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26/06/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._657

Canada | Bande indienne de St. Mary's c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657 (26 juin 1997)


Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657

La bande indienne de St. Mary’s et le conseil

de la bande indienne de St. Mary’s Appelants

c.

La ville de Cranbrook Intimée

et

Le procureur général du Canada Intervenant

Répertorié: Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville)

No du greffe: 24946.

Audition et jugement: 19 février 1997.

Motifs déposés: 26 juin 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin,

Iacobucci et Major.

en appel de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑...

Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657

La bande indienne de St. Mary’s et le conseil

de la bande indienne de St. Mary’s Appelants

c.

La ville de Cranbrook Intimée

et

Le procureur général du Canada Intervenant

Répertorié: Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville)

No du greffe: 24946.

Audition et jugement: 19 février 1997.

Motifs déposés: 26 juin 1997.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges La Forest, L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1995), 10 B.C.L.R. (3d) 249, 62 B.C.A.C. 109, 103 W.A.C. 109, 126 D.L.R. (4th) 539, [1995] 10 W.W.R. 371, [1996] 2 C.N.L.R. 222, [1995] B.C.J. No. 1575 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté contre la décision du juge Spencer, [1994] 3 C.N.L.R. 187, 114 D.L.R. (4th) 752, [1994] B.C.J. No. 1144 (QL). Pourvoi rejeté.

John L. Finlay et Janna Sylvest, pour les appelants.

Christopher S. Murdy et David Garraway, pour l’intimée.

John R. Haig, c.r., et Scott Cowan, pour l’intervenant.

Version française du jugement de la Cour rendu par

1 Le Juge en chef — Au début de 1966, la bande indienne de St. Mary’s a cédé une partie de sa réserve à la Couronne fédérale pour la construction d’un aéroport municipal à Cranbrook en Colombie‑Britannique. L’objet du présent pourvoi, formé par la bande contre un jugement de la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique, est de déterminer si ces terres cédées sont visées par la définition légale de «réserve» et sont, en conséquence, assujetties à la compétence en matière de taxation foncière reconnue à la bande par l’al. 83(1)a) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

2 À la clôture de l’audience, la Cour a rendu jugement en faveur de la ville de Cranbrook intimée. J’ai alors indiqué que le résultat auquel la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est parvenue, c’est‑à‑dire le rejet du compte de taxe foncière, était correct, et que notre Cour rejetait donc le pourvoi et motiverait ultérieurement sa décision. Les motifs complets de la décision de la Cour sont exposés ci‑après.

I. Les faits et l’historique des procédures

3 Les appelants sont une bande indienne qui possède des terres constituant une réserve dans la province de la Colombie‑Britannique. En 1966, les appelants ont cédé à la Couronne fédérale une partie de leur réserve, soit 598 acres (les «terrains aéroportuaires»), à la condition expresse que ces terres soient par la suite vendues pour la construction et l’exploitation d’un aéroport municipal. Par décret, la Couronne a versé en fiducie la pleine valeur marchande des terres (35 880 $), et les deux parties ont convenu [traduction] «que si, à quelque moment que ce soit, les terres en question cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique, elles seront retournées à la bande indienne de St. Mary’s à titre gratuit». Après la cession, la Couronne a, au moyen d’un autre décret, transféré les terres à Transports Canada qui, à son tour, les a données à bail à la ville de Cranbrook intimée. Ensuite, Transports Canada et la ville ont construit ensemble l’aéroport projeté.

4 De 1966 à 1992, l’intimée a exploité l’aéroport et, à aucun moment durant cette période, les appelants n’ont exigé quelque forme de paiement que ce soit à titre de taxes foncières à des fins locales, probablement parce que: a) le par. 83(1) de la Loi sur les Indiens limite l’exercice du pouvoir d’un conseil de bande d’imposer des taxes foncières aux droits sur les immeubles situés «dans la réserve»; b) pendant cette période, la Loi sur les Indiens semblait exclure de la définition en vigueur du mot réserve les terres qui avaient été cédées par une bande. Durant cette période, soit que les terres faisaient partie de la réserve soit qu’elles étaient cédées; elles ne pouvaient pas être les deux. Voir Leonard c. R. in Right of British Columbia (1984), 52 B.C.L.R. 389 (C.A.).

5 Toutefois, en 1988, la Loi sur les Indiens a été modifiée (L.C. 1988, ch. 23, art. 1 (maintenant L.R.C. (1985), ch. 17 (4e suppl.)) (les «modifications de Kamloops»)) et la définition de «réserve» a été modifiée afin d’inclure les «terres désignées», expression que la Loi définit en ces termes:

2. . . .

. . . Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle‑ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu. [Je souligne.]

En d’autres mots, par suite des modifications de Kamloops, certaines terres cédées -‑ les terres cédées «autrement qu’à titre absolu» -‑ étaient désormais visées par la définition légale de réserve.

6 En 1992, sur le fondement de la nouvelle définition, les appelants ont imposé à la ville de Cranbrook, en application du par. 83(1) de la Loi sur les Indiens, des taxes foncières d’environ 300 000 $ à l’égard des terrains aéroportuaires. Selon la thèse des appelants, même si les terres ont été cédées en 1966 afin d’être vendues, l’entente selon laquelle les terres seraient retournées à la bande si elles «cess[aient] d’être utilisées à des fins d’utilité publique» signifiait que le transfert était fait «autrement qu’à titre absolu» et, en conséquence, que les terres visées étaient des «terres désignées», assimilées à une réserve.

