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10/07/1997 | CANADA | N°[1997]_2_R.C.S._777

Canada | R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777 (10 juillet 1997)


R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Able Joshua Esau Intimé

Répertorié: R. c. Esau

No du greffe: 25409.

1997: 18 mars; 1997: 10 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel des territoires du nord‑ouest

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel des territoires du Nord‑Ouest, [1996] N.W.T.R. 242, [1996] N.W.T.J. No. 51 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté par l’accusé contre

sa déclaration de culpabilité d’agression sexuelle et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté, les juges L’Heu...

R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777

Sa Majesté la Reine Appelante

c.

Able Joshua Esau Intimé

Répertorié: R. c. Esau

No du greffe: 25409.

1997: 18 mars; 1997: 10 juillet.

Présents: Le juge en chef Lamer et les juges L’Heureux‑Dubé, Sopinka, Gonthier, McLachlin, Iacobucci et Major.

en appel de la cour d’appel des territoires du nord‑ouest

POURVOI contre un arrêt de la Cour d’appel des territoires du Nord‑Ouest, [1996] N.W.T.R. 242, [1996] N.W.T.J. No. 51 (QL), qui a accueilli l’appel interjeté par l’accusé contre sa déclaration de culpabilité d’agression sexuelle et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Pourvoi rejeté, les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes.

M. David Gates et Bernadette Schmaltz, pour l’appelante.

Adrian C. Wright et Catherine Stark, pour l’intimé.

Version française du jugement du juge en chef Lamer et des juges Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major rendu par

1 Le juge Major -- Le présent pourvoi ramène devant la Cour la question de la défense de croyance sincère mais erronée au consentement relativement à une accusation d’agression sexuelle. Ce moyen de défense a été fréquemment examiné dans des décisions récentes et les présents motifs ne font qu’exposer de nouveau ce qui a déjà été dit.

I. Les faits

2 L’intimé, cousin issu de germain de la plaignante, était l’une des cinq personnes présentes à une soirée donnée chez la plaignante. Une grande quantité d’alcool y a été consommée. La plaignante a témoigné qu’elle était ivre. L’intimé a témoigné que, à son avis, la plaignante était [traduction] «capable de se maîtriser». D’autres témoins ont dit que la plaignante avait l’air [traduction] «passablement ivre».

3 Aux petites heures du matin, seuls la plaignante, l’intimé et une troisième personne, James Harry, étaient encore dans la maison. Monsieur Harry a témoigné n’avoir vu aucun comportement inhabituel ni contact physique entre l’intimé et la plaignante. Il a quitté la maison, laissant la plaignante et l’intimé seuls. Il a témoigné que, à ce moment là, la plaignante était [traduction] «passablement partie».

4 L’intimé a témoigné que lui et la plaignante se sont embrassés puis que la plaignante l’a invité à aller dans sa chambre à coucher où ils ont eu des rapports sexuels consensuels. La plaignante a nié avoir embrassé l’intimé et l’avoir invité dans sa chambre. Elle a témoigné ne se souvenir de rien entre le moment où elle est allée dans sa chambre et le lendemain matin, lorsqu’elle s’est rendu compte en se réveillant qu’elle avait eu des rapports sexuels. Bien qu’elle n’ait pu se rappeler ce qui s’était passé, la plaignante a témoigné qu’elle n’aurait pas consenti à des rapports sexuels avec l’intimé parce qu’ils étaient parents.

II. L’exposé au jury

5 L’intimé a été accusé d’agression sexuelle. Il a subi son procès devant un jury. Avant les plaidoiries finales, le juge du procès a discuté avec les avocats des questions en litige et de l’exposé qu’il projetait de faire au jury. Le substitut du procureur général a soulevé la question de savoir si l’accusé entendait invoquer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Selon l’avocat de la défense, la seule question litigieuse était le consentement lui‑même.

6 Le juge du procès a donné au jury des directives sur la question du consentement, mais non sur la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. L’avocat de la défense n’a pas fait d’objection. Au cours des délibérations, le jury a posé une question sur le consentement d’une personne alors que ses facultés sont affaiblies, et le juge du procès lui a fait un exposé supplémentaire sur ce point.

7 L’intimé a été reconnu coupable d’agression sexuelle. La Cour d’appel à la majorité a accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès: [1996] N.W.T.R. 242.

III. L’arrêt de la Cour d’appel

(1) La majorité

8 Le juge Lieberman (avec l’appui du juge Irving) a fait remarquer que ni l’un ni l’autre des avocats n’ont formulé d’objection à l’égard de l’exposé ni mentionné l’absence de directives sur la défense de croyance sincère mais erronée.

9 Le juge Lieberman a conclu (à la p. 245):

[traduction] L’accusé a constamment dit que les rapports sexuels ont eu lieu avec le consentement et la participation active de la plaignante. Son témoignage à cet égard peut à juste titre être interprété comme une croyance fondée sur ses allégations quant à la conduite de la plaignante, ce qui soulève la défense de croyance sincère mais erronée. Il y avait dans cette affaire, en plus de la simple affirmation de [l’intimé], des éléments de preuve qui, si on y ajoutait foi, pouvaient amener le jury à retenir ce moyen de défense. Cette défense était donc «vraisemblable». Avec toute la déférence qui s’impose, nous sommes d’avis que, même si l’avocat n’a pas soulevé ce point, le juge du procès était tenu de soumettre ce moyen de défense au jury.

(2) La minorité

10 Le juge Richard, dissident, a conclu que l’appel formé contre la déclaration de culpabilité était mal fondé. Il a dit que le juge du procès avait compris les questions soulevées par la preuve et avait eu raison de conclure que la preuve ne justifiait pas qu’il soumette à l’appréciation du jury la défense de croyance sincère mais erronée. À son avis, la défense n’avait pas la «vraisemblance» requise.

11 Le juge Richard a fait remarquer que des avocats expérimentés n’ont pas demandé au juge du procès de donner au jury des directives sur ce moyen de défense. Bien qu’elle n’ait pas été fatale en appel, a‑t‑il dit, cette omission était un facteur dont il fallait tenir compte pour décider si la défense de croyance erronée était vraisemblable.

12 Le juge Richard a conclu que la défense de croyance sincère mais erronée ne devait être invoquée que rarement dans des affaires d’agression sexuelle. À son avis, la question en litige était de savoir s’il y avait eu consentement ou absence de consentement, et le jury, par son verdict, a montré qu’il n’a pas cru le témoignage de l’intimé.

IV. Analyse

13 À mon avis, les juges majoritaires de la Cour d’appel ont eu raison de conclure que la défense de croyance sincère mais erronée était «vraisemblable». Au surplus, il est établi depuis longtemps que le juge du procès doit donner au jury des directives sur chaque moyen de défense «vraisemblable», qu’il ait été plaidé par l’accusé ou non.

(1) La vraisemblance

14 La question principale qui se pose lorsque la défense de croyance sincère mais erronée est invoquée est de savoir si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, elle a quelque vraisemblance. Dans R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, le juge L’Heureux‑Dubé a écrit au par. 20:

Bien qu’il n’y ait, à vrai dire, aucune exigence de corroboration de la preuve, celle‑ci doit être plus qu’une simple assertion. Les circonstances doivent l’appuyer de quelque manière. La recherche d’un appui dans l’ensemble de la preuve ou des circonstances peut, sur le plan juridique, suppléer à toute carence du témoignage de l’accusé. L’existence d’une preuve «indépendante» appuyant le témoignage de l’accusé n’aura pour effet que d’améliorer les chances de la défense.

Dans R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, le juge McLachlin a dit aux pp. 648 et 649:

. . . pour qu’un moyen de défense puisse être soumis au jury, il faut que ce moyen soit étayé par la preuve ou, comme on le dit parfois, qu’il soit «vraisemblable». Présenter un moyen de défense au jury lorsque cette «vraisemblance» ne ressort pas de la preuve serait risquer de semer la confusion chez les jurés et de donner ouverture à des verdicts non fondés sur la preuve.

. . .

Pour que la défense de croyance sincère mais erronée acquière une «vraisemblance», il faut établir les éléments suivants: (1) la preuve de l’absence de consentement aux actes sexuels et (2) la preuve que, malgré le refus réel de la plaignante, l’accusé a cru sincèrement mais erronément qu’elle était consentante.

Dans la plupart des cas, la preuve de l’absence de consentement est fournie par le témoignage de la plaignante. Par contre, l’accusé qui veut établir sa croyance sincère mais erronée déclare habituellement en témoignage qu’il croyait sincèrement que la plaignante était consentante. En théorie, cette croyance pourrait être invoquée dans tous les cas, même lorsqu’elle ne correspond aucunement à la preuve sur les événements. On a donc statué que la simple affirmation que l’accusé croyait au consentement ne suffit pas à donner ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée; cette affirmation doit en effet être «appuyé[e] dans une certaine mesure par d’autres éléments de preuve ou circonstances»: R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782, à la p. 790. Cet appui peut provenir de l’accusé ou d’autres sources...

. . .

[L]e simple fait d’affirmer sa croyance ne constitue pas la preuve de sa sincérité. L’exigence d’une croyance sincère n’équivaut pas au critère objectif de la croyance raisonnable, mais elle exige néanmoins un certain appui dans les circonstances. Une croyance totalement non fondée n’est pas une croyance sincère. Celui qui croit sincèrement à un état de fait est celui qui a examiné les circonstances et qui en a tiré une inférence honnête. Pour être sincère, la croyance doit donc découler dans une certaine mesure des circonstances. Son fondement n’a pas à atteindre le degré nécessaire pour qu’une croyance soit qualifiée de raisonnable. Mais il doit y avoir un fondement.

15 Je conclus de ce qui précède que, pour qu’une cour soit tenue d’examiner la croyance sincère mais erronée ou de donner au jury des directives à cet égard, cette croyance doit d’abord être appuyée par une preuve plausible de façon que la défense acquière une vraisemblance. En l’espèce, la preuve plausible vient des témoignages de la plaignante et de l’intimé et des circonstances entourant l’agression sexuelle reprochée. Le témoignage de l’intimé constitue davantage qu’une simple affirmation de croyance au consentement. Il a rapporté des paroles et des actes précis de la plaignante, qui l’ont amené à croire qu’elle était consentante. À lui seul, ce témoignage peut donner ouverture au moyen de défense. Cependant, il y a plus. Le témoignage de la plaignante n’a pas contredit celui de l’intimé, car elle ne peut pas se rappeler ce qui s’est passé après qu’elle fut entrée dans sa chambre. De plus, il n’y a aucune preuve de violence, de lutte ou d’emploi de force.

16 Les témoignages des parties sont ordinairement les éléments de preuve les plus importants dans les affaires d’agression sexuelle. Dans l’arrêt Osolin, précité, on a débattu la question de savoir s’il convient de soumettre la défense d’erreur au jury lorsque les témoignages des parties sont «diamétralement opposés». En l’espèce, non seulement les témoignages ne sont pas «diamétralement opposés», mais même si l’on applique un critère un peu plus rigoureux, les versions des parties peuvent être «combinées» de manière tout à fait cohérente. Dans l’arrêt Park, précité, le juge L’Heureux‑Dubé a dit au par. 25:

La question qui se pose est [. . .] de savoir si, en l’absence d’autres éléments de preuve conférant une vraisemblance à la défense d’erreur honnête, un jury raisonnable pourrait combiner une partie de la preuve de la plaignante et une partie de la preuve de l’accusé, pour servir de justification suffisante à ce moyen de défense. [. . .] En d’autres termes, un jury qui a reçu des directives appropriées et qui agit judicieusement peut‑il, de façon réaliste, retenir une partie du témoignage de chacun des intéressés relativement à l’incident pour en arriver à un ensemble de faits, raisonnablement cohérent et appuyé par la preuve, qui soit susceptible de justifier la défense de croyance erronée au consentement?

17 La méthode décrite par le juge L’Heureux‑Dubé s’applique ici de la façon suivante. L’accusé a témoigné qu’ils avaient bu et qu’ils ont eu des rapports sexuels, avec le consentement de la plaignante. La plaignante a témoigné qu’elle était ivre et n’a aucun souvenir de ce qui s’est passé après qu’elle fut entrée dans sa chambre. Elle n’a pas affirmé que, dans les faits, elle n’avait pas consenti; elle a seulement pu dire que, parce qu’elle‑même et l’accusé étaient parents, elle n’aurait pas consenti. Le ministère public appelant a demandé une déclaration de culpabilité en s’appuyant, entre autres, sur la théorie voulant que, puisqu’elle était ivre, la plaignante était incapable de consentir.

