'al. 91(3)b) LFI (qui ne s'applique cependant pas en cas de disposition à soi‑même), et il s'en est servi pour restreindre la définition du terme «disposition» en common law.

9 Comme le Dr Ramgotra avait agi de bonne foi et non dans le but de frustrer ses créanciers lorsqu'il a transféré les fonds non exempts de son REER dans les fonds exempts du FERR, le juge Baynton a conclu que le transfert n'était pas une disposition pouvant être annulée en vertu du par. 91(2).

2. Le Cour d'appel de la Saskatchewan (1994), 26 C.B.R. (3d) 1

10 La Cour d'appel de la Saskatchewan a, à l'unanimité, rejeté l'appel formé par l'appelante. S'exprimant pour la cour, madame le juge Jackson a rejeté l'argument (qu'avait pour sa part accepté le juge Baynton) que le transfert des fonds non exempts du REER dans les fonds exempts du FERR, avait donné lieu à une disposition. À son avis, les dispositions visées par la LFI sont celles faites à un tiers; la simple conversion de biens non exempts en biens exempts ne suffit pas.

11 Toutefois, après avoir examiné la jurisprudence portant sur le sens du concept de «disposition», le juge Jackson a conclu que la désignation d'un bénéficiaire dans une police d'assurance pouvait constituer une disposition. En conséquence, lorsque le Dr Ramgotra a désigné son épouse à titre de bénéficiaire du FERR, il a disposé de son intérêt dans le bien en question en faveur de celle‑ci. Pour le juge Jackson, il s'agissait d'un intérêt de propriété futur et éventuel.

12 Le juge Jackson s'est ensuite demandée si une telle disposition pouvait être déclarée inopposable en vertu du second volet du par. 91(2) qui concerne le transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés. À son avis, il s'agissait essentiellement de déterminer s'il était nécessaire ou non qu'il y ait transfert de tous les intérêts dans un bien donné ou cession du contrôle sur ceux‑ci pour que s'applique l'exception fondée sur le transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés. Le juge Jackson a examiné la jurisprudence sur cette question et constaté que, dans la plupart de ces décisions, les tribunaux avaient conclu que les dispositions prenant la forme d'une désignation de bénéficiaire d'une assurance n'entraînaient pas le transfert de la propriété des intérêts dans l'assurance, étant donné que, après la désignation, le disposant conserve toujours ses intérêts dans ce bien et son pouvoir de contrôle sur celui‑ci. Elle a toutefois préféré se fonder sur deux vieilles décisions anglaises — In re Lowndes; Ex parte Trustee (1887), 18 Q.B.D. 677, et Shrager c. March, [1908] A.C. 402 (C.P.) — appuyant la thèse qu'il y a transfert de la propriété du bien visé si le disposant se départit de tous ses intérêts dans le bien acquis par un tiers bénéficiaire. Par conséquent, la désignation d'un bénéficiaire en l'espèce a eu pour effet de transférer à Mme Ramgotra un intérêt de propriété éventuel et, du même coup, de dépouiller complètement le Dr Ramgotra de cet intérêt. Le juge Jackson a conclu que cela suffisait pour satisfaire à la condition relative au transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés prévue par le second volet du par. 91(2), de sorte que la désignation par le Dr Ramgotra de son épouse à titre de bénéficiaire du FERR n'était pas inopposable au syndic.

13 Le juge Jackson trouvait aussi un appui à sa conclusion que la condition relative au transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés avait été respectée dans le fait que, à son avis, toute autre conclusion serait contraire à la politique en matière de faillite et à l'objet des FERR. Elle a souligné que, si la désignation d'un bénéficiaire en vertu d'une police d'assurance était jugée ne pas opérer transfert de propriété en faveur du bénéficiaire, alors toutes les désignations de bénéficiaires effectuées dans les polices d'assurance au cours des cinq années précédant une faillite seraient inopposables au syndic par l'application du second volet du par. 91(2), y compris celles ayant été faites de bonne foi lorsque le failli était solvable. De l'avis du juge Jackson, il faut interpréter l'art. 91 LFI de manière à éviter un résultat aussi absurde.

14 Enfin, relativement au critère de bonne foi qu'a appliqué le juge Baynton en première instance, le juge Jackson a déclaré qu'elle n'était pas tenue d'adopter la position de ce dernier, mais elle a néanmoins souscrit à son analyse des difficultés qu'engendrerait toute interprétation de l'art. 91 LFI qui aurait pour effet de rendre automatiquement inopposables les opérations légitimes faites par des débiteurs solvables. Le juge Jackson a convenu avec le juge Baynton que, pour contester la désignation d'un bénéficiaire faite par un débiteur solvable, le syndic devrait être tenu d'établir la mauvaise foi de ce dernier. Toutefois, elle ne croyait pas qu'il serait judicieux de créer une exigence de bonne foi pour les dispositions à soi‑même visées par l'art. 91. À son avis, les syndics peuvent invoquer d'autres lois, telles les lois provinciales en matière de fraude, pour contester les dispositions à soi‑même faites de mauvaise foi.

V. Analyse

1. Introduction

15 Récemment, dans l'arrêt Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, j'ai eu l'occasion d'examiner les deux objectifs fondamentaux qui sous‑tendent la LFI. Comme je l'ai dit dans cette affaire, le premier de ces objectifs est d'assurer un partage équitable des biens du débiteur failli entre les créanciers, tandis que le second consiste à favoriser la réhabilitation financière de la personne insolvable (au par. 7). Le présent cas montre que ces deux objectifs peuvent entrer en conflit. La banque appelante, qui est le principal créancier du Dr Ramgotra, souhaite saisir le FERR de ce dernier pour obtenir paiement des sommes qu'il lui doit. Il n'est pas étonnant, compte tenu de la situation financière dans laquelle il se trouve à la suite de sa faillite, que le Dr Ramgotra résiste aux tentatives de la banque de saisir un des rares biens qui lui restent. Il prétend que, comme le FERR est une assurance‑vie au sens du sous‑al. 2kk)(vii) de The Saskatchewan Insurance Act, ce bien est exempt d'exécution ou de saisie par les créanciers (par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act et l'al. 67(1)b) LFI). Bref, la banque demande un «partage équitable» des biens du Dr Ramgotra, alors que le fait de lui laisser ses intérêts dans le FERR favoriserait sa «réhabilitation financière».

16 Puisque le Dr Ramgotra était solvable au moment où il a transféré les fonds de ses deux REER dans son FERR exempt, et qu'il ne cherchait pas, par cette mesure, à frustrer ses créanciers, on peut fort bien se demander de quelle façon la banque pouvait contourner l'exemption dont bénéficie le FERR -‑ exemption qui, à première vue, constitue un obstacle insurmontable à la réclamation de la banque. Dans le contexte général des rapports entre débiteurs et créanciers, la banque n'aurait aucun espoir de saisir le FERR exempt du Dr Ramgotra. À la lumière des faits de la présente affaire, les créanciers du Dr Ramgotra ne sont pas privés d'une chose à laquelle ils auraient par ailleurs droit puisque, selon la règle générale, ils ne pouvaient saisir le FERR que si celui‑ci avait été soustrait du patrimoine du Dr Ramgotra par suite d'un transfert frauduleux. Pourquoi la faillite du Dr Ramgotra devrait‑elle placer des créanciers comme la banque dans une position plus avantageuse qu'ils ne le seraient si ce n'était de la faillite? La thèse avancée par la banque devant notre Cour paraît entrer en conflit avec le principe que les créanciers ne devraient pas, du fait d'une faillite, obtenir des droits plus étendus sur les biens de leurs débiteurs qu'ils n'en possédaient avant la faillite: M.N.R. c. Anthony (1995), 124 D.L.R. (4th) 575 (C.A.T.‑N.), à la p. 580.

17 Qui plus est, le fait, dans la LFI, d'exempter des mesures d'exécution ou de saisie les polices et placements d'assurance‑vie lorsque des membres de la famille sont désignés bénéficiaires est une politique judicieuse. En effet, vu l'importance de l'assurance pour le bien‑être des personnes à charge de l'assuré après son décès, il est possible de qualifier les polices d'assurances de nécessité de la vie. En Saskatchewan, tout comme dans les autres provinces, de nombreux autres biens indispensables sont exclus des biens d'un failli qui peuvent faire l'objet de mesures d'exécution ou de saisie par les créanciers. Parmi les biens ainsi exclus, mentionnons la nourriture, le combustible, les vêtements, les articles ménagers, les outils nécessaires à la pratique d'un métier (The Exemptions Act, R.S.S. 1978, ch. E‑14, art. 2), les bâtiments et l'équipement agricoles, et le bétail (The Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, ch. S‑17.1, art. 65). On pourrait fort bien qualifier l'ensemble des biens exempts de «strict minimum» que le failli a le droit de conserver pour faciliter sa réhabilitation après la faillite.

18 En conséquence, la réclamation de la banque devant notre Cour est incompatible avec l'exemption dont bénéficie le bien en cause ainsi qu'avec la justification de principe qui sous‑tend cette exemption et avec les attentes mêmes qu'avait la banque, avant la faillite du Dr Ramgotra, quant à ce qu'elle pourrait saisir. Il n'en reste pas moins que la banque conteste l'opération par laquelle les fonds des REER ont été transférés dans le FERR. Elle prétend que cette opération était une disposition au sens de l'art. 91 LFI, que les intérêts du Dr Ramgotra dans ce bien n'ont pas cessé au moment de la disposition et que celle‑ci est inopposable en vertu du second volet du par. 91(2) (le «volet concernant le transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés»). Selon la banque, les sommes d'argent en cause ne sont pas exemptes d'exécution ou de saisie, car l'opération qui les a rendues exemptes est nulle.

19 La banque soulève trois questions: (1) L'opération visée en l'espèce est‑elle une disposition au sens de l'art. 91 LFI? (2) Dans l'affirmative, la disposition est‑elle inopposable au syndic en vertu du second volet du par. 91(2)? (3) Si oui, les fonds du FERR peuvent‑ils servir à régler les réclamations des créanciers du Dr Ramgotra en dépit de l'exemption dont bénéficie le FERR en vertu de l'al. 67(1)b)? Ces questions ne sont pas nouvelles. Elles sont à l'origine d'une importante controverse au sein des juridictions inférieures, où quatre approches divergentes ont été adoptées. Je vais les examiner à tour de rôle. Je tiens cependant à signaler au départ que, selon moi, aucune de ces approches ne permet de régler de manière satisfaisante le problème que soulèvent la présente espèce et des affaires analogues. Je préfère une approche qui tienne compte des rôles distincts que jouent, en matière de faillite, l'al. 67(1)b) et l'art. 91, comme nous le verrons ci‑après.