7 La ville de Cranbrook a refusé de payer les taxes foncières imposées par la bande. Elle a interprété le transfert initial des terrains aéroportuaires comme une cession absolue à des fins de vente. La bande avait reçu une somme correspondant à la pleine valeur marchande des terres et l’intimée a interprété la stipulation prévoyant le cas où les terres «cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique» comme une simple condition assortissant le transfert à titre absolu.

8 Par suite du refus de payer de la ville, la bande a pris action contre l’intimée pour obtenir le paiement des taxes foncières impayées. La qualité d’intervenant a été accordée au procureur général du Canada dans l’affaire parce que, dans une action distincte, la bande réclamait des taxes au gouvernement du Canada dans des circonstances identiques.

9 Le 20 mai 1994, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique a statué sur la demande de jugement sommaire présentée par les appelants ([1994] 3 C.N.L.R. 187). Selon le juge Spencer, la seule question en litige était de savoir si, du fait de la stipulation prévoyant le cas où les terres visées «cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique», la cession des terrains aéroportuaires avait été faite «autrement qu’à titre absolu». Pour se prononcer sur cette question, le juge Spencer a examiné les dispositions de la Loi sur les Indiens qui étaient en vigueur au moment de la cession en 1966. À ce moment‑là, le par. 38(2) disposait qu’une «cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition». Le juge Spencer a conclu que la stipulation prévoyant le cas où les terres «cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique» avait donné à la cession un caractère restreint. Le juge Spencer a reconnu qu’il existe, en common law, une distinction entre un fief résoluble et un fief sous condition résolutoire, mais il a, en fin de compte, statué que les concepts traditionnels du droit des biens ne s’appliquent pas aux terres détenues par les Indiens, détention qu’on a qualifiée de sui generis. Le juge Spencer a plutôt appliqué strictement à la cession la définition du dictionnaire et, pour la simple raison qu’une restriction frappait le droit cédé, il a conclu que la cession était restreinte. Le juge Spencer a ordonné à l’intimée de verser aux appelants la somme de 334 611,38 $ au titre des taxes foncières, majorée de l’intérêt couru à la date du jugement, soit 26 797,63 $.

10 Dans un arrêt unanime, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique (1995), 10 B.C.L.R. (3d) 249, a infirmé la décision du juge Spencer. Le juge Hutcheon a d’abord souligné que les modifications de Kamloops étaient la réponse directe du législateur à l’arrêt Leonard, précité, rendu plus tôt par la Cour d’appel, dans lequel celle-ci avait statué que des terres situées dans la réserve de Kamloops et qui avaient été cédées par une bande indienne ne faisaient plus partie de cette réserve pour l’application des exemptions de la taxe de vente provinciale. Le législateur a réagi à l’arrêt Leonard en édictant un régime de cession à deux niveaux. En vertu de ce régime, les terres cédées à des fins de vente demeureraient en dehors de la réserve tandis que celles cédées à des fins de location seraient assimilées à une réserve. Le juge Hutcheon a reconnu que les droits fonciers des autochtones sont des droits sui generis, mais il a rejeté l’argument de la bande voulant que ce statut suspende l’application des règles ordinaires du droit des biens. Se fondant sur les principes ordinaires du droit des biens, le juge Hutcheon a qualifié la cession des terrains aéroportuaires de transfert d’un fief simple sous condition résolutoire, et, partant, de transfert absolu. Il a établi une distinction entre cette cession et la concession d’un fief résoluble, auquel cas la bande aurait conservé, sur les terres en question, un droit donnant ouverture à taxation. Par conséquent, la Cour d’appel a statué que la ville de Cranbrook n’était pas tenue de payer les taxes foncières imposées par la bande.

II. Les questions en litige

11 Le présent pourvoi soulève une question fondamentale:

La cession par les appelants des terrains aéroportuaires a‑t‑elle été faite «autrement qu’à titre absolu», de sorte que les terres cédées sont maintenant visées par la définition de «terres désignées» dans l’actuelle Loi sur les Indiens?

Cette question oblige la Cour à examiner la question suivante, qui a été définie et débattue par les parties:

Le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones emporte-t-il que les principes du droit des biens en common law ne s’appliquent pas à la cession, en vertu des dispositions de la Loi sur les Indiens, de terres faisant partie d’une réserve indienne?

À mon avis, compte tenu des faits de l’espèce, les deux autres questions soulevées par les appelants ne se posent pas.

III. Les dispositions législatives pertinentes

12 Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149

2. (1) . . .

o) «réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu’Elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande;

. . .

q) «terres cédées» signifie une réserve ou partie d’une réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attribué à Sa Majesté et que la bande à l’usage et au profit de laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.

37. Sauf dispositions contraires de la présente loi, les terres dans une réserve ne doivent être vendues, aliénées ni louées, ou il ne doit en être autrement disposé, que si elles ont été cédées à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. (1) Une bande peut abandonner à Sa Majesté tout droit ou intérêt de la bande et de ses membres dans une réserve.