18 S’il est jugé digne de foi, le témoignage de l’accusé sur la participation de la plaignante pourrait amener un jury à conclure qu’il croyait sincèrement qu’elle consentait même s’il se trompait quant à sa capacité de donner un consentement valable en droit à cause de son ivresse. Cela satisfait au critère préliminaire de l’existence d’une explication plausible des faits et il aurait fallu le signaler au jury.

19 Vu que la plaignante ne se souvient pas de ce qui s’est passé dans la chambre, il est plus facile de combiner des parties du témoignage de l’accusé et de la plaignante pour arriver à une conclusion raisonnable de croyance sincère mais erronée. Beaucoup de choses ont pu se produire pendant la période dont elle ne se souvient pas. La combinaison du témoignage de l’accusé et de l’absence de souvenirs de la plaignante avec, rappelons‑le, l’absence de violence, de lutte ou d’emploi de force, rend plausible et vraisemblable la défense de croyance erronée.

20 La passivité de la plaignante peut ne pas valoir consentement: voir R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3. Cependant, l’absence de souvenirs de la plaignante doit être examinée en regard du témoignage de l’accusé suivant lequel la plaignante semblait participer volontairement. Il ne serait pas nécessaire que le jury ajoute foi à une grande partie du témoignage de l’intimé sur ce qui s’est passé pour qu’il tire la conclusion raisonnable que l’intimé croyait sincèrement mais erronément au consentement. Cela est suffisant pour justifier qu’on donne des directives au jury sur ce moyen de défense.

21 La défense de croyance sincère mais erronée est prescrite par la common law et la loi. Dans les motifs qu’elle prononce en l’espèce, ma collègue le juge McLachlin restreint ce moyen de défense à tel point qu’il cesse pratiquement d’exister. Le rôle du juge du procès dans l’évaluation de la norme juridique de la «vraisemblance» comme question de droit est limité. Les restrictions auxquelles ma collègue assujettit ce moyen de défense élargiraient le rôle du juge du procès et empêcheraient le jury d’apprécier en toute conscience les questions qui sont soulevées dans ces affaires en lui enlevant presque toutes les questions de fait.

22 Dans le présent pourvoi, c’est la totalité de la preuve qui rend la défense vraisemblable. L’absence de résistance ou de violence est simplement l’un des facteurs qui doivent être pris en considération avec le témoignage de l’accusé selon lequel la plaignante a dit et fait des choses qui l’ont amené à croire qu’elle était consentante. Mon intention dans mes motifs était de conclure que l’absence de résistance ou de violence à elle seule ne donnait pas ouverture à ce moyen de défense.

23 Dans ses motifs, ma collègue dit que, selon moi, «l’ivresse et l’absence de souvenirs de la plaignante donnent ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée» (par. 95). J’ai mentionné ces facteurs simplement parce qu’ils ne contredisent pas le témoignage de l’accusé selon lequel la plaignante a dit et fait des choses qui l’ont amené à croire qu’elle était consentante. Ma collègue conclut que la plaignante n’aurait pas donné son consentement pour des raisons personnelles. Compte tenu de l’absence de souvenirs de la plaignante, ce n’est pas une preuve de son refus de consentir.

24 Ma collègue pose en outre le principe qu’un accusé ne peut jamais croire sincèrement mais erronément au consentement lorsque le plaignant est incapable de consentir parce qu’il est ivre. Elle dit que «[c]ette incapacité sautera aux yeux de tous ceux qui voient le plaignant, sauf celui qui se retranche dans l’ignorance volontaire. C’est ce qui rend invraisemblable toute affirmation d’erreur de bonne foi quant au consentement» (par. 73). À mon sens, cette conclusion est erronée, à moins qu’elle ne signifie que le seul moment où une personne est légalement incapable de donner son consentement, c’est lorsqu’elle est ivre au point de perdre conscience. Il appartient au jury de déterminer, en fonction de tous les facteurs de l’espèce, si le plaignant a pu dissimuler son ivresse sans le vouloir et dire des choses ou accomplir des actes de nature à susciter une croyance sincère mais erronée au consentement. La Cour ne peut pas statuer a priori qu’une croyance sincère mais erronée est impossible lorsque le plaignant est ivre.

25 Ma collègue dit qu’il existe seulement deux possibilités en l’espèce: «soit que la plaignante aurait refusé avec véhémence d’avoir des rapports sexuels, soit qu’elle avait perdu conscience et était incapable d’opposer un refus» (par. 91). À mon sens, il appartient au jury d’examiner cette question. Il existe une troisième possibilité logique. Le jury aurait pu ajouter foi au témoignage de l’accusé selon lequel la plaignante paraissait consentante, mais croire aussi que la plaignante était ivre au point d’être légalement incapable. Si la défense de croyance sincère mais erronée est écartée dans ces circonstances, le jury n’aurait d’autre choix que de déclarer l’accusé coupable. Le passage suivant des motifs du juge McLachlin aurait pour effet d’usurper le rôle du jury: «Il n’existe aucune preuve au soutien d’un troisième scénario selon lequel il y aurait eu équivoque quant à la capacité ou à ce qui a été communiqué. Rien ne permet d’affirmer que la plaignante paraissait consentante alors qu’elle ne l’était pas» (par. 94). À l’évidence, compte tenu des faits de l’espèce, c’est exactement ce que le jury avait la possibilité de faire.

(2) Moyen de défense soulevé pour la première fois en appel

26 Le fait que la défense de croyance sincère mais erronée n’ait pas été soulevée au procès n’interdit pas qu’elle le soit en appel. Le juge du procès doit donner des directives au jury sur chaque moyen de défense «vraisemblable». Voir les motifs du juge McLachlin dans l’arrêt R. c. Lemky, [1996] 1 R.C.S. 757, le juge McLachlin, au par. 12:

Il est admis que le juge du procès doit donner au jury des directives sur tout moyen de défense “vraisemblable” d’après la preuve: R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595. On satisfait au critère préliminaire lorsque la preuve justifie un moyen de défense qui, si on y ajoutait foi, permettrait à un jury raisonnable, ayant reçu des directives appropriées, de prononcer l’acquittement. Voir R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782; R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836.

La décision de l’avocat de la défense de ne pas invoquer le moyen de défense a pu masquer la question, mais le juge du procès conservait l’obligation de le soumettre au jury.

27 Cette opinion est encore renforcée par le texte du par. 265(4) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46:

265. ...

(4) Lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l’accusation est fondée, le juge, s’il est convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle‑ci. [Je souligne.]

Essentiellement, ce paragraphe codifie le critère de la «vraisemblance» relativement à la défense de croyance sincère mais erronée: Osolin, précité, le juge Cory. L’emploi de l’expression «demande à ce dernier [le jury]» montre clairement que le moyen de défense doit être pris en considération, qu’il ait été invoqué par l’accusé ou non.

28 Un accusé a droit à ce que, à son procès, la cour examine tous les moyens de défense auxquels les faits donnent ouverture. Voir R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782, le juge McIntyre, à la p. 789: «[i]l est bien établi en droit que dans son exposé au jury le juge du procès doit présenter tous les moyens de défense qui peuvent être soulevés d’après les éléments de preuve, qu’ils aient été plaidés par l’avocat de la défense ou non».

V. Conclusion

29 La possibilité de concilier tant le témoignage de l’accusé que celui de la plaignante avec une croyance sincère mais erronée au consentement dans les circonstances de l’infraction reprochée font que le jury aurait dû examiner ce moyen de défense. L’article 273.2 du Code criminel n’a pas été invoqué au procès ni dans le cadre de l’appel. Ces circonstances restreignent la capacité de notre Cour d’examiner l’effet de cette disposition. Il ne s’agit pas d’une affaire où la seule question litigieuse est le consentement ou l’absence de consentement. La tenue d’un nouveau procès s’impose.

30 En définitive, je suis d’avis de confirmer la décision du juge Lieberman de la Cour d’appel et de rejeter le pourvoi.

Version française des motifs rendus par

31 Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente) — Je souscris entièrement aux motifs de Madame le juge McLachlin et au résultat auquel elle parvient. Dans l’arrêt R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836, j’ai, de même, recommandé que soit modifiée la conception traditionnelle de common law relativement à «l’absence de consentement» comme élément de la mens rea requise pour l’infraction d’agression sexuelle. Ceci m’a amenée à rejeter l’accent que l’on a habituellement mis sur la communication par la plaignante d’un refus de subir les attouchements sexuels en question et à proposer de s’attacher plutôt à la question de savoir si et comment l’accusé s’est assuré du consentement de la plaignante. L’élément de mens rea requis pour l’infraction d’agression sexuelle sera donc établi lorsque l’accusé savait qu’aucun consentement n’avait été exprimé par la plaignante, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou ne s’en est pas soucié.

32 Dans cette affaire, au par. 2, le juge en chef Lamer, au nom de la majorité, a souscrit aux motifs et au dispositif du jugement, tout en faisant la réserve suivante sur la partie de mon analyse dans laquelle j’exposais cette nouvelle façon d’aborder le consentement:

Je préfère ne faire aucun commentaire sur ce sujet puisqu’il n’est pas nécessaire d’aborder ces questions pour trancher le présent pourvoi. Comme nous n’avons pu bénéficier d’aucune argumentation sur les aspects abordés par ma collègue dans cette partie, je préférerais réserver ces questions pour une autre occasion.

Comme Madame le juge McLachlin a maintenant adopté cette conception du consentement dans ses motifs, des précisions sur les principes généraux et le raisonnement exposés dans l’arrêt Park, précité, s’imposent.

33 Dans l’arrêt Park, précité, après avoir clarifié nombre de difficultés liées à la nature du critère de la «vraisemblance» et à son application aux défenses de croyance sincère, j’ai fait remarquer que ces difficultés paraissent découler de notre façon d’aborder la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle en common law. Il est acquis que pour avoir la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle, l’accusé doit avoir eu l’intention de se livrer à des attouchements sexuels sur la plaignante et doit avoir su que celle-ci n’était pas consentante, ou doit avoir ignoré volontairement ce fait ou ne pas s’en être soucié. Concrètement, ces exigences ont eu pour effet d’imposer au ministère public le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé savait qu’un non‑consentement a été exprimé par la plaignante, ou avait ignoré volontairement ce fait ou ne s’en était pas soucié.

34 À mon sens, la mens rea devrait également être établie lorsqu’il est démontré que l’accusé savait qu’aucun consentement aux actes en question n’avait été exprimé par la plaignante, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou ne s’en est pas soucié. Comme je l’ai dit au par. 39 du jugement:

En d’autres termes, la mens rea de l’agression sexuelle est établie non seulement lorsqu’il est démontré que l’accusé savait que la plaignante disait essentiellement «non», mais encore lorsqu’il est démontré qu’il savait que la plaignante, essentiellement, ne disait pas «oui».

35 Cette modification de la façon traditionnelle d’aborder le consentement est nécessaire si nous voulons aborder de manière efficace les questions fondamentales que soulève l’actuelle infraction d’agression sexuelle. De même que les m{oe}urs et les attitudes de la société quant aux rôles sexuels et aux rapports entre les sexes ont changé, de même s’est modifié l’objectif de cette infraction criminelle, à l’origine axé sur les droits de propriété que les hommes avaient jadis sur leur femme et leurs enfants et, plus récemment, sur les lésions corporelles causées par des actes sexuels de nature coercitive. Comme je l’ai dit dans l’arrêt Park, précité, au par. 42, à l’heure actuelle, l’infraction d’agression sexuelle est fondée sur le respect du «droit inhérent [des femmes] d’exercer un contrôle complet sur leur corps, et de ne prendre part à des actes sexuels que si elles le désirent».

36 Sur la base de ces considérations, j’ai recommandé de modifier notre façon d’aborder ce concept juridique, c’est‑à‑dire d’envisager le consentement sous l’angle non pas de l’«état d’esprit personnel» de la plaignante, mais de la communication de la permission donnée à l’accusé de se livrer à des actes qu’il n’aurait autrement pas le droit d’accomplir. Cette nouvelle approche a été définie et précisée par L. Vandervort dans «Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea» (1987‑88), 2 R.J.F.D. 233, comme je l’ai fait remarquer dans l’arrêt Park, précité, et ma collègue Madame le juge McLachlin l’a analysée dans ses présents motifs. Je remarque que la doctrine continue d’approuver cette approche au consentement dans le contexte de l’infraction d’agression sexuelle. Voir H. M. Malm, «The Ontological Status of Consent and its Implications for the Law of Rape» (1996), 2 Legal Theory 147; A. Wertheimer, «Consent and Sexual Relations» (1996), 2 Legal Theory 89.