2. Les approches divergentes des juridictions inférieures

(i)La conversion d'un bien non exempt en bien exempt est, sous le régime de la LFI, une disposition inopposable au syndic en vertu de l'art. 91 si elle survient au cours des cinq années précédant la faillite (l'«approche Wilson»)

20 La première approche du problème en l'espèce soulève la question plus générale de savoir si les dispositions à soi‑même sont visées par l'art. 91 LFI. L'illustration typique de cette approche est l'arrêt Wilson c. Doane Raymond Ltd. (1988), 69 C.B.R. (N.S.) 156, de la Cour d'appel de l'Alberta. Dans cette affaire, les producteurs laitiers appelants ont vendu leur contingent de lait, bien non exempt, et utilisé le produit de la vente pour acheter un condominium, bien exempt. Un mois plus tard, ils ont fait cession de leurs biens. Le syndic a alors demandé une ordonnance déclarant que l'achat du condominium lui était inopposable, conformément au par. 69(1) de la Loi sur la faillite, S.R.C. 1970, ch. B‑3 (maintenant le par. 91(1) LFI).

21 S'exprimant pour la Cour d'appel, le juge Haddad s'est appuyé sur la décision de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta dans Re Wozniuk (1987), 76 A.R. 42, affaire dont les faits sont étonnamment semblables à ceux de l'espèce. Dans Re Wozniuk, il a été jugé qu'une disposition à soi‑même dans le cadre de laquelle un REER non exempt a été remplacé par une rente d'assurance‑vie exempte était une disposition au sens de la LFI. Le juge Haddad a souscrit à cette proposition, ajoutant, à la p. 159, qu'il y a [traduction] «disposition au sens de la loi lorsque l'opération en cause réduit le patrimoine du failli à distribuer aux créanciers par le syndic». Il a par conséquent conclu que la conversion par les appelants d'un bien non exempt en bien exempt était une disposition inopposable aux termes de la LFI, puisqu'elle avait pour effet de réduire le patrimoine disponible pour les créanciers. Le fait que les appelants avaient effectué la conversion afin de se procurer un logement et non dans le but de frustrer leurs créanciers ne changeait rien à la situation.

22 Le principe qui découle des affaires Wilson et Wozniuk, à savoir que le remplacement d'un bien non exempt par un bien exempt est une disposition au sens de la LFI et inopposable aux termes de l'art. 91, a été adopté dans de nombreuses décisions: Re Malloy (1983), 48 C.B.R. (N.S.) 308 (C.S. Ont.); Alberta Treasury Branches c. Guimond (1987), 70 C.B.R. (N.S.) 125 (B.R. Alb.); Camgoz (Trustee of) c. Sun Life Assurance Co. of Canada (1988), 70 C.B.R. (N.S.) 131 (B.R. Sask.), conf. par (1988), 72 C.B.R. (N.S.) 319 (C.A. Sask.); Klassen (Trustee of) c. Great West Life Assurance Co. (1990), 1 C.B.R. (3d) 263 (B.R. Sask.). En outre, ce principe a été adopté par le juge Baynton dans le présent cas, en première instance, ainsi que dans sa décision antérieure dans Oliver, précité.

23 L'approche qu'a privilégiée la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Wilson a été rejetée, avec raison selon moi, par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans l'affaire qui nous intéresse. Je suis d'avis qu'il est erroné de conclure qu'une personne peut disposer de biens en faveur d'elle‑même. Cette opinion est d'ailleurs confirmée par l'interprétation traditionnelle du mot «disposition» par les tribunaux, qu'a exprimée notre Cour dans In re Bozanich, [1942] R.C.S. 130. Le juge Rinfret a décrit ce mot ainsi, aux pp. 138 et 139:

[traduction] Sans tenter de définir le mot ‑ et plus particulièrement tel qu'il est utilisé à l'art. 60 ‑ il me semble suffisant, pour interpréter cet article, d'adopter le passage suivant des motifs du juge Cave dans l'affaire In re Player; Ex parte Harvey (1885), 15 Q.B.D. 682, aux pp. 686 et 687:

Il faut, dans l'application de cette définition, examiner l'ensemble du libellé de l'article et se demander ce qu'on entend par «disposition». Même si, aux termes du paragraphe 3, «disposition» s'entend également, pour l'application du présent article, de tout transport ou transfert de propriété», je demeure d'avis que l'opinion de mon collègue Mathew est bien fondée et que ce mot est utilisé dans son sens ordinaire. L'opération en cause doit tenir de la nature d'une disposition, même si elle peut être effectuée par voie de transport ou de transfert. L'opération doit avoir pour finalité et pour objet une disposition, c'est‑à‑dire l'aliénation d'un bien qui sera détenu pour le bénéfice d'une autre personne. [Je souligne.]

Le juge Rinfret a ajouté ceci, à la p. 141:

[traduction] La Loi, aussi générale qu'elle soit, permet d'établir une distinction nette entre les dispositions, même celles effectuées par voie de transport ou de transfert de propriété, et les transports ou transferts de propriété qui ne tiennent pas de la nature d'une disposition.

24 La définition de disposition adoptée par notre Cour dans Re Bozanich ne laisse aucune place aux «dispositions à soi‑même», puisqu'il doit y avoir transfert d'un bien qui sera détenu pour le bénéfice d'une autre personne. Il semble que les juridictions inférieures se soient écartées de cet aspect de l'arrêt Re Bozanich et aient conclu qu'une disposition à soi‑même est une disposition visée par la LFI parce que la conversion de biens non exempts en biens exempts est un moyen pratique de frustrer les créanciers. Suivant le raisonnement de la cour dans Re Wozniuk, à la p. 62, un failli ne devrait pas avoir la possibilité de «se soustraire par lui‑même» à l'application de l'art. 91 [traduction] «en convertissant des biens non exempts en biens qui seraient exempts».

25 Bien que, dans Wilson, la cour ait estimé que le fait d'exclure les dispositions à soi‑même du champ d'application de l'art. 91 LFI ouvrirait la porte à de graves abus, il me semble que la solution contraire pose davantage de problèmes. En effet, si on permet aux créanciers de saisir, en vertu de l'art. 91 LFI, des biens ayant fait l'objet d'une disposition à soi‑même, même dans les cas où il s'agit de biens exempts, il s'ensuit que ces biens sont saisissables chaque fois que la disposition à soi‑même est survenue au cours des cinq années qui précèdent la faillite, y compris dans les cas où le failli était solvable et a agi de bonne foi au moment de l'opération contestée. Dans son article intitulé «Section 91 (Settlements) of the Bankruptcy and Insolvency Act: A Mutated Monster» (1995), 25 Can. Bus. L.J. 235, le professeur Cuming a vivement critiqué l'élargissement, par les tribunaux, du concept de disposition pour y inclure les dispositions à soi‑même, qualifiant cette interprétation de [traduction] «manifestement déraisonnable» à la p. 235 et de «mutation dramatique», à la p. 238. Il a ajouté ceci à la p. 242:

[traduction] La question du risque d'injustice se soulève lorsque cette interprétation élargie du concept de disposition est conjuguée à un autre ajout à l'art. 91, de création canadienne celle‑là: c'est‑à‑dire le fait que dans les deux situations susmentionnées les intérêts du disposant ne cessent pas lorsque le transfert est effectué, de sorte que celui‑ci tombe alors sous le coup du troisième volet de l'art. 91. La logique de ce raisonnement paraît être la suivante: le transfert des biens en cause au débiteur est une disposition et les intérêts du disposant dans ces biens n'ont pas cessé lorsque fut faite la disposition puisque, par définition, ce dernier a conservé les intérêts ou leur équivalent, ou ceux‑ci se sont retrouvés entre ses mains.

Même si elle ne saurait résister à un examen formel serré, cette approche ne constituerait pas à elle seule une source d'injustice si les biens en cause n'ont pas été convertis en biens exempts du fait de l'opération non réalisée. Les biens «dont il a été disposé» font partie du patrimoine attribué aux créanciers du disposant failli. Le risque d'injustice naît lorsque la «disposition» emporte la conversion de biens non exempts en biens exempts. [Je souligne.]

26 Je conviens que le risque d'injustice est considérable si l'approche Wilson concernant les dispositions à soi‑même est adoptée. Il en va tout autrement des dispositions faites à des tiers, non seulement parce que, dans de tels cas, il est fort possible que les intérêts du disposant dans les biens en cause aient cessé, mais également en raison de l'al. 91(3)b). Aux termes de cet alinéa, une «disposition faite [. . .] de bonne foi et pour contrepartie valable, en faveur d'un acheteur ou d'un créancier hypothécaire» est opposable au syndic. Il s'agit donc d'une exception — fondée sur la bonne foi — aux par. 91(1) et (2). Cependant, l'al. 91(3)b) ne peut être invoqué en cas de disposition à soi‑même et ce pour les raisons suivantes: (1) il n'y a pas d'«acheteur ou [de] créancier hypothécaire», et (2) il n'y a pas d'échange pour «contrepartie valable». La Loi n'offre donc aucune protection à ceux qui, comme le Dr Ramgotra, se font de bonne foi une disposition à eux‑mêmes. Cette anomalie est un indice probant que le législateur n'entendait pas que l'art. 91 s'applique aux dispositions à soi‑même.

27 Par ailleurs, j'estime qu'assimiler les dispositions à soi‑même aux dispositions visée à l'art. 91 est contraire à l'objet de cet article. Comme je l'expliquerai plus en détail plus loin, l'art. 91 habilite le syndic à retourner des biens dans le patrimoine du failli lorsqu'ils en ont été soustraits au moyen d'une disposition faite par le failli en faveur d'un tiers. Puisqu'une disposition à soi‑même n'a pas pour effet de transférer les biens visés à un tiers, ces biens demeurent dans le patrimoine du failli et sont dévolus au syndic au moment de la faillite (par. 71(2) LFI). Quel rôle l'art. 91 peut‑il bien jouer dans un tel cas? Qui plus est, le volet du par. 91(2) qui concerne le transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés a traditionnellement été considéré comme offrant au syndic un moyen de contester les dispositions in futuro faites par le failli en faveur de tiers bénéficiaires, et ainsi d'éviter que ces bénéficiaires présentent subséquemment des réclamations contre l'actif du failli. En d'autres termes, suivant le raisonnement du juge Jackson, au par. 50 de la décision de la Cour d'appel, le critère du transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés s'applique aux opérations effectuées par des débiteurs solvables et qui ne confèrent pas un intérêt immédiat. L'objet du second volet du par. 91(2) serait dénaturé si des créanciers pouvaient l'invoquer pour saisir des biens ayant fait l'objet d'une disposition à soi‑même, car une telle disposition est qualitativement différente du genre d'opérations visées par le critère susmentionné.

28 En définitive, je crois que l'approche Wilson concernant l'art. 91 ne permet pas d'établir un juste équilibre entre les deux objectifs, parfois incompatibles, visés par la Loi, c'est‑à‑dire la protection des créanciers et la réhabilitation des faillis. Même si une disposition à soi‑même créant un bien exempt a pour effet de réduire la masse des biens disponibles pour les créanciers, il ne faut pas oublier que le résultat de l'opération est l'acquisition d'un bien si essentiel au failli et aux personnes à sa charge qu'il a été rendu exempt d'exécution ou de saisie par les lois provinciales applicables incorporées dans la Loi par l'al. 67(1)b). Interpréter l'art. 91 LFI d'une manière qui permette automatiquement aux créanciers de saisir des biens exempts ayant un caractère à ce point essentiel est, à mon avis, aller trop loin.

29 Par conséquent, je ne vois, en l'espèce, aucune raison de s'écarter de la définition de disposition adoptée par notre Cour dans Re Bozanich et qui exige qu'il y ait disposition en faveur d'un tiers par le disposant. Pour emprunter les termes du juge Rinfret, une disposition à soi‑même est un transfert de propriété qui ne tient pas de la nature d'une disposition.