(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5

2. (1) . . .

«réserve» Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande; y sont assimilées les terres désignées, sauf pour l’application du paragraphe 18(2), des articles 20 à 25, 28, 36 à 38, 42, 44, 46, 48 à 51, 58 et 60, ou des règlements pris sous leur régime.

«terres désignées» Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle‑ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu.

37. (1) Les terres dans une réserve ne peuvent être vendues ou aliénées que si elles sont cédées à titre absolu conformément au paragraphe 38(1) à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

(2) Sauf disposition contraire de la présente loi, les terres dans une réserve ne peuvent être données à bail ou faire l’objet d’un démembrement que si elles sont cédées conformément au paragraphe 38(2) à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. (1) Une bande peut céder à titre absolu à Sa Majesté, avec ou sans conditions, tous ses droits, et ceux de ses membres, portant sur tout ou partie d’une réserve.

(2) Aux fins de les donner à bail ou de les démembrer, une bande peut désigner par voie de cession à Sa Majesté, avec ou sans conditions, autre qu’à titre absolu, tous droits de la bande, et ceux de ses membres, sur tout ou partie d’une réserve.

83. (1) Sans préjudice des pouvoirs que confère l’article 81, le conseil de la bande peut, sous réserve de l’approbation du ministre, prendre des règlements administratifs dans les domaines suivants:

a) . . . l’imposition de taxes à des fins locales, sur les immeubles situés dans la réserve, ainsi que sur les droits sur ceux‑ci, et notamment sur les droits d’occupation, de possession et d’usage;

IV. L’analyse

13 À la clôture de l’audience en l’espèce, j’ai annoncé la décision de la Cour de rejeter le pourvoi. Il était implicite dans cette décision que notre Cour avait conclu que la cession des terrains aéroportuaires par la bande indienne de St. Mary’s n’avait pas été faite «autrement qu’à titre absolu» et, donc, que ces terres n’étaient pas des «terres désignées» au sens de l’actuelle Loi sur les Indiens. Deux constatations ont amené cette conclusion. Premièrement, malgré le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones, la nature de la cession des terrains aéroportuaires par la bande et le contexte dans lequel cette cession a été faite montrent bien que l’intention véritable des appelants était de se départir des terres en cause de façon absolue. Deuxièmement, les modifications de Kamloops ont eu pour effet de ramener dans la réserve les terres indiennes cédées à des fins de location. En revanche, les terres cédées à des fins de vente étaient manifestement censées demeurer hors de la compétence de la bande en matière de taxation foncière.

A. Le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones

14 Je tiens tout d’abord à préciser que les droits fonciers des autochtones ont un caractère sui generis et que la présente décision n’a pas pour effet de modifier de quelque façon que ce soit ce statut spécial. Comme notre Cour l’a déclaré dans les arrêts Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654, et Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344, les droits fonciers des autochtones appartiennent à une catégorie qui leur est propre et, pour cette raison, les règles traditionnelles du droit des biens ne sont pas utiles à la Cour pour trancher le présent pourvoi.

15 Mais qu’est‑ce que cela signifie dans les faits? Comme le juge Gonthier l’a affirmé, aux par. 6 et 7 de l’arrêt Rivière Blueberry, précité, cela signifie que nous ne devons pas aborder l’examen du présent litige comme le ferait ordinairement un juge de common law, en nous référant strictement aux règles inflexibles du droit des biens:

À mon avis, les principes généraux du droit des biens en common law ne sont pas utiles dans le contexte du présent pourvoi. Puisque le titre indien sur les réserves a un caractère sui generis, il serait fort malencontreux que les exigences de forme de la common law en matière de transfert foncier viennent frustrer l’intention des parties, tout particulièrement celle de la bande, à l’égard de leurs intérêts dans la R.I. 172. Voilà pourquoi le caractère juridique de la cession de 1945 et son effet sur celle de 1940 doivent être déterminés au regard de l’intention de la bande. Hormis quelque empêchement prescrit par la loi (ce qui, comme nous l’avons vu précédemment, n’est pas le cas en l’espèce), il faut laisser l’intention des membres de la bande produire ses effets juridiques.

Selon moi, l’application d’une analyse fondée sur l’intention des parties offre un avantage important. Ainsi que l’a fait remarquer le juge McLachlin, la loi traite les peuples autochtones comme des acteurs autonomes en ce qui concerne l’acquisition et la cession de leurs terres, il faut donc respecter leurs décisions. En conséquence, il est préférable de s’en remettre à l’intention des membres de la bande et à leur compréhension de la situation en 1945, plutôt que de conclure que, quelle qu’ait été cette intention, c’est par un coup de chance -‑ résultant de règles et autres formalités procédurales applicables aux transferts fonciers -‑ qu’est invalidée la cession des droits miniers en 1945. Dans un cas comme celui‑ci, l’application d’une analyse plus formaliste est à l’avantage des peuples autochtones. Cependant, il est facile d’imaginer des cas où cette même analyse serait préjudiciable aux autochtones et ferait obstacle à leurs plans mûrement réfléchis. À mon avis, dans l’examen des effets juridiques des opérations conclues par les peuples autochtones et la Couronne relativement à des terres faisant partie de réserves, il ne faut pas oublier que, compte tenu du caractère sui generis du titre autochtone, les tribunaux doivent faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law afin de donner effet à l’objet véritable de ces opérations.