37 Comme je l’ai précisé dans l’arrêt Park, précité, l’examen de la question de la communication du consentement a toujours implicitement fait partie de notre analyse de la question de savoir si l’auteur présumé d’une agression sexuelle avait la mens rea en ce qui concerne l’absence de consentement de la plaignante. Pour déterminer si l’accusé avait l’état d’esprit coupable nécessaire, le juge des faits doit examiner objectivement non seulement les indices relatifs aux échanges verbaux et au comportement subjectif de la plaignante, que comporte la preuve, mais aussi, la perception subjective de l’accusé de cet état, à la lumière des circonstances pertinentes qu’il connaissait à ce moment‑là. L’accusé qui démontre, sur la base d’éléments de preuve, qu’il s’est mépris de bonne foi sur ces indices et, partant, qu’il n’avait pas l’«intention coupable» nécessaire, peut invoquer la défense de croyance sincère mais erronée.

38 L’extrait suivant de mes motifs dans l’arrêt Park, précité, au par. 44, expose la façon recommandée de traiter les questions du consentement et de l’erreur de fait:

L’accusé ne saurait prétendre qu’il croyait que la plaignante était consentante sans expliquer le motif de cette croyance. En pratique, les principaux facteurs pertinents quant à ce moyen de défense sont donc (1) le comportement communicatif proprement dit de la plaignante et (2) l’ensemble des éléments de preuve admissibles et pertinents qui expliquent comment l’accusé a perçu ce comportement comme exprimant un consentement. Tout le reste est secondaire. [Souligné dans l’original.]

39 Il est essentiel d’évaluer le consentement et la croyance erronée au consentement du point de vue de la communication par la plaignante si l’on veut combler l’écart néfaste sur le plan de la communication entre les hommes et les femmes, encourager les hommes à s’assurer du consentement de leurs partenaires sexuelles et, plus important encore, empêcher les hommes d’avoir des comportements sexuels motivés par des opinions préconçues et des stéréotypes selon lesquels les femmes sont consentantes lorsqu’elles sont passives ou incapables de communiquer, et n’ont pas un droit absolu d’exercer leur autorité sur leur propre corps. Les articles 15 et 28 de la Charte canadienne des droits et libertés disposent que la loi ne doit pas engendrer d’inégalité entre les hommes et les femmes ni la perpétuer. Les normes et les croyances sociales contemporaines en ce qui concerne les comportements sexuels et l’agression sexuelle évoluent heureusement vers cet idéal. Elles constituent une forte incitation au changement et donnent à notre Cour de solides raisons d’imprimer à la conception du consentement en common law la direction proposée plus haut, comme le fait ma collègue en l’espèce.

40 Appliquant cette conception du consentement au présent pourvoi, comme ma collègue Madame le juge McLachlin l’a démontré, ou bien la plaignante était consentante, ou bien, comme elle l’a dit dans son témoignage, elle a opposé un refus ou été incapable de communiquer une permission ou un acquiescement en ce qui a trait aux actes en question. Il n’y a absolument rien dans la preuve qui permette de dire que la communication par la plaignante était ambiguë ou que des circonstances extérieures pourraient avoir influencé les perceptions de l’accusé. Pour soumettre ce moyen de défense au jury, il faudrait faire, sur le comportement des femmes complètement ivres, des suppositions qui n’ont aucun fondement dans la réalité et qui pourraient bien être considérées comme tendancieuses ou stéréotypées.

41 Dans une récente affaire dont était saisie la Cour suprême de l’Inde, le juge Thomas, conscient de la propension du juge des faits à fonder des conclusions non pas sur la preuve mais sur des suppositions tendancieuses ou stéréotypées au sujet de la plaignante, a donné le précieux conseil suivant:

[traduction] Ironiquement, alors que nous célébrons les droits des femmes dans tous les domaines, nous ne nous préoccupons pratiquement pas de l’honneur de la femme. C’est une triste réflexion et nous devons insister sur le fait que les cours de justice doivent statuer sur les affaires de viol en particulier avec la plus grande délicatesse et examiner la preuve à la lumière de l’ensemble des faits de l’espèce, et non isolément.

State of A.P. c. Murthy, (1997) 1 S.C.C. 272, aux pp. 279 et 280. Voir aussi State of Punjab c. Singh, (1996) 2 S.C.C. 384. Ces remarques sont ici très pertinentes. Nous devons demeurer sensibles au danger très sérieux que comporte le fait de soumettre ce moyen de défense au jury. En ce faisant, dans le cas qui nous occupe, la Cour permet, en réalité, au juge des faits de procéder non pas en fonction de la totalité de la preuve, mais plutôt à partir de suppositions qui pourraient bien être tendancieuses. Pareille démarche risque de contribuer à perpétuer l’inégalité entre les sexes, résultat que notre Cour devrait éviter.

42 Compte tenu des précisions qui précèdent sur la notion de consentement dans le contexte d’une infraction d’agression sexuelle, je souscris entièrement aux motifs de Madame le juge McLachlin, tant dans son approche au consentement et à la défense d’erreur de fait que dans le résultat auquel elle parvient.

Version française des motifs rendus par

43 Le juge McLachlin (dissidente) -- J’ai lu les motifs du juge Major. Je ne suis pas d’accord avec lui pour conclure que la preuve rend vraisemblable une défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Selon moi, la seule question soulevée par la preuve était de savoir si la plaignante avait consenti à avoir des rapports sexuels avec l’intimé. Cette question a été soumise à l’appréciation du jury et celui‑ci a déclaré l’intimé coupable. Comme il n’y a pas d’autre question, je suis d’avis que le procès s’est déroulé régulièrement et que le verdict devrait être maintenu.

I. Les faits

44 L’intimé et la plaignante ont eu des rapports sexuels après une soirée. Ils avaient bu tous les deux. La plaignante était complètement ivre. Elle a par la suite témoigné qu’elle ne se rappelait pratiquement pas ce qui s’était passé à cette soirée, et que son dernier souvenir avant de s’endormir était d’avoir monté l’escalier menant à sa chambre. Lorsqu’elle s’est réveillée le lendemain matin, elle s’est rendu compte qu’elle avait été violée. Des accusations ont été portées contre l’intimé. Au procès, celui‑ci a reconnu avoir eu des rapports sexuels, mais il a dit que la plaignante n’était pas ivre à ce point, avait participé activement aux actes sexuels et était consentante.

45 La seule question qui a été débattue au procès était de savoir si la plaignante était consentante. Selon la thèse du ministère public, la plaignante était trop ivre pour avoir consenti. La plaignante a déclaré dans son témoignage qu’elle n’aurait jamais sciemment consenti à avoir des rapports sexuels avec l’intimé parce qu’ils sont cousins issus de germains. Selon la thèse de la défense, la plaignante était bel et bien consentante, comme l’attestait sa participation active alléguée. Une troisième possibilité, à savoir que la plaignante n’était pas consentante mais que l’accusé a sincèrement et erronément cru qu’elle l’était, n’a pas été soulevée au procès. L’avocat de la défense n’a jamais soumis cette possibilité à la plaignante. L’intimé ne l’a jamais soulevée dans son témoignage. Le juge ne l’a pas soumise à l’appréciation du jury. Personne n’a dit qu’il aurait dû le faire. L’affaire était simple: consentement ou absence de consentement. Le jury a reconnu l’intimé coupable, de toute évidence après avoir conclu hors de tout doute raisonnable que la plaignante n’était pas consentante.

46 Les choses ont toutefois changé en appel. L’intimé a, pour la première fois, dit que si la plaignante n’avait pas consenti, il avait sincèrement et erronément cru à son consentement. En dépit du fait que cette possibilité n’a jamais été soulevée au procès, l’intimé a affirmé que le juge du procès était légalement tenu de la soumettre au jury. Comme le juge du procès ne l’a pas fait, l’intimé a soutenu qu’il avait droit à un nouveau procès. La Cour d’appel a donné raison à l’intimé et a ordonné la tenue d’un nouveau procès: [1996] N.W.T.R. 242. Il ne me paraît pas possible d’accepter cette conclusion. Selon moi, la preuve n’appuie pas le scénario de la croyance sincère mais erronée. La vraisemblance requise pour plaider ce moyen de défense fait défaut.

II. La question en litige

47 Le présent pourvoi exige de notre Cour qu’elle détermine en quoi consiste une preuve suffisante pour que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement à des actes sexuels acquière une vraisemblance. Le témoignage de l’accusé quant à une participation volontaire est‑il suffisant, en l’absence d’une preuve contraire relativement aux actes sexuels et en l’absence d’une preuve de violence, comme le juge Major le propose, ou faut-il quelque chose de plus?

III. Analyse

(1) Les dispositions du Code criminel

48 Les événements visés par l’espèce se sont produits le 13 mars 1994. Ils sont donc régis par le par. 265(4) et l’art. 273.2 (entré en vigueur le 15 août 1992) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, relatifs à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement:

265. ...

(4) Lorsque l’accusé allègue qu’il croyait que le plaignant avait consenti aux actes sur lesquels l’accusation est fondée, le juge, s’il est convaincu qu’il y a une preuve suffisante et que cette preuve constituerait une défense si elle était acceptée par le jury, demande à ce dernier de prendre en considération, en évaluant l’ensemble de la preuve qui concerne la détermination de la sincérité de la croyance de l’accusé, la présence ou l’absence de motifs raisonnables pour celle‑ci.

273.2 Ne constitue pas un moyen de défense contre une accusation fondée sur les articles 271, 272 ou 273 le fait que l’accusé croyait que le plaignant avait consenti à l’activité à l’origine de l’accusation lorsque, selon le cas:

a) cette croyance provient:

(i) soit de l’affaiblissement volontaire de ses facultés,

(ii) soit de son insouciance ou d’un aveuglement volontaire;

b) il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement.

49 L’article 273.2 empêche l’accusé d’invoquer la défense de croyance erronée au consentement s’il n’a pas pris «les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement». En l’espèce, puisque la plaignante était, selon la preuve des parties, complètement ivre, il semblerait raisonnable de s’attendre à ce que l’accusé prenne des mesures pour vérifier si la participation apparente de la plaignante représentait un consentement véritable pour se prémunir contre la possibilité d’une erreur. L’accusé n’a pris aucune mesure semblable. Cela veut dire qu’en vertu du droit en vigueur au moment de la perpétration de l’infraction reprochée, ce moyen de défense ne pouvait pas être invoqué.

50 Le juge Major ne tient pas compte de l’art. 273.2. C’est peut‑être parce que cette disposition n’a pas été invoquée dans le cadre de l’appel ni en première instance. Il ne me paraît pas possible de se soustraire à la force de l’art. 273.2 pour ce motif. Le législateur s’est exprimé. Il a prévu des conditions minimales pour invoquer la défense de croyance erronée au consentement. Si ces conditions ne sont pas remplies, ce moyen de défense est irrecevable. Notre Cour ne peut pas ressusciter ce moyen de défense pour le motif que les parties ne se sont pas référées aux dispositions applicables. À preuve, l’absurdité du résultat. La Cour d’appel a ordonné la tenue d’un nouveau procès pour la seule raison que la défense de croyance erronée n’a pas été soumise à l’appréciation du jury. Si le législateur a exclu ce moyen de défense, il n’est pas nécessaire de tenir un nouveau procès. Le pourvoi devrait donc être accueilli.

51 Au cas où l’on pourrait faire droit au moyen selon lequel l’art. 273.2 ne s’applique pas, j’arriverais au même résultat en appliquant les principes de common law régissant la défense de croyance sincère mais erronée au consentement, pour les motifs qui suivent.

(2) Les principes de common law

52 Le crime d’agression sexuelle, comme la plupart des autres crimes, est constitué de deux éléments. Le premier élément est un acte criminel ou actus reus. L’acte criminel réside dans des contacts sexuels sans le consentement de l’autre personne. Le second élément est l’intention coupable ou mens rea. La mens rea de l’agression sexuelle réside dans la connaissance du fait que le plaignant n’était pas consentant ou était incapable de consentir, ou, subsidiairement, dans l’aveuglement ou l’ignorance volontaire ou l’insouciance dont fait preuve l’accusé quant à la question de savoir si le plaignant était consentant ou capable de consentir. Ces éléments donnent ouverture à plusieurs moyens de défense. L’un d’eux est le consentement véritable du plaignant qui supprime l’actus reus. Un autre moyen de défense est que, malgré l’absence de consentement du plaignant, l’accusé a sincèrement et erronément cru au consentement, ce qui fait disparaître l’intention coupable nécessaire.