(ii)Les dispositions de bonne foi à soi‑même ne sont pas des dispositions au sens de l'art. 91 LFI (l'«approche Oliver»)

30 Comme j'ai rejeté l'approche Wilson, il n'est pas nécessaire d'examiner l'exception fondée sur la bonne foi qui a été élaborée dans Oliver, précité, par le juge Baynton et appliquée en l'espèce. Qu'il suffise de dire que je partage les préoccupations du juge Baynton relativement à la rigueur de la position juridique adoptée dans des cas tels que l'affaire Wilson. Même si je reconnais la valeur de la solution que le juge a apportée au problème, il faut souligner qu'il était tenu de suivre l'opinion, énoncée dans l'arrêt Wilson, que les dispositions à soi‑même sont visées par l'art. 91, étant donné que la Cour d'appel de la Saskatchewan avait accepté cette proposition dans Camgoz, précité. Comme je l'explique plus loin, je ne crois pas que la bonne foi soit un facteur pertinent à l'égard de la question de savoir s'il y a eu disposition au sens de l'art. 91. Je préfère l'approche adoptée par la Cour d'appel de la Saskatchewan dans la présente affaire relativement aux dispositions à soi‑même.

(iii)La désignation d'un bénéficiaire en vertu d'un régime d'assurance‑vie constitue une disposition au sens de la LFI et elle est inopposable au syndic, conformément à l'art. 91, lorsqu'elle est faite au cours des cinq années précédant la faillite (l'«approche Geraci (Cour d'appel)»)

31 Bien que, en l'espèce, la Cour d'appel ait statué que le fait que le Dr Ramgotra ait échangé un bien non exempt pour un bien exempt ne constituait pas, du seul fait de l'échange, une disposition au sens de l'art. 91, le juge Jackson a conclu que le Dr Ramgotra a effectué une disposition au sens de l'art. 91 lorsqu'il a désigné son épouse à titre de bénéficiaire du FERR. Cette approche, qui est particulière aux régimes d'assurance‑vie, reposait sur la décision de la Cour d'appel de l'Ontario dans Re Geraci (1970), 14 C.B.R. (N.S.) 253. Dans cette affaire, à un moment où le failli en cause était clairement insolvable, ce dernier avait désigné son épouse à titre de bénéficiaire d'une police d'assurance‑vie dont la valeur de rachat nette s'élevait à 9 000 $. La désignation avait eu pour effet d'exempter l'assurance des mesures d'exécution ou de saisie. Le syndic a demandé un jugement déclarant que la désignation de la bénéficiaire lui était inopposable en vertu du premier volet (c.‑à‑d. le «volet de l'insolvabilité») de ce qui est maintenant le par. 91(2) LFI. S'exprimant pour la cour, le juge Jessup a fait le raisonnement suivant, aux pp. 255 et 256:

[traduction] Je suis d'avis qu'il se dégage de la jurisprudence et de la doctrine une définition selon laquelle le mot «disposition», dans son sens ordinaire, s'entend de la disposition d'un bien qui sera détenu — soit dans sa forme originale, soit dans une forme permettant d'en suivre la trace — pour le bénéfice d'une autre personne, et selon laquelle la désignation du bénéficiaire d'une police d'assurance constitue une telle disposition . . . Compte tenu du large éventail de situations visées par la Loi sur la faillite, je ne crois pas qu'il convienne de donner un sens restrictif au mot «disposition» figurant au par. 60(1) [maintenant l'art. 91] de cette loi. L'intimé prétend que la désignation de l'épouse à titre de bénéficiaire de la police n'était pas une disposition de biens étant donné que l'épouse n'allait acquérir les droits de propriété sur la police ou profiter des bénéfices découlant de celle‑ci que si le failli décédait avant elle. Je crois qu'il serait plus juste de dire que les droits de l'épouse sont subordonnés au décès de son époux. Cependant, la définition du mot biens à l'al. 2o) de la Loi sur la faillite, qui est exprimée en termes très généraux, vise notamment «toute espèce de droits, d'intérêts ou de profits, présents ou futurs, acquis ou éventuels, dans des biens, ou en provenant ou s'y rattachant». ... De plus, même si l'épouse peut se voir privée de son intérêt éventuel dans la police en cas de désignation d'un bénéficiaire différent, cela ne change rien au fait qu'elle continue d'avoir cet intérêt tant que pareille modification de la désignation ne survient pas. [Les italiques sont du juge Jessup.]

Le juge Jessup a donc conclu que, comme la désignation du bénéficiaire avait été faite à l'époque où le failli était insolvable, elle était inopposable au syndic.

32 Ce raisonnement, qui a plu au juge Jackson, a été suivi par de nombreux tribunaux: Re Douyon (1982), 134 D.L.R. (3d) 324 (C. sup. Qué.); Re MacDonald (1991), 21 C.B.R. (3d) 211 (B.R. Alb.); Re Yewdale (1995), 30 C.B.R. (3d) 194 (C.S.C.‑B.). Je le trouve moi aussi convaincant. Autre fait significatif, la LFI a été modifiée en 1992 afin d'y inclure la définition suivante de «disposition»:

2....

"disposition» S'entend notamment des contrats, conventions, transferts, donations et désignations de bénéficiaires aux termes d'une police d'assurance faits à titre gratuit ou pour un apport purement nominal. [Je souligne.]

(Loi modifiant la Loi sur la faillite, L.C. 1992, ch. 27, par. 3(2))

Cette définition n'était pas en vigueur lorsque sont survenus les faits ayant donné naissance au présent pourvoi (de fait, entre 1949 et 1992, la LFI ne renfermait aucune définition du mot «disposition»). Toutefois, à la lumière de l'arrêt Geraci et des décisions qui l'ont suivi, je crois qu'il s'est établi, dans la jurisprudence, un consensus que la désignation d'un bénéficiaire aux termes d'une police d'assurance constitue une disposition au sens de l'art. 91. La nouvelle définition ajoutée à la Loi reflète ce consensus. Pour ce motif, je conviens avec le juge Jackson que le Dr Ramgotra a fait une disposition qui a déclenché l'application de l'art. 91.

33 Après avoir conclu que la désignation de Mme Ramgotra à titre de bénéficiaire du FERR du Dr Ramgotra était une disposition au sens de l'art. 91, le juge Jackson a appliqué le second volet du par. 91(2) et s'est demandée si les intérêts du Dr Ramgotra dans le bien dont il avait été disposé avaient cessé lorsque fut faite la disposition. Celle‑ci n'était en effet inopposable au syndic que si les intérêts du Dr Ramgotra n'avaient pas cessé, ce qui soulevait la question complexe de savoir quels sont les «intérêts» qui devaient être pris en considération dans l'application de la condition relative au transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés: s'agissait‑il des intérêts actuels du Dr Ramgotra dans le FERR lui‑même, qui n'avaient certainement pas cessé lorsque fut faite la disposition, ou des intérêts futurs et éventuels que le Dr Ramgotra avait manifestement transférés à son épouse lorsqu'elle est devenue sa bénéficiaire? (Pour une analyse générale de cette question controversée, voir David J. McKee, «Debtor‑Creditor Issues Affecting Annuity Contracts» (1993), 12 Est. & Tr. J. 247, aux pp. 272 à 278, et Norwood et Weir, Norwood on Life Insurance Law in Canada (2e éd. 1993), aux pp. 253 à 256.)

34 Devant notre Cour, les parties ont fait porter l'essentiel de leurs arguments sur la question du transfert de la propriété des intérêts dans les biens visés. Cela n'est guère étonnant compte tenu du fait que le juge Jackson a rédigé de longs motifs à l'appui de sa conclusion que l'intérêt de propriété pertinent était l'intérêt futur et éventuel transmis à Mme Ramgotra. La position du juge Jackson allait directement à l'encontre de la décision rendue dans l'affaire Re MacDonald, précitée. Le problème que soulève la position du juge Jackson est que sa position fait violence à la distinction qui, en application du par. 91(2), doit être faite entre les transferts immédiats de biens et ceux faits in futuro. La disposition d'un intérêt futur éventuel et révocable dans les fonds d'un FERR est une disposition in futuro, c.‑à‑d. une disposition n'ayant pas pour effet, lorsqu'elle est faite, de faire cesser les intérêts du disposant dans le bien en question. Si la disposition d'un intérêt futur éventuel et révocable était considérée comme étant un transfert immédiat de biens, comme le propose le juge Jackson, il est difficile d'imaginer quelle sorte de disposition d'un intérêt futur pourrait échapper à cette description.

35 Comme la désignation d'une bénéficiaire était une disposition in futuro faite au cours des cinq années précédant la faillite du Dr Ramgotra, elle est inopposable au syndic, conformément au par. 91(2). Toutefois, cela ne signifie pas que les fonds du FERR peuvent être attribués aux créanciers de la faillite. Pour les motifs qui suivent, la qualité de bien exempt du FERR comportant une assurance-vie demeure valide sous le régime des lois provinciales applicables, bloquant ainsi les réclamations des créanciers. Avant d'expliquer pourquoi il en est ainsi, je vais examiner la quatrième approche du problème soulevé par le présent pourvoi.

(iv)Lorsque, conformément à l'al. 67(1)b) LFI, le bien en cause est exempt d'exécution ou de saisie par les créanciers, sa qualité de bien exempt l'emporte alors sur le fait qu'il a acquis cette qualité par suite d'une disposition inopposable (l'«approche Geraci (première instance)»)

36 Dans son argumentation, le Dr Ramgotra a plaidé avec vigueur que, comme son FERR est un bien exempt sous le régime de The Saskatchewan Insurance Act et que cette exemption est incorporée dans la LFI par l'al. 67(1)b), le fait qu'il y a eu disposition des fonds du FERR au moment de la désignation de son épouse à titre de bénéficiaire ne devrait avoir aucune pertinence. Essentiellement, le Dr Ramgotra exhorte notre Cour de conclure que les dispositions de la Loi qui concernent les exemptions produisent leurs effets malgré l'art. 91.

37 La prétention du Dr Ramgotra trouve appui dans la décision rendue, en première instance, par le juge Houlden dans Re Geraci (1969), 13 C.B.R. (N.S.) 86 (C.S. Ont.) (décision par la suite infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario, voir la discussion qui précède). Le juge Houlden a d'abord confirmé que la désignation d'un bénéficiaire aux termes d'une police d'assurance‑vie est une disposition au sens de la LFI. Il a ensuite souligné que, du fait de cette désignation, la police elle‑même était exempte d'exécution ou de saisie par les créanciers conformément au par. 162(2) de The Insurance Act, R.S.O. 1960, ch. 190 (réédicté par S.O. 1961-62, ch. 63, art. 4) (maintenant le par. 196(2) de la Loi sur les assurances, L.R.O. 1990, ch. I.8). Il a interprété ainsi l'effet de l'exemption, aux pp. 92 et 93:

[traduction] . . . je crois qu'il ressort d'un examen attentif du par. 162(2) que cette disposition vise clairement à mettre la police d'assurance à l'abri des attaques des créanciers tant que la conjointe en est la bénéficiaire désignée.