Ce passage confirme que nous ne nous attachons pas aux menus détails du langage employé dans les documents de cession, et que nous ne devrions pas nous appuyer sur les distinctions traditionnelles entre des restrictions résolubles et des conditions résolutoires pour statuer sur une affaire comme celle qui nous occupe. La Cour doit plutôt «faire abstraction des restrictions habituelles» imposées par la common law et examiner de plus près quelle était l’intention de la bande indienne de St. Mary’s et celle de la Couronne au moment de la cession des terrains aéroportuaires.

16 La Cour a dit que les concepts du droit des biens en common law ne s’appliquent pas aux terres indiennes parce qu’il faut empêcher que l’intention des autochtones ne soit frustrée par l’application des règles formalistes de la common law qui, pourrait-on soutenir, leur sont étrangères. Même dans une affaire comme celle dont nous sommes saisis et où la bande indienne a bénéficié d’une représentation juridique complète avant l’opération de cession, nous devons veiller à ce que la forme ne l’emporte pas sur le fond. Il serait fondamentalement injuste d’imposer des exigences formalistes et inflexibles en matière de transfert foncier à ces «acteurs autonomes» et de conclure que la stipulation prévoyant le cas où les terres «cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique» était une condition résolutoire uniquement parce que la bande a commis l’erreur d’employer le mot [traduction] «si» au lieu du mot «lorsque». Par conséquent, même si je souscris au résultat auquel la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique est arrivée en l’espèce, il ne me paraît pas possible d’accepter la façon dont le juge Hutcheon est parvenu à ce résultat. Les motifs de ce dernier ne tiennent pas compte de l’arrêt récent de notre Cour Rivière Blueberry. Il ressort très clairement de cet arrêt que nous ne nous en remettons pas aux distinctions traditionnelles entre fief résoluble et fief sous condition résolutoire pour trancher les litiges relatifs aux droits fonciers des autochtones.

B. L’objet véritable des opérations

17 Tous les juges de la Cour qui ont entendu l’affaire Rivière Blueberry ont reconnu qu’il est nécessaire de lever le voile du droit des biens pour trancher les litiges relatifs aux droits fonciers des autochtones. Comme le juge Gonthier l’a affirmé, au par. 7, la Cour doit examiner l’«objet véritable de ces opérations». Le juge McLachlin a également déclaré, au par. 83:

L’objet fondamental des dispositions de la Loi des Indiens relatives aux cessions est de faire en sorte que l’on respecte l’intention des bandes indiennes relativement à leurs droits sur les réserves.

Quelle était donc l’intention véritable de la bande indienne de St. Mary’s lorsqu’elle a cédé les terrains aéroportuaires à la Couronne en 1966?

18 C’est sans grande hésitation que je conclus que les appelants entendaient se départir à titre absolu des terrains aéroportuaires. Premièrement, la bande a cédé les terres en question pour qu’elles soient vendues. La bande a sérieusement envisagé la possibilité de consentir un bail à long terme, mais elle a finalement préféré demander à la Couronne de vendre à un tiers les terres cédées. Deuxièmement, les appelants ont entamé des négociations avec la Couronne en sachant parfaitement que les terres en cause seraient vendues afin d’y construire un aéroport pour la ville de Cranbrook. Nous ne parlons pas ici d’une installation ou d’une entreprise ayant une courte durée de vie. Une vente suppose un degré élevé de permanence, et un aéroport requiert une infrastructure complexe et durable. Troisièmement, en contrepartie de la cession, la Couronne a versé aux appelants la pleine valeur marchande des terres (35 880 $). Ce paiement confirme également la permanence de l’arrangement. De fait, compte tenu du régime établi par la Loi sur les Indiens, c’est pratiquement le plus loin où une bande indienne peut aller sans vendre elle‑même des terres faisant partie d’une réserve.

19 À mon sens, la stipulation prévoyant le cas où les terres «cessent d’être utilisées à des fins d’utilité publique» ne fait pas échec à cette conclusion. En d’autres mots, la thèse des appelants ne me convainc pas que la simple adjonction par la bande de cette stipulation dans l’acte de cession veut forcément dire que la cession n’était pas absolue. Les mots «absolu» et «conditionnel» ne sont pas incompatibles, ni sur le plan des concepts ni sous le régime de la Loi sur les Indiens. En effet, un élément clé des versions de 1952 et de 1988 de la Loi sur les Indiens est qu’elles disposent expressément qu’une cession peut être à la fois absolue et assortie de conditions. Le paragraphe 38(2) de la Loi sur les Indiens de 1952 était ainsi rédigé:

38. . . .

(2) Une cession peut être absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition.

De même, le par. 38(1) de la Loi sur les Indiens de 1985 dispose:

38. (1) Une bande peut céder à titre absolu à Sa Majesté, avec ou sans conditions, tous ses droits, et ceux de ses membres, portant sur tout ou partie d’une réserve.