53 La première question qui se pose relativement à la mens rea de l’agression sexuelle est de savoir si le critère est objectif ou subjectif. Dans l’arrêt Director of Public Prosecutions c. Morgan, [1976] A.C. 182, la Chambre des lords a rejeté le critère objectif, statuant que même une croyance déraisonnable au consentement était susceptible d’appuyer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Le caractère déraisonnable de cette croyance pouvait toutefois être pris en compte par le jury pour décider si l’accusé avait vraiment sincèrement cru au consentement comme il le prétendait.

54 Peu après, la Cour suprême du Canada s’est prononcée sur la même question dans l’arrêt Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120. Comme la Chambre des lords, la Cour suprême a rejeté l’idée que la croyance au consentement doit être raisonnable pour que l’accusé puisse invoquer ce moyen de défense. Toutefois, la majorité a statué que la croyance doit être sincère et que l’accusé ne doit pas se maintenir dans l’ignorance volontaire. La majorité a également statué que, comme pour les autres moyens de défense, le juge n’est tenu de soumettre la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury que si la preuve est suffisante pour appuyer ce moyen de défense. Il doit y avoir une preuve suffisante pour conférer à la défense une «vraisemblance».

55 Depuis l’arrêt Pappajohn, notre Cour a confirmé ces règles à plusieurs reprises: R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918; R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782; R. c. Reddick, [1991] 1 R.C.S. 1086; R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595; R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836. Il s’ensuit que, comme le dit le juge Major, la défense doit être étayée par une «preuve plausible» pour que le juge soit tenu de la soumettre au jury.

56 Les affirmations qui précèdent ne sont pas contestées. Le débat ne porte pas sur les principes généraux, mais sur leur application. En particulier, qu’est‑ce qui suffit à rendre «vraisemblable» une défense de croyance sincère mais erronée?

(3) L’exigence de la vraisemblance

57 La vraisemblance que doit avoir la défense de croyance sincère mais erronée au consentement n’est pas une règle spéciale qui s’applique uniquement à ce moyen de défense. Il s’agit simplement de la règle générale voulant que le juge ne soit pas obligé de soumettre un moyen de défense au jury à moins que ce moyen ne soit étayé par la preuve: Osolin, précité. L’exigence minimale en ce qui a trait à la présentation de la défense au jury n’est pas n’importe quelle preuve, mais une preuve suffisante: Robertson, précité. Il doit y avoir une preuve suffisante pour que la défense devienne une possibilité vraisemblable ou réaliste.

58 L’étape suivante consiste à définir d’une manière plus précise les cas dans lesquels il faut soumettre la défense de croyance sincère mais erronée au jury. Cela peut se faire de façon négative, en isolant les circonstances qui ne permettent pas d’invoquer ce moyen de défense, de même que de façon positive, en indiquant les circonstances qui donnent ouverture à ce moyen de défense.

59 Notre Cour a établi que dans certains cas la preuve ne suffit pas pour rendre la défense vraisemblable. Il est certain que la simple affirmation par l’accusé d’une croyance au consentement ne sera pas suffisante. Notre Cour a statué à la majorité dans l’arrêt Pappajohn que la défense de croyance sincère mais erronée doit être étayée par d’autres éléments que la simple affirmation par l’accusé du consentement du plaignant pour acquérir une «vraisemblance». Les éléments de preuve supplémentaires peuvent émaner de l’accusé ou d’autres sources. Comme il a été confirmé dans l’arrêt Robertson (citant l’arrêt Pappajohn, à la p. 150), le recours à ce moyen de défense n’est possible que «lorsqu’un accusé produit une preuve suffisante à l’appui, par son témoignage ou par les circonstances qui ont entouré l’acte» (p. 935). Voir aussi Osolin, précité.

60 Notre Cour a également dit que ce moyen de défense ne sera que rarement soulevé lorsque l’affaire se borne au témoignage du plaignant quant à l’absence manifeste de consentement et au témoignage de l’accusé quant à un consentement manifeste: Pappajohn, précité; Osolin, précité, le juge Cory, aux pp. 683 à 685. C’est que la combinaison de ces témoignages exclut habituellement la possibilité de l’équivoque comme source d’erreur de bonne foi quant au consentement. Il existe deux témoignages contradictoires quant au consentement et le jury doit faire un choix entre les deux. Par contre, il n’existe aucune preuve susceptible d’étayer de façon réaliste une troisième version, à savoir l’absence de consentement mais l’erreur commise de bonne foi. Il s’ensuit que la seule question litigieuse dans des affaires semblables est habituellement celle de savoir s’il y a eu consentement ou absence de consentement, et le juge n’est pas obligé de soumettre la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury. Le Canada n’est pas le seul à avoir adopté ce point de vue: voir Morgan, précité, à la p. 204, lord Cross of Chelsea; People c. Rhoades, 238 Cal. Rptr. 909 (C.A. 1987); People c. Williams, 841 P.2d 961 (Cal. 1992).

61 Il est donc évident que la simple affirmation par l’accusé d’une croyance au consentement est insuffisante pour fonder sur le plan de la preuve la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Il est en outre évident que des assertions diamétralement opposées de consentement manifeste, d’une part, et de refus manifeste, d’autre part, donneront rarement pour ne pas dire jamais ouverture à la défense. Ces indices négatifs montrent, selon moi, que le juge du procès a eu raison de ne pas soumettre la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury. Toutefois, les arguments relatifs à l’ivresse et à l’incapacité de la plaignante requièrent une analyse plus poussée du type de preuve qui peut donner ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée.

62 Pour déterminer si la défense de croyance sincère mais erronée peut être soulevée, il est utile d’examiner deux questions: premièrement, quel est l’objectif de la défense et, deuxièmement, qu’entend‑on par consentement? Je commence par l’objectif de la défense de croyance sincère mais erronée. Ce moyen de défense vise à remédier à la situation où la communication de l’absence de consentement se fait mal: le plaignant n’est pas consentant, mais l’accusé se méprend de bonne foi sur ce refus qu’il interprète à tort comme un consentement. Ordinairement, les êtres humains expriment des choses comme le consentement ou l’absence de consentement de manière simple et efficace. Pour cette raison, les procès pour agression sexuelle sont habituellement axés sur la question de savoir si les actes physiques reprochés ont été accomplis et, dans l’affirmative, si le plaignant y a consenti. Cependant, il ressort parfois de la preuve qu’il y a peut‑être eu une mauvaise communication en ce qui a trait au consentement, ce qui donne à entendre que l’accusé peut de bonne foi avoir mal compris le refus du plaignant et, partant, ne pas avoir eu l’intention coupable ou mens rea nécessaire.

63 Il s’ensuit que la défense de croyance sincère mais erronée repose sur un scénario distinct de la situation habituelle qui est celle du consentement ou de l’absence de consentement. Ce moyen de défense est fondé sur la coexistence, à un seul et même moment, de deux états de fait: (1) le plaignant n’était pas consentant; et (2) l’accusé a malgré tout cru au consentement. Compte tenu du fait que les êtres humains sont capables de se comprendre sur des questions comme celles‑ci, ces deux états ne vont habituellement pas ensemble. Pour que la coexistence de ces deux propositions soit envisageable, il faut un troisième élément de preuve, c’est‑à‑dire une preuve expliquant comment il se fait que l’accusé a pu interpréter l’absence de consentement du plaignant comme un consentement. Sans ce troisième élément, le scénario de la croyance sincère mais erronée est peut‑être théoriquement possible, mais il n’est pas plausible. Quand la jurisprudence dit qu’il faut quelque chose de plus que l’affirmation par l’accusé d’une croyance au consentement du plaignant, ou qu’il faut que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement soit «vraisemblable», c’est à ce troisième élément qu’elle fait habituellement référence. Non seulement il doit y avoir une preuve d’absence de consentement et de croyance au consentement, mais il doit aussi y avoir une preuve susceptible d’expliquer comment l’accusé a pu se méprendre sur l’absence de consentement du plaignant et croire sincèrement qu’il consentait. Autrement, ce moyen de défense ne peut pas être valablement soulevé. Bref, il doit y avoir une preuve d’une situation d’ambiguïté dans laquelle l’accusé aurait sincèrement pu comprendre à tort que le plaignant consentait à l’activité sexuelle en question.

64 J’en viens maintenant au concept de consentement en common law. Bon nombre des difficultés que soulève la défense de croyance sincère mais erronée au consentement tiennent à la confusion qui règne sur ce que le consentement implique. Le consentement dans le contexte du crime d’agression sexuelle est un concept juridique. En droit, il comporte l’idée d’un acquiescement volontaire. Il englobe les notions d’aptitude juridique et physique à consentir, de même que l’acquiescement ou l’assentiment volontaire à l’accomplissement de l’acte en question. Le Webster’s Third New International Dictionary (1986), à la p. 482, définit le consentement comme [traduction] «l’acquiescement ou l’assentiment délibérément et volontairement donné par une personne capable à l’accomplissement d’un acte ou à la réalisation d’un but, ce qui suppose un pouvoir physique et mental et une liberté d’action».

65 Le consentement dans le contexte de l’agression sexuelle consiste, pour une personne ayant la capacité requise, à communiquer à autrui, au moyen d’un comportement verbal ou non verbal, la permission d’accomplir l’acte sexuel. Au cours d’un procès pour agression sexuelle, l’analyse du consentement ne saurait être axée sur ce que le plaignant a véritablement pensé; l’observation directe de l’esprit du plaignant est impossible et, de toute façon, l’analyse porte sur la conduite de l’accusé dans les circonstances qui se sont présentées à lui. Quand on parle de consentement dans un procès pour agression sexuelle, on parle du comportement verbal et non verbal du plaignant et de ce qu’on peut inférer de ce comportement quant à son état d’esprit.

66 Le juge L’Heureux‑Dubé a admirablement exposé l’importance de concevoir le consentement comme un acte de communication dans l’arrêt Park, précité. Comme elle l’a fait remarquer au par. 48:

[Les juges des faits] pourront ainsi distinguer plus nettement l’ivraie du froment ‑- les mythes et les stéréotypes de la réalité ‑- en déterminant si l’accusé savait que la plaignante n’était pas consentante, ou s’il aurait pu croire sincèrement mais à tort qu’elle l’était. Cette approche les aidera également à reconnaître et à écarter les croyances stéréotypées qu’entretient l’accusé et qui l’amènent à faire fi du non‑consentement ou à ne pas se soucier du fait qu’une femme consente ou non. Les conclusions de fait n’en seront à mon avis que plus justes et plus exactes, et il sera plus justement tenu compte des réalités différentes que vivent les femmes et les hommes.

67 Dans la plupart des cas, cet acte social qu’est la communication est clair: [traduction] «dans les cas habituels qui ne présentent pas de difficulté, la personne qui consent est censée "dire ce qu’elle veut dire"» (L. Vandervort, «Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea» (1987-1988), 2 R.J.F.D. 233, à la p. 267). Mais parfois, la communication se fait mal, d’où l’erreur de bonne foi. Et la raison de cette défaillance du processus de communication normal est l’équivoque dont la preuve doit être faite pour donner ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

68 Le consentement produit un effet juridique. Il modifie les droits et les obligations des personnes en cause. Comme le dit Vandervort, loc. cit., à la p. 267:

[traduction] L’acte social qu’est le consentement consiste à communiquer à autrui, verbalement ou non verbalement, la permission d’accomplir un seul ou plusieurs actes dont, sans cela, cette personne serait, légalement ou autrement, tenue de s’abstenir. Le consentement, comme la promesse, est donc performatif, c’est un comportement qui a des conséquences normatives. Consentir c’est renoncer à un droit et dégager une autre personne d’une obligation corrélative. Le consentement modifie donc les droits et les obligations entre les personnes qui sont parties à une entente créée par la communication. Lorsque les droits et les obligations en question ne sont pas purement conventionnels ou éthiques, mais sont des droits et des obligations légaux, le consentement est un acte qui a des conséquences juridiques précises. Les seules conditions à remplir sont que le consentement soit volontaire et conscient ou éclairé, c’est‑à‑dire donné librement à l’égard d’un contenu ou d’un objectif concret, général ou spécifique.

69 Comme Vandervort le mentionne ensuite (à la p. 267), il s’ensuit qu’une analyse du consentement doit tenir compte [traduction] «de ce qui a en fait été communiqué, si communication il y a eu, et examiner s’il s’agit d’une communication volontaire. Il faut savoir par quels comportements verbaux et non verbaux le consentement est communiqué dans le contexte d’une relation sexuelle, et comment le caractère volontaire de la communication doit être évalué» lorsque ces points sont litigieux.