...

À mon avis, le par. 162(2) a été conçu pour pourvoir aux besoins des personnes qui étaient auparavant appelées «bénéficiaires privilégiés». Il est maintenant possible de désigner une personne qui, auparavant, aurait été un bénéficiaire privilégié, tout en maintenant, si la désignation n'est pas irrévocable, le droit d'emprunter sur la police, de la céder ou de l'aliéner d'une autre façon. Toutefois, je suis d'avis que, en adoptant le libellé du par. 162(2), la législature a clairement indiqué que tant qu'une telle désignation est en vigueur la police n'est pas «exigible pour le bénéfice de (ses) créanciers»: voir le juge en chef Mulock de l'Ontario dans Royal Bank of Canada c. Dumart, [1932] O.R. 661 (C.A.).

Le juge Houlden a reconnu que le fait d'accorder la préséance à la qualité de bien exempt de la police d'assurance‑vie créerait une certaine injustice. Par exemple, un débiteur insolvable pourrait convertir en argent la totalité de son actif, acheter une police d'assurance‑vie et rendre ce bien exempt de saisie en désignant un membre de sa famille à titre de bénéficiaire. Le juge Houlden a cependant écrit ceci, à la p. 94:

[traduction] À l'heure actuelle, si mon interprétation de The Insurance Act est juste, la législature a décidé qu'une police d'assurance visée par le par. 157(1) ou le par. 162(2) ne peut être réclamée par les créanciers; à mon avis, cette position repose sur une excellente justification morale. En effet, l'assurance est un élément d'actif très différent d'une maison ou d'une automobile par exemple . . . L'assuré achète une assurance pour pourvoir aux besoins des personnes à sa charge et, en général, cette assurance est payée au moyen de petits versements faits pendant toute la vie de l'assuré. Je crois qu'il y a de très bonnes raisons de soustraire les polices d'assurance aux saisies . . .

38 Dans ses motifs dans Geraci, le juge Houlden a repris en grande partie l'opinion qu'il avait exprimée dans un article rédigé auparavant et intitulé «Life Insurance Contracts in Ontario» (1963), 4 C.B.R. (N.S.) 113, à la p. 115:

[traduction] Si une désignation [à titre de bénéficiaire] est faite en faveur d'un conjoint, d'un enfant, d'un petit‑enfant ou du père ou de la mère de la personne assurée, les droits et intérêts de l'assuré dans les sommes assurées et dans le contrat ne peuvent faire l'objet ni d'exécution ni de saisie (par. 162(2)). Même si la désignation de ce bénéficiaire n'est pas irrévocable, le syndic ne peut rien faire à l'égard de cette police parce que les droits et intérêts de l'assuré sont déclarés exempts d'exécution ou de saisie, et que, aux termes de l'al. 39b) [maintenant l'al. 67(1)b)] de la Loi sur la faillite, les biens d'un failli ne comprennent pas les biens qui sont exempts d'exécution ou de saisie. Il semble que le par. 162(2) ait été rédigé à la lumière de l'al. 39b) puisqu'il emploie un libellé identique à celui‑ci.

39 En appel, le juge Jessup a rejeté l'interprétation qu'avait donnée le juge Houlden des articles de la LFI concernant les exemptions et les dispositions, faisant valoir les motifs suivants à la p. 258:

[traduction] Si une disposition de biens entrant dans le champ d'application du par. 60(1) [maintenant le par. 91(1)] de la Loi sur la faillite, et ce tant en ce qui concerne la nature de cette disposition que le moment où elle a été effectuée, doit néanmoins être considérée, en vertu de l'al. 39b), comme étant à l'abri des réclamations des créanciers du failli du seul fait qu'elle jouirait de cette exemption sous le régime des lois provinciales indépendamment du par. 60(1), cela aurait pour effet de rendre le par. 60(1) tout à fait inefficace. Je ne peux imaginer que le Parlement ait pu avoir une telle intention. La règle d'interprétation qui s'applique est celle qui veut que l'on interprète en harmonie toutes les dispositions d'un texte de loi, objectif qui est atteint dans la présente affaire si on applique l'al. 39b) à la lumière du par. 60(1) et non en dépit de celui‑ci. Je conclus par conséquent que les biens dont le failli dispose au cours de l'année qui précède sa faillite comprennent les biens qui, par suite d'une disposition, sont devenus exempts d'exécution ou de saisie sous le régime des lois de la province en cause. [Je souligne.]

40 Le raisonnement du juge Jessup a été expressément écarté au profit de celui du juge Houlden par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans Re Sykes (1993), 18 C.B.R. (3d) 148. Le juge Meredith a souligné, au par. 19, que les motifs du juge Jessup dans Geraci

[traduction] . . . semblent ... ajouter à l'al. 167b) [sic] des mots comme «sauf si la disposition des biens en cause équivaut à une disposition visée à l'art. 91». Cela tient du droit prétorien.

Le juge Meredith n'était pas disposé à suivre cette voie. Il a plutôt statué que la qualité de bien exempt dont bénéficiait la police d'assurance‑vie en question permettait de conclure que les créanciers ne pouvaient la saisir, même si l'exemption résultait d'une disposition inopposable (voir également Canadian Imperial Bank of Commerce c. Meltzer (1991), 6 C.B.R. (3d) 1 (B.R. Man.), où la cour a adopté l'interprétation donnée par le juge Houlden des articles de la LFI concernant les exemptions).

41 Le débat entre les juges Houlden et Jessup dans Geraci, qu'a relancé le juge Meredith dans Sykes, prenait pour acquis qu'il y a conflit entre l'al. 67(1)b) et l'art. 91 LFI. Comme l'a écrit Michael J. McCabe dans son article intitulé «Execution Against an R.R.S.P.» (1990), 76 C.B.R. (N.S.) 218, à la p. 234:

[traduction] Exprimée simplement, la question est de savoir lequel, de l'art. 67 qui incorpore les exemptions provinciales, ou de l'art. 91 qui concerne les dispositions, a préséance.

Pour résoudre cette question, les juges Houlden et Jessup se sont tous deux lancé dans une analyse visant à trouver la solution constituant «le moindre mal». Le juge Houlden a préféré donner préséance à l'al. 67(1)b) sur l'art. 91, afin d'éviter que toutes les désignations de bénéficiaires aux termes de polices d'assurance‑vie faites au cours de l'année précédant la faillite (ou des cinq années qui précèdent la faillite si la désignation a été faite lorsque le débiteur était insolvable, ou si les intérêts de propriété du débiteur n'ont pas cessé lorsque fut faite la désignation) soient inopposables. Il croyait que les cas où une telle désignation serait faite dans le but de frustrer des créanciers seraient rares et qu'[traduction] «il est préférable de permettre que les créanciers subissent un préjudice [dans ces rares cas] plutôt que d'infliger l'épreuve indubitable que constitue la perte d'un placement de toute une vie» (à la p. 94). Le juge Jessup a tiré la conclusion contraire, pour le motif que l'interprétation donnée par le juge Houlden de l'al. 67(1)b) rendrait l'art. 91 «tout à fait inefficace». Le juge Jessup a néanmoins ajouté ceci, à la p. 259:

[traduction] Il semble effectivement injuste de permettre que des sommes d'argent versées de bonne foi pendant des années par un homme pour pourvoir aux besoins de son épouse et de ses enfants soient disponibles pour ses créanciers . . . .

Il a alors proposé une modification à la loi en vue d'éviter pareil résultat.

42 Si j'avais à choisir entre l'approche du juge Houlden et celle du juge Jessup, j'opterais pour celle du juge Houlden et ce pour deux raisons. Premièrement, je crois que le juge Jessup a exagéré l'impact sur l'art. 91 de l'interprétation du juge Houlden, puisque les dispositions qui ont pour effet de rendre exempt un bien qui ne l'est pas ne forment qu'une partie des dispositions visées par l'art. 91. La position du juge Houlden ne rend certainement pas l'art. 91 «tout à fait inefficace», comme l'a affirmé le juge Jessup, à la p. 258. Deuxièmement, l'interprétation qu'a faite ce dernier de l'al. 67(1)b) favorise clairement les intérêts des créanciers plutôt que l'objectif de réhabilitation du disposant failli. La Loi elle‑même ne renferme aucune indication qu'il devrait en être ainsi dans les circonstances de l'espèce ou dans celles de l'affaire Geraci. Je ne crois pas que le législateur entendait que les sommes se trouvant dans des régimes d'assurance‑vie exempts puissent faire l'objet de mesures d'exécution ou de saisie par les créanciers, simplement parce qu'il y a disposition lorsqu'un bénéficiaire est désigné. Après tout, c'est la désignation qui rend le bien exempt sous le régime de la loi provinciale incorporée dans l'al. 67(1)b). Devons‑nous vraiment croire que le législateur entendait que l'acte même par lequel un bien devient exempt soit en même temps la cause de la perte de cette qualité? Je ne le crois pas. À l'instar du juge Houlden, j'estime qu'il serait préférable de respecter la qualité de bien exempt des polices d'assurance‑vie, même lorsqu'elles ont acquis cette qualité par suite d'une disposition visée à l'art. 91.

43 Quoi qu'il en soit, je ne suis pas d'accord avec l'opinion qu'il y a incompatibilité entre l'al. 67(1)b) et l'art. 91 LFI et que, pour résoudre la présente affaire, je dois choisir un article au dépens de l'autre en me fondant sur des considérations de politique. En fait, je crois qu'il est possible de concilier les deux articles en donnant effet à leur texte respectif et en reconnaissant les rôles distincts qu'ils jouent en matière de faillite.

3. L'approche privilégiée à l'égard du problème soulevé en l'espèce

(v)Même si une disposition ayant pour effet de créer un bien exempt est inopposable au syndic en vertu de l'art. 91, l'exemption reconnue à ce bien par la loi provinciale demeure valide et écarte les réclamations des créanciers

44 Lorsqu'on réconcilie l'al. 67(1)b) et l'art. 91 LFI, il est important de se rappeler que le mécanisme général par lequel le patrimoine du failli est partagé par le syndic entre les créanciers comporte deux étapes distinctes. Premièrement, aux termes de la Loi, une personne insolvable «peut faire une cession de tous ses biens au profit de ses créanciers en général» (par. 49(1)), ou les créanciers «peuvent déposer au tribunal une pétition en vue d'une ordonnance de séquestre contre un débiteur» (par. 43(1)). Au moment de la cession ou de l'ordonnance de séquestre, le syndic est tenu de prendre possession des biens qui forment le patrimoine du failli. Ainsi, par l'effet du par. 71(2), les biens du failli passent et sont dévolus au syndic:

71. ...

(2) Lorsqu'une ordonnance de séquestre est rendue, ou qu'une cession est produite auprès d'un séquestre officiel, un failli cesse d'être habile à céder ou autrement aliéner ses biens qui doivent, sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des droits des créanciers garantis, immédiatement passer et être dévolus au syndic nommé dans l'ordonnance de séquestre ou dans la cession, et advenant un changement de syndic, les biens passent de syndic à syndic sans transport, cession, ni transfert quelconque.