Ces dispositions montrent non seulement que mon interprétation de la cession des terrains aéroportuaires est depuis longtemps envisagée dans la Loi sur les Indiens, mais aussi, en toute déférence, que le juge Spencer a eu tort de recourir à un dictionnaire pour établir une distinction entre une cession absolue et une cession restreinte. En concluant qu’une cession absolue est une cession qui ne comporte aucune restriction, le juge Spencer nie la réalité exprimée dans la Loi sur les Indiens, savoir qu’une cession à titre absolu peut être assortie de conditions.

C. L’effet des modifications de Kamloops

20 Comme je l’ai souligné plus haut, le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones signifie que nous n’appliquons pas à la cession de terres indiennes les exigences de forme applicables en matière de transfert foncier. Toutefois, cela ne veut pas dire que notre Cour devrait trancher le présent cas sans se référer aux règles ordinaires d’interprétation des lois. De fait, je suis d’avis que la Cour peut trancher le pourvoi simplement en se référant aux modifications de Kamloops elles‑mêmes. Même si ces modifications visaient à clarifier le statut des terres de réserve cédées à des fins de location, elles n’ont jamais été conçues pour inclure dans la définition de réserve les terres cédées à des fins de vente. Le législateur a toujours considéré que les terres cédées à des fins de vente sont cédées à titre absolu.

21 À l’audience, les appelants ont énergiquement plaidé qu’il faut interpréter la nature de la cession dans le contexte de la Loi sur les Indiens qui était en vigueur au moment de la cession en 1966. Jusqu’à un certain point ils ont raison. Si l’abandon des terrains aéroportuaires était une cession à des fins de location en vertu du texte de la Loi sur les Indiens qui était en vigueur en 1966, il n’y a rien dans les modifications de Kamloops qui puisse être interprété de façon à modifier ce fait. Mais, en toute déférence, il ne s’agit pas là de la question en litige. Toutes les parties au présent pourvoi conviennent que les appelants ont cédé les terrains aéroportuaires à des fins de vente. La question est de savoir si l’expression «autrement qu’à titre absolu» employée dans la définition de «terres désignées» prévue par les modifications de Kamloops vise aussi les cessions faites à des fins de vente. Je conclus que non.

22 Comme je l’ai indiqué au début des présents motifs, les modifications de Kamloops étaient la réponse du législateur à l’arrêt Leonard, précité. Dans cette affaire, le chef d’une bande indienne de la Colombie‑Britannique, Mary Leonard, contestait la perception de la taxe de vente à l’égard des achats effectués par les membres de sa bande dans les entreprises situées sur des terres que la bande avait cédées à des fins de location en 1980. La bande a pris action contre la Couronne, invoquant le fait que ses membres étaient exonérés de la taxe de vente par l’al. 87b) de la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, qui dispose que «les biens personnels d’un Indien ou d’une bande situés sur une réserve» sont exemptés de taxation. La question fondamentale était donc de savoir si les terres cédées faisaient partie de la réserve. La Cour d’appel a répondu par la négative. Le juge Macfarlane a statué que les termes «réserve» et «terres cédées» étaient définis séparément et que chacun d’eux faisait l’objet d’un traitement législatif distinct dans la Loi sur les Indiens. Par conséquent, la cour a statué que toutes les terres cédées étaient en dehors de la réserve et que, de ce fait, les biens personnels achetés par un Indien sur des terres cédées étaient assujettis à la taxe de vente provinciale.

23 L’effet de l’arrêt Leonard a été profond, mais le résultat n’était ni étonnant ni incorrect. La Loi sur les Indiens de 1952 établissait une nette distinction entre les notions de terres faisant partie d’une réserve et de terres cédées:

2. (1) . . .

o) «réserve» signifie une parcelle de terrain dont le titre juridique est attribué à Sa Majesté et qu’Elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande;

. . .

q) «terres cédées» signifie une réserve ou partie d’une réserve, ou tout intérêt y afférent, dont le titre juridique demeure attribué à Sa Majesté et que la bande à l’usage et au profit de laquelle il avait été mis de côté a abandonné ou cédé.

En conséquence, je n’ai guère de difficulté à souscrire à l’arrêt Leonard et à conclure, sur le fondement de cette décision, que, de 1966 à 1988, les terrains aéroportuaires ne faisaient pas partie de la réserve des appelants. Compte tenu de la structure de la Loi sur les Indiens de 1952, toutes les terres cédées avant 1988 -- que la cession ait été absolue ou restreinte, conditionnelle ou sans condition -- étaient nécessairement exclues de la définition de réserve. La dernière question à laquelle il faut répondre concerne la façon dont les modifications de Kamloops de 1988 ont changé cette situation.

24 L’objet déclaré des modifications de Kamloops ne laisse place à aucune équivoque. Lorsqu’il a présenté les nouvelles modifications au Parlement, le gouvernement a bien précisé que ces modifications visaient à clarifier le statut des terres cédées et à inclure les terres cédées aux fins de les donner à bail dans la définition de réserve, principalement pour fins de taxation. À ce moment‑là, le secrétaire parlementaire du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien a fait la déclaration suivante (Débats de la Chambre des communes, vol. XIII, 2e sess., 33e lég., 2 juin 1988, aux pp. 16046 et 16047):

Le projet de loi a deux buts principaux. D’abord préciser le statut juridique des terres indiennes; ensuite, fixer le cadre juridique permettant aux bandes de prélever des impôts fonciers . . .