70 Il convient de faire d’autres observations sur les concepts de l’ignorance volontaire et de la sincérité dans le contexte du consentement. Contrairement au droit de la plupart des États américains, le droit canadien n’exige pas que l’accusé dans un procès pour agression sexuelle ait agi raisonnablement. La question de l’erreur quant au consentement doit être évaluée en fonction de la personne même de l’accusé traduit en justice. Si l’accusé est plus borné que la personne raisonnable, il peut invoquer ce fait au soutien de la prétention qu’il a cru à tort que le plaignant était consentant. Au Canada, la common law impose toutefois deux conditions à cet égard. Premièrement, l’accusé ne doit pas s’être retranché dans l’ignorance volontaire ni avoir fait preuve d’insouciance. L’expression ignorance volontaire évoque le refus délibéré de voir les faits et les circonstances. C’est l’équivalent juridique du fait de fermer les yeux sur quelque chose, de ne pas voir ni entendre ce qu’il y a à voir ou à entendre. C’est présumer que le plaignant est consentant sans vérifier si, dans les faits, il l’est. L’accusé ne peut jamais plaider comme moyen de défense qu’il ignorait qu’il devait obtenir un consentement puisque la nécessité d’un consentement est une exigence juridique qu’il est censé connaître selon le droit. Compte tenu des faits, l’ignorance volontaire à l’égard d’un comportement ou de paroles qui permettraient d’inférer une absence de consentement ne peut être d’aucun secours non plus. La personne qui ne se maintient pas dans l’ignorance volontaire est celle qui est à juste titre consciente non seulement de la nécessité d’obtenir un consentement (ce qu’elle est censée savoir), mais aussi de ce que le comportement et les circonstances révèlent à qui prend la peine de vérifier si ce consentement a été donné ou refusé. Deuxièmement, l’exigence d’une croyance sincère de l’accusé a un effet similaire. L’accusé n’a pas le droit de se faire des illusions ni de profiter clairement d’une réponse passive ou équivoque. Il doit sincèrement croire que le plaignant était consentant.

71 Cela étant dit, j’en viens aux circonstances dans lesquelles la question du consentement peut se poser. Quoique variées, ces circonstances comprennent les situations de fait suivantes:

a) Le consentement explicite, l’acquiescement volontaire étant expressément communiqué verbalement ou par le langage du corps;

b) Le refus explicite, le consentement étant expressément refusé verbalement ou par le langage du corps;

c) L’inaptitude physique du plaignant à consentir ou à refuser en raison de son inconscience ou de son incohérence;

d) L’inaptitude juridique du plaignant à consentir, p. ex. un enfant;

e) Le consentement vicié par le recours à la force ou à la contrainte;

f) La passivité, lorsqu’aucune aide ni aucune résistance ne sont offertes;

g) Le comportement équivoque, qui peut être interprété de différentes façons;

h) L’équivoque résultant de circonstances extérieures.

72 L’erreur de bonne foi quant au consentement n’est pas un moyen de défense possible dans les deux premières situations, à savoir le consentement explicite et le refus explicite. Ces situations se rapportent à une communication explicite entre un plaignant, ayant la capacité requise et agissant de plein gré, et un accusé, au moyen de paroles ou de gestes que les deux parties sont capables de comprendre. Le consentement explicite interdit de conclure à une agression sexuelle. Par contre, le refus explicite rend invraisemblable toute affirmation d’erreur de bonne foi. Si le jury conclut que le plaignant a explicitement communiqué son refus à l’accusé, alors l’accusé qui reçoit la communication ne peut pas prétendre de façon réaliste qu’il a commis une erreur de bonne foi quant au consentement. C’est uniquement si l’accusé peut prouver l’existence d’un autre élément qui transforme la situation en une situation qui prête à l’équivoque (catégories g) et h)) qu’il peut faire une telle affirmation.

73 De même, la défense de croyance sincère mais erronée au consentement ne peut pas être soulevée dans la troisième situation, à savoir celle où le plaignant a perdu conscience ou est incohérent: voir Vandervort, loc. cit., à la p. 269. Cette catégorie vise le plaignant qui n’est pas en mesure d’exprimer un consentement parce qu’il est inconscient ou a perdu la capacité de consentir. Comme je l’ai déjà fait remarquer, le consentement implique [traduction] «l’acquiescement ou l’assentiment délibérément et volontairement donné par une personne capable» (Webster’s Third New International Dictionary, op. cit.). La personne qui a perdu conscience ou est incapable de communiquer n’est pas en mesure de donner un acquiescement délibéré et volontaire. Dans un tel cas, comme chaque fois qu’il est question de consentement, c’est l’acte social qu’est la communication d’un consentement, et non l’état d’esprit du plaignant, qui est en cause. On ne s’attend pas à ce que l’accusé sonde l’esprit du plaignant et porte un jugement sur ses pensées secrètes. Mais il n’a pas le droit non plus de présumer un consentement en l’absence d’une capacité de communiquer. Le plaignant qui entre dans cette catégorie n’a pas la capacité de communiquer une décision volontaire de consentir. Cette incapacité sautera aux yeux de tous ceux qui voient le plaignant, sauf celui qui se retranche dans l’ignorance volontaire. C’est ce qui rend invraisemblable toute affirmation d’erreur de bonne foi quant au consentement. En d’autres termes, la condition nécessaire (mais non suffisante) pour qu’il y ait consentement, à savoir la capacité d’exprimer un acquiescement, n’est pas remplie. Le cas hypothétique du plaignant qui a consenti à l’avance à des contacts sexuels avant de perdre conscience ne constitue pas une exception. Le consentement peut être retiré en tout temps. La personne qui agresse une femme qui a perdu conscience ne peut pas savoir si celle‑ci retirerait le consentement donné antérieurement si elle était consciente. Cette personne s’expose donc à ce que la plaignante affirme par la suite qu’elle n’avait pas donné son consentement.

74 Cela étant dit, il peut y avoir des situations susceptibles de donner lieu à une erreur de bonne foi quant à la capacité du plaignant de communiquer un consentement. Ces circonstances constituent les situations prêtant à l’équivoque visées aux catégories g) et h).

75 Les quatrième et cinquième situations ne donnent pas ouverture à la défense de common law fondée sur la croyance sincère mais erronée au consentement parce qu’elles sont régies par des dispositions spéciales du Code criminel. La situation de la personne mineure, que la loi juge inapte à donner un consentement, est prévue à l’art. 150.1. Des règles particulières régissent l’erreur quant à l’âge, et la défense de croyance sincère mais erronée au consentement ne peut pas être invoquée. Le consentement vicié par le recours à la force ou à la contrainte est également visé par une disposition spéciale du Code criminel (par. 265(3)), et doit être examiné dans son contexte.

76 La sixième catégorie concerne le plaignant conscient mais passif. On peut faire valoir des arguments convaincants au soutien de l’affirmation que la simple passivité ne constitue pas un consentement et, partant, ne peut pas justifier l’existence d’une croyance sincère mais erronée au consentement. Une fois de plus, si le consentement implique la communication d’un [traduction] «acquiescement ou [d’un] assentiment délibérément et volontairement donné par une personne capable» (Webster’s Third New International Dictionary, op. cit.), alors il semblerait qu’il faille quelque chose de plus que la simple passivité. Le fait de ne dire ni oui ni non n’est pas une communication et, partant, ne peut pas être assimilé à la communication d’un consentement. Le fait de ne rien dire permet encore moins de conclure à la capacité ou au caractère délibéré ou volontaire d’un acquiescement. En l’absence de circonstances exceptionnelles, il est irréaliste de supposer qu’une personne agissant sincèrement et sans se maintenir dans l’ignorance volontaire peut inférer un consentement de la simple passivité. En d’autres termes, affirmer que la passivité vaut consentement, c’est présumer le consentement. Assimiler la soumission au consentement, c’est faire abstraction du caractère essentiel du consentement en tant qu’acte social par lequel une personne confère à autrui le droit de faire quelque chose. Les femmes peuvent se soumettre pour bien des raisons qui n’ont rien à voir avec le consentement. C’est pourquoi il faut quelque chose de plus pour qu’il soit permis d’inférer que la personne passive est consentante. Il s’ensuit que la seule passivité est insuffisante pour servir de fondement à une défense de croyance sincère mais erronée. Il faut d’autres éléments de preuve relativement à des circonstances ou un comportement pour démontrer l’existence de l’équivoque qui sous‑tend ce moyen de défense. C’est seulement avec des éléments de preuve semblables que la passivité entre dans l’une des deux dernières catégories, soit g) ou h).

77 Certaines idées fausses et généralisations erronées courantes qui embrouillent le droit en matière d’agression sexuelle sont le signe du défaut de reconnaître que la passivité seule ne permet pas d’inférer le consentement. L’une d’elles veut qu’en l’absence d’une preuve de lutte ou de violence, on puisse inférer un consentement. Le corollaire de cette proposition est l’idée fausse que la femme qui ne résiste pas ou qui n’est pas contrainte physiquement est forcément consentante. Cette idée maintenant discréditée peut dévier l’analyse de la question de savoir si le fondement d’une défense de croyance sincère mais erronée au consentement a été établi. Il peut être allégué que l’absence d’une preuve de résistance ou de violence constitue une preuve qui peut étayer une conclusion de croyance sincère mais erronée par l’accusé au consentement du plaignant (c’est un argument auquel le juge Major a souscrit dans le présent pourvoi). En réalité, l’absence de violence ou de lutte est neutre. L’accusé qui infère un consentement de la seule passivité tire une conclusion malhonnête et irresponsable. Puisqu’il est aussi raisonnable d’inférer l’absence de consentement que le consentement de la passivité, l’évaluation sincère d’une attitude passive ne permet pas, en l’absence d’autres éléments, de conclure au consentement du plaignant. C’est uniquement lorsque d’autres circonstances confèrent à la passivité un caractère équivoque (catégories g) et h)) que la possibilité d’un consentement sincèrement inféré se concrétise. Plus exactement, la passivité a pour effet de créer une situation où l’accusé sincère doit obtenir un signe affirmatif de consentement avant d’agir.

78 Les deux autres circonstances dans lesquelles le consentement est litigieux sont des situations qui prêtent à l’équivoque, soit en raison du comportement du plaignant, soit en raison de circonstances extérieures. Ce sont, à mon sens, les seules circonstances donnant ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée au consentement.

79 La première situation vise le comportement équivoque du plaignant. Bien que, dans la très grande majorité des rencontres sexuelles, les parties parviennent à communiquer un consentement ou un refus sans difficulté ni malentendu, le droit reconnaît qu’un comportement peut parfois être si équivoque que l’accusé légitimement intéressé se méprendra de bonne foi sur le refus ou l’incapacité véritable du plaignant et l’interprétera comme un consentement donné par une personne capable. Le juge doit soumettre au jury la défense de croyance sincère mais erronée au consentement s’il existe une preuve de comportement équivoque susceptible d’étayer cette méprise sincère de l’accusé qui ne se retranche pas dans l’ignorance volontaire. L’accusé qui, en raison d’ignorance volontaire ou d’insouciance, croit que le plaignant a la capacité requise et a réellement consenti à l’activité sexuelle en question est dans l’impossibilité d’invoquer la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. C’est un fait que le législateur a codifié au sous‑al. 273.2a)(ii) du Code criminel. L’accent, dans cette catégorie comme dans les autres, doit être mis sur ce que le plaignant a dit ou fait et sur la façon dont ses paroles ou ses gestes ont pu influencer l’accusé qui a agi de bonne foi et sans se maintenir dans l’ignorance volontaire. Le juge du procès devrait soumettre ce moyen de défense lorsqu’il existe une preuve suffisante pour l’amener à conclure qu’un jury pourrait d’une façon réaliste (c’est‑à‑dire sans faire de suppositions) accepter que le plaignant a opposé un refus ou était incapable de consentir, mais que ses paroles et ses gestes ont pu amener l’accusé à conclure sincèrement le contraire.

80 Il s’ensuit non seulement qu’il doit y avoir un comportement ou des paroles qui sont contradictoires ou équivoques, mais aussi que le résultat de cette contradiction ou de cette équivoque doit être tel que l’accusé agissant de bonne foi et sans se retrancher dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance aurait pu conclure que le plaignant avait la capacité requise et était consentant. Nul n’a le droit d’assimiler l’équivoque au consentement. Si une personne qui agit de bonne foi et sans se maintenir dans l’ignorance volontaire se rend compte que la conduite de son ou de sa partenaire est équivoque ou incertaine, il est de son devoir de ne rien faire ou d’obtenir des éclaircissements sur la question du consentement. Telle semble être la règle en common law. Dans un cas semblable, pour employer les mots de lord Cross of Chelsea dans l’arrêt Morgan, précité, à la p. 203, [traduction] «ce n’est que juste envers la femme et pas le moins du monde injuste envers l’homme d’obliger celui‑ci à faire preuve de diligence pour vérifier si la femme consent aux rapports sexuels, et de l’exposer à une poursuite s’il omet de faire preuve d’une telle diligence». Comme Glanville Williams l’affirme dans son Textbook of Criminal Law (1978), à la p. 101: [traduction] «l’accusé est coupable s’il s’est rendu compte que la femme n’était peut‑être pas consentante et n’a rien fait pour s’en assurer».