Aux termes du par. 16(3) LFI, le syndic «prend possession des titres, livres, dossiers et documents, ainsi que tous les biens du failli, et dresse un inventaire . . .» L'alinéa 158a) impose de plus au failli, à titre gracieux, l'obligation de révéler et de remettre au syndic tous ses biens qui sont en sa possession ou sous son contrôle. D'autres dispositions de la Loi précisent les fonctions, pouvoirs et obligations du syndic à l'étape de la passation des biens du failli (voir en particulier les art. 17, 18, 19 et 24 LFI).

45 Une fois que les biens du failli sont passés en la possession du syndic, la Loi habilite ce dernier à administrer le patrimoine. Ainsi, avec la permission des inspecteurs, le syndic peut vendre ou aliéner des biens (al. 30(1)a)), donner à bail des biens immeubles (al. 30(1)b)), continuer le commerce du failli (al. 30(1)c)), ou partager certains biens parmi les créanciers (al. 30(1)j)). Ces pouvoirs d'administration visent en définitive à faire en sorte que l'actif soit géré de façon à permettre le règlement équitable des réclamations des créanciers. Il s'agit de l'étape de l'administration du patrimoine du failli, dont l'un des aspects est l'attribution de l'actif aux créanciers.

46 Durant l'étape de la passation des biens du failli au syndic, ce dernier est habilité, en vertu de l'art. 91 de la Loi, à annuler certaines dispositions qui ont eu pour effet de réduire la taille du patrimoine. L'article 91 énonce donc les circonstances dans lesquelles une disposition sera annulable à la demande du syndic. Si une disposition est déclarée inopposable au syndic, les biens dont il a été disposé sont retournés au patrimoine du failli et le syndic en prend possession. Plusieurs autres dispositions de la LFI s'appliquent à l'étape de la passation des biens au syndic. Par exemple, l'art. 94 rend inopposables au syndic certaines cessions de créances comptables; le par. 98(1) habilite le syndic à prendre possession des sommes d'argent ou autre produit de la vente de biens dont il a été disposé en faveur d'un tiers lorsque la disposition initiale était nulle; et l'art. 99 prévoit que, même si les biens acquis par le failli après la faillite sont dévolus au syndic, ils peuvent néanmoins être transférés par le failli à un acheteur de bonne foi, sauf si le syndic intervient (auquel cas l'opération lui est inopposable).

47 Il est également question des biens acquis après la faillite à l'art. 68, lequel forme un code complet relativement au traitement, salaire ou autre forme de rémunération que reçoit le failli. Aux termes de cet article, la rémunération reçue après la faillite ne passe et n'est dévolue au syndic que s'il intervient en demandant au tribunal de rendre une ordonnance portant que lui soit payée cette rémunération (ou une partie de celle‑ci) (Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765, à la p. 794). Lorsque le syndic obtient une telle ordonnance du tribunal, la rémunération qui passe alors en sa possession fait également partie du patrimoine attribué aux créanciers, même si elle serait par ailleurs exempte d'exécution ou de saisie sous le régime de la loi provinciale applicable. Il en est ainsi parce que l'art. 68 s'applique «[n]onobstant l'article 67(1)», de sorte que l'exemption provinciale applicable à la rémunération et qui serait autrement incorporée à l'al. 67(1)b) est inopérante: Marzetti, aux pp. 792, 793 et 795. Je souligne que le législateur a jugé nécessaire d'exclure explicitement la rémunération acquise après la faillite du champ d'application de l'al. 67(1)b), écartant ainsi la qualité de bien exempt reconnue à la rémunération par les lois provinciales, pour faire en sorte que, dans les cas où cette rémunération passe au syndic, elle soit également attribuée aux créanciers. Cela vient étayer l'opinion voulant que, en l'absence de dérogation expresse à l'al. 67(1)b), les biens exempts qui passent et sont dévolus au syndic, par l'application soit du par. 71(2) soit de l'art. 91, ne feront pas partie du patrimoine attribué aux créanciers.

48 Contrairement à d'autres dispositions de la Loi tels le par. 71(2) et les art. 91 et 68, le par. 67(1) ne vise aucunement l'étape de la passation des biens du failli au syndic. Ce paragraphe porte plutôt sur l'étape de l'administration du patrimoine et précise les biens de l'actif qui sont disponibles pour régler les réclamations des créanciers. Il est en fait une directive au syndic sur la façon de disposer des biens visés. En conséquence, les biens constituant le patrimoine attribué aux créanciers sont décrits en termes très généraux au par. 67(1):

c) tous les biens, où qu'ils soient situés, qui appartiennent au failli à la date de la faillite, ou qu'il peut acquérir ou qui peuvent lui être dévolus avant sa libération;

d) les pouvoirs sur des biens ou à leur égard, qui auraient pu être exercés par le failli pour son propre bénéfice.

Cependant, deux catégories de biens ne peuvent être attribués aux créanciers par le syndic: les biens détenus par le failli en fiducie pour toute autre personne (al. 67(1)a)), et les biens qui sont exempts d'exécution ou de saisie sous le régime des lois de la province concernée (al. 67(1)b)). Même si ces biens deviennent partie du patrimoine du failli en la possession du syndic, ce dernier ne peut, en raison de l'art. 67, exercer sur eux ses pouvoirs d'attribution de l'actif.

49 Cela permet donc de constater que les art. 91 et 67 régissent deux étapes différentes de la faillite. Alors que l'art. 91 indique que certains biens ayant fait l'objet d'une disposition reviennent dans le patrimoine du failli en la possession du syndic, l'art. 67 porte sur les pouvoirs de nature administrative exercés par ce dernier sur le patrimoine. Lorsque, en vertu de l'art. 91, une disposition est inopposable au syndic, celui‑ci est, dans des circonstances normales, habilité à administrer le bien ayant fait l'objet de la disposition et à l'appliquer au règlement des réclamations des créanciers. Cependant, dans les cas particuliers où il s'agit d'un bien exempt en vertu de l'al. 67(1)b), le syndic ne peut alors exercer ses pouvoirs de distribution car le bien ne fait pas partie du patrimoine attribué aux créanciers. Cette analyse à deux volets est semblable à celle adoptée par le juge Henry de la Cour suprême de l'Ontario dans Re Pearson (1977), 23 C.B.R. (N.S.) 44. Cette affaire portait sur la question de savoir si un syndic peut révoquer la désignation d'un bénéficiaire faite aux termes d'un régime d'assurance‑vie et substituer la faillite à titre de bénéficiaire. Même si le régime lui‑même était exempt de l'application de la LFI, le syndic a cherché à contourner cette exemption en exerçant un «pouvoir» visé à l'al. 47d) [maintenant l'al. 67(1)d)]. Le juge Henry a rejeté la demande du syndic, qualifiant ainsi l'effet des dispositions de la Loi relatives aux exemptions, aux pp. 48 et 49:

[traduction] En cas de faillite, passent dans les mains du syndic, tels qu'ils étaient à la date de la faillite, les droits et intérêts de l'assuré dans les sommes assurées et dans le contrat. Lorsque cet événement s'est produit en l'espèce, les droits et intérêts en question étaient, conformément à l'art. 170 de l'Insurance Act, exempts d'exécution ou de saisie. À mon avis, en ce qui concerne les créanciers du failli, cette situation s'est cristallisée au moment où est survenue la faillite, et l'al. 47b) [maintenant l'al. 67(1)b)] de la Loi sur la faillite a eu pour effet de soustraire ces biens du patrimoine attribué aux créanciers pour tout ce qui concerne la faillite.

Je fais mien cet exposé conforme au droit. Par conséquent, même si au moment de la faillite un bien exempt sous le régime des lois provinciales passe en la possession du syndic, l'exemption elle‑même empêche ce dernier de partager le bien entre les créanciers lorsque l'al. 67(1)b) s'applique.

50 Si on applique ce qui précède aux circonstances de l'espèce, au moment où le Dr Ramgotra a présenté sa demande de faillite, son intérêt de propriété dans le FERR est passé et a été dévolu au syndic en application du par. 71(2) LFI. L'intérêt futur et éventuel de Mme Ramgotra à titre de bénéficiaire désignée aux termes du FERR n'est pas tombé dans le champ d'application du par. 71(2), puisque la disposition de ce bien en faveur de l'épouse avait eu lieu avant la faillite. Il était loisible au syndic de demander l'annulation de cette disposition en vertu du par. 91(2) LFI. Comme je l'ai signalé précédemment, la disposition était inopposable aux termes du par. 91(2), et, en conséquence, l'intérêt futur et éventuel de Mme Ramgotra est passé et a été dévolu au syndic, qui est alors entré en possession de tous les intérêts de propriété rattachés au FERR. Par contre, le syndic ne pouvait partager le FERR entre les créanciers puisque ce bien continuait, malgré l'art. 91, d'être exempt en vertu de l'al. 67(1)b) LFI. En d'autres termes, l'art. 91 a pour rôle de ramener dans le patrimoine du failli en la possession du syndic les biens ayant fait l'objet d'une disposition. Par conséquent, bien que l'art. 91 puisse être invoqué pour mettre le syndic en pleine possession du FERR du Dr Ramgotra, il n'a aucune incidence sur la question de savoir si le FERR est exempt en vertu de l'al. 67(1)b).

51 L'appelante a fait valoir que, dans les cas où une disposition ayant pour effet de créer un bien exempt est annulée en vertu de l'art. 91, l'exemption elle‑même ne vaut plus. En d'autres termes, l'existence d'une disposition valide est une condition préalable logique à l'application d'une exemption fondée sur l'al. 67(1)b). Cet argument a été accepté dans Re Yewdale, précité, où le juge Tysoe a déclaré ceci, à la p. 204:

[traduction] Même si l'al. 67(1)b) établit une exemption à l'égard des rentes d'assurance, il ne doit pas être analysé isolément. Un bien ne peut bénéficier à juste titre de l'exemption prévue par l'al. 67(1)b) que si l'opération créant ce bien est valide. Si cette opération est nulle suivant l'art. 91 (ou tout autre article), le bien exempté doit être considéré comme ayant repris la forme qu'il avait avant l'opération invalide. Si, sous sa forme originale, le bien n'était pas exempt, alors l'al. 67(1)b) ne s'applique pas.

En toute déférence, je ne suis pas d'accord. L'article 91 a pour effet de rendre certaines dispositions inopposables au syndic. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une police d'assurance‑vie, il faut se rappeler que c'est la désignation d'un bénéficiaire qui la rend exempte en vertu de l'al. 67(1)b). Aux termes du par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act, la police d'assurance‑vie conserve sa qualité de bien exempt tant que la désignation est «en vigueur». Pour conclure comme l'a fait le juge Tysoe dans Re Yewdale, il me faudrait statuer que, parce qu'elle est «inopposable au syndic», la désignation faite en l'espèce n'est plus «en vigueur» et n'a pas pour effet d'empêcher le partage des fonds du FERR entre les créanciers du Dr Ramgotra. Toutefois, je ne crois pas que le fait qu'une désignation de bénéficiaire soit inopposable au syndic en vertu de la loi fédérale a nécessairement pour effet de rendre cette désignation inopérante à l'égard des réclamations des créanciers sous le régime des lois provinciales pertinentes incorporées par l'al. 67(1)b). Comme je l'ai dit plus tôt, l'art. 91 et l'al. 67(1)b) régissent des étapes différentes de la faillite et jouent des rôles distincts. L'article 91 aide à identifier les biens du failli qui passent en la possession du syndic, alors que l'al. 67(1)b) permet de déterminer ceux parmi ces biens sur lesquels le syndic peut exercer ses pouvoirs d'administration. Je préfère donc une interprétation de l'art. 91 et de l'al. 67(1)b) reconnaissant le rôle distinct de ces dispositions législatives en matière de faillite à une interprétation faisant de l'une de ces dispositions une condition préalable à l'application de l'autre.