Aux termes du projet de loi à l’étude, deux formes de cession seront définies. Premièrement, la cession à titre absolu aux fins de la vente, qui signifie l’abandon de tout intérêt indien dans une terre et son retrait de la réserve, un cas extrêmement rare, et deuxièmement, la cession d’une terre aux fins de la donner à bail ou à une autre fin restreinte, auquel cas elle continue de faire partie de la réserve. La mise de côté d’une partie de la réserve aux fins de la donner à bail ne constitue pas une cession, ni un abandon de l’intérêt indien dans cette terre.

Pour faciliter et renforcer la distinction entre ces deux types de cession, on appellerait respectivement «terres désignées» et «désignation» les terres cédées aux fins de les donner à bail et le processus de cession non absolue de ces terres. Il s’agit d’un progrès certain dans les termes par rapport au terme «cession» et ce changement a une grande valeur symbolique.

Grâce à ces modifications, les collectivités indiennes pourront mettre de côté des terres pour qu’elles soient mises en valeur sans craindre qu’elles ne perdent le statut de terres indiennes. Les droits que leur confère la Loi sur les Indiens vont subsister, par exemple le droit de vote aux élections de bande, la protection de la propriété culturelle et le pouvoir de gouverner le territoire par voie de statuts administratifs.

Ce dernier point est très important. À l’heure actuelle, il n’est pas du tout clair que dans la Loi sur les Indiens le mot «réserve» comprenne les territoires cédés d’une façon ou d’une autre. Il y a donc danger qu’une terre cédée à bail cesse de faire partie de la réserve, et que les statuts administratifs pris par le conseil de bande y soient sans effet. Ce serait là une perte absolument inadmissible de la compétence indienne et de la maîtrise des Indiens sur leur territoire. Cela entraînerait par ailleurs une très grave carence administrative locale sur les terres indiennes cédées à bail. La chose s’est produite à maintes reprises en divers endroits du Canada et c’est la raison pour laquelle la bande de Kamloops a sollicité ces changements. Voilà une situation qui ne peut plus être tolérée.

Une des attributions les plus importantes que les bandes ont besoin d’exercer par voie de statuts administratifs, c’est la taxation de l’occupation du sol. Cela m’amène au deuxième but de ces modifications, qui est de bien préciser que les conseils de bande ont le pouvoir d’imposer le locataire ou l’utilisateur d’une partie du territoire de la réserve pour couvrir leurs dépenses d’administration de ce territoire. Il s’agit là d’une attribution fiscale qui est absolument indispensable aux pouvoirs publics modernes de tous les niveaux. Certaines bandes préféreront peut‑être ne pas en faire usage, mais il faut qu’elle soit prévue à l’intention de celles qui désirent l’exercer.

25 Conformément aux objectifs qu’il avait annoncés, le législateur a adopté les modifications de Kamloops et changé la définition de «réserve» pour qu’elle vise aussi les «terres désignées», que la nouvelle Loi définit ainsi:

. . . Parcelle de terrain, ou tout droit sur celle‑ci, propriété de Sa Majesté et relativement à laquelle la bande à l’usage et au profit de laquelle elle a été mise de côté à titre de réserve a cédé, avant ou après l’entrée en vigueur de la présente définition, ses droits autrement qu’à titre absolu.

Le législateur a également modifié les art. 37 et 38 de la Loi sur les Indiens afin de préciser les formes de cession qui seraient absolues et celles qui ne le seraient pas. D’une part, le législateur a clairement indiqué que la cession d’une terre afin de la donner à bail ne serait pas faite à titre absolu. Les paragraphes 37(2) et 38(2) ont été modifiés pour disposer:

37. . . .

(2) Sauf disposition contraire de la présente loi, les terres dans une réserve ne peuvent être données à bail ou faire l’objet d’un démembrement que si elles sont cédées conformément au paragraphe 38(2) à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. . . .

(2) Aux fins de les donner à bail ou de les démembrer, une bande peut désigner par voie de cession à Sa Majesté, avec ou sans conditions, autre qu’à titre absolu, tous droits de la bande, et ceux de ses membres, sur tout ou partie d’une réserve.

D’autre part, le législateur a précisé tout aussi clairement que la cession d’une terre afin de la vendre continuerait d’être considérée comme faite à titre absolu. Les paragraphes 37(1) et 38(1) ont été modifiés pour confirmer:

37. (1) Les terres dans une réserve ne peuvent être vendues ou aliénées que si elles sont cédées à titre absolu conformément au paragraphe 38(1) à Sa Majesté par la bande à l’usage et au profit communs de laquelle la réserve a été mise de côté.

38. (1) Une bande peut céder à titre absolu à Sa Majesté, avec ou sans conditions, tous ses droits, et ceux de ses membres, portant sur tout ou partie d’une réserve.