81 Je remarque que le législateur a confirmé cet énoncé plein de bon sens en édictant l’art. 273.2 du Code criminel du Canada qui dispose que «[n]e constitue pas un moyen de défense contre une accusation [d’agression sexuelle] le fait que l’accusé croyait que le plaignant avait consenti à l’activité à l’origine de l’accusation lorsque [. . .] il n’a pas pris les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement». Voir aussi R. c. Darrach (1994), 17 O.R. (3d) 481 (Div. prov.). La question consiste à savoir si l’accusé en l’espèce, s’il s’était suffisamment préoccupé de la question du consentement (c’est‑à‑dire s’il ne s’était pas maintenu dans l’ignorance volontaire) aurait pu, étant donné l’équivoque, conclure sincèrement que la plaignante avait la capacité requise et consentait à l’activité sexuelle.

82 Il faut prendre soin d’éviter les fausses suppositions ou les «mythes» qui peuvent nous induire en erreur pour déterminer si la conduite de la plaignante constitue un fondement suffisant pour soumettre la défense de croyance sincère mais erronée au consentement à l’appréciation du jury. L’un de ces mythes est l’idée stéréotypée que la femme qui résiste ou qui dit non peut, en fait, être consentante. Puisque l’analyse est axée non pas sur la personne raisonnable mais sur l’accusé lui‑même, celui-ci peut prétendre, par exemple, qu’il a interprété comme un consentement un comportement qu’une personne raisonnable considérerait comme un refus parce qu’il a été conditionné à accepter l’idée que non veut dire oui. Cependant, il faudra prouver quelque chose de plus pour établir un fondement justifiant la présentation de la défense de croyance sincère mais erronée. D’autres questions se poseront. L’accusé s’est‑t‑il maintenu dans l’ignorance volontaire en croyant que non veut dire oui? Peut‑on considérer comme sincère sa croyance que le plaignant qui dit non est consentant? C’est uniquement si l’on peut plausiblement répondre à ces questions d’une manière favorable à l’accusé que la défense de croyance sincère mais erronée peut être soulevée. On peut avancer que dans le contexte social de la société canadienne de la fin du vingtième siècle, on pourra rarement répondre à ces questions d’une manière favorable à un tel accusé. Il s’ensuivra que la défense ne sera pas suffisamment vraisemblable pour être soumise à l’appréciation du jury.

83 La dernière situation dans laquelle des questions touchant le consentement peuvent se poser est la situation où l’équivoque résulte non pas de la conduite du plaignant mais de circonstances extérieures. Cette catégorie vise les rares cas où une circonstance extérieure rend le refus, la passivité ou l’absence de consentement du plaignant ambigu. Le juge McIntyre en donne deux exemples dans l’arrêt Pappajohn (à la p. 133):

Dans l’arrêt R. v. Plummer and Brown, précité, le juge Evans (tel était alors son titre), parlant au nom de la Cour d’appel de l’Ontario, s’est dit d’avis qu’il existait pareille preuve en ce qui concernait Brown et a ordonné un nouveau procès parce que le moyen de défense n’avait pas été soumis au jury. Dans cette affaire‑là, la plaignante était allée à la «piaule» de Plummer où celui‑ci l’a violée. Brown est entré dans la pièce où le viol avait eu lieu après le départ de Plummer. Apparemment il était arrivé à la maison sans Plummer. Il était possible de conclure d’après la preuve qu’il ignorait que Plummer avait menacé la plaignante et avait obtenu sa soumission par la terreur. Il a eu des rapports sexuels avec elle et elle a dit qu’elle s’est soumise sans protester parce qu’elle était encore effrayée des menaces de Plummer. Dans ces circonstances particulières, il fallait soumettre ce moyen de défense. Les faits donnaient clairement au moins une apparence de vraisemblance au moyen de défense de Brown. Dans l’affaire Morgan, la preuve indiquait que le mari de la plaignante avait invité les accusés à avoir des relations sexuelles avec son épouse et qu’il les avait assurés que ses protestations ne seraient qu’une comédie. En d’autres termes, il y avait une preuve qui donnait, si absurde que puisse être cette explication, un fondement à la croyance erronée. En l’espèce pareille preuve n’existe pas.

84 Dans cette catégorie comme dans les autres, il faut prendre soin de ne pas substituer des suppositions non fondées à une preuve de consentement. À titre d’exemple, on a parfois donné à entendre dans le passé que le fait qu’une femme était une prostituée ou perçue comme étant de m{oe}urs faciles pouvait constituer une circonstance autorisant un homme à interpréter son refus comme un consentement. Il est difficile de nos jours de concevoir qu’un homme tire pareille conclusion sans se retrancher dans l’ignorance volontaire ou la mauvaise foi. Il est maintenant reconnu que le fait qu’une femme est une prostituée ou considérée comme étant de m{oe}urs faciles ne rend point son refus moins valable que celui d’une autre femme: R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577, le juge McLachlin, à la p. 604, et le juge L’Heureux‑Dubé, à la p. 690.

85 Ces considérations m’amènent à conclure que la défense de croyance sincère mais erronée peut être soulevée si la preuve révèle une situation prêtant à l’équivoque que l’accusé agissant de bonne foi, sans se maintenir dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance, a interprétée à tort comme un consentement. Les conditions donnant ouverture à ce moyen de défense sont donc les suivantes: (1) la preuve que l’accusé a cru au consentement du plaignant; (2) la preuve que, dans les faits, le plaignant a opposé un refus, n’était pas consentant ou était incapable de consentir; et (3) la preuve d’une situation prêtant à l’équivoque et expliquant que l’accusé a pu sincèrement interpréter l’absence de consentement comme un consentement, en supposant qu’il ne s’est pas retranché dans l’ignorance volontaire et n’a pas fait preuve d’insouciance quant à savoir si le plaignant était consentant, c’est‑à‑dire en supposant qu’il a accordé l’attention voulue à la nécessité d’obtenir un consentement et à la question de savoir si le plaignant était ou non consentant.

86 Le point de vue selon lequel il doit y avoir une preuve de l’existence d’une équivoque pour expliquer comment l’accusé a pu sincèrement interpréter à tort un refus, une absence de consentement ou une incapacité de consentir comme un consentement avant que la défense d’erreur ne puisse être soumise au jury recueille de plus en plus l’adhésion depuis quelques années aux États‑Unis par suite de l’adoption par de nombreux États de la règle de [traduction] «l’équivoque». Dans l’arrêt People c. Mayberry, 542 P.2d 1337 (1975), la Cour suprême de la Californie a statué qu’une directive au jury sur l’erreur quant au consentement était subordonnée, sur le plan de la preuve, à l’existence d’une preuve indiquant non seulement que l’accusé croyait sincèrement que la plaignante était consentante, mais aussi qu’un comportement «équivoque» [traduction] «pourrait avoir induit [Mayberry] en erreur quant au consentement [de la plaignante]» (p. 1346). Il ressort de l’arrêt People c. Romero, 215 Cal. Rptr. 634 (C.A. 1985), qu’il doit y avoir une preuve du fait que la [traduction] «manière dont la victime a exprimé son absence de consentement était équivoque au point d’amener l’accusé à présumer que celle‑ci était consentante alors qu’elle ne l’était pas» (p. 638). Selon l’arrêt People c. Vasquez, 281 Cal. Rptr. 661 (C.A. 1991) (citant l’arrêt Rhoades, précité, à la p. 914), en cas d’incompatibilité entre le témoignage de l’accusé soutenant qu’il y avait eu consentement et le témoignage de la plaignante affirmant qu’il n’y avait pas eu consentement, il n’est pas nécessaire de soumettre la défense d’erreur, [traduction] «(à) moins que la preuve ne révèle une façon de concilier les versions contradictoires de la défense et de la poursuite au moyen d’une erreur de fait, de sorte que le jury puisse évaluer la preuve relative à la croyance au consentement de l’accusé (par opposition à la simple affirmation de l’existence d’un consentement)» (pp. 670 et 671 (les italiques sont du juge Deegan dans l’arrêt Rhoades)).

87 Dans ce qui est considéré comme l’arrêt de principe sur cette question, People c. Williams, précité, la Cour suprême de la Californie a de nouveau examiné et confirmé sa décision dans l’affaire Mayberry. Comme en l’espèce, les versions de la plaignante et de l’accusé dans Williams étaient très différentes. Selon le témoignage de l’accusé, la plaignante avait participé activement et volontairement aux rapports sexuels. Quant à la plaignante, elle a témoigné qu’elle avait opposé un refus et avait été forcée d’avoir des rapports sexuels. Le juge du procès a refusé de donner au jury une directive sur la croyance sincère. La Cour d’appel a infirmé sa décision. La Cour suprême de la Californie a rétabli la décision du juge du procès. Après avoir examiné les versions nettement contradictoires, la cour a statué qu’on ne pouvait pas, en droit, soumettre ce moyen de défense. Selon la cour, le témoignage de Williams tendait seulement à démontrer l’existence d’un consentement véritable, tandis que le témoignage de la plaignante, si on y ajoutait foi, excluait toute croyance raisonnable au consentement. La cour a dit que [traduction] «[c]es versions diamétralement opposées ne pouvaient être conciliées de manière que Williams puisse soutenir qu’il s’était raisonnablement mépris sur la conduite [de la plaignante]» (p. 966). La preuve d’un consentement véritable était la preuve d’une «conduite sans équivoque». Pareille preuve ne pouvait pas appuyer la défense d’erreur. Pour invoquer ce moyen de défense, il doit y avoir une preuve de conduite équivoque. D’autres États ont appliqué depuis la règle énoncée dans l’arrêt Williams: Tyson c. Trigg, 50 F.3d 436 (7th Cir. 1995 (le juge Posner)); Tyson c. State of Indiana, 619 N.E.2d 276 (C.A. Ind. 1993); Commonwealth c. Fionda, 599 N.E.2d 635 (C.A. Mass. 1992).

88 Je conclus que la soumission de la défense de croyance sincère mais erronée au jury doit être subordonnée à l’existence non seulement d’une preuve de refus, d’absence de consentement ou d’incapacité de consentir que l’accusé interprète comme un consentement, mais aussi d’une preuve d’ambiguïté ou d’équivoque montrant comment l’accusé a pu, sans se maintenir dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance, se méprendre de bonne foi sur la conduite de la plaignante. Sinon, la défense n’est pas vraisemblable. Comme le dit le juge McIntyre dans l’arrêt Pappajohn, précité, aux pp. 132 et 133, ce moyen de défense n’a pas l’«apparence de vraisemblance» requise et ne soulève pas une «question réaliste».

89 C’est en gardant ces affirmations à l’esprit que j’en viens à l’affaire qui nous occupe.

IV. Application au présent pourvoi

90 J’ai déjà mentionné que, à mon sens, l’absence de preuve quant aux mesures prises par l’intimé pour s’assurer du consentement exclut la défense de croyance sincère mais erronée au consentement vu l’art. 273.2 qui était en vigueur à l’époque pertinente. Les principes de common law énoncés plus haut mènent au même résultat.

91 La plaignante et l’intimé ont présenté des versions des événements qui étaient contradictoires et inconciliables. La plaignante a témoigné (à la p. 33 du dossier) qu’elle n’a jamais consenti à avoir des rapports sexuels avec l’intimé. Bien qu’elle ne se souvienne pas de l’agression proprement dite, elle a déclaré dans son témoignage qu’elle n’aurait pas donné son consentement parce que l’intimé était son cousin issu de germain. Cette preuve est compatible avec un refus ou avec l’incapacité de donner un consentement à cause d’une perte de conscience. En résumé, soit que la plaignante aurait refusé avec véhémence d’avoir des rapports sexuels, soit qu’elle avait perdu conscience et était incapable d’opposer un refus. Aucun de ces scénarios ne laisse entrevoir une situation ambiguë ou prêtant à l’équivoque que l’intimé aurait pu sincèrement interpréter comme une capacité et un consentement. De son côté, l’intimé a déclaré dans son témoignage que la plaignante était capable de se maîtriser et a participé activement aux rapports sexuels pendant un certain temps. Ce témoignage va directement à l’encontre de celui de la plaignante et n’est conciliable qu’avec la capacité et le consentement véritable.