52 Par conséquent, même si le Dr Ramgotra a fait une disposition inopposable visée par le second volet du par. 91(2) lorsqu'il a désigné son épouse à titre de bénéficiaire de son FERR, cela n'autorisait pas le syndic à utiliser les fonds du FERR pour régler les réclamations des créanciers telle la banque appelante. Le FERR est un bien exempt aux termes des lois provinciales incorporées par l'al. 67(1)b), c'est‑à‑dire qu'il ne fait pas partie des biens constituant le patrimoine attribué aux créanciers. Pour cette raison, même si l'intérêt futur et éventuel de Mme Ramgotra dans le FERR était passé en la possession du syndic par l'application du par. 91(2), le FERR était un bien «non réalisable» par le syndic aux termes du par. 40(1) LFI. Par conséquent, le syndic était tenu, avant de demander sa libération, de retourner ce bien au Dr Ramgotra: Thompson c. Coulombe (1984), 54 C.B.R. (N.S.) 254 (C.A. Qué.), à la p. 257; Zemlak (Trustee of) c. Zemlak (1987), 66 C.B.R. (N.S.) 1 (C.A. Sask.), aux pp. 9 et 11. En dépit du fait que la disposition faite par le Dr Ramgotra soit inopposable au syndic, la qualité de bien exempt du FERR est un obstacle insurmontable à la réclamation de la banque appelante.

4. L'application des lois provinciales en matière de fraude

53 Devant les juridictions inférieures qui ont examiné la question soulevée par le présent pourvoi, de vives inquiétudes ont été exprimées à l'égard du fait que la conversion d'un bien non exempt en bien exempt est un moyen commode par lequel un failli peut réduire la taille du patrimoine disponible pour les créanciers. En conséquence, l'intention du failli lorsqu'il effectue l'opération et les conséquences de celle‑ci pour les créanciers ont été des facteurs importants dans l'orientation de la jurisprudence relative à l'art. 91 et à l'al. 67(1)b) LFI. De toute évidence, en l'espèce, le Dr Ramgotra a agi de bonne foi et non dans le but de frustrer les réclamations de ses créanciers. Néanmoins, il serait bien possible d'imaginer des circonstances plus troublantes.

54 Dans son commentaire sur la décision de la Cour d'appel de la Saskatchewan dans la présente affaire Lisa H. Kerbel Caplan ((1994), 26 C.B.R. (3d) 252), prétend que, en common law, pour ce qui est de l'intention, on s'est attaché principalement à [traduction] «l'intention du disposant que le donataire détienne le bien en question dans sa forme originale ou sous une forme qui permette d'en suivre la trace», et non à l'objectif visé par le disposant lorsqu'il effectue la disposition (à la p. 253). Comme cet auteur, je suis d'avis que la question de savoir si un disposant a agi de bonne foi ou dans le but de frustrer ses créanciers n'est pas pertinente pour déterminer s'il y a eu disposition au sens de l'art. 91.

55 En revanche, l'intention du disposant est éminemment pertinente lorsqu'une disposition est contestée en vertu des lois provinciales (ou territoriales) en matière de fraude: Fraudulent Conveyances Act, R.S.N. 1990, ch. F‑24, art. 3; Assignments and Preferences Act, R.S.N.S. 1989, ch. 25, art. 4; Loi sur les cessions et préférences, S.R.N.‑B. 1973, ch. A‑16, art. 2; Frauds on Creditors Act, R.S.P.E.I. 1988, ch. F‑15, art. 2; Code civil du Québec, art. 1631 («action en inopposabilité»); Loi sur les cessions et préférences, L.R.O. 1990, ch. A.33, par. 4(1), et Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers, L.R.O. 1990, ch. F.29, art. 2; Loi sur les transferts frauduleux de biens, L.R.M. 1987, ch. F160, art. 2; The Fraudulent Preferences Act, R.S.S. 1978, ch. F‑21, art. 3; Fraudulent Preferences Act, R.S.A. 1980, ch. F‑18, art. 2; Fraudulent Conveyance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 142, art. 1, et Fraudulent Preference Act, R.S.B.C. 1979, ch. 143, art. 3; Loi sur les préférences et les transferts frauduleux, L.R.Y. 1986, ch. 72, art. 2. (Remarque: les Territoires du Nord‑Ouest n'ont aucun texte de loi sur les préférences ou transferts frauduleux). De fait, plusieurs juridictions inférieures ont avancé que les dispositions faites de mauvaise foi, dans le but de frustrer les créanciers, peuvent être annulées sous le régime de ces lois. Bien qu'il ne soit pas absolument nécessaire en l'espèce de trancher la question, étant donné que le juge Baynton a statué que le Dr Ramgotra avait agi de bonne foi, je suis conscient du besoin de donner certaines indications aux faillis, aux syndics, aux créanciers et aux juridictions inférieures.

56 De façon générale, lorsqu'un transfert a pour effet de rendre un bien exempt d'exécution ou de saisie par les créanciers sous le régime des lois provinciales pertinentes, mais que le transfert lui‑même est inopposable à ces créanciers conformément aux lois provinciales relatives à la fraude, l'exemption est inopérante à l'égard de ces créanciers. En matière de droit de la faillite, je conclurais qu'un failli ne peut bénéficier de l'exemption prévue à l'al. 67(1)b) si le bien en question est devenu exempt par suite d'un transfert frauduleux déclaré nul conformément au droit provincial. Je note que le juge Houlden a conclu, dans Geraci (première instance), à la p. 92, que l'exemption prévue à l'al. 67(1)b) s'applique même lorsque le bien est devenu exempt sous le régime des lois provinciales par suite d'un transfert frauduleux. Je ne suis pas d'accord. À mon avis, une condition préalable à l'application de la protection offerte par l'al. 67(1)b) est que le bien en question soit à l'abri des réclamations des créanciers sous le régime des lois provinciales. Un transfert frauduleux ayant pour effet de rendre un bien exempt est inopposable aux créanciers, comme le fait voir l'art. 3 de la Loi de la Saskatchewan:

[traduction] 3. . . . les donations, transferts, cessions, remises ou paiements de quelque bien que ce soit, réel ou personnel — chatels ou effets, lettres de change, obligations, billets ou titres, ou actions, dividendes, primes ou bonis d'une banque, d'une compagnie ou d'une personne morale —, qu'effectue une personne insolvable ou incapable au moment de l'opération de payer la totalité de ses dettes — ou qui se sait sur le point d'être insolvable — en vue de frustrer, d'entraver, de retarder ou de léser ses créanciers ou certains d'entre eux sont inopposables aux créanciers concernés. [Je souligne.]

Étant donné qu'un transfert frauduleux ayant pour effet de rendre un bien exempt est inopposable aux créanciers par l'application des lois provinciales, le bien en question n'est pas, comme l'exige l'al. 67(1)b) LFI, exempt d'exécution ou de saisie par les créanciers sous le régime des lois provinciales. L'alinéa 67(1)b) ne s'applique donc pas si un transfert est jugé frauduleux.

57 Est‑il possible de faire annuler, en tant que transfert frauduleux de biens, la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie? Cette question a donné lieu à des opinions divergentes dans les juridictions inférieures. Dans Geraci (première instance), par exemple, le juge Houlden a conclu, à la p. 89, que la désignation d'un bénéficiaire pouvait être attaquée aux termes de l'art. 2 de la Loi ontarienne, puisqu'il s'agit d'un transfert fait dans l'intention frauduleuse de frustrer les créanciers. Le juge Jessup, s'exprimant pour la Cour d'appel, a souscrit à cette conclusion, à la p. 259:

[traduction] Je suis d'accord avec le juge de première instance que la déclaration qu'a faite le failli afin de désigner son épouse à titre de bénéficiaire de sa police d'assurance, pendant qu'il était insolvable, était une cession frauduleuse au sens de l'art. 2 de la Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers. De plus, s'il était nécessaire de le faire, je conclurais que cette désignation par le failli était en conséquence frauduleuse et inopposable à ses créanciers, et qu'une telle désignation inopposable ne jouit pas de la protection contre les créanciers offerte par l'art. 162 ou l'art. 157 de l'actuelle Loi sur les assurances.

58 L'arrêt Geraci n'a pas été suivi sur ce point dans Sovereign General Insurance Co. c. Dale (1988), 32 B.C.L.R. (2d) 226 (C.S.). Dans cette affaire, le défendeur avait transféré les fonds d'un REER non exempt dans une rente d'assurance qui, en vertu de l'art. 147 de l'Insurance Act de la Colombie‑Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 200, était exempte d'exécution ou de saisie parce que son épouse était la bénéficiaire désignée du régime. La demanderesse, qui avait obtenu jugement contre le défendeur, a demandé l'annulation de la conversion en rente des fonds des REER en plaidant qu'il s'agissait d'un transfert frauduleux. Le juge Gibbs a conclu que le défendeur avait eu l'intention requise en matière de fraude puisqu'il avait effectué le transfert des fonds dans le but d'empêcher la demanderesse d'exécuter son jugement. Le juge s'est ensuite demandé si le transfert était une «disposition de biens» qui pouvait être annulée aux termes de la Fraudulent Conveyance Act de la Colombie‑Britannique. Après avoir déclaré que les motifs du juge Jessup sur ce point dans l'arrêt Geraci constituaient une opinion incidente et que la question n'avait pas encore reçu de réponse, le juge Gibbs a statué ainsi, aux pp. 230 et 231:

[traduction] À mon avis, il ne convient pas d'examiner les conséquences qui découlent de la désignation de l'épouse à titre de bénéficiaire aux termes du contrat d'assurance pour déterminer s'il a été disposé d'un intérêt dans un bien. Il semble pourtant que ce soit ce qu'on a fait dans un certain nombre des affaires citées. Avec égards, je ne crois pas que ce soit la bonne méthode, car la nature de la protection d'origine législative dont pourrait bénéficier ou non l'«intérêt» transféré ne détermine pas la nature de cet «intérêt». À mon avis, il faut plutôt se demander si l'«intérêt», si c'est bien là le terme qui convient, a l'un ou l'autre des attributs communément reconnus de la propriété. Lorsque j'applique cette analyse, j'en arrive à la conclusion que non.

. . .

Jusqu'à ce qu'il y ait dévolution, l'expression «intérêt» n'est probablement rien d'autre qu'une étiquette commode pour décrire une attente future, qui pourrait ne jamais se concrétiser; en effet, l'assuré pourrait désigner un bénéficiaire différent, ou le bénéficiaire désigné pourrait décéder avant l'assuré. Jusqu'à ce qu'il y ait dévolution, si effectivement cela se produit, l'attente du bénéficiaire ne constitue pas un bien réel ou un bien personnel; elle n'est pas un droit incorporel; elle n'a pas de valeur marchande et elle n'est pas exigible. Tout au plus repose‑t‑elle sur une éventualité. On a dit de cette attente qu'elle est visée par la définition générale de «property» [«biens» en français] dans la Loi sur la faillite, qui comprend un intérêt futur et éventuel se rattachant à des biens, mais il ne s'ensuit pas pour autant qu'elle est subsumée dans le seul mot «property» figurant dans la Fraudulent Conveyance Act. À mon avis, elle ne l'est pas.