26 Le législateur a donc réagi à l’arrêt Leonard en donnant des éclaircissements importants sur le statut juridique des terres cédées en vertu de la Loi sur les Indiens. Il est évident, toutefois, que le législateur n’a pas inclus toutes les terres cédées par une bande indienne dans la définition légale de «réserve». Si telle avait été la fin recherchée, les moyens employés auraient été carrément moins complexes. Au contraire, conscient de la nécessité d’exclure de la définition de «réserve» les terres cédées afin d’être vendues, le législateur a créé un régime de cessions à deux niveaux. La condition préalable énoncée au par. 37(1), savoir que les terres doivent être cédées à titre absolu avant d’être vendues, montre que le législateur entendait exclure les terres cédées à cette fin de la définition de réserve. Plusieurs éléments des modifications de Kamloops, dont le plus manifeste est l’emploi du verbe «désigner» au par. 38(2), montrent qu’on entendait que les terres cédées pour être données à bail soient visées par la définition de «terres désignées».

27 Pourquoi le législateur a‑t‑il employé l’expression générale «autrement qu’à titre absolu»? Si son intention expresse était d’exclure des terres faisant partie de la réserve les terres cédées à des fins de vente, pourquoi n’a‑t‑il pas défini l’expression «terres désignées» d’une manière plus explicite? J’ai une réponse convaincante à offrir: le législateur doit avoir choisi l’expression générale «autrement qu’à titre absolu» afin de parer à d’autres éventualités -- d’une part, pour permettre que des terres faisant l’objet d’autres formes limitées de cession, comme un droit de passage, soient considérées comme des terres désignées, et, d’autre part, pour faire en sorte que les terres faisant l’objet d’autres formes de cessions permanentes, comme l’échange ou le don, demeurent en dehors de nos conceptions de terres faisant partie d’une réserve. Le législateur aurait pu formuler sa définition de «terres désignées» en fonction de la distinction spécifique entre la location et la vente. S’il l’avait fait, le présent litige aurait probablement été évité. Mais cette distinction est purement une distinction préliminaire, et une réponse législative aussi limitée aurait donné lieu à bien d’autres litiges qui auraient probablement été plus difficiles à trancher.

28 La dualité dans les modifications de Kamloops fournit des indications claires pour définir l’expression «autrement qu’à titre absolu». Compte tenu de l’arrêt Leonard, le législateur a voulu inclure les terres qui sont cédées pour être données à bail (ou à d’autres fins n’allant pas jusqu’à la location) dans la définition légale de «réserve». Par ailleurs, il a voulu en même temps confirmer que les terres cédées pour être vendues (ou à des fins similaires à la vente) continuent d’être exclues de la définition de réserve. C’est donc sans hésitation que je conclus que l’expression «autrement qu’à titre absolu» exclut expressément toutes les terres cédées à des fins de vente, que ce soit avec ou sans conditions.

D. Les autres questions en litige

29 Vu l’analyse qui précède, il n’est pas nécessaire que je me prononce sur les autres questions soulevées par les parties au présent pourvoi. Selon moi, il n’existe pas d’ambiguïté devant être tranchée de la manière exposée par notre Cour dans Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29. En outre, il n’est ni nécessaire ni souhaitable que la Cour détermine s’il existe des principes favorables au maintien de la distinction établie par le droit des biens en common law entre un fief résoluble et un fief simple sous condition résolutoire.

V. La conclusion

30 Comme notre Cour l’a mentionné à la clôture de l’audience, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a eu raison de rejeter la cotisation de taxes foncières présentée par la bande indienne de St. Mary’s à la ville de Cranbrook relativement à l’aéroport de Cranbrook. Même si le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones emporte que les tribunaux ne devraient pas recourir aux principes traditionnels du droit des biens pour régler un tel litige, l’intention véritable des parties et le contexte de l’opération révèlent que la cession des terrains aéroportuaires était absolue. Qui plus est, il est clair que les modifications de Kamloops ont été édictées afin de préciser le statut des terres cédées en vertu de la Loi sur les Indiens, et que cela a été fait en incluant les terres cédées à des fins de location à la définition de réserve et en excluant de cette définition les terres cédées à des fins de vente. Il s’ensuit forcément, à mon avis, que l’expression «autrement qu’à titre absolu» employée dans la définition de terres désignées ne s’applique pas aux terrains aéroportuaires en l’espèce.

31 Le pourvoi a été rejeté pour tous les motifs qui précèdent.

Pourvoi rejeté.

Procureurs des appelants: Arvay, Finlay, Victoria.

Procureurs de l’intimée: MacKenzie, Murdy & McAllister, Vancouver.

Procureur de l’intervenant: Le procureur général du Canada, Ottawa.


Synthèse
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 657 ?
Date de la décision : 26/06/1997
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Indiens - Réserves - Définition de «réserve» modifiée afin d’y inclure les «terres désignées» cédées «autrement qu’à titre absolu» - Terres faisant partie d’une réserve cédées à leur valeur marchande pour la construction d’un aéroport, mais avec la stipulation que les terres retourneraient à la réserve si elles n’étaient pas utilisées à des fins d’utilité publique - Les terres cédées pour la construction de l’aéroport sont‑elles des «terres désignées»? - Les principes du droit des biens en common law sont‑ils applicables à la cession de terres faisant partie d’une réserve indienne? - Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 2(1) «réserve», «terres cédées», 37(1), 38(1), (2) - Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 2(1) «réserve», «terres désignées», 37(1), (2), 38(1), (2), 83(1)a).