92 Puisqu’on doit considérer que le témoignage de l’accusé quant à un consentement véritable suppose implicitement que l’accusé croyait au consentement de la plaignante, il est allégué qu’il existe une preuve de croyance sincère au consentement. Toutefois, pour les fins de la défense, il aurait fallu que le jury rejette la preuve de l’intimé quant à une participation active et consciente, laquelle est inconciliable avec l’absence de consentement, et accepte uniquement la simple affirmation (implicite) d’une croyance au consentement. Cela suppose un tri de la preuve de l’intimé qui, bien qu’acceptable en droit, introduit un élément d’invraisemblance. Il aurait ensuite fallu que le jury, pour les fins de la défense, combine ce témoignage de simple croyance avec le témoignage de la plaignante voulant qu’elle n’avait pas consenti et n’aurait pas consenti à moins d’une perte de conscience. À ce moment‑là, une autre difficulté aurait surgi. La plaignante a dit dans son témoignage qu’à moins d’avoir été inconsciente, elle aurait opposé un refus catégorique à l’intimé parce qu’il lui répugnait d’avoir des rapports sexuels avec un parent. Ce témoignage est inconciliable avec l’équivoque requise pour étayer la thèse selon laquelle l’intimé a, de bonne foi et sans se maintenir dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance, confondu l’incapacité ou le refus de la plaignante avec un consentement. Pour accepter cette thèse, il faudrait rejeter le témoignage de la plaignante selon lequel elle aurait repoussé l’accusé avec véhémence, à moins d’avoir perdu conscience, tout en conservant d’une façon ou d’une autre l’affirmation selon laquelle elle a opposé un refus. En résumé, il aurait fallu que le jury rejette une grande partie du témoignage de l’intimé et pratiquement tout le témoignage de la plaignante pour ajouter foi à la défense. Il aurait ensuite fallu, en l’absence d’une autre preuve, que le jury arrive à la conclusion qu’une situation prêtant à l’équivoque avait amené l’intimé à se méprendre de bonne foi sur la question fondamentale de la capacité et du consentement. À ce moment‑là, la défense devient si peu vraisemblable qu’il est impossible de voir comment un jury agissant raisonnablement et selon la preuve aurait pu y ajouter foi.

93 Quand on pousse la thèse de la défense d’erreur à son point extrême, on peut voir qu’elle repose sur la supposition qu’un événement équivoque s’est produit, en dépit du fait que ni l’intimé ni la plaignante n’ont témoigné en ce sens. On en est donc réduit à conjecturer sur la nature de cet événement. Par ailleurs, aller jusqu’à supposer un tel événement revient à contredire la seule preuve relative à ce qui s’est réellement produit, à savoir la preuve de l’intimé quant à la participation de la plaignante à des rapports sexuels consensuels. Bref, on est invité à inférer hypothétiquement une situation prêtant à l’équivoque en l’absence d’une preuve à l’appui et au mépris de la seule preuve existante. Il faut inférer tout cela de l’ivresse de la plaignante et de son absence de souvenirs sur ce qui s’est passé dans la chambre. Il ne saurait s’agir de la défense réaliste fondée sur une preuve suffisante exigée par notre Cour à la majorité dans l’arrêt Pappajohn.

94 L’ivresse ne saurait constituer la preuve d’une situation dans laquelle la plaignante pourrait paraître consentante alors qu’en réalité elle ne l’était pas. S’il en était ainsi, la défense pourrait être invoquée chaque fois que la plaignante est ivre pendant les rapports sexuels. Si la plaignante est ivre au point de ne pas être en mesure de communiquer (la thèse du ministère public au procès), elle est incapable de donner un consentement, et il ne saurait être question d’invoquer l’erreur de bonne foi. Si elle est moins ivre et en mesure de communiquer (la thèse de la défense au procès), la question qui se pose est de savoir ce qu’elle a communiqué. Encore une fois, il n’y aucune possibilité d’erreur de bonne foi quant à la capacité. La seule preuve de ce que la plaignante a communiqué est le témoignage de l’intimé selon lequel elle a clairement et activement exprimé un consentement, et le témoignage de la plaignante selon lequel elle n’aurait jamais été consentante. La troisième possibilité est que les circonstances prêtaient à l’équivoque à savoir si la plaignante avait la capacité requise de donner un consentement. Il n’y a aucune preuve de cette troisième situation. Le résultat est le suivant. Selon le premier scénario de l’ivresse extrême, la plaignante n’a pas consenti parce qu’elle était incapable de le faire. Selon le deuxième scénario de l’ivresse moins prononcée, la plaignante avait la capacité de consentir et la question à soumettre au jury est de savoir si oui ou non la plaignante a véritablement consenti, selon le témoignage qu’il accepte. Il n’existe aucune preuve au soutien d’un troisième scénario selon lequel il y aurait eu équivoque quant à la capacité ou à ce qui a été communiqué. Rien ne permet d’affirmer que la plaignante paraissait consentante alors qu’elle ne l’était pas.

95 Le fait que la plaignante n’a gardé aucun souvenir de ce qui s’est passé dans la chambre à coucher vu son ivresse ne prouve pas le consentement non plus. L’affirmation selon laquelle la plaignante peut avoir paru consentante parce qu’elle ne se souvient pas des événements n’est qu’une simple supposition. Au surplus, c’est une supposition qui va à l’encontre des témoignages de la plaignante et de l’intimé. Ce dernier décrit une situation de capacité et de participation active qui est inconciliable avec l’état équivoque où la plaignante n’est ni capable ni consentante, mais paraît malgré tout l’être. La plaignante affirme qu’elle aurait repoussé l’intimé parce qu’ils étaient parents, et il s’agit encore une fois d’un témoignage qui est inconciliable avec un consentement apparent mais non réel. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle l’ivresse et l’absence de souvenirs de la plaignante donnent ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée repose non pas sur la preuve mais sur des suppositions. Elle repose en outre sur des suppositions dangereuses fondées sur des idées stéréotypées quant à la façon dont les femmes ivres, à la mémoire défaillante, sont susceptibles de se comporter. Le droit tel qu’il a été établi par notre Cour dans l’arrêt Pappajohn ne permet pas de faire de telles suppositions. Il faut une preuve établissant précisément une situation susceptible d’amener quelqu’un à se méprendre de bonne foi sur le consentement en l’absence d’un consentement. Aucune preuve semblable n’a été présentée en l’espèce.

96 Mon collègue le juge Major concède qu’à lui seul, le témoignage de l’intimé ne pourrait pas soulever la défense de croyance sincère mais erronée (par. 14). Il reconnaît qu’il doit y avoir plus. Selon lui, les éléments de preuve supplémentaires nécessaires résident dans deux facteurs: (1) le fait que la plaignante n’a pas contredit le témoignage de l’intimé sur ce qui s’est passé dans la chambre parce qu’elle ne se souvenait de rien; et (2) l’absence de preuve de violence. En toute confraternité, je ne vois pas comment ces facteurs, pris isolément ou collectivement, fournissent la preuve manquante. Il ne s’agit pas d’éléments de preuve, mais simplement d’une absence de preuve. Ils ne contredisent pas la version de l’intimé, mais ils ne la complètent pas non plus. Il ne reste que l’affirmation de l’intimé selon laquelle la plaignante a, pendant un bon moment, montré par différents moyens qu’elle avait la capacité requise et consentait à l’activité sexuelle. Loin d’appuyer une erreur de bonne foi, cette preuve va à l’encontre de cette thèse. L’affirmation de l’intimé selon laquelle la plaignante a clairement consenti et participé à l’activité sexuelle sape les propositions essentielles à la défense, savoir que la plaignante n’était pas consentante mais que l’intimé s’est mépris sur ce point. Le fait que la plaignante ne se souvienne de rien n’est pas en soi une preuve de mauvaise communication. L’absence de preuve de violence n’appuie pas non plus, comme je l’ai déjà mentionné, l’hypothèse d’une croyance sincère mais erronée au consentement. Si l’intimé a inféré à tort de l’absence de lutte ou de la passivité de la plaignante une capacité manifeste et la communication active d’un consentement, il est difficile de ne pas conclure qu’il s’est retranché soit dans l’ignorance volontaire, soit dans la mauvaise foi.

97 Compte tenu de la preuve, il n’y avait que deux scénarios possibles. Le premier, qui a été présenté par le ministère public, c’est que la plaignante n’a pas consenti à l’activité sexuelle. Ce scénario est étayé par la preuve selon laquelle la plaignante était très ivre et n’aurait pas consenti si elle avait eu la capacité de le faire parce qu’elle est parente avec l’intimé. Le second, qui a été présenté par l’intimé, c’est que la plaignante avait la capacité requise et a consenti. Ce scénario est étayé par le témoignage de l’intimé selon lequel la plaignante était maîtresse d’elle‑même et a participé activement et volontairement aux actes. Aucun de ces scénarios n’est conciliable avec la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. Pour que ce moyen de défense puisse être soulevé, il faudrait avoir une preuve établissant un troisième scénario, à savoir une situation prêtant à l’équivoque ou une méprise permettant la coexistence du refus ou de l’absence de capacité avec la croyance sincère au consentement ou à la capacité. Pareille preuve est totalement inexistante.

98 Je conclus que le juge du procès n’a pas commis d’erreur en ne soumettant pas la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury, puisque la preuve ne donnait pas ouverture d’une façon réaliste à ce moyen de défense. Je suis d’avis d’accueillir le pourvoi et de confirmer la déclaration de culpabilité.

Pourvoi rejeté, les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes.

Procureur de l’appelante: George Thomson, Ottawa.

Procureurs de l’intimé: Phillips & Wright, Yellowknife.


Synthèse
Référence neutre : [1997] 2 R.C.S. 777 ?
Date de la décision : 10/07/1997
Sens de l'arrêt : Le pourvoi est rejeté

Analyses

Droit criminel - Agression sexuelle - Moyens de défense - Défense de croyance sincère mais erronée au consentement - Le juge du procès a‑t‑il commis une erreur en ne soumettant pas ce moyen de défense au jury? - Y avait‑il une preuve suffisante pour que le moyen de défense invoqué soit «vraisemblable»?.

Droit criminel - Agression sexuelle - Moyens de défense - Défense de croyance sincère mais erronée au consentement - Moyen de défense non invoqué par l’accusé au procès - Peut‑il être invoqué en appel?.

L’accusé, cousin issu de germain de la plaignante, a eu des rapports sexuels avec celle-ci après une soirée qui a eu lieu chez elle. L’accusé a, par la suite, été inculpé d’agression sexuelle et a subi son procès devant un jury. Au procès, l’accusé a témoigné que, à son avis, la plaignante était «capable de se maîtriser». Il a dit qu’ils se sont embrassés puis que la plaignante l’a invité à aller dans sa chambre à coucher où ils ont eu des rapports sexuels consensuels. La plaignante a témoigné qu’elle était ivre et a nié avoir embrassé l’accusé et l’avoir invité dans sa chambre. Elle a témoigné ne se souvenir de rien entre le moment où elle est allée dans sa chambre et le lendemain matin, lorsqu’elle s’est rendu compte en se réveillant qu’elle avait eu des rapports sexuels. Bien qu’elle n’ait pu se rappeler ce qui s’était passé, la plaignante a témoigné qu’elle n’aurait pas consenti à des rapports sexuels avec l’accusé parce qu’ils étaient parents. Le juge du procès a donné au jury des directives sur la question du consentement, mais non sur la défense de croyance sincère mais erronée au consentement. L’avocat de la défense n’a pas fait d’objection. L’accusé a été reconnu coupable d’agression sexuelle. La Cour d’appel à la majorité a accueilli l’appel, annulé la déclaration de culpabilité et ordonné la tenue d’un nouveau procès. La cour a conclu que la défense de croyance sincère mais erronée au consentement était «vraisemblable» et que, même si l’avocat de la défense n’avait pas soulevé ce point, le juge du procès était tenu de soumettre ce moyen de défense au jury.

Arrêt (les juges L’Heureux‑Dubé et McLachlin sont dissidentes): Le pourvoi est rejeté.