Ainsi, selon le juge Gibbs, le transfert de fonds en question n'était pas un transfert de «biens» susceptible d'être annulé en vertu de la Loi de la Colombie‑Britannique.

59 Je n'entends pas résoudre cette question en l'espèce, mais je ferai néanmoins la remarque suivante. La question spécifique de savoir si la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie est un «transfert de biens» ne se pose pas sous le régime de l'art. 1631 du Code civil du Québec, qui permet aux créanciers de faire annuler des «actes juridiques» frauduleux:

1631. Le créancier, s'il en subit un préjudice, peut faire déclarer inopposable à son égard l'acte juridique que fait son débiteur en fraude de ses droits, notamment l'acte par lequel il se rend ou cherche à se rendre insolvable ou accorde, alors qu'il est insolvable, une préférence à un autre créancier.

Cependant, les autres lois provinciales font toutes état de quelque forme de «transfert» ou «aliénation» de «biens» dans «l'intention de frustrer» les réclamations des créanciers. Toutes les dispositions législatives provinciales en matière de fraude visent manifestement à créer un recours, et elles ont pour objet de permettre aux créanciers de faire annuler une vaste gamme d'opérations mettant en cause un large éventail d'intérêts de propriété, lorsque de telles opérations ont été effectuées dans le but de frustrer leurs réclamations légitimes. Les lois en question devraient donc recevoir une interprétation équitable, large et libérale qui favorise la réalisation de leur objet, comme l'exigent les diverses lois d'interprétation provinciales (voir, par exemple, The Interpretation Act, 1993, S.S. 1993, ch. I‑11.1, art. 10). Je suis d'accord avec l'observation suivante du professeur Dunlop, dans Creditor‑Debtor Law in Canada (2e éd. 1995), à la p. 598, qui affirme que les lois relatives aux transferts frauduleux ont pour objet:

[traduction] . . . de permettre l'annulation de tous les transferts de biens effectués dans l'intention de retarder, d'entraver ou de frauder les créanciers et d'autres personnes, sauf les transferts faits de bonne foi et avec contrepartie valable à des personnes n'ayant aucune connaissance de cette fraude. Ces lois sont rédigées en termes très généraux et devraient être interprétées de manière libérale. [Je souligne.]

60 Étant donné l'interprétation large et libérale qu'il faut donner, je dirais qu'il y a de bonnes raisons de conclure que la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie est à la fois un «acte juridique» et une «aliénation» ou un «transfert» de «biens».

5. L'application du Statute of Elizabeth

61 En Cour d'appel, le juge Jackson a avancé que la loi intitulée An Acte agaynst fraudulent Deedes Gyftes Alienations, &c. (Statute of Elizabeth), 1571 (Ang.) 13 Eliz. 1, ch. 5, pourrait être invoquée à l'encontre d'opérations frauduleuses ayant pour effet de rendre des biens exempts d'exécution ou de saisie. Le Statute of Elizabeth est le texte qui, dans les provinces de common law, a servi de modèle pour la rédaction des lois relatives aux transferts frauduleux dont il a été question précédemment. Rédigée dans un langage archaïque, cette loi prévoit ceci:

[traduction] . . . tous les fieffements, donations, concessions, aliénations, marchés et transferts de bien‑fonds, tènements, héritages, marchandises et chatels, ou de l'un d'eux, [faits avec malice, fraude, collusion, duperie ou supercherie [dans l']intention de retarder, d'entraver ou de frauder les créanciers sont] clairement et absolument nuls et de nul effet.

Dans Nicholson c. Milne (1989), 74 C.B.R. (N.S.) 263 (B.R. Alb.), le juge Virtue s'est penché sur l'applicabilité du Statute of Elizabeth dans une situation où les différents défendeurs avaient rendu des REER et des fonds mutuels exempts sous le régime d'une loi de l'Alberta, l'Insurance Act, R.S.A. 1980, ch. I‑5, art. 265, en transférant les sommes en cause dans des polices d'assurance‑vie dont ils avaient désigné des membres de leur famille respective bénéficiaires. La question dont était saisi le juge Virtue était de savoir si ces transferts pouvaient être annulés en vertu de la Fraudulent Preferences Act de l'Alberta ou, subsidiairement, en vertu du Statute of Elizabeth. Le juge a souligné que la principale différence entre les deux lois était que la loi provinciale exigeait que les donations ou transferts aient été faits lorsque le débiteur était insolvable ou incapable de payer la totalité de ses dettes, ou encore à un moment où il se savait sur le point d'être insolvable, alors que le Statute of Elizabeth ne posait pas cette exigence. Il a alors décidé d'appliquer le Statute of Elizabeth afin d'éviter d'avoir à examiner la question de l'insolvabilité. Il a d'abord conclu que les transferts de fonds avaient été effectués dans le but de frustrer les créanciers, puis, à la p. 274, il a statué que les transferts et les désignations de bénéficiaires étaient des «transferts» visés par le Statute of Elizabeth:

[traduction] Le mot «transfert» (tout comme le mot cession) est lui‑même suffisamment large pour englober tous les moyens par lesquels une personne dispose ou se départit d'un bien ou d'un intérêt sur celui‑ci, de façon absolue ou conditionnelle. Ce mot a un sens général et, si on l'interprète de manière libérale, il vise aussi les opérations effectuées en l'espèce et qui ont eu pour effet de transférer le droit aux prestations du REER du débiteur à une autre personne, de telle façon que ce bien a été soustrait aux mesures d'exécution des créanciers. À mon avis, une telle opération est visée par le mot «transfert» utilisé dans le Statute of Elizabeth.

En conséquence, les désignations de bénéficiaire et transferts frauduleux étaient nuls, et les fonds des polices d'assurance‑vie n'étaient pas exempts d'exécution ou de saisie en vertu de l'Insurance Act (voir également Technurbe Building Construction Ltd. c. McKinley (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 106 (B.R. Alb.)).

62 Plusieurs lois provinciales relatives aux transferts frauduleux imposent une exigence d'insolvabilité analogue à celle figurant dans la Loi de l'Alberta: Nouvelle‑Écosse, Nouveau‑Brunswick, Île‑du‑Prince‑Édouard, Saskatchewan et Yukon. Par conséquent, à supposer — sans en décider — que le Statute of Elizabeth soit toujours en vigueur dans ces provinces et ce territoire, ce texte permettrait aux créanciers de contester des transferts frauduleux sans avoir à prouver que, au moment où ceux‑ci ont été effectués, le débiteur était insolvable ou incapable de payer la totalité de ses dettes, ou encore qu'il se savait sur le point d'être insolvable.

63 Il subsiste une certaine controverse quant à savoir si le Statute of Elizabeth est en vigueur dans l'ensemble des provinces et territoires de common law. Le professeur Dunlop analyse cette question dans Creditor‑Debtor Law in Canada, op. cit., et avance, à la p. 597, que le Statute a vraisemblablement été abrogé en Colombie‑Britannique, au Manitoba, à Terre‑Neuve et en Ontario, provinces où ont été édictées des mesures législatives visant les transferts purement frauduleux (c'est‑à‑dire ne comportant d'exigence d'insolvabilité). Comme la question n'a pas été débattue en l'espèce, il serait inopportun de décider si le Statute of Elizabeth est encore en vigueur dans une province donnée. Qu'il suffise de dire que si le Statute est en vigueur dans une province ou dans un territoire il pourra alors être invoqué pour contester des transferts frauduleux ayant pour effet de rendre des biens exempts d'exécution ou de saisie sous le régime des lois provinciales applicables. J'ajouterais que les commentaires que j'ai formulés plus tôt sur la question de savoir si la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie constitue un «transfert de biens» s'appliquent également en ce qui concerne le Statute of Elizabeth.

6. Conclusion

64 Lorsque le Dr Ramgotra a transféré les fonds de ses deux REER dans un FERR dont son épouse a été désignée bénéficiaire, ces sommes sont devenues exemptes d'exécution ou de saisie par l'effet conjugué de l'al. 67(1)b) LFI ainsi que du sous‑al. 2kk)(vii) et du par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act. Même si la désignation d'un bénéficiaire était une disposition au sens de l'art. 91 LFI, et qu'elle était inopposable au syndic conformément au second volet du par. 91(2) LFI, le FERR est demeuré à l'abri des réclamations des créanciers du Dr Ramgotra et, en particulier, de celle de la banque appelante.

VI. Dispositif

65 Le pourvoi est par conséquent rejeté avec dépens en faveur des intimés.

Pourvoi rejeté avec dépens.

Procureurs de l'appelante: Gauley & Co., Saskatoon.

Procureurs de l'intimée la Nord‑Américaine, compagnie d'assurance‑vie: MacDermid, Lamarsh, Saskatoon.

Procureurs de l'intimé Balvir Singh Ramgotra: Goldstein, Jackson, Gibbings, Saskatoon.


Synthèse
Référence neutre : [1996] 1 R.C.S. 325 ?
Date de la décision : 22/02/1996
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Faillite - Disposition de fonds - REER transférés de bonne foi dans un FERR (rente d'assurance) au profit d'un tiers - Inopposabilité au syndic des dispositions faites au cours des cinq ans qui précèdent la faillite si les intérêts du disposant dans les biens n'ont pas cessé lorsque fut faite la disposition - FERR normalement à l'abri des réclamations des créanciers de la faillite - Cession de biens dans les cinq ans du transfert - Le transfert dans le FERR est‑il une disposition? - Dans l'affirmative, la disposition est‑elle inopposable au syndic? - Si oui, les fonds du FERR peuvent‑ils servir à régler les réclamations des créanciers en dépit de l'exemption dont bénéficie le FERR? - Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3, art. 67, 91 - The Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, art. 2kk), 158.