En 1966, les appelants ont cédé à la Couronne fédérale, en contrepartie de la pleine valeur marchande du bien-fonds en question, une partie de leur réserve pour qu’elle soit utilisée comme aéroport municipal, avec la stipulation que les terres en question retourneraient à la bande si elles cessaient d’être utilisées à des fins d’utilité publique. La Loi sur les Indiens limitait l’exercice du pouvoir des conseils de bande d’imposer des taxes foncières aux droits sur les immeubles situés «dans la réserve», mais, en 1988, les modifications de Kamloops ont changé la Loi sur les Indiens pour indiquer que certaines terres cédées — les terres cédées «autrement qu’à titre absolu» — étaient désormais visées par la définition légale de réserve. Les appelants ont imposé des taxes foncières en 1992, invoquant que, en raison de la stipulation figurant dans l’acte de cession, le transfert avait été fait «autrement qu’à titre absolu», de sorte que les terres visées étaient des «terres désignées», assimilées à une réserve.

L’intimée ayant refusé de payer, la bande a pris action et obtenu gain de cause, mais le jugement de première instance a été infirmé en appel. La qualité d’intervenant a été accordée au procureur général du Canada parce que, dans une action distincte, la bande réclamait des taxes au gouvernement du Canada dans des circonstances identiques.

La question fondamentale dont est saisie notre Cour est de savoir si la cession par les appelants a été faite «autrement qu’à titre absolu», de sorte que les terres cédées sont maintenant visées par la définition de «terres désignées» dans l’actuelle Loi sur les Indiens. Cette question oblige la Cour à examiner la question de savoir si le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones emporte que les principes du droit des biens en common law ne s’appliquent pas à la cession, en vertu de la Loi sur les Indiens, de terres faisant partie d’une réserve indienne.

Arrêt: Le pourvoi est rejeté.

Vu le caractère sui generis des droits fonciers des autochtones, la Cour doit faire abstraction des restrictions habituelles imposées par la common law (qui comprendraient les menus détails du langage employé dans les documents de cession et les distinctions traditionnelles entre des restrictions résolubles et des conditions résolutoires) et examiner de plus près quelle était l’intention de la bande et celle de la Couronne au moment de la cession des terres.

Les appelants entendaient se départir à titre absolu des terres. Premièrement, la bande a cédé les terres pour qu’elles soient vendues. Deuxièmement, elle a entamé des négociations avec la Couronne en sachant parfaitement que les terres en cause seraient vendues pour servir d’aéroport. Troisièmement, en contrepartie de la cession des terres, la Couronne a versé aux appelants la pleine valeur marchande de celles-ci. La simple adjonction par la bande d’une stipulation dans l’acte de cession ne veut pas forcément dire que la cession n’était pas absolue. Les mots «absolu» et «conditionnel» ne sont pas incompatibles, ni sur le plan des concepts ni sous le régime de la Loi sur les Indiens. Un élément clé des versions de 1952 et de 1988 de la Loi sur les Indiens est qu’elles disposent expressément qu’une cession peut être à la fois absolue et assortie de conditions.

Les modifications de Kamloops ont créé un régime de cession à deux niveaux visant à clarifier, principalement pour fins de taxation, le statut des terres qui sont cédées pour être données à bail. Les terres cédées à des fins de location sont visées par la définition de «terres désignées», et les terres cédées afin d’être vendues sont exclues de la définition de réserve. L’expression générale «autrement qu’à titre absolu» permet que les terres faisant l’objet d’autres formes limitées de cessions (tel un droit de passage) soient considérées comme des terres désignées, tout en faisant en sorte que celles visées par d’autres formes de cessions permanentes -- que ces cessions soient faites avec ou sans conditions (comme l’échange ou le don) -- continuent d’être exclues de la notion de terres faisant partie d’une réserve. La définition de «terres désignées» ne s’applique donc pas aux terrains aéroportuaires.


Parties
Demandeurs : Bande indienne de St. Mary's
Défendeurs : Cranbrook (Ville)

Références :

Jurisprudence
Arrêts mentionnés: Leonard c. R. in Right of British Columbia (1984), 52 B.C.L.R. 389
Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335
Canadien Pacifique Ltée c. Paul, [1988] 2 R.C.S. 654
Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] 4 R.C.S. 344
Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29.
Lois et règlements cités
Loi sur les Indiens, S.R.C. 1952, ch. 149, art. 2(1) «réserve», «terres cédées», 37(1), 38(1), (2).
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, art. 2(1) «réserve» [mod. ch. 17 (4e suppl.), art. 1], «terres désignées» [aj. idem], 37 [abr. & rempl. idem, art. 2)], 38 [idem], 83(1)a) [rempl. & abr. idem, art. 10].
Doctrine citée
Canada. Débats de la Chambre des communes, vol. XIII, e sess., 33e lég., 2 juin 1988, pp. 16046 et 16047.

Proposition de citation de la décision: Bande indienne de St. Mary's c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657 (26 juin 1997)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-06-26;.1997..2.r.c.s..657 ?
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