Le juge en chef Lamer et les juges Sopinka, Gonthier, Iacobucci et Major: Pour qu’une cour soit tenue d’examiner la défense de croyance sincère mais erronée ou de donner au jury des directives à cet égard, il doit y avoir une preuve plausible à l’appui de ce moyen de défense de manière à le rendre vraisemblable. En l’espèce, la preuve plausible vient des témoignages de la plaignante et de l’accusé et des circonstances entourant l’agression sexuelle reprochée. Le témoignage de l’accusé constitue davantage qu’une simple affirmation de croyance au consentement. L’accusé a rapporté des paroles et des actes précis de la plaignante, qui l’ont amené à croire qu’elle était consentante. À lui seul, ce témoignage peut donner ouverture au moyen de défense, mais il y a plus. Le témoignage de la plaignante n’a pas contredit celui de l’accusé, car elle ne peut pas se rappeler ce qui s’est passé après qu’elle fut entrée dans sa chambre. De plus, il n’y a aucune preuve de violence, de lutte ou d’emploi de force. L’absence de résistance ou de violence à elle seule ne donnait pas ouverture à ce moyen de défense puisque c’est simplement l’un des facteurs qui doivent être pris en considération. En outre, non seulement les témoignages des parties ne sont pas «diamétralement opposés», mais encore même si l’on applique un critère un peu plus rigoureux, les versions des parties peuvent être «combinées» de manière cohérente. La plaignante n’a pas affirmé que, dans les faits, elle n’avait pas consenti; elle a seulement pu dire que, parce qu’elle‑même et l’accusé étaient parents, elle n’aurait pas consenti. S’il est jugé digne de foi, le témoignage de l’accusé sur la participation de la plaignante pourrait amener un jury à conclure qu’il croyait sincèrement qu’elle consentait même s’il se trompait quant à sa capacité de donner un consentement valable en droit à cause de son ivresse. Cela satisfait au critère préliminaire de l’existence d’une explication plausible des faits et il aurait fallu le signaler au jury. Il appartient au jury de déterminer, en fonction de tous les facteurs de l’espèce, si la plaignante a pu dissimuler son ivresse sans le vouloir et dire des choses ou accomplir des actes de nature à susciter une croyance sincère mais erronée au consentement. Un tribunal ne peut pas statuer a priori qu’une croyance sincère mais erronée est impossible lorsque la plaignante est ivre. Enfin, bien que la passivité de la plaignante puisse ne pas valoir consentement, l’absence de souvenirs de sa part doit être examinée en regard du témoignage de l’accusé suivant lequel la plaignante semblait participer volontairement. Cela est suffisant pour justifier qu’on donne des directives au jury sur ce moyen de défense.

L’article 273.2 du Code criminel n’a pas été invoqué au procès ni dans le cadre de l’appel. Ces circonstances restreignent la capacité de notre Cour d’examiner l’effet de cette disposition.

Bien que la défense de croyance sincère mais erronée n’ait pas été soulevée au procès, cela n’empêche pas de la soulever en appel. Le juge du procès doit donner des directives au jury sur chaque moyen de défense «vraisemblable», peu importe qu’il ait été invoqué par l’accusé ou non.

Le juge McLachlin (dissidente): L’article 273.2 du Code criminel prévoit que, dans un cas d’agression sexuelle, l’accusé ne peut pas invoquer la défense de croyance erronée au consentement s’il n’a pas pris «les mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance, pour s’assurer du consentement». En l’espèce, puisque la plaignante était, selon la preuve des parties, complètement ivre, l’absence de preuve quant aux mesures prises par l’accusé pour s’assurer du consentement l’empêche d’invoquer ce moyen de défense.

De toute façon, l’application des principes de common law régissant ce moyen de défense mène au même résultat. Pour soumettre la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury, il doit y avoir une preuve suffisante pour que ce moyen de défense soit «vraisemblable». La simple affirmation par l’accusé d’une croyance au consentement ne sera pas suffisante pour que le moyen de défense soit vraisemblable. De même, des assertions diamétralement opposées par les parties — le consentement manifeste de la plaignante du point de vue de l’accusé et le refus manifeste du point de vue de la plaignante — donneront rarement pour ne pas dire jamais ouverture à la défense. Le consentement dans le contexte de l’agression sexuelle consiste, pour une personne ayant la capacité requise, à communiquer à autrui, au moyen d’un comportement verbal ou non verbal, la permission d’accomplir l’acte sexuel. La question de l’erreur quant au consentement doit être évaluée en fonction de la personne même de l’accusé traduit en justice, mais ce dernier ne doit pas s’être retranché dans l’ignorance volontaire ni avoir fait preuve d’insouciance. L’accusé n’a pas le droit de présumer un consentement en l’absence d’une capacité de communiquer et ne peut donc pas invoquer ce moyen de défense dans le cas où la plaignante a perdu conscience ou est incohérente. La simple passivité est également insuffisante pour justifier le recours au moyen de défense. Puisque la défense de croyance sincère mais erronée vise à remédier à la situation où la communication de l’absence de consentement se fait mal, elle ne peut être invoquée que si la preuve révèle une situation prêtant à l’équivoque, soit en raison du comportement de la plaignante, soit en raison de circonstances extérieures, que l’accusé agissant de bonne foi, sans se maintenir dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance, a interprétée à tort comme un consentement. Les conditions donnant ouverture à ce moyen de défense sont donc les suivantes: (1) la preuve que l’accusé a cru au consentement de la plaignante, (2) la preuve que, dans les faits, la plaignante a opposé un refus, n’était pas consentante ou était incapable de consentir, et (3) une preuve d’ambiguïté ou d’équivoque montrant comment l’accusé a pu, sans se maintenir dans l’ignorance volontaire ni faire preuve d’insouciance, interpréter sincèrement comme un consentement l’absence de consentement de la plaignante.

En l’espèce, le juge du procès n’a pas commis d’erreur en ne soumettant pas la défense de croyance sincère mais erronée à l’appréciation du jury, puisque la preuve ne donnait pas ouverture d’une façon réaliste à ce moyen de défense. La plaignante et l’accusé ont présenté des versions des événements qui étaient contradictoires et inconciliables. Le témoignage de l’accusé n’est conciliable qu’avec la capacité et le consentement véritable. Le témoignage de la plaignante est compatible avec un refus ou avec l’incapacité de donner un consentement à cause d’une perte de conscience. Soit que la plaignante aurait refusé avec véhémence d’avoir des rapports sexuels, soit qu’elle avait perdu conscience et était incapable d’opposer un refus. Aucun de ces scénarios ne laisse entrevoir une situation ambiguë ou prêtant à l’équivoque que l’accusé aurait pu sincèrement interpréter comme une capacité et un consentement. L’ivresse ne saurait constituer la preuve d’une situation dans laquelle la plaignante pourrait paraître consentante alors qu’en réalité elle ne l’était pas. Si la plaignante est ivre au point de ne pas être en mesure de communiquer, elle est incapable de donner un consentement, et il ne saurait être question d’invoquer l’erreur de bonne foi. Si elle était moins ivre et avait la capacité de consentir, la question à soumettre au jury est de savoir si oui ou non la plaignante a véritablement consenti, selon le témoignage qu’il accepte. En outre, l’affirmation selon laquelle l’ivresse et l’absence de souvenirs de la plaignante donnent ouverture à la défense de croyance sincère mais erronée repose non pas sur la preuve mais sur des suppositions. Cependant, le droit ne permet pas de faire des suppositions fondées sur des stéréotypes, mais exige plutôt une preuve établissant précisément une situation susceptible d’amener quelqu’un à se méprendre de bonne foi sur le consentement en l’absence d’un consentement. Aucune preuve semblable n’a été présentée en l’espèce. Le fait que la plaignante ne se souvienne de rien n’est pas en soi une preuve de mauvaise communication. L’absence de preuve de violence n’appuie pas non plus l’hypothèse d’une croyance sincère mais erronée au consentement. Si l’accusé a inféré à tort de l’absence de lutte ou de la passivité de la plaignante une capacité manifeste et la communication active d’un consentement, il doit s’être retranché soit dans l’ignorance volontaire, soit dans la mauvaise foi. Compte tenu de la preuve, il n’y avait ainsi que deux scénarios possibles: soit que la plaignante n’a pas consenti à l’activité sexuelle, soit qu’elle avait la capacité requise et a consenti. Aucun de ces scénarios n’est conciliable avec la défense de croyance sincère mais erronée au consentement et il n’existe aucune preuve au soutien d’un troisième scénario selon lequel il y aurait eu équivoque quant à la capacité ou à ce qui a été communiqué.

Le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente): Il y a accord avec les motifs du juge McLachlin. La conception traditionnelle de common law relativement à «l’absence de consentement» comme élément de la mens rea requise pour l’infraction d’agression sexuelle devrait être modifiée. Il y a lieu de rejeter l’accent que l’on a habituellement mis sur la communication par la plaignante d’un refus de subir les attouchements sexuels en question et de s’attacher plutôt à la question de savoir si et comment l’accusé s’est assuré du consentement de la plaignante. La mens rea requise pour cette infraction devrait également être établie lorsqu’il est démontré que l’accusé savait qu’aucun consentement aux actes en question n’avait été exprimé par la plaignante, qu’il a ignoré volontairement ce fait ou ne s’en est pas soucié. Pour déterminer si l’accusé avait l’état d’esprit coupable nécessaire, le juge des faits doit examiner objectivement non seulement les indices relatifs aux échanges verbaux et au comportement subjectif de la plaignante, que comporte la preuve, mais aussi la perception subjective de l’accusé de cet état, à la lumière des circonstances pertinentes qu’il connaissait à ce moment‑là. L’accusé qui démontre, sur la base d’éléments de preuve, qu’il s’est mépris de bonne foi sur ces indices et, partant, qu’il n’avait pas l’«intention coupable» nécessaire, peut invoquer la défense de croyance sincère mais erronée. En l’espèce, il n’y a rien dans la preuve qui permette de dire que la communication par la plaignante était ambiguë ou que des circonstances extérieures pourraient avoir influencé les perceptions de l’accusé. Le juge du procès a donc eu raison de ne pas soumettre ce moyen de défense au jury.


Parties
Demandeurs : Sa Majesté la Reine
Défendeurs : Esau

Références :

Jurisprudence
Citée par le juge Major
Arrêts mentionnés: R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
R. c. M. (M.L.), [1994] 2 R.C.S. 3
R. c. Lemky, [1996] 1 R.C.S. 757
R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782.
Citée par le juge McLachlin (dissidente)
Director of Public Prosecutions c. Morgan, [1976] A.C. 182
Pappajohn c. La Reine, [1980] 2 R.C.S. 120
R. c. Robertson, [1987] 1 R.C.S. 918
R. c. Bulmer, [1987] 1 R.C.S. 782
R. c. Reddick, [1991] 1 R.C.S. 1086
R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595
R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836
People c. Rhoades, 238 Cal. Rptr. 909 (1987)
People c. Williams, 841 P.2d 961 (1992)
R. c. Darrach (1994), 17 O.R. (3d) 481
R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577
People c. Mayberry, 542 P.2d 1337 (1975)
People c. Romero, 215 Cal. Rptr. 634 (1985)
People c. Vasquez, 281 Cal. Rptr. 661 (1991)
Tyson c. Trigg, 50 F.3d 436 (1995)
Tyson c. State of Indiana, 619 N.E.2d 276 (1993)
Commonwealth c. Fionda, 599 N.E.2d 635 (1992).
Citée par le juge L’Heureux‑Dubé (dissidente)
R. c. Park, [1995] 2 R.C.S. 836
State of A.P. c. Murthy, (1997) 1 S.C.C. 272
State of Punjab c. Singh, (1996) 2 S.C.C. 384.
Lois et règlements cités
CCharte canadienne des droits et libertés, art. 15, 28.
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C‑46, art. 150.1 [aj. ch. 19 (3e suppl.), art. 1], 265(3), (4), 273.2 [aj. 1992, ch. 38, art. 1].
Doctrine citée
Malm, H. M. «The Ontological Status of Consent and its Implications for the Law on Rape» (1996), 2 Legal Theory 147.
Vandervort, Lucinda. «Mistake of Law and Sexual Assault: Consent and Mens Rea» (1987‑88), 2 R.J.F.D. 233.
Webster’s Third New International Dictionary. Springfield, Mass.: Merriam‑Webster, 1986, «consent».
Wertheimer, Alan. «Consent and Sexual Relations» (1996), 2 Legal Theory 89.
Williams, Glanville. Textbook of Criminal Law. London: Stevens & Sons, 1978.

Proposition de citation de la décision: R. c. Esau, [1997] 2 R.C.S. 777 (10 juillet 1997)


Origine de la décision
Date de l'import : 06/04/2012
Identifiant URN:LEX : urn:lex;ca;cour.supreme;arret;1997-07-10;.1997..2.r.c.s..777 ?
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