En juin 1990, l'intimé Ramgotra a transféré les fonds de ses REER dans un FERR géré par la compagnie d'assurance intimée. Son épouse a été désignée bénéficiaire du FERR et les paiements ont commencé en août de la même année. Par suite d'événements liés à l'exercice de sa profession de médecin, l'intimé a fait cession de ses biens en février 1992. Lorsqu'il a obtenu sa libération absolue, en janvier 1993, il n'a conservé pour tous biens que ses vêtements, le contenu de sa maison et le FERR. Alors que les REER auraient été touchés par les réclamations de ses créanciers, le FERR, parce qu'il constituait une rente d'assurance‑vie, était à l'abri de leurs réclamations par l'effet conjugué de l'al. 67(1)b) (les biens constituant le patrimoine attribué aux créanciers ne comprennent pas les biens qui sont exempts de saisie sous le régime de lois provinciales) de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI) ainsi que du sous‑al. 2kk)(vii) (assurance‑vie s'entend également d'une rente) et du par. 158(2) (les sommes assurées et le contrat d'assurance‑vie sont exempts de saisie lorsque le conjoint est désigné bénéficiaire) de The Saskatchewan Insurance Act. Le syndic a demandé un jugement déclaratoire portant que, en vertu du par. 91(2) LFI, le transfert des fonds des REER dans le FERR était nul. Ce paragraphe énonce notamment que sont inopposables au syndic les «dispositions» de biens faites au cours des cinq ans qui précèdent la faillite si «les intérêts du disposant dans ces biens n'ont pas cessé» lorsque fut faite la disposition. Au procès, la demande du syndic a été rejetée pour le motif que l'intimé avait agi de bonne foi en transférant les fonds des REER dans le FERR et non dans le but de frustrer les réclamations de ses créanciers. L'appel à la Cour d'appel de la Saskatchewan interjeté par l'appelante a lui aussi été rejeté. Les questions en litige sont les suivantes: (1) L'opération est‑elle une disposition au sens de l'art. 91 LFI? (2) Dans l'affirmative, la disposition est‑elle inopposable au syndic en vertu du second volet du par. 91(2)? (3) Si oui, les fonds du FERR peuvent‑ils servir à régler les réclamations des créanciers en dépit de l'exemption dont bénéficie le FERR en vertu de l'al. 67(1)b)?

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Lorsque l'intimé Ramgotra a transféré les fonds de ses deux REER dans un FERR dont son épouse a été désignée bénéficiaire, ces sommes sont devenues exemptes d'exécution ou de saisie par l'effet conjugué de l'al. 67(1)b) LFI ainsi que du sous‑al. 2kk)(vii) et du par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act. Même si la désignation d'un bénéficiaire était une disposition au sens de l'art. 91 LFI, et qu'elle était inopposable au syndic conformément au second volet du par. 91(2) LFI, le FERR est demeuré à l'abri des réclamations des créanciers de l'intimé Ramgotra et, en particulier, de celle de l'appelante.

Il s'est établi, dans la jurisprudence, un consensus que la désignation d'un bénéficiaire aux termes d'une police d'assurance constitue une disposition au sens de l'art. 91. L'intimé Ramgotra a fait une disposition qui a déclenché l'application de l'art. 91.

Il n'y a pas incompatibilité entre l'al. 67(1)b) et l'art. 91 LFI. Il est possible de concilier les deux articles en donnant effet à leur texte respectif et en reconnaissant les rôles distincts qu'ils jouent en matière de faillite. Alors que l'art. 91 indique que certains biens ayant fait l'objet d'une disposition reviennent dans le patrimoine du failli en la possession du syndic, l'art. 67 porte sur les pouvoirs de nature administrative exercés par ce dernier sur le patrimoine. Lorsque, en vertu de l'art. 91, une disposition est inopposable au syndic, celui‑ci est, dans des circonstances normales, habilité à administrer le bien ayant fait l'objet de la disposition et à l'appliquer au règlement des réclamations des créanciers. Cependant, dans les cas particuliers où il s'agit d'un bien exempt en vertu de l'al. 67(1)b), le syndic ne peut alors exercer ses pouvoirs de distribution car le bien ne fait pas partie du patrimoine attribué aux créanciers.

L'intérêt de propriété de l'intimé Ramgotra dans le FERR est passé et a été dévolu au syndic en application du par. 71(2) LFI. L'intérêt futur et éventuel de la bénéficiaire désignée aux termes du FERR n'est pas tombé dans le champ d'application du par. 71(2), puisque la disposition de ce bien en faveur de la bénéficiaire désignée avait eu lieu avant la faillite. Il était loisible au syndic de demander l'annulation de cette disposition en vertu du par. 91(2) LFI.

L'article 91 a pour effet de rendre certaines dispositions inopposables au syndic. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une police d'assurance‑vie, c'est la désignation d'un bénéficiaire qui la rend exempte en vertu de l'al. 67(1)b). Aux termes du par. 158(2) de The Saskatchewan Insurance Act, la police d'assurance‑vie conserve sa qualité de bien exempt tant que la désignation est «en vigueur». Le fait qu'une désignation de bénéficiaire soit inopposable au syndic en vertu de la loi fédérale n'a pas nécessairement pour effet de rendre cette désignation inopérante à l'égard des réclamations des créanciers sous le régime des lois provinciales pertinentes incorporées par l'al. 67(1)b).

Il n'est pas nécessaire de décider si l'intimé Ramgotra a fait une disposition inopposable visée par le second volet du par. 91(2) lorsqu'il a désigné son épouse à titre de bénéficiaire de son FERR. Même si la disposition était inopposable au syndic, cela n'autorisait pas ce dernier à utiliser les fonds du FERR pour régler les réclamations des créanciers telle la banque appelante. Le FERR est un bien exempt aux termes des lois provinciales incorporées par l'al. 67(1)b), c'est‑à‑dire qu'il ne fait pas partie des biens constituant le patrimoine attribué aux créanciers. Pour cette raison, même si l'intérêt futur et éventuel de Mme Ramgotra dans le FERR était passé en la possession du syndic par l'application du par. 91(2), le FERR était un bien «non réalisable» par le syndic aux termes du par. 40(1) LFI. Par conséquent, le syndic était tenu, avant de demander sa libération, de retourner ce bien à l'intimé Ramgotra. Peu importe que la disposition faite par l'intimé Ramgotra soit ou non inopposable au syndic, la qualité de bien exempt du FERR est un obstacle insurmontable à la réclamation de l'appelante.

La question de savoir si un disposant a agi de bonne foi ou dans le but de frustrer ses créanciers n'est pas pertinente pour déterminer s'il y a eu disposition au sens de l'art. 91. En revanche, l'intention du disposant est éminemment pertinente lorsqu'une disposition est contestée en vertu des lois provinciales en matière de fraude. Il n'est pas nécessaire de déterminer s'il est possible de faire annuler, en tant que transfert frauduleux de biens, la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie. Les dispositions législatives provinciales en matière de fraude visent manifestement à créer un recours, et elles devraient donc recevoir une interprétation équitable, large et libérale qui favorise la réalisation de leur objet. Il y a de bonnes raisons de conclure que la désignation d'un bénéficiaire d'une assurance‑vie est à la fois un «acte juridique» et une «aliénation» ou un «transfert» de «biens».

À supposer — sans en décider — que le Statute of Elizabeth soit toujours en vigueur, ce texte permettrait aux créanciers de contester des transferts frauduleux, y compris la désignation du bénéficiaire d'une assurance‑vie, sans avoir à prouver que, au moment où ceux‑ci ont été effectués, le débiteur était insolvable ou incapable de payer la totalité de ses dettes, ou encore qu'il se savait sur le point d'être insolvable.


Parties
Demandeurs : Banque Royale du Canada
Défendeurs : Nord-Américaine, cie d'assurance-vie

Références :

Jurisprudence
Arrêt appliqué: Re Bozanich, [1942] R.C.S. 130
arrêts examinés: Re Wozniuk (1987), 76 A.R. 42
Re Geraci (1970), 14 C.B.R. (N.S.) 253, inf. (1969), 13 C.B.R. (N.S.) 86
Re Sykes (1993), 18 C.B.R. (3d) 148
Re Pearson (1977), 23 C.B.R. (N.S.) 44
Nicholson c. Milne (1989), 74 C.B.R. (N.S.) 263
arrêts critiqués: Wilson c. Doane Raymond Ltd. (1988), 69 C.B.R. (N.S.) 156
Re Yewdale (1995), 30 C.B.R. (3d) 194
arrêts mentionnés: Royal Bank c. Oliver (1992), 11 C.B.R. (3d) 82
In re Lowndes
Ex parte Trustee (1887), 18 Q.B.D. 677
Shrager c. March, [1908] A.C. 402
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M.N.R. c. Anthony (1995), 124 D.L.R. (4th) 575
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Alberta Treasury Branches c. Guimond (1987), 70 C.B.R. (N.S.) 125
Camgoz (Trustee of) c. Sun Life Assurance Co. of Canada (1988), 70 C.B.R. (N.S.) 131, conf. par (1988), 72 C.B.R. (N.S.) 319
Klassen (Trustee of) c. Great West Life Assurance Co. (1990), 1 C.B.R. (3d) 263
Re Douyon (1982), 134 D.L.R. (3d) 324
Re MacDonald (1991), 21 C.B.R. (3d) 211
Canadian Imperial Bank of Commerce c. Meltzer (1991), 6 C.B.R. (3d) 1
Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765
Thompson c. Coulombe (1984), 54 C.B.R. (N.S.) 254
Zemlak (Trustee of) c. Zemlak (1987), 66 C.B.R. (N.S.) 1
Sovereign General Insurance Co. c. Dale (1988), 32 B.C.L.R. (2d) 226
Technurbe Building Construction Ltd. c. McKinley (1989), 76 C.B.R. (N.S.) 106.
Lois et règlements cités
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Assignments and Preferences Act, R.S.N.S. 1989, ch. 25, art. 4.
Code civil du Québec, art. 1631 («action en inopposabilité»).
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Fraudulent Conveyance Act, R.S.B.C. 1979, ch. 142, art. 1.
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Fraudulent Preference Act, R.S.B.C. 1979, ch. 143, art. 3.
Fraudulent Preferences Act, R.S.A. 1980, ch. F‑18, art. 2.
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Insurance Act, R.S.A. 1980, ch. I-5, art. 265.
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Insurance Act, R.S.O. 1960, ch. 190, art. 162(2) (maintenant L.R.O. 1990, ch. I.8, art. 196(2)).
Interpretation Act, 1993, S.S. 1993, ch. I‑11.1, art. 10.
Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B‑3, art. 2 «disposition» [mod. par L.C. 1992, ch. 27, art. 3(2)], 16(3), 17, 18, 19, 24, 30(1)a), b), c), j), 40(1), 43(1), 49(1), 67(1) [abr. & rempl. idem art. 33], a), b), c), d), 68 [idem art. 34], 71(2), 72(1), 91(1) [idem art. 40], (2), 3b), 94, 98(1), 99, 158a).
Loi sur les cessions en fraude des droits des créanciers, L.R.O. 1990, ch. F.29, art. 2.
Loi sur les cessions et préférences, L.R.O. 1990, ch. A.33, par. 4(1).
Loi sur les cessions et préférences, S.R.N.‑B. 1973, ch. A‑16, art. 2.
Loi sur les préférences et les transferts frauduleux, L.R.Y. 1986, ch. 72, art. 2.
Loi sur les transferts frauduleux de biens, L.R.M. 1987, ch. F160, art. 2.
Règles régissant la faillite, C.R.C. 1978, ch. 368, art. 89.
Saskatchewan Farm Security Act, S.S. 1988‑89, ch. S‑17.1, art. 65.
Saskatchewan Insurance Act, R.S.S. 1978, ch. S‑26, art. 2kk)(i), (ii), (iii), (iv), (vii), 158(1), (2).
Doctrine citée
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Norwood, David, and John P. Weir. Norwood on Life Insurance Law in Canada, 2nd ed. Scarborough, Ont.: Carswell, 1993.

Proposition de citation de la décision: Banque Royale du Canada c. Nord-Américaine, cie d'assurance-vie, [1996] 1 R.C.S. 325 (22 février 1996)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1996-02-22;.1996..1.r.c.s..325 ?
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